Nous ne savons pas très bien ce qu’il y aura devant nous !
Janvier 2023
51 semaines
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Le mercredi 25 janvier, c’est le grand jour : nous quittons les USA. Nous avions deux options, la Marina Hemingway à l’ouest de La Havane (et de notre point de départ) et la Marina Gaviota de Varadero, bien à l’est de La Havane. Toutes deux sont distantes de 90 miles de Key West, à vol de mouette.

La route verte au travers du Gulf Stream nous semble plus judicieuse . 


Nous avons le fameux Gulf Stream à traverser. Son courant porte à l’Est avec une vitesse habituelle de 2,5 noeuds, qui peut atteindre 7 noeuds et lever des mers formidable quand il s’oppose au vent.

Un front du nord est annoncé pour le lendemain après-midi et, en cas de retard, ces conditions nous empêcheraient de rentrer à Hemingway, dont l’étroit canal est orienté pile nord-sud. De plus, nous ne voulons pas traîner dans le Gulf Stream et lutter contre le courant. Notre choix est fait : nous irons à Varadero. Le courant nous porte un peu, la route sera plus directe car nous ne devrons pas aller chercher de l’ouest.


14h25 : le vent du sud souffle encore, mais nous décidons d’appareiller. Il nous faut sortir de Key West, cela prend approximativement une heure, laissant à Eole le temps de s’essouffler un peu, selon la météo.

Nous partons avec le courant contre le vent, la mer s’agite joyeusement dans les entonnoirs de la sortie, mais notre bon Yanmar nous permet de lutter contre ce clapot bien inconfortable. Comme annoncé, le vent tombe et tourne légèrement. La grand voile vient aider le moteur et rend la navigation un peu plus confortable.

Au revoir les US. 

Vers 16h00, nous doublons la marque d’eaux saines et, à 17h le pavillon de courtoisie des USA est affalé. Au loin, sur tribord, un bateau de type militaire fait même route que nous, et un autre des Coast Guards passe devant nous. Tous deux sont précisément sur la ligne des 12 miles, la limite des eaux territoriales. C’est la première fois que je vois une frontière maritime aussi bien gardée. Il faut dire que devant nous… il y a Cuba !

Nous faisons route au sud jusqu'à 18h30. Nous sentons le courant nous pousser doucement vers l’Est. Notre route au sud deviendra sud-est à mesure que nous nous enfonçons dans le Gulf Stream.

La mer s’est bien calmée, le vent est tombé : exactement ce que nous voulions pour cette traversée.

Les belles couleurs du jour tombant. 

Yves croise des paquebots pendant son quart et, moi, des cargos. Le ciel est magnifique, couvert d’étoiles, j’y retrouve même la Croix du Sud, un vieille amie !

En observant tout cela, j’aperçois souvent un flash se refléter sur un chandelier bâbord. Je cherche d'où cela peu venir, il n’y a aucun navire autour de nous. Je surprends bientôt le grand coupable : des éclairs illuminent le ciel par l’arrière. C’est le second effet « Gulf Stream » ! J’abandonne alors les étoiles et garde les yeux sur ce ciel obscur, déchiré fréquemment par des éclairs en forme de feux d’artifice. Les éclats sont proches les uns des autres, mais restent toujours bien loin de nous. Vers 23h30, la fréquence diminue. Je reporte les faits à Yves lorsqu’il prend son quart, il n’en verra plus, fort heureusement.

À 04h20, ça y est, nous sommes arrivés sous les tropiques, notre latitude est officiellement tombée sous les 23*27' ! Le moteur ronronne toujours, le phare de Varadero est en vue et nous sommes sortis du plus fort du Gulf Stream.

Si si, c’est le phare. Et sa lumière fonctionne ! 

Nous ralentissons un peu pour faire notre entrée de jour.

Premier lever de soleil à Cuba ! 

Le soleil se lève sur notre premier jour à Cuba. Moment attendu depuis longtemps et plusieurs fois reporté : Yves hisse la pavillon cubain sur tribord !

C’est toujours un moment émouvant . 

Je commence à essayer de contacter la Guarda Frontera, qui ne répond pas, mais nous nous y attendions un peu. Il paraît que, du haut de leur sémaphore, ils suivent notre AIS.

À 06h30, nous embouquons le chenal de la baie de Cardenas et… une brume épaisse nous entoure tout à coup ! Il devient difficile de repérer les bouées et piquets. Faire confiance à la carte ? Bof, les marques ne sont pas exactement où elles devraient. C’est finalement le radar qui aidera le mieux à la navigation. Nous allons ainsi de bouée en pêcheur et de piquet en bateau surprise de la Guarda, qui passera avec le mépris le plus total mais à fond, quelques mètres sur notre avant.

À 07h35, je parviens à contacter le dockmaster de la marina Gaviota. Il nous précise le quai que nous devons rejoindre pour les formalités d’entrée dans le pays. Tout semble conforme à nos recherches en amont.

C’est ici que je rends la casquette de capitaine à Yves. Comme pour les quarts, nous alternons également ce rôle important à bord de MedioVaS. Après un an et demi, entre Caraïbes, Atlantique Nord, Saint Laurent, ICW … la tête dans les Gribs météo, les courants, les marées, le casse-tête de la planification des routes toujours avec des plan B,C,D,… Une entrée et une sortie par le Gulf Stream, des vrais challenges, Yves reprend les rênes de notre vaillant voilier. Je l'assisterai de mon mieux de retour dans la mer des Caraïbes.

Nous sommes bien à Cuba  

Le jeudi 26 janvier, à 08h15, nous sommes amarrés au ponton des autorités portuaires. José, le dockmaster de la marina, a prévenu les officiels de notre arrivée, nous n’avons plus qu'à patienter.

La première personne à voir, c’est le médecin. Évidemment, il tarde à venir, mais peu nous importe, nous sommes à Cuba. La brume se lève et nous découvrons l’immense marina… vide !

Marina vide … 

Finalement, une dame en uniforme monte à bord avec des formulaires à remplir. C’est Judi, l’officier de l’immigration. Yves se débrouille très bien en espagnol, parfois je joue les traductrices.

Trois-quart d’heure plus tard, le médecin arrive enfin à son tour. Pas d’auscultation approfondie, des questions répétées font office d’examen médical. Nous sommes un peu fatigués, mais en bonne santé, et nos certificats de vaccination anti-Covid font merveille.

Ensuite, Judi nous questionne sur le matériel présent à bord : pas de vélo, pas de téléphone satellite (petit mensonge), mais des radios VHF et des iPhone. Ah oui : et un drone qui se verra scellé dans son sac, c’est à dire entouré d’un scotch au marquage officiel, le temps de notre séjour. Vous n’aurez donc pas d’images vue du ciel.

Petit drone sera en vacances . 

Judi toujours , accompagnée du médecin et d’un militaire font le tour du bateau pour une petite inspection. Ce sont surtout nos légumes frais et nos fruits qui attirent les regards. La viande est congelée ou enfermée en boite de conserve, donc nous n’avons pas de soucis. Nous devrons sortir nous légumes du bateau dans un sac hermétiquement fermé si nous avons besoin d’en jeter.

J’offre à tout ce petit monde du café déshydraté qui ne doit pas être terrible (c’est le seul que nous ayons à bord, nous ne sommes pas friands de café) et des cookies (dont la première fournée manque de cuisson) que j’avais cuisinés en attendant que le jour se lève. Le tout remporte pourtant un grand succès, surtout lorsque Yves annonce que j’ai préparé moi-même les cookies. Le médecin me demande la recette … comment lui dire que c’est une pâte américaine, vendue en boite comme des croissants, que j’ai simplement coupée et mise au four ?

À 10h30, nous avons notre Tarjeta De Tourista, le petit papillon visa, qui évite de tamponner le passeport et nous sommes « libérés ». Nous allons trouver notre place au ponton. Nous avons le choix : cette marina peut accueillir jusqu’à 3000 mille bateaux, en plus des gros catamarans de tourisme à la journée et … il y a actuellement trois visiteurs. Nous prendrons la triste place de quatrième.

José nous offre un accueil formidable en échange de … café et cookies. Nous saurons tout sur le fonctionnement de la marina, entourée d’un tout aussi énorme complexe hôtelier. Nous avons nos cartes de Yatista, les laisser-passer de la marina qui doivent nous permettre d’entrer, de sortir et de circuler dans le complexe hôtelier, avec des limites que nous découvrirons bientôt.

Je découvre également que notre Tarjeta de Tourista est censée être valable 3 mois alors qu’à l’immigration elle m’a annoncé 1 mois. José va s’occuper de tout cela, le lendemain il m’annoncera que c’est bien trois mois.

Tout ceci fut construit pour accueillir les touristes américains, autorisés par Obama et aussitôt de nouveau interdits de Cuba par Trump (et son successeur, jusque-là). D’ailleurs, venant nous-mêmes des USA, notre VISA coûte 75 dollars au lieu de 25, petite punition.

Certains bateaux américains osent venir quand même, la subtilité est de n’avoir aucune trace sur le passeport et de rentrer aux USA par les Bahamas ou le Mexique. Il leur faut aussi ruser pour dépenser de l’argent, aucune banque américaine n’autorisant l’usage de leurs cartes de credit. Mais le risque est énorme s’ils se font prendre au retour !

Voici donc pourquoi Cuba est un des rares pays qui accepte de ne pas tamponner les passeports des touristes… Un passeport tamponné à Cuba complique gravement tout déplacement ultérieur aux USA et pas seulement de ses citoyens. Un de nos amis français en avait fait l’amère expérience, se voyant refuser un simple transit par un aéroport américain. La fameuse dispense de visa électronique « ESTA » n’est alors plus jamais accordée. Lui qui n’aimait déjà pas vraiment le pays…

Pas de repos, nous partons déjà explorer les environs. La déception est grande, toute la péninsule est plantée d’hôtels, tous plus moches les uns que les autres. La plage est certes superbe, mais ce n’est pas notre tasse de thé.

J'étais venue à Varadero, il y a 22 ans, cela ne rajeunit pas. Les hôtels se sont multipliés comme de la mauvaise herbe. Nous ne trouverons pas un endroit local pour déjeuner : que des restaurants pour touristes, où tout est facturé en dollars et n’acceptant que des cartes bancaires.

Un chauffeur de bus m’explique qu’il y a un guagua (prononcé ici wuawua) qui passe par ici et va jusqu’à Varadero. Nous nous postons à l’endroit indiqué et attendons.

Quelle surprise en voyant notre médecin du matin faire monter deux jeunes filles à l’arrière de sa voiture ! Peut-être est-il également taxi pour arrondir, enfin, pour avoir un revenu plus correct.

Nous avons avec nous dollars et euros. Le change à la banque est approximativement de 1﹩ou 1 € pour 25 CUP, le peso cubano ou moneda nacional. Dans la rue il est de 1 pour 150 ! Vous imaginez la double économie du pays et l’intérêt de travailler proche des touristes.


Notre guagua arrive et, nouvelle surprise, c’est le bus typique… des grandes villes occidentales : rouge vif, à impériale et facturé en dollars par carte bancaire ! Nous montons un peu interloqués et je sors ma carte. Au moins, je peux vérifier si le déverrouillage demandé avant le départ est bien effectif et donc si la carte fonctionnera durant notre séjour. Cuba reste un pays objet de bien des soupçons… dans les deux sens !

Nous y croiserons même Don Quijote 

Varadero est situé à une vingtaine de kilomètres de la marina. Mais le trajet s’avère beaucoup plus long que prévu : cette « bétaillère » pour touristes de luxe rentre dans tous les parkings d’hôtels, à la recherche de ses clients ! Le surnom de Varadero est La petite Floride de Cuba, nous comprenons pourquoi. Le trajet semble alors interminable. Je demande à la dame qui vend les tickets de m’indiquer l’arrêt idéal pour déjeuner et nous suivrons son conseil.

Les grands classiques  

Varadero est tout aussi touristique, mais nous pouvons payer en pesos. Pour cela, il faut d’abord changer quelques uns de nos billets capitalistes… fort bienvenus dans la rue.

J’aborde deux chauffeurs de taxi qui discutent sur le trottoir. Je leur demande discrètement s’ils accepteraient de changer un peu de notre argent. Non, ce n’est pas son boulot, mais il nous montre du doigt El Chino (qui n’a rien d’un chinois), le patron du restaurant d’en face. Ils lui font un signe international, frottant pouce et index, qui vaut toutes les recommandations. El Chino appelle son serveur qui nous conduit dans la salle la plus reculée du restaurant, elle aussi tout à fait vide. Commence la transaction : il propose 150 CUP pour 1€ et 140 CUP pour 1 $. C’est parfait, nous voulons changer 200 $ et 100 €. Il part avec nos billets, petit moment d’excitation mêlée d’une légère inquiétude, mais il revient avec un pot en plastique et un sac. Il pose sur la table des liasses de billets, les sortant du pot une par une. Pas moyen de compter tout cela, ce sont des coupures de 20 et de 50, il y en a des centaines ! Voyant que nous sommes un peu néophytes, il nous demande gentiment de ranger tout cela rapidement. Mon petit sac arrive à peine à engloutir tout ce cash et les poches d’Yves débordent ! Son billet de 100 dollars tenait bien moins de place, avant qu’il soit transformé en 14000 CUP, les pesos cubains.

Pour le remercier, nous décidons de déjeuner sur place. Au moment de ressortir, les poches pleines et le sac bourré de billets, nous tombons sur je ne sais quelle police qui contrôle des papiers entre les tables. Petit moment de solitude, le serveur a disparu dans la cuisine et nous ne savons pas trop s’il est légal de transporter tant d’argent sans trace de change officiel au taux de 25 pour 1. Les agents, tous des femmes, ne semblent même pas nous voir. Sans doute contrôle-t-on uniquement les locaux dans cette presqu'île entièrement dédiée au tourisme international ? Pas question d’abimer la poule au oeufs d’or, même si elle alimente aussi le marché noir.

Au menu de jour, il y a de tout. Mais pour notre serveur-banquier, il n’y que des filets de poisson. Alors, c’est parti pour le poisson. L’assiette n’est pas très copieuse mais cela nous suffit. À Cuba tu ne manges pas ce que tu veux, mais ce qu’il y a. Et c’est très bien ainsi ! Yves s’offrira quand même une boule de glace à la vanille pour se remettre de ses émotions. Au moment de payer, il n’en revient pas du taux de change. Il garde des doutes sur la différence entre la banque et la rue. Après vérification, il n’a pas d’autres choix que d’accepter la différence. Nous avons dépensé royalement 10 €, pourboire compris, cela nous rappelle nos séjours africains.

Nous marchons ensuite le long de la rue principale de Varadero.

Nous sommes admiratifs devant les vieilles voitures, celles de « luxe », entièrement retapées mais également le taxi normal ou la voiture privée. Nous découvrons également les coco-taxi, et les carrioles-taxi.


Plus nous approchons la partie ouest, plus l’hôtellerie se fait rare, ouf. Nous sommes maintenant bien loin du bateau et nous remontons dans le guagua pour rentrer à la marina.


Il est temps de compter nos liasses de billets, avant de profiter d’une douche un peu décrépie mais bien chaude. Le compte est bon, même pas une arnaque de 50 pesos. Le compte est bon, pas un billet de 20 pesos manquant, pas une seule petite arnaque souriante.

L’équivalent de 100€ … 
Et notre petite coupe de champagne pour fêter l’arrivée … 

Nous pouvons bientôt sombrer dans un lourd sommeil.

Le front du nord est bien présent. Le vent souffle, le ciel se couvre. Nous aurons même une belle averse tropicale… qui vient parfaire le long rinçage qu’Yves venait à peine d’offrir au bateau. Le port est bien protégé, nous ressentons à peine la grosse brise, mais le bateau s’écarte franchement du ponton et nous sommes content d’avoir insisté pour être sous le vent du nord et pas compressé sur le quai.

J’en profite pour donner à mon tour un gros coup de propre, à l’intérieur cette fois-ci. Nous faisons aussi un peu tri dans nos affaires, pour éliminer les excédents, trouver des choses dont on pourrait se débarrasser. J’ai tenu à le faire ici, c’est toujours profitable pour quelqu’un, plutôt que de le jeter dans une poubelle américaine. Par exemple, nos deux panneaux solaires d’appoints se font vraiment vieux, mais ils peuvent encore rendre de petits services. Nos voisins de ponton, un tout petit bateau de transport local, sont ravis du cadeau.

La météo reste capricieuse et nous oblige à rester au port.

Samedi, nous aurons la visite de Debbie, la Port Officer de l’OCC de Varadero. C’est une canadienne qui vit sur son bateau, à Cuba, depuis 22 ans. Elle habite dans la petite marina, juste à l’ouest de Varadero. Nous passerons une journée formidable avec elle à Varadero et elle nous en apprendra beaucoup sur la vie des Cubains.

Debbie, notre PO de l’OCC 

Elle nous indique où s’équiper de cartes pour internet et téléphone. Car, ici, les choses sont bien différentes. Il existe des spots WIFI dans les villes, mais il faut posséder une carte prépayée : 1$, ou 25 CUP, pour 1 heure d’internet. Au taux de la rue, les 25 CUP deviennent ridiculement petits en dollars. Je m’équipe d’une carte de téléphone cubaine, à payer en dollars et pas autrement. En revanche, je peux la recharger en CUP. Voilà un bel exemple de double économie. Le cubain qui n’a pas de dollars ou d’euros ne pourra pas avoir de carte de téléphone. Mais s’il se débrouille, il pourra au moins la recharger. Gageons que Chino et son serveur possèdent des téléphones portables !

Une marina plus modeste, à taille humaine et également vide  

Debbie nous amène à Dársena, sa marina. Elle est moins prétentieuse que celle où nous sommes amarrés et le cadre est plus local, les clients aussi. On y sent une vraie vie, même si la clientèle est assez dorée et se limite au bar et au restaurants. Il n’y a que trois bateaux au ponton, cette fois-ci tous étrangers. Nous regrettons de ne pas pouvoir y venir, la mer à l’extérieur est trop mauvaise. Nous devons lui annoncer que nous devrons sauter cette étape et profiter de la prochaine fenêtre météo pour aller directement vers la marina Hemingway (qui n’a jamais vu l’écrivain), à La Havane. Nous sentons bien sa tristesse, j’espère qu’elle aura aussi perçu nos regrets.

Dimanche, les bureaux de la marina sont fermées. Nous devrons attendre lundi pour partir vers notre prochaine escale cubaine. Nous avons hâte de quitter ce lieu beaucoup trop irréel à nos yeux.

Bientôt en route vers … 
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Nous ne ferons pas de provisions , même les commerces pour touristes sont vides. 

Le 30 janvier, nous quittons enfin Varadero et ses complexes hôteliers. Mais quitter une marina à Cuba est moins simple qu’on le pense.

Aux USA, je devais signaler notre position au moyen d’une super (hum hum) application. Mais, à Cuba, on aime les contacts humains. Yves doit aller revoir nos amis de la Guarda Frontera.

Nous avons prévenu José de notre départ, il se charge d’avertir las Autoridades Portuarias.

Vers 10h00, il embarque Yves dans sa petite lancha, afin qu’il règle les frais de marina. Ils sont dix fois moins élevés que ceux d’une marina de Miami, environ la moitié du tarif d’une marina européenne. Le tout doit être payé en monnaie “librement convertible”, c’est à dire en Euros et au taux de change officiel. Le passé à la vie dure… Yves a préparé son propre compte, sur un petit bout de papier : la note qu’on lui présente y correspond, au centime près. Il montre son papier à José qui éclate de rire. Les clients sont rares et ceux qui font leurs comptes encore plus !

La facture acquittée en main, nous quittons le ponton qui nous a bien abrités des coups de vent divers et variés. Nous nous mettons en route vers le quai des autorités portuaires, qui se trouve juste en face, donc tout à fait à l’autre bout de la marina. Heureusement nous devons y aller avec le voilier.

C’est notre copine Judi qui est à nouveau de service. Elle embarque, toute pimpante… pour se rendre compte qu’elle a oublié “un papier”. Il s’agit en fait du despacho (le permis de navigation), le principal, l’indispensable sesame ! L’autre papier, le permiso de salida ( le permis de sortie), ne donne que le droit de quitter le port. Pour naviguer, il faut le despacho !

J’appelle José, pour lui dire au revoir, et nous lui offrons une bière. Notre provision limitée ne contient que des Bud. Budweiser, c’est la plus célèbre marque de bière américaine ; alors ici, c’est un peu la boisson de l’ennemi ! Yves lui avait déjà donné un bon pourboire de 20 dollars ( équivalent à un tiers de salaire). José est ravi, et nous remercie grandement, cela l’aidera énormément. Évidemment avec le peu de bateau en visite, les pourboires sont rares.

Mais c’est nous qui lui sommes reconnaissant, José a été notre premier contact avec Cuba, depuis le poste VHF, et nous a offert un accueil et une aide formidable tout au long de notre escale. Le premier souvenir d’un pays d’escale, ça compte énormément.

Il se dévoile peu, malgré nos questions, sur sa famille ou sa situation personnelle. D’ailleurs , il n’a pas le temps de finir sa bière qu’une voie féminine l’appelle sur sa VHF, avant de crier par la fenêtre pour qu’il rentre. Il se dépêche de finir sa mini-cannette, on dirait un enfant pris en faute. Le temps de contact avec les étrangers est-il réglementé ? Ou bien quelqu’un jalouse-t-il sa bière ? ¡Adiós José !


Une demie heure plus tard, c’est encore Judi qui revient avec le fameux permis. Nous comprenons immédiatement le temps passé : notre despacho consiste en une magnifique feuille manuscrite, que l’on dirait recopiée sur le dernier formulaire disponible, faute de photocopieur. Elle est complétée par une feuille, imprimée celle-ci, présentant un cinquantaine de petits carrés à faire tamponner à chacune de nos escales, une case pour l’arrivée, un case pour le départ. On se croirait un peu sur la route de Compostelle…

Notre permis de sortie nous ouvre le droit de naviguer jusque la marina Hemingway (l’écrivain n’y a jamais mis les pieds, mais le nom fait vendre). Nous pouvons mouiller l’ancre dans les baies sur la route, mais, attention, il nous est interdit de descendre à terre. Debbie nous avait expliqué qu’ils ont peur que l’on se fasse voler l’annexe par un quelconque passeur vers les USA. Je pense plutôt que c’est pour éviter trop de contacts avec la population. De toute façon cette zone est presque entièrement interdite de mouillage ! Il faut dire que la côte n’est pas très sûre par vent du Nord.

Judi refait un tour du bateau et vérifie avec application si le ruban adhésif, Aduana Cuba, entoure toujours le petit sac du drone.

Nous saluons notre voisin bien heureux d’avoir reçu nos anciens panneaux solaires.

Ça y est, tout est enfin en ordre pour partir. Nous hésitons à rester au quai pour déjeuner et partir ensuite. Judi n’avait pas l’air contre, mais ses supérieurs se posent des questions et la marina sent le coup fourré pour gagner un jour de ponton gratis ! Finalement nous irons mouiller dans la baie des Cardeñas, y déjeuner et y attendre la brise pour lever l’ancre.

Vers 15h00 , nous appareillons et empruntons le même chenal qu’à notre arrivée à Cuba, cette fois-ci sans brume, ouf.

Les Cruceros del Sol 

Nous croisons le retour des catamarans géants Cruceros del Sol, chargés de touristes repeints couleur écrevisse, après leur journée au soleil.

Une fois la dernière bouée virée, nous déroulons les voiles et prenons la direction de La Havane.

Il est conseillé de suivre la côte de très près, pour bénéficier du contre courant. Mais cela nous rallongerait un peu trop la route et nous ferait raser la côte de vraiment très près, en pleine nuit. “Arrondis les caps” dit le proverbe marin. Nous irons donc au plus court et naviguerons dans une mer formée, en bordure du Gulf Stream, encore lui ! Ce sont donc vent contre courant qui nous attendent. Peu importe, le vent est portant et souffle dans les voiles en ciseaux de MedioVaS, qui se dandine sans effort dans la houle. Nous avançons même un peu trop vite et craignons d’arriver de nuit à Hemingway ; l’entrée y est délicate. Nous prenons donc un ris et bloquons l’hélice pour ralentir encore. Yves n’aime pas bloquer l’hélice…

Le vent se maintient entre 17 et 21 noeuds, c’est parfait.

Coucher de soleil sur le Gulf Stream  

Nous assistons à un superbe coucher de soleil, droit devant nous. Le ciel se couvre d’étoiles, mais le Gulf Stream (toujours) aime créer des perturbations. Au loin le ciel s’anime d’éclairs, heureusement sans danger pour nous. Pour autant, juste avant la fin de mon quart, j’ai droit à une belle averse, bizarrement sans vent. Dans le doute, j’avais bien arisé les voiles, on ne sait jamais ce qui se présente sous un nuage noir. “Et salue les grains”, dit le même proverbe.

Minuit sonne, je renvoie de la toile et Yves prend son quart. Les lumières de La Havane apparaissent au loin. L’impatience est grande. Le vent tourne légèrement et notre cap change également, il est temps d’empanner la grand voile.

Nous ne croisons personne, mis à part des cargos au mouillage, pile sur notre route.

MedioVaS navigue maintenant dans le Golfe du Mexique !

Alors que je prends mon quart à 03h00, La Havane se dessine clairement. Nous longeons le célèbre malecón, le grand boulevard qui longe l’océan, régulièrement inondé par les vagues quand souffle le vent du nord.

Plongée dans un rêverie, tout au fond d’un bar cubain, clignant des yeux dans une ambiance enfumée et dansant au rythme d’un orchestre déchaîné, je sursaute violemment quand un bruit de moteur me sort de ma torpeur.

Je scrute la nuit tout autour de nous et j’ai l’impression d’apercevoir une toute petite embarcation au ras de l’eau, mais aucune lumière. Soudain, j’entends une voix de femme, si proche qu’on la croirait venue de notre propre cockpit. Je saute chercher notre lampe de recherche surpuissante et balaie l’horizon, mais rien. Le bruit de moteur s’éloigne en direction des États-Unis. Tiens, tiens…

Je calme mes nerfs, mes muscles cessent de trembler, ils ne sont passés bien loin. Ils avaient l’avantage de voir MedioVaS et ses feux, enfin je l’espère. En moi-meme, je leur souhaite bonne chance. La mer est quand même bien formée, Eole ne s’essouffle pas et ils ont encore la grosse veine du courant à traverser.

Il est 07h00 du matin lorsque Yves met la barre à gauche, en direction d’Hemingway. Vers 08h30, quand il me réveille, La Havane est derrière nous : nous embouquons le chenal de la marina.

Je les contacte sur la radio VHF, ils sont bien au courant de notre arrivée.

Nous trouvons le gazole mais pas les Autorités Portuaires … 

Les instructions nous sont données pour rallier le Quai des Autorités Portuaires, pourtant nous tournons un peu en rond avant de les trouver. Le temps a fini par avoir raison de la paranoia : les autorités ne voulaient pas que les bateaux entrent dans les bassins de la marina, il devaient d’abord accoster un quai dans le chenal d’entrée, très exposé. Les guides de croisière parlaient de ce quai et des rudes négociations, les jours de mauvais temps, pour accoster à l’abri, après le premier virage. Ce fameux quai est aujourd’hui défoncé par les intempéries et nous accostons bien à l’abri, juste devant le poste, une jolie petite maison bleue. Yves se lance à nouveau dans les formalités. Tout est bien rodé, les formulaires reçus à Varadero sont présentés et contrôlés, ainsi que nos passeports garnis de leurs “cartes de touristes”. Puis, un binôme monte à bord : le drone dument scotché est pris en photo… nous constatons qu’il y a une réelle procédure commune et qu’elle est suivie partout à la lettre. Pour autant, personne ne demande de pourboire, même un petit café est refusé.

L’autorisation est donnée… pour rejoindre notre place dans la marina.

MedioVaS se fait des nouveaux amis . 

Cette marina s’est apparemment inspirée du modèle floridien : des canaux entre des allées d’hôtels disposés parallèlement, dans le sens des vents dominants.

Notre canal avec le Club Nautico Internacional Hemingway de Cuba tout au fond 

Grâce à notre contact avec le Port Officer de l’OCC, qui n’est autre que LE commodore du Club Nautico International Hemingway de Cuba, el señorEscrich, nous avons une place toute proche du club, avec les riches vedettes de pêche au gros.

Nous sommes juste devant l’Hotel Acuario, vide, mais doté d’une superbe piscine pleine, elle, d’une eau bleu des mers du sud.

Nous recevons la visite d’un capitán de la marina afin d’établir le contrat de séjour. Il est accompagné du bras droit du Commodore, qui nous souhaite la bienvenue et nous invite à nous rendre dans leurs bureaux quand nous aurons fini les dernières formalités.

Devant nous, un gros yacht et son gardien cubain prénommé Nelson gâchent un peu la vue. Mais au moins nous ne sommes pas seuls. Nelson est très bavard, prêt à nous donner tous les conseils dont nous aurions besoin.

Tout est rapidement rangé à bord, nous avons hâte de nous rendre au club. Nous montons au bureau du Commodore qui nous reçoit grandiosement.

LA photo Facebook avec LE Commodore Escrich .

