Après avoir fait le plein d’eau et bien profité d’un dernier long bain, nous virons la chaine de l’ancre vers 16h00, et filons direction Kingston. Nous tirons des bords dans 15 noeuds de vent, le plan d’eau frissonne à peine, c’est le genre de navigation de régatier qui fait plaisir.
Belle remontée de la rade de Kingston, avec des virements de bords entre les cargos au mouillage. Nous arrivons devant le Royal Jamaica Yacht Club, au pied de l’aéroport, vers 18h00. Nous sommes seuls au mouillage. Comme il est tard, nous signalerons notre présence le lendemain matin.
RJYC ! Ce Royal Jamaica Yacht Club, nous espérons bien qu’il soit royal. En attendant, nous avons un excellent réseau téléphonique. Yves compte une allocation Netflix fort généreuse sur son forfait. Nous entamons alors une série télé et profitons du calme lorsque le vent faiblit.
Vers 09h00, mardi 2 mai, Yves descend à terre pour demander notre inscription au club. C’est le même principe qu'à Mo’Bay : pour profiter des infrastructures, il faut devenir membre invité… en payant un droit d’accès quotidien. Nous pourrons ainsi plonger dans la piscine, faire tourner quelques machines pour notre linge, prendre des douches autant que l’on veut, se désaltérer au bar et laisser MiniVaS en sécurité au ponton, surtout quand nous sortons visiter les alentours. C’est un bon deal et beaucoup moins onéreux que de prendre une place à quai pour le voilier qui se trouve très bien au mouillage.
Un cadre bien différent pour une fois dans une marina. Nous commençons par l’essentiel : le linge pour Yves, MyAtlas pour moi et la piscine pour tout le monde. Au fait non, il n’y aura pas de piscine, elle est en traitement de choc, son eau a tourné au vert, la veille.
Ah oui, les crocos font partie des "members" ... mais nous n'en verrons pas. Le 4 mai, finie la paresse. Nous allons rendre visite au célèbre Bob Marley… mais cela se mérite. La marina est située sur la presqu’île de Port Royal, nous devons donc atteindre Kingston voir le nord de Kingston. Nous repérons l’arrêt du premier bus, à 20 minutes de marche du club. Nous sommes prêts pour cette petite marche au soleil, quand le petit bus de la CMU, la Caribean Maritime University, s’arrête et nous embarque. C’est un jour de chance : il nous dépose directement à l’arrêt de notre deuxième bus… qui arrive en même temps que nous. Nous descendons un quart d’heure plus tard pour un troisième bus que, moins de chance cette fois-ci, nous ne verrons jamais. Nous motivons nos petits pieds et nous marchons, longtemps. La route est longue, très longue : nous finirons en taxi ; Bob se mérite. Après avoir fait un détour par le stade Bob Marley, le chauffeur ayant compris Stadium au lieu de Museum, nous arrivons enfin au pied de sa célèbre maison-studio des beaux quartiers de Kingston. Nous dégustons une empanada avec une petite boisson fraîche, en attendant le départ de notre visite guidée à midi.
Bob a l'air heureux de nous voir. Notre guide pourrait être l’un des treize enfants Marley ; un vrai rasta. Dans la maison, il est catégorique, prendre des photos est interdit. Alors, nous nous imprégnons de l’âme de Bob, de sa musique, du sentiment religieux rastafariste… il ne manque plus que le pétard et l’ambiance enfumée.
Je vous présente notre guide, chanteur par moments. À chaque disque d’or ou de platine, qui tapissent presque tous les murs, le guide nous chante un morceau et tout le monde reprend en coeur. Plus de quarante ans après, tous se souviennent des paroles et des mélodies qui n’ont pas pris une ride.
