Nous quittons les Caraïbes pour un voyage vers le nord. Nous allons naviguer hors des alizés, dans le courant du Gulf Stream et du Saint Laurent. Découvrir les canaux, fleuves, lacs, ...
Avril 2022
365 jours
Partager ce carnet de voyage
1
Une nouvelle aventure commence ! 

Après une longue étude de la météo, une bonne fenêtre s’ouvre à nous. Nous aurons d’abord du vent du sud et de sud-est. Ensuite, nous rencontrerons les vents de nord-est et d’est, autour de l’anticyclone des Bermudes. Ce dernier doit se déplacer vers l’est, mais pas très vite. Nous devrons faire route un peu vers l’ouest si la dérive due au courant ne s’en est pas chargée, pour continuer la route avec le vent du sud-ouest vers les Bermudes. Tout cela est sur le Grib et il faut y croire. Je regarde aussi la tendance des courants : ça va un peu dans tous les sens et il vaut mieux se trouver au bon endroit pour ne pas devoir luter contre lui. Yves valide mes recherches et nous nous préparons pour un départ imminent.

Analyse approfondie ... 

Notre ami Robin part le vendredi 29 et nous le samedi 30 avril. Il est hors de question de partir un vendredi. En outre, samedi, nous aurons davantage de vent du sud. À 09h00, l’ancre quitte le sable chaud des Caraïbes. Nous passons au vent d’Anguilla, nous voulons rester le plus à l’est possible, un bruit court que le courant équatorial nord a une fâcheuse tendance à pousser les voiliers vers l’ouest, c’est à dire vers le courant du Gulf Stream. Une fois sorti du passage entre les deux îles, nous profitons du vent de sud-est pour faire route au nord-est, toujours cette envie d’être et de rester à l’est des Bermudes. Nous voyons l’AIS d’un catamaran HSX devant nous. Yves les contacte, peut-être ferons-nous route ensemble, du moins une partie ? Les catamarans sont généralement plus rapides que nous. Mais non, ils déclarent se rendre aux Canaries « en route directe ». Yves est dubitatif, il n’y a pas de route directe contre les Alizés… Peut-être devront-ils monter un certain temps vers les Bermudes !

L'AIS  permet aussi de se faire des amis en route, et de se sentir moins seul parfois.

En soirée nous roulons le genaker, le génois tout neuf prend la relève. Les conditions sont parfaites pour le moment. Un gentil cargo se déroute pour me laisser le privilège, c’est rare et j’en suis ravie. MedioVaS avance bien, presque six noeuds sur le fond. Il est 22h00, je n’aurais pas apprécié de devoir changer ma route.

A partir de 02h00 du matin, le ciel devient électrique. Yves observe des éclairs loin dans le ciel. Ceux-ci se poursuivrons pendant mon quart. Pas très rassurant mais le vent reste stable, autour de dix noeuds.

Le 1er mai, nous ne bossons pas évidemment, alors Snoopy prend les quarts. dure journée pour lui !  

Le jour se lève vers 04h50, mais pas le soleil. Le ciel restera gris toute la journée, l’hydrogénerateur ne produit pas assez d’électricité pour maintenir une charge correcte de nos batteries et les panneaux sont en manque de soleil ; nous aussi par ailleurs. Le moteur tournera une bonne heure pour les charger, ce qui nous permet de profiter de douches bien chaudes. Nous passerons la journée sous genaker, dans une petite brise. La mer est calme. Vers 16h00, Yves aperçoit des « souffleurs » au loin, des évents de baleines très certainement. C’est bon signe, nous sommes sur la bonne route, ahah ! Elles vont au même endroit que nous.

Dans la nuit de dimanche à lundi, tout devient très calme, trop calme même. Nous allons utiliser notre hélice pendant deux ou trois heures pour maintenir notre avancée vers le nord. Nous ne voulons pas perdre de temps. Une fenêtre météo finit toujours par se refermer. Nous retrouvons l’AIS du catamaran HSX, mais dans notre sillage cette fois-ci. Au temps pour la route directe et les catas rapides !

On partagerait bien un brunch ... 

Trente-six heures en mer, déjà, nous avons repris le rythme des quarts, des bons petits repas à heures fixes (filet mignon, couscous, fajitas, ...) , de nos temps de repos …

Toujours pas de ciel bleu à l'horizon. 

Lundi 2 mai, 13h00, nous profitons toujours d’une brise d’est-sud-est autour de dix noeuds. Nous recevons un message de Robin, par satellite. Il a eu une nuit épouvantable, 15 à 20 noeuds du nord-est, il doit naviguer au près car il est déjà trop à l’ouest, et le courant ne l'aide pas. Il passera la nuit à la cape en se demandant si faire demi-tour ou continuer. Le matin en hissant sa grand-voile, il découvre qu’elle est déchirée. La réponse s’impose à lui ; après trois jours et demi de navigation, il retourne à Saint-Martin. Fallait pas appareiller un vendredi, Robin ! Nous sommes tristes pour lui et perdons un peu l’espoir de le voir aux Bermudes. Mais nous comprenons rapidement sa décision, le ciel noircit devant nous. La mer calme commence à s’agiter sauvagement.

Mesdames et messieurs veuillez attacher vos ceintures, nous traversons une zones de fortes turbulences. 

En un rien de temps, nous avons un vent d’est-nord-est qui flirte avec les 25 noeuds. L’océan devient inconfortable, une grosse houle croisée par le travers du bateau n’améliore pas le confort. Pendant mon quart, vers 16h00, une grosse déferlante passe par dessus le tribord du bateau. Je suis sous eau, comme si la pluie ne suffisait pas. Je dois avouer que je me suis fait une belle frayeur, mais MedioVaS a très bien supporté le choc produit, pas une goutte dans la cabine et rien n’a bougé sur le pont.

Sympa la nuit ! 

Le cockpit s’est rapidement vidé de son eau. Peu avant minuit, le vent diminue un peu, la mer semble moins agitée. À 03h55 nous traversons le tropique du Cancer et nous quittons ainsi « les tropiques » et leurs alizés.

Espoir, un peu de couleur au lever du jour. Je trépigne .... 

Nous sommes entrés, bien arrosés et secoués, dans les vents circulant autour de l’anticyclone des Bermudes. Le nord-est puis l’est sont bien établis. Mardi j’assiste au premier lever du jour avec des couleurs, enfin un peu de lumière dans ce ciel gris. Le genaker et le génois alterneront selon la force du vent, nous naviguons au bon plein, ceci grâce à l’avance que nous avions prise à l’est. Nous pouvons même commencer à naviguer travers au vent, MedioVaS ne descend pas sous les six noeuds sur le fond, nous avons toujours un petit courant qui nous pousse vers l’ouest et qui nous ralentit. Cette nuit-là, la mer est agitée. Nous aurions du abattre un peu et aller davantage vers l’ouest.

Un peu au milieu de rien. 

L’anticyclone est devant nous, il ne se décide pas à bouger. Mais nous restons sur notre route. Le courant d’est a trop fait parler de lui et nous craignons ne pas pouvoir revenir sur notre route. Grosse erreur tactique ! Nous avançons, dans la nuit, au rythme des petits trains de nuages sous lesquels le vent forcit. Le ciel est couvert d’étoiles, nous gardons un oeil sur la Polaire qui nous guide vers le nord. Les nuits sont fraiches, nous ne sommes plus vraiment habitués au vent froid. Nos cirés, pulls et chaussettes redécouvrent les quarts. Le sac de couchage va même finir par sortir de son sac également !

La meilleure place du bateau, sous le vent ... donc pas toujours conseillé. 

La journée de mercredi est belle, toujours sous du vent d’est, un peu moins soutenu. En fin de journée le vent tourne légèrement sud-est. L’anticyclone se serait-il enfin déplacé vers l’est ? Pas d’après notre dernier Grib pris grâce au téléphone satellite. Vers 24h00, le verdict tombe. Le Grib a bien raison.

Nous aurions dû partir vers l’ouest mais voilà : « il était une fois… » et nous n'y sommes pas allés. Nous nous trouvons englués dans l’anticyclone des Bermudes (ou des Açores, pour les Européens). C’est une petite visite du musée météorologique de l’océan Atlantique Nord que nous nous offrons. L’océan est plat, calme, silencieux, doux comme un agneau, inoffensif. Le ciel est bleu pale, un peu terne même, pas une tache ne vient gâcher cette palette de couleurs uniformes. Nous devrons brûler vingt litres du précieux gazole (une vingtaine d’heures à petit régime), pour nous sortir de là. Le vent vire à l’ouest, « il était une fois dans l’Ouest », nous n’y sommes allés que trop tard.

C'est plat et avec des sargasses. 

Popov se repose, le pilote automatique a pris la relève. Jeudi se lève sans espoir d’apporter du vent, nous faisons route à l’ouest, doucement, il est vaste ce trou sans vent. Le moindre changement est signe de vent. Je scrute l’eau , je vois une bande de sargasses et de l’autre côté de celle-ci, la mer qui frémit. Est-ce la frontière de notre anticyclone? Je m’y précipite… à trois noeuds, pas très rapide, mais nous économisons le gazole qui vaut de l’or ces jours-ci. De l’autre côté des sargasses… rien, pas un souffle de mieux. Je scrute le ciel, alors, au loin un petit train-train de nuages. Sauvés, il y a toujours du vent là-dessous. Pas cette fois ci, le train-train dépose des petits wagons ici et là, sans souffler mot.

Alors c’est le Grib météo qu’il faut scruter. Il annonce du vent vers 19h00, toujours plus à l’ouest. Et, fort heureusement, il s’est trompé également : le vent commence très timidement à se manifester vers 15h00.

Enfin !!! 

Le merveilleux couple genaker et grand voile est ressorti et le moteur est retombé dans l’oubli. Popov a repris sa baguette de maestro et renvoyé le pilote automatique au placard. « Il était une fois dans l’Ouest, le vent » et nous y sommes. Pour fêter cela, je sort le moule à cake et cuisine un gâteau au chocolat.

Pendant que l'un surveille, l'autre déguste. 

Le vent était à ce point absent que l’on se demandait si notre anémomètre allait bien vouloir redémarrer. Il a fallut que le vent monte à six-sept noeuds pour que le petit moulinette daigne refaire des tours et fonctionner correctement.


Un phénomène bizarre commence à agacer fortement Yves. La position GPS sur son iPhone ne fonctionne plus vraiment. Il peut se retrouver plusieurs heures sans position GPS. Nous avons plusieurs appareils de navigation, en soi ce n’est pas très grave, mais c’est toujours inquiétant. Est-ce un des effets du mythique triangle des Bermudes ? Nous ne le saurons jamais, mais cela va persister pendant trois jours.


Dans la nuit de jeudi à vendredi, le vent de sud-est établit autour de 8/10 noeuds. Au lever du soleil, plusieurs dauphins viennent nous rendre visiter. C’est toujours un beau moment de les voir venir à nous, nager le long de MedioVaS.

Nous tentons de gagner un peu de terrain vers l’est en surveillant le Grib afin de ne pas se retrouver scotchés à nouveau dans l’anticyclone des Bermudes qui n’est pas très loin. Nous ne progressons pas très vite, MedioVaS n’aime pas trop le vent arrière, surtout quand celui-ci est faible. En empannant le genaker, Yves remarque une drôle de petite ombre sur sa toile, assez haut, près de son bord de chute. On regarde mieux et, oui, il faut se rendre à l’évidence : il souffre d’une petite déchirure. Nous le roulons et lui mettons deux petites bandes de tissus à voile auto-collante rouge, comme sa couleur d’origine. On ne voit plus qu’elles, le genaker ayant perdu sa couleur rouge après de longues heures de navigation au soleil !

Le petit carré rouge, c'est notre réparation haute définition ! 

Comme tous les jours, sauf si la météo ne le permet vraiment pas, nous faisons une partie de Scrabble vers 17h00, une heure avant le changement de quart et le dîner. Ce vendredi, la partie fut incroyable. Alors que je piochais mes lettres dans le petit sac vert, merci Mimine pour ce merveilleux cadeau, tout en regardant vers l’horizon à bâbord, que vois-je ?! Un énorme splash. Nous nous levons et regardons attentivement : quelques jet de vapeur d’eau et un petit baleineau qui se donne en spectacle. Un saut par ci et il paonne avec ses nageoires en l’air et sa caudale qui fait la belle… Ah, maman baleine peut être fière de son petit! Et nous restons émerveillés par cette scène inattendue.


Dans la nuit, le vent se renforce, c’est devenu une habitude. Nous avons alors une meilleure vitesse et un meilleur cap. Mais lors du changement de quart, à minuit, nous nous posons la question de la distance qu’il nous reste à courir. Celle-ci est beaucoup trop importante alors que nous avançons bien. Notre cap n’est pas bon. Nous devons faire davantage route au nord, mais pas évident avec un vent plein sud. Nous prenons la décisions d’empanner, le cap est meilleur. Yves fait une tentative de voiles en ciseaux, mais la houle est trop importante et, sans mettre le tangon au génois, celui-ci ne tient pas. Cette manoeuvre doit se faire à l’avant et à deux, surtout dans les conditions de vent que l’on rencontre. Je prends mon quart à 03h00, le vent s’établît autour des 17 noeuds et la mer s’agite. Pour améliorer le tout, la pluie s’invite à bord. La bonne nouvelle, c’ est que l’on progresse bien sur notre route, nous devrions arriver dimanche vers 14h00, au moment d’une accalmie de vent et à l’étale de marée haute, conditions parfaites.

C'est reparti ! 

Le ciel a retrouvé son manteau tout gris. À 18h00, apparaissent, derrière moi, des couleurs noires pas du tout engageantes. Je roule le genaker rapidement et je commence à prendre des ris. Yves, qui venait tout juste de finir son quart, vient m’aider. Le radar montre un très gros grain. La mer commence à s’assombrir au loin et à se lisser. Cela annonce du vent plus frais. En effet, en un rien de temps MedioVaS se trouve propulsé par un vent de plus de 30 noeuds. Popov doit maitriser cela, il se débrouille merveilleusement bien, en faisant un sillage joyeux dans la houle qui nous pousse. Nous dépassons les 10 noeuds sur l’eau. Par mesure de prudence, nous laissons les voiles fortement arisées, Yves rencontrera le même type de grain pendant son quart.

Dimanche 8 mai, vers 01h00, le vent reste stable autour de 18 noeuds, Yves largue quelques ris pour maintenir un bon rythme.

J’assiste à un lever du jour de plus en plus tôt, vers 04h00, mais bien triste en couleur. C’est notre dernier jour en mer. Le soleil se fait très timide. Nous sommes à une trentaine de miles au sud des Bermudes. Et nous découvrons que le courant indiqué sur le Grib de cette zone existe bel et bien, en plein dans notre nez et nous faisant dériver à l’ouest.

Il faut s’appuyer au moteur pour maintenir le cap et la vitesse. Nous devons absolument arriver de jour et surtout pendant l’accalmie prévue, autour de 14h00. L’entrée dans le lagon des Bermudes semble assez délicate par un goulet de 30 mètres de large dont nous ignorons le courant.

Nous tentons notre premier contact VHF avec Radio Bermudes, à vingt milles des côtes, suivant le protocole. à la lettre. A 11h15, dans la brume, nous apercevons enfin la terre. MedioVaS sent l’écurie et nous aussi.

Nous avons le choix des pavillons ... 

Vers 13h00, nous sommes enfin devant le Town Cut, mais on nous demande de patienter pendant la manoeuvre d’un paquebot qui doit franchir le chenal est se libérer du pilote. Une fois la pilotine sur le chemin de retour, nous pouvons embouquer le Town Cut, ce petit chenal qui relie l’océan au lagon devant Saint Georges. La largeur du chenal ne permet pas le croisement de deux bateaux et l’on se demande d’ailleurs comment les paquebots peuvent passer sans se frotter aux bords ou au fond !


Pendant qu’Yves installe les amarres et les défenses, je fais des ronds dans l’eau en tentant de trouver le quai de la douane. Le mouillage est assez bondé, pas facile d’y voir clair. Le vent a baissé d’un ton, tout en restant soutenu, et le soleil n’est pas très présent. En rentrant dans la zone où les bateaux sont mouillés, nous aperçevons un quai qui devrait être celui de la douane. Yves reprend la barre. Un couple à bord de leur bateau nous fait des signes, nous comprenons que nos défenses sont placées sur le mauvais bord. La place est très étroite pour manoeuvrer face au quai de la douane. Yves commence à faire demi-tour pour nous permettre éventuellement de placer les défenses sur l’autre bord, mais je lui dis : - « vas-y donc en marche arrière » . Il jette un oeil derrière lui et lance MedioVaS en arrière toute. On discute de la manoeuvre au travers de nos petits casques-micros. Yves place MedioVaS le long du quai malgré le vent décollant, exactement comme il faut pour que je saute avec les amarres, l’une à l’avant et l’autre à l’arrière. Belle manoeuvre, comme on dit ! Les pros en sont quittes pour leurs conseils.

Madame la douanière nous indique les documents qu’elle requiert et m’attend dans son bureau. Il y a deux femmes, dans ce bureau, l’une pour l’immigration, l’autre pour la douane. Elle sont tout excitées de voir une femme capitaine d’un voilier, pour la toute première fois ! Moi qui pensais que cela était de plus en plus fréquent… pas dans le coin, apparemment. Je leur explique que l’on échange le poste de capitaine selon les régions où nous naviguons, ou que nous alternons dans une zone donnée.

Les passeports tamponnés, Madame l’immigration est quand même allée jeter un coup d’oeil sur Yves, avec son passeport en main. La douane payée, nous pouvons espérer trouver une place pour mouiller notre ancre qui s’impatiente. Après quelques tours, nous mouillons dans 6 mètres d’eau, au plus près de de Saint-Georges !

En rangeant la voile de Popov, nous constatons que son bord supérieur est complètement abîmé. Tout comme le genaker, il recevra les soins de la toile de voile rouge auto-collante. Et le rouge du pavillon français, peut-être par jalousie, réclame le même traitement. À croire que le rouge n’était pas la couleur de la traversée !

Encore un qui aura deux teintes de rouge . 

Neuf jours en mer, 1100 miles parcourus pour 890 miles de route théorique, 5 degrés en moins dans l’air, 3 degrés en moins dans l’eau, 14 degrés de latitude plus au nord et 1 petit degré à l’est, 1 heure de dècallage en plus, 72 dollars US en moins, une des pointes du triangle … nous sommes aux Bermudes !


L'océan est derrière nous pour quelques jours. 
2
Notez la couleur rose ... 

Dimanche 8 mai , nous sommes contents d’être enfin au mouillage. MiniVaS saute timidement à l’eau, la température a quand même baissé de quatre degrés. Nous faisons un petit tour à terre histoire de voir à quoi ressemble Saint-Georges. Très rapidement nous tombons sous le charme de ce village-capitale.

King's Square. Tout est propre, coloré, rangé. on s'y sent très rapidement très à l'aise. 
Pour une fois les canons ne pointent pas MedioVaS. 

Le lendemain, nous partons à la recherche d’une boulangerie ou d’un coffee shop qui pourrait nous servir un bon breakfast. Nous déambulons dans les ruelles et assistons à l’arrivée d’un paquebot.

Un grand doit souvent se faire aider d'un plus petit que soi. 

Le passage du Town Cut, pour rentrer dans le lagon, a du impressionner les passagers, la largeur du paquebot doit remplir tout entier l’étroit chenal.

Les ruelles grandioses de Saint George 

Je suis émerveillée par les maisons, surtout par leurs toits… Il est 09h30, enfin nous trouvons le lieu idéal pour notre petit déjeuner. En outre, il offre un super signal wifi. Cela nous permet de contacter la famille et de voir ce qu’il se passe dans le reste du monde, c’est à dire d’ouvrir nos pages Facebook, ah ah ! Juste à côté du coffee shop, il y a une petite galerie d’art qui expose les oeuvres d’artistes locaux. Je commence à discuter avec la propriétaire et elle m’explique le propos des toits de maison, je suis charmée .

Une série de toits, tous blancs, couvrant des maisons aux couleurs diverses, mais beaucoup de rose.  

Les maisons sont construites avec la roche de l'île . Elles sont toutes en pierre. Dans la roche, ils coupent un gros bloc dans lequel ils taillent des pierres en forme de tuile. Ils les assemblent sur le toit et peignent tout en blanc. Il y a une grande particularité dans cette île : l’absence d’eau douce. Il n’y a pas de source, aucune rivière, rien, comme à Saint Barthélemy. Ils n’utilisent pas de gouttières en plastiques pour récupérer l’eau du toit. Ils font, avec la roche, une gouttière en dénivelé à une cinquante centimètre du bord de la toiture. L’eau de pluie y est récoltée dans un tuyau qui mène à une citerne souterraine. Lorsque quelqu’un fait bâtir sa maison, il lui faut déclarer le nombre d’habitants. En fonction de cela, il lui est fixé la surface de toit qu’il faut construire et la taille de la citerne. Dans les maisons récentes, depuis une dizaine d’années, ils peuvent installer un dessalinisateur d’eau de mer, comme nous avons à bord !

En faisant le tour des oeuvres exposées , je suis en admiration devant des objets en bois. Là encore elle me raconte leur histoire. Tout est fait en Cèdre des Bermudes. Lorsque la résistance de ce bois aux bestioles a été mise en évidence, le bois a été exporté massivement aux USA. Les locaux travaillaient alors le bois mort restant. Mais y a-t-il aujourd’hui un moyen de le préserver ? Lorsqu’ils se sont aperçus que le cèdre était en voie d’extinction, ils ont stoppé le commerce. Ils en ont replantés. Le plus gros arbre de cette nouvelle génération doit mesurer environ vingt centimètres de diamètre au tronc, ce n’est pas énorme, mais c’est un début. De plus, une nouvelle tradition est née : à chaque mariage, le jeune couple va planter un Cèdre des Bermudes. Émouvant, non ?


L’étape suivante nous amène à l’office de tourisme, pour faire le plein de prospectus qui vont encombrer la table du carré ; mais nous ne savons pas combien de temps nous resterons par ici et il est bon de s'organiser des visites.


Nous profitons de l’ouverture des magasins pour observer un peu l’approvisionnement et les tarifs. Double surprise : LE supermarché de Saint Georges est très bien pourvu ET il est HORS DE PRIX. Nous savions l'île onéreuse, mais là, ça dépasse l’inabordable. Par exemple, le litre de jus d’orange est facturé quinze dollars. Étrangement, la seule chose qui reste abordable est la viande, pas même le poisson à trente dollars la darne de saumon. Autant garder notre argent pour profiter d’un petit restaurant (pas meilleur marché), où le verre de vin blanc coûte deux fois le prix d’une bouteille à Saint Martin. Mais bon, il faut aussi se faire un peu plaisir et le bateau ne manque pas de réserves. Nous étions prévenus !


Nous continuons vers St Peter’s Church, « Their Majesties' Chappell », titre offert par la reine Elizabeth II, à l'occasion de son jubilé de diamant en 2012 et du 400è anniversaire de l’église . Fondée en 1612, elle est l’église anglicane la plus ancienne, en dehors de la Grande Bretagne, et la plus ancienne église protestante en activité dans le Nouveau Monde. Cette église fut le témoin de bien des changements sur l'île et du passage de plusieurs cyclones. Mais, telle la sentinelle sacrée, elle est restée debout. En 1713, elle nécessita quand même de grosses réparations, après un ouragan de trop.

Tout en bois de cèdre des Bermudes 
St Peter's Church 

Les ruelles de la ville sont charmantes. Nous remarquons qu’une couleur prédomine nettement : le rose. Des maisons rose, les voiles des petits catamarans de l’école de voile sont rose, des parasols rose, les bus sont rose, pourquoi ? C’est notre nouveau défi touristique…

Même le moniteur porte du rose ! 
Je suis sous le charme de l'architecture. toutes les maisons ont une cheminée, il doit faire froid l'hiver . 

Nous poussons un peu notre marche vers la fameuse Unfinished Church, du XVIIIème, en effet elle n’est pas terminée. Depuis le temps !

Pourquoi est-elle inachevée, nous n'en savons rien ! 

Le soleil se couche de plus en plus tard. C’est étrange de contempler le coucher du soleil à 20h00, après tant d’années sous les tropiques. La nuit venue, nous sommes bercés au champ des grillons. À bord de MedioVaS, on se croirait en pleine en campagne, c’est magnifique.

La météo n’est pas très vaillante, beaucoup de pluie en début et en fin de journée. Nous avons vite compris qu’il fallait commencer les visites vers 13h00 et ne jamais oublier son équipement contre la pluie.

Mardi, c’est MiniVaS qui fait office de bus. Nous nous promenons autour des îles, en face de notre mouillage. C’est un dédale de passages, on s’y perdrait. Le premier arrêt est une petite île aux couleurs de paradis. De la plage minuscule, nous pouvons admirer le Town Cut emprunté deux jours plus tôt, ce n’est vraiment pas très large.

Je comprends mieux l'attrait des Bermudes, des couleurs tropicales dans les sapins. 

Nous traversons le St Georges Channel, chenal utilisé par les locaux, à la voile, sans aucune bouée pour signaler les dangers ; ils doivent naviguer à vue... Nous découvrons alors des baies bordées de maisons colorées, toujours les fameux toits blancs, beaucoup de rose et des petits bateaux partout. Malgré le vent qui souffle au large, nous sommes bien protégés, c’est calme et paisible.

Des îles et des petits passages partout, nous ne savons même pas si nous avons tout vu. 

Nous retournons ensuite vers St George. Nous avons découvert que la ville offrait du wifi. J’arrive à le capter à bord, grâce à une antenne amplifiée, mais ce n’est pas terrible. Nous retrouvons ainsi tous les équipages de voile chaque fin d’après-midi, au King’s Square, téléphone en main, en train de communiquer ou de charger des fichiers météo. Nous rencontrons enfin le couple de Canadiens Fanny et Marc, sur leur bateau Arjuna. Ce sont des connaissances de Robin, qui avaient quitté Saint Martin avant nous, avec une mauvaise fenêtre météo. Elle fut si mauvaise qu’ils naviguèrent durant quatorze jours avant arriver aux Bermudes. Ils trouvent une bonne fenêtre pour Halifax et décident de partir dans la soirée. Dommage, j’aurais bien aimé avoir davantage d'informations, nous les retrouverons sur place, où nous espèrons bien les revoir.

Nous dégustons un bonne pizza et un verre de vin blanc au White Horse bar, lieu mythique de St Georges. Je dois avouer que j’ai savouré chaque gorgée du vin et ajouté tant de glaçons que le "vin blanc piscine" est devenu "piscine au vin blanc !"

De retour au bateau, je m’offre un bain de mer, pour inspecter la coque. L’eau est plutôt froide, mais après quelques brasses, ça fait du bien. La coque n’est pas trop sale, il faut espérer qu’elle ne s’encrasse pas trop pendant notre escale.

Le soir il fait frais, c’est-à-dire froid pour nous, comme tous les soirs. Nous ne sommes vraiment plus acclimatés, d’autant moins que l’air est très humide. Les pull sortent dés la tombée du jour ! et Nous craignons ne pas résister au froid qui nous attend dans le nord.

Mercredi, nous avons prévu une grande ballade pour décrasser nos articulations. Surprise, je vois Arjuna au mouillage et Fanny en tête de mât sous une pluie battante ; que s’est-il donc passé ? Sont-ils partis et revenus ? Après une demi-heure en tête de mât, ils sautent dans leur annexe sans moteur (déjà rangé dans un coffre en vue de la traversée) et viennent nous voir. Ils montent à bord nous raconter leur aventure de courte durée : leur drisse de grand voile est coincée en tête de mât.

En fait, ils n’ont pas pu partir. En faisant le plein de gasole à la station, ils ont voulu relever l’annexe pour la mettre sur le pont. Ils ont utilisé leur drisse de grand voile pour faire la manoeuvre, dommage. Ne jamais utiliser la drisse de GV pour faire cela, mais la drisse de spi. Deux raisons : l’annexe est hissée en avant du mât, il faut donc utiliser une drisse qui part de l’avant du mât pour éviter de faire des tours et perdre en force de frottement. Ensuite ils ont voulu hisser leur annexe par bâbord alors que le réa de leur drisse de GV est à tribor, en tête de mat. Ils ont ainsi forcé sur la séparation des réas de balancine et de GV et fermement coincé leur drisse. Fanny est épuisée du temps passé à essayer de la décoincer et Marc est plutôt énervé de ne pas pouvoir partir. Je leur propose de monter prendre la relève, mais pas avant la fin de l’averse qui nous tombe dessus ! De toute manière, ce n’est pas avec cette pluie que l’on va remettre nos muscles à l’effort.

Une demi-heure plus tard, je suis perchée en haut d’Arjuna. Le winch qui me hisse est partiellement détaché de son support... Yves veille et ne laisse à personne la drisse et mon assurance. Elle est fichtrement bien coincée, cette drisse de GV ! Je communique avec Yves par nos petits casque-micro magiques. Il me prépare un sac avec du matériel plus adapté : tournevis plus fin et marteau. Pendant que je discute avec la drisse, Yves enseigne des noeuds pour détendre un peu l'atmosphère. Il en profite pour expliquer quelle drisse utiliser pour hisser l’annexe et plein d’autres choses. Marc est ravi, c’est un autodidacte de la voile et il est content d'accumuler les informations du grand large. Au bout d’une heure, je sens un petit clic derrière le réa et je vois le mou du cordage bouger :

« - Yves, tu tires sur la drisse ? - Non... - Alors, vas-y doucement : je crois que c’est bon. »

Alleluia ! La drisse est débloquée. Marc et Fanny n’en reviennent pas. Je redescends par les petites marches du mât, grand luxe. Mais j’ai les cuisses bien tremblantes, lorsque les pieds retrouvent le pont d'Arjuna. Nous entamons une discussion sur l’escale qui nous attend, c’est prometteur. Fanny nous offre le pain tout chaud qu’elle vient de cuire pour nous remercier, ains que deux boites de fondue de chocolat et de dulce de leche, préparation québécoise pour garnir pain, crêpes et autres douceurs. Il s'agit là des dernières boites d'un trésor. Mais rien n'est trop beau car ils n’espéraient plus pouvoir partir et ils sont à bout de ressources. Cela dit, les réas en tête de mât ont souffert ; je lui conseille de manipuler tout cela avec grand respect et de les changer dès l'arrivée. Il s'avère qu'ils auront des soucis bien plus grave, en arrivant...