Pendant plus d’une heure il nous parle sans une pause, le tout en espagnol. Il nous raconte la création du club, alors que Fidel faisait fermer tout centre d’apprentissage de la navigation de loisir, la fragile autorisation d’exister et l’intérêt pour lui de recevoir des visiteurs étrangers, surtout si leur séjour s’accompagnent de publicité sur Facebook. Pour cela, il a tissé sa toile d’araignée auprès d’une centaine de yacht clubs, un peu partout dans le monde, parmi les plus prestigieux. Ces contacts lui permettent de faire vivre son club et sans doute de voyager.

Ce club ne dépend pas de l’état, même si la positon de directeur dépend du capitaine du port. De même, il ne reçoit aucun subside, mais il nous glisse que les bâtiments appartiennent quand même à l’état cubain.

Nous comprendrons rapidement que les sports nautiques sont très limités, cela donneraient-il des ailes aux cubains, en vue de hisser les voiles vers de meilleurs horizons ? Pourtant, une grande affiche de Fidel couvre un des murs. Le Lider Maximo y prend la pose, dans son éternel treillis de guérillero, le brodequin crânement posé sur un enrochement, le regard sur le grand large. Sous ses pieds, figure un slogan pompeux du style : notre pays est une île, nous dépendons entièrement de la mer, ne tournons pas le dos à la mer, il nous faut enseigner cette réalité à nos enfants. Le Commodore nous fait comprendre quelà-haut on lui laisse “le droit de vivre”, jusqu’au jour où il en sera décidé autrement ; nous ne sommes plus à un paradoxe près…

Nous posons avec lui pour la photo Facebook, évidemment, et le complimentons pour tous les efforts qu’il réalise. L’homme est une légende locale et internationale et, certainement, bien mieux établi dans le regime qu’il l’avoue. Après tout, cet officier supérieur de la marine cubaine, ayant suivi les cours de l’école navale de Saint Petersbourg, a survécu à de nombreux liders…

Enfin une pause … 

Affamés, nous descendons au restaurant du club. À la carte : pizza ou poulet ; nous constaterons rapidement qu’il s’agit du menu habituel des restaurants d’état. Nous partagerons une grande pizza, arrosé d’un jus local indéfinissable pour Yves et d’une bière pour moi, locale aussi… il n’y a pas de vin blanc.

Yves nous offre à chacun un polo du club. Ils sont magnifiques et le logo a fait rêver plus d’un navigateur au long cours. Vu le prix, ça devient d’ailleurs un bonne manière de faire une donation !

Nous digérons en nous promenant dans l’allée des hôtels. L’endroit est bien vide mais tous les employés sont présents, armant une marina-hotel aux allures de ville fantôme. La grande piscine semble vraiment attirante et une employée un peu indifférente me confirme que nous pouvons l’utiliser. Il ne faudra pas nous le dire deux fois !

Entre hôtels décrépis et piscine un peu kitch, le bonheur de se rafraîchir est là ! 

Dans le canal parallèle au nôtre, celui où se trouve les bureaux de la marina, nous apercevons quelques voiliers. Beaucoup semblent amarrés là depuis très très longtemps, mais il y a peut-être un catamaran en escale ?

Après une bonne nuit de repos, nous irons visiter la capitale !

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Dès la veille, nous avions prospecté pour trouver des moyens de transport vers La Havane. Nos recherches n’avaient pas vraiment été très fructueuses.

Nous nous lèverons donc de bonne heure et partirons vers un arrêt de bus, en espérant y trouver le numéro 7 ; bus ou taxi collectif, nous ne savons pas très bien. En chemin, nous croisons une dame qui descend d’un taxi et je lui demande d’où elle vient, le prix qu’elle a payé et tous les conseils qu’elle peut me donner.

À priori, le 7 quel qu’il soit, passe quand il veut et il est souvent bondé. Elle nous conseille de prendre un taxi vers La Playa où se trouve le paradero (terminus des bus et taxi) pour 100 pesos par personne. Nous tendons ainsi le bras au prochain taxi, pas un taxi jaune de l’État mais une vieille voiture américaine, un taxi collectif. Arrivés à La Playa, notre chauffeur a ramassé deux autres personnes, c’est le principe du taxi compartido. À son tour, il nous conseille de prendre un autre taxi vers La Havane.

Le prix négocié, nous sommes en route vers la capitale. Ce taxi-là, blanc, ne partage pas ses courses, nous sommes donc seuls comme un couple royal dans un autre modèle de vieille voiture. Peut-être s’agit-il d’une antique Volvo, ou de sa copie soviétique ?

Nous traversons le quartier des ambassades, un large boulevard bordé de maisons somptueuses arborant le drapeau du pays qu’elles représentent. C’est un peu l’avenue de Tervuren locale, mais dans un style plus colonial. Quelle surprise en voyant la belle demeure de l’ambassade de Belgique ! C’est dans ce quartier très chic que, paraît il, Fidel avait sa maison et menait une vie bien au dessus de celle qu’il prétendait.

Ambassade de Belgique 

Nous entrons ensuite dans le quartier de Vadedo. C’est dans cette partie de la ville que les mafias américaines, italiennes et irlandaises avaient élu domicile à la grande époque de la prohibition aux USA. Les casinos fleurissaient et les maisons de bonne compagnie également. Mais nous ne nous enfonçons pas dans le quartier, le taxi longe le Malecón, vaste promenade qui borde la mer, celle la même que nous avons longée par la mer, durant la nuit. C’est ici que les amoureux et les non-amoureux se promènent, pour admirer les couleurs du coucher de soleil.

Et les pêcheurs du Malecon 

Aménagé par les Américains au début du XXème siècle afin de protéger la ville des assauts de la mer, le remblais n’est jamais suffisant devant la puissance des vagues. Lors des violentes tempêtes, assez courantes dans la région, la circulation doit quand même être interrompue.

Nous apercevons le château de San Salvador de la Punta avant de prendre à droite et d’arrêter là notre taxi. Ça y est, nous sommes à La Havane !

Le conducteur propose de nous changer quelques dollars et Yves est intéressé, même si le taux est légèrement moins bon qu’à Varadero. Il nous donne moult liasses de billet et cette fois-ci nous vérifions le compte. Et nous faisons bien, ici et là, dans quelques tas de mille, un billet de 100 ou de 50 a été oublié… finalement, notre serveur-banquier de Varadero était bien plus honnête.

Nous marchons enfin dans la ville mythique. Mes souvenirs d’il y a 20 ans sont vagues, je préfère redécouvrir l’endroit comme si c’était la première fois.

La Paseo José Martí ou Prado 

Nous remontons le Prado, autrement appelé le Paseo Marti, décrite comme étant la plus belle avenue de La Havane. En effet, nous ne serons pas déçus. Nous plongeons dans le passé fastueux du quartier. Il n’est pas difficile d’imaginer la vie à la Belle Époque, les riches négociants saluant les dames dans leurs calèches. Les façades aux couleurs pastels et les balcons en fer forgé marquent la richesse passée. Beaucoup d’entre elles mériteraient une bonne rénovation, mais cela se fait petit à petit.

Rénové ou pas, le charme est là. Nous sommes émerveillés. 

La Habana Vieja est inscrite au Patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO depuis 1982. Un plan de rénovation est en place, son exécution est lente et manque de moyens. Pour y remédier, de nombreuses maisons ou palais sont rénovés en hôtel, restaurant, bâtiment administratif ou musée, les bénéfices qui en ressortent sont réintroduits dans la rénovation d’un autre bâtiment historique, minutieusement sélectionné. Le tout attire les touristes qui font marcher le petit commerce, dont les fameuses casas particulares, les bed and breakfast locaux, aidant ainsi à reconstruire et embellir l’habitat individuel. Ainsi progresse la renaissance de la vieille ville. Il reste bien assez de ruines dans leur jus pour garder un peu d’authenticité et le souvenir de la période spéciale, les années terribles d’austérité.

Sortie de classes . 

Le Prado est bien vivant. Quelques touristes s’y promènent mais nous croisons surtout des Cubains. Certains y flânent, d’autres profitent du réseau internet. De longues files se forment devant les rares magasins qui ont encore quelque chose à vendre ; les écoliers s’y retrouvent pendant leur pause du midi.

Les belles américaines (les voitures évidemment !) circulent et rendent l’atmosphère de la vieille époque d’autant plus réaliste.

C’est la concurrence ! Le touriste ne sait que choisir : américaine, coco taxi ou vélo. 

En arrivant au Capitole, un homme tente de me vendre une visite de la ville en voiture décapotable m’offrant un prix défiant toute concurrence. Mais nous préférons prendre le bus, celui-ci nous permettra de descendre si nous le désirons et de continuer à pied.

Nous retraversons Vedado, par une autre avenue, l’architecture y prend un air de quartier américain, nous pouvons même apercevoir quelques gratte-ciel.

Ambassade des USA, gratte ciel soviétique , université des Sciences .  
Et hôtels bien évidemment.0 

Nous passons devant le cimetière Colon, dont la réputation égale celle du Père Lachaise à Paris ou de la Recoleta à Buenos Aires. C’est la nécropole de la bourgeoisie et de l’aristocratie cubaine. Dans le mausolée central reposent les dignitaires de la révolution comme Célia Sanchez ou, évidemment, Fidel Castro, dans des urnes anonymes mais bien connues des Habaneros.

Nous parcourons toute la Avenida de Los Presidentes : cette artère est plantée des statue de tous les présidents de l’Amérique Latine, enfin tous ceux qui sont politiquement corrects, comme Salvador Allende, Simón Bolivar ou Benito Juárez.

Nous quittons enfin Vedado pour entrer dans le Centro de La Havana, sur la Plaza de la Revolución.

Cienfuegos et le Che, les compagneros de Fidel. 

Cette gigantesque place, aménagée sous la dictature de Batista en 1952, sous le nom de Plaza Civica, peut accueillir un million de personnes. Froide comme le béton, démunie de tout artifice, elle connût depuis 1959 toutes les grandes heures de l’épopée castriste. C’est ici que Castro prononça ses interminables et mémorables discours, jamais moins de trois heures et souvent jusqu’à six ! Le pape Jean-Paul II y célébra la première messe depuis la révolution, devant une assemblée de fidèles remplissant la place entière. Le pape ayant accepté de prononcer quelques mots condamnant le blocus américain, cette messe inaugurait la réouverture des églises et l’autorisation du culte ; donnant-donnant…

Outre une espèce d’obélisque stalinien, la place ne comporte que deux immenses bâtiments, le ministère de l’intérieur et celui des télécommunications. Ils sont ornés de légendaires portraits géant du Che et de Cienfuegos, immenses dessins de fer forgés agrémentés de citations historiques : « - Hasta la victoria siempre » crie le Che, « - Vas bien Fidel » lui répond Cienfuegos. Le museo de la Revolución est malheureusement fermé, nous devrons nous contenter des « belles américaines » qui apportent un peu de couleur à la place. Ce dernier paradoxe savoureux s’ajoute à ceux des héros de la révolution, glorifiés pour l’éternité alors qu’ils furent assez vraisemblablement assassinés par le régime qu’il avaient porté au pouvoir !

Le bus rebrousse chemin et nous le quitterons dès son retour dans La Havana Vieja. Ici, pas question de suivre un itinéraire précis, nous voulons nous perdre au plus vite dans le dédale des quartiers, sentir la vie des petites rues. Mais avant tout, nous allons déjeuner dans un petit un petit restaurant, derrière la cathédrale, qui porte le nom amusant de « Ceci n’est pas un Café », sur la place de la Cathédrale. Il m’avait fait saliver quand j’avais lu sa description dans le guide. En nous y rendant, nous croisons des échassiers-danseurs de rue (très) hauts en couleurs. Nous les suivons sur notre chemin, jusqu’au parvis magnifique et plutôt vide de touristes.

Plaza Catedral 

Le restaurant est à la hauteur de sa description, le choix est un peu plus large que les sempiternelles assiettes de pizza ou de poulet. Un petit groupe de trois musiciens vient jouer Chan Chan devant nous, c’est le bonheur…. et un peu le cliché, comme nous le découvrirons bien vite, après avoir savouré la troisième version de cette (belle) chanson au fil de nos promenades.

Je prends la spécialité du pays, une ropa vieja (vieux habits) : il s’agit de viande désossée puis bouillie, le tout nappé d’une sauce succulente. Drôle de nom, quand même, pour se mettre en appétit ? La légende cubaine raconte qu’un homme pauvre et affamé vendit ses vieux habits contre un morceau de viande pour nourrir sa famille. Le plat préparé prit ainsi le nom de ropa vieja.

Nos ventres bien pleins mais nos habits toujours sur le dos, nous visitons la cathédrale de San Cristóbal de la Habana, sanctuaire baroque cubain datant du XVIIème siècle.

Voilà ce que nous découvrons derrière les façades … à chaque tempête, un morceau tombe . 

Nous prenons ensuite les chemins de traverse, La Havane est effectivement pleine de vie ! Entre palais entièrement restaurés et palais en ruines, les habitants font leur place comme ils peuvent, ils ne désertent pas la capitale. Pharmacies, boucheries, petits commerces, tout y est… vides de marchandises, certes. Nous passons sous les énormes portes des façades, l’envers du décor est souvent triste, la misère prend toute la place, s’installe et gagne du terrain. Chaque saison cyclonique laisse également sa signature. Mais le Cubain ne sombre pas, il garde espoir et trouve des combines pour survivre avec le sourire ; le rhum doit aider un peu.

La vie à La Havane  

Au hasard de nos pas, nous arrivons à la Plaza Vieja, dessinée en 1559, éclectique mélange de styles baroque et art nouveau, fortement inspirée de Gaudi. Autrefois, elle portait le nom de Plaza Nueva, initialement dédiée aux exercices militaires. Très vite, elle servit surtout pour les marchés.

Plaza Vieja. 

Aujourd’hui, complètement restaurée, elle est bordée de nombreux restaurants et cafés. Les quelques bâtiments servant d’habitation ont également été réaménagés. Il y eut pendant longtemps plusieurs familles dans le même appartement, jusqu'à ce que l’État fasse le ménage. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une famille par logement, les autres sont délocalisées, mais où ? Mystère, c’est sans doute le prix à payer pour maintenir la splendeur de la ville, si l’on ne sort pas des chemins touristiques. Nous faisons le tour des palais, à l’ombre de leur magnifiques galeries. Comme nous entrons dans l’un deux. la gardienne de la porte nous explique qu’il y a là une exposition sur la Belgique. Quelle drôle de surprise !

Le pays ayant participé au financement de la rénovation du palais, on y peut voir depuis une exposition de photos de plusieurs villes belges, en lien étroit avec les chefs d’oeuvre de la bande dessinée wallonne comme flamande. Une petite école est installée au fond, pour une classe de troisième, ainsi qu’une petite bibliothèque, spécialisée dans les comics belges, français et américains. Le bibliothécaire, lui-même artiste passionné, nous montre son cahier de dessin ; il possède un réel talent au bout des doigts. Nous passons un bon moment à discuter avec lui, de BD et de Cuba, de son école d’art et ses projets.

 Pis ne résisterons pas aux churros 

De petite rue en petite rue, nous arrivons à la Calle Obispo, ainsi nommée parce que l’évêque y habitait. Véritable colonne vertébrale de La Havana Vieja, elle fut la première restaurée. Rue animée depuis plus de deux ans, elle vie de ses bars et ses boutiques. Enfin, des boutiques il y en a, mais elles sont presque toutes fermées par manque de marchandise. Auparavant, d’ailleurs, les Cubains y faisaient essentiellement du lèche-vitrine, faute de moyens pour acheter. Elle se termine à la Plaza de Armas, lieu où tout a commencé. C’est la plus ancienne place, construite en 1520. Connue à l'époque sous le nom de la Place de l’Eglise, elle hébergeait le Grand Temple Paroissial, démoli en 1770. Aujourd’hui, on y trouve encore le Palais des Capitaines Généraux. La place, couverte d’arbres, abrite la Statue de Carlos Manuel Céspedes, l’homme qui a ouvert le chemin vers l'indépendance, en 1868.

La journée touche à sa fin et nous réalisons que nous n’avons pas vu La Bodeguita Del Medio ni La Floridita. Nous retournons illico sur nos pas, vers ces deux bars légendaires.

La Floridita existe depuis 1817, mais ne prend son nom actuel que fin XIXème siècle. Les dames de la bonne société venaient y déguster des coupes de glace. En 1914, un Catalan prend les rênes du bar et invente le cocktail Daïquiri. En 1930, ce même Catalan rencontre Hemingway. L’écrivain deviendra son meilleur ami, mais également son meilleur promoteur : Dietrich, Gardner, Cooper, Flynn… tous suivront la trace d’Hemingway. Le lieu est resté à l’identique, avec une statue de l’ami au bar. Atmosphère guindée, lieu surpeuplé de touristes et carte hors de prix, nous ne ferons que passer rapidement.

La Bodeguita del Medio, elle, ouvre en 1942. C’est une vieille taverne étroite et bruyante, joyeusement agitée, où l’orchestre prend la moitié de la place. Les mêmes célébrités et d’autres encore y sont passées ; Hemingway en avait fait sa cantine. Ici, c’est le Mojito qui se déguste depuis toujours. Le bar est plein à craquer, le cocktail attendra une autre occasion.

Nous passons la fin de la journée au Van Van, un autre petit bar-restaurant-orchestre, presque vide celui-ci. Après nous être perdus plusieurs fois, nous trouvons enfin l’endroit. Nous envisagions d’y passer la soirée, mais la fatigue se fait sentir. Nous nous contenterons d’un mojito (enfin !) en écoutant le groupe cubain. Il nous reste quand même un peu de force pour danser une ou deux salsas ; comment résister au rythme ?

S’imprégner du rythme avant la danse … 

Nous cherchons maintenant un taxi pour rentrer. En marchant vers la place du Capitole, Yves aperçoit une vieille 404 Peugeot, plus rare que les américaines mais étrangement bien présentes à la Havane. Souvenir souvenir, nous demandons au propriétaire s’il veut bien nous conduire jusqu’à la marina. La négociation est rude, mais nous parvenons à un accord : à peine le double du prix de l’aller ! Il range ses outils, il y a toujours quelque chose a réparer sur ces vieilles autos, préviens son fils en cours de judo sur la place, et nous voici en route vers notre marina dans la 404 de l’inspecteur Columbo ! Notre conducteur-propriétaire-mécanicien est très fier de son bolide : tout y est absolument d’époque, sauf les freins, ouf, et l’autoradio dont on se passerait bien. Dans la douce torpeur du soir, nous songeons à la vanité des choses qui fanent vite et à la noblesse de celles qui durent plus d’un demi-siècle.

Nous aurons droit à de l’Aznavour version cubaine ! 
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Un front de nord s’annonce pour le week-end et Yves préfère attendre qu’il passe avant de continuer notre chemin. La réputation de ces coups de vent d’hiver sur la côte nord est terrible.

Une piscine un peu kitsch mais rien que pour nous !

Nous avons donc trois jours pour profiter de la piscine et des environs.

Vendredi, nous préparons notre sortie du port pour lundi. Souvent, les bureaux sont fermés en fin de semaine et Yves a lu dans un de nos guides qu’il valait mieux prévenir la marina quelques jours à l’avance.

Nous mettons donc le cap sur les bureaux du Commodore Escrich. Son bras droit, Leandro, nous avait promis de s’en occuper. Pendant qu’il prend contact avec la capitainerie, nous recevons les conseils du navegante du club. Yves prend en photo presque toutes les pages de son guide, tandis que je mitraille les cartes marines.

Leandro revient un peu déconfit : le lecteur de carte de crédit de la marina ne fonctionne pas. Comme il est interdit de payer en liquide et qu’il nous est impossible de partir sans payer, nous devenons otages de la marina !

Heureusement il trouve aussitôt une solution : nous allons lui remettre la somme due, convertie en billets de cinquante euros, qu’il ira déposer sur le compte en banque du Club Naútico. Il ne restera plus qu’à ordonner un virement sur le compte de la marina. Cela paraît presque trop simple… Mais il faut faire vite : le samedi, les banques sont fermées et la journée est déjà bien avancée. En fait, Leandro va faire merveille et tout sera réglé dans l’heure, la facture acquittée nous attendra au club. Quand même, l’OCC, c’est une sacrée recommandation !

Dans l’après-midi, nous partons vers Fusterlandia, dans le village de Jaimanitas où nous allons faire une découverte !

Nous y allons à pied. Depuis la marina, il faut à peine un quart d’heure de marche.

On se croirait au Parque Guell. Il s’agit du voisinage de José Rodriguez Furster, artiste peintre et céramiste cubain, qui s’est un beau jour mis en tête de décorer son environnement. C’est au cours d’un voyage en Europe qu’il commence à rêver. Il emménage alors dans une petite maison en bois de Jaimanita, un des quartiers désolés de l’ouest de La Havane.

En 1975, il commence par décorer son studio. Mais il voit grand, très grand. Il propose alors aux autres habitants de décorer leurs clôtures de béton. Il commence ainsi à travailler sur la maison d’un voisin… Jaimanitas y trouve un élan créatif : l’arc-en-ciel fait son effet. Les artistes commencent même à s’installer dans le secteur.

Furster est comparé à Picasso et à Gaudi, dont il s’inspire d’ailleurs allègrement. Le village devient une œuvre d’art à ciel ouvert, avec pour chef d’œuvre la maison de l’artiste, que l’on ira visiter.

Le bouquet final : la maison de Furster !  

Nous reconnaissons facilement la maison du médecin, l’arrêt de bus, la place du village avec les jeux pour enfants, l’entrée du terrain de football, tout est décoré façon Furster. Il a même pensé au banc des amoureux.

Évidemment, on compte quelques panneaux révolutionnaires, dont une magnifique représentation naïve du navire Granma, transportant LES fidèles parmi les fidèles de Fidel, à l’aube de la révolution. Castro acquis ce bateau de plaisance de 18 mètres lors de son exil au Mexique, en 1956. À son bord, outre le futur lider maximo, bien évidemment, on reconnaît son frère Raúl, Camilo Cienfuegos et Ernesto “Che” Guevara. Ils furent 80 à débarquer, un peu en catastrophe à Tuxpan, le 26 novembre 1956. Il était temps, le bateau plutôt ancien était bien prêt de couler.

Dénoncés aux militaires loyalistes, ils subissent immédiatement une attaque. Sur les 80 hommes, une trentaine seulement survivent et vont se réfugier dans les montagnes du sud, en deux groupes séparés. Le retour des libérateurs au pays est assez pitoyable et on ne donne pas bien cher de leur peau. Mais c’est là que commence le geste de la Sierra Meastra, l’épopée de La Revolución, qui finira, contre toute attente (mais comme souvent), par faire tomber Batista et son régime.

Granma et les fidèles de Fidel. 

En cheminant au hasard des rues du Village d’Art, nous admirons d’autres panneaux à l’honneur de différents pays. Certains sont encore en cours de peinture, ou même à l’état de titre, sur une parcelle de béton.

Nous sommes émerveillés par ce village et le dynamisme apporté par l’artiste.

Aujourd’hui, Furster est mondialement connu, les bus touristiques ne manquent pas de transporter leurs ouailles sur le site. Chaque fois que le porte-monnaie de l’artiste s’est un peu rempli, il entame une nouvelle œuvre.

À notre retour, dans un élan de générosité, je lance une invitation à dîner à Yves : je suis prête à offrir généreusement une pizza ou un plat de poulet, à 10 euros pour deux. Pas de chance, notre cantine préférée est fermée le soir. Nous nous en retournons à bord le ventre vide, il va falloir puiser dans nos réserves.

Pizza-poulet ou poulet-pizza … 

Le lendemain midi, notre cantine est ouverte et nous aurons nos “pizza et poulet”.

Le ventre bien rempli et les poches presque toujours aussi pleines, nous nous aventurons de l’autre côté des canaux. Il est grand temps de découvrir la marina, de l’autre côté du club. Nous y trouvons des bateaux français, monocoque ou multicoques. Mais, avant d’entamer toute discussion, nous nous pressons vers la capitainerie, histoire de contrôler si notre sortie pour le lundi est bien enregistrée et si la facture de la marina est bien réglée. À notre grand étonnement, tout a fonctionné parfaitement.

Nous passons donc un après-midi fort tranquille au bord de la piscine.

Dimanche, alors que nous nous préparons à partir au marché, Thomas et Albert, un couple de français vivant en Grèce, font leur apparition le long du bord. Ils viennent de passer une semaine en catamaran autour de Saint Martin. Plutôt que de rentrer directement chez eux, ils ont choisi de s’offrir une petite semaine de tourisme à Cuba. C’est Thomas, le voileux des deux. Il possède un voilier en Grèce… qu’il mouille à côté du bateau à moteur d’Albert. Nous parlons longuement des aventures des uns et des autres et nous terminons tous ensemble au restaurant du petit port de pêche ; il paraît que le poisson y est divin.

Le petit port de pêche et son restaurant bien caché en arrière. 

En effet, nous y dégustons de délicieux sushi, du teriyaki, du ceviche. Le poisson fut fraîchement pêché dans la nuit, merveilleusement préparé et le tout arrosé de vin blanc, c’est un miracle ! L’addition est salée, très salée pour Cuba, mais nous avons partagé un moment merveilleux. Nous les guidons vers Fursterland, dont ils ignoraient l’existence. Après avoir fait le tour du quartier en leur compagnie, nous les quittons aux porte de la maison de l’artiste. Nous rejoignons notre petit marché pour nous approvisionner de quelques légumes et fruits, en prévision du départ. En quelques jours, le prix de la tomate a déjà augmenté de 40%. Nous comprenons la souffrance des Cubains…

Le bateau est prêt, les papiers aussi, quelques petites et rares provisions ont trouvé une place à bord et le coup de vent de nord s’est à peine fait sentir.

Nous pouvons partir lundi matin vers la côte sud de Cuba.

À bientôt !!!
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Départ de la marina de Hemingway.  

Le petit coup du nord est passé et nous sommes impatients de poursuivre notre route vers le sud de Cuba. Nous savons que ce ne sera pas facile, mais la météo s’annonce assez bonne.

Au revoir el Club Naútico Internacional de Hemingway. 

Vers 06h55, le lundi 6 février, nous larguons les amarres vers la petite maison bleue des autorités. Nous retrouvons notre despacho, dûment rempli pour aller jusqu’à Cienfuegos et portant un nouveau tampon. Le petit drone est repris en photo, tous les placards ouverts et refermés. À 07h30, nous avons l’autorisation de partir.

Nous quittons la marina par la même passe étroite. Alors que le vent dort encore, le soleil apparaît doucement et nous offre un manteau de belles couleurs. Le moteur ronronne en attendant la brise. Nous longeons la côte ouest. Cette fois-ci, enfin, le contre-courant du Gulf Stream nous est favorable. Vers 11h30, la mer montre une légère agitation, signe que le vent se réveille. Nous envisageons alors de tangonner le génois. Surprise : deux rivets se sont jetés à l’eau depuis sa dernière sortie. Nous échangeons un regard ; c’est un travail pour notre imbattable Makita, la perceuse sans fil, quelques nouveaux rivets et la grosse riveteuse grande comme le bras. Nous avons déjà eu un soucis similaire à Sainte Hélène et connaissons la démarche. D’ailleurs, la plupart des gros rivets en réserve datent de cette escale. Je prépare tout tout le matériel et Yves répare tout cela en un temps record, avant que la mer ne secoue trop la plage avant. Le génois n’a pas le temps de s’impatienter.

Voilà, jusqu’aux prochains rivets nageurs . 

Nous poursuivons alors notre route, les ailes déployées dans une jolie brise ; nous filons plus de 6 noeuds. Nous apercevons les montagnes et les larges baies avec un petit pincement au cœur, nous ne pourrons pas nous y arrêter.

Notre partie de Scrabble de fin d'après-midi se termine face à un coucher de soleil sur le Golfe du Mexique. Oui, oui, nous avons changé de mer !

Le Golfe du Mexique .

La nuit tombée, la mer en question s’agite un peu. La brise devient instable, de 13 à 17 noeuds. Il faut empanner pour suivre la côte et nous retirons le tangon du génois lors dune accalmie, au moment du changement de quart.

La lune se lève tardivement, c’est une grosse boule orange qui éclairera la mer comme en plein jour, pour le reste de la nuit.

Des moments inoubliables en mer. 

Un cargo pour moi, le Club Med 2 pour Yves, nous ne sommes pas tout à fait seuls sur l’eau. Mais ce n’est pas le long de la côte cubaine que nous sommes embêtés par les pêcheurs, trop de risque qu’ils s'enfuient pêcher aux USA ? En revanche, je croise une série de petites bouées vertes, bien alignées. Je suppose qu’il s’agit d’un filet de pêche. Je n'ai pas d'autres choix que de passer entre deux lumières vertes, en serrant les fesses. Ouf, je n’accroche rien. Et je remercie que ces petites bouées soient si bien éclairées la nuit, c’est rarement le cas !

Les 170 miles sont avalées très rapidement. 

