JOUR 47//
The Green School Cambodia
Il y a tant à dire que je ne sais pas trop par où commencer. Mes propos sont durs, mais la réalité l'est tout autant. Ce n'est pas un joli conte sur fond de carte postale. Bienvenue à Keo Phos sur Mer[de].
Keo Phos. Pas facile de te mettre le grappin dessus, tu n'existes même pas sur la carte mon pote!
Ce petit village reculé et delaissé, n'est qu'un exemple parmis tant d'autres au Cambodge. 80 % de la population serait analphabète. C'est énorme. Énorme mais malheureusement pas si étonnant quand on connaît l'histoire du pays. Rappellons que les Khmers Rouges ont fait évacuer les villes, buté tous les intellectuels, les expats et les Khmers les plus éduqués et instruits, pour envoyer tout le monde - du moins les (sur)vivants - bosser dans les champs, leur imposant au passage d'oublier leurs attaches, leur religion, etc. Outre le fait d'avoir vécu et/ou commis tant d'horreurs, lors de la libération, les survivants de cet exode et des ces massacres ont regagné leur ville, laissant donc dans les campagnes les ruraux et les Khmers Rouges retranchés là. (Il y aurait 30% de Khmers Rouges à Keo Phos). Je la fais courte mais la réalité est plus compliquée et tout ça s'est passé hier*.
Reste donc ces gens dont on ne sait pas bien qui a fait/subi quoi. Les Cambodgiens, pudiques, ne sont pas du genre à s'épancher sur leurs tracas et veulent rester dignes avant tout. Nombreux sont les abcès qui ne sont pas crevés et les traumatismes occultés. Il n'en ressort pas un climat de vie en communauté solidaire et bienveillant. Bien au contraire.
Pour essayer de comprendre où l'on met les pieds, mieux vaut oublier tout ce que l'on connaît, notre propre culture, notre façon de penser, nos idéaux, etc. Tabula rasa. Boule à zéro.
Keo Phos est au bord de la mer[de] et a les deux pieds dedans. On vit donc surtout de la pêche. Mais globalement, ce n'est pas le surmenage qui guette la population. La plupart des gens n'en foutent pas une rame. Les enfants sont livrés à eux-mêmes pendant que leur mère joue aux cartes pour de l'argent.
L'argent. C'est - comme toujours et partout - là que le bât blesse. Il n'y a que ça qui les intéresse mais ils ne mettent pas grand chose en œuvre pour en faire.
C'est dommage, j'ai bien quelques idées pour créer de l'emploi et mettre fin à cette léthargie improductive: LE DÉCHET. Alors certes, il y aurait tout à créer, des infrastructures aux réseaux en passant par la gestion et la sensibilisation des populations, mais justement! Le déchet est roi ici! Il est partout! Il jonche le sol, les étangs, les bords de mer. Il est en plastique 98% du temps, en métal les 2% restants. C'est un désolant spectacle et mon cœur d'écolo est comme une plaie béante qu'on frotte avec du gros sel. Nul besoin d'être concerné par l'environnement pour avoir la nausée. C'est tout simplement dégueulasse. Et chaque personne en produit des quantités pharaoniques par jour. On emballe tout deux fois, on te sert un café dans un gobelet en plastique avec une paille en plastique, qu'on te met dans un sac en plastique, qu'on laissera à même le sol une fois fini. Tout ça va finir dans la mer emporté par le vent et l'eau. Les animaux les mangent. Le poisson gobe des bribes de gobelets, la vache broute un emballage, la poule s'étouffe avec une paille. Ce sont ces mêmes animaux que l'on te sert dans des barquettes en polystyrène ou en plastique, qu'on emballe dans deux sacs plastique et ainsi de suite. Tu bouffes donc du plastique. CQFD.
C'est au beau milieu de tout ce fatras que Stéphane a décidé de créer The Green School Cambodia, prenant comme prétexte l'enseignement de l'anglais aux enfants pour tenter de sensibiliser les gens à l'écologie.
"L'écologie". C'est un bien grand mot. Parce qu'en réalité, on part de zéro. Disons plutôt: apprendre aux gens l'existence d'une poubelle, son intérêt et intégrer comme un automatisme le fait d'y jeter ses déchets. Rien que ce b.a.-ba là, c'est une sacrée paire de manche! Et pour ce qui est de les retrousser les manches, bah ça ne se bouscule pas au portillon.