Nous les quittons et, malgré mes jambes flageolantes, nous partons avec notre pique-nique pour la randonnée prévue.


Nous commençons par le « Gunpowder Plot ». Lors de la Révolution Américaine, Saint George comptait parmi ses habitants un grand nombre de Patriots (vus des Américains), révolutionnaires contre la Couronne britannique et luttant pour l’indépendance de l’île. Au début de cette guerre, l'archipel souffrait de l’embargo américain, rendant l’isolement de l'archipel d’autant plus important. Le Colonel Henry Tucker, grand marchand des Bermudes, voyagea jusqu’à Philadelphie dans l’espoir d’ouvrir de nouvelles routes commerciales. Il offrit ainsi à Benjamin Franklin la principale exportation de l’île : du sel… qui était en fait de la poudre à canon. Le 14 août 1775, les sympathisants de la rébellion, Tucker inclus, ont transporté cent barils de poudre de cette grotte bien cachée vers Tobacco Bay. Sur des embarcations locales, ils les ont livrés au large où deux navires américains, Lady Catherine et Packet, les attendaient. Le site des grottes cachées fut découvert dès le lendemain matin. Un bateau douanier partit aussitôt à la poursuite des navires américains, mais ils étaient déjà loin, en route vers Philadelphie et Charleston. C’est ainsi que l'archipel des Bermudes a participé à la guerre d’Indépendance américaine.

Gunpowder Plot 

Nous longeons ensuite un golf, je suis quand même assez surprise. L'archipel n’est pas très grand et n’a pas d’eau douce et pourtant elle compte sept golfs ! Au moins ils préservent les espaces verts, mais à quel prix ? Nous arrivons à Tobacco Bay, un petit bijou. Nous déjeunerons à l’ombre d’un rocher devant ce spectacle époustouflant de couleurs et de formes.

Tobacco Bay, splendides formations rocheuses dans une eau émeraude. 

Pour digérer, nous marchons jusqu’au fort St Catherine, construit en 1614 et rénové cinq fois. Il est protégé par cinq canons de dix-huit tonnes. Les obus tirés pesaient deux cents kilos, capables de pénétrer les plaques de blindage.

A chaque virage, il y a une nouvelle petite baie, tout aussi jolie que la précédente !  Et le  Fort Ste Catherine . 


Nous poursuivons le long des côtes nord et nord-est. Elles sont bordées de postes de défense, forts ou canons isolés. Nous longeons l'étroit chenal bien nommé The Narrows, seule voie navigable vers Hamilton. Si ton vaisseau ne coule pas sur le récif, alors il coulera sous un boulet de canon !

Maudits rebels et leur perfides alliés français ! 

Nous terminons sur la pointe est, face à notre Town Cut, également protégé par des canons ; c’est quand même l’entrée principale de St George.

Le Town Cut. 


Un peu de végétation locale, plutôt plantes grasses. Et la rencontre avec mon premier Moongate, dont l'origine est inconnue.  
Hommage au Sea Venture et ses cent-cinquante survivants après son naufrage.  

Nous pouvons admirer notre MedioVaS de haut ; il n’est pas seul au mouillage ! Et nos amis canadiens ne sont pas encore partis, mais on voit que c’est pour bientôt. Sous son taud bleu, la grand-voile d'un Swan qui ne nous est pas totalement inconnue et que nous allons voir de près, bientôt !

Le mouillage de St George 

Le soir, c’est le déluge. Vent et pluie viennent rincer MedioVaS. Elle durera toute la nuit et une bonne partie de la journée de jeudi.

Quand il pleut... ben, il pleut !! 

Mais nous ne nous décourageons pas. Yves veut absolument rendre visiter au sémaphore en haut de la colline. Alors, à la première éclaircie, c’est parti ! Il est implanté sur le Fort St George.

Merci au sémaphore de bien veiller sur nous. 

Évidemment, comme d’habitude, on se laisse embarquer par un chemin à droite, puis une route à gauche et nous arrivons ainsi au Railway Trail. Nous marcherons sur ce chemin qui suit la trace de l'ancienne voie ferrée reliant St Georges à Hamilton. La végétation y est variée, beaucoup de plantes grasses. Les fleurs pointent le bout de leurs pétales, le printemps est bien là.

Yves admire les jolies plantes 

La voie ferrée longe la côte et The Narrows. Nous verrons d’autres canons, d’autres forts. Parfois le chemin passe à travers la roche. Un petit train servait à transporter les munitions puis les marchandises d’un bout à l’autre de l’archipel.

Et un nouveau Moongate ! 

Après cinq kilomètres de marche, nous atteignons la pointe sud-ouest de l'île St George. Le pont qui permettait au train de poursuivre est détruit. Notre route se termine donc ici. Nous prenons le chemin du retour en longeant le lagon, encore cinq kilomètres vers la ville de Saint George.

Fin du chemin. 
Contemplation ... 

Saint George, fondée en 1612, est la plus ancienne ville d’origine britannique habitée, dans la partie ouest de l’océan ( on aime les records alambiqués dans les iles britanniques). Cette ville est restée presque intacte, avec son authentique architecture bermudienne, témoin du passé. Depuis novembre 2000, la ville est un site classé du patrimoine mondial de l’humanité.

Patrimoine très coloré 

Vendredi 13 mai, au lieu de jouer aux courses, nous décidons de nous promener dans une autre île de l’archipel. Nous prenons le bus vers les grottes en passant par l'île St David, entièrement dédiée à l’aéroport. Nous descendons juste après le passage du pont et continuons à pied vers Tom Moore’s Jungle, une des nombreux parcs des Bermudes.

Une des rares grandes villas, toujours en pierre et au toit blanc en pierre également. 

Cette partie de l’archipel est un vrai morceau de gruyère. Le sol, toujours composé de roche, est un dédale de galeries souterraines. Contrairement à ce que l’on peut penser, ces galeries et grottes ne contiennent pas d'eau douce. Elles communiquent toutes avec la mer ou le lagon. Comme déjà entendu, il n’y a aucune source d’eau douce.

THE JUNGLE ! 

Nous déambulons sur le chemin du parc jusqu'à un petit sentier qui nous mène à la première grotte. Un petit groupe occupe le terrain, nous en profitons pour engloutir notre pique-nique et attendre que la place soit libre. Dès qu’ils partent, je vais explorer le lieu sombre. C’est magique ! J’enfile mon maillot, je trempe timidement un pied dans l’eau, elle est fraîche mais pas glaciale. Je finis par plonger dedans, entre les stalactites et les stalagmites.

Lieu de spéléo et de divertissement, incroyable ! 

Quel décor ! L’eau est salée mais nettement moins que celle de la mer, la peau ne garde pas la sensation de sel figé. C’est presque agréable. Je me change et nous poursuivons notre route vers d’autres merveilles.


Ces grottes se sont formées il y a 1,6 millions d’années, au moment de la période glaciaire. La plupart des océans étaient gelés, le niveau de l’eau a monté et la pluie s’est infiltrée dans le calcaire créant ces merveilles. Les grottes doivent leur découverte à une partie de cricket entre deux adolescents, en 1907. Edgar lance une balle un peu trop forte et Carl court pour la rattraper. Il ne l’attrapera pas mais découvrira un trou dégageant de la chaleur. La curiosité pousse les deux garçons à poursuivre leurs recherches et mettre à jour un merveilleux souterrain. Les Wilkinson, propriétaires du terrain, entendent parler de cette découverte. Le jeune Bernard Wilkinson entame l'exploration au bout d’une corde, avec une lampe de bicyclette. Il plonge dans un décor de stalactites blanches recouvertes de paillettes cristallisées. Il y a ainsi toute une série de grottes à visiter, les plus belles au monde, dit-on (le monde britannique de l'ouest, hors la Grande Bretagne, sans doute).

Yves, grand expert en biologie marine, nous dégotte une espèce plutôt surprenante !  
Le Pond communiquant avec le lagon. 
Se faire plaisir le temps d'un plongeon dans une eau cristalline entre mer et grotte, sous l'oeil effaré de quelques Américaines p...

Nous quitterons ce lieu magique pour rentrer à pied. La marche ne nous fait plus peur du tout. Bon, il faut marcher sur la route du pont sans se faire écraser, un nouveau défi beaucoup plus palpitant que la route qui longe l’aéroport.

Même le bus est rose ! 

Arrivés à Saint George, nous assistons à l'accostage de plusieurs voiliers, tous membres du fameux Rallye de l’ARC (Atlantic Rallye for Cruisers, fort couteux). Ils sont un peu envahissants !

Que des gros bateaux et plusieurs Halberg Rassy ....  

Nous passons beaucoup de temps à regarder la météo ; il faut trouver une bonne fenêtre pour la route qui nous attend vers le nord. Malheureusement, ce n’est pas facile. Nous ne voulons pas partir trop tôt et arriver dans les glaces, mais partir trop tard nous confronterait au début de la saison cyclonique. La plupart des cyclones ne passent pas loin des Bermudes en début de saison. Ils sont souvent écartés par la grâce de l’anticyclone des Bermudes, mais alors ils se retrouvent quand même au nord, pile sur notre route. Pour faciliter le tout, fin mai-début juin, c’est la saison des tempêtes de printemps au Canada. Au milieu de tout cela, il semblerait qu’une fenêtre météo correcte se présente, même si elle est un peu courte. Nous voulions également attendre notre ami Robin, mais sa grand-voile tarde à être livrée et il fera certainement route sans escale vers les Acores, directement depuis Saint Martin. Donc nous nous concentrons sur cette possibilité pour la semaine suivante. Ceci signifie également qu’il nous restera peu de temps aux Bermudes. Ce n’est pas plus mal, nous ne devons pas vider nos stocks de nourriture de Saint Martin.


Nous décidons alors d'embarquer samedi, vers l’autre bout de l’archipel, en ferry. Nous nous emmêlons un peu les pinceaux dans les horaires, leurs panneaux ne sont pas très clairs. La dame en rouge, une guide bine connue, nous annonce que le ferry "rose" qui arrive est réservé aux passagers des paquebots norvégiens ; nous devons prendre le suivant, le gouvernemental. Mais ce dernier n’est pas sensé opérer ce jour. Apparemment, il y a tellement de touristes qu’il est quand même en circulation. J'en profite pour demander à la dame en rouge pourquoi le rose est si présent dans l'archipel. Elle possède la réponse : il s'agirait de rappeler la couleur des plages du sud de l'ile. Bon, je suis un peu déçue, mais nous irons quand même vérifier. Après une heure d’attente, nous voyons le ferry bleu arriver et se vider d’un flot de touristes. Nous pouvons enfin embarquer. Cela va très vite, il n’y a que nous à bord, tout un ferry rien que pour nous ! Nous quittons St George par le Town Cut, puis nous empruntons The Narrows vers le Royal Naval Dockyard. Nous débarquons là tel le couple royal, devant une masse compacte de touristes envieux, faisant la file pour le ferry.

Seuls sur le ferry aux Bermudes ! 

Le Royal Naval Dockyard fut le centre des Bermudes pendant deux cents ans. Les quatre-vingts hectares achetés par la Royal Navy en 1800 ont subi des transformations incroyables, sous la direction des Royal Engineers. Avec une forte main d’oeuvre essentiellement composée d’esclaves, mais aussi de Bermudiens "libres" et de prisonniers transportés depuis le Royaume Uni, les travaux durèrent une cinquantaine d’années. Résultat de tous ces efforts : un mouillage très sûr pour la Royal Navy, un chantier maritime, une cour de ravitaillement et un dépôt de munitions. Le site a fortement influencé la vie des Bermudiens, lit-on, en leur donnant un emploi ! Au 19è siècle, l'arsenal comptait pour 15 % des revenus de l’archipel.

Belle architecture typiquement militaire 

Nous continuons notre route jusqu’au Royal Naval cimetière. En lisant les pierres tombales, je constate que la moyenne d’âge des décédés est d’environs 25 ans. On meurt jeune dans la marine britannique !

Des tombes tres modestes pour un lieu très prenant 
Des ponts, des baies et Somerset devant nous . 

Nous décidons de prendre le bus qui traversera toute une partie de l’archipel. Je n’ai pas vu grand chose, Morphée m’ayant enveloppée. Nous descendons devant le port de Hamilton et déambulons dans les rues.

Nous sommes un peu fatigués, donc nous nous y attardons pas. Mais il faut faire les courses ! Elles ne seront pas énormes, nous avons déjà toutes les provisions a bord, donc un peu de chocolat et de frais, l’essentiel pour survivre. Puis reprenons vite un bus qui nous ramène à St George.

Dimanche, c’est le jour de l’ouverture des valises… il va faire froid et nous devons prévoir nos habits de navigations chauds.

Faire le tri et le bon choix .... dans la valise les maillots ! 

Nous profitons aussi du soleil pour plonger et gratter la coque. L’eau est beaucoup plus fraîche qu'à Saint Martin. Après une heure de frotti-frotta, je me décompose. Heureusement, un poisson solitaire vient jouer avec ma brosse et me donne du courage pour ne pas arrêter trop vite. Et nous avons de l’eau chaude, une bonne douche pour se réchauffer, rien de tel.

Lundi, nous allons prendre un petit déjeuner à notre coffee-shop préféré. Les pains au chocolat y sont délicieux et le chocolat chaud également. Cela nous permet de profiter d’un bon wifi. Le créneau météo se maintient, toujours un peu court. Mais, si nous le prenons pas, nous devrons rester rester encore longtemps aux Bermudes pour attendre le suivant. Nous en profitons pour passer des coups de fil à la famille et élaborer une tactique de route. La météo change tout le temps et le routage également, vers l’est ou vers l’ouest ? L'esprit calme, Yves fait le fameux plein d’eau, ça sent le départ !

Mardi matin, je vais à terre pour une petite visite à la douane est ses formalités de sortie. Je profite du wifi pour prendre un dernier relevé météo, c’est la route la plus à l’est qui gagne. Nous hissons MiniVaS sur le pont, préparons nos équipements et appareillons à 10h15 vers Halifax, Canada ! Le ciel est couvert, on s’attend à 25 noeuds de vent du sud. Il n’en sera rien. Une fois débouqué le Town Cut, nous constatons que toute une flottille nous précède, en route vers les Açores. Nous les quitterons une fois le récif des Bermudes doublés , ils continuent tous vers l’est et nous partons vers le nord. Tous ? Un autre ireductible nous suit de loin. Nous lisons son pédigrée sur l’AIS : Saga 47 Swan. Oh, oh, du beau monde...

Au revoir Bermuda, merci pour cette dernière touche tropicale !  
3
Dernier passage du Town Cut, nous partons. 

Mardi 17 mai, décision est prise, nous appareillons. La météo nous annonce vingt-quatre heures de mauvais temps, pluie, grains et 25 noeuds de vent du sud. Il n’en est rien. C’est le grand calme ; à part la pluie, ils ne se sont pas trompés. Nous suivons un groupe de voiliers qui part vers les Açores. Nous sommes encore au moteur et grand voile seule, il n’y a pas assez de vent pour nous pousser. Une fois doublé le récif du lagon, nous saluons les autres voiliers et nous partons plein nord, seuls. Presque seuls… tiens, un autre voilier suit la même route que nous. Yves prend contact par radio, ils vont à Halifax! C’est bien « Saga », un Swan classique de 47 pieds, ceux qui nous avaient prévenus que nos défenses étaient sur le mauvais bord lors de notre arrivée aux Bermudes. Quelle belle coïncidence ! Le skipper, Chris, nous lance alors : « - The race is on ». Ah ah, non, nous n’allons pas mettre notre MedioVaS en régate contre un Swan, bateaux taillés précisément pour la course au large. Nous restons modestes. Ils nous annoncent une route un peu plus ouest par rapport à nous. Nous les perdrons de vue assez rapidement.

Le groupe se divise... 

Le vent commence à nous pousser et les grains font leur apparition, en fin de journée évidemment. Le premier frôle les 35 noeuds et nous rince allègrement, comme si nous n’étions pas déjà assez mouillés. Le vent arrière nous oblige à faire quelques empannages pour maintenir notre route plein nord. Vers minuit, le vent tourne à l’ouest, c’est parfait.

Nous sommes au milieu du grain. 

Nos feux de navigation, qui fonctionnaient à merveille, font des caprices. Le fusible saute, peut être à cause de l’humidité trop importante ? C’est sensé être étanche ces trucs-là… Je propose à Yves de couper le câble du feu de poupe, c’est le seul câble qu’il n’a pas changé. Après réflexion, nous irons voir le lendemain, de jour, si cela continue de sauter sans pluie. Nous naviguons donc sans feux pour les quelques heures qui restent.

Vers cinq heures du matin, je vois un AIS… C’est Saga, 18 miles derrière nous, 18 miles dans la vue, le Swan ! Ça alors, par où sont-ils passés ? La stratégie prend le dessus sur la vitesse.

Stratégie ... 

La journée du mercredi se déroule sous genaker, travers au vent, sous le soleil et la chaleur. Un pur bonheur ! Yves en profite pour vérifier nos feux. Ils fonctionnent bien à nouveau, ce doit être un court circuit dû au trop plein d’eau. Il coupe donc le feu de poupe afin de pouvoir garder les feux avant.


Nous garderons notre genaker pour la nuit et filer à 6 noeuds. Nous ne voulons pas perdre cette avance… l’esprit de compétition nous a envahi. Nous augmentons notre avance sur Saga, tactique, tactique ! Le vent se lève vers 04h00, je me régale au vent arrière avec le genaker . Popof a du mal a garder le cap, les 16/18 noeuds de vent rendent le bateau trop puissant pour lui. Je prends donc la barre. Mais le ciel s’obscurcit devant nous. Il va être temps de passer à des voiles plus légères.

Nous commençons à apercevoir de drôles de petites choses qui flottent sur l’eau ; des sacs plastiques ? Non, ce sont des méduses ! Elles sont magiques. Une petite ombrelle bleu rosé leur permet de dériver, on dirait une petite voile. Ce sont des physalies. J’apprendrai plus tard que ce sont les méduses les plus dangereuses. Je les appellerai les méduses-voile. Il y en a par centaines, c’est impressionnant.

Elle est mignonne, non ? 

Le vent tombe, finalement, et nous sommes obligés de démarrer le moteur. Il tournera jusqu'à 15h00. Nous reprenons un Grib météo afin de réexaminer la stratégie de passage du Gulf Stream. Il faut tâcher de ne pas se louper, une dépression est annoncée au nord. Dans la nuit, le vent se lève et pas qu’un peu. Le soleil nous offre de belles lumières pour se lever sur la Saint Yves !

Bonne fête Yves !!! 

Nous prenons des ris et naviguons autour de 7 noeuds au bon plein. Saga est toujours « près de nous », à 17 miles par l’arrière du travers. Ils partent vers l’ouest, une fois de plus. Cette fois-ci, une surprise météo leur donnera raison. Nous filons toujours vers le nord.

Nous allons bientôt rentrer dans ce courant chaud. Mais, vers 04h30 du matin, le ciel se couvre d’éclairs. Je veille, je veille, quand, soudain je vois un amas d’éclairs projetant leurs rayons vers la mer. J'arrête le bateau, je réveille Yves pour lui dire qu’il faut se mettre à la cape et laisser passer le centre de la dépression qui traîne devant nous. Nous resterons ainsi pendant trois heures. Vers 07h30, le vent tourne, le ciel se dégage doucement, Yves remet MedioVaS en route. Le vent est toujours bien établi autour de 20 noeuds, nous avons alors deux ris dans la GV et trois ris dans le génois. Le bateau est confortable, malgré une mer bien agitée. Nous retrouvons l’AIS de Saga, ils sont maintenant devant nous. Ils ont évité le gros de la dépression. Nous les rejoignons dans le Gulf Stream.

Comment reconnaître le Gulf Stream : un courant qui pousse et une température de l'eau élevée .

Comment savoir si nous sommes dans la veine de courant ? Facile : la température de l’eau est montée à 26 degrés et un fort courant porte au nord-est, nous avançons à plus de 9 noeuds dans 10 noeuds de vent. C’est bien d’avoir Saga devant nous, cela permet de voir la route qu’ils arrivent à tenir avec le courant. Parce que nous avons un vent du nord, il faut naviguer au près et profiter de chaque petite incursion du vent d’est qui se présente. Mais nous faisons malgré tout une route est-nord-est. Tant que l’on arrive à faire un peu de nord, c’est bien, nous ne voulons pas atterrir en Irlande ! Toute la nuit du vendredi au samedi nous tenterons de faire du nord en serrant le vent. Le genaker, qui se reposait sur le pont avant, traîne dans l’eau. Le pauvre, je l’avais mal amarré. Je m’attache bien et je vais le récupérer. Il est lourd, je me prends l’eau des vagues qui passent par dessus. Heureusement elle est encore chaude ! J’arrive à le remonter à bord et à mieux l’arrimer.

Décidément, ce courant nous pousse trop à l’est et le vent tombe. Le moteur nous aidera au lever du jour.

Les jours rallongent encore et encore, c’est merveilleux. Au début, Yves assistait au coucher du soleil pendant son quart de 18 à 21h00, puis c’est moi qui l’ai eu pendant mon quart de 21 à 24. Et il se lève de plus en plus tôt pendant mon quart de 03 à 06.

A la même heure, le soleil se lève à côté de la lune qui se couche. Magnifique ! 

Samedi matin, le vent tourne au nord-est, nous virons et c’est reparti pour la course. Le Grib courant nous jure que nous n’avons pas encore traversé le plus gros de la veine, mais, sur le terrain nous estimons que le Gulf Stream est davantage au sud et que nous sommes dans sa partie nord. Nous nous appuyons donc au moteur pour sortir de là au plus vite et ne pas perdre de distance sur notre route. Vers 11h00, je constate que la température de l’eau est tombée à 20 degrés et que l’air est nettement plus frais. L’eau change de couleur, elle quitte son manteau bleu pour se couvrir d’un manteau vert bouteille. Fini les petites méduses à voile. Nous sommes aux portes de la sortie ! Voilà donc à quoi sert la mesure de la température de l’eau sur nos appareils… en moins d’une heure, elle tombe à 15 degrés.

Ça, c'est bon signe, nous sortons du courant . 

Samedi après-midi, le vent tourne à l’est, soufflant d’une dizaine de noeuds, c’est l’occasion de sortir le genaker pour qu’il sèche.

Légère différence de tenue AVANT et APRES le Golf Stream. 

Nous revoyons l’AIS de Saga, nos amis de course… 15 miles derrière nous ! Ils ont quitté le Golf Stream plus tard, trop tard, plus à l’est.

Chocolat chaud et cirés chaud font leur apparition.  

La nuit est magique, MedioVaS laisse toujours derrière lui un sillage scintillant, rempli de plancton phosphorescent. Des dauphins viennent jouer, eux aussi font un sillage lumineux, nous avons l’impression d’être attaqués par des torpilles. Quel spectacle !

Et ils viennent aussi de jour pour se faire prendre en photo. 

Dimanche, le vent tourne au sud. Le genaker commence à se plaindre du vent arrière, il n’est pas taillé pour cela. C’est au tour du spi de faire sa sortie, en fin de matinée. Et, quand nous portons le spi à bord de MedioVaS, ça sent très vite l’odeur des crêpes. Une coutume est une coutume ! Nous prévenons Saga par radio que nous avons lancé le spi. Ah ah, leur équipage est sur le pont, au taquet pour gréer leur spi… mais pas pour les crêpes.

Warf ... 

Toute l’après-midi, nous régatons ainsi entre les nuages. Parfois le Swan apparait, au loin, portant son immense spi au-dessus de l’horizon. Il ne nous rattrapera jamais, pas d’un yard ! Nous envisageons de laisser notre spi en place pour la nuit, mais, vers 20h00, Yves me réveille pour l’affaler. Le vent monte et le ciel n’est plus si engageant. Nous rentrons dans le Fog, le brouillard épais. Il est si dense que l’on ne voit rien au-delà d'une longueur de bateau. Nous décidons de laisser la grand voile seule. Dans 16 à 20 noeuds de vent par l’arrière, nous filons presque cinq noeuds. C’est bien assez vite pour cette boucaille. Nous sommes surpris d’avoir autant de vent dans la brume, c’est inhabituel. Le radar commence sa longue veille, personne « en vue ».

En plein jour, ça donne cela ... 

C’est difficile de rester au chaud et au sec, le vent par l’arrière pousse tout cet air humide à l’intérieur. À minuit, la température de l’eau est tombée à 12 degrés. Le chauffage fera des merveilles, au petit matin. En attendant, nous jouons les navires fantômes glissant sur l’eau.

Au lever du jour, je sors un peu de génois, le crachin persiste, mais c’est un peu plus lumineux. C’est la première fois que nous apercevrons Saga pour de vrai, toutes voiles dehors, pour une apparition sortie du brouillard pendant quelques minutes avant de replonger dedans. C’était presque un rêve.

Une fois sortis de ce brouillard, le vent tombe et réapparaît par le nord. Nous le savions, c’était prévu par le Grib. Nous avions fait une route en conséquence. Mais nous devons naviguer au près serré, dans une mer courte et agitée. Le courant du Maine nous porte au sud, Nous ne sommes plus très loin en route directe, mais si nous devons tirer des bords, ça risque d’être long. L’option motor-sailing devient vite la préférée de l’équipage qui sent l’arrivée proche. D’autant que nous ne voulons pas trop faire gîter le bateau, nous savons que nous avons de l’eau de mer qui s’infiltre par nos hublots de coque. Ce fut un peu mon calvaire de la traversée.

Mardi 24 mai à 09h40, Yves aperçoit la terre. C’est toujours un grand moment. Et ce n’est pas n’importe quelle terre : c’est le Canada !

Terre au loin, et l'eau à moins de dix degrés, c'est bien le Canada. 

Je contacte les autorités portuaires pour demander la permission d’entrer. Ouf, elle est accordée aussitôt. Ça y est, nous y sommes. Nous faisons attention aux bateaux de pêche et aux bouées de casiers, nous sommes en plein dans la saison de pêche du homard.

Ça pêche ... c'est bientôt la fin des autorisations de la pêche au homard. 

Apres le phare de Chebucto, nous embouquons le chenal d’Halifax. Nous laissons passer un gros cargo chargé de voitures. Nous tournons à gauche et nous remontons tout le bras du fleuve vers l’Armdale Yacht Club. C’est notre terminus et notre point d’entrée pour les formalités. La remontée de ce bras de mer nous laisse sans voix.

Armdale. 

Nous sommes éblouis par les maisons somptueuses, chacune avec son petit ponton privé, entourées de sapins et d’arbres aux différentes nuances de vert ; nous sommes bien au Canada, celui dont nous rêvions depuis longtemps. Le ciel est bleu, le soleil tente de nous réchauffer un peu. MedioVaS avance lentement vers sa destination. Nous sommes tout simplement heureux.

Je contacte le dockmaster du yacht club, nous pouvons accoster au fuel dock. A 15h00, MedioVaS est amarré. Le dockmaster, occupé à mettre un bateau à l’eau, c’est la saison, viendra nous accueillir plus tard.

Nous sommes prêts à accoster. 

Je contacte la douane par téléphone et je réponds à la centaine de questions posées. Tout est en ordre, l’immigration va venir nous voir dans une quarantaine de minutes. Cela nous laisse le temps de déjeuner au soleil.

Une heure plus tard, deux hommes et une femme montent à bord. L’accueil est formidable et nos passeports sont tamponnés pour six mois. Ça y est, nous y sommes vraiment !

Sur le petit ponton, deux fauteuils en plastique épais de couleur jaune nous attendent. Nous nous y installerons et contemplons ce qui nous entoure.


Saga arrivera en fin d’après-midi. Enfin nous pouvons mettre un visage sur nos compagnons de route. Le skipper, Chris, est danois et sa femme, Nathalie, est mauricienne. À bord il y a son fils et deux équipiers, un Américain et un Canadien. Chris fait du charter-aventure, c’est-à-dire que des gens le paient pour naviguer sur son joli bateau ancien et prendre la barre sans aucune protection ! C’est ça, le mot aventure.

Il y a des liens qui se créent par les réseaux sociaux, pour nous ils se sont créés par la radio VHF. Une fois faite leur entrée, nous partons tous ensemble dîner dans le premier restaurant sur la route.


Nous y sommes !!!!  
4
Le Canada, cela mérite bien une coupe de champagne ! 

Nous passons la nuit du 24 mai au « fuel dock ». Bob, le dockmaster, tourne un peu autour de MedioVaS. Il nous raconte son rêve et projet de voile. Cela se termine dans une discussion passionnée de modèles de voiliers en fonction du projet, entre Yves et lui. Mais MedioVaS a besoin de quelques soins, comme après chaque longue traversée, et Bob doit retourner à ses mises à l’eau des bateaux, la saison commence !