Les pièces s’enchaînent : chambre, cuisine, studio d’enregistrement. Nous terminons la visite par la tristement célèbre pièce annexe où Bob, sa femme et son manager ont reçu des coups de feu, la veille de son concert à Kingston. La légende persiste, personne ne sait vraiment qui et pourquoi ; on parle d’intimidation politique…
Je trouve toujours un petit coin de belgitude en nous promenant. La tête remplie de reggae, nous partons maintenant vers le shipchandler. Il n’y en a qu’un dans l’ile, mais ce n’est pas n’importe lequel. Encore une légende locale, encore une destination qui se mérite : Kingston est vaste ! Aucun bus ne pointant son nez, nous partons à la recherche de ce magasin mystère à pieds ; nous nous offrons ainsi une bonne heure de marche. Nous arrivons devant ce qui parait une banale maison particulière, dans les hauteurs de la ville, avant d’apercevoir des cordages sur la terrasse et une grande grille de fer forgé tout autour. Nous ouvrons la petite porte. Cela ressemble bien à la description qu’Yves en avait reçu : un vieil homme assis sur son tabouret, symbolisant le million de dollars d’un stock unique dans la région, un type plus jeune devant la caisse et des pièces de rechange partout, dans un dédale de pièces que l’on parcourt seul.
En voici un tout petit échantillon. Nous venions chercher une petite pièce de plastique qui maintient fermée la porte du congélateur. Je lui montre notre bitonio cassé : il tend la main, ouvre une boite et me sort la pièce magique. Enfin, la porte sera réparée. Yves entame une discussion avec le propriétaire, lui racontant qu’il est une légende chez les plaisanciers aux Caraïbes. Il nous invite à nous promener librement dans son magasin. Incroyable : je n’ai jamais vu autant de stock. Chaque pièce de la maison abrite un domaine particulier : plomberie, hélices, tissus… mais pas de pavillon colombien, ni de pavillon tout court. Nous sommes raisonnables et n’achetons rien plutôt que tout !
Un peu de Dowtown. Nos pieds sont motivés et nous repartons à pied vers downtown, par définition ça descend ! Mais, après une bonne marche, un « dala-dala » bondé s’arrête (nous parlons toujours de ces minibus en utilisant leur nom en swahili, souvenir de Tanzanie). Comme il va à peu près au même endroit que nous, il nous évite une très longue marche, pour un tout petit billet. Nous descendons à proximité du front de mer et nous poussons notre visite.
Il est plus ou moins 16h00, un petit restaurant et sa terrasse sur pilotis nous fait de l’oeil. L’heure du dîner est encore loin mais nos estomacs sont affamés. Haut-perchés, nous arrivons presque à voir MedioVaS, de l’autre côté de la baie. Nous voyons aussi d’autres mâts autour de lui, il a du se faire de nouveaux copains.
La nuit tombe en attendant notre bus. La musique sort de partout alors que certains rentrent chez eux après une journée de travailLe retour aura lieu en bus. Cette fois-ci, suivant les conseils d’une dame, nous patientons sagement pendant 45 minutes et il finit en effet par arriver, dans la nuit noire. Pas besoin de changer de bus, il nous dépose directement devant le chemin qui mène à la marina.
Bonheur. Nous passons un vendredi tranquille, en surveillant les fenêtres météo et en profitant de la piscine, enfin ! Nos pieds sont bien heureux. Samedi soir, nous dinerons à bord du bateau américain mouillé à côté de nous. C’est un Formosa 51: un ketch au dessin romantique, star des années 70-80, qui apparaît dans le film Captain Ron. C’est une grosse baille de 24 tonnes que nous sommes ravis de visiter ; tout en se demandant comment on fait pour entretenir une vache pareille, pleine de bois précieux. Ils partent le lendemain vers le Guatemala, pour chercher l’abri du Rio Dulce.
Dimanche, nous allons à l’aéroport. C’est à nouveau notre copain du petit bus de la CMU qui s'arrête pour nous et fait même le détour jusqu'à l’aéroport où nous attend une voiture de location.
Nous l’avons réservée pour deux jours et nous sommes bien déterminés à en profiter. Pour autant, la météo annonce de la pluie dans l’après-midi, alors nous nous limiterons aux courses et à un petit tour en ville.
La Jamaïque pratique des prix à l’américaine, nous ne prenons donc que l’essentiel de la nourriture. Les caddies sont petits, nous réussissons à nous limiter aux quatre sacs emportés. Le congélateur, fraichement dégivré puis équipé de sa porte réparée, est prêt à accueillir quelques victuailles pour notre traversée. Les légumes frais et les fruits sont également les bienvenus.
