Il a gelé ce matin. C'est un bon présage pour attaquer le Grand Veymont à plus de 2300 mètres d'altitude .
Nous quittons tôt notre chambre pour constater que la journée sera agréable.
La montée nous déplace dans la station de ski de La Ville où l'assemblage des remontées mécaniques n'a pas débuté. Le réchauffement climatique est un bon faire-valoir à la procrastination.
En montant par les sous-bois les fragrances font remonter mes souvenirs du goût du bonbon resineux dont on a retiré l'écorce, le fameux bonbon à la sève de pin que tout le monde a connu et censé guérir toutes les infections de la sphère ORL.
En chemin Christine fait un écart brusque pour une photo ratée car nous croisons un trailer effrayé dont nous ne percevons dans les cris que les mots "ne pas y aller" "bouquetin" et "horreur". Que se passe-t-il là-haut ? Un bouquetin aurait il bousculé un randonneur dans le vide, l'ayant auparavant éventré ?
Notre curiosité attisée nous poursuivons patiemment un pas devant l'autre , les crêtes alentour se dessinant de plus en plus précisément quand un problème latent ressurgit soudainement.
Depuis quelques années mes lacets vivent avec mes chaussures une relation conjugale que beaucoup de couples envieraient.
Mais hier mon lacet droit a démasqué ma chaussure droite qui entretenait avec mon gros orteil une relation charnelle souvent décriée par mon quintus affirmant que ce n'est pas la taille qui compte ! Suite à cette trahison Monsieur Lacet ne pense qu'à démonter la coquette cocarde que je renoue régulièrement. Afin de calmer un peu la situation et redémarrer l'ascension avec sérénité je promets aux deux belligérants de leur trouver un avocat pédestre dès notre retour.
Quelques relaçages plus tard nous arrivons au Pas de la Ville, porte d'entrée pour le Grand Veymont même si ce n'est pas encore gagné .
Sitôt le col franchi un bouquetin coquin cligne de la corne en direction de ma compagne. Les yeux sur le côté et la pupille rectangulaire et horizontale lui permettent un champ de vision étendu pour détecter les prédateurs.
Serait-ce le bouquetin de notre trailer effrayé ?
Ma compagne se laisse subjuguer par cet oeil semblant pousser la chansonnette sur un air de " aie confiance..."
La belle ensorcellée, notre fier animal décide de la ressusciter en lui présentant son postérieur (quiconque y décellera autre chose qu'un postérieur sera banni de nos lectures jusque la septième génération)
Nous quittons prestement les lieux enchaînant vires et éboulis quand nous nous retrouvons pieds à nez avec un contrefort érigeant son éperon rocheux. Décidément, la montagne s'érotise de plus en plus !
Ma compagne affolée par tant d'exhibitions interpelle un randonneur lui invectivant de rebrousser chemin. Ce qu'il refusa avec véhémence, lui précisant que la situation n'était pas plus enviable au ressaut suivant où même un humain y a été contaminé.
L'emotion passée nous poursuivons notre ascension debusquant deux bouquetins étonnés qui interjectent quelques jurons avant de déguerpir poussant leur petit cri annonçant un danger
Cliquez pour le cri
Enfin le sommet !
Les mots nous manquent ici tellement le paysage qui se dévoile devant nous émerveille nos yeux d'enfants et entretient notre bonheur.
Plusieurs centaines de mètres de vide s'ouvrent sous nos pieds dévoilant le Trièves et divers villages traversés le jour précédent, Grenoble apparaissant au nord.
En fond de décor se dessinent le Mont-blanc, les Ecrins, le Dévoluy pour ne citer que les plus connus.
Et l'impressionnante courbe de la chaîne du Vercors menant à la Grande Moucherolle.
Après une heure trente de béatitude il est temps d'entreprendre la descente qui s'annonce diabolique sur une pente où se sont accumulées pendant des siècles une multitude de pierres sardoniques ne pensant qu'à se dérober sous nos pieds.
Mon lacet n'en mène pas large !
Quatre cents mètres plus bas des gémissements sont perceptibles au-delà d'une vire isolée. Une randonneuse épuisée a décidé de stopper net son ascension. Après quelques palabres et entre deux soubresauts larmoyants elle promet de continuer son périple, remise en confiance par ma conjointe.
Nous poursuivons.
Une heure avant notre retour, une petite fille de sept ans d'âge se repose sous l'oeil protecteur de son père qui l'initie au bonheur de la montagne en l'emmenant bivouaquer près d'une cabane de berger sous le Grand Veymont.
Continuant notre descente, l'astre flamboyant ayant perdu son éclat en se crachant derrière les cimes, il est temps pour les brebis de rejoindre leur enclos, non sans se servir un cornet à la baraque à frites.
De retour à la chambre notre repas sera plus diététique.