Nous envisagions une nuit au ponton, il nous en faudra deux. Le ponton est partagé entre Saga et nous. Nous vidons nos voiliers. Le genaker subit un bon rinçage après son bain de mer de longue durée. Le spi est hissé en drapeau, pour un bon séchage. Heureusement, nous avons deux jours de soleil devant nous.

Séchage naturel. 

Pendant la nuit, notre pompe à eau d’eau douce s’est mise en route plusieurs fois. Vérification des robinets : ils sont tous bien fermés. Je vide toutes les cales, nous avons de l’eau salée dans les fonds, nous le savions et il est temps de tout rincer. L’eau s’est infiltrée par les hublots de coque et nous soupçonnons une toute petite entrée par le propulseur d’étrave. Il faudra mettre tout cela au clair. Une fois que tout est bien dessalé et séché, chaque petite boîte de conserve ayant survécu à notre appétit retrouve sa place.

Je nettoie l’intérieur et Yves s’occupe de dessaler tout l’extérieur, nous profitons de l’eau de la marina. Chaque tube en inox est une saline à lui tout seul. Nous devrions faire une récolte de sel de MedioVaS ! Pas facile de retirer chaque grain de sel.

La journée est belle et je propose à Saga et à son équipage de partager un déjeuner sur le ponton. Aussitôt dit, aussitôt fait, la pause est bien méritée.

Nous digérons en faisant un petit tour sur les pontons et le terre-plein. Nous observons les bateaux en fin d’hivernage, emballés dans des cocons ; certains d’entre eux sont chauffés, pour résister au froid.

Dans l’après-midi, en rageant tout dans l’une des cales, je vois à nouveau de l’eau au fond. Après dégustation, elle est douce ! Est-ce de l’eau qui est entrée après le gros rinçage extérieur ? Le vroum-vroum de la pompe d’eau douce se fait toujours entendre, au moins une fois toutes les vingt minutes. Bon, il faut se rendre à l’évidence : nous avons bien une fuite d’eau douce. En réfléchissant au chemin du circuit d’eau douce et au fonctionnement hasardeux de la pompe, la fuite doit se trouver après la pompe. Dans nos anciens élevages de cafards, la petite paroi séparant la poubelle de la paroi extérieure du frigo, sous l’évier, est restée ouverte et j’arrive à voir une belle mare d’eau douce stagnant dans un creux. L’accès n’est pas facile. Nous tentons de suivre tous les tuyaux d’eau et surtout leurs connexions. Belle surprise : tous les colliers serrant les tuyaux autour des raccords fuient. Nous comprenons très vite que la différence de température entre les Caraïbes et le Canada n’a pas joué en notre faveur, la dilatation étant réduite, les colliers sont lâches et l’eau en profite pour s’en échapper. Yves passera deux jours à tout resserrer. Les accès sont très difficiles et nos amis les installateurs semblent avoir placé les colliers de telle sorte que les boulons de serrage soient toujours contre une paroi. Yves y laisse la peau de ses deux mains mais pas un collier n’échappe à ses outils de précision qui vissent dans les coins !


Nous faisons un petit tour chez The Binacle, le magasin d’accastillage très réputé du coin et le seul, d’ailleurs. Yves y trouve ses bottes de rêves pour le grand froid et nous nous ruinons en Sikaflex pour remplacer les joints de nos hublots.


Le bateau est presque prêt pour aller au mouillage. Le soir, nous profitons de la bonne douche de la marina et de son restaurant. Nous pouvons admirer les Blue Noose 47, de petits voiliers de course traditionnels, construits au Canada, qui régatent tous les mercredi et jeudi soir.


The race is on ! Et en ce début de saison, ça ne rigole pas.  

Le lendemain matin, après avoir fait les pleins de gazole et d’essence, nous déplaçons MedioVaS au mouillage. Nous y retrouvons le voilier Vénus, des français résidents au Canada, ayant le projet de participer à l’Ocean Global Race 2023. C’est une course autour du monde en équipage avec escales, vintage façon 1970. Il s’agira de la première édition, cinquante ans après la première de la Withbread. Pour y participer, il faut que les bateaux aient été construits avant 1988. L'utilisation de tout appareil électronique est interdite, ainsi que les moyens de communication par satellite, sauf pour les éventuels interviews. Le sextant est à l’honneur. Parmi les bateaux présents, il y aura le mythique « Pen Duick VI », vainqueur de la Withbread 1973-1974, mené cette fois-ci par Marie Tabarly, la fille du héros disparu. En ce qui concerne le bateau Vénus, le skippeur s’est inscrit à la course avant même d’avoir le voilier. Il l’a acheté sans pouvoir le visiter, en Polynésie, à l’époque du Covid. Il le ramène au Canada pour le préparer et récolter des fonds, autour d’un projet écologique. Mais voilà, il y a beaucoup de travaux et pas assez de moyens. Si ce n’est pas possible en 2023, il courra la prochaine. Tout ceci nous est raconté à leur bord, autour d’un punch. Alex le skippeur et Chloé, sa copine, attendent les prochains équipiers payants pour remonter le fleuve Saint Laurent, c’est ainsi également qu’ils financent le projet.


Vendredi 27 mai, je passe la matinée dans MiniVaS pour préparer les hublots de coque : retirer les joints, nettoyer, poser de l’adhésif de protection sur les bords. L’après midi s’annonce pluvieuse donc il n’est pas question de poser le « sika ». Cela attendra une journée complète de soleil.


Samedi, nous partons nous promener à Halifax. Il est temps de découvrir un peu ce qui nous entoure. Nous partons à pied, bien couverts, il fait froid. Mais après une demi-heure de marche, nous sommes à l’abri du vent et le soleil chauffe. Je meurs de chaud, j’entre dans le premier magasin de vêtements et ressort en short et chaussettes courtes dans mes grosses chaussures de marche. Nous arrivons ainsi au Waterfront.

Halifax, K’jipuktuk en Micmac, est la capitale de la Nouvelle-Écosse et le siège de la Couronne provinciale de la Nouvelle-Écosse. Elle est la plus grande municipalité des provinces de l’Atlantique. Deuxième plus grande ville côtière du pays après Vancouver, elle est l’un des plus grands port de pêche au monde et la plus grande base navale du Canada. Elle est également l’une des plus vieilles villes du Canada, fondée en 1749 par Edward Cornwallis.

Halifax était appelée Chebucto (le plus grand port) par les amérindiens Micmacs. Elle fait partie de l’Acadie mais fut plusieurs fois contestée entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre et connut de nombreux combats.

En 1917, la ville connaît la plus grande explosion provoquée par l’homme avant Hiroshima, l’explosion du navire de munition français Mont-Blanc. Le cargo, chargé de munitions en route vers l’Europe alors en guerre, entre en collision avec un navire norvégien. Le Mont-Blanc prend feu et explose vingt minutes plus trad tuant deux milles personnes. L’explosion provoque un tsunami et une onde de choc si puissante qu’elle détruit tout jusqu’à une centaine de kilomètre. L’explosion se fait entendre à 420 km de distance !

La ville n’est pas épargnée par les ouragans venant des Caraïbes . Elle connaîtra Juan en septembre 2003, le plus puissant et dévastateur jamais observé au Canada depuis 1893 .

Le Waterfront, long de quatre kilomètres, est le hotspot d’Halifax. Nous ne sommes pas seuls. Au premiers rayons de soleil, tous les canadiens sortent pour une promenade en short.

Nous choisirons la file pour une glace. 

Nous voyons bien que tout n’est pas encore aménagé pour la saison mais les gens sont bien là ! Il faut faire trente minutes de file pour une glace et le vendeur de poutine fait le plein également.

Ça sent le printemps ... 


Nous déambulons jusqu’au bout de la promenade et revenons par un chemin qui longe à peu près l’Armdale.

En effet, le printemps est là. 

Samedi soir nous invitons Venus et Saga à notre bord. Nous parlons de nos projets à venir. Vénus attend son équipage pour un départ mercredi, vers le nord puis le Saint-Laurent. Saga est plus tranquille, son équipage a débarqué le lendemain de leur arrivée et le suivant arrive vers le 25 juin, ils vont donc visiter la côte sud de la Nouvelle-Écosse, comme nous.


Dimanche, c’est journée Sika pour les hublots. Il fait beau, ça laissera le temps de sécher avant la prochaine pluie. Ce qu’il y a de sympa, avec ce produit, c’est que l’on finit blanc et collant pour quelques jours. Je suis assez satisfaite du travail, mais il faudra vérifier l'étanchéité dans la mer formée.


Lundi, nous faisons quelques courses et Yves s’occupe de nos lessives. Je suis une catastrophe face aux machines à laver le linge. Il fait une grosse impression auprès de la patronne, avec ses gestes précis de pliage militaire !

Nous sommes prêts pour quitter notre mouillage le lendemain.

5

À peine quelques jours que nous sommes là et nous avons déjà la bougeotte. Nous avons rencontré John, le port officer de l’OCC (Ocean Cruising Club), notre club sélect de navigateurs au long cours. Il avait apporté toute une documentation pour nous promener dans ces énormes baies qu’offre la Nouvelle-Écosse. Yves nous a acheté une bonne couette pour dormir au chaud, 10 degrés c’est un peu froid dans le bateau au petit matin. Maintenant nous avons tout ce qu’il faut. Surtout, nous avons hâte d’explorer.

Mardi 31 mai, nous appareillons. L’ancre s’extirpe paresseusement de son fond de vase bien collante à 08h30. Nous descendons l’Armdale au moteur, pas facile de naviguer dans ce bras de mer étroit avec le vent dans le nez. Nous croisons les avirons qui s’entraînent dans le froid et la brume du matin.

C'est reparti . 

Sortis du bras de mer, le grand air s’engouffre dans nos voiles et nous pousse vers le joli phare de Sambro, revêtu de son pyjama à rayures blanches et rouges.

Le phare de Sambro. 

Nous embouquons le petit chenal bien délimité par les bouées, il ne faut surtout pas en sortir, il y a des rochers partout. Nous avons entre quinze et vingt noeuds de vent, la mer est belle, il fait froid malgré le soleil, c’est un délice. Nous avons décidé de passer dans le petit chenal entre Inner Sambro et la terre ferme.

Inner Sambro 


Nous ne sommes plus très loin des rochers. 

MedioVaS se fait tout mince et nous prenons des ris en remontant au vent. Inner Sambro est une toute petite île rocheuse, avec une superbe plage de sable en plein milieu. Au milieu du chenal, le vent vire complètement pour finir de face ; nous rentrons complètement les voiles et terminons au moteur vers Sambro Harbour, à un mille de là. C’est le dernier jour de la pêche au homard, un jour sous pression pour les pêcheurs. Ils vont et viennent à la recherche de leurs casiers, un vrai défilé de petits et grands bateaux.


 La baie est jolie. L'île du Man, un rocher nu planté en plein milieu, lui donne du relief. La maison est a terre .

Nous tournons un peu en rond dans ce petit port de pêche en grande activité, à la recherche d’un endroit où mouiller l’ancre. Mais aucune place ne nous tente, faut dire que c’est tout petit. Au bout, il y a bien un petit port de plaisance, mais la carte nous indique qu’il n’y a pas assez d’eau pour notre quille.

Pas de souci, grâce au guide de John, nous avions repéré un autre endroit, juste derrière Powers Island, un quart de mille plus au nord. Comme dirait Patrick dans Camping, quand deux rochers ne se touchent pas : ça forme une allée ! C’est un peu près ça, vers midi nous mouillons l’ancre dans cette petite allée de soixante-dix mètres de large à peine, en espérant ne pas gêner les pêcheurs qui l’empruntent pour rejoindre leur ponton dans d’autres « allées » en amont. Ces baies sont remplies d'îles et c’est un dédale de petits bras de mer dont certains se terminent dans d’énormes lacs.

MedioVaS dans son allée. 

Comme voisin, nous avons une cabane au Canada et son ponton bien évidemment. Nous armons MiniVaS de son moteur et, hop, il retrouve l’eau bien froide. Après déjeuner, nous partons visiter ce labyrinthe. Avant même de prendre la première embouchure sur notre droite, nous saluons un pêcheur qui se bat avec un casier coincé dans les rochers. À notre arrivée, le casier remonte enfin, plein de langoustes.

Je vous présente Gus. 

Hilare, il trouve que nous lui portons chance et nous entamons une discussion. En deux minutes, il nous propose d’utiliser son ponton pour y laisser MiniVaS. Il nous y retrouvera dans une demi-heure. Cela ne se refuse pas. Nous utilisons ce temps pour continuer notre promenade, après avoir repérer le fameux ponton qui ressemble plutôt à un petit port de pêche privé !

Comment ne pas « tomber en amour avec » ce pays ! 

Lorsque nous venons accoster, c’est sa femme qui nous accueille, déjà au courant par radio. Son mari est en chemin. Un petit ponton flottant pour nous, un ancien bateau de pêche transformé en ponton sur lequel est amarré un vrai bateau de pêche, de l’autre côté, un autre ponton flottant pour accueillir le caseilleur, un mât pour hisser les casiers qui s’entassent… c’est toute une organisation. Le marin arrive enfin. C’est Gaspard, dit Gus, qui a épousé une Barbara, dite Barb ; évidemment, deux Barbara, c’est amusant.

Bienvenus chez Gus et Barb, enfin dans leur petit entrepôt. 
MiniVaS qui se prend pour un caseilleur. 

Barb me demande si nous devons faire des courses, elle est bien contente lorsque je lui dis que nous avons le plein de nourriture à bord, car à Sambro il n’y a rien. Nous demandons plutôt quelques renseignements sur une randonnée et Gus nous tend les clés de son truck, un gros pick-up. Commence alors une discussion avec Babe qui veut que l’on prenne plutôt sa voiture, qui ne sent pas le poisson. On se croirait dans un album d’Astérix. Ahahah, je dois lui expliquer que, pour nous, conduire ce gros pick-up fait un peu partie du mythe. Non seulement Gus nous laisse les clés mais il ajoute que si nous manquons d’essence, il y a de l’argent dans le vide poche pour faire le plein. Nous n’en revenons pas de cet accueil et de la confiance si rapidement accordée. Nous partons aussitôt sur les routes qui longent la mer, nous poursuivons dans un parc. Une petite randonnée vers un lac, d’eau douce cette fois-ci. Nous avons l’impression de rêver. Tout le Canada est là, autour de nous. Gus dans sa chemise à carreaux avec ses casiers de homards, les forêts de sapins à perte de vue, des lacs dont on ne voit pas le bout, le pick-up surdimensionné (qui sent effectivement un peu le poisson) et pas une épicerie à la ronde pour acheter une bouteille de vin en guise de remerciement !

Merci Gus et Barb ! 
Il y a toujours un lac au bout d'un chemin. 

Après de longues recherches, nous en trouvons quand même une. Elle était toute proche, juste de l’autre côté du port, à la croisée des routes, comme souvent. En outre, ils font restaurant et glacier, nous n’allons tout de même pas partir sans s’offrir une glace. La bouteille de vin à la main, nous retournons au ponton. Gus arrive avec de nouveaux casiers pleins. C’est Barb qui les hisse grâce au mât de charge astucieusement installé.

Et la journée n'est pas terminée. 

Le déchargement terminé, nous sommes inondés de nouvelles offres : venir en soirée après les tournées-casiers de Gus, pour prendre une douche, pour faire notre lessive… Oh, qu’ils sont gentils. Mais non, nous avons tout ce qu’il nous faut à bord et c’est la première soirée au mouillage. Nous leur promettons de revenir le lendemain, avant de partir. Barb est ravie du vin blanc choisi.

Nous cherchons encore nos mots pour les remercier, quand Gus nous donne deux gros homards bien vivants, qu’il met dans un sac. Je sais ce qu’il me restera à faire le soir, cuire les deux bébêtes après avoir trouvé une recette adaptée à notre petite cuisine. Je vais même les accompagner d’une mayonnaise « bateau » pour fêter l’événement. Que d’excitation et d’émotion en ce dernier jour de pêche au homard en Nouvelle-Écosse ! La saison se termine plus tard, à mesure que l’on va vers le nord. Peut-être revivrons-nous une autre de ces aventures ?

La cuisson est une vrai réussite, même Yves se laisse faire pour avaler les bêtes qu’il a vu vivantes l’heure précédente. Et j’ai aussi mon verre de vin blanc pour l’accompagner.

Désolée les bébêtes ... 

Le lendemain, nous partons vers le port de pêche pour nous rapprocher d’une randonnée à pied. Après quelques recherches et suivant le conseil d’un pêcheur rangeant ses casiers, nous amarrons MiniVaS le long d’un ponton sur pilotis en ruine.

En route ... 

Au programme, une marche d’une dizaine de kilomètres avec un petit pique-nique. Mais, avant la randonnée, il faut déjà marcher quelques kilomètres pour trouver le départ du sentier que nous apercevons au bout d’un énorme parking. En effet, pour le homard la saison est finie, mais pour les randonneurs du week-end, elle va commencer. Vu la taille du parking, ils doivent venir en masse.

Le sentier traverse une petite forêt de sapins perchée sur les rochers et il débouche assez rapidement sur une plage. C’est une vraie petite plage aux couleurs Caraïbes, entourée d’énormes rochers. J’avais repéré le lieu en faisant mes habituelles recherches, mais je ne m’attendais pas à cela.

Au fur et à mesure que nous avançons, nous apercevons une autre plage, encore plus grande et plus belle, entourée de rochers encore plus gros et plus beaux.

Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. 

Nous marchons sur les rochers entre mer et sapins, le soleil commence à chauffer, veste et pull se retrouvent dans le sac à dos. Nous avons une chance énorme avec la météo. La vue s’étend du fond de la baie jusqu’à Inner Sambro et jusqu'au phare de Sambro. La lumière est somptueuse et donne l’éclat magique à ce qui nous entoure.

Nous déjeunons avant de contourner la pointe et de longer ce qui se trouve de l’autre côté, c’est à dire au vent. Eh oui, nous allons devoir ressortir la veste, le vent est frais, quand même, c’est toujours l’hiver. Les rochers sont maintenant recouverts de mousse, les sapins sont remplacés par de l’herbe, des petits épineux et des marécages. Nous devons trouver des chemins pas trop humides pour y poser nos pieds. L’autre baie est beaucoup plus grande et avec tant d’îles que l’on s’y perdrait.

Plouf plouf font les pieds dans l'eau.  
Partie de boules ? 

La côte est plus sauvage, les rochers plus abruptes. Les sapins font leur réapparition, couchés dans le sens des vents dominants. Nous sommes un peu mieux abrités. Nous trouvons le sentier qui mène directement au village et à l’épicerie-restaurant, juste à temps pour rafler le reste de leur pizza en guise de goûter. Nous retrouvons MiniVaS dans une drôle de position. Ahah, l’erreur de débutant ! Dans l’excitation nous n’avons plus pensé à la marée. Pauvre MiniVaS, le nez un peu suspendu à son amarre. En outre, le propriétaire du ponton lui a collé un petit papier nous signalant que ce ponton n’était pas public. Yves arrive à monter à bord et rend sa dignité à notre petite annexe. Le ponton privé est tellement délabré et l’eau sous MiniVaS est si basse qu’Yves préfère me récupérer un peu plus loin, sur un autre « truc » flottant. Je manque de passer au travers de ce « truc » mais parviens quand même à embarquer. Nous filons tout droit chez Gus et Barb, pour leur dire au revoir et encore mille merci, mais la maison est vide. Nous y retournerons plus tard, sans succès. Dommage.

Le nuit tombe et la fatigue se fait sentir. Le lendemain, nous partons vers une autre baie, un autre mouillage.

L'hiver est fini, la nature revit. 
6

Le 2 juin, le coeur un peu lourd de ne pas avoir salué une dernière fois Gus et Barb, nous quittons notre mouillage à 09h30. MiniVaS navigue suspendu sur ses bossoirs mais son moteur est bien rangé dans son coffre.

La baie est plus calme que la veille, les pêcheurs se reposent, très certainement. Nous sortons les voiles et devons tirer des bords : le premier vers la belle plage de la veille, le deuxième vers le phare de Sambro pour contourner une zone « minée » et, enfin, le troisième qui nous conduira à notre prochaine baie. Depuis l’océan, nous contemplons le cap aux rochers blancs sur lesquels nous déambulions la veille quand, au loin, la dorsale d’un petit rorqual fait son apparition.

La navigation par vent de travers est magnifique, le soleil est bien présent mais il ne nous réchauffe toujours pas.

Nous doublons Pendant Bay et sa multitude d’îles pour entrer dans la baie suivante. Une fois encore, nous devons biens suivre les bouées. Nous nous aventurons, comme nous aimons bien le faire, dans des passages étroits. Le vent est régulier, nous sommes au portant, et commençons à voir les îlots de très près. Une fois que le passage s’élargit, nous roulons les voiles. Notre mouillage se trouve de l’autre côté d’un passage à peine cartographié, encombré de roches et permettant la navigation d’un seul bateau à la fois.

Roost Island à tribord. 

Roost Island est là, à tribord. Yves est à la barre et moi à l’avant pour guetter la moindre ombre douteuse dans l’eau. Nous suivons les instructions du guide de John, un peu inquiets mais le sondeur n’affiche pas moins de sept mètres. À la pointe nord de Roost Island, nous tournons à droite, sans trop serrer le virage.

Rester concentré... 

L’eau est claire, nous pouvons voir le relief de la côte rocheuse se profiler dans l’eau, surtout rester à gauche du chenal. Après trois cents mètres, nous découvrons le mouillage : un mouchoir de poche ! Mais quelle merveille, heureusement nous sommes seuls.

C’est LE lieu de rendez-vous, les week-end et en été. À 13h30, l’ancre repose dans six mètres d’eau, dans une vase bien épaisse. Après deux essais, nous sommes à bonne distance des rochers derrière nous, à côté de nous et devant nous. Le guide ne se trompe pas, il le qualifie de l’un des plus beaux mouillages de la Nouvelle-Écosse. Il fait partie d’un parc national et n’est accessible qu’en bateau.

Vous comprenez pourquoi l'on veut rester loin du rivage ? 

Un goéland, du haut de son rocher, nous observe sans broncher. Il doit se demander ce que nous faisons là, si tôt dans la saison. Mais, à l’abri du vent, l’air se réchauffe. J’enfile mon short et je pars à l’aviron avec le drone dans mon sac.


Et voici le résultat en images. 

Après mes images d’amateur, Yves me propose une visite du mouillage de poche. Nous débarquons sur l’un des rochers. Ici, sapins et épineux sont chez eux, ce qui laisse très peu de place pour marcher. Mais nous arrivons quand même jusqu’au petit barrage fait de gros rochers qui ferme le mouillage.

Enfin au petit barrage. 

Le passage a l’air assez large pour MiniVaS. Allez, on le tente. Le courant est contre nous, ça coince un peu mais ça passe. Et lorsque l’on veut revenir, le courant est à nouveau contre nous !

Allez MiniVaS, on y retourne ! 

Sur l’autre rive, nous trouvons un petit port pour MiniVaS où l’on peut descendre pour rejoindre le rocher du goéland. Marcher là-dedans en short n’a pas été ma plus brillante idée de la journée, mais j’ai réussi à rejoindre Yves, en pantalon long, qui avait pris la place du goéland. La vue de là-haut est époustouflante, je comprends mieux que l’oiseau l’ait choisi pour perchoir.

Le goéland ne va pas apprécier . 
Le mythe. 
Et MiniVaS se trouve plein de mini ports. 

De retour sur MiniVaS, nous allons voir une plaque posée à la mémoire de John Snow. Non, pas celui de Games of Thrones (qui ne sait jamais rien), mais le vrai, un célèbre yachtman de la région.

JOHN SNOW ... 

Allez, deux coups de nage et nous sommes de retour au bateau. C’est l’avantage des petits mouillages.

Oh, un bruit de moteur. Nous avons de la visite. Un bateau à moteur puis un second viennent tourner autour de nous puis repartent. Ouf ! La soirée est fraîche, enfin froide. Mais les lumières que nous offrent le soleil en se couchant méritent de rester à l’extérieur.

Le lendemain, alors que nous sommes prêts pour partir en milieu de matinée, je reçois un message du voilier Saga, ils sont en route, pas très loin. Yves démarre notre traceur pour suivre leur AIS. Il me reste de la batterie pour le drone, je pars filmer leur passage au milieu des rochers.

Saga est un 47 pieds, il est impossible de mouiller un autre bateau surtout de cette taille. Plus qu’une solution, sortir nos défenses, et l’accueillir à couple. Aussitôt dit, aussitôt fait. Saga est prévenu par VHF. Tout se déroule très bien. Ils nous proposent de dîner à bord. Bon, personne ne partira aujourd’hui.

Ils nous apprennent que le bateau Vénus est parti sans équipage, ils se sont tous désistés à la dernière minute ! Ça ne va pas les aider à avancer dans leur projet.

Ah oui, il faut froid. 

Un autre petit bateau moteur passe, et nous voyant bien couvert, il nous lance : " - vous êtes là un peu tôt". Tôt mais seuls !

Pendant le dîner à l’extérieur et au froid, Saga est grand mais il n’a pas de capote, le vent tourne. Yves imagine directement la scène : nos chaînes de mouillage qui s’entortillent si l’on fait un tour complet. C’est l’occasion de tester notre deuxième chaîne. Aidé de Chris, ils sortent la caisse qui contient les kilos de chaîne et de câblot, l’ancre secondaire de MedioVaS, et MiniVaS part tout chargé pour installer un troisième mouillage en étoile. Nous pouvons continuer notre dîner tranquillement, sous un plaid bien chaud.


Samedi 4 juin, nous partons à 08 heures. La marée est basse, très basse. Je suis à la barre et Yves à l’avant. Nous voyons très clairement tous les rochers couverts de leurs algues. Le sondeur reste toujours très confiant. C’est vent du sud, nous attendons d’être sortis de la baie pour sortir les voiles. Nous avons une longue navigation au travers, magnifique, jusqu’à l’entrée de Mahonne Bay, entre deux Îles.

Le Gennaker se fait plaisir. 

Cette fois-ci, les bouées ne sont pas présentes, du moins pas toutes. Une fois dans la baie, nous continuons au portant jusqu'au bout du bout : le chantier d’East River. En regardant les AIS des bateaux présents, Yves repère un Arjuna, est-ce le bateau que l’on avait rencontré au Bermudes, celui dont j’ai escaladé le mât pour décoincer la drisse ? Quelle joie de revoir Fannie et Marc. Nous avons à peine mouillé l’ancre à côté d’eux, qu’ils apparaissent, tout autant ravis de nous voir. Il leur est arrivé un gros malheur à leur arrivée des Bermudes. Ils étaient enfin à quai dans leur port d’hivernage qu'un petit bateau à voile leur rentre dedans. Les occupants avaient sauté à l’eau, le bateau était livré à lui-même, à pleine vitesse. Le choc a été si violent qu’ils ont un trou au niveau de l’étrave, des chandeliers tordus, le balcon avant arraché… la liste est sans fin. Ils étaient désespérés, mais l’assurance du fautif prendra tout en charge. Dans le règlement des dommages, ils doivent faire réparer à East River. Si nous sommes venus ici, ce n’était pas complètement par hasard. Nous aussi nous voulons savoir si nous pouvons sortir le bateau de l’eau pour réparer le propulseur d’étrave.

Nous avons peu d’espoir d’avoir les renseignements un samedi après-midi, mais il faut quand même tenter. Arrivés à terre, un homme très accueillant, comme toujours par ici, nous donne des contacts et nous dit que dès lundi MedioVaS peut aller au sec. Bon, mais faut d’abord avoir les pièces. On verra lundi.

Le soir, Fannie et Marc nous invitent pour une dégustation de chaudée, plat typique de la Nouvelle-Ecosse. Ce plat, entre soupe et ragoût de poisson et fruits de mer est un régal. Il trouve son origine dans le Cullen Skink, plat écossais bien évidemment.

Dimanche, comme prévu la veille au soir, nous partons à deux bateaux vers Chester, une petite ville côtière pas trop loin. Fannie et Marc connaissent la région par coeur, ils seront nos guides. Mais, après une demie heure de navigation, nous apercevons Arjuna qui fait demi-tour et retourne à sa bouée. Par VHF, nous apprendrons qu’ils ont une problème de direction. Nous partons les chercher et je me lance dans la préparation d’une grande sauce bolognaise.

Nous tirons des bords dans la brise, l’équipage découvre MedioVaS, bateau « ultra moderne » à côté du leur. Ils sont aussi surpris de la vitesse que nous obtenons dans si peu de vent. La grand voile sur enrouleur restera un mystère jusqu’au mouillage, où il peuvent plus facilement suivre le trajet de la bosse de l’enrouleur.

À Chester, nous prenons une des bouées du yacht club et descendons nous promener. Le village est bien caractéristique, de belles maisons en bois, un bras de mer bordé de pontons privés et un glacier : notre dessert nous attend. Vers 16h00, nous repartons vers East River, toujours sous les yeux ébahis de Marc et Fannie.

Chester. 

Lundi, Yves va rencontrer du responsable de la marina. Il revient avec une promesse de devis pour sortir le bateau et même la possibilité d’obtenir les pièces. Tout cela paraît assez irréel.

Mardi matin, Yves me dépose à l’aéroport d’Halifax avec « le char » que Marc nous a prêté (un énorme pickup, pas vraiment tout jeune). Je pars retrouver Arthur à Montréal, nous reviendrons ensemble après un road trip bilingue.

Je laisse Yves vérifier la promesse de sortie du bateau…

 A bientôt.
7

Le lundi 13 juin, je suis de retour avec Arthur. Nous avons fait un magnifique road-trip. Après avoir rendu la voiture à Halifax, nous prenons le bus en direction d’East River ; enfin, il s’agit d’un arrêt au bord de l’autoroute. Yves nous y attend dans le char de Marc.