Nous déposons tout cela au bateau et continuons vers Port Royal, le village historique situé au bout du bout de notre presqu’île.
Alors que ce village semble presque sans intérêt, son histoire est riche : Port Royal était la capitale des pirates des Caraïbes, mais également le centre de la puissance de la flotte britannique des Indes de l’Ouest, pendant plus de 200 ans.
Vestiges de la grandeur de Port Royal. Les Britanniques s’installent sur cette pointe qu’ils nomment « Cagway » ou « The Point » en 1656. Ils bâtissent le Fort Cromwell, rebaptisé Fort Charles en 1660. Les britanniques financent très généreusement des corsaires, pour réaliser des raids contre la flotte espagnole et s’emparer de leurs possessions. Certains pirates célèbres ont vécu ici, comme Edward « Blackbeard » Teach, le fameux Barbe Noire. Henry Morgan, venu du Pays de Galles, s’installa ici et fit fortune comme corsaire. Plus tard, il devint un agent de la Couronne et même Lieutenant Governer de Jamaïque. À la fin de sa vie, il était l’un des plus grands planteurs de canne à sucre et fabriquants de rhum, en employant nombre d’esclaves africains, évidemment.
Port Royal était alors une ville florissante, comptant 8000 habitants et même les pirates les plus démunis y dépensaient l’agent de leurs prises, entre bars et bordels. Le commerce se développait de jour en jour. En 1683, on y trouvait forteresses, églises anglicanes ou catholiques, synagogue…
Mais à minuit, le mardi 7 juin 1692, trois tremblements de terre frappent l’île, chacun plus violent que le précédent. Les deux tiers de la ville sont engloutis et ne réapparaîtront jamais. L’onde de choc produite lève une vague énorme qui déplace le bateau Swan au centre de ce qui subsiste de la ville. Aujourd’hui, il ne reste qu’un petit îlot, vestige de la zone immergée, que l’on peut visiter en bateau-pêcheur. Les Britanniques n’en restent pas là. Ils réparent leurs murs défensifs, juste à temps pour repousser une invasion française, en 1694. La ville reprend son statut central dans le commerce. Durant le XVIIIè siècle, la guerre presque constante entre Anglais et Espagnols, ou Français et Hollandais, marque le début des 250 ans du mandat Port Royal comme quartier général de la Royal Navy pour les Indes de l’Ouest. L’arrivée de la paix, en 1815, signera la fin de l’époque glorieuse du chantier naval de Port Royal. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, un incendie détruira une bonne partie de la ville, la même année. Port Royal fermera définitivement son chantier naval en 1905, peu après l’arrivée de navires de guerre à vapeur.
Port Royal, petit port de pêche aujourd'hui. Après la visite de cette ville où, en effet, il ne reste plus grand chose, nous partons vers Kingston. Oui, il est encore tôt, nous avons débuté la journée de bonne heure. Nous irons d’abord visiter Emancipation Park, la fierté de New Kingston. Nous avons de la chance, c’est dimanche et la circulation est plutôt fluide, ce qui nous laisse bien le temps de nous adapter à la conduite à gauche. Bon, les taxis ne se privent pas de klaxonner si l’on ne démarre pas lorsque le feu opposé passe au rouge, c’est à dire avant que le nôtre soit vert. Une fois au parc, le ciel noircit et l’orage risque bien d’éclater. Alors, nous partons déjeuner au Burger King, à 400 mètres de là.
Emancipation Park Une fois la mal-bouffe ingérée, nous allons la digérer en nous promenant autour de la célèbre statue, "Redemption Song" (titre d'une chanson de Bob Marley), de 3 mètres de haut, réalisée en 2002, représentant un couple d’esclaves noirs fixant le ciel, le yeux tournés vers le paradis. Quelques mauvaises langues, des jaloux certainement, ont critiqués la taille des attributs masculins !