Nous pensions doubler le Cap San Antonio vers 22h00, mais MedioVaS est pressé et ce ne sont pas les ris que nous avons du prendre qui vont le ralentir. Nous saluons San Antonio vers 11h00 du matin ! Le passage a lieu sans accroc, mais nous savons que la belle vie de marin s’arrête ici. Nous allons maintenant longer la côte sud d’ouest en est, donc contre le courant et contre le vent. Cela nous rappellera notre passage de la République Dominicaine vers Saint Martin… un mauvais souvenir !

La mer est encore assez calme au début, une bonne surprise.

La mer est bien agitée, le vent est plus fort : c’est cela aussi, les alizés. Nous commençons à tirer nos bords, ils ne sont pas trop mauvais mais, en fin de journée, nous constatons que nous ne progressons qu’à 2,5 noeuds sur notre route directe. C’est ça aussi, la voile. Le canal du Yucatan veut faire parler de lui et il y parviendra. Un groupe de dauphins vient jouer autour de nous, ça remonte un peu le moral.

Le bonheur de voir les dauphins jouer dans les vagues et l’étrave de MedioVaS 

Nous avons l’option d’aller nous mettre au mouillage devant Maria La Gorda, mais cela nous ferait perdre beaucoup de temps et la baie n’est pas abritée du vent et de la houle. Nous décidons donc de poursuivre, toujours à la voile.

Je dors mal, voire pas du tout et mes nerfs commencent à me lâcher. Yves constate mon épuisement, lui-même n’est pas franchement ravi de notre lente progression. MedioVaS se comporte plutôt bien, mais il ne peut s’empêcher de taper quelque fois, dans cette mer creuse et très courte, ça use les nerfs.

Le mercredi 8, nous devons charger les batteries au moteur. Nous n’avions pas mis l’hydrogénérateur à poste, avec la gîte , les panneaux ne chargent pas en permanence. Je demande à Yves d’en profiter pour mettre en marche avant, histoire que l’on puisse avancer davantage en ligne droite et gagner ainsi sur notre route.

Au moment d’embrayer la marche avant, tac tac tac sous nos pieds au cockpit et, pouf, le moteur cale. Yves tente de nouveau et cale encore. Le moteur arrêté, il tente de passer la marche arrière, impossible de bouger la manette. Nous ne disons rien, mais nous partageons une certaine préoccupation, dans cette mer de plus en plus agitée. Nous chargeons tout de même les batteries au point mort. Tous les deux un peu dépités, nous n’échangeons pas un mot, chacun gardant pour lui son idée derrière la tête, et nous continuons au près, voiles arisées dans 20 à 25 noeuds de vent et 3 à 4 mètres de creux. Nous n’avons pas d’autres choix. Je prends un truc pour dormir et Yves m’offre deux heures de sommeil, tout en préparant un bon déjeuner. Chacun de son coté, nous pensons au moteur, enfin à l’hélice qui cale le moteur, en cherchant des causes possibles. Nous en parlons, au petit déjeuner et nous sommes du même avis : ce pourrait être quelque chose pris dans l’hélice, un filet de pêche ou autre, mais ce pourrait être bien pire. Nous avons tous les deux en tête le fameux Mike, en Floride, qui voulait nous faire démonter le Saildrive pour trouver le petit bout de mental manquant. Et s’il avait finalement raison ? Et si ce petit axe bloquait tout l’engrenage ? Évidemment la deuxième option n’est pas du tout de bonne augure et nous nous sentons coupables d’avoir viré Mike et son devis hors de prix.


Pour nous aider un peu, le vent tombe à 17 noeuds. En soit, 17 noeuds dans le pif, ce n’est pas rien, mais nous avons l’impression qu’il n’y a presque plus de vent. La différence nous parait énorme et calme bien la mer. La prévision météo s’avère juste : vers 21h00, la brise tombe à 13 noeuds. Nous continuons patiemment à tirer nos bords. Les petites heures de sommeil gagnées, ainsi qu’un bon repas, me ramènent à la vie pleine d’entrain.

Nous cherchons à nous protéger de la houle en se rapprochant du récif après le Cabo Frances  

La lune est toujours resplendissante, éclairant nos nuits de plus en plus longtemps. Un ris en moins dans la grand voile et le foc, et nous filons 4 à 5 noeuds sur chaque bord en nous rapprochant du récif afin d’y trouver une mer plus calme.

Il est 01h00, le jeudi 9, quand Yves me sort de mon sommeil profond : « Barbara viens, il y a urgence. Enfin, c’est urgent, mais prends ton temps ». Cela veut dire debout, mais prends le temps de t’habiller. Pour ma part j’ai surtout entendu « urgent » et je suis debout en moins de deux. Je sors dans le cockpit pour voir Yves à l’avant qui m’annonce que le génois est à l’eau. Je lève la tête et, en effet, le génois n’est plus à poste. Je l’aide à relever la voile qui traîne dans l’eau sur tribord, gorgée d’eau et lourde, très lourde surtout lorsque l’on se réveille à peine. Elle est tombée tout seule, tout à coup, comme au ralenti. L’accumulation de “pas de bol” commence à devenir franchement désagréable : nous sommes au près, sans pouvoir compter sur la sécurité du moteur, et la voile d’avant vient de déclarer forfait. Dans cet endroit pas vraiment abrité, sans trop de secours rapide, ça commence à faire beaucoup. Je sais déjà comment Yves analyse notre situation : c’est ce qu’il appelle aligner les zéros, exactement ce que son passé de marin lui a enseigné à éviter à tout prix.

Nous soufflons un peu et Yves m’annonce la première bonne nouvelle de la nuit : il a trouvé ce qui coince notre hélice. En allant reprendre le génois à l’eau, il découvre un bout à l’eau qu’il est impossible de relever ; c’est l’amarre de MiniVaS ! La mer n’était vraiment pas facile, elle a du filer toute seule. Enfin, même s’il faut le vérifier, nous sommes rassurés de connaitre la cause très probable de notre panne d’embrayage. Pour autant, il faut quand même faire quelque chose pour les voiles, impossible de remonter au vent avec la seule grand-voile, et pas question de se laisser dériver vers le courant équatorial qui rejoint le Gulf Stream. La têtière du génois est en parfait état, il s’agit donc d’un problème au bout de la drisse, manille ou émerillon qui nous aurait lâchés. Lorsque Yves m’annonce qu’il veut replier le génois, je désespère. Je lui propose plutôt de me hisser en tête de mat afin de récupérer la drisse, si possible, pour repartir sous génois. Je n’ai absolument pas le courage ni la volonté de plier cette voile gorgée d’eau, dans le petit espace laissé par MiniVaS sur l’avant. La lune éclaire comme en plein jour, la mer est “relativement” calme, la brise modérée , c’est un moment favorable pour grimper au mat et je parviens à en convaincre mon homme.

Nous connaissons bien la manœuvre, exécutée de nombreuses fois, y compris en mer. Nous avons chacun notre rôle et nous sommes entrainés : à moi les acrobaties en tête de mat, à Yves les noeuds de chaise et les muscles sur les winches ! Nous sortons les interphones sans fil, Yves prépare les cordages et j’enfile mes pieds dans la chaise que j’ai améliorée d’un harnais pour le dos. Outre la balancine renforcée sur laquelle il va me hisser, il frappe la drisse de spi en sécurité sur mon harnais, ainsi qu’une autre drisse de secours, que je vais devoir emporter avec moi pour récupérer celle du génois en tête de mat et la faire redescendre jusqu’au pont. Lampe frontale, chaise de bosco et une de mes paires de lunettes-loupes, je suis prête.

Nous avons laissé un peu de grand voile sortie, pour stabiliser au mieux le bateau, mais cela m’empêchait de m’agripper au mat lors des balancements et je demande à Yves d’en rouler davantage. Lors de la montée, le mat suit un mouvement de cheval au tout petit galop, c’est assez confortable. Arrivée en haut, j’examine l’émerillon : il coulisse librement et la drisse est toujours frappée dessus, c’est bon signe ! Je fais mon petit job avec la drisse de secours c’est à dire remonter les 50 mètres de cordage pour les passer à l’avant et le frapper à la place de la manille cassée, Yves récupère le tout en bas. Le plus dur est fait, du moins c’est ce que nous croyons, car il faut maintenant me redescendre. Je sens le vent qui forcit un peu et surtout la mer qui se forme davantage, je le vois du haut du mat, la lune éclaire bien le train de vagues. Les mouvements ne sont plus les mêmes, j’ai davantage de mal à trouver mes appuis pour résister aux coups de roulis. À un moment le bateau roule fort et j’essaye de m’accrocher au hauban intermédiaire, mais je suis emportée vers l’extérieur du gréement, coinçant mon bras sur le galhauban et risquant de me démettre l’épaule. Je lâche tout et je fais donc un tour en l’air par l’extérieur, pour finir avec les tibias contre la barre de flèche. Je m’accroche, tout va bien. Yves me descend rapidement, il ne faut plus traîner et j’ai mal un peu partout. Depuis le cockpit, avec une drisse dans chaque main et la capote au-dessus de la tête, Yves ne peut pas voir ce qu’il se passe là-haut, mais nous communiquons par nos interphones et il m’a entendu « m’envoler ». Il accourt donc au pied du mat, me détache en s’enquérant de mes blessures et m’accompagne au cockpit, avant de s’occuper du matériel à récupérer. Pendant que je reprends mon souffle, il considère la position des drisses : ayant fait un tour par l’extérieur, la balancine et la drisse de sécurité se trouvent maintenant du mauvais côté du mat, passant en outre entre les deux barres de flèches. Il va falloir libérer tout cela avant qu’elles ne coincent l’enrouleur de foc. Yves a une technique toute personnelle pour résoudre le problème, à l’aide d’un bout sur lequel il frappe un rouleau de scotch gris. Après quelques essais, il parvient à viser juste, malgré le vent et la houle et… ça marche ! Le rouleau file entre les barres de flèches, entraînant son cordage qui va faire messager. Les drisses peuvent maintenant suivre le chemin inverse et reprendre leurs places habituelles. Entretemps, ma jambe et mon bras refroidissent sous le steak que j’ai pris dans le congélateur. J’ai le bras brûlé, la peau arrachée, une partie du muscle sectionnée en profondeur et les nerfs écrasé. Au niveau de la jambe gauche, un énorme hématome qui descend vers le pied et saignera quelque jours. Tout va bien en fait !

Un dernier effort et nous re-hissons le génois. C’est l’heure de mon quart, je rassure Yves sur mes blessures. De toute manière, il est impossible de dormir après les efforts et l’excitation. Yves me tient un peu compagnie, le temps de débriefer notre manoeuvre, avant d’aller dormir. Je sens bien qu’il regrette d’avoir accepté, plutôt que d’envoyer la voile tempête et d’attendre des eaux protégées pour grimper au mat. Je le vois imaginer le scénario catastrophe d’un membre cassé ou pire, ultime « zéro » de son collier de perles !

Nos deux points de dérive : je monte au mat, Yves plonge. 

De fait, nous filons maintenant bon train vers la sécurité. Au lever du jour, c’est donc au tour d’Yves de faire l’acrobate, sous la coque cette fois-ci, afin de libérer notre hélice de son bout. La première apnée est euphorique, c’est bien ce que nous espérions très fort : l’extrémité de l’amarre de quai de MiniVaS s’est enroulée autour de l’hélice. En théorie, la manœuvre est simple : un bon couteau et quelques apnées. Mais un certain courant et une certaine houle ne facilitent pas l’opération. Il faudra trois couteaux différents et une demi-heure de travail acharné pour qu’Yves parvienne enfin à libérer l’hélice. Cela fait en effet quelques apnées ! Pour la petite histoire, c’est le couteau acheté pour le picnic avec Nathalie et Élise en Floride. Couteau à dents payés deux sous et qu’Yves a voulu souvent jeter. Les couteaux de plongée peuvent aller se rhabiller !

Voici le coupable, MiniVaS a perdu quelques mètres de son amarre. 

Autant vous dire que nous filons ensuite tout droit vers le mouillage de Puerto Francés, tout heureux de faire tourner le moteur et son hélice. il s’agit d’une petite baie, au sud-ouest de la Isla de la Juventud. Une bonne nuit de repos nous fera le plus grand bien et le cadre est splendide. Pourquoi s’en priver ?

Le paradis-repos est  devant nous. 

Nous y passerons la journée du vendredi, pour se reposer et soigner mes plaies. Pour se venger de lui avoir un peu forcé la main, Yves m’interdit de baignade pour ne pas creuser davantage mes blessures avec le sel de l’eau de mer.

Pendant qu’Yves plonge, je me console … 

Nous virons l’ancre juste avant le coucher du soleil. Nous devons sortir de notre petite baie avant la nuit suivante.

Le vent souffle toujours dans notre étrave mais il est bien époumoné. Heureusement, notre moteur peut à nouveau ronronner.

Le samedi 11 février, nous arrivons enfin à Cayo Largo. Nous passons le récif et entrons ainsi dans le lagon. Le sondeur devient notre principal appareil, les fonds remontant rapidement.

L’approche est splendide. 

L’approche de la marine est à couper le souffle. L’eau est cristalline, si transparente que l’on ne sait pas s’il y a 10 mètres ou 2 mètres d’eau sous notre quille. Les mangroves se mélangent aux plages de sable blanc d’une incroyable finesse.

“Quand le héron à pied, aie confiance en ta route tracée !” 

À la marina nous étions attendus, le commodore Escrich nous avait annoncés. Nous fumes vraiment bien reçus. Yves s’occupe de la paperasse et de la douane, puis nous faisons connaissance avec le voilier français amarré à côté de nous.

Marina de Cayo Largo 

Le soir, j’invite Yves pour un petit dîner, dans un soi-disant bon resto où il y a de tout. C’était ma première surprise de la soirée : la réalité est tout autre, il y a que deux choix possibles, mais l’un contient du boeuf !

Yves commande un refresco pour accompagner son filet mignon de boeuf, croyant obtenir un verre de jus de fruit. En fait, il a droit à une bouteille entière d’un soda douteux, dont la serveuse remplit son verre à chaque fois qu’il est vide. Particulièrement aimable, elle nous annonce que nous partirions avec ce qui reste dans la bouteille de deux litres ! Je rigole discrètement, en voyant la tête d’Yves déjà un peu dégouté de sa limonade.

À la fin du repas, notre gentille serveuse me donne la facture, pas bien élevée, et nous allons à l’accueil où a lieu le règlement. Les choses sérieuses commencent : un groupe est en grande discussion autour de la caisse et ne s’occupe ni de la serveuse, ni de ma facture, ni de nous. La serveuse m’abandonne alors et tend la note à l’une de ses collègues. La dite collègue jette un rapide regard sur le papier qui indique à la fois le montant à payer en pesos cubains (4000) et en dollars américains (28). À Cayo Largo, vaste complexe touristique d’état, tout se paye par carte de crédit et en dollars américains. Elle enregistre 4000 $ sur le lecteur. Je tape mon code et valide. Oups !!! Je viens de payer plus de 4000 dollars pour un bout de viande, un peu de riz, une bouteille de mauvais soda et une bière. Heureusement, elle s’en rend compte immédiatement, contrairement à moi. Alors commence la procédure de remboursement sur ma carte. Pour cela il faut d’abord contacter la responsable. Ensuite, ça ne fonctionne pas, malgré plusieurs essais, rien. Elle rappelle la responsable qui doit se déplacer en personne. Deux heures plus tard, je reçois le remboursement sur ma carte de banque. Enfin, je l’espère !

Le dimanche 12, nous partons vers 08h00… après avoir fait les papiers de sortie, bien évidemment. Nous allons un peu plus loin, au mouillage, pour faire de l’eau et prendre quelques repères dans la zone, en prévision de notre prochain passage avec Nathalie, notre amie normande.

Nous en profitons également pour changer la voile de Popov, notre régulateur d’allure. Sa toile rouge virant au rose se déchire de plus en plus, les pièces de toile autocollante ne suffisent plus et il nous fait beaucoup de peine. Nous avons déjà eu beaucoup de mésaventures !

Elle s’est déchirée complètement en la retirant, il était temps de faire peau neuve ! 

À 08h20, nous virons vers Cienfuegos. Une bonne fenêtre météo s’offre à nous. Nous naviguons travers au vent, la meilleure allure pour nous. Yves a tracé une route qui évite une zone interdite à la navigation. Cette zone, énorme, couvre entre autre l’entrée de la légendaire Baie des Cochons. Mais lorsque nous sortons du lagon par la pointe est du lagon, au pied du phare de Punta Iguano, le vent passe derrière nous et nous nous traînons illico.

Le phare en forme de fusée de Punta Iguano. 

Je réveille Yves en lui proposant de couper dans la zone interdite. Tout le monde prend le chemin le plus court, cela nous placerait sur une route directe, de nouveau travers au vent, ce qui nous permettrait de bien avancer. Au lieu d’arriver au matin, nous pourrions arriver dans la nuit, en évitant à la fois un vent dans le nez suivi d’une période de calme également redoutés. Yves accepte ce changement de route.

Et Popov frime … 

Le vent forcit jusqu’à 22 noeuds, quelques ris sont pris histoire de pas trop coucher MedioVaS. C’est magnifique, nous avançons encore plus vite que prévu et nous embouquons la passe de la baie de Cienfuegos vers 01h00.

J’appelle par radio l’autorité portuaire qui, après moult essais, nous refuse l’entrée. Trop tard, nous sommes déjà dans la baie ! Nous continuons, alignant les bouées rouges et vertes jusqu’au mouillage final.

À 02h35, nous sommes à Cienfuegos et l’ancre tombe non loin d’un magnifique trois mats qui se devine dans l’obscurité.

La marina de Cienfuegos au lever du jour. 
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Cienfuegos

CIENFUEGOS

Cienfuegos et son drapeau presque français. Oui, c’est un Français, de Clouet, qui fonda la ville le 22 avril 1819. 

Nous voici enfin arrivés à Cienfuegos ! Le canal du Yucatán nous aura mis à l’épreuve, mais nous avons réussi à négocier toutes les étapes. Maintenant, un peu de repos et de ménage nous attendent, avant l’arrivée de Nathalie, notre amie normande.

La marina et un « club Naútico » très privé. 

Avant tout, il faut remplir des papiers, bien évidemment. Je contacte de bonne heure l’autorité portuaire par VHF : « Oui Capitaine, c’est bien MedioVaS, le voilier qui est arrivé dans la nuit sans autorisation. » Nous devons aller à la marina et accoster le voilier au ponton d’accueil. Nous craignons quelques complications, après avoir un peu forcé le passage dans la nuit.

La marina n’est pas très grande mais semble très accueillante. C’est mon quart, j’exécute la manoeuvre sans difficulté. Au ponton, nous sommes accueillis par le dockmaster, très sympathique. Il nous explique que nous avons une place toute prête, rien que pour nous… le Commodore Escrich (du Club Naútico Internacional de Hemingway) lui a annoncé notre arrivée ! Mais nos plans sont différents, nous préférons rester au mouillage. Un peu déçu il nous conduit aux autorités situées au bout du ponton principal. Dans ce pays, le capitaine du port, l’immigration et la douane ne sont jamais très loin des bateaux… Une fois encore nous sommes bien accueillis : plutôt qu’une remontrance sur notre entrée en force en pleine nuit, le capitaine du port nous donne son numéro de téléphone direct pour pouvoir le joindre au cas où nous soyons de nouveau confrontés au même problème.

Les documents en main, nous retournons au mouillage… face à la marina, surveillance oblige, interdiction de débarquer ailleurs avec l’annexe. Un deuxième trois mâts hollandais est venu agrémenter le mouillage. Ils sont splendides et très décoratifs. Nous rencontrons rapidement les Français du catamaran mouillé derrière nous. Ils nous donnent quelques infos sur la ville et un contact de taxi, Raúl, le moins cher de toute la région.

MedioVaS est en sécurité, l’ancre tient bien, nous pouvons mettre MiniVaS à l’eau et gréer son moteur hors-bord. Nous allons découvrir Cienfuegos, surnommée la Perla del Sur (la Perle du Sud). Nous verrons rapidement que la ville porte bien son nom.

Le superbe malecón, plutôt tranquille de jour est bondé à la nuit. 

Nous parcourons une bonne partie de la ville, entre Prado, rue commerciale, Malecón, et rues secondaires. Nous cherchons aussi les cafés où il est possible d’écouter de la musique en vivo.

Une ville bien tranquille !
Des magasins aux voitures, la ville n’a pas bougé depuis bien longtemps. C’est le mythe cubain. 

Nous constatons que les magasins par ici ne sont pas plus fournis qu’ailleurs, que la station d’essence est bien vide et qu’il sera difficile de se procurer des oeufs. C’est un peu la routine !

Aire de jeux, des amoureux, de shooting ou encore de pêche : il s’en passe des choses près des lunettes
Pas de raisons que nous n’ayons pas notre photo ! 
Le magasin à ne pas manquer avec les magnifiques 3X3 version pickup ou pas (autour de 4000 USD).  
J’en suis fan ! Possibilité de mettre un grand panneau solaire  sur le toit. Tout électrique comme les motos.
La rue touristique et ses magnifiques façades. 
La superbe Plaza José Martí. 

De retour à la marina, surprise, le petit supermarché est ouvert et aligne plein d’œufs sur ses rayonnages. Nous tentons notre chance mais ils sont tous réservés. Yves en commande pour la prochaine tournée, promise pour le lendemain (mañana par la mañana…)

La nuit tombe, il fait encore frais le soir, c’est le bonheur.

Le 14 février, c’est la Saint Valentin. Nous ne sommes pas très attachés à cet événement commercial mais nous avons quand même prévu une sortie pour le soir.

Nous partons visiter Punta Gorda, petite presqu’île s'enfonçant dans la baie, la promenade n’est pas très longue mais le coin est assez joli.

Punta Gorda 

Vers 11h00, l'appétit vient frapper à la porte mais il est bien trop tôt. Rien n’est ouvert avant midi et demi. Chaque restaurant est en train de décorer sa salle ou sa terrasse avec des coeurs, petits et gros, des ballons… aurions sous-estimé l’importance du jour à Cienfuegos ?

Rendez-vous des écoliers autour d’une bouteille d’eau mais fraîche ! 

Nous nous installons sur l’une des terrasses du grand parc. C’est une sorte de cantine qui n’a plus que de l’eau à vendre. C’est beau, ce système économique : le restaurant de l’État n’a plus aucune matière première pour cuisiner, mais il reste ouvert avec tout son personnel. Cuistot et serveur discutent entre eux, une femme vend l’eau et quelques cigarettes. Autour des tables, les écoliers font la pause-déjeuner avec leur gamelle. D’autres s’installent en famille, eux aussi avec leur repas maison.

Notre bouteille d’eau engloutie, nous retournons sur nos pas, peut-être pourrons-nous déjeuner à notre tour.

Nous gravissons les marches d’un « sushi restaurante ». Il y a déjà un peu de monde. Nous constatons que les femmes sont toutes très élégantes et les hommes également. Nous sommes un peu gênés dans notre tenue de ville-bateau. C’est jour de fêtes pour les couples, El día de Los Enamorados, le jour des amoureux, leurs efforts sont criants, dès la première heure de la journée. Nous nous sommes même demandés si ce n’était pas un jour férié, tant il y avait de monde. Nous dégustons puis rapidement dévorons nos délicieux sushis et rentrons au bateau par le chemin le plus long.

Nous devons également préparer l'arrivée de Nathalie. Pour cela, je suis en relation avec Mitchell, un correspondant cubain de ma soeur Nathalie. Il m’a tout réservé : une belle Casa Particular à La Havane et un taxi pour le retour. L’avion de notre amie arrive le soir. Les taxis ne roulent pas de nuit, donc il faut visiter cette ville mythique. Je m’arrange avec le fameux Raúl pour avoir une place peu chère (20 USD pour 3h de route) dans un taxi compartido pour me rendre à la Havane.

Tout est maintenant prêt, nous pouvons nous aussi mettre nos tenues de soirée et aller goûter les parfums de l’amour autour d’un dîner à Cienfuegos.

Cette fois-ci, pas question de marcher, la route est longue et mes pieds souffriraient trop dans leurs beaux souliers à talons. Après négociation du tarif, le taxi nous dépose à la Plaza José Martí. Nous continuerons en marchant. La veille, j’avais repéré un bar qui jouait de la musique ce soir. Je retrouve le point grâce à Google Map et nous y parvenons par des chemins de traverses. La patronne nous annonce qu’il n’y a pas de repas mais la musique sera bien présente vers 21h30. Elle nous conseille d’essayer le restaurant El París, un peu plus loin sur la droite. Elle nous précise bien qu’il n’y a rien de parisien mais que la nourriture y est bonne quand même.

Des tables rondes et des chaises déjà bondées couvrent le trottoir et il y a du monde dans la rue. Nous sommes au bon endroit et obtenons une table directement car un couple s’en va.

La patronne nous donne la « carte spéciale du jour des amoureux », un choix de trois formules complètes imprimées sur un quart de feuille A4 mal découpée. Lorsque je demande si je peux garder la carte en souvenir, elle prend le tas de papier des mains d’un serveur pour tenter de trouver celle qui soit la mieux découpée.

Elle trouve son bonheur et nous aussi 

Quelle surprise de trouver de la lasagne au menu, du porc asado et même un dessert ! Les serveurs ne savent plus où donner de la tête entre les commandes à emporter, les personnes assises et ceux qui attendent une place. Ils trouvent de nouvelles tables sorties d’on n’en sait où. Le restaurant envahit bientôt toute la longueur du trottoir, quel succès ! Tout en commandant, nous apprécions la musique d’un orchestre qui joue dans le bar voisin. Ils sont vraiment bons, nous sommes ravis.

Il y a les tenues sexy, les tenues de galas et les amoureux rigolos. (Fou d’elle / je suis elle) 

Notre dessert englouti, nous passons les portes du fameux bar d’en face pour découvrir les musiciens qui ont charmé notre souper. Nous assistons à la fin de leur petit concert, un mojito à la main. Ils sont plein d’entrain et le public aussi ; Cubaines et Cubain ne savent pas rester assis, ils se lèvent à chaque morceau et chacun danse à côté de sa table : rhum, cigare, salsa, c’est Cuba dans toute sa splendeur.

Le cigare et les vendeurs de cadeaux pour madame … 

Le concert terminé, nous rejoignons le Café Centro Mercantil, notre premier arrêt de la soirée. C’est bondé, mais ,une fois encore, nous sommes vernis : deux tabourets se libèrent le long du bar.


Le groupe arrive, les artistes s’installent. Ils sont six : une chanteuse et flutiste, un chanteur, un bassiste en tenue de révolutionnaire, un joueur de guitare sèche bien souriant qui s’avère être le maestro du groupe, un percussionniste au visage froid et impersonnel, et joueur de guitare sèche latine aux cordes doublées qui est la copie de l’acteur Jean Marc Barr (vous avez vu le Grand Bleu ?) Le groupe se prénomme Kfé Mezclado, tout un programme artistico-politique. Cest une révélation pour nous.

L’ambiance est à son comble, le chanteur sort régulièrement de la programmation et emporte le public avec lui. Le joueur de guitare sèche latine est tout simplement incroyable : il danse, sourit aux anges, entrainé dans une sorte de transe; Yves le surnomme José Alegria. Les voix sont exceptionnelles.


Que dire de plus, nous sommes ravis de ce moment de fête cubaine, nous ne pouvions rêver mieux. Vers 23h00 le spectacle touche à sa fin, nous nous dirigeons vers le café-théâtre de la place José Martí où un autre spectacle était annoncé vers cette heure-là. Mais la fatigue nous guette, nous avons déjà beaucoup dansé et la musique semble plutôt de type électro-cubaine, un calvaire pour les oreilles. Nous décidons plutôt de rentrer à pied.

C’est la fête partout dans cette ville qui semblait si paisible de jour. Le Prado disparaît sous une foule de jeunes, amoureux ou non, la file devant LA boîte de nuit s’étire sans fin dans la rue piétonne.

Après cette soirée enivrante, la nuit fut bien reposante, parfait pour ne pas se mettre de mauvaise humeur en découvrant de l’eau salée dans les cales. Eh oui, avec notre traversée bien agitée et l'étrave tapant dans les vagues au près, nous avons pu constater que la micro-fuite est toujours présente : propulseur d'étrave ou de la paroi séparant la baille à mouillage de la cabine avant ? Alors il faut tout vider, retrousser ses manches, vider les cales, rincer chaque produit pour faire disparaitre le moindre grain de sel. Je ne fais jamais cela avec le sourire, mais, bon, au moins le bateau sera-t-il à nouveau propre des fonds jusqu’au pont. Enfin nous pouvons préparer la cabine de Nathalie, son arrivée approchant à grands pas.


Le 16 février, Yves m’accompagne à la marina où le taxi de Raúl arrive. J’ai trois petites heures de route à travers l’île, du sud au nord-ouest, vers La Havane. À la sortie de Cienfuegos, le chauffeur prend quelqu’un d’autre, c’est le principe du taxi compartido (partagé). Je constate assez rapidement qu’il n’y a pas de panneaux indicateurs le long de la route qui traverse le pays, il faut dire que c’est la seule. Le paysage montre une alternance entre zones très arides où des zébus se disputent un brin d’herbe, là où il ne pleut plus depuis longtemps, et zones luxuriantes en bordure de rivières où rizières, bananiers ou canes à sucre se partagent l’eau.