La météo s’annonce un peu grise et sans vent. Mais peu importe, mardi matin nous partons en route vers Lunenburg. Pendant notre absence, n’ayant pas de nouvelles de la fameuse promesse pour sortir le bateau de l’eau, Yves s’est promené dans cette énorme baie. Il nous en fait profiter, déambulant entre les Îles, franchissant les petits passages étroits, admirant un dauphin au loin ou une tête de phoque. Nous arrivons ainsi dans l’entrée des Silver Narrows, encore un passage bien délicat. Nous nous enfonçons dans les terres, longeant tour à tour une ferme ou un petit village. Notre mouillage est assez vaste et nous sommes seuls, encore une fois.

Entre les îles vers les Silver Narrows. 

Avec Arthur, nous partons en MiniVaS découvrir Lunenburg. Cette petite ville, dotée d’un riche patrimoine et d’une architecture unique, est devenue un site historique national en 1992 et un site du patrimoine mondial en 1995. Elle était habitée par des Micmacs puis des Acadiens, dès 1610. En 1713, les Traités d’Utrecht cèdent l’actuelle Nouvelle-Écosse, à l’exception de l’Ile Royale (île du Cap Breton aujourd’hui) à la Grande-Bretagne. En 1749, un appel est lancé et 2700 protestants étrangers s’établissent à Lunenburg en 1754, dans le but de remplacer les Acadiens catholiques d’origine française et les Micmacs. En 1753, la ville est fondée et baptisée Lunenburg, en l’honneur du roi de Grande-Bretagne et d’Irlande qui était aussi duc de Brunswuick-Lunenburg. La ville devient alors la deuxième colonie britannique de Nouvelle-Écosse, après Halifax. La majorité des étrangers sont Allemands, Suisse et Français protestants. La population a su préserver l’identité de la ville au cours des siècles. Son économie repose toujours sur la pêche dans l’Atlantique (et le tourisme !).

Ainsi, le vieux Lunenburg offre le meilleur exemple encore existant d’un établissement colonial britannique planifié en Amérique du Nord.

Après une dizaine de minutes de marche, nous y arrivons. Nous parcourons la route principale, bordée de belles maisons, toutes en bois et très colorées. Sur les quai, quelques vieux bateaux et une pêcherie, mais le majestueux Bluenose II est absent, certainement en excursion. Nous sentons le vent se lever et le ciel s’obscurcir, il faut aller se mettre à l’abri et quoi de mieux qu’un glacier. Dégustant notre glace face à la fenêtre, nous voyons avec joie le fameux Bluenose II accoster.

Arrivée du BlueNoose II 

Une fois la glace terminée et la pluie passée, nous allons voir cette goélette mythique de plus près. Les passagers descendent pendant que l’équipage ferle les voiles et racle la pluie du pont.

On travaille dur à bord. 

Le Bluenose II est une réplique du Bluenose II (oui, oui), elle même une réplique du Bluenose. Bon, cela paraît un peu compliqué. Le Bluenose était une goélette de pêche canadienne, fameuse pour ses victoires en course, qui coula en 1946. Le Bluenose II, construit en 1963, avait la plus grande grand-voile au monde, 386m² pour 1036m² de toile. Il ne participe à aucune régate pour respecter la mémoire de son ancêtre. Il est hors de question de rivaliser avec le Bluenose original, le but étant au contraire de commémorer ses prouesses. Il participe ainsi à de grands rassemblements de voiliers canadiens et américains. En 2009, un projet de restauration est mis en place par le gouvernement de la Nouvelle-Ecosse. En 2010 il est entièrement démoli sur le chantier de restauration. Le projet est transformé, le chantier d’un nouveau Bluenose II est en route. Les caractéristiques changent pour répondre plus facilement aux exigences modernes des sociétés de classification. Il entrera en exploitation en 2015, après beaucoup de turbulences financières.


Nous avons la chance de pouvoir monter à bord, de se promener sur le pont et de discuter avec quelques membres de l’équipage. Mais l’heure tourne et nous devons rejoindre Yves qui est vaillamment resté à bord pour surveiller MedioVaS. Arrivés auprès de MiniVaS, l’orage nous tombe dessus. Après quinze minutes de navigation nous arrivons enfin à bord, absolument trempés.

Une petite douche plus tard, il n’y parait plus. En soirée, nous apprenons le fameux de jeu de cartes des cornes à Arthur. Bon, il a vite compris le système et Yves et moi-même avons eu du mal à gagner quelques parties pendant le reste de son séjour !

Arthur se perfectionne à la barre. 

Mercredi 15, nous partons vers 09h30. La météo annonce du vent, nous sommes ravis et les voiles aussi. Nous longeons la côte pour retourner dans la baie où se trouve le plus beau mouillage de la Nouvelle-Écosse : Roost, bien évidemment. Nous avons aperçu un autre voilier au mouillage, sur l’autre bras de mer. Ouf, notre petit coin est vide. Le lieux reste toujours aussi merveilleux. Apres une magnifique journée en mer, l’ancre repose vers 15h00, dans sa vase bien collante. En fin de journée, le couple de l’autre voilier passe en kayak à côté de nous. Je leur demande s’il savent où je pourrais louer des kayaks. Pas besoin d’en louer, ils nous proposent les leurs pour le lendemain matin. Toujours aussi gentils en Nouvelle-Écosse !

Vers 10h30, Yves nous emmène auprès de leur voilier et nous partons en kayak. Yves de son côté s’aventure avec MiniVaS à traverser toute la baie pour visiter le village.

Roost, toujours un petit paradis. 

En kayak nous partons faire le tour des iles et des plages, cette baie est vraiment somptueuse par ses couleurs et l’atmosphère qui s’en dégage : ici, une plage de rêve entre rochers blancs et forêt de sapin, là de petites criques cachées et partout des îlots sur lesquels les cormorans sèchent leurs ailes. Nous rejoignons enfin MedioVaS par le petit barrage.

En remerciement, nous invitons les propriétaires des kayaks a un apéritif dînatoire à bord. Bill et Shilla sont ravis ! Nous passons une excellente soirée en leur compagnie, échangeant des anecdotes et racontant l’histoire du nom de nos bateaux respectifs. Le leur se nomme Rhum&Coke, il parait que c’est aussi une histoire d’amour…

Vendredi 17, nous levons l’ancre à 06h45. Le vent va forcir dans la journée et nous ne voulons pas mettre à mal notre passager qui dort encore. Deux ris dans la grand voile, un ris dans le foc, MedioVaS file dans les vingt noeuds de vents. Nous arrivons de bonne heure à notre mouillage au fond de l’Armdale. Les bouées vides ont presque toutes retrouvées un bateau après le long hivernage. C’est à peine si nous reconnaissons les lieux.

Arthur est content de revoir la terre ferme. Yves s’impatiente, dans deux jours il prend l’avion pour la France avec un détour en Belgique afin d’obtenir enfin son Visa pour les USA, un rendez-vous à ne pas manquer !

Samedi, j’accompagne Arthur pratiquer sa passion, le golf. Le terrain est superbe et le soleil bien présent. C’est une autre manière de se promener.

Dimanche 19, nous partons à Halifax en bateau. Yves aura moins de bus à prendre pour rejoindre l’aéroport, Arthur et moi pouvons profiter de la grande ville. Nous trouvons une place sur l’un des pontons, gratuit dans la journée, la situation est exceptionnelle.

MedioVaS en ville. 

Nous partons nous promener le long du Waterfront et enfin nous goutons la fameuse poutine. Bon, il n’y a pas de quoi en faire tout un plat !

En fait, rien d'exceptionnelle cette poutine. 

Yves nous quitte en début d’après-midi. Nous continuerons notre promenade vers la citadelle, la rue des magasins, la rue des maisons colorées… l’ambiance est bien plus animée que lors de notre premier passage avec Yves. On sent que l’été est très proche, tout le monde est dehors. Nous resterons la nuit à Halifax pour profiter de l’ambiance nocturne. Dimanche matin nous quittons notre emplacement et rentrons vers Armdale sous génois seul.

Nous découvrons le sentier des douaniers, long chemin qui longe tout le bras de mer, en passant par les jardins des maisons. On se sent un peu comme des intrus en traversant ces magnifiques propriétés, mais à priori cela ne dérange personne ou presque: certaines propriétés ont aménagé le sentier, d’autres s’en protègent par une petite haie. Evidemment elles ont toutes leur ponton aménagé sur l’eau, avec une cabane plus ou moins immense sur la berge.

Promenade dans les jardins privés. 

Arthur prend son avion le 23 juin, tôt le matin. Je me retrouve seule. au programme : repos, préparer la route vers Quebec, faire quelques petites réparations, écrire ces pages et attendre mon homme.

EN ATTENDANT ... 
8

Après de longues recherches de routes possibles vers Quebec, j’ai enfin trouvé des compromis. Entre la Nouvelle-Ecosse, le Cap Breton, le Golfe du Saint Laurent et son fleuve, il faut faire des choix. Tout a l’air somptueux. Et je ne parle même pas de Terre-Neuve, de l’Ile Prince Edouard… Il m’a fallu fermer les yeux sur quelques étapes, en espérant revenir un jour par ici.

Route, courant, guides, ... 


J’ai la chance de revoir Saga, nos amis du Swan 47, qui attendent leurs nouveaux équipiers. Une fois arrivés, ils me proposent de me joindre à eux pour un déjeuner au yacht club. La nouvelle équipe à l’air très sympa et très enthousiaste de partir le plus vite possible vers Terre-Neuve et puis Miquelon. C’est pourtant un sacré décalage horaire pour un couple venant de Thaïlande. Je leur fais mes adieux en espérant les croiser un jour.


Je fais le plein d’eau de MedioVaS et des aller-retours vers le supermarché afin de remplir nos cales de provisions.

Le 3 juillet, malgré une grève à l’aéroport de Paris et des transports parisiens, Yves arrive à Halifax sans retard. Heureusement, car le départ est prévu pour le 5 juillet. La météo s’annonce bonne et nous avons rendez-vous chez John, le port Officer de l’OCC.

Le 4, Yves fait le plein de gasoil et d’essence et pour moi ce sera une dernière tournée au supermarché. Malheureusement nous ne trouverons pas de gaz pour la cuisine, tant pis, faudra faire sans, il nous reste encore une bouteille pleine.

Le 5 juillet à 08h00, nous quittons notre mouillage d’Armdale. C’est un peu tôt, le vent est encore bien endormi, nous devons commencer au moteur. Vers 10h00, comme il est de coutume dans le coin, la brise se lève et le genaker sort de sa housse. Nous naviguons jusqu'à Jeddore, dans ce vent frisquet malgré le beau soleil. John m’a envoyé le point exact du mouillage. Ah ?! C’est vraiment au fond du fond du bras de mer ? Notre carte électronique ne donne même pas de sonde, l’endroit semble plutôt hostile.

Nous devons trouver cette minuscule baie cachée derrière des rochers. 

Mais John avait toutes les données de MedioVaS, surtout notre tirant d’eau, et il nous assure qu’il n’y a aucun problème, quelle que soit la marée. Heureusement, car, une fois encore, nous arrivons dans les passages délicats à marée descendante. Après avoir remonté tout le bras de mer à la voile dans une belle brise, nous décidons de rouler les voiles avant de virer la bouée du minuscule chenal, entre la batture et les rochers. Nous trouvons la bouée qui nous attend dans une petite baie devant la maison de John, grâce aux trois derniers points GPS qu’il nous a donnés.

MedioVaS sur le bouée face à la maison de John. 

Il est 15h30 et nous sommes bien heureux de découvrir ce lieu reculé. Nous avons un voisin, Morning Watch, le voilier de John. Vers 16h00, John vient au bateau dans son petit dinghy pour nous proposer de prendre une douche chez lui et faire de la lessive au besoin. Nous acceptons la douche avec plaisir. À 17h30, il vient nous récupérer, cela nous évite de devoir mettre le moteur sur MiniVaS. Une bonne douche et nous voilà prêts pour passer une excellente soirée avec John et son épouse. John aurait aimé continuer la navigation, mais son épouse a préféré trouver une maison pour l’année et naviguer pendant l’été. Ainsi John, le Sud-Africain né Américain, s’est installé dans la baie de The Head of Jeddore avec son épouse canadienne.

Quand il pleut, il pleut !  

La météo nous annonçait le passage d’une dépression dans la nuit et qui durerait au moins vingt-quatre heures. Il n’y a pas d’erreur, il se met a pleuvoir et il en sera ainsi toute la journée du mercredi. Nous décidons de rester dans cette charmante baie, nous ne voulons pas prendre de risques inutiles au milieu des rochers et des haut-fonds qui longent la côte de la Nouvelle-Écosse. En fin de journée, John nous propose de l’accompagner déguster un Fish&Chips dans une guinguette bien locale. Ça ne se refuse pas, il est tellement heureux d’y retourner, cela fait deux ans, depuis la crise de la Covid. Nous sommes ravis de faire partie de l’événement, nous étions aussi leurs premiers invités depuis deux ans. La pluie a cessé au bon moment et nous profitons agréablement du dîner.

Faut passer à nouveau entre les rochers. 

Le 7 juillet, nous larguons la bouée de John à 05h55. Cette fois-ci, nous partons à marée montante. N’ayant pas pu naviguer la veille, nous devons sauter une étape, la belle baie de Shelter. Au lieu de quarante miles à parcourir, nous en avons le double. Il y a une belle brise par le travers, le genaker est ravi et nous avançons bien. Vers 15h00, il est habituel que le vent monte à 15 noeuds, et il tourne. Nous devons sortir le génois et mettre les voiles en ciseaux. L’allure est moins rapide mais, malgré cela, nous ne prenons pas de retard. En entrant dans le bras de mer de Liscomb, au bon plein entre les rochers, nous arisons. Nous remontons ce bras à la voile jusqu'à l’entrée de notre petite baie. À 20h00, après le passage délicat des deux bouées, nous mouillons l’ancre à Spanish Harbour. Ceci n’a rien d’un port, c’est une baie entourée de sapins, de rochers et de quelques magnifiques maisons : une baie canadienne ! Nous assistons à l’un des plus beaux couchers de soleil, tout en évitant de se faire dévorer par les moustiques qui règnent par ici. Un phoque sort timidement la tête de l’eau et se demande ce que l’on fait dans son aire de jeu et de pêche.

Le 8 juillet, c’est presque grasse matinée, nous levons l’ancre à 6h45. Nous pouvons définitivement annoncer : « à 10h00 il y a dix noeuds, à 15h00 il y a quinze noeuds » de vent. Ensuite, ça monte ou ça descend, selon l’humeur d’Éole. Sur le plan de route, j’avais prévu deux endroits possibles : Tor Bay et Yankee Cove. C’est Yankee Cove qui nous accueillera, malgré sa ferme de moules. C’est la première fois que nous voyons un autre voilier et espérons qu’il y ait de la place pour deux. Une fois franchie la passe de douze mètres de large entre des rochers immergés et sans bouées, faut faire confiance à la carte électronique, nous pouvons mouiller l’ancre sans gêner personne. À 17h00, c’est chose faite. Le vent tombe, le calme règne autour de nous et la marée basse laisse apparaître le décor de rochers. Certains trouvent cela lassant ; pas nous !

Le samedi 9 juillet, j’avais prévu une petite navigation dans les canaux entre les îles, jusqu’à Port Howe, ou alors prolonger jusqu'à Canso, c’est à dire le dernier point avant d’entrer dans le Golfe. La météo est parfaite pour se promener. Nous optons pour les canaux. Port Howe est trop proche, nous passerons la matinée en détour à la voile dans un dédale de chenaux, MedioVaS se demande encore comment il est passé par là ! C'était tout simplement à couper le souffle. Nous nous arrêtons à Portage Cove pour déjeuner sous le regard curieux d’un phoque et face à une de ces petites cabanes canadiennes dont le plus gros équipement est un barbecue. Après cette petite pause gustative, nous nous enfonçons davantage dans les canaux, pour en ressortir devant le petit port de pêche de Canso.

Et toujours une cabane sur un rocher. 

Il est encore relativement tôt, nous décidons de traverser le détroit qui sépare la Nouvelle-Écosse du Cape Breton. Nous avions repéré un petit mouillage à l’Île Madame. Nous nous retrouvons dans un petit port de pêche entre Île Madame et Île Petit Grat. Nous mouillons l’ancre vers 16h45, il n’y a pas beaucoup d’eau mais cela devrait suffire malgré la marée. Nous équipons MiniVaS de son moteur et partons pour une petite promenade à terre. Cette escale inattendue est une merveille, une fois de plus.

Le petit port de pêche. 

Nous devons nous préparer à quitter cette partie du Canada pour entrer dans le Golfe. Ce que nous avons vu dans la journée nous laisse perplexes, trouverons-nous aussi beau et accueillant ?

À 08h00, le dimanche 9 juillet, nous appareillons. Une petite brise nous porte vers le détroit de Canso que nous embouquerons à 13h00. L’océan est séparé du golfe du Saint Laurent par un barrage et une écluse permettant le passage des petits et grands navires. Nous prévenons le maître de l’écluse de notre arrivée par VHF. Quelques questions classiques sont posées et l’on nous promet une ouverture du pont et de l’écluse lorsque nous serons devant. En effet, le feu devient vert et nous entrons dans cette énorme écluse. Après réflexion, nous nous rendons compte que cela fait bien longtemps que nous n’avions pas écluser, depuis la France sans doute. Les défenses sont à poste ainsi que nos nouvelles amarres de vingt mètres de long. Il fallait bien cette longueur, le quai est très haut ; l’écluse est davantage adaptée aux cargos qu’aux petits navires de plaisance. Deux personnes viennent prendre nos amarres au bout de leurs gaffes et nous discutons avec l’une d’entre elles le temps que l’eau monte. Les portes de l’océan Atlantique se referment derrière nous, nous entrons dans le détroit de Northumberland avant de rejoindre le tant attendu Golfe du Saint Laurent.

L'ecluse de Canso rien que pour nous. 

Malheureusement le vent tombe et il est pile face à nous. La météo annonce du vent du sud de quinze à vingt noeuds vers 19h, mais rien ne vient. Nous tirons de mauvais bords, le courant ne nous aide pas. Popov, qui se remet au travail après quelques mois de repos, a du mal à garder le cap.

En route vers le Golfe. 

Nous décidons de nous arrêter à Port Hood, un tout petit port de pêche très bien abrité. Il est 21h00 quand nous y arrivons. Le vent prévu ne se manifeste toujours pas. Nous regarderons un bon film en l’attendant. À 23h30, le pavillon s’agite dans le bon sens. Ça y est, nous pouvons lever l’ancre. Nous quittons illico cette jolie petite baie vers les Iles de la Madeleine.

La lune nous fait l’honneur de sa présence jusqu'à 03h00 du matin. Nos voiles sont en ciseaux, Yves a « tangonné » le génois et nous filons bon train, poussés par les vagues et le vent. Nos moyennes sur le fond sont exceptionnelles. Nous prévoyions une arrivée aux îles en fin de journée ; si nous maintenons nos vitesses, nous y serons à l’heure de la glace.

Vers 04h00 du matin, le ciel s’éclaircit. Est-ce un retour de la lune ? Non, le jour se lève déjà. J’assiste alors au lever du soleil, une heure plus tard. Une énorme boule de feu sort derrière le Cape Breton que nous longeons au large. Mais quelle star, ce soleil ! Rien que pour des moments pareils je suis prête à endurer bien des choses en mer.

Bonheur . 

À 10h30, dans la brume matinale, j’aperçois les collines de l'île d’Entrée. Yves prends son quart à midi. Je lui laisse le plaisir de négocier la passe intimidante, entre l’ile d’Entrée et l’ile Aubert. Le vent souffle à vingt noeuds du sud et le courant sera sortant, le cas de figure n’est pas vraiment idéal pour embouquer une passe étroite et inconnue. Mais Yves négocie bien son bord, la mer est beaucoup plus calme, nous passons entre les deux îles sans souci, en admirant un paysage à couper le souffle. Nous tirons un long bord dans le lagon, avant de virer vers les bouées longeant les dunes qui entourent notre point de mouillage.

Lundi 11 juillet à 16h30 nous mouillons l’ancre dans 4 mètres d’eau au Havre Armherst, entre la marina du Havre Aubert et les dunes du large. Un troupeau de cormorans nous regardent en faisant sécher leurs ailes au soleil.

Les Iles de la Madeleine, ce moment tant attendu, nous y sommes ; nous avons encore du mal à y croire !

Bienvenus en Acadie, Les Îles de la Madeleine. 
9
Le drapeau acadien est partout, une fierté ! 

Dans le pays québécois, tout le pays québécois, on ne dit pas « je vais aux îles-de-la-Madeleine » ou « je viens des Îles-de-la-Madeleine », ou encore « Les Madeleines ». On dit tout simplement, « aux Îles » et cela suffit. Pourtant, il y en a des îles, tout au long du Saint Laurent. Mais c’est ainsi, lorsque l’on parle « des Îles », tout le monde sait qu’il s’agit de cet archipel logé tout au centre du Golfe.

De ces Îles-là, il y en a six, toutes reliées entres elles par des bancs de sable. L’archipel comprend également quatre îles qui ne sont pas reliées, dont l'île d’Entrée, un joyau qui nous éblouit déjà, alors que nous embouquons la passe plutôt intimidante.

l'Ile d'Entrée 

Menquit, en langue mi’gmawi’simg, était le premier nom de l’archipel et voulait dire « îles battues par les vagues ». Depuis, un titulaire de la concession a réussi à leur donner le nom de sa femme, Madeleine.

Avec plus de sept cents naufrages, Les Îles ont la triste réputation de plus grand cimetière en Amérique du Nord. Ceci est du aux fréquentes tempêtes qui balayent l’archipel, par ailleurs garni de nombreux haut-fonds.

On se croirait à Le Havre . 

Nous sommes arrivés beaucoup plus tôt que prévu, le vent nous ayant généreusement poussés, il nous reste plein de temps avant le coucher du soleil. Nous armons MiniVaS de son moteur pour aller toucher la terre des Acadiens. Nous le laissons au ponton des annexes de la marina de l'île Aubert et nous partons déambuler dans la rue de La Grave, C’est LE site historique de l’archipel. Le Havre Aubert fût le premier site de pêche ; il est considéré comme le berceau de peuplement des Îles. Après avoir été fréquentée par les Mi’kMaq puis les pêcheurs basques, bretons et normands, au XVIè siècle, La Grave vit s’installer, en 1762, des familles majoritairement acadiennes, chassées de leur terre. Par la force des choses, ces paysans sont devenus pêcheurs et chasseurs de morses. Dans les années suivantes, d’autres réfugiés du Grand Dérangement y accostèrent. Pendant près de deux siècles, le site fut le centre névralgique de la pêche. Les pêcheurs s’y rendaient pour y débarquer, transformer, saler et sécher leurs prises. Les marchands y achetaient des cargaisons pour la revente. Les bâtiments liés à cette activité s’entassaient sur La Grave.

La Grave 

Aujourd’hui, le monde de la pêche a clairement évolué de la prise vers la revente. Un quai en eau profonde a vu le jour, des coopératives de pêcheurs s’y sont installées, des grosses compagnies de pêche ont ouvert leurs succursales et un entrepôt frigorifique couronna le tout. Il n’y a plus guère de pêcheur à La Grave. Mais le site a conservé son cachet et maintenu sa vocation de lieu d'échange et de rencontres. Les anciens bâtiments sont devenus des restaurants, des cafés, des boutiques et beaucoup d’ateliers d’artistes et d’artisans.

Nos premiers pas à terre sont ainsi directement guidés par de la musique. Un chanteur donne un spectacle sur la plage de galets.

Le piano est à disposition de tous. 

Nous sommes aussitôt séduits par l’ambiance. L’air est chaud, les couleurs sont envoûtantes ; nous poursuivons notre promenade finissons par nous installer à une petite terrasse pour un pré-dîner, il est encore tôt mais les restaurants ferment encore plus tôt. En un rien de temps, nous sommes en grande discussion avec deux jeunes Québécois. Lui travaille à l’école de voile pendant les vacances et elle, fraichement arrivée, n’a finalement pas obtenu le boulot pour lequel elle était venue. Ce sont deux êtres attachants un peu rêveurs, un peu aventuriers, un peu acrobates. Nous discutons bateaux, Saint Laurent, Acadiens, îles… avant de reprendre notre promenade vers le bout de La Grave. Nous y découvrons trois catapultes médiévales installées sur le bord de la route. Elles visent un petit château fort de bois, mouillé sur son radeau, sur le haut-fond qui borde la marina. C’est donc cela : tous les samedis matins, on peut venir s'entraîner au trébuchet !

Malheureusement nous ne pourront pas y jouer, faute de temps.  

La rue grouille de monde, des vacanciers pour la plupart mais des locaux également. Sur le chemin de retour, nous croisons à nouveaux nos deux jeunes amis en compagnie de tout un groupe qui leur ressemble. Ils nous proposent bientôt de « tirer une bûche » avec eux et leurs amis. Euh ? Cela signifie s’assoir avec eux et partager une bière ou un morceau de fromage, tandis que se prépare leur barbecue. Nous acceptons la croute de fromage et racontons un peu notre histoire, mais pas très longtemps, la fatigue de la nuit en mer se fait sentir.

Un repos bien mérité nous attend, ainsi qu’une matinée bien calme. L’après-midi nous repartons nous promener et grimper la colline de la Vierge, puis visiter les alentours de La Grave. Nous espérions bien trouver un dépanneur (une épicerie), mais nous faisons chou-blanc. Nous ne rentrerons pas les mains vides, car nous avons le programme des festivités de l'île Aubert !

Le dépanneur historique de La Grave est fermé. 
Des "cabanes" magnifiques. 
Vue du haut de la colline. 

Nous resterons pourtant à bord ce soir, un coup de vent est annoncé et nous ne voulons pas voir MedioVaS échoué sur le magnifique banc de sable qui borde son mouillage.

Effectivement, la nuit est très venteuse. Nous voyons un petit voilier rouge, notre seul voisin, chasser lentement. Mais le jeune marin à son bord agit rapidement et le voilà en sécurité pour la nuit, avec deux ancres.

Le 13 juillet, nous suivons les conseils des jeunes et faisons du « pouce », c’est à dire de l’auto-stop pour aller vers Cap aux Meules. Après deux kilomètres de marche, une jeune fille s’arrête. C’est Jeanne, née ici et présente aux Îles six mois de l’année. Elle nous dit bien des choses de son pays et finit par nous conseiller d’aller plutôt à l’Etang du Nord, beaucoup plus beau et plus animé. En outre, on y trouve également un supermarché. Nous suivons son conseil et elle nos dépose ainsi juste devant le petit port. Pendant le trajet elle nous raconta un peu la vie dans les Îles et le problème de logements. Beaucoup de maisons sont devenues des maisons secondaires, louées à prix d’or aux touristes pendant les vacances. Ce marché fait augmenter fortement les prix et les Madelinots ont du mal à se loger à un prix raisonnable, sans se faire chasser de leur maisons les deux mois d’été. « Les jeunes ne trouvent plus de place ou rester ».

L'Etang du Nord. 

Nous partons visiter le port de pêche puis débusquons un petit snack pour déjeuner. Et en route vers le sentier qui mène au phare, une grande glace à la main. Les falaises rouges qui bordent la côte nous offrent un décor tout à fait opposé aux dunes de notre mouillage. Le phare domine, majestueux, prévenant le marin du large des dangers de la côte. Malgré lui, des épaves, il y en a…

Le phare surplombant les falaises ocres. 

Notre randonnée se termine par la visite du supermarché ; nous devons penser à notre prochaine traversée. Un peu trop chargés, nous espérons être pris rapidement en pouce. Ouf, une dame nous prend gentiment mais ne manque pas de nous faire la leçon : il faut tendre le pouce sur un parking, pas sur le bord de la route, c’est dangereux et la voiture qui s’arrête crée une congestion. Elle risquait une amende en s’arrêtant ainsi sur la route, quelle audace ! Elle nous dépose à trois kilomètres de la marina, que nous parcourrons à pieds, le virus de la marche a repris mon mari. Après tout, c’est lui qui porte toutes les bouteilles, le sac au dos.

Et toujours une immense église quelque part.

À la marina, nous nous installons pour profiter du wifi. Nos téléphones ne veulent pas du tout capter le réseau local. C’est là que je rencontre Mario le cinéaste, piqué de curiosité pour nos aventures en voilier. Mais nous devons aller au bateau mettre nos courses au frais. Peut-être sera-t-il présent ce soir à la marina, pour le bal ? Oui, ce soir, il y a bal sur le ponton, à 22h00.

Nous y retrouvons les Américains croisés plus tôt, ainsi que Mario et Colette. En fait de bal, nous assistons au spectacle surprenant et émouvant d’un couple d’artistes. Elle, Sonia Painchaud (Madelinienne) est accordéoniste et lui, Cyril Doisneau (Français) est dessinateur ; ils nous offrent un concert illustré. Le résultat est somptueux : chanson française, le répertoire local mais aussi Barbara, Brassens, Brel ou Renaud. D’autres musiciens se joignent à elle, pour une ou deux chansons, ils seront tous sur scène pour le final. Nous sommes sous le charme des voix, les yeux divertis des dessins projetés sur un drap, avec la pleine lune en fond d’écran.

Magique !!! 

Mario me parle d’un cirque qui joue dans une ancienne église reconvertie. Nous avions aperçu des affiches, aux portes de cette église, sans trop comprendre de quoi il s’agissait. Avec quelques explications, nous sommes séduits et envisageons la représentation du jeudi soir. Encore faut-il trouver des places.