Nous poursuivrons notre chemin vers Trenchtown, berceau du reggae et du rocksteady. Cette parcelle de terrain appartenait à l’Irlandais Daniel Trench et pris d’abord le nom de Trench Pen. En 1920, face à l’explosion démographique, le quartier est acquis en 1930 par l’organisme KSCA, les HLM locaux, afin d’y créer de nouveaux logements. Trench Pen prend alors le nom de Trenchtown. Les premiers logements sont livrés l’année suivante dans la First Street et serviront de modèles pour les nombreuses autres rues. En 1951, l’ouragan Charlie détruit la plupart des bidonvilles de Kingston. La construction des logements de Trenchtown est alors accélérée pour permettre de reloger les habitants de la capitale, mais également pour faire face à l’exode massif de Jamaïcains, venus de la campagne chercher du travail en ville.
Les constructions sont simples : de petits immeubles en béton d’un ou de deux étages, organisé autour d’une cours, le yard, avec des équipements communs pour la cuisine et des bouches à incendie pour l’eau. Par manque de fonds, aucun système d’égouts ne sera construit. Les habitants sont surnommés les yardies, ce qui n’est pas vraiment un compliment. Ce surnom de Yardy devient synonyme de Jamaïcain, quand il est pauvre et immigré aux Etats-Unis, s’étendant parfois à tous les Caribéens.
L'extrême pauvreté des habitants et l’insalubrité des lieux sont, en 1960, le terreau d’une grande créativité musicale. C’est ici que naît le reggae en 1968. Bunny Wailer, du groupe The Wailers (groupe créé par Bob Marley), dira du quartier qu’il est le « Hollywood jamaïcain ». Mais Trenchtown n’évolue pas, il reste un ghetto où la pauvreté, le trafic de drogue et la criminalité sont extrêmement élevés. En 1970, la dangerosité du lieu augmente. Le quartier devient la scène des affrontements des deux partis politiques se disputant le pouvoir. Des gangs se forment, ralliés soit au PNP (People’s National Party, dirigé par le socialiste Manley) soit au JLP (Jamaican Labour Party, dirigé par le conservateur Seaga et soutenu par la CIA). Le centre de Trenchtown (les sept rues qui constituent le quartier originel) se situe entre deux quartiers voués chacun à un parti, ainsi qualifiés de « quartier-garnison ». Une véritable guerre s’installe, où les gunmen (hommes de main) de chaque parti se battent pour « acquérir » la moindre rue. L’état d’urgence sera déclaré en 1977, et police et armée, instrumentalisés par les partis, abusent de leur pouvoir pour réprimer les gangs. La violence va crescendo : en 1980, 800 jamaïcains trouvent la mort dans les affrontements entre gangs. Ces derniers prendront encore de l’importance, en se lançant dans le trafic de drogue et le trafic d’armes.
Aujourd’hui, le quartier est toujours réputé pour être le plus dangereux de Kingston et de la Jamaïque. Pourtant, un circuit touristique est organisé autour de la maison qui a vu grandir Bob Marley. Nous ne le suivrons pas, nous traverserons le quartier en voiture, sans s’y arrêter. Nous ne voulons pas faire partie des faits divers de la presse locale. La pauvreté est une triste réalité, l’insalubrité est criante, mais la musique berce le tout. Une ambiance fortement communautaire reste très perceptible, même à travers nos vitres fermées. Beaucoup de fresques décorent les murs, la plupart des petites rues sont barrées de troncs d’arbre, pour les rendre piétonnes. Pour un peu, on croirait apercevoir un musicien inventer ses morceaux, au coin d’une cour : « - Said I remember, when we use to seat, in the government yards, in Trenchtown » (No woman, no cry. Bob Marley). Nous ne pouvons pas être plus proche de la légende…
Le retour en fin de journée avec une belle lumière sur les quelques bateaux du mouillage. Lundi, nous allons élever un peu le niveau du plancher des vaches et traverser les Blue Mountains. Ce massif montagneux, occupant le tiers oriental de l’île, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous partons de bonne heure, avec tout ce qu’il faut dans nous petite glacière pour ne pas mourir de faim en route. Le but de la journée n’est pas d’aller escalader le Blue Mountain Peak, culminant à 2256 m. Nous n’aurons pas le temps et nous n’avions pas planifié ce treck. Alors nous traverserons la chaîne montagneuse par la fameuse route B1, décrite dans mon vieux guide comme « breathtaking » (à couper le souffle), mais impraticable en cas de fortes pluies. Alors, la première chose à faire est de surveiller la météo. Pffff, on se croirait sur un bateau ! Nous savons que le risque de pluie augmente fortement en fin de journée, nous devrons franchir tous les cols et nous trouver de l’autre côté du massif montagneux avant le milieu d'après-midi. Au retour, nous emprunterons ce que Google Map indique être une autoroute ; nous avons encore des doutes.