Je remarque également des vendeurs d’oeufs, c’est bon à savoir car la commande d’Yves ne fut pas honorée. Nous sommes loin des grandes villes, les voitures se font rares et sont remplacées par des charrettes tractées par de beaux chevaux.

L’autoroute ressemble davantage à une grande piste d’atterrissage mais jonchée de nids « d’autruche ». La chauffeur doit zigzaguer pour ne pas abîmer son vieux char.

Des petits cabanons proposent quelques légumes et fruits à la vente. Ce commerce est tout à fait légal depuis peu. Les agriculteurs travaillent tous les terres collectives pour l’État, mais ils peuvent maintenant en cultiver une parcelle pour eux ou pour la vente, en respectant certains quotas. Évidement, ils devront payer une taxe sur leurs profits !

Le chauffeur commence à discuter politique, il clame qu’il faut tuer le ministre de la justice et violer sa femme et ses enfants. Je suis un peu choquée et surprise de tels propos devant une touriste. Je lui demande une explication. « Ici à Cuba, si tu tues ou violes ton voisin, tu fais trois ans de prison. En revanche, si tu tues une vache pour te nourrir, tu écopes de vingt-cinq ans ! » L’explication est simple, en effet, je vois son raisonnement.

À une heure de l’arrivée, c’est la pause déjeuner. Il n’est que 10h00, mais j’emboite le pas de mes compagnons de voyage. Devant une petite ferme, il y a deux cabanons : le premier vend des oignons, le deuxième propose du pain avec un oeuf et des boissons, le tout pour quelques pesos.

L’aire d’autoroute bien locale et sympathique. 

La pause finie, nous arrivons rapidement à Cuba. Le taxi me dépose face à la Casa Particular réservée par Mitchell.

Mitchell a tres bien choisi, Casa Azul Havana.

Il est 11h00 du matin, beaucoup trop tôt pour la chambre et l’aéroport. Je laisse mes affaires dans un petit coin et part vers la Plaza Vieja toute proche, avec mon carnet à dessin et mes crayons. Oui, oui, je me suis lancée dans le dessin et un peu d’aquarelle. Sans vraiment viser l’expertise, c’est une activité agréable. Arrivée sur place, j’entre en grande discussion avec Oscar, qui dessine la cathédrale pour la centième fois. Il me montre son folio d’œuvres et son site internet. Finalement je m’installe à coté de lui et il m’offre ses bons conseils que j’essaye péniblement de suivre.

Cette ville regorge de surprises. 
Les travailleurs du jour. 

À14h00, il est grand temps de remplir mon estomac qui ne se nourrit pas de mes coups de crayons. Je trouve un petit coin où m’installer et continue de déambuler dans cette ville où le temps s’est arrêté.

Une ville qui vit, une âme bien présente. 

Je retourne à la Casa Azul Havana installer mes affaires et me reposer un peu. Le mari de la propriétaire de la casa est conducteur de taxis et, après une petite négociation de tarif, il m’emmènera à l’aéroport récupérer Nathalie puis nous ramènera.

Avec comme toujours, une énorme terrasse sur le toit.

La maison est splendide : un dédale d’escaliers, de terrasses, de couloirs autour d’un petit patio. Je m’assoupis en rêvassant à la vie cubaine d’avant la révolution, avant qu’elle ne se fige, dans la grandeur de toutes ces maisons. Je me console en me disant que, désormais, ce sont les Cubains qui les habitent. Malheureusement ils ont rarement la possibilité d’entretenir tous ces trésors. Le réveil me sort de mon sommeil, je devais avoir un peu de fatigue en attente et la fraîcheur de la chambre sous clim aide à passer de l’état de torpeur à l'endormissement profond.

Une petite douche plus tard, je suis en route pour l’aéroport. Après une demi-heure de route, j’attends Nathalie avec autant de joie que d’impatience. Son avion atterrit avec un quart d’heure d’avance et elle apparaît vers 21h30.

Elle ne parait pas trop fatiguée, ou plutôt sous l’émotion d’être là. Mais pas question pour elle d’aller dormir alors que La Havane est là, toute proche. À quelques pas de la casa, nous entendons de la musique dans un bar-restaurant à la décoration très originale. Nous y trouvons une table haute. Il reste encore de la salade, à ma grande surprise. Évidemment, un premier mojito accompagnera cette verdure.

Nous marchons ensuite vers le Malecón, la plaza Vieja, les murailles… une visite de nuit qui se termine à une terrasse pour un troisième mojito et une rencontre très improbable qui s’appelle Elena. Cubaine mulata (métisse), un gros cigare au bout des lèvres, elle nous aborde et nous entamons une discussion. Elle m’offre un cigare aussi gros que le sien et je manque de m’étouffer en me brûlant le gosier.

Au cœur des Cubains  

Le bar ferme et j’arrive à obtenir deux citrons du barman, denrée introuvable à Cienfuegos. Elena nous accompagne et elle termine par demander un petit billet. Pas de petit billet mais Nathalie craque et lâche un billet de 20 euros. Elena n’aura pas perdu son temps et Nathalie pourra dormir tranquille après cette première b.a. La nuit sera bien douce, entre mojito et vapeurs de cigare.

Un petit déjeuner Royal nous attend sur le toit, il faut bien prendre des forces. 

Nous avons jusqu’à 14h00 pour profiter de la rue et visiter… pas une minute ne sera perdue.

Première chose, choisir sa voiture et son chauffer ! 
Deuxième chose, bien s’installer. 
Troisième chose, passer par le quartier chinois sans chinois pour aller trouver l’usine de cigare «Roméo et Juliette »   
Et poursuivre en saluant John Lennon. C’est sur cette place que les jeunes écoutant du rock lors de son interdiction sous Fidel.
Nathalie adopte la voiture devant le dernier immeuble construit par les Russes. 

Clément, notre taxi privé, nous attend devant l’hôtel. Un peu trop grand pour sa vieille voiture, Clément est ravi de transporter des françaises. Il parle très bien notre langue et cette course lui permet de s’exercer. Il expliquera à Nathalie, installée à l’avant, qu’il l’a apprise pendant qu’il travaillait. Il est ingénieur en télécommunication et toutes les fiches techniques étaient en français. Il a donc appris sur le tas.

Originaire de Cienfuegos, il venu à La Havane chercher un appât « rapala » pour pêcher, profitant de notre retour pour rentabiliser le trajet.

Me souvenant des vendeurs de fruits, de légumes et d’oeufs à l’aller, je lui demande de s’arrêter aux meilleurs points. Je négocie quelques tomates, bananes et oignons. Pour les oeufs, ça se complique : nous ne trouvons aucun vendeur le long de l’autoroute entre les kilomètres 94 et 117. Clément s’arrête et demande à quelqu’un assis sous sa cabane : « no vas a ver huevos, la policía pasó y arrestaron pa’la cárcel a cinco personas vendiendo huevos ». Aïe, aïe, aïe : pas d’oeufs, la police est passée et elle a envoyé en prison cinq personnes vendant des oeufs.

Clément nous explique que ce tronçon de l’autoroute passe non loin d’un poulailler industriel, de l’État, évidemment. Les gens y travaillant volent des oeufs pour les revendre et se faire un petit complément d’argent. Je repense alors à ce que me disait le taxi de la veille, à propos du ministre et de sa justice, j’espère que le dicton : « qui vole un oeuf vole un boeuf » ne s’applique pas dans les tribunaux locaux !

Mais Clément ne perd pas espoir. Alors que mes yeux se ferment doucement, un coup de frein me réveille : il reste un vendeur. Il vient vers nous avec son plateau de 30 oeufs. Je le paye au prix fort, c’est une denrée rare par ici, donc le prix est le même qu’en France. Clément lui dit ensuite de s’en aller au plus vite, avant que la police revienne. Vu le ton utilisé par notre taxi, le vendeur à la sauvette se sauve effectivement dans les champs. Chouette, nous pourrons faire des crêpes, malgré la trahison du magasin de la marina !

Vers 17h00, nous arrivons à Cienfuegos et Nathalie a déjà vécu une belle aventure. Yves nous attend et il inscrit Nathalie dans notre liste d’équipage, passage obligé pour monter à bord. Elle échappe au contrôle des douanes, fort heureusement : une de ses valises est pleine de terrines, chocolat et même une boite de six oeufs français qui ont bravé le voyage en avion ! L’immigration ne pose pas de problème, la photo prise d’elle à l’aéroport est déjà sur l’écran du poste de la marina. On ne rigole pas avec la surveillance des bons touristes, nous sommes impressionnés par la qualité de leur réseau…

Bonne nouvelle pour Nathalie qui n’aura aucun répit, nous lui annonçons que nous partons illico vers Cayo Largo : une nuit et une journée de navigation pour retrouver le pied marin ! Alors, heureuse ?

À bientôt ! 
7

Ainsi, vendredi 17 février, nous appareillons vers 18h00. La météo n’annonce pas de vent avant quelques heures, cela laissera le temps à Nathalie d’organiser sa cabine et de s’amariner un peu.

Quelle surprise lorsqu’elle sort de son sac des terrines de toutes sortes, du vin blanc, du chocolat pour tout un mouillage et des oeufs même pas devenus omelette ! L’eau nous vient aussitôt à la bouche, nous qui vivons les restrictions cubaines.

La nuit tombe lorsque nous passons devant le château de la sortie de la baie, encore raté, nous ne saurons pas à quoi il ressemble. Yves aimerait bien le voir sous une lumière de lever ou de coucher de soleil, comme décrit dans le guide, mais ce sera (encore) pour une autre fois.

Puisque nous avions acheté du pain à La Havane, c’est le moment de gouter aux terrines de la petite épicerie normande, en racontant à Nathalie nos mésaventures pour arriver à Cienfuegos. Nous la rassurons aussitôt, tout va bien à bord, maintenant !

Évidemment, nous avons parlé trop vite : vous vous souvenez, nous avons appareillé un vendredi ?

Vers 19h30, alors que nous avancions au moteur sous pilote automatique, le bateau perd son cap et se met à tourner en rond. Nous n’avons plus aucune donnée des capteurs sur notre écran. J’essayais de dormir un peu mais j’entends que ça s’agite à bord. Je me lève et Yves me raconte le problème. Je pense aussitôt qu’un fusible a du mourrir.

Yves me donne le cap à suivre. Je décapuchonne les compas magnétiques, l’ultime secours qui ne tombe pas en panne, et je reste à la barre le temps qu’il aille farfouiller dans la cabine arrière bâbord, à la recherche du calculateur électronique absent. La cabine arrière bâbord, c’est un peu la soute à tout. Il faut enlever un nombre considérable d’objets avant de prétendre jeter un oeil sur le fameux calculateur : voiles de rechange, valises de vêtements d’une autre saison, bidon d’urgence, bouteille de gaz vide… et un raton laveur, sans doute, en cherchant bien. Je lui souhaite bon courage pour cette corvée dans la houle.

En haut, il fait bon mais ce n’est pas facile de naviguer sans aucune donnée : plus de vent, plus d’allure, plus de fond… Heureusement, il nous reste le principal de la navigation moderne : le traceur de carte avec GPS intégré, qui indique notre route exacte et notre cap vrai en direct, ouf !

En bas, après avoir vidé la moitié de la cabine, Yves n’a rien trouvé d’anormal. Il commence à tout ranger. Nous continuons ainsi et c’est déjà l’heure de mon quart. Fort heureusement, le vent se lève et mes oreilles me disent qu’il souffle dans une bonne direction pour continuer à la voile. Je sors toute les voiles et règle Popov, me voilà enfin libérée de la barre de nuit et du bruit du moteur.

Le vent est si heureux de voir des voiles qu’il se renforce et m’oblige à prendre des ris. Si nous continuons à avancer aussi vite, nous arriverons de nuit pour doubler le phare de Cayo Iguano del Este. Sans sondeur pour connaitre le fond, c’est un peu gênant car il faut traverser une sorte de lagon.

Au moment d’aller me coucher, je vois une lumière rouge derrière la paroi où se situe notre tableau électrique. Yves l’a également remarqué, elle apparait avec l’interrupteur des instruments de navigation et disparait avec. Nous ne faisons rien pour le moment, ça ne changerait pas grand chose.

Yves arise encore les voiles pour ralentir mais rien n’y fait, MedioVaS veut avancer. « Aucune chance de voir le phare de jour, sauf à mettre à la cape… » écrira Yves dans le journal de bord. Lorsque je reprends le quart, nous décidons de continuer de nuit. Ce tronçon, nous l’avions déjà parcouru de jour. Comme nous avons gardé la trace sur notre écran magique, je n’aurai qu’à bien la suivre.

Je largue les ris et continue en avant toute. Nathalie suit le tout d’un oeil confiant. Puisque nous ne paraissons pas terrorisés, cela ne doit pas être bien grave. Elle se réveille et se rendort au bon vouloir de son décalage horaire.

Avec le lever du soleil, le phare est derrière nous, le vent aussi et cela nous ralentit. Nous continuons malgré tout à la voile, lentement mais sûrement. Les croissants chauffent au four, le soleil nous réchauffe le moral. Nous longeons le récif pendant quelques heures avant de rentrer dans le lagon autour de Cayo Largo.

Nous ne regrettons pas le point relevé lors de notre passage, nous savons que nous pourrons y mouiller en sécurité. C’est ce que nous faisons. Le samedi 18 à 14h00, l’ancre plonge devant la pointe de sable blanc de Playa Sirena.

Nous sommes visibles de la marina ; si cela pose problème, ils viendront bien nous le dire. À priori, nous avons le droit de nous y installer.

Nathalie ne regrette pas du tout cette traversée de nuit. Elle est déjà couverte de crème solaire, prête à plonger pour rejoindre le sable, puisque nous ne pouvons pas y accoster en MiniVaS avant d’avoir officiellement déclaré notre arrivée aux autorités.

Avant cela, Yves plonge dans le tableau électrique, à la recherche de cette lumière rouge que nous avions jamais vue jusque-là. De fait, il s’agit d’un fusible avec un voyant qui ne s’éclaire que quand il est mort ! C’est aussi astucieux qu’indispensable car ce fusible ne figure pas sur les schémas et se trouve très éloigné de ses confrères alignés en bon ordre. Yves le remplace par un de nos fusibles de rechange dont nous avons des dizaines, certes un peu moins perfectionné, sans voyant. Aussitôt c’est l’euphorie, nous récupérons les données manquantes et le pilote automatique, tout est là… sauf le sondeur, c’est à dire la hauteur d’eau sous la coque, la température de l’eau et la vitesse du bateau sur l’eau. Ce n’est pas dramatique mais il vaut mieux connaître le fond en direct quand on se déplace dans un lagon ! Nous nous limiterons donc à notre point de mouillage et au chemin vers le port, que nous avons reconnus au précédent passage.

Ah oui, c’est beau Cayo Largo. 

Pendant qu’Yves comment à démonter les planchers et les cloisons pour suivre les fils et tenter de compléter le diagnostic, sondeur ou câble grillé, Nathalie et moi partons à la nage vers la presqu’île. C’est déjà une belle traversée à la nage, dans le vent et le courant, mais que sont 200 mètres dans l’eau pour marcher ensuite dans un sable si fin qu’on pourrait le confondre avec de la farine ? C’est splendide ! Nous laissons nos palmes à l’abri des vagues et traversons la pointe vers le petit lagon que ferme la langue de sable de l’autre côté. Pendant la promenade, Nathalie fait le plein de petits coquillages pour sa collection.

Tout le monde a droit à sa photo.

Après le bain de soleil, nous chaussons nos palmes et retournons à bord : chargées de coquillages, c’est un exploit !

Nous finirons la journée autour d’un verre de délicieux vin blanc et de tranches de saucisson, sous la magnifique lumière du soleil couchant.

La journée du 19 se passe où ? Sur la plage, évidemment. Mais cette fois-ci, nous sommes déposées et récupérées par Yves, toujours en évitant soigneusement de toucher terre.

Nous nous lançons dans la construction du traditionnel totem !  

Un catamaran Dream Yacht Charter vient poser ses étraves sur la pointe de la plage. Tiens, je me souviens que le Commodore Escrich se flattait de ses excellentes relations avec le manager de la société. Je m’approche et explique au capitaine notre souci de sondeur. Il me donne le numéro de leur mécano. Il ne vient dans le secteur qu’en cas de problème sur un des trois catamarans qui naviguent sur le lagon, mais il pourra toujours nous aider au retour à Cienfuegos. Je le contacte illico : il me préviendra s’il doit passer dans le coin dans les jours à venir. C’est une bonne nouvelle, il possède des sondeurs de rechange. Il pourra au moins nous aider à lever le doute, peut-être même nous en revendre un ? Nous revenons avec le plein de couleurs, de photos et de… coquillages.

Il y a davantage d’herbe que de coquillages. 

Le soir, nous suivons le même rituel, jusqu'à épuisement des bonnes petites choses de Nathalie. Cette fois-ci, nous ressortons aussi le fameux jeux de carte des cornes. Alors nous ne voyons plus l’heure tourner !

Lundi, nous tentons de rapprocher un peu MedioVaS de la plage, l’eau y paraît plus cristalline et c’est tellement beau de nager en admirant les fonds. Yves part en reconnaissance avec Nathalie et MiniVas pour sonder le fond à l’ancienne, avec un plomb et une ligne graduée. Ils relèvent leur points sur un téléphone portable équipé d’un logiciel de carte marine, une vraie campagne d’hydrographie ! Nous pourrons approcher avec MedioVaS et sa quille profonde.

À peine mouillé en admirant la vue autour de nous, nous constatons que l’arrière du bateau est dans le chenal. Nous ne profiterons pas longtemps du bel emplacement. Un petit bateau arrive à toute vapeur avec, à son bord, le commandant du port, le maitre de quai de la marina et un patron d’embarcation. Les bras se lèvent, les voix s’élèvent, c’est le grand cinéma sous prétexte de mettre en péril le trafic marchand (un bateau par jour). Certes, l’unique bateau en question entame justement son approche.

Qu'à cela ne tienne, nous allons déplacer tout de suite MedioVaS vers la marina, plutôt qu’en fin de journée comme nous l’avions prévu.

Le chenal est toujours aussi beau ! 


Une fois amarrés au ponton que nous connaissons déjà, Pier le dockmaster (ça ne s’invente pas), également Port Officer de l’OCC (tout récemment nommé), vient dans ses petits souliers s’excuser du ton utilisé. Il nous accueille chaleureusement pour nous mettre à l’aise et se charge des formalités d’entrée. Nathalie nous fait remarquer que c’est la première fois que nous l’amenons en marina, elle s’en souviendra !

Mes petites plaies cicatrisent mal a cause du sel de mes baignades. Donc je vais devoir me priver de bain, mais pas de beaux paysages. Nathalie et moi embarquons dans MiniVaS et partons explorer le lagon. Maintenant que le bateau est officiellement entré à Cayo Largo (avec tambour et trompettes, donc), nous pouvons accoster où nous voulons.

C’est tout simplement « à couper le souffle ». 

Nous entamons une petite séance de visite-plage-soleil et ramassage coquillages mais, horreur, nous nous faisons dévorer par des puces de sable. Nous en garderons un souvenir particulièrement gratouilleux pendant plusieurs jours !

MiniVaS en grande discussion devant des anémones bien attentives. 

Ne pouvant pas aller à l’eau, mais ne voulant pas en priver les autres, je réserve généreusement une plongée pour Nathalie et Yves le lendemain.

Leur départ a lieu de bonne heure, mais il faut d’abord choisir tout le matériel. Parlons-en : le moniteur annonce tout avoir, mais en fait il manque un peu de tout et nous devons compléter son pauvre stock par nos équipements de bord. Un mal pour un bien, cela nous permettra de contrôler nos gilets de stabilisation, nos bouteilles et nos régulateurs.

Amusez vous bien ! 

À 09h30, le bateau part enfin. Je salue les plongeurs et profite de la matinée pour prendre un peu de repos, panser mes plaies et préparer un déjeuner pour les plongeurs.

Nathalie a eu droit à une plongée découverte, n’ayant pas de brevet de plongée. De son coté, Yves savoure deux plongées intéressantes. Lors de la première, tout le monde descend le long d’un tombant, en théorie jusqu’aux 18 mètres de la limite annoncée. Toujours très rigoureux sous l’eau, Yves garde les yeux rivés sur sa montre-ordinateur de plongée. Ayant nettement dépassé 20 mètres, il regarde les autres qui continuent à descendre tranquillement. Il fait quelques signes et tout le monde se regarde en poisson de faïence : le moniteur n’est pas là ! Ils remontent un brin, toujours pas de moniteur en vue, mais des requins qui tournent gentiment autour du groupe. Tiens, c’est la blague locale ? Finalement, le moniteur apparaît et descend les rejoindre avec un tube rempli d’appâts qu’il offre aux squales ; superbes mais toujours un peu inquiétants ces animaux gris !

L'après-midi nous passons un bon moment au club de plongée, À vrai dire, il y avait quelques soins à donner à notre équipement… merci la débrouille cubaine ! Contre un ou deux petits billets verts discrètement échangés loin des yeux du chef, nos gilets et nos régulateurs sont révisés voire réparés et nos bouteilles vidangées puis regonflées à bloc. La dernière fois date de quelques années, l’air avait un parfum pour le moins repoussant.

En discutant avec le groupe des plongeurs, nous apprenons qu’il y a soirée « blanche » sur la place, le soir-même. Notre programme devient tout à coup très festif.

Avant la fête, Nathalie retrouve la plage et les coquillages, afin de parfaire son bronzage. Pour ma part, les puces de sables m’ont laissé un très mauvais souvenir, je la laisse les retrouver seule.

En soirée, nous évitons le restaurant à 4000 dollars le diner (ma carte de banque se souvient encore avec des frissons de notre dernier passage ici). Nous optons pour le bar-restaurant Le Pirate. On nous en avait dit bien du mal et pourtant c’est très bien. Le daïkiri y est très bon, ainsi que le repas. Nous nous offrons une petite randonnée digestive avant de rejoindre la place… des Pirates (Cayo Largo est un complexe touristique à thème : il y la place des Pirates, le restaurant du Pirate, la boutique des Boucaniers, l’avenue des Corsaires, etc.) La sono a démarré, les bus arrivent et débarquent tout un flot de touristes ; la place s’anime. Nous découvrirons très rapidement que nous sommes dans une soirée très typée Club Med : des animateurs montent sur l’estrade et dansent des chorégraphies soigneusement répétées avec des touristes choisis. C’est amusant et ça nous change un peu. Nous tentons un moment de suivre le mouvement, avant de laisser libre court à notre propre sens du rythme.

Tenue blanche, très original. 

Mercredi 22, après avoir fait tamponner nos papiers de bord et laissé encore quelques dollars au bureau de la marina, nous appareillons vers 09h30. La journée s’annonce belle : sous une jolie brise d’est pour aller vers l’ouest, nous retournons à Cienfuegos.

Nous restons bien sur nos traces précédentes, puisque le sondeur fait toujours grève. Nathalie acquiert une nouvelle qualification : barrer au près. Elle est devenue experte lorsque le vent vient de l’arrière, n’ayant connu que cela (la veinarde) depuis qu’elle partage quelques unes de nos traversées. Il est temps de passer aux choses plus fines. Pendant quelle suit scrupuleusement les mille conseils d’Yves, je prépare un gâteau.

De virement en virement, nous atteignons le magnifique et si original phare-fusée de l’île Iguano del Este, celui que nous avions doublé de nuit à l’aller.

Il ressemble toujours à une fusée prête au décollage. 

Si nous voulons trouver et vérifier un point de mouillage avant que la nuit tombe, il va falloir pousser un peu au moteur. L’eau est tellement claire qu’il est difficile de dire sil y a 10 mètres d’eau ou seulement 3 mètres. D’habitude, nous en rions, mais sans sondeur et avec la seule sonde à main, le sourire est un peu plus crispé. Au moins nous pouvons facilement repérer des plaques de sable pour y mouiller l’ancre. Nous ne prenons pas de risques et restons à bonne distance du caillou du phare.

Une fois le mouillage assuré, nous assisterons à un coucher et un lever de soleil somptueux.

L’escale valait vraiment la peine, malgré une houle légèrement inconfortable. Au petit matin, tout le monde est debout de bonne heure, mais il faut attendre la renverse de vent avant de partir. Avec Nathalie, nous enfilons nos maillots après le petit-déjeuner et nous lançons à la recherche de la faune marine. À part quelques lambis et des petits poissons, nous ne voyons pas grand chose. Le courant est fort et la brise se lève en force, il est temps d’appareiller.

À 09h40, nous virons l’ancre et c’est reparti à tirer des bords dans une mer agitée et inconfortable. Heureusement, comme espéré, la thermique s’installe rapidement et nous offre du vent du sud. L’allure devient nettement plus confortable, nous pouvons doucement larguer quelques ris.

C’est la première fois également que Nathalie navigue de jour sans voir la terre. Nous n’en avions même pas conscience mais l’expérience l’impressionne. Vers 15h00, « terre en vue », il faut négocier l’entrée du chenal qui mène dans la baie. La houle vient par le travers et les rochers ne sont pas loin.

Cette fois-ci, Yves est ravi, nous allons voir le château de jour : il est vite déçu, la bâtisse n’a rien d’exceptionnel. La baie est beaucoup plus calme, trop calme pour poursuivre à la voile, c’est le moteur qui prend le relai. Vers 17h15, MedioVaS retrouve son point de mouillage précédent, toujours entouré par les deux trois-mâts romantiques.

Vendredi 24, nous allons enfin faire plaisir au dockmaster et accoster MedioVaS à la place qu’il nous avait réservée. Notre petite aventure va se poursuivre un peu à terre.

Pendant qu’Yves se livre à son jeu favori en ajustant sans fin les amarres, je me mets en chasse du mécano de la boite de location, pour lui parler de notre sondeur. Il fouille dans ses cartons pour voir s’il peut nous en prêter un. Pas de chance, il n’a que des bouchons de passe-coque. Dommage, ils travaillent avec le même modèle que nous. Il veut que je lui apporte notre sondeur, peut-être pourra-t-il faire quelque chose. Mais quoi ? Nous le retirons et je retourne le voir avec la consigne de la part d’Yves de ne pas le démonter. J’arrive avec le sondeur en main, un autre mécano bien moins aimable (sans doute le patron) me le prends des mains et m’annonce qu’il va l’ouvrir. Je lui explique le plus diplomatiquement possible que nous ne voulons pas d’expertise chirurgicale en profondeur. Il m’envoie promener de manière pas du tout diplomatique. Tant pis, je repars avec notre malade et raconte la scène à Yves. Nous testons tous les câbles et branchons le sondeur sur un autre câble, il n’est toujours pas reconnu par le calculateur électronique. Yves s’entend avec les deux voisins de ponton pour tenter de le brancher à leur bord ; même résultat. Nous devons nous rendre à l’évidence, le sondeur a cramé et sans doute créé un court-circuit qui expliquerait le fusible grillé. C’est un moindre mal, tout le reste de l’électronique n’a rien subi.


Nous laissons le sondeur de coté mais, en le retirant, j’ai encore une fois encore la mauvaise surprise de trouver de l’eau. Et c’est repartit pour un tour de nettoyage. Puis il faut déjà préparer notre petit baluchon, samedi nous partons en vadrouille.

Vider, nettoyer, rincer et recommencer. 

En fin de journée, nous descendons visiter cette en ville superbe, calme et chargée d’histoire. Nous dinons au petit restaurant-trottoir El París, avant d’amener Nathalie écouter notre groupe fétiche au Café Centro Mercantil, autour d’un (ou deux) Daiquiri.

La  Plaza José Martí  vue de haut, une architecture incroyable. 
Et Daiquiri avec notre groupe préféré. Une initiation à la salsa pour Nathalie. 

Nous ne ménageons pas notre invitée, vous l’aurez constaté. Mais elle revient chaque fois, alors… elle doit aimer cela comme nous.

Bientôt un peu de repos ?  
8

Samedi, le réveil sonne dans les embruns de Daiquiri. Après le petit déjeuner, nous laissons MedioVaS au ponton de la marina et nous allons retrouver le « taxi super pas cher de Raúl » (US$ 10 par personne les deux heures de trajet) qui va nous amener à Trinidad. Le taxi super pas cher est également compartido (partagé) entre le chauffeur et quatre passagers. Raúl est là, sur son vélo, un peu inquiet car son taxi n’est pas arrivé. Après une discussion téléphonique avec le chauffeur, il nous rassure : le taxi arrive, mais il n’a pas trouvé notre compagnon de voyage. Nous nous installons dans la voiture et partons à la recherche du quatrième passager. Les adresses ne sont pas très précises mais, finalement… le passager est une (jeune) passagère. Je l’écoute parler espagnol avec le chauffeur, son accent ne me semble pas tout à fait cubain. Comme elle est installée à côté de moi, je lui demande d'où elle vient : c’est une Argentine, de Mar del Plata, ah ah ! De son côté, elle avait également ouvert de grands yeux en entendant mon propre accent porteño : dire « vos » pour « » est immanquable !