Réveil le 14 juillet, le Grand Pavois s’impose, bien évidemment : c’est la fête nationale des Français ! Je profite du repos d’Éole pour envoyer le drone prendre de belles images de MedioVaS en habits et de ses environs.

Bonne fête nationale les Français . 
La splendeur des ILES. 

Pour réserver des places au cirque Eloize, il faut consulter son site internet, qui m’annonce que le spectacle de ce soir est complet. Mais Mario me conseille de nous présenter quand même à l’entrée. Colette fait partie de l’organisation, elle s’arrangera pour que l’on puisse entrer. En effet, la seule mention de son nom est notre sésame, on nous trouve un bout de banc plutôt bien placé. L’église a été rachetéepar Monsieur Painchaud (encore un Pinchaud), dans le but d’en faire une salle de spectacle. La scène est installée sur trois niveaux, dont une mezzanine vertigineuse pour les musiciens ; c’est très prometteur. Pendant deux heures, nous assistons à un spectacle de haut vol. Il y a un conteur, un orchestre, des acrobates… le mélange d’artistes est agréablement surprenant ! Nous serons éblouis tout au long. Nous écoutons les légendes, les anecdotes des Madelinots et l’histoire de leurs Îles, accompagnées par des musiciens locaux et librement illustrées par les jeunes acrobates internationaux, dont certains sont issus de la fameuse troupe du Cirque du Soleil.

Cirque Eloize 

Le lendemain, je m’installe au bar du club nautique. Il me faut du wifi pour relever la météo et publier ce blog. Yves en profite pour aller visiter le musée de la mer. Ensuite, nous irons ensemble profiter d’une dernière exposition.

Mario nous a invités à un 5 à 7 pour marquer leur départ des Îles . Je demande des précisions sur ce « 5 à 7 », au sens plutôt sulfureux pour nous ! Mais au Québec, c’est l’équivalent d’un apéritif. Nous marchons alors jusqu'à sa « cabane » jaune, proche de l’église devenue cirque. Nous passons une fin de journée très agréable, réchauffés par le soleil couchant. Nous y rencontrons Sylvie, originaires des Îles, qui oeuvre pour le Conseil des ministres de la francophonie du Canada. Le pays n’est pas exactement bilingue, c’est un pays où deux langues cohabitent. Malgré de très fortes inégalités de répartition, chaque Canadien doit pouvoir bénéficier des tous les services administratifs dans la langue de son choix, y compris la justice ou l’éducation, quelle que soit son lieu de résidence. Ainsi, chaque province possède un ministre de la francophonie, chargé de veiller au respect du principe. En est-il de même pour « l’anglophonie » ? Nous avons oublié de poser la question !

Notre séjour se termine. Nous avons une bonne fenêtre météo pour traverser le golfe du Saint Laurent vers la Gaspésie. Elles sont rares et mieux vaut ne pas la manquer. Samedi 16 juillet, nous appareillons. L'île d’Entrée devient notre île de sortie. Déjà la nostalgie nous submerge. Nous ne rêvons que de revenir aux Îles, y passer un de ces hivers tant vantés par les conteurs…

Un petit bout de paradis ! 
10

Notre genaker salue les Madelinots sous une légère brise, en début d'après-midi. Arrivés au Gros Cap, le courant nous déporte au sud, le courant est trop fort, le vent trop faible, le genaker ne tient pas le vent arrière . Le génois tangonné prendra la relève. Vers 22h30, le rocher du Gros Cap est doublé, je peux reprendre la route vers la pointe nord du Nouveau Brunswick, à une centaine de miles. Le vent monte à 17 noeuds, je retire le tangon et nous filons six à sept noeuds au portant. La nuit est douce, malgré le vent, tout cela promet une belle traversée. Le soleil se couche paisiblement, laissant le Saint Laurent paré de ses majestueuses couleurs. Yves prend son quart à minuit, la moyenne sur le fond reste exceptionnelle. Nous pouvons être plus tranquilles concernant notre heure d’arrivée.

A nous la Baie des Chaleurs ... 

Vers 03h50, le jour se lève. La lune presque pleine regarde le soleil rouge écarlate sortir de l’horizon. La mer est bien formée, une houle courte par le travers nous permet de faire de beaux surfs. À 15h15, ça y est : nous doublons la pointe de l’île Miscou. C’est la pointe nord du Nouveau Brunswick et l’entrée dans la fameuse Baie des Chaleurs. Cette baie est la plus grande du Saint Laurent et de son Golfe. Elle est réputée pour son eau chaude, bien évidemment. Elle doit son nom à Jacques Cartier, en raison de la brume qui l’enveloppait lorsqu’il l’a découverte, d’où cette impression que l’eau était chaude.

L’impression n’était pas fallacieuse : l’eau est chaude, presque vingt degrés. Vais-je tenter une petite baignade, comme aux îles ? La tentation est forte, mais je suis malade, comme grippée malgré un test Covid négatif, alors on verra. Peut-être Yves fera-t-il une belle démonstration de plongeon canadien ?

Nous avons encore toute la baie à traverser pour atteindre notre point de mouillage. Nous espérions être protégés du clapot, mais il n’en est rien. Le vent souffle pile dans la direction où il nous faut aller et le clapot est de plus en plus court. Nous prenons quelques ris ; 20 noeuds dans le nez, ce n’est pas très agréable pour terminer notre parcours. À quelques miles de l’arrivée, le vent se met à faire n’importe quoi, il tourne, il diminue, il tourne encore … nous finirons au moteur pour mouiller l’ancre vers 20h00. Nous faisons une première tentative dans l’Anse Bebee, mais l’ancre ne tient pas, nous sommes sur des fonds rocheux. Nous finirons juste à côté, dans l’anse Heliot.

Notre premier mouillage en Gaspésie. 

Au programme : atteindre le fond de la Baie des Chaleurs, profonde de quatre-vingt-dix miles. Mais la météo en décidera autrement et nous devrons changer nos plans.

Il y a un phare à chaque cap. 

Le lendemain, lundi 18 juillet, nous appareillons vers le Nouveau Brunswick, à 08h00. En quittant notre mouillage, je suis à deux doigts de percuter un petit rorqual qui prend son souffle juste le long du bateau ! Le vent de d’ouest-sud-ouest nous permet de tirer un long bord vers la rive sud de la baie. Nous finissons dans les petits chenaux, entre l'île Lameque et le continent. Le paysage est très différent, très plat. C’est un lieu de vacance : campings le long des plages et engins de mer en tout genre envahissant le plan d’eau. Il est 14h00 lorsque nous mouillons l’ancre devant la baie de Lamèque (si si). La fatigue se fait un peu sentir, nous ne descendons pas à terre, pour profiter d’un repos bienvenu.


Mardi 19, la météo ne s’est pas trompée : il pleut et le vent souffle du sud puis de l’est. C’est parfait pour aller un peu plus loin au fond de la baie. Nous appareillons à 04h30, c’est l’avantage du jour qui est très matinal, nous pouvons partir tôt . La difficulté est de trouver un endroit pour s’arrêter, où le bateau est en sécurité et le mouillage suffisamment confortable. Il y a très peu de marinas, ce sont essentiellement de petits ports de pêche pour bateaux à faible tirant d’eau. MedioVaS et sa quille profonde ne peuvent pas y entrer. Nous cherchons alors à mouiller sous le vent des digues de pierre. Mais si le vent tourne dans la nuit, ce qui est très fréquent dans les environs, nous ne sommes plus protégés.


Nous naviguons à vive allure, au portant, vers Paspébiac, petit bourg de pêcheurs. Paspébiac, Ipsigiag en langue mic-mac, signifie « la batture rompue ». Vers 11h30, l’ancre repose dans 7 mètres d’eau sur du sable, face à la plage. Après déjeuner, la pluie cesse de tomber et nous descendons à terre. Le port de pêche et de plaisance est situé au coeur du site historique du Banc-de-Pêche-de-Pasbébiac, que nous allons visiter, bien évidemment.

Une gaspésienne et le bâtiment de transformation de la morue. 

Mais la pluie nous a retardé et le site est juste en train de fermer. Ce n’est pas trop grave, tout se passe essentiellement en extérieur et nous pouvons nous promener dans cet ancien centre de pêche. Il y a là un centre de commerce fameux, construit en 1783 par Carles Robin, un important et aventureux commerçant originaire de Jersey. À son décès, les frères Le Boutillier s’y installent en 1838 et poursuivent son entreprise. Pasbébiac devient le carrefour du traitement et de la transformation de la morue, les produits repartant ensuite vers l’Europe, l’Amérique du Sud ou les Antilles.

La morue pouvait être conservée de deux manières : soit la saler dans des barils pour la livrer rapidement soit la sécher, ce qui prenait davantage de temps mais coûtait moins cher en sel.

Barils ou séchoirs ... 

L’entrepôt principal, haut de cinq étages, montre bien la taille de l’entreprise. Mais, en 1964, un énorme incendie détruit presque tout. De la centaine de bâtiments, il n’en restera qu’une dizaine. Ce sont ceux-là que l’on peut visiter.


Nous marchons ensuite le long du « barrachois » vers la petite ville. Barrachois ? Je me suis longtemps demandée ce que cela était lorsque je faisais les recherches sur les possibilités d’escales le long du Saint Laurent. Il y en a partout en Gaspésie sur la carte marine, Barrachois de Malbaie, de Carleton… Cela désigne une étendue d’eau séparée de la mer par un cordon littoral de gravier, de sable ou de galets, laissant une passe qui permet des échanges avec le milieu marin mais pas la navigation. Ils parsèment la côte gaspésienne au sud. Ils sont généralement situés à l’estuaire d’une rivière, donc formés d’eau douce, mais il y en a aussi des lagunaires. Ces espaces de transitions entre mer et terre forment un écosystème très riche.

Nous finirons notre promenade vers la petite ville. Rien de très particulier, une énorme église comme partout, mais il y a une pompe à essence avec du gazole. Oui, le gazole est une denrée rare au Canada, toutes les voitures et les pick-up des particuliers roulent à l’essence. Donc quand il y a du gazole, il faut en profiter et faire le plein de nos bidons.

Et de l'art partout en Gaspésie.
Les couleurs de la Gaspésie. 

Nous retournons vers le petit port pour assister à la coutume locale : s’assoir sur le mur en ciment de la jetée avec une canne à pêche dans une main, une canette de bière dans l’autre et discuter morue. Alors nous n’allons pas manquer cela. En effet, jeunes et vieux se côtoient et pêchent et parlent et boivent…

La pêche  
Paspébiac et son port de pêche . 

Tout ceci devant MedioVaS qui se prépare pour le mauvais temps de la nuit.

Courage MedioVaS, nous arrivons ! 

La nuit est très inconfortable, nous sommes secoués par le clapot. Nous nous y attendions. Il n’y a pas de mouillage idéal quand la météo devient capricieuse. Au petit matin, Yves part courageusement, affrontant le clapot à bord de MiniVaS pour aller remplir deux jerricans de gazole. À son retour, il nous est impossible de retirer le moteur de MiniVaS dans de telles conditions de mer. Nous tentons de nous mettre à l’abri du banc de sable, mais ce n’est pas mieux. Nous naviguerons prudemment sous voiles jusqu'à la prochaine baie abritée. C’est à l’anse Mc Innis que nous trouverons le confort nécessaire à l’opération, dans un cadre magnifique.

Pour toi, maman, l'Anse Mc Innis 

Une fois le moteur hors-bord et la nourrice bien à l’abri, nous continuons notre route vers l’Anse à Beaufils, suivant le conseil de Sylvie des Îles (de la Madeleine, vous avez suivi) . Et nous quittons la Baie des Chaleurs.

Toujours un petit phare dans son habit rouge et blanc. 

C’est un autre petit port de pêcheur. Il y a bien un quai en ciment pour les voiliers avec juste assez d’eau (peut-être) pour MedioVaS, mais nous préférons mouiller à l’extérieur, les hauts murs n’étant jamais très rassurants. Nous arrivons vers 19h00 au point de mouillage, après une longue journée de navigation, dans 20 noeuds de vent portant. MedioVaS se plaît par ici, il fait des moyennes extraordinaires.

L'Anse à Beaufils 

La baie semble bien abritée et le vent tombe dans la nuit, nous dormirons profondément et tranquillement.

Le mardi 21 juillet, MedioVaS revêt son habit de fête, c’est la fête nationale belge.

Bonne fête les Belges ! 

MiniVas nous emmène au port et nous partons visiter. Mais il est encore trop tôt et tout est fermé. De retour à bord, Yves me hisse en tête de mât. Depuis plusieurs mois notre anémomètre fait le paresseux et ne nous donne plus aucune indication sur les les vents faibles. Il faut que j’aille lui faire un « pshittt » de WD40, le produit miracle. Alors que j’inspecte le reste, un petit voilier bleu baptisé Thérèse nous approche et discute avec Yves. Je reste ainsi suspendue en haut du mât. J’en profite pour prendre quelques photos.

"En haut de mon mât je vivais heureuse .... "

Mais bon, le temps se fait long et je demande à Yves de laisser la discussion pour plus tard et de me descendre. Nous proposons au voilier de s’amarrer à nous et de venir à bord, la conversation sera plus confortable pour tout le monde. C’est Thomas le skipper, il navigue en solitaire depuis le fond de la Baie des Chaleurs avec comme objectif de rallier Gaspé. La curiosité et l’hospitalité, ainsi que l’absence de vent du matin, l’a fait venir à nous. Il nous voyait hors du port, au mouillage, et il s’est dit que l’on devait se sentir bien seuls. Ils sont ainsi au Quebec ! Dans la discussion, nous apprenons qu’il possède à bord une combinaison de plongée. Yves demande s’il peut la lui emprunter pour vérifier notre safran, depuis deux jours la barre est dure et nous suspectons la présence d’une méchante algue coincée quelque part. Il ne va pas la prêter, il va plonger pour nous ! L’eau est à 17 degrés, il enfile sa combi et plonge, sans palmes ni cagoule et sans disposer son échelle de bain. Finalement Yves ne me fera pas de démonstration de plongeons canadien ! Il trouve une petite algue de rien de tout, mais parfois un rien suffit. En effet, la barre est de nouveau douce. Il en profite pour visiter notre quille qui l’intriguait, et même brosser un peu notre hélice qu’il trouve trop poilue. Quel service, merci Thomas ! Après lui avoir offert une douche chaude et un jus d’orange, il remonte dans son petit voilier bleu et part vers Gaspé et nous retournons à terre. La vieille usine de transformation de la morue est devenue une salle de spectacle et d’exposition avec un restaurant. Le port est surtout fréquenté par les bateliers de Percé qui mènent les touristes à la Roche du même nom.

Le petit port bien accueillant de l'Anse à Beaufils. 

LE lieux à visiter est l’ancien magasin général Jones et Whitman, ancienne succursale de la compagnie Robin (le même !). C’était l’un des nombreux magasins de village fondés par Robin, l’aventurier venu de Jersey faire fortune en Gaspésie. Nous vivons alors un moment extraordinaire comme savent faire en offrir les Québécois.

Ce magasin, l’entrepôt et les bureaux sont rachetés en 1972 par Gaston Cloutier. Mais avec le temps et la modernisation de la pêche, il n’est plus rentable. Son fils, Rémi, comédien plein d’esprit, reprend l’ensemble pour en faire un musée vivant. Avec son frère et des complices en costumes d’époque, il nous plonge dans les années 1928, à la grande époque des pêcheurs de morue.

Dans ce magasin, on pouvait acheter de tout, de la farine comme des lotions médicinales ou des cercueils si l’effet de ces dernières était trop faible. On trouvait aussi sa robe et ses cadeaux de mariage, de la vaisselle à la machine à laver le linge. Mais on n’achetait pas vraiment. Robin avait mis en place un système de troc : tout s’échangeait contre de la morue ; c’était la belle époque du commerçant un peu esclavagiste. Autant dire que les pêcheurs devaient en prendre de la morue pour pouvoir s’offrir quelque chose. La plupart du temps, ils vivaient à crédit, les enfants héritant même des dettes du père, reprenant alors le dur métier de la pêche, bon gré mal gré. De scènette en scènette, sommes transportés dans un autre temps pendant plus d’une heure.

Un moment incroyable ! 

Il nous faudra quelque instants pour revenir sur terre, charmés par les anecdotes et la richesse du magasin où rien n’a bougé ou presque. Les frères ont commencé par exposer le stock et les meubles qui dormaient en attendant la faillite, refusant toutes les offres des brocanteurs de Montréal à New York. Puis, avec la notoriété, ce sont les objets des collectionneurs qui virent à eux, légués par des amateurs de culture vivante. Nous terminerons par un déjeuner dans la vieille usine et une glace, soi-disant la meilleur du Quebec (ici aussi, ils ont des superlatifs très locaux). Nous appareillons vers 14h30, en route vers Percé.

MedioVaS au mouillage devant le petit port. 

Percé, c’est Étretat en Gaspésie. Les artistes venaient déjà en 1930 dans ce lieu sauvage et riche en couleurs. Côté terre, les monts et, côté mer, le rocher percé et l'île Bonaventure. Nous mouillons au pied du rocher, un grand privilège.

Percé apparait majestueusement.  

Nous sommes survolés par les guillemots, les fous de Bassan, les goélands… il y a toujours une dorsale de rorqual ou de dauphin qui apparaît, ainsi que la tête du phoque de service qui nous observe.

MiniVaS nous fait l’honneur de nous emmener autour du rocher, en snobant les bateliers qui promènent les touristes entre Percé et l'île Bonaventure.


Malheureusement le vent ne nous permettra pas de mouiller autour de Bonaventure. L'île était connue des indiens Mic-Mac pour ses eaux poissonneuses, puis des morutiers bretons, basques et normands. Avant l’arrivée de Jacques Cartier, l'île était habitée par des familles au service des entreprises Le Bouthillier et Robin (bien-sûr). En 1971, elle est rachetée par le gouvernement qui en fera un parc national en 1985. Les stars de l'île sont les fous de Bassan. On y trouve la deuxième plus grande colonie au monde, après celle d’Écosse. Cent dix mille individus se regroupent ici tous les ans, entre mars et octobre. Ils y retrouvent leurs partenaires, toujours les mêmes, pour y faire un petit oisillon. Pourquoi Bassan ? Pourquoi fou ? Bassan, parce que c’est de là, à Bassan en Écosse, dont ils sont originaires. Fou, parce qu’ils plongent dans l’eau à la vitesse folle de 100 km/h, en faisant un énorme Plafff, très perceptible, même de loin. L’onde de choc assomme le poisson proche que le grand oiseau peut ainsi avaler illico. Le spectacle du plongeon est impressionnant, surtout lorsqu’ils sont à plusieurs dans la même zone de pêche.

Le rocher de Percé, majestueux plateau posé à 433 mètres, offre un abri aux autres oiseaux marins. Il s’est formé il y a 375 millions d’années, tout en calcaire et riche en fossiles, puis les vagues l’ont détaché de la terre ferme. Son espérance de vie est estimée à seulement 300 ans ! L'érosion poursuit son oeuvre et lui fait perdre chaque année 300 tonnes de roches sur les 5 millions qui lui restent.

Percé, la cathédrale minérale. 
Au revoir Percé. 

Vers 16h30, nous quittons ce spectacle de toute beauté pour aller trouver abri dans la baie de la Malbaie. Mmmm, Malbaie n’est pas un nom très rassurant pour s’abriter du mauvais temps prévu pour la nuit. Mais nous y trouverons un endroit face à la falaise ou se perche une petite cabane canadienne, bien évidemment. L’ancre parait décidée à tenir dans un bruit de rocaille… il faudra s’en contenter. Nous passerons la nuit sous les éclairs, l’orage, la pluie, mais sans déraper.

L'Anse Malbaie ... 

Vers 08h30, l’ancre sort de son lit de caillasse sans douleur, alors que le ciel est encore sombre et bien brumeux. Nous traversons toute la baie vers la baie suivante : la fameuse Baie de Gaspé.

Le vent se lève vers 10h00 et libère les falaises et les monts de leur couverture brumeuse, l’instant est mystique. Vers 11h30, nous doublons les cailloux de l'île Plate et pénétrons dans l’immense baie. Avant d’atteindre Gaspé, il faut traverser une petite passe entre les falaise et l’énorme banc de sable de Sandy Beach. Nous mouillons l’ancre à 15h00, face au club nautique Jacques Cartier.

Gaspé, ou Gespeg en Mic-Mac, signifie « la fin des terres ». Mais, de terre, Gaspé voit cela différemment et se considère plutôt comme le « début du pays ». En effet, c’est ici que Jacques Cartier planta une croix en 1534, « découvrant », disons prenant possession du Canada, au nom du roi de France.

Nous descendons à terre découvrir à notre tour cette petite ville et sa marina. Yves va faire quelques emplettes pendant que je profite du wifi pour publier le blog. À l’office de tourisme j’apprends qu’il y aura un petit concert en plein air ce soir, au lieu-dit « Berceau du Canada ». Evidemment, nous n’allons pas rater cela. De retour à bord pour changer de tenue, nous partons assister au concert.

À 19h00, nous nous rendons à pied de l’autre côté du pont, au Berceau du Canada. C’est ici que l’on retrouve la croix en granit, fabriquée pour commémorer le 400è anniversaire de la découverte du Canada, à l’endroit où Jacques Cartier aurait érigé la sienne en 1534. Le lieu abrite aussi des reproductions de bâtisses du vieux Gaspé et la maison originale de Horacio Le Bouthillier, qui se trouvait sur l’autre rive. Le concert bat son plein.

C’est de la musique country, jouée par une artiste seule mais pleine d’ardeur. Je me mêle à un groupe et tente de suivre le rythme et les pas. C’est difficile mais je suis bien aidée par une dame. Yves me fait danser également, avant de partir jusqu’au bout des maisons exposées.

La maison Le Bouthillier et t devant la Basa Navale, le jeu de la bataille navale . 

Nous finirons la soirée au Café des Artistes. C’est une jolie maison qui accueillit les premiers postes télégraphiques, les offices de tourisme et même la mairie, avant de devenir une brûlerie de café. La machine trône au centre de la salle, les grains y sont encore torréfiés. Le décor est un mélange de terre et de mer, grand désordre bariolé, subtil et finement dosé. Notre assiette nous ravi tout autant.

Le Café des Artistes 

Une météo favorable semble se manifester pour traverser l’estuaire vers la rive nord. Samedi 23 juillet à 13h30, nous levons notre ancre pour aller trouver un abri proche de la sortie de la baie et gagner un peu de distance sur notre route. Mais nous ne connaissons pas les subtilités de la baie. En amont de la petite passe souffle un vent furieux et glacial et l’on se fait refuser la sortie par le clapot. Nous partons nous mettre à l’abri face à Sandy Beach, au début du banc de sable. La température change radicalement en moins de 100m. La petite baie est magnifique dans les couleurs d’orage. Nous y passerons une nuit sous les éclairs et le vent, « sans autre danger ».

Survol du mouillage juste à temps avant l'orage. 

Dimanche 24 juillet, tout est calme de nouveau. Nous levons l’ancre à 07h50 et cette fois la passe ne nous résistera pas. Nous sortons de la baie sous le regard des phoques toujours curieux. Pour la petite histoire, cette baie fût un refuge secret pour la Royal Navy. En 1940, les Nazis menaçaient d’envahir l’Angleterre. L'amirauté choisit la baie de Gaspé pour servir de repli à la flotte de guerre britannique de Scapa Flow en Écosse. Mais les glorieux pilotes de la Royal Air Force gardèrent la maîtrise du ciel contre la Luftwaffe de Goering. La suprématie anglaise sur les mers fut sauvegardée, le déménagement fut annulé.

À 10h20, nous doublons la Péninsule acadienne, le Cap Gaspé et son rocher Indien, en route vers les espaces sauvages de la Côte Nord du Saint Laurent.

 À bientôt la Gaspésie !
11

À 10h20, nous doublons la Péninsule Acadienne, le Cap Gaspé et son Rocher Indien, en route vers les espaces sauvages de la rive nord du Saint Laurent.

Avant le vent, c'est le grand calme sur le fleuve. 

Nous avons quelques cent trente miles à courir pour rallier la Côte Nord. Le vent se lève vigoureusement en début d’après-midi et nous permet de rattraper le temps perdu de la matinée. Vers 18h00, nous disons au-revoir au Golfe du Saint Laurent dans le passage d’Hoswego, entre l'île d’Anticosti et la Gaspésie ; nous entrons officiellement dans le Saint Laurent.

Notre plan de route prévoyait une petit escale d’une nuit sur l'île d’Anticosti avant de rallier la Minganie et son parc national. Mais nous n’aurons malheureusement pas le temps d’explorer les îles de Mingan.

Les voiles en ciseaux, nous poursuivons la traversée en restant prudent, la Garde Côtière transmet un avis de grains sur notre route et, en effet, le ciel devant nous est parsemé d’éclairs. À minuit, l’alerte est levée, un petit crachin normand vient remplacer le ciel orageux et emporte le vent avec lui. Le bateau se couvre de bestioles qui ressemblent fortement à des termites, petites bêtes volantes qui déciment les sapins. Pour leur tenir compagnie, viennent s’ajouter mouches et taons. C’est « bestiole-volante-party » à bord. La grand-voile et le génois en sont couverts également, tendance mouchetée.

À midi, nous franchissons le cinquantième degré de latitude Nord ! Mythique, nous sommes dans les cinquantièmes canadiens. Le froid se fait sentir, mais la présence de dauphins nous réchauffe un peu le coeur.

14h00, nous entrons dans l’archipel des Sept Îles.

Et quand la brume disparaît ... 

Le brume se lève tout doucement, laissant apparaître la lumière sur les roches puis sur les sapins ; bientôt, ce sont les Îles toute entières qui apparaissent sous nos yeux. C’est magique. Nous devons trouver un mouillage nous abritant du vent d’ouest prévu le lendemain. Pas de chance, les meilleurs mouillages face à une plage ou une bande de sable sont à l’ouest des îles. Nous choisissons l’Anse à la Roche, qui semble faire l’affaire. Vers 15h00, notre ancre fait tête côté est de l'île Petite Basque.

Mouillage l'après-midi. 

En soirée, le vent souffle toujours d’ouest, un retour de houle rentre dans cette petite anse et rend le mouillage un peu inconfortable. Il tourne à l’est dans la nuit, mais la houle reste présente. Notre ancre tient bon et l’on résiste bien à l’orage. Les couleurs matinales du lever de soleil sur les roches sont majestueuses.

Même mouillage au lever du jour. 

MiniVaS va s’équiper de son moteur et nous mener vers l'île Grande Basque. La journée s’annonce belle, nous allons explorer un peu.

Recherche plage d'accueil pour MiniVaS ... 

Après quelques tentatives, nous trouvons enfin un endroit où débarquer : une autre petite anse devant laquelle nous voyons un autre voilier au mouillage. C’est rare ! Une fois MiniVaS embossé entre un gros tronc de bois flotté et une ancre à l'arrière pour anticiper la marée montante, nous partons entres les sapins, à la recherche du sentier de randonnée. Nous le trouvons assez facilement, fort heureusement. Débute alors la marche dans cette superbe forêt boréale, nos pieds s’enfoncent dans l’humus bien humide, parfois nous traversons des petits ruisseaux. Après trois kilomètres, voici un panneau :

  • tout droit, chemin facile, 1 km ;
  • à droite, chemin difficile, 1,5 km ;
  • derrière nous, chemin intermédiaire, 3 km.

Nous optons pour le chemin difficile qui traverse l'île d’est en ouest. Très vite, le soi-disant sentier difficile se transforme en sentier très facile, la majeure partie est couverte de traverse de bois. Bon, il y a quelques escaliers à grimper le long d’une petite falaise, mais nos pieds restent au sec.

Belle forêt boréale riche en humus. 

Nous arrivons de l’autre côté de l’île Grande Basque, dans l’Anse aux Voiliers, beau mouillage par vent d’est, donc pas pour nous. Nous remontons toute la côte ouest de l'île, bien ventée. Nous arrivons jusqu’au point d’accueil d’où arrivent et repartent les bateaux amenant les touristes et les campeurs dans l’île. J’avais mis un paquet de chips au fond de mon sac. Bien m’en pris car il n’y a pas le moindre petit sandwich à vendre et la marche, ça creuse !

L'Anse aux Voilier et le kit spécial campeur. 

Pour nous consoler nous apprendrons tout sur la formations de ces Îles rocheuses et de sa forêt boréale. L’archipel des Sept-Îles s’est formé entre 800 et 565 millions d’années, c’est à dire qu’il est 2,5 fois plus vieux que les dinosaures. Durant les deux derniers millions d’années, quatre périodes glaciaires ont touché les Sept-Îles. Lors de la dernière , l’Inlandsis Laurentidien recouvrait le continent nord-américain d’une couche de glace de un à trois km d’épaisseur s’étendant jusqu'à New York. Ce glacier s’est retiré il y a environ 10000 ans, en laissant de larges traces de son existence. Les rochers les plus friables se sont érodés et l’eau qui s’est écoulée vers le sud a laissé des stries glaciaires facilement repérables. La poussée du glacier vers le sud a également provoqué des cassures importantes dans les rochers, créant ainsi des falaises et des caps abrupts faisant face au sud. Coté nord, le relief est plus doux et plus arrondis. Sur le sommet des îles, il est possible de trouver du granit. Cette roche peu dense est très résistante. Elle a permis de protéger les sommets de l’érosion et de conserver ainsi la roche se trouvant au dessous. Tout ceci forme le relief de l’archipel.

Entre collines et caps ... 