On mise donc tout sur ces adorables bambins pour tirer tout le monde vers le haut. Et il y a du taff.
Car si le drame khmer en a convaincu plus d'un de l'importance de l'éducation et de l'instruction pour ne pas voir ce genre d'horreur se reproduire à nouveau, dans les campagnes profondes, on n'en est pas là. Pas du tout. Du tout, du tout. Ça ne sert à rien de mettre un gosse à l'école. On va plutôt le faire bosser. Des fois qu'on voudrait continuer à jouer aux cartes en picolant comme des sourds, ça peut servir un mouflet. Ouais allez, faisons comme ça.
C'est donc gratuitement et sans l'aide de personne que Stéphane continue sont petit bonhomme de chemin. Malgré toutes les crasses qu'il subit avec les Khmers.
La Green School, n'a aucun statut. C'est encore moins une ONG. Ce coin paumé là ne dispose d'aucun soutien, pas même de la part du gouvernement.
Cela est combiné à l'état d'esprit infantile des habitants du village. Car ils agissent tous comme des enfants. On va de petites guéguerres en querelles puériles, pour un oui ou pour un non, desservant largement les intérêts communs. Tous en pâtissent mais en première ligne, les enfants sont ceux qui trinquent le plus, se voyant retirés de la Green School pour des prétextes idiots et vides de sens. On marche sur la tête. Et même si ça fait mal de marcher sur la tête, et bah on continue. Juste pour nuire à untel ou un autre.
Mais Stéphane continue le combat avec l'aide de Dan, un Khmer, parce que ça vaut le coup. Ça vaut le coup pour ces enfants qui viennent à la Green School. Ça vaut le coup pour cette poignée d'enfants, parce qu'en venant ici ils trouvent de l'attention, de l'affection et de l'amour. Ils trouvent aussi un enseignement de l'anglais - bien que non professionnel - de bien meilleure qualité qu'à l'école khmère. Et Dieu sait si certains ont du potentiel, malgré une vie dure et compliquée pour leur si jeune âge.
Il est même difficile de parler d'"école". Stéphane a du improviser un espace devant la maison qu'il partage avec son logeur.
Car même si la Green School arrange bien les Khmers et que leurs enfants en bénéficient gratuitement, manquerait plus qu'on soit aidant ou reconnaissant en retour. Faut pas pousser mémé dans les orties!
Bref, le chemin est semé d'embûches (et de déchets!).
Voilà l'adorable petite Nika, cinq ans et déjà un bon paquet de casseroles. Si vous saviez à quel point l'histoire de cette petite fille est triste et difficile. Mais elle est intelligente, elle a le regard vif, elle percute vite. Elle a un cœur énorme et un sens du partage surdéveloppé pour son âge. J'espère qu'elle ira loin.
Une autre petite fille, un peu plus âgée est extrêmement douée. Elle aussi ira loin. Elle le dit elle-même, son but est de se tirer d'ici au plus vite. Elle est assidue. Très jeune mais parfaitement lucide.
Certains ont le regard plus vide. On sent bien qu'ils sont peu stimulés intellectuellement. C'est dur. Mais ils sont là. The Green School: 1 - L'ignorance: 0.
Notre passage à la Green School a donc consisté à distraire les quelques enfants qui venaient le matin, en anglais avec des jeux éducatifs, des dessins et coloriages éducatifs toujours. J'en ai fait des dessins à colorier! À tour de bras! Mais quel kiff de les entendre éclater de rire quand j'essayai de leur dessiner des trucs impossibles tentant de répondre à toutes leurs attentes. Le simple fait de leur donner un peu de temps et d'attention est déjà énorme tant ils en manquent cruellement. C'est en les voyant sauter au cou de Stéphane, venant chercher des câlins et de la complicité que c'est le plus flagrant.
L'après-midi c'est dans un autre village que nous donnions des cours et jouions avec les enfants.
Sur le chemin, un temple abrite une communauté pour le moins étrange de supposés moines, qui le sont tout autant que vous et moi, que l'on voit se balancer comme des fous dans leur hamac sur de la musique techno, tout en sélectionnant des profiles de minettes sur Tinder, nous lançant des "Hello!" langoureux au passage. NORMAL.