Que fait donc une jeune Argentine ici ? Suit-elle les traces du mythique Che (Guevara) ? Pas loin : elle suit des études d’assistante spécialisée pour personnes ayant des troubles mentaux et elle a décroché un stage de trois mois à Cuba. Elle a évidement sauté sur l’occasion ; la voici qui mène une étude sur l’organisation des hôpitaux. Les services de santé cubains sont assez célèbres en Amérique latine. Après la révolution, le régime avait fait des efforts considérables pour developper l’éducation populaire, ainsi que la formation de milliers de médecins. Le cas des médecins est particulièrement intéressant : Cuba les « loue » un peu partout, par exemple contre du pétrole au Vénézuela. Notre passagère travaille donc la semaine et profite des week-ends pour visiter l’île. Résultat de ses recherches : les hôpitaux de Cuba sont nettement mieux organisés que ceux en Argentine, l'aide aux personnes y est mieux adaptée aux besoins et la communication entre les divers médecins est excellente.

Nous longeons la côte puis traversons les montagnes, le paysage qui défile est superbe, plus verdoyant et plus luxurieux que sur la côte nord. Lorsque nous atteignons la limite des districts de Cienfuegos et de Trinidad, le taxi se fait arrêter au poste de contrôle. Nous en profitons pour prendre quelques photos de la baie.

Nous reconnaissons le phare qui nous guide lorsque nous sommes au large. 

Le chauffeur semble contrarié. C’est classique, les taxis doivent avoir sur eux une quantité innombrable d’autorisations et de permis, surtout lorsqu’ils transportent des étrangers. La police trouve toujours le document manquant et gagne ainsi un petit dessous de table… Les chauffeurs connaissent bien le truc et cela les agace profondément. Après un bon quart d’heure de va-et-vient, nous repartons. Le chauffeur nous rassure, tout va bien, il n’a pas eu d’amende, mais nous voyons bien qu’il a une mauvaise tête. Il n’avouera pas la corruption pourtant nous sentons qu’il enrage de montrer cette image de son pays. À Cuba, outre la fierté d’un peuple révolutionnaire, les chauffeurs de taxi, comme les guides touristiques, sont souvent très diplômés. Se faire rançonner par des policiers bas de gamme doit les vexer particulièrement.

Nous descendons la dernière colline et nous sommes les premiers à être déposés au pied de la casa particular conseillée et réservée par Raúl. La rue est située à cinq minutes du beau-Trinidad-touristes et pourtant nous avons l’impression d’être à mille lieues de toute civilisation urbaine.

La plus belle maison de la rue.  

Une belle façade dénote dans la rue crasseuse et c’est notre casa. L’accueil est formidable. Nous avons droit à la visite du dédale des escaliers, patios et terrasses. Il y a tant de choses cachées derrière les façades. Nous nous installons dans nos chambres respectives, deux grandes pièces avec chacune deux lits doubles, salle de douche et clim. La décoration est d’un goût douteux, mais pour quinze dollars US la chambre, nous ne ferons pas les fines bouches. Nathalie en fera une description très parlante : « - C’est très bien pour une nuit ». Nous lui laissons endurer cette vie rustique !

Comme les estomacs parlent aussi, nous partons vers le centre. En marchant entre les charrettes tractées par des chevaux ou des hommes, nous nous interrogeons sur la signification des volières qui ornent la plupart des maisons. Nous sommes dans une petite ville plutôt campagnarde, pourquoi enfermer des oiseaux ? J’apprendrai plus tard qu’il s’agit du plaisir d’entendre le chant des oiseaux. Les gens aiment cela, donc certains élèvent des oiseaux dans le seul but de les suspendre en cage devant leur maison. « - C’est un hobbie des hommes », me dira notre hôte avec un léger mépris. Elle n’adhère pas du tout au concept ! Au bout du compte, l’oiseau n’a donc aucun effet protecteur ou autre, comme nous pouvions l’imaginer.

Nous avons vue sur n des éleveurs d'oiseux. 

Trinidad fait partie des plus vieilles villes du Nouveau Monde. Établie en 1514, elle est reconnue comme Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO. C’est de Casilda, un peu plus loin sur la côte, que Cortés partit conquérir Mexico.

Pendant quelques siècles, la ville prospéra grâce à l’industrie du sucre. C’est la guerre d'indépendance cubaine (1895-1898) qui amorçât le déclin de la ville, elle ne put jamais s’en relever. Déclarée monument national par Fulgencio Batista, ce statut fut maintenu par Fidel Castro lors de son coup d’Etat. Malgré cela, la ville restera oubliée, son économie ne décollera pas. Aussi triste de ce soit, cela fait de cette ville un joli musée à ciel ouvert. Certains bâtiments sont maintenant restaurés, tourisme oblige ; c’est un petit bijou qui s’offre à nous. Le bijou est petit, car son centre est particulièrement petit.

Tout le monde est motivé pour visiter. 

Avant d’attaquer la visite de quelques musées, nous cherchons la Place de la Musique pour y avaler un casse-croûte. En effet, des musiciens sont là, faisant briller le nom de la place, des vendeurs d’artisanat aussi.

Boissons, casse-croûte et musique, rien ne manque. 

Rien n’arrête Nathalie, après les coquillages, sa passion se porte sur les cabas. Ça tombe bien : ici, on n’en manque pas ! Elle me demande d’en négocier un, art toujours délicat. Le señor me demande 5 euros. Je regarde Nathalie et lui annonce que la négociation est terminée, j’ai failli lui en proposer 10 au lieu des 5 annoncés ! Pendant ce temps, Yves se lance dans une grande discussion avec le cocher de l’une des carrioles-touristes-tour. Il lui faut trois fois plus de temps pour refuser le tour en calèche qu’il nous en a fallu pour acheter le sac !

Marchandage et marchandage ... 

L’estomac plein, nous nous laissons guider par les façades. Yves nous conduit au musée national de la Lucha Contra Bandidos qui a pris place dans un ancien monastère érigé par les Franciscains. Comme souvent les musées « de propagande », il n’est pas très riche mais passionnant par ce qu’il montre de l’histoire révolutionnaire locale. La LCB, comme on prononce ici, c’était l’action d’éradication des contre-révolutionnaires, opportunément qualifiés de bandits.

"Para el pueblo loque es del pueblo"> 

Forcément, qui peut refuser les lendemains qui chantent pour le peuple victorieux, sinon un criminel anti-social ? De fait, il semble qu’il en restait quelques bonnes centaines de ces bandits, ironiquement réfugiés à leur tour dans les montagnes ! La lutte prit un certain temps et employa de milliers de soldats, policiers et miliciens « volontaires » cubains. Là encore, ne pas s’engager dans la bataille signait clairement un contre-révolutionnaire en puissance, donc un bandit, logique ! Les volontaires furent donc très nombreux. Patria o Muerte ! est un slogan qui servit les deux camps avec la même férocité. L’histoire ne retiendra que la victoire de la révolution, assez sanguinaire, comme souvent, et chacun pourra se flatter d’avoir servi dans la lucha. Nous déambulons ainsi entre les salles garnies de cartes opérationnelles et de souvenirs de tous acabits : une chemise, un béret, un pistolet mitrailleur ou une gourde, des centaines de portraits des héros de guerre, un camion (russe) et une vedette rapide pour empêcher les débarquements de renforts. Nous commençons à saisir à quel point Cuba fut, est sans doute encore, un pays sur le pied de guerre, ayant longtemps craint une invasion américaine, plus ou moins directement servie par des exilés cubains. Le seul aspect frustrant des ces musées officiels est l’absence de guide. Le seul personnel consiste en une armée de surveillantes souriantes mais pas du tout à même de commenter les collections. Après tout, que pourraient-elles bien ajouter ; l’histoire est écrite, non ? Par contre elles n'hésitent pas à essayer de vendre une nappe ou serviette brodée et tenter ainsi d’augmenter leur maigre salaire.

Pour prendre un peu de hauteur sur les événements, nous escaladons les trois étages du clocher. La vue sur les montagnes d’Escambrey est sublime.

Le monastère devait être somptueux du temps des Franciscains. 


Après avoir touché des yeux navires et jumelles des révolutionnaires et combattus à leurs côtés pour libérer Cuba et la rendre aux Cubains, nous visitons un ancien palais abandonné rapidement par ses propriétaires allemands. Le majordome en a eu la garde pendant quelque temps mais sans moyens pour l’entretenir. La vaste demeure entoure un patio somptueux. Même si le mobilier d’époque n’est pas celui des propriétaires, mais une collection reconstituée, nous avons ainsi une idée de ce que pouvait être Trinidad à l’époque coloniale. Ce beau palais fut rebaptisé Museo Romántico. Pourquoi ? Aucune idée ! Le contraste avec le musée LCB est assez frappant. Ici, les surveillants savent tout de la vie des riches propriétaires et personne ne se soucie de mentionner les dizaines d’esclaves nécessaires au quotidien des maitres. Chassez le naturel…

Allez, ce n'est pas terminé ! 

Nous continuons le tour de la Plaza Mayor, bordée par la Iglesia de la Santísima Trinidad. Ce ne sont pas les musées qui manquent autour de la place, mais nous ne les visiterons pas tous. Alors qu’Yves retourne écouter des musiciens, je pars nous perdre avec Nathalie, en dehors des sentiers touristiques.

La vie y est tout à fait différente, beaucoup plus réelle. Ici, de jeunes étudiantes sortent une table sur le trottoir pour faire leurs devoirs. Un peu plus loin, des hommes jouent aux dominos. Les vieilles voitures rivalisent avec les vieilles motos. Il y a souvent un rassemblement autour de l’une d’elles, pour discuter de la réparation à entreprendre. Finalement l’hippo-mobile reste le moyen de transport le plus fiable pour vendre quelques légumes. La charrette est bien remplie, nous sommes à la campagne. Ici, plus d’échoppe à souvenir, mais plutôt quelques rares personnes qui nous demandent des médicaments (Ibuprofen, toujours) ou proposent d’échanger des euros en pièces contre la même valeur en billets.

Nous arrivons enfin à notre but, l’église de Nuestra Señora de la Candelaria de Popa. C’est une ruine, mais une belle ruine. Autour de la place, les gens font la file devant l'échoppe de l’État avec leur libreta, la carte de rationnement : un peu de riz et de farine, 5 oeufs par personne et par mois, quelques pommes de terre, c’est à peu près tout ce qui reste inscrit sur leur carnet. Terminé le savon, le shampooing, ils n’y ont plus droit… sauf dans les magasins pour touristes, très (trop) chers et en dollars, ou au marché noir dans la rue.

Un peu plus loin, une grande Cervezeria prépare une salle pour un mariage. Nous y serions bien rentrées !

L’heure tourne, les rues s’animent, nous partons retrouver Yves pour rentrer a la casa et nous changer pour la soirée. L’ambiance monte déjà dans les rues, pleine de promesses pour la nuit ; nous avons bien fait de choisir le week-end.

Je suis assez surprise de voir autant de mendiants et surtout des enfants ou des femmes, ils réclamants biscuits, bonbons ou argent mais plus rarement. Je demande à notre logeuse qu’elle en est la raison. En général, les gens de la campagne sont mieux lotis que dans les grosses villes. Elle me répond d’un air assez désespéré : «- A Trinidad, c’est le sport national, mendier. Cela a toujours été ainsi, depuis la nuit des temps. Rien à voir avec la Covid ou autre, c’est un métier. Il ne faut rien donner ou acheter pour eux, ils le revendent ensuite. » Ah, c’est bon à savoir, je venais d’acheter un paquet de biscuit au musée pour le ‘soit-dosant-gouter-de-la-fille’.

Nous trouvons un restaurant en terrasse, c'est-à-dire sur le toit d’une maison. Le cadre est idyllique avec un menu bien complet où tout est présent : crevettes, homard, ropa vieja … et même du vin blanc mais c'est le daiquiri qui l'emporte.

Pendant ce temps, la Plaza de la Música se remplit au centre du village. Le soir, les musiciens de rue laissent la place à un orchestre afro-cubain complet, avec cuivres retentissants. Il faut donc logiquement acquitter un droit d'entrée de 100 pesos.. c'est-à-dire moins d’un euro ! Nous emplissons nos verres de mojito et le spectacle de salsa cubana commence. Quelques personnes dansent devant la scène, comme toujours, et même les plus timides s’agitent en cadence autour de leur table. À Cuba, personne ne reste de marbre devant le rythme !

Et encore un peu de salsa ! 

Pour autant, nous regardons notre équipière piquer doucement du nez. Pas facile de survivre à l’ambiance festive avec un décalage horaire et des quarts dans les pattes. Nous la raccompagnons à la maison et repartons aussitôt vers le Rincon de la Salsa, le Recoin de la Danse, un bar-restaurant qui pousse ses tables après le repas du soir.

Les salles sont pleines, touristes et Cubains se côtoient joyeusement. Clairement, certains professeurs de salsa ont rameuté leurs élèves, pas toujours très jeunes d’ailleurs ! Un couple cubain nous fait une démonstration muy caliente. Nous nous laissons emporter par le rythme et dansons sans relâche. Vers 23h00, il ne reste plus que les danseurs locaux. Nous profitons de ce moment de grâce jusqu’à minuit, heure à laquelle le groupe de musique s’en va et l’endroit tourne en boîte de nuit, moins intéressante. Nous allons retrouver Morphée pour une bonne nuit réparatrice.

Dimanche, nous déjeunons au petit matin sur la terrasse, une fois encore sur le toit, donc. La vue y est splendide et nous profitons d’une table très largement garnie, avec des oeufs, du cake, du pain à volonté et du jus de goyave frais. L’approvisionnement semble plus facile à la campagne.

Tout le monde joue à chat-perché pour le petit déjeuner. 

Nathalie n’a pas meilleure mine que la veille au soir. Un bruit de moteur a tourné toute la nuit juste à coté de sa chambre. Finalement son « c’est bien pour une nuit » n’était vraiment pas loin de la vérité. Nous baissons les yeux, vaguement coupables, ayant dormi d’une sommeil lourd sans entendre quoi que ce soit !

Il nous reste encore quelques heures pour visiter un dernier musée et se livrer aux dernières petites emplettes. Le marché est rempli de T-shirts en tous genres, la plupart à l’effigie du Ché. Cette image du guérillero romantique à tendance christique, que tout le monde connait, est la photographie la plus reproduite au monde. C'est aussi celle qui rapporta le moins d’argent à son auteur, sans parler de son modèle. L’un comme l’autre, communistes convaincus, ne réclamèrent jamais rien, sauf une seule fois, quand une marque de vodka tenta d’utiliser commercialement le portrait du héros après sa mort.

Rie de très intéressant par ici. 

Je profite d’un meilleur taux de change dans la rue pour garnir mes poches de pesos, tandis que Nathalie trouve des T-shirts et une robe, mais désespère de voir sa boutique préférée toujours fermée. Il ressemble à un magasin de fringues comme les autres, mais c’est celui de l’État, avec des modèles uniques.

Et toujours des légumes à vendre, rien de tel que le magasin ambulant. 

Nous promenant dans toutes les rues, il n’y en a pas beaucoup, nous entrons dans une galerie d’art. Il y a là quelques oeuvres superbes dont une qui irait particulièrement bien sur un des murs de la maison de Nathalie. L’artiste se trouve aux USA, la négociation se complique. Elle obtient un bon prix, mais maintenant, il faut payer. Et ça se complique : pas de paiement par carte dans la galerie et nous n’avons pas la somme en dollars. Ils nous envoient alors un lien de paiement en ligne pour une banque en Espagne. Mais avec nos téléphones ayant une carte SIM cubaine, il est impossible de procéder au virement en ligne. Malgré dix essais par téléphone, par WIFI privé ou officiel, la transaction ne pourra pas aboutir. Mais entretemps, le fameux magasin de T-shirts uniques a enfin ouvert, nos fonçons nous consoler de toutes ces négociations stériles et nous dévalisons l’endroit.

Dernières visites. 
Allo ?  

Il est alors grand temps de déjeuner, avant de prendre notre taxi de retour à 14h00. Le chauffeur est ponctuel devant notre casa, mais ce n’est pas celui de l’aller. Fini le beau taxi jaune climatisé, celui-ci est une Lada blanche hors d’âge. Nous remplissons le coffre de nos affaires et partons vers Cienfuegos. Yves ses lance dans une grande discussion avec le conducteur, cherchant à pratiquer son espagnol très rouillé, Nathalie tente de regarder le paysage défiler devant ses paupières bien lourdes et j’essaye de rattraper mon retard pour écrire ce blog.

Une fois franchie la limite des provinces Cienfuegos/Trinidad, le chauffeur annonce que nous allons devoir changer de taxi. Nous comprenons que son frère fait route dans l’autre sens avec des clients et qu’il n’a pas les papiers et autorisations pour circuler à Trinidad avec des étrangers.

Quelques kilomètres plus loin, nous devons en effet changer de voiture. Nous montons dans une auto de marque indéfinissable, encore plus vieille et franchement délabrée. La route est encore longue et Yves se demande si elle va tenir la distance. À l’avant, il n’y a pas de ceinture de sécurité et les freins sont fort paresseux.

Je continue mon activité et Nathalie retourne à ses rêves. Chez Yves, l’agacement monte en même temps qu’une sourde inquiétude. La route route n’est pas très sûre et la voiture encore moins, le tout avec un chauffeur qui n’a sans doute aucun papier.

Arrivés à la marina, Raúl nous attend de nouveau. Je ne comprends pas de suite ce qu’il se passe mais Yves sort furieux de la voiture et incendie Raúl. En deux mots, Yves me parle de l’état de la voiture, du changement de taxi, de l’absence de papiers et rejoint aussi sec le bateau avec les bagages.

Raúl tente désespérément de me dire que c’est ainsi à Cuba. Je lui rappelle la confiance que nous lui avions accordée, le sac rempli de papier toilette (ici, c’est une denrée chère et particulièrement rare), du café et des médicaments que nous lui avions offerts. Il n’avait qu'à se débrouiller pour avoir un chauffeur avec un taxi digne de ce nom, celui de l’aller faisait parfaitement l’affaire. Après tout, il se présente comme directeur d’une agence de trois taxis jaunes, pas comme un entremetteur de conducteurs louches. Il peut faire une croix sur nos prochains trajets vers la Havane ou ailleurs (dommage, car il était vraiment peu cher). Sans se démonter pour autant et sachant que j’allais bientôt en Europe, il me tend un bout de papier avec les références d'une chaîne de vélo, me suppliant de la lui trouver. J’ai un coeur sensible mais je refuse sa requête en lui disant qu’il aurait dû y penser avant. Était-il en tord ? Connaissait-il la magouille des frères chauffeurs, une seule autorisation pour deux voitures ? Je ne le saurai jamais, mais peut-être sera-t-il plus prudent la prochaine fois qu’il traite avec des clients de la marina. Dans ce milieu où la réputation fait tout, il a aussi fallu que j’explique la tête que faisait Yves au maitre de port de service quand je passe devant lui : « Tuvieron un problema Bárbara ? » (Vous avez eu un problème ?). Pour sûr, Raúl a perdu bien plus que sa chaine de vélo ce jour-là…

En tous cas, nous voilà bien réveillés ! MedioVaS nous attend dans une belle lumière du soir. Nous pouvons maintenant nous préparer pour une autre soirée salsa. « - Nous allons encore danser ? » s’interroge Nathalie. Quoi, évidemment, la semaine n’est pas terminée !

Une fois encore des couleurs splendides pour le coucher de soleil. 

Nous partons à 18h30 vers l’Artex Cubanísimo, une salle de l’État toute proche de la marina, lieu de spectacle pour enfants ou adultes, selon les heures. Leur page Facebook m’annonçait une soirée salsa cubana. Avant de payer une fois encore nos cent petits pesos chacun pour y entrer, nous devons sans faute admirer le coucher de soleil sur les trois mâts toujours au mouillage, depuis le petit malecón.

À l’entrée, on nous promet des petits plats à grignoter, peut-être même des pizzas. Ce sera parfait. Le spectacle commence et, à notre grande surprise, c’est Pepino qui arrive avec sa contrebasse électrique et le reste de son groupe. Nous sommes ravis, c’est le premier musicien que nous avions adoré en spectacle, lors de la soirée des amoureux.

Le lieu ressemble fort à une salle des fêtes rurale, en beaucoup plus grand, et nous y plongeons dans l'intimité la vie cubaine nocturne. Alors que je vais chercher des mojitos, le barman, un grand et beau métisse, me demande comment s’appelle mon amie. Il m’avoue en être tombé aussitôt amoureux, un vrai coup de foudre. Les mojitos en main, j’annonce la bonne nouvelle à Nathalie toute flattée mais pas forcément prête à faire connaissance ! La soirée s’anime, tout le monde danse autour des tables et nous aussi, évidemment. Il n’y a pas de pizza, finalement, mais des chicharritas de banane, sorte de chips salées. C’est délicieux mais un peu léger.

Nous sommes même pris pour un petit concours, Yves et la "mulata" seront les grands gagnants. 

Sans raison apparente, nous sommes abordées par la table voisine où sont assises trois femmes : Jenny, sa mère et sa voisine. Elles nous proposent de poursuivre la soirée au Costa Súr, une de boite de nuit en plein air, plus proche du centre. Il paraît que l’on y joue de la musique « de nos âges », précise la mère. Nous pourrons y écouter des morceaux de Chony Lénoné et des Béatlèsss (soit John Lennon et les Beatles). En attendant, elles nous donnent des tuyaux sur les pas de salsa, en insistant bien sur le déhanchement ! Le barman amoureux vient même jusqu'à notre table, offrir un mojito à Nathalie. C’est une méthode comme une autre pour draguer, surtout que le verre en question est bien rempli, sans lésiner sur le rhum et que ce sera le troisième !

L’ambiance est excellente, alors, dans l’euphorie générale, nous suivons nos trois nouvelles amies. Après des adieux déchirants au beau Cubain, nous nous entassons tous les six dans une vieille américaine taxi ; ce n’est pas loin, mais les pieds commencent à souffrir. Vers 22h30, le nouveau concert « de nos âges » commence et il commence fort, le groupe est très bon pour jouer nos classiques. Nos amies se débrouillent pour nous obtenir quelque chose à avaler, les mojitos et la bière ont besoin de matière plus solide. Nous danserons encore et encore, Nathalie n’en revient pas mais ne lâchera rien. Elle commence même à maitriser le mouvement de cadera (les hanches) comme les locaux. La mère nous a pris sous son aile, veillant bien sur nous, expliquant comment mettre nos sacs à mains à l’abri, à qui parler ou ne pas parler… toutes les trois sont aux petits soins.

Yves et le groupe de filles. 
C'est au tour de Nathalie de danser. 

À une heure du matin, il devient temps de rentrer. Nous échangeons des numéros de téléphones avant de quitter nos amies, puis nous arrêtons un tri-porteur-taxi, histoire que Nathalie ne rate vraiment rien des traditions locales !

Le lundi matin, nous ne sommes pas trop matinaux mais suffisamment pour déplacer MedioVaS de la marina au mouillage avant que la brise thermique se lève. Elle peut être puissante et compliquer la manoeuvre.

Nathalie ira se promener le long de Punta Gorda et tentera même une incursion à la piscine du club nautique assez privé. Pendant ce temps, je prépare ma valise et donne un dernier coup de ménage avant le rinçage de toutes les cales. Puis il est grand temps de retrouver le taxi que j’avais réservé, celui de notre ami Clément. Deux équipières d’un autre voilier français se joignent à nous, elles rentrent par le même vol vers Paris. Et ainsi nous partageons les frais du taxi « pas du tout pas cher ».

Notre ami Clément. 

Alors que sommes toujours absorbées par le paysage, Clément nous explique à quoi servent les énormes rouleaux de ferraille sur les bords de l’autoroute. Là où celle-ci est particulièrement large et sans bandes séparant les voies opposées, il y a toujours de ces rouleaux prêts à être déplacés au milieu de la route en cas d’invasion américaine. Il s’agit de priver l’ennemi de toute piste d'atterrissage improvisée. Ils pensent à tout, nos défenseurs de la révolution et ce n’est pas de la paranoïa, les tentatives furent presque aussi nombreuses que la propagande le raconte !

J’essaye de négocier avec lui pour qu’il vienne me récupérer à La Havane, à mon retour d’Europe, trois semaines plus tard. Et là, surprise, car, si tout se passe bien, il ne devrait plus être à Cuba. Il quitte le pays avec femme, enfants et un visa pour le Mexique. De là, ils doivent rejoindre un ami canadien qui tente de lui trouver un travail et donc un statut de résident dans la Belle Province, veinard ! Il serait le premier de toute sa famille à quitter le pays. C’est une vie nouvelle qui l’attend et nous lui souhaitons beaucoup de chance.

Le plus long sera l’étape mexicaine. Après expiration du visa, ils seront dans l’illégalité ; il ne faudra surtout pas être renvoyé à Cuba, car l’accueil ne serait pas des meilleurs. Évidemment, personne dans son entourage n’est au courant de ce projet, ce serait trop risqué. Je me demande comment il peut alors m’en parler… Arrivées à l’aéroport, nous l’embrassons fort et, hasta la vista amigo, l’émotion est forte pour tout le monde. De fait, il aura effectivement disparu à mon retour.


Nous avons du temps à tuer et tentons de commander un repas dans le resto à l’étage… nous devrons nous contenter d’une bouteille d’eau. On oublie toujours à quel point les rayonnages peuvent être vides. Trois heures plus tard, le checking ouvre ses portes. Je fais la file en Priority grâce au billet de Nathalie. Cinq minutes plus tard, tout tombe en panne. Faut encore attendre. Mais lorsqu’ils se re mettent à fonctionner, ils ne font passer que les détenteurs de la carte Priority. Nathalie me pousse à la suivre, et ça fonctionne. Nous avons même droit au salon privé d’Air France où un buffet bien garni nous attend.

Merci Nathalie !

C’est la fin du séjour cubain à bord de MedioVaS pour Nathalie, qui laissera un coeur brisé derrière elle …

A bientôt ... 


et c’est un retour auprès de mes enfants et de ma famille pour trois semaines.

9

Notre vol se déroule très bien, Nathalie dans son siège confort et moi dans mon siège un peu moins confort. À Paris, c’est le moment de transférer les nombreuses cartes et guides en trop dans ma valise et de se dire au revoir. Nathalie part vers la Normandie, en voiture, et je rejoins mon beau et plat pays, en train.

En fin de journée, j’arrive Avenue de Tervueren, aussitôt entourée de mes parents et enfants. Le temps va passer rapidement.

J’arrive à rassembler mes trois enfants, le temps d’une après-midi. Nous passons un bon moment entre sport, réflexion, culture et logique à jouer aux détectives en salle, à Bruxelles. Évidemment, cela se termine autour d’une crêpe, arrosée d’une bonne bière.

Je profite des deux jours qu’il me reste avec Manon, l’aînée, qui part à l’aventure en Nouvelle-Calédonie. Une nouvelle vie commence pour elle, assez impressionnante pour tout dire, mais je ne peux pas m’empêcher d’être si fière d’elle et de son audace.

Good bye Manon.  

J’aurai droit ensuite à deux jours de neige ; quel bonheur de voir les flocons tomber et de faire un mini-bonhomme de neige.

Des gestes que j'avais presque oubliés. 
Grande discussion avec un bonhomme de neige. 

Je fais la tournée des amis, ou ils viennent me voir. Mais je passe la plus grande partie du temps à m’occuper de mon appartement. Ma copine Isou vient me soutenir et me donner un sacré coup de main. Pendant ce temps, mes parents s’inquiètent de plus en plus en voyant tout ce que je ramène chez eux. Pas de panique, tout cela ira au box… en son temps !

Une bonne semaine après mon arrivée, Yves m’annonce que son père est hospitalisé. Ni une ni deux, il décide de rentrer en France… et je dois lui prendre son billet d’avion : impossible d’acheter quoi que ce soit, en ligne, depuis Cuba (remboursé évidemment). De son côté, il place MedioVaS en sécurité à la marina et organise tout le système de garde du bateau.

À Cuba, lorsqu’on laisse un bateau seul plus de sept jours, il faut payer d’avance les frais de marina, rédiger un contrat avec un garant officiel… et obtenir l’autorisation des autorités. Cela prend généralement plusieurs jours, mais, là encore, la recommandation du Commodore Escrich fait des miracles et le chef de poste de la Guarda Frontera reçoit l’accord de ses supérieurs dans la minute.

Chaque cordage trouve une nouvelle place bien visible. 

Chaque élément qui reste à l’extérieur est inventorié. C’est-à-dire que l’on compte chaque amarre, chaque défense, chaque bidon d’essence et même chaque drisse et chaque écoute ! Tout doit rester bien visible, pour que les gardiens « simples » puissent tout recompter à chacune de leur ronde, sans devoir monter à bord. Seul le garant « officiel » a le droit de poser le pied sur le bateau.

En quelques heures tout est organisé, Yves a son billet et un taxi réservé entre Cienfuegos et Cuba. Mais la France n’est pas toujours une terre d’accueil. Un proposition de loi du gouvernement, modifiant l’âge de la retraite, soulève une grosse partie des Français. Donc, Il y a des grèves partout. Donc, chaque réservation de train disparait au bout de quelques heures. Il me demande alors de réserver également une voiture de location, ainsi pourra-t-il profiter du retard pour voir ses enfants plus longtemps. Il pense attraper le seul train restant vers Toulon, le samedi suivant… qui se transformera finalement en avion, il y a décidément trop de grèves sur les rails !