Nous poursuivons notre marche vers la pointe nord de l’île, par un sentier un peu plus boueux. Mais peu importe, c'est quand même l'une des formations géologiques des plus vieilles au monde ! Un panneau nous indique un chemin difficile vers un belvédère ; évidemment, nous y allons. C’est un peu de l’escalade sur un petit morceau de falaise. Mais nous sommes ravis, la vue à 360 degrés est somptueuse. Bon, elle est un peu moins jolie vers la ville des Sept-Îles et son important port minéralier. Surprise, nos téléphones, sourds jusque-là, parviennent à capter un semblant de réseau 4G ; nous en profitons pour envoyer de petits messages rassurants à la famille.

Allô ?!  

Nous redescendons de notre falaise et terminons le tour de la côte nord-est de l’île, jusqu'à retrouver le point de rendez-vous avec MiniVaS. Il nous attend patiemment sans avoir bougé, nos avons devancé la marée.

Toujours prêt pour une belle photo  
Rinçage des chaussures à l'eau douce de l'un des nombreux ruisseaux. 

Le retour vers le bateau en annexe est assez humide. Le clapot court et le vent de face nous offrent un généreux rinçage de nos blousons à l’eau salée. En moins d’un quart d’heure, nous arrivons trempés à bord de MedioVaS. Pour une fois, Yves ne râle pas contre les embruns, il est déjà bien mouillé après avoir poussé MiniVaS vers le large, me laissant galamment monter dedans au sec. Ce fut de courte durée.

Une demi heure plus tard, le vent est toujours le même mais le plan d’eau est lisse, un courant de marée a du atteindre son étale. Clairement, nous ne maitrisons pas les subtilités de l’archipel. Nous ne valons pas beaucoup mieux que les touristes que l’on emballe de toile cirée sur leurs gros Zodiacs, avant de les arroser copieusement pour leur argent !

Le lendemain matin, nous naviguons jusqu'à Sept-Îles, la ville. Ce territoire était habité il y a 8000 ans par les Innus. Ils y tenaient leur grand rassemblement d’été, grand moment de festivités, de commerce et de préparatifs pour le retour dans l’arrière pays, si possible en ayant trouvé un bon parti pour les enfants. D’ailleurs, le Regroupement Mamit Innuat (3000 membres) tient encore son siège social dans la ville. Aujourd’hui, la Bande Innu Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam (4500 membres) habite la réserve de Uashat, située à la limite ouest de la ville.

Au XVIè siècle, des pêcheurs européens y mènent des expéditions de pêche, mais l’on attribue la découverte de la baie à Jacques Cartier, en août 1535. Vers 1650, les français y installent plusieurs postes de traite pour le commerce de la fourrure. Évidemment, les Britanniques s’en mêlent, les détruisent et prennent possession de la zone pour la Compagnie du Nord-Ouest puis la Compagnie de la Baie d ‘Hudson… pour un temps, avant que l’endroit redevienne français.

Vers 1860, ce lieu d’échange et d’évangélisation des Amérindiens commence à être habité de façon permanente par les Blancs. Des familles des îles de la Madeleine et de la Minganie sont attirées par l’abondance de produits de la mer et par le havre que forme la baie.

Au XXè siècle, c’est l’essor économique de la ville. Les frères Clarke y établissent une scierie et une centrale hydroélectrique. Une société norvégienne y installe une usine d’huile de baleine. En 1911, un quai et un chantier maritime voient le jour. Vers 1940 débute l’exploitation minière. Aujourd’hui c’est un défilé de cargos transportant le minerai depuis les Sept-îles.

Plus modestement, nous aimerions faire le plein de gazole. Nous mouillons comme d’habitude devant la marina. Après avoir rempli les jerricans, nous partons vers la ville, il parait qu’il y a un bon shipchandler. Nous n’y trouverons rien d’intéressant. La ville n’est d’ailleurs pas très attrayante, très typée américaine : pas de relief, de larges avenues, des maisons alignées…

En revanche, il y a un magasin Canadian Tire sur notre chemin. Canadian Tire (« Aux Pneus Canadiens »), c’est une attraction nationale, un peu comme Tim Horton pour les mauvais hamburgers, arrosés de café bon marché. C’est une chaîne de grandes surfaces, à mi-chemin entre Bricomarché et Décathlon, avec de gros rayons camping et pêche. En cherchant bien, il y a effectivement une partie dédiée aux voitures et aux pneus, généralement reléguée à l’arrière du site ! C’est le troisième que nous visitons, à la recherche de bouteilles de gaz au format américain. Ici, on ne remplit rien d’autre. Rare aubaine, ils ont le modèle exact dont Yves rêve depuis quelque temps, celui qui rentre pile dans le coffre à gaz, tout en nous offrant une réserve maximale. Il leur en reste deux, dont une seule en bon état. Yves se rue dessus ; on ne plaisante pas avec le gaz pour manger chaud !

Nous retournons à bord, chargés de gazole et de gaz, nous ne craignons plus le manque d’énergie. Le vent est favorable, nous naviguons vers les îles les plus au sud, Corrossol et Manowin. La baie est délicate, beaucoup de rochers pointent leur nez. En faisant le tour du mouillage de cette zone pauvrement hydrographiée, le sondeur indique entre 6 et 11 mètres d’eau jusqu’au moment où… la quille de MedioVaS de retrouve dans les rochers. Nous réveillons un phoque faisant sa sieste au soleil, « - Mais que faites-vous ici ? » Je vais à l’avant, le fond est bien visible, très proche de la surface ! Je repère une issue à bâbord. Après quelques manoeuvres de dégagement, Yves suit mes indications, la quille écarte quelques cailloux au fond de l’eau et se retrouve libérée. Ouf ! Une fois au mouillage dans ce cadre délicieux mais hostile, Yves prend son courage à deux palmes et plonge dans l’eau à 17 degrés, vêtu d’une maigre combinaison-short pour les Caraïbes, afin d’estimer les dégâts. Le choc s’est produit à vitesse très réduite, rien n’a bougé. La peinture à l’avant du saumon de lest, tout en bas de la quille, a un peu souffert mais rien de dramatique : comme un genoux d’enfant écorché. Le safran est intact, l’hélice aussi. Ouf, ouf !

Pardon, ne vous dérangez pas, on s'écarte de là. 

Nous sommes dans un parc protégé et nous ne pouvons pas descendre à terre. Mais nous pouvons profiter du cadre somptueux, des phoques qui se disputent les rochers découvrant à marée basse et de la multitude de guillemots communs ou miroir qui sifflent gentiment.

Chacun est libre de choisir sa position mais pas son rocher ! 
Le tombolos de Manowin 

Un autre phénomène géologique récent touche cette île : ce sont les tombolos, résultat d’une accumulation de sable reliant deux portions terrestres. Cette accumulation a amené la formation de dunes et de plages de sable de chaque côté. Une végétation a colonisé les tombolos et a stabilisé les dunes, mais ces dernières restent toutefois sensibles à l’érosion. Ces tombolos, au nombre de deux, ce sont formés après la dernière glaciation. Ainsi, une large bande de sable réunit l'île Manowin à un rocher.

Au revoir Corossol et ton beau phare abandonné. 

Le jeudi 28 juillet à 8h30 nous quittons cet archipel vers l'île du Grand Caoui. Après avoir été poussés par le vent, nous mouillons l’ancre au Havre des Américains, sur la côte ouest de l’île.

Havre des  Américains 

Il y a aussi un petit mouillage bien nommé Fer à Cheval. Son étroitesse et sa beauté font beaucoup parler de ce lieu, mais le nordet nous prive de ce luxe. J’explore un peu notre petite baie en MiniVaS, espérant descendre à terre plus tard ou le lendemain.

Ce petit coin est très prometteur. 

Un autre voilier vient mouiller non loin de nous, mais fort courtoisement pas trop près. Nous allons saluer ces cousins si polis. Au moment d’approcher le bateau, le propriétaire sort sa canne à pêche de l’eau avec quatre gros maquereaux au bout. Ah, ah, c’est la raison première du mouillage à bonne distance, il faut du fond et du courant pour trouver des maquereaux ! Pour autant, on s’est à peine dit bonjour qu’ils nous invitent à bord et nous proposent de revenir dans une heure pour déguster le poisson fraîchement pêché.

Oh la belle pêche !  

L’équipage nous réserve encore des surprises. Apercevant un petit pavillon belge dans nos haubans, les langues se délient. Jean-François est lui-même belgo-canadien ! Ses parents ont migré à Montréal dans les années 70. Sa femme, Cathy, est canadienne. Leur beau-frère Robert est aussi belge d’origine, mais faisant partie déjà de la deuxième génération. L’un fut appelé pour le service militaire en Belgique, l’autre non. Finalement, aucun ne l’aura servi, la loi ayant changé entre temps. Mais tous deux sont très fiers de posséder un passeport belge !

À trois, ils parcourent le Saint Laurent le temps des vacances. Nous passons une excellente soirée en leur compagnie, les discussions vont bon train, entre Belgique et Canada (la France restera dans les soutes pour la soirée !). Le ciel s’obscurcit, il est temps de rentrer à bord avant que l’orage ne nous tombe dessus.

Encore une nuit sous les éclairs, mais le mouillage est bien protégé. Le lendemain, le soleil fait défaut, la météo reste maussade, nous décidons donc de partir. Dommage pour la promenade qui semblait si jolie .

Un invité surprise vient se faire sécher les plumes à bord. 

Nous quittons ce petit paradis sous la pluie et sans vent vers 10h00. Nous ferons route au moteur vers la baie de la Trinité, le temps de se reposer une nuit avant de partir retrouver la belle Gaspésie sur la rive sud.

La brume qui arrive vers la Baie de la Trinité. 
12
Voici  une image simplifiée de nos zigzags . 

Le samedi 30 juillet, à 05h55, nous quittons la Baie de la Trinité. Le vent se lève timidement mais, une fois bien établi autour de 16 noeuds, il nous pousse vers la rive sud du fleuve. Le courant du Labrador porte au sud-est à cet endroit, exactement comme notre route. Nous parcourons les 47 miles à la belle vitesse moyenne de six noeuds.

La navigation sur le Saint-Laurent est un peu délicate, qu’il s’agisse du golfe, de l’estuaire ou du fleuve proprement dit. Nous ne sommes pas encore dans la partie où les courants sont vraiment forts, mais ils se font déjà sentir quand même. Le plus délicat, pour nous à cette étape de notre parcours, c’est la direction du vent. Le vent dominant vient du sud-ouest et c’est dans cette direction que nous allons ; il est plus facile de descendre le Saint-Laurent que de le remonter. C’est pourquoi nous avons choisi de faire route vers le sud-est, afin d’anticiper notre prochaine traversée. Surtout, nous n’avons pas beaucoup de marinas ou de mouillages pour nous abriter au besoin.

Vers 13h00, nous mouillons devant le port de Saint-Anne-des-Monts. Le vent a forci, la houle est importante. Ouf, il reste de la place et assez de fond pour la quille de MedioVaS. La passe est très étroite, à angle droit entre le mur des pêcheurs et le brise-lame. Comme toujours, une fois passé le mauvais moment, tout devient tranquille.

Les défenses sont de sortie, par vent très collant. 

Nous amarrons le bateau au ponton des visiteurs, MedioVaS frime par sa taille : beau bateau en Afrique mais petit voilier aux Caraïbes, il est redevenu grand voilier au Canada, surtout dans ce tout petit port. Nous pensons rester deux nuits ici, car la météo du lendemain s’annonce très venteuse et pas du tout à notre avantage.

Saint-Anne-des-Monts, c’est la porte d’entrée nord de la Gaspésie et de ses nombreux parcs, dont celui des fameux monts Chic-Chocs, en bordure de l’estuaire du Saint-Laurent.

Cette ancienne seigneurie passa de main en main à partir de 1662, sans jamais être mise en valeur. C’est en 1835 que John Le Boutillier (toujours un Le Boutillier dans les parages) et François Buteau y installent… un établissement de pêche à la morue ! C’est ainsi que les premières familles commencèrent à arriver.

Et, comme toujours, une église qui ressemble davantage à une cathédrale  

Nous sommes bien accueillis, comme toujours, mais au ponton cette fois-ci. Nous descendons à terre visiter la petite ville et trouver un supermarché.

Nous trouvons même la niche de Snoopy. 
Yves préfère l'habit du pêcheur de morue. 

Évidemment, après une demi-heure de marche, nous tombons sur un bar laitier, c’est à dire un glacier. Une pause s’impose alors.

Nous profitons des bonnes douches de la marina, du wifi et de l’eau à quai pour faire le plein et dessaler largement le bateau. Dans les eaux froides, notre dessalinisateur ne doit pas tourner au moins tous les sept jours mais peut tenir presque quinze jours. Il peut ainsi se reposer davantage, sans risque de contamination bactérienne ou biologique. C’est une bonne corvée de moins et un peu d’exercice pour notre tuyau d’arrosage.

La marina est exposée au vent mais, fort heureusement, bien protégée. Plusieurs bateaux sont arrivés pour s’y abriter. C’est incroyable comme il peut faire chaud, à l’abri du vent, et froid de nouveau, à la moindre petite brise. On nous confirme que c’est une merveilleuse journée, quand il souffle ainsi. En effet, le ciel est bien dégagé ; mais personne ne se baigne pour autant !

Beau mais froid dans le vent. 

Un peu de repos fait le plus grand bien, ainsi qu’un bon petit restaurant le soir, avant de repartir vers la côte Nord.

Nous ne pouvions pas manquer le Pub ! 

Mais avant d'aller se coucher, une promenade au ponton des pêcheurs s'impose. comme partout, c'est LE lieu de rendez-vous. De fait, le quai est animé : c'est un peu la "place m'as-tu vu" de Knokke le Zout, transposée au Canada. Entre pêcheurs multicolores et défilé de voitures en tous genres, tous les styles se croisent.

Quelques exemples de voitures ... 
Pêche en couple, en famille, en solo, ... 
Coucher de soleil sur la marina. 

Le 1er août vers 05h00, nous quittons la marina. La route sera longue et sans vent. Le moteur ronronnera toute la journée, jusqu'à la nuit tombée. Nous ne pouvons pas faire de route en ligne droite, le rail (DST) des cargos traverse le fleuve et nous devons le couper perpendiculairement. Chaque crochet rallonge notre traversée.

Lever de soleil pour le départ matinal. 

Nous arrivons dans la baie de Saint Pancrace vers 22h00. Nous n’aimons jamais arriver de nuit dans un endroit inconnu. Selon le guide nautique, la baie est facile d’accès et on y trouve un ponton tout au fond. Toujours selon le guide, nous devrions prendre une place en bout de ponton pour assurer les trois mètres d’eau dont nous avons besoin. Il est possible d’y mouiller, à condition de faire attention à ne pas aller trop loin car les fonds remontent vite.

Yves préfèrerait mouiller en attendant le jour, car le ponton n’est pas indiqué sur nos cartes. Au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la baie, nous apercevons des lumières, peut être est-ce le fameux ponton, mais peut-être est-ce le rivage ? Nous avons eu des surprises de ce genre, dans une autre vie, à Madagascar. La nuit noire est très étoilée, notre feu vert sur tribord, la seule lampe d’origine qui fonctionne encore, éclaire la falaise que nous longeons. Nous n’en sommes pas loin et, la nuit, tout paraît encore plus proche. Nous avançons lentement, dans une ambiance spectrale.

Soudain, la radio coupe le silence de l’approche : « le bateau qui rentre dans la baie Saint Pancrace, ici le voilier Horta ». Je préviens Yves, qui est prêt à l'avant pour mouiller, et il prend la communication. Un couple nous a vu arriver et nous propose son aide. Génial ! Ils nous éclairent le ponton et nous affirment qu’il y a au moins 10 mètres d’eau autour, le ponton a été rallongé. Le temps de préparer les amarres et les défenses et, hop, MedioVaS est amarré. Merci Frédérique et Philippe. Ils nous proposent de les rejoindre au coin de leur feu de bois sur les rochers, ce que nous faisons avec plaisir. Ne voyant que notre feu vert, ils pensaient que nous entrions dans la baie en crabe, inquiets d’un éventuel problème, ils nous ont gentiment contactés. Nous apprendrons qu’ils sont tous deux artistes, un musicien et professeur, une spécialiste des « arts visuels ». Pendant l’été, ils naviguent sur leur petit voilier Horta de 28 pieds. Ils reviennent de la côte nord, la Minganie, partie que nous avons dû supprimer de notre plan de route.

Dans la brume du petit matin. 

Le lendemain, nous découvrons la baie, la plus belle escale du Saint Laurent ! Pour une fois, le qualificatif est modeste, c’est sans doute l’une des plus belles escales (presque) sauvages du monde. Le temps est un peu couvert, on prévoit de la pluie en matinée, mais le spectacle reste grandiose. Je sors le drone, évidemment, et je survole les cascades et les falaises. Comme seule musique, nous avons le chant des cascades. C’est somptueux.

Arrivent d’autres voiliers, dont un baptisé Vendredi qui se met au ponton devant nous. Très vite nous sympathisons et nous leur proposons de venir se joindre à nous et aux jeunes d’Horta, autour du feu pour une grillade.

Trois rorquals viennent faire les beaux dans la baie, juste à côté du ponton, nous sommes sans voix. Philippe tente d’enregistrer les sons des baleines sous l’eau mais il y a trop de bruits parasites, la cascade, le ponton, le fond organique…

Que du bonheur ! 

Après ce spectacle, Philippe va pêcher et ramène immédiatement cinq maquereaux. Nous avons nos saucisses et de la salade, un bon déjeuner se prépare.

BBQ vu du ciel . 

À bord de Vendredi, Carole et Daniel, tous deux professeurs à Montréal, naviguent également tout l’été et reviennent également de la Minganie. Ils ont pour projet de partir en boucle transatlantique l'année prochaine jusqu’au Maroc, avant d’espérer partir plus longtemps. Leur bateau est magnifique, un Chatham Extreme de 40 pieds en aluminium presque prêt pour le grand voyage… à part les mille bonnes questions intéressantes qu’ils posent autour d’eux !

Autour du feu, ils apprendront que Philippe enseignent dans le même collège que Daniel, mais a des étages différents ; ils ne se sont jamais rencontrés. Apparement, « éthique et culture religieuse » occupe les étages supérieurs, plus près des Dieux sans doute, et « musique » les sous-sols, plutôt underground certainement !

Les maquereaux vont bientôt arriver. 

Le ciel se couvre tout doucement et la pluie finit par tomber. La randonnée est compromise. Yves préfèrerait quitter la baie dans l’après-midi, pressentant du vent favorable. Je profite du soleil qui apparait et du temps qu’il reste pour faire un petit tour près de la cascade. Et voilà, encore une baie où il faudra revenir.

Le temps de se dire au-revoir et nous quittons ce lieu merveilleux entouré de falaises et de cascades. Nous partons vers 17h00 pour une navigation de nuit vers… la rive sud du Saint-Laurent.

Saint Pancrace et son ponton ... équipé ! 

Nous ferons la traversée à la voile dans une dizaine de noeuds très favorables jusqu'à 02h30.

Une baleine vient jouer un peu autour de nous. 

Au beau milieu du rail des cargos, évidemment, le vent tombe complètement et ce n’est pas un endroit où il faut se laisser dériver, même sil n’y a pas beaucoup de trafic. Le moteur va nous chauffer l’eau de la prochaine douche, tout en nous dégageant. Vers 10h00 nous arrivons dans l’Anse à l’Orignal, une des baies du Parc du Bic, bien connue pour sa colonie de phoques.

Nous y resterons deux jours, en attendant que le vent tourne de nouveau en notre faveur.

MedioVas est ravi dans l'estuaire du Saint Laurent , et nous aussi !!! mais il fait froiiiiiid !!! 
13

Après avoir admiré la baie, les phoques et les lumières (de jour, de nuit, d’orage), puis dormi bercés par les cris des phoques et les chants des oiseaux, nous décidons de partir vers Tadoussac.

À partir de Rimouski, à quelques kilomètres à l’Est de notre position au Parc du Bic, le courant des marées se fait sentir et prend toute son importance. Tadoussac est la petite ville qui veille sur l’entrée du fjord du Saguenay. Ici on n’arrive pas quand on veut ; les courants peuvent être violents, surtout quand il y a du vent. Nous prenons donc une grande marge sur notre plan de route, afin de pouvoir naviguer sous voiles ; le vent s’annonce favorable et léger.

En route vers l'autre rive. 

Vendredi 5 août à minuit trente, nous appareillons. Yves a le grand honneur de prendre le premier quart de nuit, en guise de cadeau d’anniversaire. Génois et grand voile sont heureux de se rendre utiles dans cette belle brise de sud-ouest. Nous naviguons bon plein sur une mer plate, MedioVaS est enchanté et file sur l’eau. Après avoir doublé l'île Biquette, nous pénétrons dans le rail (le DST). Le vent faiblit un peu et tourne au nord-ouest, juste au bon moment pour prendre mon quart. Eole s’est réveillé, nous avançons bien mais pendant deux heures à peine. Non seulement il faiblit mais il tourne, et pas dans le bon sens, cette fois-ci. Le courant s’en mêle et notre dérive est trop grande pour traverser la deuxième partie du rail à angle droit ; je dois m’appuyer au moteur. J’en profite pour glisser des croissants d’anniversaire dans le four, avant de réveiller Yves pour la relève.

En fin de matinée, il n’y a plus de vent du tout. Notre bon moteur terminera la traversée, au ralenti, car nous sommes aux portes du fjord trop tôt pour le courant. La mer est plate, une véritable mer d’huile. Et voici les premières taches blanches dans l’eau, des bélugas. Il y en a partout. Les phoques viennent aussi se montrer, quel incroyable spectacle ! Nous admirons tout cela en dégustant une pizza-bateau-anniversaire.

Bateaux-excursions en tous genres. nous ne sommes plus très loin. 
Des belugaaaaaas partout !!! 
Bonjour  

C’est l’heure de l’étale de marée basse, nous pouvons nous diriger vers Tadoussac.

Assemblée générale des phoques ? 
Nous embouquons le chenal. 
 Oh, voici un rorqual maintenant !


Au fait, pourquoi ne peut-on pas rentrer quand on veut ? À cause du violent courant. Mais pourquoi y a-t-il tant de courant à cet endroit ? Il y a plusieurs raisons :

  • En aval de l’embouchure du fjord, le Saint Laurent avoue une profondeur proche des 300 mètres, avec une rapide remontée des fonds à 20 mètres autour de Tadoussac. En amont de la rivière du fjord, on retrouve une profondeur de 275 mètres.
  • Entre le fleuve Saint Laurent et la rivière Saguenay, il y a une grosse différence de salinité. Le fjord reçoit un apport constant d’eau douce provenant des rivières affluentes et du lac Saint-Jean.
  • Il y a aussi une bonne différence de température des eaux, autour de 6 ℃ pour le Saint Laurent et jusqu’à 20 ou davantage dans la rivière Saguenay.


Toutes ces rencontres engendrent un fort courant lors du flot et du jusant, avec des tourbillons par endroits.

Ceci contribue également à soutenir une biodiversité faunique et floristique remarquable. Les eaux sont extrêmement riches en plancton et poissons, attirant tous les ans de nombreuses baleines, précisément celles que nous avons croisées en République Dominicaine ! Quand aux bélugas, ils vivent ici à l’année ainsi que plus au nord.

Le majestueux hôtel de Tadoussac, un air de Deauville. 

Nous voulions mouiller devant la marina, mais le fond remonte très vite, trop vite. Nous avons le choix entre mouiller sur trente mètres de fond, ou parmi les baigneurs et risquer un échouement. Heureusement, la marina nous autorise à prendre une place le temps de faire le plein de gazole.

Une fois MedioVaS amarré, nous demandons à remplir deux de nos bidons. Hum hum, il semble que cela pose un cas de conscience aux agents qui nous ont accueillis. Une loi interdirait de remplir des jerricans et le tirant d’eau de MedioVaS est trop grand pour accoster la pompe. La jeune fille qui nous a répondu la première est prête à déroger, mais en catimini, après le départ du maître de port. Son collègue masculin, lui, préfère respecter les consignes à la lettre. Yves tente de l’amadouer, sans grand succès. On contacte le fameux patron qui arrive dans les cinq minutes. Yves obtient enfin un compromis : nous sommes autorisés à remplir des bidons, mais interdiction de les transvaser dans notre réservoir principal avant d’avoir quitté le port. La fameuse loi devient de plus en plus obscure, mais cela ne nous pose aucun problème, nous sommes presque plein. Une fois tout cela réglé, nous repartons et filons à l’Anse à la Barque pour y passer la nuit.

Nous doublons la pointe de Tadoussac, lieu d'observation des baleines et des bélugas. 

Nous entrons alors dans le Saguenay. Le fjord n’était pas une escale prévue dans le planning mais comme nous sommes en avance, après avoir laissé Anticosti et la Minganie pour une prochaine fois… nous avons le temps.

Le Fjord devant nous. 

Fjord est un mot norvégien désignant une entaille creusée dans la pierre par un ancien glacier puis envahie par la mer. Celui du Saguenay a été façonné il y a environ 10 000 ans par le passage du dernier glacier, dont l’épaisseur variait entre trois et quatre kilomètres. Une fois les glaces retirées, la faille s’est remplie d’eau de mer provenant de l’estuaire du Saint-Laurent, propulsée par l’effet des marées. Classé parmi les plus longs du monde avec 105 km et sa largeur varie entre 1 et 3 km. Il est le seul sur la planète à ne pas déboucher directement sur l’océan. Sa profondeur maximale est de 275 mètres, on entend souvent dire qu’il est « aussi profond que c’est haut » !

La région était habitée par les Montagnais (Innus) lorsque les premiers européens arrivèrent pour chasser la baleine. C’est Jacques Cartier (toujours lui) qui fut le premier explorateur à fréquenter la région. Il nomma la rivière Saguenay, ce qui signifie « l’eau qui sort - source de l’eau » en Montagnais.

Approche de notre petite anse. 

L’Anse à la Barque est une anse petite, voire très petite. Dans le guide nautique, il est dit que l’on peut y mouiller sur 6 m d’eau, pas loin d’une bouée … mais à qui appartient cette bouée et quelle est sa sécurité ? Nous arrivons à mi-marée. Nous pouvons nous permettre de nous approcher des parois rocheuses, mais le fond de la baie est déjà bien asséché. Nous faisons le tour de la bouée et choisissons de mouiller l’ancre face à la sortie puis de prendre la bouée par l’arrière afin de ne pas éviter. En commençant la manoeuvre, nous remarquons que nous devrons mouiller dans 20 mètres d’eau, c’est beaucoup trop. Nous décidons alors de prendre la bouée. La météo s’annonce très calme. Il est 17h00 : nous pouvons admirer les premières parois rocheuses qui surplombent l’anse, entendre un phoque qui se plaint certainement de l’eau qui monte et qui recouvrira bientôt son rocher-sieste. J’ai vu sur Facebook que l’on pouvait voir des aurores boréales partout au Québec. Le site ‘Alerte aurores boréales’ en annonce même pour ce soir. Le ciel est dégagé, j’envisagerais bien de veiller mais la fatigue est trop présente et Morphée bien trop puissante pour résister à une bonne nuit de repos.

Pas d'aurores boréales mais une photo de la Grande Ours 

Le samedi 6 août, nous appareillons vers 08h00. Nous envisageons de nous enfoncer de 25 miles dans le fjord. Le vent est absent, nous le ferons au moteur, en parcourant chaque petite baie. Elles sont toutes aussi jolies ; on s’arrêterait bien une nuit dans chacune d’elle. Et que dire du spectacle des bélugas : nous avons même droit à des sorties de queue, ce qui est fort rare. Désolée si je mets trop de photos, l'émotion est grande, Yves va encore râler.

L'Anse aux Petits Ilets 
Le fjord  
Séquence  belugas  
Moment pêche avec ou sans béluga. 
Et un rorqual qui passe devant nous. 

Vers 16h00, nous mouillons l’ancre à l’Anse Saint-Jean, en ayant l’impression d’avoir le nez sur la plage ! Surprise : la température de l’eau est de 24 ℃, nous avons presque envie de plonger pour gratter un peu la coque. Mais au lieu de cela, nous armons MiniVaS de son moteur et allons au ponton des croisiéristes. Nous demandons la permission à la billetterie, accordée du bout des doigts mais notre situation suscite la pitié: nous devons ravitailler Madame !

On s'y baigne et on aime les pavillons ! 
Baie Saint-Jean et sa batture. 

Nous partons à la recherche d’un dépanneur (épicerie), Google nous annonce 3 km. Allez, c’est parti, mais mon pouce s’active également. Au bout d’une dizaine de minutes, une voiture s’arrête. Nous faisons ainsi la connaissance de Karine, professeure qui a perdu sa motivation d’enseignante, cherchant une reconversion dépaysante, pourquoi pas en gardant des chèvres ou en cultivant des champs. Avant de trouver sa nouvelle vocation, elle s’offre une année sabbatique et visite son pays québécois en voiture. Elle n’a rien de prévu en fin de journée, et propose de nous attendre après nos courses pour nous ramener au village. Quelle générosité, une fois encore ! Nous la remercions autour d’une bonne glace et nous rentrons au bateau.

Et la taille est-elle proportionnelle au marnage ? 

Le ciel est couvert, la pluie est annoncée, c’est encore perdu pour les aurores boréales. La journée se finit dans la pluie et le vent. Nous restons à bord le temps que passe tout cela.

Les couleurs évoluent à toute vitesse. 

Vers 17h00, tout est dégagé, nous repartons à terre nous promener et tenter d’avoir un peu de gazole à la pompe. Nos chances sont minimes, la pompe ferme vers 16h30 nous dit la marina par radio. En effet, elle est fermée. Nous laissons MiniVaS amarré au ponton de la station, avec son cadenas comme d’habitude depuis les Caraïbes.