Première étape : traverser Kingston pour sortir de la ville par le nord et trouver la route B1. Nous la trouvons sans difficulté et, vu l’étroitesse de la route, nous ne nous sommes pas trompés. Très rapidement, nous enchaînons les virages en épingle à cheveux. Il faut éviter les voitures circulant en sens inverse vers la ville et les nids de poule, euh… d’autruche plutôt. Nous plongeons dans la forêt tropicale humide, une des plus riches des Caraïbes en plantes endémiques. Nous atteignons Gordon Town, par erreur. Oui, la B1 s’abreuve de petites routes secondaires dont les tailles ne sont pas très différentes de la route « principale ». Nous sommes donc au coeur de la région du café Blue Mountain, l’arabica le plus cher au monde. Apres un petit retour en arrière, nous retrouvons notre chemin.
Gordon Town Nous croisons plusieurs villages, tout au long de cette chaine montagneuse bien accidentée. C’est dépaysant, après avoir connu de semblables étendues à Cuba, mais sans aucun habitant. Un petit peu d’histoire ? En 1655, une expédition britannique (toujours eux) s’empare de l’île, encore peu peuplée. Les espagnols s’enfuient après avoir libéré leurs esclaves. Dispersés dans la jungle, ils créent des dizaines de villages secrets. Pendant un siècle et demi, ces zones serviront de cachette, lors des nombreuses révoltes des marrons. Les esclaves, d’abord autochtones Taïnos puis Africains, ont pu résister au système colonial, en établissant tout un réseau de pistes et de repaires dans cette région isolée. La forêt offrait aux marrons tout ce dont ils avaient besoin pour survivre. Ils ont développé de fortes associations spirituelles avec les montagnes, exprimées encore aujourd’hui à travers le rite religieux, la médecine traditionnelle ou la danse.
La splendeur des Blue Mountains Et l'humour jamaïcain au milieu de nulle part. Les pentes se font plus importantes et nous traversons Cooperage et Irish Town. Le premier tient son nom des habitants du deuxième village. Des Irlandais sont venus s’installer ici au XIXè siècle. Ils fabriquaient des tonneaux pour le transport du rhum et du café. Il y avait donc des coopers (tonneliers), à Cooperage, vivant dans le petit village de Irish Town.
Aujourd’hui, Irish Town tient sa réputation de l'hôtel de Strawberry Hill, très connu dans l’industrie de la musique : U2, les Rolling Stones, Stevie Wonder ou encore Sting y ont séjourné. Bob Marley lui-même fut hôte de ces lieux, en convalescence de sa blessure par balle. C’est incontournable, alors nous prenons la minuscule route fortement accidentée, pour aller prendre un verre ou un petit déjeuner. Une fois devant le beau portail, une gardienne sort de sa guérite. Après discussion avec son chef, elle nous apprend qu’il faut payer un droit d’entrée de 20 dollars par personne, auquel s’ajouteront nos consommations. Nous trouvons cela un peu déplacé, alors nous laisserons le resort derrière nous et profiterons d’une aussi belle vue sur Kingston depuis le village.
Recalés devant l'hôtel de Stawberry Hill, nous n'avons pas l'allure des Rolling Stones apparemment. Nous traversons Redlight (la lanterne rouge). Le nom des villages n’est jamais donné par hasard… C’était ici que nos amis tonneliers irlandais venaient se détendre et se divertir dans les nombreux bordels !
Notre courageuse voiture doit maintenant grimper dur et enchaîner les épingles à cheveux bien serrées, sans crever un pneu dans les trous, pour arriver au milieu d’un vaste camp militaire.