Entretemps son père va mieux mais devra retourner encore une fois à l’hôpital, pour des examens puis des travaux complémentaires. Yves restera à ses côtés pendant une bonne dizaine de jours.

Je décide alors de changer mon vol de retour, pour espérer rentrer en même temps que lui à Cuba. Mes parents sont ravis, ils me verront un peu plus longtemps et je pourrai également voir ma soeur Catherine qui passe deux jours à Bruxelles.

Comme toujours, je fais mon petit tour en Normandie voir les bons vieux amis français. C’est toujours trop court, mais tellement sympa de les retrouver.

Je suis même présente pour l'anniversaire d'Arthur, cela faisait si longtemps que nous partageons intensément ce moment. 

Le père d’Yves est enfin sorti de son hôpital, il va beaucoup mieux.

Arrive le moment de dire au revoir à tout le monde. Je rejoins Yves à l’aéroport. Il a passé la nuit là-bas, craignant toujours des mouvements de grève générale. De fait, la journée du départ est une catastrophe en France, il a bien fait de partir la veille. Par chance, mon train roule sans problème depuis Bruxelles. J’avais quand même prévu un plan B, au cas où… Finalement l’aventure européenne est de plus grande envergure que la cubaine !

Notre avion décolle à l’heure, ouf. Le risque annoncé était léger pour les vols longs courriers, mais avec ces mouvements de colère mal encadrés, il était quand même bien présent.

Nous arrivons de nuit à l’aéroport international José Martí de La Havane, donc pas de transfert possible vers la marina, les taxis n’aiment pas rouler en pleine nuit. Mitchell, toujours lui, a eu la gentillesse de nous trouver une casa particular pour la nuit. Le lendemain matin, c’est Hancel, un taxi conseillé par la marina, qui nous ramènera.

Toujours aussi jolies, avec escaliers et patio un peu partout. 

J’envoie un petit message à Clement, notre ancien taxi parlant français, pour découvrir qu’il est bien arrivé… à Mexico, avec sa famille ! Il attend là-bas la suite de ses rêves ; je suis tout émue.

Nous retrouvons MedioVaS en grande forme, le 24 mars en début d’après-midi. Nous avons les bras chargés d’oeufs, d’oignons, de citrons et de tomates, achetés aux petites échoppes le long de l’autoroute… ou échangés contre quelques dollars au marché noir.

Nous devons maintenant décider de nos étapes suivantes. Nous ne voulons pas trop nous éloigner de l’Europe à vol d’avion, donc nous resterons en mer des Caraïbes. Mais nous ne voulons pas rebrousser chemin vers les Îles du vent (Guadeloupe, Martinique ou Grenade). Il y a plusieurs raisons à cela : nous les avons déjà visitées, nous avons soupé des grèves françaises ou de la foule de voiliers, et il s’agirait de naviguer longtemps contre vents et courant, dont nous avons également soupé depuis nos aventures de l'année précédente.

Les côtes d’Amérique Centrale et du Sud sont bien plus attirantes, alors nous allons tenter l’expérience par là-bas. Nous étudions la météo et les Pilot-charts, qui donnent les statistiques de vents et de courants. La chose ne sera pas évidente, mais faisable. À vrai dire, nous ne trouvons personne décrivant la route que nous envisageons, entre Cuba et Colombie, du nord vers le sud. Les alizés soufflent encore à plein poumon, nous allons donc attendre qu’ils diminuent un peu. Pour autant, nous ne devons pas tomber dans la saison cyclonique où nous serions coincés entre pétole et tempête tropicale ou pire.

Le petit surnom entre Santa Marta et Cartagena n'est autre que le Cap Horn des Caraïbes, alors nous restons prudents. 

Nous décidons donc de profiter encore une bonne semaine de Cienfuegos, ville et musique.

Avant de quitter la marina, nous mettons à poste le nouveau sondeur en croisant les doigts pour qu’il fonctionne.

le nouveau venu à bord, en version Bluetooth (on se demande à quoi bon ?!) 

Pas de signal, bon, il faut logiquement ré-intitialiser l’appareil central, pour lui présenter le nouveau capteur. Nous perdons ainsi tous nos points de mouillages et routes enregistrées. Un mal pour un bien, alleluia, le sondeur est reconnu et fonctionne du premier coup !

Nous retournons alors au mouillage et reprenons le rythme local. Pour cela, rien de tel que d’aller voir directement notre groupe préféré de música cubana au Café Central Mercantil. Cela nous aidera également à nous installer plus rapidement dans le décalage horaire ; n’est-ce-pas Nathalie ?

Ainsi, vendredi et samedi soir, c’est petit restaurant et danse. Yves est toujours en contact avec nos trois copines, qui nous donnent rendez-vous le dimanche soir, au Costa Súr, pour danser et écouter les Béatless. La soirée est animée, comme toujours. La maman de Jenny nous lance même une invitation pour le vendredi soir : un diner cubain chez elles. Émerveillés, nous acceptons aussitôt. Nous serons proches de notre départ, mais cela ne se rate pas.

Dans notre mouillage nous rencontrons un nouveau venu, Canadien, immatriculé à Québec. Lorsqu’il s’agit du Québec à quelques brasses de MedioVaS, nous allons aussitôt à sa rencontre ; maudite nostalgie, quand tu nous tiens…

Il vient d’acheter son bateau au Guatemala et part tout seul vers son pays. Pour être moins seul, il navigue aux côtés d’un autre voilier, des Etats-Uniens. Tout ce petit monde vient passer une soirée à notre bord, où nous les recevons avec les moyens cubains.

La journée, nous nous occupons de MedioVaS, notre fidèle compagnon. Cette fois-ci, nous affalons le génois et sécurisons sa manille. Il n’est plus question de le perdre à l’eau en pleine navigation. Nous en profitons pour vérifier aussi le reste du gréement.

Puis nous nous promenons en ville, il reste toujours quelque chose à découvrir.

Nous visiterons le musée Naval, bien évidemment ! 
Plus besoin de parler du Grama ... 
Nous devrions l'appeler  le Musée Naval Révolutionnaire.

La semaine passe assez rapidement. Comme c’est déjà vendredi, nous avons fait le plein de bière en prévision de la soirée avec nos amies cubaines. Coup de chance, la boutique d’approvisionnement pour les charters nous ouvre ses portes. Je peux ainsi remplir la cale de Coca-cola. Nous sommes d’ailleurs surpris d’en trouver. Nous découvrons que certains magasins d’état, ceux pour étrangers et carte de banque, sont un peu mieux fournis que d’habitude. Nous trouvons même du porc congelé en provenance d’Espagne. Et les restaurants ont une carte un peu plus variée… un cargo a dû accoster très récemment et livrer ses trésors en ville !

Dans l’après-midi, nous recevons un message de Jenny nous annonçant qu’elle est désolée, qu’elle doit annuler le diner. Je ne suis pas vraiment surprise mais tellement déçue. À vrai dire, mon étonnement venait plutôt de son invitation : les Cubains ne peuvent pas recevoir d’étranger chez eux, le risque est trop grand. Avec les CDR (Comité de Défense de la Révolution) à chaque coin de rue, il est évident qu’elles vivaient dangereusement.

Tant pis, nous retournons danser au Mercantil, nous consoler autour d’un Daïkiri. La salle est pleine, un représentant du gouvernement provincial est présent, accompagné d’un envoyé du ministère de la culture français : les musiciens se démènent.

Le samedi, c’est un anniversaire qui remplit la salle. Comme nous sommes devenus des clients fidèles, les chanteurs nous saluent et nous pouvons même discuter avec eux. Mais ils gardent toujours une certaine distance, nous comprenons bien qu’ils bossent pour l’Etat cubain… et que la chanteuse est bien installée politiquement. Alors les autres comptent leur mots dès qu’elle approche.

MedioVaS est maintenant fin prêt, Yves se lance dans les formalités de sortie. Nous faisons le plein d’eau dans la baie en espérant ne pas être intoxiqués à l’arsenic. Oui, oui, les poissons en fond de baie baignent dedans, mais il parait que notre mouillage est préservé.

Le lundi 3 avril nous quittons donc Cuba, enfin, pas tout à fait…


A bientôt ! 
10
ADIOS CIENFUEGOS. 

Le lundi 3 avril, vers midi, nous quittons notre mouillage qui nous a si bien fait profiter de Cuba. Nous serions bien restés plus longtemps, pour visiter d’autres lieux dans les terres, mais nous devons respecter la saison. C’est donc sous un rythme de salsa que nous appareillons.

Nous apercevons une fenêtre météo entre jeudi et vendredi, qui nous permettrait de traverser directement vers la Jamaïque. Nous avons cette option, mais les vents annoncés varient entre 20 et 25 noeuds et nous connaissons la mer que cela peut lever dans des passages relativement étroits. Alors pourquoi ne pas traîner un peu dans les magnifiques « cayos » (îlots) dont et parsemé le lagon des « Jardines de la Reina » ? Yves prépare différentes routes possibles, toutes permettant d’honorer mon souhait de nous arrêter à Cayo Cuervo.

Ne sachant pas trop si nous avons le droit de mouiller tous les soirs, alors que nous sommes officiellement « sortis » de Cuba, nous coupons notre émetteur AIS, afin de ne pas être repérés (on ne sait jamais). Et nous partons vers les fameux jardins.

La côte sud de Cuba est dominée par deux régimes de vent, thermiques, soufflant de nord-est la nuit et de sud ou sud-ouest à partir de midi. Dans la journée ils sont plus forts et ne nous arrangent pas du tout car nous allons vers le sud-est. Mais nous essayons d’anticiper, de profiter de ce que la nuit nous offre.

Nous quittons la baie de Cienfuegos au moteur, le vent dans le nez. Nous saluons le fameux château et croisons plusieurs petites embarcations de pêche. C’est bien la première fois… et ce sera la dernière !

Ouf, il y en a un au moteur.  
La sortie de la baie. 

Nous longeons la côte, bordée de petites falaises, de mangroves et des majestueuses montagnes de la Sierra Maestra. Nous imaginons les révolutionnaires débarquant du Granma (en catastrophe) et partant se réfugier dans les hauts (pour les rares survivants).

Le soleil se couche, nous voyons quelques lumières de la ville de Trinidad. Le phare de Cienfuegos n’est plus qu’un souvenir, la pleine lune éclaire notre nouvelle route. La grand voile est sortie juste pour avoir un peu plus de confort. Mais je constate que le winch bâbord est défaillant : il tourne faux à petite vitesse. Nous n’avons pas pris soins d’eux depuis plus d’un an.

Pendant mon quart de 21h00 à minuit, la thermique de nuit se réveille et nous pouvons profiter d’un vent de nord-est. Je sors les voiles et met le moteur au repos. Ouf, le winch ne semble plus souffrir, c’est parti ! Quelques dauphins viennent jouer autour de MedioVaS. Après minuit, le vent forcit, la mer s’agite, Yves prends des ris. Le vent tourne à l’est, nous naviguons maintenant au près, dans un clapot pas très agréable. MedioVaS file quand même 7 noeuds, alors que le jour se lève sur les Jardines de la Reina. Nous tirons un long bord pour nous aligner vers l’entrée, Boca Grande (la Grande Bouche), et pénétrer dans le lagon. Vers midi, le vent tourne au sud, c’est parfait pour continuer plein est. À 15h30, nous mouillons l’ancre au centre du fameux Cayo Cuervo, après avoir paré les récifs. Yves connait le guide nautique de la région presque par coeur, mais il s’offre quand même une prudente petite révision, juste avant de rentrer dans cet endroit étroit.

MedioVaS est en sécurité pour le mauvais temps à venir. De fait, pendant deux nuits de suite, nous aurons plus de 25 noeuds au mouillage et rien ne bouge.

Nous profitons de ces deux jours complets, entourés par ce petit îlot, pour faire un gros entretien des winches et changer la pompe à eau de refroidissement du moteur qui fatigue et perd de l’eau. Nous avons alors deux belles surprise. Les winchs sont bien encrassés, surtout celui de bâbord. J’en profite pour changer les cliquets et ils chantent à nouveau merveilleusement. Côté moteur, c’est la découverte, une fois encore, d’une petite pale de la roulette d’aspiration, dans le tuyau qui va de la pompe vers le moteur ! Yves trouvait qu’il devait rester du sel dans ce tuyau, car il crissait quand on le comprimait avec la main. C’est ainsi qu’il a trouvé ce petit morceau de caoutchouc à l’entrée du tuyau. Le plus surprenant, c’est que la roulette en place possède bien toutes ses pales, chose que nous vérifions rigoureusement, chaque fois que nous changeons cette petite pièce d’usure. D'où vient donc ce morceau orphelin ? Nous serons d’autant plus vigilants lors des prochains entretiens…

C'est bon d'entendre le doux bruit du winch bien graissé et de ses nouveaux cliquets.  

Nous profitons également de nos baignades pour donner un bon coup de propre à la coque ; MedioVaS est ravi, le voici débarrassé de toutes ses petits coquillages naissants.

Vendredi 7 avril, nous appareillons vers Cayo Chocolate. Yves avait prévu plusieurs bords, mais le vent est généreux, en force comme en direction. Un petit clapot donne du relief au lagon, mais n’affecte pas notre vitesse. Vers 15h30, nous entrons dans la petite baie, Snoopy est comme fou, il renifle du chocolat partout. Pour fêter cela, je me lance dans la confection de cookies… aux pépites de chocolat, évidemment !

Tout le monde est prêt pour la dégustation. 


Un réveil bien matinal. 

Samedi 8, il faut se lever de bonne heure, car nous appareillons à 07h00. Eh oui, nous devenions un peu paresseux. Une route plus longue nous attend, aujourd’hui. Nous partons avec le vent d’est et, comme d’habitude, il tournera au sud dans la journée. Les ris sont pris, quelques virements de bord finissent de nous réveiller. C’est déjà l’heure de la dégustation du navarin d’agneau de Normandie, que Nathalie avait apporté dans sa petite valise de « provisions pour Cuba ». Il est délicieux.

Nous passons entre des ilots et des récifs. tout ceci a un air de Tanzanie. 

Vers 16h00, nous embouquons l’entrée de Cayo Grenada, toujours bien protégé par des récifs de corail. Nous commençons maintenant à surveiller la météo de près. Nous ne pouvons pas nous éterniser plus ou moins illégalement dans les eaux cubaines. Nous savons que des contrôles auprès de plaisanciers ont lieu régulièrement dans le sud du lagon.

Nous décidons donc de s’offrir une dernière escale du dimanche, au Cayo Media Luna. Lundi, Yves fait le plein d’eau douce, nous frottons une dernière fois la coque et vérifions que tout va bien.

Côté météo, la semaine est calme jusqu’à jeudi-vendredi. Cette fois-ci, nous devons vraiment quitter Cuba!


Adios CUBA ! 
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 Il est l'heure de partir ! 


LA TRAVERSEE LA PLUS LONGUE DE L'HISTOIRE DE MEDIOVAS

Le mardi 11 avril, c’est décidé : nous quittons les Jardines de la Reina et donc Cuba. Nous appareillons vers 07h40. Nous aurons 130 milles à parcourir, dont une cinquantaine de milles pour arriver à Cabo Cruz, la pointe sud du lagon, et quatre-vingt milles de traversée vers la Jamaïque. La météo annonce un vent plutôt paresseux, nous verrons bien ce que la brise thermique va nous offrir.

Notre petit plan de route. 


Vers 09h00, nous embouquons le chenal de la Vela (la voile) et ça tombe bien, nous déroulons grand voile et genaker.

Il est temps de se reposer. 

Nous profitons d’une petite brise de bon plein, ce qui nous permet d’avancer assez bien et dans la bonne direction. C’était trop beau pour durer longtemps : dès midi, c’est le moteur qui ronronne.

Vers 15h00, notre ami Eole interrompt sa sieste : contre toute attente, nous profitons d’une brise de sud de 10 noeuds. Elle nous permettra de continuer au près serré, en longeant le lagon vers Cabo Cruz, que nous atteignons vers 20h00. Le courant ne nous est pas trop favorable, mais nous avons le temps. Nous poursuivons sur une route sud-est, pour anticiper le plus fort du courant qui doit nous porter à l’ouest dans le chenal entre les deux iles.

Attention, aventureux que nous sommes, nous testons les plats déshydratés offert par ma fille Elise : riz et mousse au chocolat.  

Pour le dîner, c'est un repas royal. Ma fille Elise avait eu lors d'un de son voyage en voiture-tente-sur-le toit en Islande, des kits de repas déshydratés. Pas très fan de ceux-ci, elle les a ramenés et généreusement offerts. Nous les testons enfin ! Eau chaude pour le prix et eau froide pour la mousse, les résultats sont surprenants. Je n'en mangerai pas tous les jours, mais c'est pratique et pas mauvais.

Mercredi vers 02h00, Eole disparaît et Yves démarre notre bon Yanmar. Il demande à ses 29 chevaux de trottiner, enfin de marcher même, en maintenant une vitesse de 2 noeuds : assez pour avancer sans être trop déporté par le courant.

Mais c’est vraiment trop lent pour moi : en prenant mon quart, je secoue un peu les poneys qui se mettent à trottiner à 3 noeuds. Le courant n’est pas féroce, mais nous ne savons pas ce que le vent nous apportera dans la journée. Nous gardons donc cap au sud, tout en restant à gauche de notre route, en espérant un peu de vent d’Est.

Vers 07h30, une brisounette s’installe. Le genaker et la grand-voile feront l’affaire. Les chevaux retournent à l’écurie. Vers 10h30, le genaker est remplacé par le génois, plus stable et les dauphins font leur apparition : un groupe immense s’affole dans l’eau cristalline, autour de MedioVaS. Bébés et adultes jouent autour de notre étrave qui fend doucement l’eau.

Toujours aussi magique. 

Le vent faiblissant, Yves rappelle les chevaux pour une nouvelle promenade au pas. Quitte à se traîner et pour profiter du calme autour de nous, les voiles feront tout aussi bien avancer MedioVaS à 2 noeuds. Petit hennissement de joie, chevaux de retour au box !

C’est alors qu’Yves m’informe que nous n’avons pas le pavillon de la Jamaïque : cette escale n’était pas prévue, nous avions celui des Îles Caïman, et il est impossible d’en trouver à Cuba. Les pinceaux et la peinture trépignent d’impatience, cela faisait longtemps qu’ils ne sortaient plus de leur sac. Je confectionne d’abord le support en tissu, dont nous avons toujours un stock. Par bonheur, la mer est au plus calme pour coudre. Deux heures plus tard, le pavillon est prêt et sèche au soleil.

Pour me tenir compagnie, un petit oiseau endémique de Panama et Costa Rica s’invite a bord. Il ne sait pas trop où se poser, entre MiniVaS sur le pont avant, sur une filière à côté de moi ou carrément sur le panneau de la descente. Il s’amusera même à agacer Yves, en rentrant dans le bateau à plusieurs reprises.

Il prend bien la pose.  

L’heure tourne, mais pas les milles parcourus. Finalement, vers 18h00 et sous un ciel bien couvert au loin, nous apercevons la terre. Je continue de barrer dans le tout petit temps. J’aime bien ce genre de défi.

Notre ami l’oiseau est toujours avec nous et il a même organisé une petite fête pour ses amis. Nous sommes maintenant entourés de quatre petits oiseaux de deux espèces différentes, qui s’agitent au fur et a mesure que nous nous approchons du grain. Le vent également, nous en profiterons donc pour avancer et finirons même par prendre plusieurs ris. Quand la nuit tombe, l’île s’illumine et grossit de plus en plus. Cela change de Cuba qui n’avait comme lumière que son phare.

Lorsque l’on parle de la Jamaïque, on pense aussitôt Bob Marley et son légendaire reggae, feuilles de weed à fumer, couleurs rouge, vert et jaune, dreadlocks sur la tête, « yo man »… mais pour mon homme, en Jamaïque se trouve une tout autre légende : celle de Montego Bay. Ah ?

Ah oui, il est temps de hisser le pavillon tout neuf. 

En bon marin qu’il est, il sait, lui, que c’est là que fut signée en 1982 la « Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer », universellement connue sous le surnom de Convention de Montego Bay. Pfiou, 1982, c’est le siècle dernier, quand il n’était même pas encore tout jeune marin. Quand il s’est engagé, deux ans plus tard, on en parlait encore tout le temps dans la marine : le droit du pavillon, les eaux territoriales de 12 miles, les zones économiques exclusives de 200… tout cela, c'était « Montego Bay ». Alors, évidemment, nous ne pouvions pas atterrir ailleurs. Ça tombe bien, c’est aussi le port d’entrée le plus proche. Tant pis pour les ignorants qui voulaient nous faire accoster à Ocho Rios ou Port Antonio, tout là-bas à l’est, contre le vent.

On a beau chercher à trainer, à bord de MedioVaS on arrive toujours en pleine nuit, quel que soit le temps ! Ici, record : c’est le jeudi 13 avril à 01h00, que nous pénétrons dans l’énorme baie, illuminée par son port. Le temps est toujours fort calme et le port très bien éclairé, nous allons tenter l’entrée de nuit. Nous suivons le chenal des bouées et trouvons, tout au fond, la zone où nous espérions mouiller. Hélas, elle est couverte de bouées privées. À grands coups de projecteur de recherche, nous les évitons et nous nous dégageons un peu plus au nord. Les sondes correspondent avec ce que nous indiquent les cartes, le fond est censé être de bonne tenue, nous mouillons l’ancre à 02h45 c’est à dire à 01h45, heure locale. Bonjour, Mo’bay (son petit nom), nous sommes là, Yo Man !

Le grain que nous craignions nous a épargné et la nuit fut excellente. Plein d’ardeur, nous lançons MiniVaS et l’armons de son moteur pour être prêts vers 09h00, à l’ouverture du Yacht Club. C’est ici que nous allons faire notre entrée officielle.

Il n’y a qu’une secrétaire dans les bureaux et ce n’est pas celle avec qui nous avons échangé des messages pour préparer notre arrivée. Qu’à cela ne tienne, elle prend tout en main et nous charge d’une bonne dizaine de formulaires à remplir. Puis elle contacte les officiers de chaque service, presqu’autant que de formulaires. Ils seront là vers 10h30, « Jamaican Time ». En fait, elles seront là : une femme pour le ministère de la santé, deux femmes pour l’immigration et nous terminerons avec une femme pour la douane. Tout se déroule (presque) très rapidement, c’est merveilleux. En moins de trois heures, nous avons un visa gratuit pour un mois, mais Yves devra prendre un couteux permis de croisière en ligne, pour avoir l’autorisation de naviguer autour du pays et de mouiller ici et là.

La marina est superbe, très British aux Caraïbes. La piscine me fait déjà un gros clin d’oeil, les barmen préparent les cocktails : cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu les étagères d’un bar remplies de bouteilles pleines !

Bienvenue en Jamaïque ! 
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Notre voisin nous offre une photo de MedioVaS vu du haut de son mat. 

Mo’Bay, c’est l’occasion de faire le plein de nos cales vides. La marina est située à l'opposé de la ville, de l’autre côté de la baie de Montego. De bonnes chaussures aux pieds, nous partons explorer les lieux. Nous devons d’abord trouver une banque, pour retirer des sous-sous (poulouttes, machins, devises, Jam-dollars, bref des sous) et une boutique de téléphone portable, pour acheter une carte SIM et faire à nouveau partie du monde virtuel. Une bonne demi-heure de marche plus tard, en plein soleil, nous trouvons notre bonheur. Trainer dans la hutte du distributeur de billets, parce que c’est climatisé, ça fait du bien ! Nous repérons également le supermarché, que nous visitons (climatisation) en prévision des courses du lendemain.


Les sous-sous en poche et la carte SIM dans le téléphone d’Yves, nous retournons à la marina, où la piscine nous attend. Rien de tel pour se rafraîchir, diriez-vous ? Eh bien, en fait, pas du tout. Elle est beaucoup trop chaude elle aussi. Alors il faut se rattraper avec un verre de vin blanc… et beaucoup de glaçons !

Au réveil, nous découvrons un nouveau venu au mouillage, un voilier tout rouge et battant pavillon américain.

Ce samedi, c’est l’expédition : retour vers la zone commerciale, mais cette fois-ci avec un sacs à dos et quatre sacs à bras pour les courses. Le supermarché est assez bien fourni, plutôt extrêmement bien fourni, après Cuba. Nous avons envie de tout, tels les enfants dans un magasin de jouets. Avec grand sérieux, nous nous limitons à presque l’essentiel… mais il faudra quand même demander des sacs supplémentaires à la caisse ! Dans notre petit congélateur, qui a perdu sa porte, nous avons encore de la viande achetées aux USA. Donc nous lui ajouterons quelques blancs de poulet, en bon souvenir de Cuba. Conserves, boissons, riz et pâtes connaitront une nouvelle existence à bord.

La vie était si peu chère, à Cienfuegos, qu’il était préférable de manger dans un petit restaurant local plutôt que vider nos réserves.

Les beaux palmiers royaux qui offrent un peu d'ombres aux taxis. 

Pour le retour, hors de question de jouer les mules avec notre chargement. Je négocie un taxi pour nous ramener à la marina, pendant qu’Yves charge les sacs de courses. Il est bien le seul, tous les autres le font faire par quelqu’un, qui porte aussi leurs courses dans leurs coffres pour un billet. Mais Yves aime les sacs remplis avec précision, pour éviter qu’ils se déchirent dans les transbordements, ou que des articles prennent l’eau par le fond du sac, dans l’annexe. De retour à bord, il faut tout caser dans les cales, chaque chose doit trouver sa place. Et que fait-on après déjeuner ? Un tour à la piscine, évidemment ! Nous y rencontrons le couple américain du bateau rouge. C’est le jour/week-end/semaine anniversaire de Madame, Amanda. Pour nous associer à cette fête très étendue, ils nous offrent un daïquiri-mangue, c’est délicieux. Nous passons l’après-midi dans l’eau en grande discussion : ils nous racontent leurs projets d’acheter une ferme en Amérique Centrale, au Guatemala et de financer une école dans le village voisin, qui recueillera leur héritage… Ils n’ont pas d’enfants ; il y a donc un chat à bord et toutes sortes d’idées en tête. Nous leur proposons de passer à bord le lendemain soir, pour un apéritif dinatoire. Il pourront nous raconter aussi leurs restaurations d’autos vintages, en vue de courses dignes de dessins animés, tout aussi vintages.

Voici comment ne pas se lasser de la piscine trop chaude. 

Dimanche, je saute à l’eau autour du mouillage. Il faut quand même jeter un coup d’oeil à notre coque. Pendant ce temps, Yves fait le plein de gazole, en vidant nos jerricans dans le réservoir. Tout le fuel noir et puant y passe, encore un souvenir de Cuba si bon marché qui disparait. Je profite de ma petite plongée pour aller saluer d’autres nouveaux voisins, arrivés la veille, eux aussi en pleine nuit. Heinrich est allemand, il vient d’acheter son voilier, un Allure 44, dériveur intégral en aluminium. Il ramène le bateau chez lui, non pas en Allemagne mais sur la côte ouest de la Floride, où il possède une maison. Il a négocié son achat à distance, le bateau étant basé à la Martinique. Mauvaise surprise lorsqu’il en prend livraison, l’ancien propriétaire l’a complètement vidé, il ne lui reste plus que les voiles. Il doit racheter une annexe et à peu près tout ce qui équipe un bateau de voyage. Deuxième mauvaise surprise, la dérive, qui plonge à 3 mètres, ne se relève plus. C’est très embêtant pour lui. Il doit franchir un haut fond de 1,3 mètres pour pouvoir accoster son bateau devant sa maison. Et il ne parle même pas des abords de l’ouest de la Floride, souvent très peu profonds. Comme je suis dans l’eau, j’inspecte sa coque. Tout semble normal, sauf le trop plein de coquillages. Nous lui proposons de revenir avec nos bouteilles de plongée, pour une inspection plus méticuleuse. Ce petit exercice nous permettra aussi de tester notre matériel, fraîchement remis en état à Cuba. Nous découvrons rapidement qu’une manille pend sur la nuque de sa dérive, orpheline de sa bosse de relevage. Heinrich n’ose pas ouvrir la trappe à l’intérieur du bateau qui donne accès au bout, nous pouvons le comprendre, l’eau n’est pas très loin. Avec une gaffe, Yves arrive a attraper ce fameux bout rouge et le noue sur l’anneau textile de la nuque, là où se trouve la manille. La dérive remonte sans effort, mais seulement à moitié. Dans l’eau, Yves peut encore la faire monter librement, elle n’est pas coincée. Il s’agit donc d’un problème de palan de relevage, que nous ne voyons pas bien sous l’eau. Et ce n’est pas notre MedioVaS qui vas nous aider à comprendre, lui et sa quille longue et fixe. Heinrich nous quitte à mi-chemin de la solution, il doit aller chercher son nouvel équipage. Nous lui proposons quand même de se joindre aux Américains en soirée. Cette histoire de trappe de visite me travaille et je suis à deux doigts d’aller lui forcer la main pour l’ouvrir quand même, je n'aime pas rester sur des inconnues et un travail non fini !