Nous longeons la superbe baie Saint-Jean et nous nous dirigeons vers l’église en prenant les chemins de traverse. Pas question de faire du stop cette fois-ci. Nous empruntons le pont couvert « Couv’art ». Ce pont est toujours en service depuis 1930, servant à réunir les deux rives et facilitant ainsi le commerce. Sauvé en 1996 d’une tempête, il expose également des oeuvres d’art. C’est charmant.

Couv'art et son exposition de tableaux 
Oh, un artiste m'a peinte ! 

Nous poursuivons sur un petit sentier qui borde la rivière Saint-Jean, en espérant trouver un autre pont plus loin. Mais à part des framboises et de beaux paysages, nous ne trouvons pas de pont ; demi-tour.

Nous nous régalons. 

Nous arrivons enfin à l’église, toujours majestueuse et comme un peu partout, fermée.

L’heure tourne, la nuit va bientôt tomber et nous avons encore quelques kilomètres à parcourir.

Culture (de mais) et culture (d'art) se confondent pour notre plus grand plaisir. 

En arrivant dans le haut de la côte qui surplombe le village, une sourde inquiétude nous gagne : la navette du fjord est amarrée au ponton où nous avons laissé MiniVaS… que nous ne voyons plus ! Nous accélérons le pas, Yves se dirigeant directement vers le ponton. Je reste en arrière pour profiter du wifi du « bar laitier », et il vaut ne pas être trop nombreux dans les problèmes. Mon mail envoyé, je me dirige timidement vers le ponton, je ne vois toujours pas votre annexe, qu’en ont-ils fait ? Je passe à côté d’une camionnette de la municipalité et me dirige vers la passerelle du ponton. Je croise une femme, membre de l’équipage, qui passe l’air fermé ; je fais profil bas. J’aperçois enfin MiniVaS. Le pauvre, il n’est plus dans l’eau à coté du ponton, mais sur le ponton. Yves m’expliquera qu’il s’est pris une belle remontrance, mais à la québécoise, c’est-à-dire qu’on lui a reproché beaucoup de choses (‘- Vous n’imaginez pas le tracas que vous nous avez causé… il nous fallu appeler les agents municipaux pour soulever votre bateau… »), sans jamais vraiment hausser le ton. Il semble que le capitaine de la navette n’était pas content non plus, mais avait déjà passé colère sur la dame de la billetterie qui n’a pas surveillé le ponton. Tout ce petit monde a fait bien des efforts pour ne pas couper notre cadenas, préférant hisser l’annexe sur le ponton plutôt que de couper son antivol et la déplacer de quelques mètres. Imaginons la même situation en France…

Nous sommes évidemment en tord, même si rien ne précisait la défense de s’amarrer. Yves s’est confondu en excuses, mais nous n’écopons même pas d’une amende. Nous poussons MiniVaS de son ponton, plouf à l’eau et partons. Incroyable, dans quel pays sommes-nous ?

Pas de photos de cet instant de solitude pour MiniVaS, on se console avec le superbe packaging de la microbrasserie de Tadoussac. 

Le lendemain matin, nous partons vers la Baie Éternité, l’une des plus belles de la rivière, dit-on. La hauteur des falaises donne le vertige. Yves avait tenu à ce passage aussi loin en amont du Saguenay, un peu contre mon avis, car il avait un plan romantique, une sorte d’anniversaire et de déclaration, l’éternité…

Baie de l'Eternité 

Je veux immortaliser cela avec des images prises du ciel. Le ponton est trop près de la batture pour MedioVaS, j’y vais en annexe et Yves tourne avec MedioVaS pour me présenter son meilleur profil.

Une fois tout cela en boîte, nous hissons les voiles et descendons toute la rivière Saguenay jusqu'à l’Anse à la Barque. Le vent est contraire à notre route, nous tirons patiemment des bords, beaucoup de bords. Nous pouvons nous approcher des falaises, elles sont accores.

Bord après bord, falaise après falaise, nous descendons le fjord  
Un petit dernier, je sens que cela vous manquait déjà. 

Nous croisons encore une multitude de bélugas et de phoques. Je ne me lasse pas de les voir. La bouée est libre, cette fois-ci nous la prenons directement. Et au petit matin, je ne peux m'empêcher de filmer le site, le coeur chargé de belles émotions.

Nous sommes prêts pour quitter ce fjord unique et poursuivre notre remontée du Saint-Laurent. Il faut bien avancer, les enfants d’Yves arrivent le 16 à Québec City, nous ne pouvons pas prendre de risque ; il nous reste encore la partie la plus délicate, après l’estuaire, c’est le fleuve et son fameux courant. Et c'est évidemment la marée qui nous dicte l'heure du départ.

Au revoir, Saguenay. 
14

Nous quittons l’Anse à la Barque vers 08h00, en direction des îles au Pot à l’Eau-de-Vie. Le Gros Pot et le Petit Pot sont deux ilots plantés à proximité de la rive Sud, c’est à dire proche de l’autre rive. Le vent se lève dès notre sortie du fjord. Il souffle dans le même sens que le courant, nous profitons ainsi d’une mer assez calme. Nous avançons sous voiles jusqu’à la grande tourelle du haut-fond du Prince Edouard, en restant vigilant car le courant porte vers lui. Ne connaissant pas la région, pour une fois nous ne « coupons pas le fromage ».

La tourelle doublée, nous faisons route vers Gros Cacouna, le courant nous ramenant sur notre route. Nous filons à belle allure, sous un ciel qui se dégage tranquillement.

Vers 11h00, une belle surprise nous attend sur la radio VHF : le voilier Vendredi que nous avions rencontré dans la Baie Saint Pancrace est juste derrière nous. Il nous annonce qu’il va nous rattraper au moteur pour une séance photo. À midi, nous naviguons côte à côte, appareils photos à la main. Ce seront les premières photos de leur voilier en navigation.

MedioVaS, splendide évidemment (crédit photo Vendredi) 
Le magnifique Vendredi avec Carole et Daniel , bientôt sur les océans également. 
Cela faisait longtemps qu'il n'y avait pas un petit tangon au bout du génois. 

Nous embouquons le chenal du Sud et poursuivons vers le mouillage, voiles en ciseaux et foc tangonné. À 13h30, nous mouillons l’ancre non loin de Vendredi. Nous sommes ravis de revoir Carole et Daniel et leur proposons de les recevoir pour un « 5 à 7 » à notre bord. Finalement ils nous retournent l’invitation et nous irons dîner à leur bord. Nous passons une soirée formidable autour d’un poulet à la marocaine, avec des histoires de voiliers, bien évidemment et un bon verre de vin.

Pot-à-l'Eau-de-Vie 

Le lendemain, ils appareillent avec la marée. Ils vont nous précéder sur la route vers Québec.

De notre côté, MiniVaS va nous promener autour des deux petites Îles. Le phare de l’île, restauré, est devenu une auberge. Depuis, il est interdit de débarquer sur ce lieu si pittoresque, le tout étant placé sous l’autorité de la « très coercitive Société Duvetnor » (dixit le Guide Nautique officiel). Nous profitons quand même d’une vue extraordinaire et de la présence de guillemots, avec ou sans miroir, de superbes goélands cendrés et des omniprésents cormorans. En revanche, il n’y a aucune trace des petits pingouins pour lesquels l'île est réputée. La nuit, nous entendrons encore les grognements d’un phoque, quelqu’un ne doit pas lui rendre la vie facile.

Petit tour des deux Îles qui se réunissent à chaque marée basse. 

Jeudi, une brume épaisse envahit le mouillage. Elle ne durera pas très longtemps mais elle est très impressionnante.

Nous attendons la marée du vendredi 12 août pour partir. Le flot débute vers 11h30 : enfin un départ pas trop matinal. Le vent est trop faible pour naviguer sous voiles uniquement.

Nous arriverons vers 18h00 au mouillage de la baie de Sainte Irenée, le temps d’attendre la renverse de courant. La vue est très jolie sur le village, mais nous préférons nous reposer. Le prochain flot est prévu à 02h30 et la marée commande.

Couleurs de nuit. 

Le jour ne tarde pas à se lever, le courant nous pousse à vive allure. Un cargo me contacte sur la VHF me demandant le plan de route : « - Allez vous vers l'île aux Coudres ou vers la Baie ? - Vers l’île … - D’accord je passerai au nord de votre route alors. » Incroyable politesse des cargos !

A 05h20, nous mouillons face à l'île Aux Coudres, au Mouillage de la Prairie. Le soleil, qui apparait à peine à l’horizon, offre des couleurs majestueuses à l’estuaire.

Et c'est souvent comme cela. 

Tout s’est bien déroulé jusqu'à présent, nous ne devons donc pas partir à la prochaine renverse ; nous sommes en avance, nous pouvons attendre la marée de dimanche matin.

L'île aux Coudres est réputée pour son fort courant. En effet, MedioVaS donne l’impression de filer sur l’eau au bout de sa chaîne, d’autant plus que nous sommes sur des gros coefficients, avec des jusants de cinq noeuds. Ceci nous permet de profiter d’une belle pleine lune également et d’un fort courant pendant la navigation vers l’amont, au moins trois à quatre noeuds de bonus. Mais le plus fort est à venir et nous le découvrons déjà au mouillage.

La renverse est réglée comme une montre suisse. MedioVaS est orienté dans un sens, face au courant, dans un bruit d’eau qui coule bruyamment le long de sa coque. La musique s’arrête, mais pas pour très longtemps : c’est le moment de la renverse, un petit quart d’heure de silence. MedioVaS évite doucement et c’est reparti pour une marée à fond dans le courant en sens contraire. Voilà comment sera rythmée notre journée.

Quelques instants avant notre départ. 

Dimanche 14 août à 01h40, il faut être précis et partir pendant le petit laps de temps de tranquillité que nous offre la renverse pour virer la chaîne . Et là (là) nous rencontrons un problème : la chaîne est coincée à vingt mètres de l’ancre. Les premiers vingt mètres sont rentrés sans difficulté, puis le guindeau a commencé à tirer l’étrave au lieu de la chaîne ! Yves pense à un rocher sous lequel la chaîne se serait glissée. Je reste dubitative : le mouillage est conseillé comme bon mouillage ; l’appeler La Prairie si c’est pour y voir des rochers…

Nous faisons tout ce qu’il faut pour se sortir de là : en avant en rentrant la chaîne , en arrière en relâchant de la chaine, à gauche, à droite… sans succès. Pas question de plonger en pleine nuit dans l’eau glacée. Et puis nous ne pouvons pas traîner, le flot va commencer et nous en avons besoin pour nous pousser jusqu’à la ville. Nous avons un rendez-vous avec les enfants d’Yves, pas question non plus d’attendre des renverses de jour pour essayer d’y voir quelque chose dans ces eaux troubles. Yves frappe une bouée en bout de chaîne et le tout part à l’eau, comme il y a six ans presque jour pour jour, vieux souvenir breton ! Mais, cette fois-ci, nous avons un mouillage secondaire à bord.

Nous quittons ainsi notre Prairie sans notre mouillage principal. La chaîne est presque neuve, achetée en Guadeloupe à Noël dernier ; Yves enrage. Après avoir signalé l’incident à la garde côtière, qui ne peut pas grand chose pour nous, il va calmer ses nerfs en terminant son quart à la barre.

Le vent est toujours absent, c’est une chance. Nous sommes mieux sans vent qu’avec le vent dominant du Sud-Ouest, c’est à dire dans le nez et contre le courant.

Le courant du Saint-Laurent tient ses promesses, nous verrons 5 à 6 noeuds nous poussant. 

À 03h00 du matin, je prends le relève. Le flot augmente et nous avançons à 10 noeuds sur le fond. C’est parfait, nous devrions pouvoir faire route en une seule marée jusqu'à Québec. Un petit train de gros cargos arrive par derrière. À bord du plus rapide, le pilote me contacte pour me demander, avec leur grande politesse habituelle, de décaler ma route vers le nord, donc vers la rive. Le passage entre les bouées est très étroit pour tout le monde. Je sors du chenal balisé, la côte ayant un contour en forme de baie, cela engendre des tourbillons plutôt puissants et le pilote automatique me fait des frayeurs. Je prends la barre, c’est plus prudent. Le petit train de cargos nous double sans problème, mais je les trouve vraiment très proches quand même, toujours cette illusion optique de nuit !

Enfin, il n'est pas très loin tout de même . 

Avec un pincement de coeur, je salue l’estuaire du Saint-Laurent, éclairé une fois encore par un lever de soleil de toute beauté. Nous allons entrer dans le fleuve proprement dit. MedioVaS va peut être se refaire une coque propre dans l’eau douce.

À 06h00, Yves revient prendre son quart. Nous allons embouquer le chenal d’Orléans, qui passe entre l'île d’Orléans et la terre sur la rive nord. Nous avions le choix entre emprunter ce dernier ou continuer pour prendre la Traverse du Nord qui rejoint le chenal du Sud (si si). Le choix était difficile, la distance étant la même. Par le sud, le chenal est beaucoup plus large et bien balisé. Il offre davantage de courant, donc de la vitesse, mais c’est la voie empruntée par les cargos. Le petit chenal d’Orléans, quant à lui, est étroit, peu profond et offre donc moins de courant. Mais il n’y a pas de cargos et il est surtout beaucoup plus touristique. Nous ne devrions pas avoir de soucis avec notre tirant d’eau, d’autant plus que nous y serons à mi-marée montante et de jour.

Outre les bons conseils de Daniel, du voilier Vendredi, ce choix tombe très bien suite à notre nouvelle situation : pas question de devoir mouiller d’urgence notre petite ancre légère au milieu du courant et des cargos, si le moteur nous lâche.

En effet, nous ne sommes pas déçus. Une fois passé le Cap Tourmente, nous longeons les petites villes, chacune possédant une énorme église, et nous apercevons le Mont Saint-Anne strié de pistes de ski.

En approchant de Québec, nous pouvons admirer la somptueuse chute de Montmorency, plus haute que les chutes du Niagara !

Ayant augmenté le régime de notre bon Yanmar (notre fidèle moteur principal), nous arrivons un peu en avance, le flot est encore puissant. Au moins, nous ne devons pas attendre la renverse au mouillage, au pied du pont de l'île d’Orléans. Nous pouvons passer en dessous, mais c’est toujours un peu angoissant, cette illusion d’optique. La hauteur libre est de plus de trente mètres, soit encore plus de dix mètres au-dessus de notre mat, mais ce n’est pas du tout ce que l’on ressent, même pile au dessous !

Après ces quelques émotions, Québec est là, devant nous. Impossible de rater sa ville fortifiée, son château-hôtel et sa tour Price, on ne voit qu’eux ! Dernière petite émotion quand il faut entrer dans le bassin qui précède l’écluse : le courant traversier est si fort que l’on progresse presque en travers. Enfin, une place nous attend à la marina et MedioVaS est ravi de pouvoir se reposer un peu, au milieu d’autres voiliers.

Québec, nous voilà ! 
15
La Fresque de Québec  

Nous avons encore une journée de sécurité, avant l’arrivée des enfants d’Yves, pour vérifier si sa location de voiture est bien en ordre, trouver un opticien qui puisse remplacer sa paire de lunettes brisée en mer et nous promener dans le Vieux-Quebec.

L’ambiance est belle, la ville est pleine de touristes. L’atmosphère a bien changé depuis mon passage avec Arthur, au mois de juin. La rue Saint-Jean est bondée, pas moyen d’y trouver une place dans un petit restaurant pour apaiser nos estomacs. Nous finirons avec un sandwich à la main sur les fameuses terrasses Dufferin.

Évidemment nous n’oublierons pas d’y ajouter un petit cornet de crème glacée trempée dans le chocolat fondu.

Nous continuons notre promenade vers le Petit-Champlain et la Place Royale. Cette ville est vraiment magnifique, avec partout des musiciens de rue ou des spectacles d’acrobates. L’art y est bien présent, sous toutes ses expressions. De retour à la marina, nous pouvons admirer la ville éclairée. Le festival FestiBière, tout proche, nous offrira ses concerts « de voisinage » pendant toute la semaine.

Le Petit Champlain 
L'Art sous toutes ses formes. 

Je m’active pour tenter de récupérer notre mouillage abandonné. En postant une annonce sur Facebook, sur la page des "Mouillages du Saint-Laurent", j’apprends que ce coin est réputé pour enterrer les ancres à cause du courant et surtout de son sol argileux. Ah ! Donc pas la peine de chercher un plongeur, il y a peu de chances que ce soit un rocher. Je contacte tous nos amis rencontrés lors de cette navigation le long du Saint-Laurent et tous se mettent en quatre pour nous aider. J’avais en tête que Mario et Colette, que nous avons connus aux Îles (…de la Madeleine, évidemment, vous le savez maintenant), connaissent très bien la région de Charlevoix, c’est à dire de l'île aux Coudres. En effet, Colette lance un appel à ses contacts locaux. Quelques heures plus tard, j’ai le numéro de téléphone de François L. Incroyable, il va tenter de récupérer le tout avec son petit remorqueur, dès le lendemain matin. Il m’explique que le courant lève les alluvions, auxquels s’ajoutent ceux soulevés par le passage du traversier (barge), et que nous ne sommes pas les premiers à ne pas pouvoir relever notre mouillage !

Mardi, Yves part récupérer sa voiture et file vers Montréal pour y accueillir Matthieu et Margaux.

Pendant ce temps, je reçois une belle nouvelle dans le mail de François L., m’annonçant qu’il a réussi à relever tout le mouillage sans casser la chaîne. Il lui a fallu trois heures de travail, avec son remorqueur équipé de trois moteurs de 400 HP (horse power, chevaux), aidé de trois hommes d’équipage. Daniel et Carole, me prêtent leur voiture sans une seconde d’hésitation. C’est tellement bon d’être si bien entourés ; merci les amis canadiens ! Yves est très admiratif. Il se voyait déjà cassant sa tirelire pour nous acheter un nouveau mouillage complet, et peut-être même une nouvelle poupée pour le guindeau, si la chaîne était aux normes américaines. C’est un immense soulagement.

En soirée, les enfants s’installent à bord puis, sous prétexte d’avaler le décalage horaire, Yves les emmènent sans pitié déguster la fameuse poutine.

Mercredi 14, à 06h45, Daniel est à la marina. Je repars avec sa voiture vers l'île aux Coudres. Yves prendra plus ou moins la même route avec ses enfants, mais en allant plus loin, jusqu’à Tadoussac.

Je redécouvre la côte coté terre, le village de Sainte-Anne-de-Beaupré et son église. Je traverse les stations de ski à 800m d’altitude. En effet il ne faut pas aller très haut pour skier, par ici. Tout cela se trouve à seulement 20 minutes de la ville !

Chutes de Montmorency, la basilique, les stations de ski du monts Sainte-Anne, les fermes  

Je prends un petit morceau de la route de la Nouvelle-France, l’une des plus vieilles artères d’Amérique du Nord, qui circule entre églises et moulins ancestraux.


 Au bout de deux heures de route, j’arrive à la baie Saint-Paul. 

Je quitte l’autoroute pour prendre la route du Fleuve qui mène au traversier. Quelle chance, je suis la troisième dans la file. Et hop, un petit tour en bateau vers l’île. Francois L. devrait être au parking, à droite en sortant du traversier. Je trouve l’endroit assez facilement, mais pas de François.

Traversier brise-glace. 

J’aperçois notre ancre et ses 70 mètres de chaîne allongées sur le ponton. Il y a une passerelle d’une trentaine de mètres entre elles et le coffre de la voiture… ça va être lourd et sportif !

Un des hommes de François vient me voir et me propose gentiment son aide. Finalement, nous sommes trois pour ramener le tout dans le coffre. François arrive et m’explique la manoeuvre réalisée pour tout relever : tirer au moteur, hisser à la force des bras, et on recommence … ce n’était pas facile. Je le crois sur parole. Nous discutons un peu de la pêche aux marsouins qui se pratiquait sur l'île et de son métier. Il travaillait sur les cargos qui prenaient le mythique passage du Nord-Ouest. Mais il y a un âge pour tout. Avec ses frères, ils ont fondé le chantier naval de l’île. Depuis 1998, ils ont fait naître une flopée de petits et grands remorqueurs en commençant par Ours Polaire, Horizon Polaire et notre héros : Boréal Polaire !

Quel bonheur de revoir le mouillage, une réelle joie !  

Il me reste un peu de temps avant le prochain traversier, j’en profite pour faire un petit tour rapide de la pointe Est, suivant les conseils de Colette. Je n'avais pas le temps pour aller vers l'ouest.

Oh , des Cuistax, comme à la mer du nord en Belgique ! 

À 10h30, je suis la dernière à embarquer sur le traversier brise-glace : il circule toute l’année, quel que soit l'état du Saint-Laurent.

Vers 13h00, je suis de retour au parking de la marina de Vendredi. Daniel et Carole m’y attendent, je leur ai promis une invitation pour le dîner. Comme en Belgique, le dîner correspond au déjeuner français, servi à midi.

Nous repartons ensuite vers la marina du Port de Québec ; il faut encore décharger les 200 kg de chaîne et les emmener en brouette-ponton, à côté de MedioVaS.

Quelle aventure .

Le lendemain matin, Yves et moi préparons la chaine sur le ponton, à grand bruit de metal raclant le sol, puis l’ensemble retrouve sa baille à mouillage. Prudemment, nous montons l’ancre à l’autre bout de la chaîne, sur la partie qui n’a pas encore beaucoup travaillé au mouillage, celle que le puissant remorqueur n’a pas du étirer. Nous remarquons que la verge de l’ancre est très légèrement déformée en S, nous verrons comment elle tient lors de nos prochains mouillages.

Yves poursuit sa semaine de guide touristique avec ses enfants. Pendant ce temps, je me promène dans la ville, je change le câble électrique de notre feu de poupe qui ne fonctionnait plus, j’écris, je planifie la suite de la route et je me repose. Je visite aussi évidemment.

Un bijou ! 

Je fais aussi une rencontre des plus inattendues : alors que je bouquine à bord, toc toc sur la coque, un voisin de ponton me demande si le nom du bateau est espagnol. Je lui explique dans les grandes lignes l’origine de VaS pour Vuelvo Al Sur, la chanson de tango argentin. Oh, surprise, il comprend parfaitement la référence espagnole, il est Belge et a vécu plus de vingt ans entre le Chili et l’Argentine ! Le soir, il nous invite à son bord autour d’un poulet-choclo (maïs entier en Argentine, appelé blé d’Inde par ici). Il nous raconte son parcours passionnant : comment son père a émigré à Chico Chile juste après la guerre, après avoir survécu plus d’un an dans un camp de concentration. Nous passons une soirée pleine d'échanges et en prime, il allège son bateau en nous laissant un sac de cartes maritimes papier de Québec jusqu'à New York.

Évidemment, nous faisons un tour au magasin nautique de Québec. Nous devons quand même trouver un feu de navigation bâbord, cela fait trop longtemps qu’il est défaillant. Nous y voyons le grand frère de MedioVaS exposé dans le hangard : un Jeanneau de nouvelle génération et « d’un mètre de plus » (c’est la taille bien connue du bateau parfait). Le responsable commercial nous le fait gentiment visiter. Il est magnifique mais MedioVaS n’a rien a lui envier.

Dimanche, la météo s’annonce ensoleillée. Je propose une petite randonnée au Canyon Saint-Anne ; j’avais repéré le lieu lors de ma sortie en voiture. Tout le monde est partant. À moins de 40 km de Québec, nous arrivons dans les montagnes couvertes d’une forêt boréale et sur le site bien discret d’une petite centrale électrique au fil de l’eau. Après des études environnementales, la société Hydro-Canyon Saint-Joachim installe une centrale électrique en 2017, en maintenant un certain équilibre entre les enjeux environnementaux, sociaux et économiques. C’est une vrai réussite, le parc et la chute du canyon sont magnifique.

Chute du Canyon Sainte-Anne 

Nous traversons la rivière à plusieurs endroits, sur des ponts suspendus de différentes hauteurs. La roche du canyon est du greiss granitique dont la surface polie dépend de l’action de l’eau, à raison d’un millimètre par an. Cette roche date de la période précambrienne, la plus ancienne et la plus longue de l’Histoire de la Terre (4 milliards d’années à 600 millions d’années), donc bien avant les dinosaures. Le canyon s’est formé lors de la dernière période glaciaire, il y a 75000 ans, en même temps que fut formé tout le réseau hydrographique actuel : le fleuve Saint-Laurent, les Îles d’Orléans et de la Madeleine et l’ensemble des rivières.

Vertigineux ! 

Tiens, il y a une cabane canadienne le long du chemin ! C’est une reproduction de la cabane du célèbre philosophe américain Henry David Thoreau, connu pour son essai « Désobéissance Civile », au XIXè siècle. Il a inspiré bien des principes de l’activisme non-violent de Tolstoï, Gandhi, ou encore Martin Luther King. Il est également l’un des fondateurs du mouvement transcendantaliste américain, qui prônait un retour au contact de la nature. Eh oui, déjà ! Il vécut ainsi trois ans dans sa cabane, du côté de Boston.

La cabane de Thoreau 

Il fit également partie de l’un des premiers voyages « organisés » entre les Etats-Unis et le Québec, au milieu d’un bon millier de personnes. Il décida alors de parcourir la Côte-de-Beaupré à pied jusqu'à la chute de Saint-Anne, ce qui lui prit deux jours, l’endroit étant difficilement accessible à cette époque.

Petit extrait de ses notes : « - Parmi les endroits les plus romantiques de la région de Québec, il y en a un qui les surpasse en beauté et en grandeur si on le compare avec plusieurs autres ». C’est encore une chute qui est plus haute que celles du Niagara !

Une magnifique promenade pour chauffer les muscles . 

La promenade n’est pas très longue, malheureusement. Nous poursuivons alors notre ballade en voiture vers Saint-Ferreol-des-Neiges d’où part un long sentier le long de la rivière Saint-Anne. En prime, c’est jour de marché populaire sur la place de l’église dont la façade est entièrement peinte.

La surprenant église de Saint-Ferreol-les-neiges 

Nous descendons la forte pente du petit sentier humide et rocheux qui chemine dans la forêt jusqu’à la rivière. Quel bonheur de s’offrir un petit bain de pied dans l’eau fraîche ! Nous paressons une bonne demi-heure sur place, profitant de ce décors magnifique.

Le sentier n'est pas toujours facile, mais la descente en vaut la peine 

J’aimerais continuer sur le sentier mais il fait 10 km, la journée est bien avancée et nous n’avons pas encore déjeuné. Puis cela obligerait Yves à venir me récupérer en fin de journée. En regardant le plan, nous trouvons le long du sentier plusieurs « chemin de secours » dont le premier se situe à seulement 700 m. C’est le parfait compromis : Yves et Margaux reprennent le chemin de l'aller et je pars avec Matthieu vers la suite du sentier. L’aventure commence !

Impossible de trouver le sentier de secours. Je fais demi-tour, rien. Plus en avant, rien non plus. Nous entreprenons alors l’escalade de la montagne en espérant trouver quelque chose plus haut, mais encore rien. Alors nous continuons notre escalade … Par téléphone, Yves nous prévient que l’arrivée traverse une propriété privée dont les panneaux d’interdiction ne sont pas très encourageants.

Il faudra faire comme les arbres, ne pas trop prendre appui sur les rochers. 

Nous marchons sur le tapis d’humus posé sur la roche friable, les arbres sont morts pour la plupart, il est difficile de trouver un support solide pour grimper. Nous progressons lentement mais sûrement en trouvant chacun sa voie.

La vue de la falaise est magique sur la rivière Sainte Anne, faut juste ne pas glisser. 

Au bout d’une heure, nous arrivons enfin en haut de cette falaise. Yves nous attend de l’autre coté du terrain privé. Peu importe, nous le traversons et personne ne sort avec un fusil, ouf. Nos sandwiches sont tout prêts, avec des boissons fraîches en prime, quelle chance ! Nous rentrons par le village de Sainte-Anne-de-Beaupré en faisant halte au petit marché dont provient le pain de nos collations. Les marchands nous offrent un verre de limonade maison à chacun. Comme on est bien au Québec…


Sainte-Anne-de-Beaupré resplendit de son immense et célèbre basilique en granit blanc. Mondialement reconnue pour son sanctuaire catholique, elle attire des centaines de milliers de pèlerins chaque année, mais sa popularité est en déclin. Nous y voyons également un bâtiment en forme de rotonde, le « Cyclorama de Jérusalem ». S’agit-il d’une secte, à deux pas du sanctuaire ? Nous nous interrogeons un peu et Google nous donne la réponse : il s’agit du chef d’oeuvre de Paul Philippoteaux. En 1888, il réalise un panorama de 14 mètres de haut et 110 mètres de circonférence, à New York. Quelques années plus tard, en 1895, le panorama et sa rotonde sont achetés par un cabinet d’avocats montréalais. L’ensemble est déménagé, par bateau, dans ce petit village au bord du fleuve.


De retour à Québec, Yves me dépose à l’entrée de la vieille ville ; je dois trouver un bureau de change. La ville est magnifique, je me promène au hasard des rues. Du haut des remparts, je rêvasse en voyant les terrasses de tous les styles en haut des immeubles.

Pour paresser l'été.  

De canon en canon, j’arrive en haut du Petit Champlain et j’ai une vue incroyable sur la Fresque de Québec. En rejoignant la Place Royale par l’escalier couvert, je suis sur le parcours d’art Passages Insolites, ensemble d’oeuvres engagées et ludiques.