Le temple Tinder...! Sur la route pour aller dans le village d'à côté pour les cours de l'après-midiEn fin d'aprem, c'est à la Green School que les plus grands viennent assister au cours d'anglais après l'école. Ils sont là. Ils viennent. Ils en veulent. C'est bien.
Lucie avec Tola et NikaOn a aussi pu participer à la construction de la future école, dans le jardin, qui permettra de continuer les cours même pendant la saison des pluies. Il y a encore du taff, mais c'est bien dégrossi.
Point de confort. Des installations et des conditions rudimentaires. Tel est le sort des plus pauvres... de Stéphane et des volontaires de la Green School!
Le puits grâce auquel on "se douche", "on tire la chasse", on lave tout et notre maison, Green School à ses heures.Ça a été une expérience riche en émotions et en rencontres.
Nous bénéficiions de la complicité de Mr.V. Sacré bonhomme que celui-là. Pas peu fier de sa position de commandant du 1er régiment de la Division des Orphelins. Lui aussi a vécu l'horreur. Il s'est retrouvé orphelin comme beaucoup d'enfants dont les parents ont été assassinés par les Khmers Rouges. (Voici sa lourde histoire écrite par un volontaire). Une division d'orphelins a donc été créée et Mr. V en a fait partie avant de devenir commandant de l'un des trois régiments de 3000 hommes chacun. Grâce à cela il a été instruit et a été formé à l'étranger. Il a dézinguer un bon paquet de Khmers Rouges. Il te rappelle à la moindre occas' que lui, commandant de la 1ère Division des Orphelins, à la tête de 3000 hommes, il a toutes les armes qu'il faut à la maison et que si quelqu'un fait quelque chose de mal, comme enjamber du riz (le riz est sacré ici) ou mettre ses pieds en direction de la nourriture sous son toit par exemple, il lui dira "FUCK YOU!" en lui tirant dessus, avant d'éclater de rire. J'en sais quelque chose, ne pouvant tenir assise en tailleur plus de 10 minutes d'affilée, je suis passée à ça de me faire canarder le cul! Heureusement que je ne suis pas khmère, que je suis lyonnaise (il a de la famille à Lyon qu'il n'a jamais rencontré, mais ça ne saurait tarder) et architecte (son fils est architecte à Phnom Penh et désolée les copains, mais son salaire est identique à ceux de Paris, pour une vie nettement moins chère). "Fuck you!", c'est sa rengaine préférée.
Malgré son intelligence et son éducation, il reste un Cambodgien avec ses croyances et ses superstitions qui défient toute logique. Aussi, il ne peut pas manger de poisson frais, sans quoi il perdrait sa protection magique contre les balles. Mais le poisson séché, ça va. Il croit dur comme fer aux fantômes, ceux des femmes sans tête notamment. Bref. Chacun ses petites lubies... Après tout, moi je crois bien que si je ne suis pas rentrée avant 6h du mat', mon tuk-tuk va se tranformer en noodle soup. Bon! Alors!
On a profité du passage de Mélanie, ergothérapeute, pour aller voir un enfant handicapé, auquel les parents accordent peu de soin et d'attention. Bah oui, pourquoi faire allons! Il est complètement pinpin et ne tient pas sur ses jambes. Manquerait plus qu'on s'occupe de lui, enfin! De le voir si heureux d'être entouré et stimulé, Lucie en a pleuré. Je me suis retenue mais je n'en menais vraiment pas large.
J'ai finalement tout lâché quand j'ai appris après notre passage que la mère de cet enfant a fini par l'amener au cours de l'après-midi et qu'enfin il a été mêlé aux autres enfants, jouant avec eux comme tout enfant le mérite.
Bref, que dire de plus si ce n'est qu'il y a tout à faire ici. Et pour toutes les personnes qui souhaiteraient s'engager, je conseille vivement de venir sur du plus long terme avec un projet à réaliser. Stéphane est largement ouvert à la discussion et il a besoin d'aide.
Pour en savoir plus sur The Green School Cambodia, c'est par là, sur Facebook et WordPress. Libre à vous de filer un petit coup de main.
Dernier jour à Keo Phos...*Libération en 1979 par l'armée vietnamienne. Mais il faut attendre 1997 reconnaisse et condamne Pol Pot et son régime. C'est complètement dingue!