La fameuse trappe d'accès au puit de dérive est ouverte. Il est maintenant beaucoup plus facile de trouver la coupable !

Henrich doit y penser aussi, car, avant de quitter son bateau, il ouvre la faneuse trappe. Il en sort le bout rouge de relèvage et trouve une poulie cassée dessus. Voila donc la pièce à changer. Nous fouillons dans nos réserves, nous avons toutes sortes de manilles, mais pas une poulie double comme la sienne. Chance, il en trouve une sur un des bateaux de la marina, que le propriétaire accepte de lui vendre. Sauvé !

Le soir nous recevons les Américains, tandis qu’Heinrich préfère emmener son nouvel équipage au restaurant. Nous passons une soirée bien agréable autour d’un bon vin argentin et des petits plats que j’avais préparés.

Lundi, pendant qu’Yves s’équipe en ouvrier sous-marin, je retourne sur le bateau d’Heinrich, en annexe cette fois-ci. Je vais inspecter la fameuse trappe et le bout rouge. Le palan fait tout un chemin qu’il faut reprendre dans le bon ordre autour de la nouvelle poulie.

Enfin les mains dans le puit de dérive. Le bout rouge a trouve une nouvelle poulie.  

Une fois chose faite, Yves travaille de la pince pour fixer poulie double et une manille sous l’eau… sans rien perdre au fond, sang froid ! À son signal, deux coups sur la coque métallique, je tente de lever la dérive. Waouh, que c’est dur dans cette chaleur. Pendant que je transpire sur le winch, Yves surveille le pied de dérive sous l’eau et Henrich la tête, par la trappe. Tout se déroule bien, mais il reste quand même encore une bonne portion du pied qui ne veut pas se cacher dans son logement. Nous avons beau tout inspecter, il n'y a pas d’autre solution visible, le palan à bloc empêche de terminer le relevage. C’est tout de même un succès : le capitaine et son bateau pourrons passer sur le seuil d’accès devant sa porte. Notre copain canadien rencontré à Cienfuegos, Sylvain, possède exactement le même bateau. Il nous enverra par la suite le schéma du circuit de relevage, qu’Henrich ne possède pas, encore une victime de la vente. De fait, la poulie est théoriquement placée plus bas, sur un point fixe de la nuque de dérive. Nous n’avons pas vu ce point fixe, peut-être était-il cassé lui aussi ? Pour autant, Heinrich est fou de joie et tient absolument à nous remercier, en nous invitant au restaurant de la marina. Nous avions prévu de quitter Mo’Bay dans l’après-midi, les papiers de sortie sont prêts, mais comment refuser ? Nous rencontrons ainsi tout l'équipage : deux Allemands gros (et) buveurs de bière (c’est très cliché mais tellement vrai, ils ont bien du vider cinq chopes chacun) et un Américain. Les deux équipiers allemands ne pratiquant que très peu l’anglais, et la voile d’ailleurs, ne feront pas vraiment partie de la soirée. Le repas est divin et l’ambiance très bonne. Nous rentrons chacun à bord, une fois passé le gros grain du soir.

Mardi 18 avril, c’est notre départ. Au nord de l’île, la brise thermique est inversée : la nuit, elle souffle de sud-est et, le jour, plutôt du nord-est. Donc nous ne partirons pas aux aurores, en attendant que le nord-est s’installe. C'est vers 11h30 que nous appareillons, pour faire le tour de la Jamaïque vers l’ouest puis le sud, jusqu’à rejoindre Kingston. Nous ne suivrons pas les conseils des Américains qui nous ont soulés avec Ocho Rios et Port San Antonio, leurs bains chauds naturels, leurs cascades, leur marinas de luxe… nous leur préférons la vie sauvage des îles désertes !

Nous saluons notre nouveau et dernier voisin arrivé dans la nuit.  
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Mardi 18 avril, bon anniversaire Nath ma soeur, nous partons vers les baies à l’ouest de la Jamaïque équipés d’un guide maritime qui a au moins 25 ans récupéré dans les échanges d’informations avec d’autres plaisanciers, et d’un guide touristique presque aussi vieux abandonné dans la bibliothèque « dépôt-échanges » de livres de la marina. Nous voilà bien armés pour l’aventure.

Nous quittons la grande Mo’Bay sous genaker. Nous ne savons pas encore si nous devrons tirer des bords ou si la brise s’établira rapidement en notre faveur. Nous avons 15 petits milles à parcourir, nous ne sommes pas pressés. Une fois sortis de la baie et longeant la côte nord, nous sommes stupéfaits par la hauteur du paquebot. Il dépasse les immeubles, certes pas très hauts mais tout de même. Ça nous rappelle la réplique du film « Bienvenus à bord » : « - ça ne bouge pas un paquebot, c’est comme un immeuble ! »

Entrée dans la baie de Lucy. 

Nous naviguons lentement mais à la voile, et sans devoir faire de virements de bords. Vers 15h30, nous pénétrons dans l’énorme baie de Lucea, « Lucy » pour les intimes (ils aiment les petits noms par ici). Un énorme hôtel marque l’entrée de la baie. Vers 16h00, nous mouillons l’ancre du coté opposé au village afin de rester protégés de la houle. Le village n’a pas grand intérêt, nous resterons à bord et je profiterai du calme plat pour offrir une sortie au drone libéré de son scotch de Cuba. Nous sommes entourés par les hautes montagnes illuminées par le coucher du soleil.

Couleurs du soir, très africaines. 

Nous veillons aux grains de fin de journée et nous en serons épargnés. La nuit nous sentons la thermique rafraichir à peine le bateau.

Mercredi 19, nous appareillons vers 10h00. Même scénario, genaker, petite brise et une quinzaine de milles devant nous. La brise s’active davantage vers midi, cela tombe bien, nous naviguons vent arrière. Lorsque nous doublons le Cap North West (ou Pedro Point), nous devons éviter les bouboules (des petites bouteilles plastiques à peine visibles) des casiers des pêcheurs, cela faisait longtemps que nous ne jouions à ce jeu.

Cape North West. 

Coté côte, une succession de belles villas surplombent la falaise dominée par les montagnes en arrière plan. 15h00, nous mouillons l’ancre dans la somptueuse et tristement nommée Bloody Bay. A vrai dire, ce n’est pas une baie, mais un lagon. Nous devons passer au dessus du récif, le sondeur annonce souvent 3 mètres, nous serrons les dents jusqu’au point de mouillage. L’eau est cristalline, et chaude, trop chaude avec ses 32 degrés Celsius. Nous plongeons tout de même pour vérifier l’ancre. Elle est posée sur de l’herbe bien grasse au milieu de quelques coraux, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux mais nous ne voulons pas nous aventurer trop près de la côte. Nous poursuivons nos brasses jusqu’au petit îlot entouré d’énormes coraux, lieu idéal pour jouer à cache-cache avec les poissons qui semblent ne pas avoir trop l’habitude de voir des intrus dans leur milieu.

Le mouillage est une merveille. 

La pointe rocheuse de la baie, surplombée de belles maisons colorées, est poursuivie par une longue plage de sable blanc bordée par de moches hôtels et une enfilade d'échoppes à touristes d’où l’on peut entendre du Bob Marley mais en moins bien, le chanteur fait ce qu’il peut. Nous n’avons pas le temps de revenir au bateau qu’un grain nous tombe dessus. Heureusement nous avions tout fermé a bord, ce n’est pas toujours le cas. MedioVaS disparaît sous les grosses gouttes le temps du nuage.

De retour à bord, le ciel prend à nouveau teintes particulières. Une partie de la baie est noire, l’autre est sous le soleil, que va-t-il nous arriver ? Vous connaissez la chanson des scouts « Un jour la trop campa aaa, la pluie se mit à tomber bbb, le vent a tout cassé abcd …. » C’est un peu ce qui nous est arrivé. Nous veillons depuis le cockpit, le ciel est noir, le vent frais s’est levé et nous entendons un flap-flap assez violent dans la mature. Oh nooooon, c’est le genaker ! Mal roulé ou trop vieux … une partie de la toile vole au vent dans les hauts. Nous l’affalons aussitôt, moi à l’avant et Yves au winch. J’ai du mal à le retenir, il est déchire, triste constat lorsque nous le ramenons au cockpit. C’est notre voile fétiche, elle nous a fait gagner la régate Charlie-Tango de Mayotte quand même ! Nous le ferons sécher le lendemain matin afin de pouvoir la ranger définitivement dans son sac après six belles années de navigation, une grosse larme à l’oeil. C’est fou comme l’on peut s’attacher à une voile.

ADIEU. 

Bloody Bay se situe au nord du Cap Negril et de Long Beach. C’était, avant que le tourisme de masse apparaisse dans les années 70, l’endroit rasta et hippie de l’île. La baie offrait un bon abris aux pirates pendant l'ère coloniale. Elle fut également le point de rassemblement de l’Armada britannique lors de la guerre en 1812 entre Britanniques et Américains. Mais la baie tient son nom de l’activité principale pratiquée ici au XIXè siècle : le dépeçage des baleines chassées.

Un nouveau genaker devant nous ? 

Le drone rangé et le genaker dans sa soute, nous appareillons le jeudi 20 vers 10h00. Dans cette partie de l’île, le vent dominant vient du sud, là où nous allons. C’est le moteur qui tournera jusqu’au cap. Le génois devra faire des efforts ensuite pour être performant. Faut dire qu’il est presque neuf et fait d’un tissus plus léger que le précédent, nous en sommes particulièrement contents.

Nous avons atteint la côte sud de l’île, et donc le régime des thermiques change à nouveau, nous reprenons celui de Cuba, nord-est le soir virant au sud-sud-est à partir de midi. Nous devrons jouer avec ce nouveau régime éolien.


Cape Negril 

Le vent s’agite, l’entrée dans la baie de Savanna-La-Mar est délicate et les bouées citées sur notre carte inexistantes. Alors faut faire confiance au tracé et aux sondes de la carte électronique. Le vent et la houle nous poussent, faut passer entre les récifs de bâbord et tribord. Nous trouvons notre point de mouillage vers 16h00. Nous veillons aux grains, c’est son heure et nous n'y échapperons pas.

« Sav » de son petit nom est la plus grande ville de l’ouest de la Jamaïque et également la capitale de la province du Westmoreland. Alors nous allons y passer deux nuits pour descendre à terre, visiter et faire quelques provisions.

La matinée est calme, le drone se fait plaisir en survolant le somptueux récif. En fin de matinée, nous allons à terre. MiniVaS doit traverser l'énorme lagon et parcourir presque deux milles pour arriver en ville. Mais rien ne l’effraye. Yves nous dirige vers les embarcations des pêcheurs lorsque nous voyons au loin un bras s’agiter, c’est bien pour nous. Changement de cap, en route vers le bras en l’air. C’est Carlos qui nous accueille au pied de sa cabane-bar. Un gros pneu est là pour hisser MiniVaS dessus afin de le protéger de la roche. Les gros bras nous aide et Carlos nous assure que l’annexe sera bien surveillée. Nous pouvons partir tranquilles.

A peine sortis de son bar, nous plongeons dans un gigantesque marché de fruits, légumes et évidemment poissons. La Jamaïque se considère davantage comme une île africaine, et nous comprenons pourquoi. Nous sommes un peu comme en Tanzanie. Nous nous dirigeons vers la route principale autour de laquelle s’organise la ville. Le marché se poursuit tout le long. Il n’y a rien à visiter, c’est l’ambiance qui est belle. Ce marché doit bien nourrir toute l'île !? Et tous les jours.

Ah si, il y a quand même les ruines d'un fort. 
Des églises et le Palais de justice. 

Nous revenons sur nos pas à la recherche d’une petite guinguette pour déjeuner. Ce que Google map propose virtuellement n'existe pas vraiment dans la réalité, alors nous devons chercher, suivre les gens qui transportent leur plat. C’est devant le bar de Carlos que nous trouvons une autre cabane avec une grande table. Derrière une petite porte, Madame la Chef a ses marmites qui chauffent.

Elle nous compose deux grandes assiettes de poulet frit et poulet braisé accompagnés de toutes sortes de légumes. Les assiettes sont tellement bien remplies que nous devons demander une boîte pour emporter les restes, nous ne voulons pas laisser un si bon repas derrière nous. Nous terminerons par une consommation chez Carlos, nous lui devons bien cela pour la bonne surveillance de notre annexe.

Samedi nous serons à Pedro Bay et dimanche à Carlisle. Navigation toujours identique au rythme de la thermique, départ vers 09h00 au moteur, la brise se lève doucement vers 10h00. Nous déroulons les voiles, tirons un ou deux bords en attendant que la thermique nous soit favorable en direction. Elle augmente en force au fur et à mesure de la journée, et se termine par un grain (ou pas) lorsque nous arrivons au mouillage. Nous sommes toujours entourés de montagnes, d’un petit village de pêcheurs d'où retentit de la musique et de quelques villas, certainement des chambres d’hôtes.

Pedro's Bay 

Parfois nous sommes entourés par une groupe de dauphins et parfois ce sont les Coast Guard qui nous abordent. Dimanche, alors que nous avancions très lentement, coincés dans les sargasses (toujours notre calvaire), nous voyons les Coast Guard au loin. Ils viennent très clairement vers nous. Nous assistons, aux jumelles, à la mise à l’eau d’une plus petite embarcation qui vient à fond sur nous. Pas d’appel radio, nada, ils veulent nous aborder. Nous préparons des défenses et roulons le génois.

Nous voyons que le pilote galère un peu et nous craignons pour notre coque beaucoup moins épaisse que la sienne. Une jeune fille et un jeune homme montent à bord, leur embarcation restant toujours à couple. C’est très clairement un exercice pratique pour ce jeune équipage. La fille nous montre son bel appareil dentaire de jeune ado à chaque sourire qu’elle nous offre. Un formulaire de routine rempli, le « Mother vessel » qui tourne autour de nous les appelle, la mission est terminée. Je préfère les dauphins.

C’est notre dernière escale dans les baies de la partie ouest et sud de l’île. Nous allons bientôt attaquer un autre décor. La météo pour traverser vers la Colombie ne s’améliorant pas, nous avons le temps de traîner sur ces eaux de rêve.

Un petit film pour finir

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La suite du périple jamaïcain. 

Lorsque nous avons envisagé la Jamaïque comme escale, nous ne voulions pas nous y attarder. Nous entendions souvent parler de l’insécurité de l’île, le prix du permis de croisière nous paraissait plutôt élevé, le tout avec un tourisme américain trop important… Donc nous envisagions plutôt une escale statique (sans permis de croisière), à Montego Bay, pour attendre une bonne fenêtre météo. Mais en naviguant dans le guide archi-vieux, même les photos des îlots en blanc et noir nous ont fait rêver. Alors, nous avons décidé d’aller les voir en couleurs.

Nous devons d’abord doubler un cap : Portland Point et ses cayes. Mardi 25 avril, bon anniversaire Papa, nous partons vers 09h30. J’essaye d’appeler mon père, pour sa fête, mais en vain. Un peu triste, j’envoie un petit mail et espère le contacter plus tard.

Un jour ressemblant à un autre, nous sortons de notre baie au portant et attendons la thermique du sud, pour contourner le cap et ses îlots mal famés, puis embouquer le chenal. Nous arrivons à tout faire sous voiles jusqu’à atteindre notre mouillage vers 16h00, dans un petit creux entre les récifs de Big Half Moon Cay.

Petite cabane de pêcheur sur sa petite soeur, Small Half Moon Cay 

Le lieu semble magique. Un pêcheur nous aborde pour nous vendre du poisson, que nous refusons, nos cales sont pleines. Au coucher du soleil, c’est une bande de jeunes festoyant sur la plage qui vient en groupe sur une kwassa-kwassa pour nous faire compliment de notre voilier… et nous demander des boissons (alcoolisées évidemment).

Les visites de la journée, toujours sympathiques et courtois, c'est à dire "non-insistants". 

Nous passerons la journée suivante dans l’eau, le long des récifs. C’est un peu décevant, d’ailleurs, car les coraux ont bien soufferts de l’eau chaude et des cyclones. Nous tenterons un petit barbecue sur la plage avec notre super-kit-BBQ-jetable acheté hier matin au Canada ! Avec un peu de patience, le poulet sera quand même cuit à point. Le feu aillant bien du mal à prendre sur les charbons de bois, nous essayons notre truc habituel en trempant un papier dans la nourrice du hors-bord, puis nous ajoutons des algues sèches qui parsèment la plage. Le poulet en retiendra un petit assaisonnement aux sargasses. Le drone, lui, s’éclatera en volant au dessus de si belles couleurs.

Le réseau téléphonique étant inexistant dans ce petit paradis, nous décidons de nous rapprocher de la côte et partons le jeudi vers Manatee Bay. Le nom me laisse rêveuse, verrais-je enfin des manatee (dugong) ? Je sais, Yves les nomme « gros trucs moches », mais il a quand même repéré la baie et l’a incluse dans le plan de traversée. Certes, ce n’est pas un dauphin très élégant, pourtant j’aimerais tellement voir ces brouteurs des mers en action.

Jeudi, nous partons donc avant 09h00. Nous profitons d’une belle navigation, tantôt au portant, tantôt au près, en évitant tous les dangers de la zone. Mais une fois proche de la baie, le réseau n’est pas plus vaillant. Je pourrais joindre mon père plus tard, ce n’est pas urgent. Mais il faut du signal pour prendre nos fichiers météo et préparer notre entrée en Colombie, qui se fait par l'intermédiaire d’un agent. Yves attend des nouvelles de ce dernier, par mail.

Quand le cocotier essaye de cacher l'usine ... 

Nous rebroussons chemin, encore du près et du portant, nous contournons à nouveau tous les petits îlots pour arriver à Salt River Island. Il paraît qu’il y a des crocodiles… entre croco et manatee, mon coeur balance. C’est un petit îlot protégé par une dense mangrove et entourant un tout petit lagon. Nous ne lancerons pas MiniVaS s’aventurer dans la fosse aux crocos, ses boudins qui commencent à souffrir ne supporteraient par les traces de dents. En tous cas, le réseau fonctionne très bien et pouvons passer nos coups de fils, recevoir nos mails.

Pêche et réunion syndicale des pêcheurs (silencieuse) en soirée. 

Une vedette toute rouge, enfoncée dans la mangrove, quitte son poste et vient vers nous. Pêcheurs, Coast Guard, touristes ? Ni l’un ni l’autre, c’est la Police des Pêches. Comme ils essayent assez mal de nous aborder, nous serrons les dents en voyant son étrave frôler notre coque bien plus fragile que la sienne. Il nous demande de déplacer nos défenses sur bâbord pour qu’il vienne sous notre vent. Nous ne savons pas si rire ou hurler. Yves lui explique sur un ton énervé que nous sommes au mouillage, qu’il n’y a donc pas de bord sous le vent, ou plutôt que celui-ci change à chaque instant, que le vent est toujours devant nous, tout en montrant la girouette en tête de mat, pile dans l’axe. Il finit par leur donner les documents du bateau à bout de bras pour que, par pitié, ils arrêtent leurs manoeuvres vouées à l’échec. Cela se termine par une photo du document, qu’il parviendront ensuite à nous rendre sans dégâts. Après une longue conversation à la radio avec leur autorité, nous ne les reverrons plus, ouf.

Nous quittons une zone portuaire mais avec du réseau ! 

Vendredi, c’est Pigeon Island que nos visons… en espérant un peu qu’il n’y ait aucun pigeon dessus. Nous tirons un long bord au vent de deux gros cargos au mouillage. La mer est plate, la brise toute douce, nous avons tout le temps pour parcourir les quelques milles qui nous séparent des pigeons redoutés et autres oiseaux plus tropicaux. L’endroit est somptueux. Nous nous attendions, comme le décrit le guide, à être entourés de Jamaïcains faisant la fête chaque week-end. Mais le lieu a du être abandonné pour un autre. Seul vestige de cette époque : un bar en bambou et des bouteilles vides.

Ces tous petits îlots ont souvent un lac quelques part, drôle d'idée.  
Pas difficile de faire de belles photos. 

En fin de journée, c’est la police qui vient nous rendre visite. Pas de contrôle de documents cette fois-ci. Ils veulent juste savoir si tout va bien, si l’on se sent en sécurité, seul au mouillage désert. Rassurant ou pas ?

Toujours pas de fenêtre météo pour une traversée en toute sécurité, les alizés ne veulent pas se calmer. Notre visa expire le 12 mai et, en juin, c’est la saison cyclonique qui ouvrira ses portes. Nous nous impatientons un peu !

Mais bon, nous ne pouvons pas y faire grand chose, à part nous rapprocher de Kingston. Ainsi, en cas de changement météo, nous pourrons toujours faire notre sortie auprès des autorités et filer vers le sud.

Dimanche, nous appareillons tôt, vers 06h00, juste après le lever du jour. Dès 08h00, ce sont les voiles qui nous portent. Lorsque nous remontons le chenal de Kingston, nous voyons pleins de petits îlots qui nous appellent. Impossible de fermer les yeux et de se boucher les oreilles. Avons-nous vraiment besoin d’embouquer la grande rade si tôt ?

Yves se plonge dans le guide et, hop ! Nous virons de bord et faisons demi-tour pour retrouver le groupe de plaisanciers et touristes qui s’agglutinent sous le vent de la toute petite île de Maiden, un gros banc de sable à vrai dire. Nous trouvons un point de mouillage dans 7 mètres d’eau, sans mélanger notre ancre avec celles des autres. Il n’y a pas la moindre trace d’ombre sur l’ilot. En revanche, chaque bateau diffuse sa propre musique, un bon mélange de styles… dont aucun n’est vraiment attirant. Nous devions manquer de compagnie pour venir admirer tout cela ! Malgré le vent et la houle au large, le récif nous protège bien et ne bougeons pas beaucoup. Ici, pas de drone. nous sommes trop proche de l'aéroport et le décollage du petit appareil est bloqué.

Il y a davantage de surface-bateau que de surface-île. 

Une fois le petit bout de sable libéré des aventuriers du week-end, nous déplaçons notre ancre et nous nous rapprochons de la plage. Les fonds remontent très vite, l’ancre mouille alors dans 13 mètres d’eau pour que notre cercle d’évitage exclue les haut-fonds, y compris quand le vent tournera, au milieu de la nuit.

Nous profitons de la tranquillité et faisons le tour de l’île, quelques pas suffisent !

Le petit îlot est bien dénudé sans les gros yacht. 

Le lundi matin, nous partons tôt, au cas où les touristes reviennent. Nous changeons un peu de décor, mais à peine. Drunkman Cay est plutôt couverte d’arbres à pélicans et de rochers. Son récif se termine par… une pointe de sable superbe. Nous nageons de l’autre coté de l’île en vue d’explorer une épave mentionnée sur le guide. En fait d’épave, d’énormes blocs d’acier rouillé font plutôt penser à des godets d’excavateurs géants. Qu’importe, nous avons nagé à loisir.

Le bonheur d'une longue nage et de revoir quelques bébêtes sous-marines. 

Après avoir fait le plein d’eau et bien profité d’un dernier long bain, nous virons la chine de l’ancre vers 16h00, direction Kingston. Nous tirons des bords dans 15 noeuds de vent, le plan d’eau frissonne à peine, c’est le genre de navigation de régatier qui fait plaisir.

Nous arrivons devant le Royal Jamaica Yacht Club, au pied de l’aéroport, vers 18h00. Nous sommes seuls au mouillage. Comme il est tard, nous signalerons notre présence le lendemain matin.

A bientôt  
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Après avoir fait le plein d’eau et bien profité d’un dernier long bain, nous virons la chaine de l’ancre vers 16h00, et filons direction Kingston. Nous tirons des bords dans 15 noeuds de vent, le plan d’eau frissonne à peine, c’est le genre de navigation de régatier qui fait plaisir.

Belle remontée de la rade de Kingston, avec des virements de bords entre les cargos au mouillage. 

Nous arrivons devant le Royal Jamaica Yacht Club, au pied de l’aéroport, vers 18h00. Nous sommes seuls au mouillage. Comme il est tard, nous signalerons notre présence le lendemain matin.

RJYC ! 

Ce Royal Jamaica Yacht Club, nous espérons bien qu’il soit royal. En attendant, nous avons un excellent réseau téléphonique. Yves compte une allocation Netflix fort généreuse sur son forfait. Nous entamons alors une série télé et profitons du calme lorsque le vent faiblit.

Vers 09h00, mardi 2 mai, Yves descend à terre pour demander notre inscription au club. C’est le même principe qu'à Mo’Bay : pour profiter des infrastructures, il faut devenir membre invité… en payant un droit d’accès quotidien. Nous pourrons ainsi plonger dans la piscine, faire tourner quelques machines pour notre linge, prendre des douches autant que l’on veut, se désaltérer au bar et laisser MiniVaS en sécurité au ponton, surtout quand nous sortons visiter les alentours. C’est un bon deal et beaucoup moins onéreux que de prendre une place à quai pour le voilier qui se trouve très bien au mouillage.

Un cadre bien différent pour une fois dans une marina. 

Nous commençons par l’essentiel : le linge pour Yves, MyAtlas pour moi et la piscine pour tout le monde. Au fait non, il n’y aura pas de piscine, elle est en traitement de choc, son eau a tourné au vert, la veille.

Ah oui, les crocos font partie des "members" ... mais nous n'en verrons pas. 

Le 4 mai, finie la paresse. Nous allons rendre visite au célèbre Bob Marley… mais cela se mérite. La marina est située sur la presqu’île de Port Royal, nous devons donc atteindre Kingston voir le nord de Kingston. Nous repérons l’arrêt du premier bus, à 20 minutes de marche du club. Nous sommes prêts pour cette petite marche au soleil, quand le petit bus de la CMU, la Caribean Maritime University, s’arrête et nous embarque. C’est un jour de chance : il nous dépose directement à l’arrêt de notre deuxième bus… qui arrive en même temps que nous. Nous descendons un quart d’heure plus tard pour un troisième bus que, moins de chance cette fois-ci, nous ne verrons jamais. Nous motivons nos petits pieds et nous marchons, longtemps. La route est longue, très longue : nous finirons en taxi ; Bob se mérite. Après avoir fait un détour par le stade Bob Marley, le chauffeur ayant compris Stadium au lieu de Museum, nous arrivons enfin au pied de sa célèbre maison-studio des beaux quartiers de Kingston. Nous dégustons une empanada avec une petite boisson fraîche, en attendant le départ de notre visite guidée à midi.

Bob a l'air heureux de nous voir. 

Notre guide pourrait être l’un des treize enfants Marley ; un vrai rasta. Dans la maison, il est catégorique, prendre des photos est interdit. Alors, nous nous imprégnons de l’âme de Bob, de sa musique, du sentiment religieux rastafariste… il ne manque plus que le pétard et l’ambiance enfumée.

Je vous présente notre guide, chanteur par moments. 

À chaque disque d’or ou de platine, qui tapissent presque tous les murs, le guide nous chante un morceau et tout le monde reprend en coeur. Plus de quarante ans après, tous se souviennent des paroles et des mélodies qui n’ont pas pris une ride.

Les pièces s’enchaînent : chambre, cuisine, studio d’enregistrement. Nous terminons la visite par la tristement célèbre pièce annexe où Bob, sa femme et son manager ont reçu des coups de feu, la veille de son concert à Kingston. La légende persiste, personne ne sait vraiment qui et pourquoi ; on parle d’intimidation politique…

Je trouve toujours un petit coin de belgitude en nous promenant. 

La tête remplie de reggae, nous partons maintenant vers le shipchandler. Il n’y en a qu’un dans l’ile, mais ce n’est pas n’importe lequel. Encore une légende locale, encore une destination qui se mérite : Kingston est vaste ! Aucun bus ne pointant son nez, nous partons à la recherche de ce magasin mystère à pieds ; nous nous offrons ainsi une bonne heure de marche. Nous arrivons devant ce qui parait une banale maison particulière, dans les hauteurs de la ville, avant d’apercevoir des cordages sur la terrasse et une grande grille de fer forgé tout autour. Nous ouvrons la petite porte. Cela ressemble bien à la description qu’Yves en avait reçu : un vieil homme assis sur son tabouret, symbolisant le million de dollars d’un stock unique dans la région, un type plus jeune devant la caisse et des pièces de rechange partout, dans un dédale de pièces que l’on parcourt seul.

En voici un tout petit échantillon. 

Nous venions chercher une petite pièce de plastique qui maintient fermée la porte du congélateur. Je lui montre notre bitonio cassé : il tend la main, ouvre une boite et me sort la pièce magique. Enfin, la porte sera réparée. Yves entame une discussion avec le propriétaire, lui racontant qu’il est une légende chez les plaisanciers aux Caraïbes. Il nous invite à nous promener librement dans son magasin. Incroyable : je n’ai jamais vu autant de stock. Chaque pièce de la maison abrite un domaine particulier : plomberie, hélices, tissus… mais pas de pavillon colombien, ni de pavillon tout court. Nous sommes raisonnables et n’achetons rien plutôt que tout !

Un peu de Dowtown. 

Nos pieds sont motivés et nous repartons à pied vers downtown, par définition ça descend ! Mais, après une bonne marche, un « dala-dala » bondé s’arrête (nous parlons toujours de ces minibus en utilisant leur nom en swahili, souvenir de Tanzanie). Comme il va à peu près au même endroit que nous, il nous évite une très longue marche, pour un tout petit billet. Nous descendons à proximité du front de mer et nous poussons notre visite.