Newcastle et Catherine's Peak nous attendent. La route débouche directement sur la place d’armes où une section s’entraîne. C’est Newcastle. Sir William M Gomm fonde cette base militaire de montagne en 1841, pour les soldats britanniques.
Surprenant de pouvoir traverser ainsi en voiture et à pied un camp militaire. Devenu le centre d'entraînement de la Jamaica Defence Force, la route passe en plein milieu. Les bâtiments sont construits en terrasses taillées sur la montagne. Nous resterons un moment à regarder leur entrainement avant de repartir vers Catherine’s Peak. Il faut pour cela cheminer dans la base, puis, après vingt minute de route de montagne, nous constatons que la chaussée devient impraticable et potentiellement très glissante en cas de pluie. Nous poursuivons donc à pied pendant une bonne demi-heure pour atteindre le sommet. On dit que c’est Lady Catherine Long, épouse de Sir Henry Moore, gouverneur de Jamaïque et New York au XVIIIè siècle, qui aurait été la première à escalader ce sommet en 1760. Elle lui aurait ainsi laissé son nom.
Il y a aussi des virages serrés à pied. Vue sur Kingston et Newcastle. Bien en sueur, nous remontons dans notre carrosse. La route longe la montagne et l’on peut apercevoir le sommet John Crown. Des caféiers colonisent ses flancs.
Un plan de route trouvé sur internet annonce que, à partir de notre point, la route se fait plus délicate, surtout à cause des trous. Ah ? Pire qu’avant ? Soyons encore plus vigilants, alors.
Sommet John Crown et quelques caféiers. Nous avons loupé une des cascades, son accès se refusant à nous, pas question de rater la suivante, d’autant plus qu’il commence à faire faim… Une petite route cachée dans la forêt se détache de la nôtre, au panneau Avocat Primary School. Ouf, nous y arrivons. Une grille fermée par un gros cadenas enferme cette merveilleuse chute d’eau. Une femme apparait soudain, un gros trousseau de clés à la main. Ah, il faut donc payer un droit d’entrée ! En échange, nous sommes seuls à profiter de cet instant de magie, le chant de la cascade au milieu de la forêt des Blue Mountain. Pour digérer nos sandwiches, rien de tel qu’un plongeon dans l’eau glacée. Fish Dunn Waterfalls, c’est le bonheur ! Selon les locaux, le nom de la cascade provient du fait que c’est ici que se trouve le point le plus haut où l’on peut trouver des poissons avec écailles. Ils ne remontent pas plus haut.
Nous sommes parfaitement dans les temps, il ne reste plus qu’une vingtaine de kilomètres, qui se traduisent par une petite heure de conduite. Et nous voici de l’autre côté de la chaîne montagneuse : à Buff Bay. Nous revoyons la mer, traversée il y a trois semaines ; Cuba est de l’autre côté. Nous nous dégourdissons les jambes dans cette ville.
L'artiste-peintre du bar. Buff Bay fait peine à voir. Nous ne sommes pas très loin de Ocho Rios et Port Antonio, dont l’Américaine nous avait bassiné toute la soirée, à Mo'Bay. Nous ne les verrons pas, c’est trop long de revenir par la route côtière. Et puis, la mer, nous la voyons un peu tous les jours !
Joueur mais joli ! Nous prenons alors la fameuse A4 pour rentrer. Ça commence bien comme une autoroute mais, au moment de traverser les montagnes, c’est un peu plus joueur. Nous bouclons pourtant le retour en moins de trois heures. La drache nous arrose, mais une fois dans Kingston, ouf ! Les canalisations débordent rapidement, la route est inondée par endroits. Comme toujours, les averses tropicales ne durent jamais très longtemps, nous serons au sec avant de retrouver MedioVaS.
Nous ne sommes pas seuls sur "l'autoroute". Le lendemain, nous rendons la voiture de bonne heure. Maintenant, il faut vraiment trouver une fenêtre météo pour quitter la Jamaïque, avant que l’immigration nous jette dehors : nos visas expirent le 13 mai.