Il est plus ou moins 16h00, un petit restaurant et sa terrasse sur pilotis nous fait de l’oeil. L’heure du dîner est encore loin mais nos estomacs sont affamés. Haut-perchés, nous arrivons presque à voir MedioVaS, de l’autre côté de la baie. Nous voyons aussi d’autres mâts autour de lui, il a du se faire de nouveaux copains.

La nuit tombe en attendant notre bus. La musique sort de partout alors que certains rentrent chez eux après une journée de travail

Le retour aura lieu en bus. Cette fois-ci, suivant les conseils d’une dame, nous patientons sagement pendant 45 minutes et il finit en effet par arriver, dans la nuit noire. Pas besoin de changer de bus, il nous dépose directement devant le chemin qui mène à la marina.

Bonheur. 

Nous passons un vendredi tranquille, en surveillant les fenêtres météo et en profitant de la piscine, enfin ! Nos pieds sont bien heureux. Samedi soir, nous dinerons à bord du bateau américain mouillé à côté de nous. C’est un Formosa 51: un ketch au dessin romantique, star des années 70-80, qui apparaît dans le film Captain Ron. C’est une grosse baille de 24 tonnes que nous sommes ravis de visiter ; tout en se demandant comment on fait pour entretenir une vache pareille, pleine de bois précieux. Ils partent le lendemain vers le Guatemala, pour chercher l’abri du Rio Dulce.

Dimanche, nous allons à l’aéroport. C’est à nouveau notre copain du petit bus de la CMU qui s'arrête pour nous et fait même le détour jusqu'à l’aéroport où nous attend une voiture de location.

Nous l’avons réservée pour deux jours et nous sommes bien déterminés à en profiter. Pour autant, la météo annonce de la pluie dans l’après-midi, alors nous nous limiterons aux courses et à un petit tour en ville.

La Jamaïque pratique des prix à l’américaine, nous ne prenons donc que l’essentiel de la nourriture. Les caddies sont petits, nous réussissons à nous limiter aux quatre sacs emportés. Le congélateur, fraichement dégivré puis équipé de sa porte réparée, est prêt à accueillir quelques victuailles pour notre traversée. Les légumes frais et les fruits sont également les bienvenus.

Nous déposons tout cela au bateau et continuons vers Port Royal, le village historique situé au bout du bout de notre presqu’île.

Alors que ce village semble presque sans intérêt, son histoire est riche : Port Royal était la capitale des pirates des Caraïbes, mais également le centre de la puissance de la flotte britannique des Indes de l’Ouest, pendant plus de 200 ans.

Vestiges de la grandeur de Port Royal. 

Les Britanniques s’installent sur cette pointe qu’ils nomment « Cagway » ou « The Point » en 1656. Ils bâtissent le Fort Cromwell, rebaptisé Fort Charles en 1660. Les britanniques financent très généreusement des corsaires, pour réaliser des raids contre la flotte espagnole et s’emparer de leurs possessions. Certains pirates célèbres ont vécu ici, comme Edward « Blackbeard » Teach, le fameux Barbe Noire. Henry Morgan, venu du Pays de Galles, s’installa ici et fit fortune comme corsaire. Plus tard, il devint un agent de la Couronne et même Lieutenant Governer de Jamaïque. À la fin de sa vie, il était l’un des plus grands planteurs de canne à sucre et fabriquants de rhum, en employant nombre d’esclaves africains, évidemment.

Port Royal était alors une ville florissante, comptant 8000 habitants et même les pirates les plus démunis y dépensaient l’agent de leurs prises, entre bars et bordels. Le commerce se développait de jour en jour. En 1683, on y trouvait forteresses, églises anglicanes ou catholiques, synagogue…

Mais à minuit, le mardi 7 juin 1692, trois tremblements de terre frappent l’île, chacun plus violent que le précédent. Les deux tiers de la ville sont engloutis et ne réapparaîtront jamais. L’onde de choc produite lève une vague énorme qui déplace le bateau Swan au centre de ce qui subsiste de la ville. Aujourd’hui, il ne reste qu’un petit îlot, vestige de la zone immergée, que l’on peut visiter en bateau-pêcheur. Les Britanniques n’en restent pas là. Ils réparent leurs murs défensifs, juste à temps pour repousser une invasion française, en 1694. La ville reprend son statut central dans le commerce. Durant le XVIIIè siècle, la guerre presque constante entre Anglais et Espagnols, ou Français et Hollandais, marque le début des 250 ans du mandat Port Royal comme quartier général de la Royal Navy pour les Indes de l’Ouest. L’arrivée de la paix, en 1815, signera la fin de l’époque glorieuse du chantier naval de Port Royal. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, un incendie détruira une bonne partie de la ville, la même année. Port Royal fermera définitivement son chantier naval en 1905, peu après l’arrivée de navires de guerre à vapeur.

Port Royal, petit port de pêche aujourd'hui. 

Après la visite de cette ville où, en effet, il ne reste plus grand chose, nous partons vers Kingston. Oui, il est encore tôt, nous avons débuté la journée de bonne heure. Nous irons d’abord visiter Emancipation Park, la fierté de New Kingston. Nous avons de la chance, c’est dimanche et la circulation est plutôt fluide, ce qui nous laisse bien le temps de nous adapter à la conduite à gauche. Bon, les taxis ne se privent pas de klaxonner si l’on ne démarre pas lorsque le feu opposé passe au rouge, c’est à dire avant que le nôtre soit vert. Une fois au parc, le ciel noircit et l’orage risque bien d’éclater. Alors, nous partons déjeuner au Burger King, à 400 mètres de là.

Emancipation Park 

Une fois la mal-bouffe ingérée, nous allons la digérer en nous promenant autour de la célèbre statue, "Redemption Song" (titre d'une chanson de Bob Marley), de 3 mètres de haut, réalisée en 2002, représentant un couple d’esclaves noirs fixant le ciel, le yeux tournés vers le paradis. Quelques mauvaises langues, des jaloux certainement, ont critiqués la taille des attributs masculins !

Nous poursuivrons notre chemin vers Trenchtown, berceau du reggae et du rocksteady. Cette parcelle de terrain appartenait à l’Irlandais Daniel Trench et pris d’abord le nom de Trench Pen. En 1920, face à l’explosion démographique, le quartier est acquis en 1930 par l’organisme KSCA, les HLM locaux, afin d’y créer de nouveaux logements. Trench Pen prend alors le nom de Trenchtown. Les premiers logements sont livrés l’année suivante dans la First Street et serviront de modèles pour les nombreuses autres rues. En 1951, l’ouragan Charlie détruit la plupart des bidonvilles de Kingston. La construction des logements de Trenchtown est alors accélérée pour permettre de reloger les habitants de la capitale, mais également pour faire face à l’exode massif de Jamaïcains, venus de la campagne chercher du travail en ville.

Les constructions sont simples : de petits immeubles en béton d’un ou de deux étages, organisé autour d’une cours, le yard, avec des équipements communs pour la cuisine et des bouches à incendie pour l’eau. Par manque de fonds, aucun système d’égouts ne sera construit. Les habitants sont surnommés les yardies, ce qui n’est pas vraiment un compliment. Ce surnom de Yardy devient synonyme de Jamaïcain, quand il est pauvre et immigré aux Etats-Unis, s’étendant parfois à tous les Caribéens.

L'extrême pauvreté des habitants et l’insalubrité des lieux sont, en 1960, le terreau d’une grande créativité musicale. C’est ici que naît le reggae en 1968. Bunny Wailer, du groupe The Wailers (groupe créé par Bob Marley), dira du quartier qu’il est le « Hollywood jamaïcain ». Mais Trenchtown n’évolue pas, il reste un ghetto où la pauvreté, le trafic de drogue et la criminalité sont extrêmement élevés. En 1970, la dangerosité du lieu augmente. Le quartier devient la scène des affrontements des deux partis politiques se disputant le pouvoir. Des gangs se forment, ralliés soit au PNP (People’s National Party, dirigé par le socialiste Manley) soit au JLP (Jamaican Labour Party, dirigé par le conservateur Seaga et soutenu par la CIA). Le centre de Trenchtown (les sept rues qui constituent le quartier originel) se situe entre deux quartiers voués chacun à un parti, ainsi qualifiés de « quartier-garnison ». Une véritable guerre s’installe, où les gunmen (hommes de main) de chaque parti se battent pour « acquérir » la moindre rue. L’état d’urgence sera déclaré en 1977, et police et armée, instrumentalisés par les partis, abusent de leur pouvoir pour réprimer les gangs. La violence va crescendo : en 1980, 800 jamaïcains trouvent la mort dans les affrontements entre gangs. Ces derniers prendront encore de l’importance, en se lançant dans le trafic de drogue et le trafic d’armes.

Aujourd’hui, le quartier est toujours réputé pour être le plus dangereux de Kingston et de la Jamaïque. Pourtant, un circuit touristique est organisé autour de la maison qui a vu grandir Bob Marley. Nous ne le suivrons pas, nous traverserons le quartier en voiture, sans s’y arrêter. Nous ne voulons pas faire partie des faits divers de la presse locale. La pauvreté est une triste réalité, l’insalubrité est criante, mais la musique berce le tout. Une ambiance fortement communautaire reste très perceptible, même à travers nos vitres fermées. Beaucoup de fresques décorent les murs, la plupart des petites rues sont barrées de troncs d’arbre, pour les rendre piétonnes. Pour un peu, on croirait apercevoir un musicien inventer ses morceaux, au coin d’une cour : « - Said I remember, when we use to seat, in the government yards, in Trenchtown » (No woman, no cry. Bob Marley). Nous ne pouvons pas être plus proche de la légende…

Le retour en fin de journée avec une belle lumière sur les quelques bateaux du mouillage. 

Lundi, nous allons élever un peu le niveau du plancher des vaches et traverser les Blue Mountains. Ce massif montagneux, occupant le tiers oriental de l’île, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous partons de bonne heure, avec tout ce qu’il faut dans nous petite glacière pour ne pas mourir de faim en route. Le but de la journée n’est pas d’aller escalader le Blue Mountain Peak, culminant à 2256 m. Nous n’aurons pas le temps et nous n’avions pas planifié ce treck. Alors nous traverserons la chaîne montagneuse par la fameuse route B1, décrite dans mon vieux guide comme « breathtaking » (à couper le souffle), mais impraticable en cas de fortes pluies. Alors, la première chose à faire est de surveiller la météo. Pffff, on se croirait sur un bateau ! Nous savons que le risque de pluie augmente fortement en fin de journée, nous devrons franchir tous les cols et nous trouver de l’autre côté du massif montagneux avant le milieu d'après-midi. Au retour, nous emprunterons ce que Google Map indique être une autoroute ; nous avons encore des doutes.

Première étape : traverser Kingston pour sortir de la ville par le nord et trouver la route B1. Nous la trouvons sans difficulté et, vu l’étroitesse de la route, nous ne nous sommes pas trompés. Très rapidement, nous enchaînons les virages en épingle à cheveux. Il faut éviter les voitures circulant en sens inverse vers la ville et les nids de poule, euh… d’autruche plutôt. Nous plongeons dans la forêt tropicale humide, une des plus riches des Caraïbes en plantes endémiques. Nous atteignons Gordon Town, par erreur. Oui, la B1 s’abreuve de petites routes secondaires dont les tailles ne sont pas très différentes de la route « principale ». Nous sommes donc au coeur de la région du café Blue Mountain, l’arabica le plus cher au monde. Apres un petit retour en arrière, nous retrouvons notre chemin.

Gordon Town  

Nous croisons plusieurs villages, tout au long de cette chaine montagneuse bien accidentée. C’est dépaysant, après avoir connu de semblables étendues à Cuba, mais sans aucun habitant. Un petit peu d’histoire ? En 1655, une expédition britannique (toujours eux) s’empare de l’île, encore peu peuplée. Les espagnols s’enfuient après avoir libéré leurs esclaves. Dispersés dans la jungle, ils créent des dizaines de villages secrets. Pendant un siècle et demi, ces zones serviront de cachette, lors des nombreuses révoltes des marrons. Les esclaves, d’abord autochtones Taïnos puis Africains, ont pu résister au système colonial, en établissant tout un réseau de pistes et de repaires dans cette région isolée. La forêt offrait aux marrons tout ce dont ils avaient besoin pour survivre. Ils ont développé de fortes associations spirituelles avec les montagnes, exprimées encore aujourd’hui à travers le rite religieux, la médecine traditionnelle ou la danse.

La splendeur des Blue Mountains 
Et l'humour jamaïcain au milieu de nulle part. 

Les pentes se font plus importantes et nous traversons Cooperage et Irish Town. Le premier tient son nom des habitants du deuxième village. Des Irlandais sont venus s’installer ici au XIXè siècle. Ils fabriquaient des tonneaux pour le transport du rhum et du café. Il y avait donc des coopers (tonneliers), à Cooperage, vivant dans le petit village de Irish Town.

Aujourd’hui, Irish Town tient sa réputation de l'hôtel de Strawberry Hill, très connu dans l’industrie de la musique : U2, les Rolling Stones, Stevie Wonder ou encore Sting y ont séjourné. Bob Marley lui-même fut hôte de ces lieux, en convalescence de sa blessure par balle. C’est incontournable, alors nous prenons la minuscule route fortement accidentée, pour aller prendre un verre ou un petit déjeuner. Une fois devant le beau portail, une gardienne sort de sa guérite. Après discussion avec son chef, elle nous apprend qu’il faut payer un droit d’entrée de 20 dollars par personne, auquel s’ajouteront nos consommations. Nous trouvons cela un peu déplacé, alors nous laisserons le resort derrière nous et profiterons d’une aussi belle vue sur Kingston depuis le village.

Recalés devant l'hôtel de Stawberry Hill, nous n'avons pas l'allure des Rolling Stones apparemment. 

Nous traversons Redlight (la lanterne rouge). Le nom des villages n’est jamais donné par hasard… C’était ici que nos amis tonneliers irlandais venaient se détendre et se divertir dans les nombreux bordels !

Notre courageuse voiture doit maintenant grimper dur et enchaîner les épingles à cheveux bien serrées, sans crever un pneu dans les trous, pour arriver au milieu d’un vaste camp militaire.

Newcastle et Catherine's Peak nous attendent. 

La route débouche directement sur la place d’armes où une section s’entraîne. C’est Newcastle. Sir William M Gomm fonde cette base militaire de montagne en 1841, pour les soldats britanniques.

Surprenant de pouvoir traverser ainsi en voiture et à pied un camp militaire.  

Devenu le centre d'entraînement de la Jamaica Defence Force, la route passe en plein milieu. Les bâtiments sont construits en terrasses taillées sur la montagne. Nous resterons un moment à regarder leur entrainement avant de repartir vers Catherine’s Peak. Il faut pour cela cheminer dans la base, puis, après vingt minute de route de montagne, nous constatons que la chaussée devient impraticable et potentiellement très glissante en cas de pluie. Nous poursuivons donc à pied pendant une bonne demi-heure pour atteindre le sommet. On dit que c’est Lady Catherine Long, épouse de Sir Henry Moore, gouverneur de Jamaïque et New York au XVIIIè siècle, qui aurait été la première à escalader ce sommet en 1760. Elle lui aurait ainsi laissé son nom.

Il y a aussi des virages serrés à pied. Vue sur Kingston et Newcastle. 

Bien en sueur, nous remontons dans notre carrosse. La route longe la montagne et l’on peut apercevoir le sommet John Crown. Des caféiers colonisent ses flancs.

Un plan de route trouvé sur internet annonce que, à partir de notre point, la route se fait plus délicate, surtout à cause des trous. Ah ? Pire qu’avant ? Soyons encore plus vigilants, alors.

Sommet John Crown et quelques caféiers. 

Nous avons loupé une des cascades, son accès se refusant à nous, pas question de rater la suivante, d’autant plus qu’il commence à faire faim… Une petite route cachée dans la forêt se détache de la nôtre, au panneau Avocat Primary School. Ouf, nous y arrivons. Une grille fermée par un gros cadenas enferme cette merveilleuse chute d’eau. Une femme apparait soudain, un gros trousseau de clés à la main. Ah, il faut donc payer un droit d’entrée ! En échange, nous sommes seuls à profiter de cet instant de magie, le chant de la cascade au milieu de la forêt des Blue Mountain. Pour digérer nos sandwiches, rien de tel qu’un plongeon dans l’eau glacée. Fish Dunn Waterfalls, c’est le bonheur ! Selon les locaux, le nom de la cascade provient du fait que c’est ici que se trouve le point le plus haut où l’on peut trouver des poissons avec écailles. Ils ne remontent pas plus haut.

Nous sommes parfaitement dans les temps, il ne reste plus qu’une vingtaine de kilomètres, qui se traduisent par une petite heure de conduite. Et nous voici de l’autre côté de la chaîne montagneuse : à Buff Bay. Nous revoyons la mer, traversée il y a trois semaines ; Cuba est de l’autre côté. Nous nous dégourdissons les jambes dans cette ville.

L'artiste-peintre du bar. 
Buff Bay fait peine à voir.  

Nous ne sommes pas très loin de Ocho Rios et Port Antonio, dont l’Américaine nous avait bassiné toute la soirée, à Mo'Bay. Nous ne les verrons pas, c’est trop long de revenir par la route côtière. Et puis, la mer, nous la voyons un peu tous les jours !

Joueur mais joli ! 

Nous prenons alors la fameuse A4 pour rentrer. Ça commence bien comme une autoroute mais, au moment de traverser les montagnes, c’est un peu plus joueur. Nous bouclons pourtant le retour en moins de trois heures. La drache nous arrose, mais une fois dans Kingston, ouf ! Les canalisations débordent rapidement, la route est inondée par endroits. Comme toujours, les averses tropicales ne durent jamais très longtemps, nous serons au sec avant de retrouver MedioVaS.

Nous ne sommes pas seuls sur "l'autoroute". 

Le lendemain, nous rendons la voiture de bonne heure. Maintenant, il faut vraiment trouver une fenêtre météo pour quitter la Jamaïque, avant que l’immigration nous jette dehors : nos visas expirent le 13 mai.

Et c’est justement le 12/13 mai qu’une fenêtre s’ouvre à nouveau après s’être fermée. Elle est comme cela la prévision météo, elle joue un peu avec nos nerfs : un coup c’est bien, puis elle tourne au vinaigre le lendemain. Mais vous connaissez le vieux dicton du marin pécheur breton : « qui trop écoute la météo, perd sa vie au bistrot ». Pour nous c’est plutôt à la piscine de la marina… honnêtement, c’est très agréable, et il y le bar de la piscine pas loin !

Yves avertit donc la marina que nous envisageons de partir le 12 dans l’après-midi, et de tout prévoir pour boucler les formalités de sortie ce jour-là. Un petit malentendu ou une interprétation très libre, l’immigration vient le 11 vers 10h00 du matin et la douane vers 17h00. A priori, cela ne leur pose pas de problème, nous pourons rester un jour de plus après les coups de tampon.

Le 12 … c’est un vendredi, le 12 ? Même un Breton n’appareille jamais un vendredi, météo ou pas ! Mais nous avons un plan très marine : faire semblant de ne pas partir, en allant passer la nuit sous le vent de l’un des splendides petits îlots, à la sortie de la rade, et appareiller réellement le 13 (c’est un samedi le 13, hein, faut pas pousser !).

Nous envisagions de faire le court trajet en fin de journée, après les formalités, mais celles-ci étant faites, nous décidons de partir dans la matinée du vendredi donc.

Enfin, c’est ce que nous décidons, mais MedioVaS a un autre plan. Superstition ou dolence jamaïcaine ? Au moment de démarrer le moteur, la batterie fait le mort. Pas un bruit, même pas le fameux clic du relais collé, notre démarreur possède une commande électronique. De fait, la batterie ne fait pas le mort : elle est morte ! Cette vaillante batterie nous avait bluffés, en survivant à quatre ans de nos innombrables mouillages, alimentant moteur et guindeau, même par les températures pré-polaires de l’Amérique du Nord, du Canada à la Floride (si si, la Floride : 0 degrés en Floride, à Noël). Pas question de partir dans ces conditions, au risque de ne pas pouvoir démarrer le moteur en mer ou à l’arrivée. Et puis, cette batterie, nous savions bien qu’il fallait la remplacer… Autant profiter de la proximité de la ville, Yves prend son courage à deux mains et retourne à la marina pour se renseigner et en trouver une nouvelle. La chance lui sourit, un gars le conduit en voiture à la station essence du bout de la digue, où ils en vendent. Même pas besoin de bus. Presque pareil au retour, après avoir vu le bus lui filer sous le nez : il dépense la monnaie de la batterie neuve contre une course en taxi « informel ». Le conducteur se moque de lui car il ne négocie pas assez fort le prix du trajet. Que faire des petits billets locaux de toute façon ? Et puis, il ne faut pas contrarier la chance, c’est vendredi… soyons généreux envers le petit commerce, même au noir !

Pendant ce temps je prépare tout pour accueillir la nouvelle batterie. Tout se passe très bien et rapidement. La vielle batterie fera la joie du gardien de parking de la marina.

Toujours une surprise avant départ. 

Le moteur démarre au quart de tour et ronronne, les voiles se déroulent et nous filons, poussés par le vent vers Drunkman Cay et son épave (la « roche du mec bourré », qui est superstitieux ici ?).

La thermique souffle à plein poumon, nous sommes évidemment moins bien protégés que dans la rade, le clapot est bien présent ici. Nous devons plonger pour nettoyer la coque, c’est rapidement très inconfortable, mais nous avons fait le principal et elle n’était pas trop sale. Nous nous limiterons à l’essentiel plutôt que de finir assommer par la coque.

Ensuite, c’est au tour du moteur de MiniVaS de trouver son coffre. Quand à MiniVaS lui-même, nous l’arrimerons sur le pont en fin de journée, lorsque le vent sera fatigué.

Samedi matin, le 13 donc, tout est prêt. Nous partons tôt pour profiter de la fin de la thermique de la nuit, portante. Surtout nous souhaitons être loin de la côte lorsque la thermique du jour se lèvera, c’est une brise du sud qui renforce l’alizé. Nous ne voulons pas avoir le vent dans le nez.

Alors en route pour une traversée de la mer des Caraïbes, nord-sud...


Goob Bye Jamaïca ! 
16

Samedi 13 mai, nous appareillons à 05h30. La mer est calme et la brisounette du matin se renforce rapidement, passant du sud-sud-est à l’est. C’est parfait pour nous. Le génois prend vite un ris, nous naviguons au bon plein, filant 6 noeuds. Malgré une mer qui commence à s’agiter et MedioVaS qui commence à gîter, la navigation est confortable. Comme toujours, le premier jour d’une longue traversée, Yves nous prépare des spaghettis au pesto. Habituellement, c’est le repas du soir, mais mes papilles gustatives en rêvaient déjà à dix heures du matin.

Dans l’après-midi, le vent continue de forcir pour toucher les 16 noeuds. MedioVaS escalade les vagues entre deux gros creux, parfois il en rate une et tape sur la suivante. C’est le côté désagréable de cette mer des Caraïbes : les vagues sont très rapprochées.

Dans la nuit, nous arisons davantage le génois et la grand voile suit le même chemin. Malgré cette petite surface de toile, nous filons presque 7 noeuds dans 18 à 25 noeuds de vent, toujours au bon plein. Ça va secouer pas mal, dans cette mer agitée, avec une houle par le travers et un clapot qui fait n’importe quoi. Nous passons sur quelques vagues frôlant les quatre mètres ; c’est bien ce qui était annoncé. Évidemment, il y a toujours une ou deux vagues dans la journée qui s’invitent à bord, me laissant trempée. Heureusement Popov est toujours aussi formidable à la barre !

Non non, il ne pleut pas, c'est de l'eau salée, nous l'avons goûtée. 

Dimanche, nous jouerons avec les voiles : un peu plus de toile, un peu moins de toile… Le vent ne faiblit pas, la mer grossit, le soleil joue à cache-cache derrière les nuages. MedioVaS se réjouit, nous avançons très bien sur notre route.

Or, surprise, vers 15h00 le vent commence déjà à tourner au nord ; ceci est parfait pour notre route. Nous pouvons naviguer en gardant un seul ris sur nos deux voiles, travers au vent. Cela durera peu : la nuit tombe et le nord nous quitte. Il joue un peu avec nos nerfs, en variant pendant toute la nuit, en direction comme en force. Quant à la mer, elle ne change pas, toujours aussi agitée.

Lundi, même scénario : une mer très agitée, un vent établi à 17 noeuds, soufflant en rafales à 25, les voiles sont pleines de ris ! Évidemment, plus nous avançons vers le sud, plus la mer s’agite et les vagues grossissent. Nous rencontrons le courant équatorial, des effets de côtes, des grains, enfin une belle popote.

Et quand un cargo s'annonce, c'est droit sur nous qu'il se dirige. Ils sont sympas et passent souvent derrière MedioVaS. 

Mais nous ne sommes pas partis à l’aveugle. Même si notre visa jamaïcain touchait à sa fin et que nous devions partir, cette fenêtre météo mouvementée en début doit pourtant nous conduire vers une accalmie. Et elle est bien là ! Vers 15h00, Eole nous offre du repos, ne soufflant plus qu'à 10/13 noeuds. La mer suit le mouvement et se calme doucement. Le nord-nord-est s’installe sérieusement, nous pouvons naviguer travers au vent et, ayant fait route vers le sud-est, nous pouvons même revenir sur notre route au vent arrière. Evidemment nous perdons en vitesse.

Les voiles ouvertes en grand, quelques surfs nous propulsent vers le sud, enfin un peu de confort.

Les premières lumières de la côte colombienne remplacent la magnifique traînée bleue laissée par MedioVaS dans le plancton bioluminescent.

Il est temps de hisser le beau pavillon colombien fait "bateau". 

En zoomant sur la carte, je m’aperçois que je suis dans une zone d'entraînement pour sous-marins : « surveillez la surface de l’eau ». Ça va être difficile en pleine nuit. Je sors de là au plus vite en tirant un bord vers la côte. J’aurai bien aimé voir un sous-marin en exercice, mais peut-être pas dans ces conditions.

Eole envoie son dernier souffle par le sud, ce qui ne nous arrange pas du tout. Puis il décide de nous abandonner complètement. Allez les chevaux, au boulot ! Mais pas trop vite, nous approchons et, vous savez quoi : il fait nuit noire, même la lune a déserté.

Yves contacte le Port pour demander la permission d’emprunter le chenal de Boca Chica. Ce chenal est plutôt étroit mais il est bien balisé et surtout il est bien profond. Choisir ce chenal des cargos a rallongé notre route, mais l’autre entrée dans la baie de Cartagena se fait par Boca Grande, une passe entre deux bouées, au-dessus d’un mur sous-marin qui s’affaisse à cet endroit-là. Comme la documentation n’est pas très claire sur les hauteurs d’eau, 3 ou 5m, nous tenterons donc cette porte-là une autre fois.

Permission nous est accordée en position numéro 3 : nous devons laisser passer deux cargos. Nous contournons ainsi l’île Terra Bomba et tous ses forts éclairés.

Mercredi 17 mai, il est 04h20, nous entrons dans la Bahía de Cartagena. Le jour ne devrait pas tarder à se lever. Le vent se réveille un peu, toujours de sud. Nous devons maintenant faire route au nord et nous enfoncer dans cette énorme baie entourée de raffineries, ports commerciaux, plages et rochers nombreux.

Les chevaux retournent à l’écurie pour laisser place aux voiles. J’avance lentement sur cette mer plate. Yves est reparti se reposer après m’avoir assistée pour le chenalage.

J’ai tout mon temps, il faut arriver au mouillage de jour et il ne reste que quelques miles à parcourir. Je vois des feux circuler dans tous les sens, ce sont les lanchas qui vont chercher les travailleurs d’un bout à l’autre de la baie.


Le soleil envoie ses premiers rayons sur les gratte-ciels de Boca Grande, j’ai l’impression de voir Manhattan.

À 05h30, le jour est levé. Je roule les voiles, le vent devenant très faible et très peu fiable en direction. Des cargos apparaissent au port commercial. Yves vient admirer l'arrivée.

Le mouillage du Club Nautico semble bondé, nous continuons dans le chenal qui va au Club de Pesca, après avoir contourné le magnifique trois-mats « Gloria », de l’Armada de la República de Colombia (ARC).

Gloria ARC 

Mercredi 17 mai à 06h20, l’ancre de MedioVaS fait tête devant le Club de Pesca, face aux fortifications de la ville de Cartagena de Indias, une escale très prometteuse.

La vue depuis notre mouillage. 


Nous avons décidé de rester quelques mois ici, le temps de la saison cyclonique qui théoriquement ne souffle pas en Colombie. Nous devons nous reposer un peu après cette longue année entre l'Atlantique Nord et le retour aux Caraïbes. MedioVaS aura besoin d'un très gros lifting pour ses 7 ans.

Je vais donc clore ce chapitre, et en ouvrir un nouveau.

Quelques secondes en film de la traversée, mais ce n'est pas la partie la plus pénible.

A bientôt !!!