Et c’est justement le 12/13 mai qu’une fenêtre s’ouvre à nouveau après s’être fermée. Elle est comme cela la prévision météo, elle joue un peu avec nos nerfs : un coup c’est bien, puis elle tourne au vinaigre le lendemain. Mais vous connaissez le vieux dicton du marin pécheur breton : « qui trop écoute la météo, perd sa vie au bistrot ». Pour nous c’est plutôt à la piscine de la marina… honnêtement, c’est très agréable, et il y le bar de la piscine pas loin !
Yves avertit donc la marina que nous envisageons de partir le 12 dans l’après-midi, et de tout prévoir pour boucler les formalités de sortie ce jour-là. Un petit malentendu ou une interprétation très libre, l’immigration vient le 11 vers 10h00 du matin et la douane vers 17h00. A priori, cela ne leur pose pas de problème, nous pourons rester un jour de plus après les coups de tampon.
Le 12 … c’est un vendredi, le 12 ? Même un Breton n’appareille jamais un vendredi, météo ou pas ! Mais nous avons un plan très marine : faire semblant de ne pas partir, en allant passer la nuit sous le vent de l’un des splendides petits îlots, à la sortie de la rade, et appareiller réellement le 13 (c’est un samedi le 13, hein, faut pas pousser !).
Nous envisagions de faire le court trajet en fin de journée, après les formalités, mais celles-ci étant faites, nous décidons de partir dans la matinée du vendredi donc.
Enfin, c’est ce que nous décidons, mais MedioVaS a un autre plan. Superstition ou dolence jamaïcaine ? Au moment de démarrer le moteur, la batterie fait le mort. Pas un bruit, même pas le fameux clic du relais collé, notre démarreur possède une commande électronique. De fait, la batterie ne fait pas le mort : elle est morte ! Cette vaillante batterie nous avait bluffés, en survivant à quatre ans de nos innombrables mouillages, alimentant moteur et guindeau, même par les températures pré-polaires de l’Amérique du Nord, du Canada à la Floride (si si, la Floride : 0 degrés en Floride, à Noël). Pas question de partir dans ces conditions, au risque de ne pas pouvoir démarrer le moteur en mer ou à l’arrivée. Et puis, cette batterie, nous savions bien qu’il fallait la remplacer… Autant profiter de la proximité de la ville, Yves prend son courage à deux mains et retourne à la marina pour se renseigner et en trouver une nouvelle. La chance lui sourit, un gars le conduit en voiture à la station essence du bout de la digue, où ils en vendent. Même pas besoin de bus. Presque pareil au retour, après avoir vu le bus lui filer sous le nez : il dépense la monnaie de la batterie neuve contre une course en taxi « informel ». Le conducteur se moque de lui car il ne négocie pas assez fort le prix du trajet. Que faire des petits billets locaux de toute façon ? Et puis, il ne faut pas contrarier la chance, c’est vendredi… soyons généreux envers le petit commerce, même au noir !
Pendant ce temps je prépare tout pour accueillir la nouvelle batterie. Tout se passe très bien et rapidement. La vielle batterie fera la joie du gardien de parking de la marina.
Toujours une surprise avant départ. Le moteur démarre au quart de tour et ronronne, les voiles se déroulent et nous filons, poussés par le vent vers Drunkman Cay et son épave (la « roche du mec bourré », qui est superstitieux ici ?).
La thermique souffle à plein poumon, nous sommes évidemment moins bien protégés que dans la rade, le clapot est bien présent ici. Nous devons plonger pour nettoyer la coque, c’est rapidement très inconfortable, mais nous avons fait le principal et elle n’était pas trop sale. Nous nous limiterons à l’essentiel plutôt que de finir assommer par la coque.
Ensuite, c’est au tour du moteur de MiniVaS de trouver son coffre. Quand à MiniVaS lui-même, nous l’arrimerons sur le pont en fin de journée, lorsque le vent sera fatigué.
Samedi matin, le 13 donc, tout est prêt. Nous partons tôt pour profiter de la fin de la thermique de la nuit, portante. Surtout nous souhaitons être loin de la côte lorsque la thermique du jour se lèvera, c’est une brise du sud qui renforce l’alizé. Nous ne voulons pas avoir le vent dans le nez.
Alors en route pour une traversée de la mer des Caraïbes, nord-sud...
Goob Bye Jamaïca !