Encore une ville bien protégée . 
Passages Insolites 

Passages Insolites, c’est aussi le Musée du Bad Art (MOBA). Évidemment, je ne peux pas continuer ma route sans satisfaire ma curiosité d’abord. Ce musée regroupe une sélection du « meilleur du pire de l’art », avec une sélection d’une soixantaine d’oeuvres à l’esthétique douteuse. Le concept de ce musée privé est de « célébrer le travail d’artistes dont les oeuvres ne pourraient pas être montrées et appréciées, ailleurs », des « oeuvres d’art trop mauvaises pour être ignorées ». L’antiquaire Scott Wilson fonde le MOBA en 1994, à Boston, avec une collection de 500 oeuvres. Elles viennent pour la plupart d’achats dans des marches aux puces, de dons, voire simplement de poubelles ! Pour être acceptée, l’oeuvre doit être originale, avoir une intention sérieuse tout en ayant des défauts importants, sans pour autant être ennuyante.

Les grandes villes ont toutes leur musée consacré à ce qui se fait de meilleur. Aujourd’hui il y a donc aussi le MOBA, consacré à ce qui se fait de pire.

MOBA 

Le mardi 23 août, Yves part de bonne heure avec ses enfants vers Montréal, par le merveilleux Chemin du Roy, la route historique de Nouvelle France.

Pendant ce temps, je vais magasiner en ville, puis je remets MedioVaS en mode navigation et je profite une dernière fois de la piscine du club. Yves rentre dans la soirée. Le lendemain, c’est grande lessive. Nous profitons de cette dernière journée à nous deux en ville pour flâner encore et encore dans ces rues riches d’Histoire. Dans la basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec, nous découvrons l’histoire de l’évêque Laval (évidemment héroïque mais néanmoins passionnante autant qu’éclairante). Nous partons ensuite vivre « Québec en Immersion », toute l’histoire de la ville derrière un casque 3D. Nous apaiserons nos estomacs Rue saint Jean, chez Murphy, faisant honneur au menu que servent tous les restaurants du voisinage !

Tout est prêt pour quitter cette merveilleuse et si chaleureuse ville après une bonne nuit de repos, même et surtout une bonne dose de nostalgie.

Au revoir Québec, ton ambiance festive et chaleureuse, ton histoire et tes artistes. 
16

Quitter Québec, c’est difficile. Nous sommes vraiment « tombés en amour » avec cette ville. Mais il faut continuer notre remontée du Saint Laurent, le calendrier commande. Le mercredi 24 août, nous allons faire le plein de gazole et nous passons l’écluse de sortie de la marina. Nous allons nous amarrer au ponton d’attente, de l’autre côté, un voyage d’un bon quart d’heure ! Le lendemain au milieu de la nuit, nous appareillons pour de bon. Il est 03h30, pourquoi si tôt ? Pour profiter du maximum de courant, évidemment.

Le vent est à peine présent, nous naviguerons à voile et à vapeur. Le soleil se lève sur le fleuve, le spectacle est somptueux ; Québec est déjà derrière nous et la nostalgie nous prend.

Nous croisons quelques cargos, toujours pendant mes heures de quart… mais cela se passe toujours de manière très cordiale. Sur la radio VHF, chacun trouve sa place dans l’étroit chenal. Le flot nous pousse bien, nous faisons une moyenne de 7 noeuds sur le fond. Nous arrivons à Portneuf à 08h30. La renverse commence à se faire sentir, il était temps d’arriver. Nous cherchons une place pour mouiller, mais le rivage n’est pas notre ami et nous craignons un envasement à marée basse. Nous optons donc pour la petite marina qui offre juste assez d’eau pour la quille de MedioVaS.

Nous pouvons partir sereinement visiter les alentours. Nous sommes tout de même sur le Chemin du Roy vieux de 280 ans ! Après le fleuve Saint Laurent, le Chemin du Roy constitue la première voie de circulation entre les paroisses et les seigneuries de la Nouvelle-France. L’idée d’une route reliant Québec à Montréal naît en 1706, mais elle ne verra le jour qu’en 1734. Au terme du chantier, le Chemin du Roy fait 7,4m de largeur et traverse 37 seigneuries. 29 relais offrent, été comme hiver, le gîte aux voyageurs des diligences pendant les quatre à six jours que dure le trajet. Son rôle le plus prestigieux, en ce temps là, est le transport de la poste royale. C’est "la-plus-vieille-voie-carrossable-en-Amerique-du-Nord" ; ce sera également celle qui recevra le premier pont à péage au Québec. Longue de 76 km dans la région de Portneuf, c’est ici que l’on peut y voir les segments les plus authentiques.

Cap-Santé se trouve à 6 km, cela ne nous fait pas trop peur et nous comptons sur le pouce pour avancer plus vite. Après une demi-heure de marche, un automobiliste s’arrête. Comme d’habitude, la gentillesse québécoise le pousse à nous déposer au Cap alors qu’il devait s’arrêter bien avant. Nous arrivons ainsi au Vieux Chemin, déclarée "la-plus-belle-rue-de-village-du-Canada " par The Globe and Mail (sur la-plus-vielle-voie… ça fait quelques titres de noblesse !)

Le Vieux Chemin 

Le Vieux Chemin de Cap-Santé figure parmi les tronçons les mieux préservés de cette première voie entre Québec et Montréal. Des personnages célèbres y ont vécu, comme Pierre Garneau, maire de Québec de 1870 à 1874 ou Marie-Josephte Fitzbach, fondatrice de la communauté des Soeurs du Bon-Pasteur. La rue pittoresque abrite une ancienne fabrique de cigares, une ancienne imprimerie… chaque maison ou presque a son petit écriteau avec son histoire. Aujourd’hui, nous y voyons beaucoup de maisons d’artistes peintres.

Toujours le Vieux Chemin 

La promenade est vraiment jolie. Si jolie que nous allons au-delà. Après la majestueuses église, encore une, nous descendons vers le quai au pied du fleuve. Il doit déjà nous manquer ! Quelques motards discutent autour de leurs Harley Davidson, pendant que d’autres profitent de la marée basse pour se baigner.

L'église de Cap Santé 

Nous terminons notre promenade par l’achat de petits sandwiches chez l’unique dépanneur du coin. Nous les avalerons à l’ombre d’un arbre, sur le Vieux Chemin. Pour rentrer, une fois de plus le pouce est au travail. Un monsieur du coin s’arrête et nous dépose au centre de Portneuf, à côté de la pizzeria. Il a du croire que l’on avait encore faim, il est vrai qu’à bientôt 17h00, l’heure du souper local approche à grand pas.

Nous retournons au bateau et je profite du temps calme pour faire quelques images « vues du ciel ». Je suis interrompue par un motard « Davidsonnien » qui veut tout savoir sur le fonctionnement du petit drone. La machine l’intrigue vraiment (gros prétexte commentera Yves plus tard). Je me lance alors dans les explications et mes images ne sont pas terribles, désolée. Mais je ne pouvais pas refuser le petit cours.

De retour au bateau, d’autres voiliers sont venus s’aligner sur le ponton derrière MedioVaS, certainement pour attendre aussi le courant favorable du lendemain.

Vendredi 26 août, nous appareillons vers 06h30. Devant nous sont les « rapides de Richelieu ». Vaut mieux ne pas se tromper dans l’heure de passage, et encore moins tenter de passer lorsque le vent souffle contre le courant. Le courant dans les rapides peut atteindre plus de cinq noeuds, contre nous évidemment. Les rapides marquent aussi la fin de l’influence de la marée sur le courant. À partir d’ici, nous aurons le courant tout le temps contre nous. Oh joie, crie le vaillant Yanmar ! Une fois ces derniers passés, sans encombres et dans le calme, l’heure était la bonne, nous pouvons enfin sortir nos voiles et profiter d’une navigation humide mais silencieuse.

 Un bord après l'autre au portant, suivant les méandres du chenal.

De clocher en clocher, de bouée en bouée, les voiles grands ouvertes, c’est un défilé de lieu historiques que nous doublons tour à tour : Deschambault, Grondines, Batiscan, Champlain, pour atteindre Trois-Rivieres vers 16h00.

On nous a parlé d’un mouillage dans le petit chenal, avant la marina, et notre super guide nautique en dit des merveilles également. Nous y pénétrons très prudemment, le courant est fort et nous devons passer au dessus d’une sonde à deux mètres. Je me concentre à la barre, j’ai horreur du courant violent qui pousse à devoir avancer complètement en crabe, surtout dans des endroits aussi délicats. Mais il faut bien s’y coller pour apprivoiser la manoeuvre. Une fois la barre passée, le courant diminue et nous trouvons une hauteur d’eau correcte pour nos 2,1m de tirant d’eau. Mais le lieu décrit comme calme et pittoresque ne l’est pas du tout. Nous avançons entre une usine et des bateaux-pontons tous délabrés, des remorqueurs. À l’emplacement théorique du mouillage, c’est le comble : un énorme panneau interdit de mouiller une ancre. Un peu dépités, nous prenons l’option demi-tour pour aller au port avant mer basse, en serrant les fesses bien fort pour repasser la barre avec encore un peu moins d’eau. La marina nous prépare une place et nous confirme que leur chenal est dragué à 11 pieds ; oui, tout est en pieds et pouces, il faut s’y faire. Nos 7 pieds de quille devraient donc passer à l’aise. Une fois encore, il faut avancer en crabe dans le petit chenal délimité par des belles bouées. Un jeune assistant nous attend au ponton, comme toujours dans les marinas, pour prendre nos amarres. Notre sondeur affiche 1,9 m d’eau, hum hum, cela nous laisse songeurs. En tous cas, MedioVaS ne semble pas être posé sur le fond, il flotte encore… pas pour longtemps. Pendant que je vais m’inscrire et payer la place au bureau, Yves sort la sonde à main pour vérifier : il manque vingt bons centimètres sur l’avant, presque un pied ! Un peu de muscle sur les aussières et MedioVaS recule en eau « acceptable » avec cinq bons centimètres de gras, presque un pouce !

Mario voulait nous retrouver pour nous faire visiter son pays. Mais une visite familiale l’empêche de venir. Dommage ! Un peu fatigués, nous en profitons pour rester à bord… Mais voici qu’un homme tirant toute une charrette de légumes s’arrête pour entamer une discussion avec nous. Nous lui proposons un verre à bord, mais il contrattaque aussitôt et nous invite à le rejoindre avec son épouse, dans une demi-heure, sur son trawler (bateau à moteur à déplacement lourd, très spacieux, reprenant la silhouette et le nom des chalutiers traditionnels américains). Le temps de prendre une bonne douche. Elles sont splendides, ici, de petits studios flottants juste en face de MedivoVaS.

Nous retrouvons donc Marcel et Nathalie. Comme souvent, l’apéritif se prolonge et nous terminons la soirée autour d’une fondue chinoise. Nous échangeons les souvenirs de nos voyages respectifs. Cela tombe bien, ils sont déjà allés vers le lac Ontario. Il nous offre une carte et des points de mouillage, de quoi compléter les cartes reçues d’André.

Le lendemain matin, nous profitons de la marina pour faire le plein de gasoil. Nous sommes un peu coincés à notre place. Nous tentons de déplacer MedioVaS par les amarres, vers la pompe qui est juste à côté mais le voilà rapidement reposé dans la vase. Nous le rapprochons du ponton à la main, je saute à bord, récupère les amarres et engage la manoeuvre au moteur. Yves et le jeune homme m’attendent coté pompe pour amarrer MedioVaS. Gazole et eau font le plein de nos réservoirs, nous pouvons repartir nous battre contre le courant. Toujours des églises, toujours des bouées, nous traversons à la voile jusqu’au lac Saint Pierre. Ici, il n’y a pas seulement des cargos, il y a aussi des plaisanciers en tous genres. Notre espace de manoeuvre se réduit au chenal balisé; en dehors les fonds remontent très vite. Mais le plaisir d’être sous voiles et au soleil fait oublier tout cela.

Nous arrivons aux Îles de Sorel et nous mouillons devant l'île Plate, sous l'île aux Sables. L’ambiance est calme, pas une ride ne vient perturber le fleuve. Nous sommes dans une zone marécageuse, d’ailleurs on le surnomme l’archipel les Everglades du Québec. Il est composé de 103 îles et le territoire est reconnu comme Réserve mondiale de la biosphère du Lac Saint-Pierre, principalement parce que 90% du territoire demeure sauvage tout en étant une région habitée.

Les Îles de Sorel qui sont en fait les îles du Lac Saint-Pierre. 

Nous mettons MiniVaS à l’eau et partons explorer les différents canaux. Nous constatons, comme nous l’avait dit Marcel la veille, que le niveau d’eau est plus élevé que sur les cartes, MiniVaS passe par dessus des zones inondées théoriquement infranchissables. C’est le week-end encore, il y a foule de bateaux. Nous n’arrivons pas à rencontrer les amis de Marcel, leur bateau semble vide. Nous retournons retrouver notre bon MedioVaS qui se fait chatouiller la coque par les herbes des fonds. La température de l’eau avoisine les 25 degrés, mais nous ne ressentons pas le besoin de plonger dans ce marécage. Qui sait, y a-t-il aussi des crocodiles ?

Un air de Río de la Plata 

Dimanche 28 août, nous reprenons le chenal en eaux profondes et balisé. Toujours de clocher en clocher, de bouée en bouée, de pêcheur en pêcheur, en croisant les bateaux les plus surprenants, nous continuons notre route, au moteur cette fois-ci ; le vent est à plat.

Petit jeu: remettre le clocher au centre de son village. 
Chacun son style ... 

Nous envisagions d’aller jusqu’à la Pointe aux Trembles, au nord de Montréal, afin d’y retrouver Yves Plante. J’ai fait sa « connaissance » sur Facebook, bien avant d’arriver au Canada. Skipper professionnel et grand connaisseur de la région, il nous avait donné beaucoup de bons conseils et rassurés sur la faisabilité de notre boucle, pourtant entièrement contre le fleuve. Malheureusement il n’est pas disponible dans les jours à venir. Nous décidons alors de nous arrêter ; la nuit va bientôt tomber. Yves trouve une possibilité de mouillage autour des Îles Robinets, mignon comme nom. Craignant que le courant y soit fort, après notre mauvaise expérience de l'île aux Coudres, nous approchons avec prudence. L’ancre croche bien, il y a moins de deux noeuds de courant, nous y resterons pour la nuit. Mario nous apprendra que nous sommes devant Charlemagne, la ville qui a vu naître Céline. Heu… Céline, l’écrivain ? Voyons donc, Céline Dion la chanteuse, comme de raison !

Nos petits Robinets  

Lundi 29 août, un peu paresseux, nous appareillons vers 8h30. C’est le grand jour, Montréal est devant nous. Le fleuve est calme et le courant nous retarde toujours un peu. Nous décidons alors de sortir du chenal et de passer en eaux moins profondes ; le courant y sera moins fort. Le Chenal des Plaisanciers porte bien son nom. Nous nous sentons un peu à part, au milieu de bateaux motorisés et de jet-skis qui vont dans tous les sens. C’est intéressant de devoir trouver son chemin, lorsque une jeune femme tente péniblement de tenir sur son wake-board, juste devant notre étrave. En fait, elle ne tient pas, c’est le fou-rire.

Montréal n’est plus très loin. Le Vieux-Port d’Escale peut nous accueillir. Nous sommes vers midi sous le pont Jacques Cartier. Le fleuve n’est plus du tout calme, notre Yanmar doit donner tout ce qu’il a dans les injecteurs pour nous faire passer un gros courant de 5 à 6 noeuds. Marcel nous avait prévenu : « - le guide conseille de longer le mur sur tribord, mais il n’en est rien, je vous conseille de longer l’Ile Saint-Hélène et de tourner au dernier moment. » Yves se régale à la barre, allant d’un bord à l’autre en crabe, pour vérifier le conseil. Marcel avait bien raison : à gauche c’est moins pire !

Nous la verrons pendant un long moment cette bouée. 

Enfin, une fois passé ce saute-mouton, nous arrivons au port. Un homme nous montre notre place et prend nos amarres. MedioVaS peut se reposer, tout en frimant un peu : c’est le seul voilier de tout le port ! On peut supposer que seuls les gros moteurs tentent le passage, les voiliers restent au yacht club, un peu avant.

Montréal, nous voilà ! 
17
MedioVaS au Port d'Escale de Montréal  

Nous ne tardons pas à quitter MedioVaS pour faire un tour en ville. Yves n’avait pas eu le temps de la visiter avec ses enfants et moi j’y avais fait un petit saut avec Arthur.

La première chose à faire : trouver un hot dog ; j’ai une grande envie de hot dog. Nous n’en trouverons aucun, même pas dans les échoppes qui bordent l’allée du port. Nous nous contenterons d’un bon petit restaurant dans le Vieux Montréal, avec un moule-frites pour moi et une poutine pour Yves. Évidemment, nous trouverons une crème molle trempée de chocolat lors de votre promenade.

Vers 16h30, alors que nous envisagions de nous enfoncer dans les rues festives, nous recevons un message de Colette avec une irrésistible proposition : elle nous retrouve à la sortie du métro Montmorency pour aller passer la nuit chez elle, en campagne. Revoir Colette et Mario (rencontrés aux Îles), en outre dans leur maison en campagne, c’est le mythe !

Cela nous laisse le temps de prendre une douche, de trouver le métro, de ne pas oublier le maillot de bain… À 17h30, nous sommes au lieu de rendez-vous. Colette arrive quelques minutes plus tard, nous voici embarqué dans une merveilleuse aventure. Campagne, villages, cultures, vignobles, je suis sous le charme. Colette connaît tout de sa région, nous avons droit aux anecdotes en prime. Lorsque nous traversons le Kanesatake Lands, terres de la Nation mohawk, l’histoire se gâte. Une partie de leur territoire est imbriqué dans le village d’Oka, ainsi des parcelles de terrain des Mohawks sont séparées les unes des autres par des terrains privés non-amérindiens. En 1990 éclate la crise d’Oka, après que des promoteurs ont tenté de construire des logements et d’étendre un parcours de golfe sur des terres contestées et un cimetière ancestral. S’en suivent 78 jours de tensions sévères et d’affrontements parfois mortels avec la police. Les autres Premières Nations commencent à élever eux aussi des barrages, en signe de solidarité. On fait alors appel à l’armée et le gouvernement fédéral déploie jusqu’à cinq mille hommes, autant qu’en Afghanistan !

La rue traversant le territoire nous plonge dans une autre grande désolation : on n’y voit que des magasins de cigarettes, de marijuana et d'alcool. On y découvre même les prémices de la construction d’un casino. C’est que les Amérindiens ne payent pas les mêmes taxes que les non-amérindiens ; en fait ils n’en payent pas du tout quand ils vendent la production de leurs réserves. Ils se sont naturellement mis a cultiver du tabac, c’est traditionnel, puis à fabriquer leurs propres cigarettes, dont la qualité n’est pas forcement contrôlée. Comme les cigarettes sont excessivement chères au Quebec, ils ont là un marché particulièrement juteux. Évidemment, depuis la légalisation de la marijuana au Canada, ils ont diversifié leurs cultures. Le seul avantage est le prix du gazole, vendu hors taxes pour les Indiens et un peu moins cher pour les visiteurs. Yves se mord le doigts en voyant les prix, il vient de faire le plein au port !

Après une petite heure de route, nous arrivons chez Colette et Mario. Première chose à faire : plonger dans leur piscine. Bonheur. L’apéritif occupe la grande table du jardin, avant les premières gouttes d’eau annoncées par les grondements du ciel. Mais ce n’est pas la pluie qui empêchera Mario d’allumer le barbecue.

Il y a toujours un peu d'eau près de nos pieds. 
Eclairage à la française, Colette est un peu nostalgique de ses voyages. 

Au hasard de la conversation, nous apprendrons que Mario a participé à la Course autour du monde organisée par Antenne 2 dans les années 80, une émission mythique que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre ! Il s’agissait de réaliser des reportages dans neuf pays, la production offrant un billet d’avion « tour du monde » et une petite bourse. Il a terminé deuxième, un poil de barbe derrière le Belge. Yves n’en revient pas, lui qui adorait cette émission.

Je vous conseille de découvrir la chaîne Youtube : « CapitaineSirop », vous apprendrez tout sur le sirop d’érable, les érablières urbaines, la tire d’érable à faire chez soi, le tout dans la bonne humeur irrésistible.

Colette, qui se prétend retirée, a toujours au moins deux projets artistiques en cours, et tous ceux qu’elle a en tête et qu’elle aimerait réaliser. Elle nous avoue être très jalouse de nos découvertes dans son propre pays, en particulier de notre parcours sur le Saint-Laurent, c’est son rêve. Tu le feras Colette, rien ne te résiste !

Avant d’aller nous coucher, nous regardons quelques épisodes de La Maison Bleue, une parodie de la vie politique québécoise, incluant parfois des personnalités politiques françaises que l’on reconnait bien ! La série imagine que le Québec est devenu indépendant, d’où le nom de palais présidentiel. C’est excellent, fait auto-dérision et d’humour piquant, tout y est. Seul ennui, le Saguenay cherche à faire sécession, ah ah.

Le film est pour eux ... 

Le lendemain matin, Mario part travailler, Colette envoie quelques messages depuis son bureau à l’étage, où trônent ses deux disques de platine, pendant nous flânons tranquillement. Je profite de l’éclaircie pour sortir le drone et prendre des images de la maison posée au bord du lac des Deux Montagnes. Je suis certaine que cela leur fera plaisir et ,en effet, ils sont tous les deux ravis. Mais ils ne mesurent certainement pas l’émotion que nous éprouvons d’être ici avec eux ! Nous sommes comblés.

Colette nous propose de suivre le parcours du balado (promenade et commentaire audio en podcast) qu’elle a mis en place autour de son village, Saint-Placide, pour cette saison estivale. Cinq sites ont été sélectionnés, cinq artistes québécois ont chacun choisi un des sites sur lequel produire un balado. Le résultat est impressionnant. Nous sommes transportés par les textes et la musique, nous plongeant dans l’histoire ou les anecdotes, sublimant l’attrait et la beauté de chaque site. Nous voyageons de l'église du village à l’érablière du maire, en passant par un ancien haras reconverti en microbrasserie et centre d’accueil pour chevaux sauvés des abattoirs. C’est un vrai voyage contemplatif, merci et bravo Colette. Nous te souhaitons un grand succès pour la « saison 2 ».

Quelques extraits de texte avec photos :

" Lieu de rassemblement pour la communauté, coeur du village, l'église dominie la place. Sur son parvis, j'imagine les conversations des habitants depuis la nuit des temps (...) Érigée en 1852, cette église est transformée pour devenir avec le temps, non seulement un lieu de culte mais aussi plus récemment un lieu culturel. Après tout, 'culte' et 'culture' ont une éthimologie commune, du latin cultura qui signifie habiter, cultiver ou honorer. La culture, la culture de la terre dans sons sens premier est une tradition centrale de Saint Placide. Puis cultiver l'esprit, cultiver l'âme. C'est donc dans ce but de cultiver, de célébrer et de déployer l'art que Saint Placide est devenu l'un des premiers villages au Québec à acheter son église. Non seulement pour maintenir sa vocation de culte mais aussi pour qu'elle devienne un haut lieu de diffusion culturelle, question de vouer un culte à la culture (...)."

L'église de Saint Placide et sa sainte placidité. 

" L'Erable, emblème national de notre fierté, de notre identité. Haut et fier, fort et droit, il partage avec nous son côté givré pour notre plus grand plaisir. Comme il devait être bon ce sirop des Premières Nations récolté après un long hiver à vivre de la chasse (...) Tellement de bonheur que ce moment est devenu un point fort de notre identité collective, La Cabane à Sucre (...) Marie Victorin, grand botaniste québécois, affirmait que les premières nations apprirent de l'écureuil à transformer la sève d'érable en sirop. En effet, un écureuil qui courrait dans un arbre cassa une branche. L'écureuil se mit ensuite à lécher la sève de l'arbre. La sève coulant jusqu'au pied de l'arbre était chauffée par le soleil jusqu'à ce qu'il ne reste que du sirop. En observant la scène, les premières nations ont découvert un arbre qui pleure du sucre (...) Le sucre d'érable était si précieux qu'à une époque il était accepte comme moyen de paiement, le Bitcoin n'a qu'à aller se rhabiller, il n'a pas si bon goût (...) On entre dans la forêt, mais c'est elle qui avance en nous. Sa sève nous monte à la tête (...)."

La récolte du "précieux" qui deviendra sirop. 

" Au bout du corridor d'arables, s'ouvre le ciel à perte de vue. De la forêt et ses racines profondément ancrées dans la terre, nous voila projeté vers l'horizon du firmament enfin dévoilé, la fameuse lumière au bout du tunnel (...) Aucun obstacle entre nous et l'immense ciel rempli de soleil, de bleu, de nuages ou d'étoiles (...) A nos pieds, la culture, celle qui nous nourrit et dans laquelle on s'investit dans l'espoir d,in lendemain meilleur. L'agriculture et la culture partagent les mêmes espoirs, et pour les deux, le Québec est un terreau fertile (...) Devant nous se dresse ce champs des possibles, ce vaste horizon des événements qui nous permet d'avancer dans la direction de notre choix (...) "

Le champ des possibles. 

" En se rendant chez Willsee par la 344, la route historique qui longe la rivière, on croise des chevaux, des champs, des fermes. On se sent faire partie de l'histoire dans les pas des premiers habitants de la Nouvelle-France (...) Je sais que je viens d'arriver quelque part. Au début d'une expérience hors du commun (...) "

Le Haras transformé  

Nous ne devions pas rentrer trop tard à la marina, pour retrouver une amie de ma fille Manon à l’heure du souper, mais nous ne voulons pas nous presser. Nous envisageons donc de rester une nuit de plus à Montréal et je déplace le souper au lendemain.

Nous dinons ( déjeunons) tardivement au bord de la piscine et, en fin d’après-midi, Mario nous reconduit au bateau. La météo pluvieuse nous prive d’une promenade by night mais Mario nous offre la visite en voiture. Nous découvrons ainsi le plateau du Mont-Royal, le quartier juif où nous achetons des bagels dans un magasin qui sert jour et nuit et ne ferme jamais, le quartier des arts, la place Emile-Gamelin autrement appelée place des festivals.

Arrivés au bateau, j’improvise des nouilles chinoises pour tous trois. Nous sommes heureux des moments passés ensemble mais tristes de quitter Colette et Mario.

Le lendemain, un peu paresseux, nous partons nous promener en fin de matinée. Au hasard de nos pas, nous arrivons là où « tout a commencé », sur le port de Montréal. Nous sommes dans le centre d'interprétation.

Une partie du centre est en extérieur, il en est souvent ainsi. 

Le 17 mai 1642, Paul de Chomedey de Maisonneuve, Jeanne Mance et 40 colons fondent Ville-Marie, l’actuel Montréal. Ils s’établissent sur l’île, déjà connue des Européens depuis la visite de Jacques Cartier en 1535. Ils y prospèrent jusqu’au 7 septembre 1760, quand Montréal capitule devant les Anglais, peu après la défaite qui a vu la mort du marquis de Moncalm à Québec. Les vainqueurs refusent les honneurs de la guerre aux troupes françaises. Lévis brûle alors ses drapeaux et la Nouvelle-France est chose du passé. Et pourtant, nous autres (maudits) Français en titre, nous retrouvons tant de choses qui résonnent en nous…

Nous rentrons dans le centre d’interprétation maritime où nous pouvons participer à un jeu interactif : faire voyager un navire de Montréal à l’autre bout du monde. Extra, nous commençons chacun notre partie, reconnaissant les navires que nous avons croisés en route et les courbes du fleuve que nous avons remontées. En pleine manoeuvre sur le Saint-Laurent, je reçois un message d’un vieil ami, un très vieil ami d’Argentine, Bruno ! Quelle belle surprise, il nous invite à diner. Il est déjà plus de 13h00 mais peu importe. Nous abandonnons lâchement nos passerelles et nos badges de capitaines pour filer au lieu de rendez-vous, une terrasse au dernier étage d’un hôtel qui donne sur les quais. Bruno, je ne l’ai plus vu depuis mes 18 ans, lors d’un voyage qu’il avait fait en Europe avec un bref passage en Belgique. Je savais qu’il était à Montréal, nous avions échangé quelques mots, mais rien de précis. Et nous voilà tous trois attablés comme si le temps n’était jamais passé sur nous. Nous nous séparons vers 15h00, il doit retourner à son boulot de traducteur et interprète trilingue.

Que d'émotions dans ce pays ! 

Nous continuons notre promenade dans les rues du vieux Montréal et, vers 19h00, je retrouve Salomé, surnommée Salopette, une des meilleures amies de Manon. Elle est arrivée ici en répondant à une offre d’emploi, juste à la fin de ses études en géologie. Nous passons une excellente soirée dans un petit restaurant de la place Jacques Cartier.

Et encore une belle surprise, la Normandie à Montréal  

Il y avait tant de personnes que nous voulions revoir à Montréal, comme Carole et Daniel du voilier Vendredi, Alex du voilier Vénus qui poursuit son projet de course autour du monde à la voile vintage en équipage, Fannie du voilier Arjuna… Mais ils ont repris le travail et ce n’est pas facile. Ils restent tous dans nos coeurs, ce sont des rencontres formidables que jamais nous n’oublierons. Et, qui sait, peut-être aurons-nous la chance de les revoir dans un mouillage ou en escale ?

Nous devons quitter Montréal, un autre rendez-vous nous attend : Manon arrive à Toronto le 16 septembre. Nous avons encore un petit bout de chemin à parcourir. Ce sera le départ le plus difficile, quitter la province du Québec, son accueil incroyable, tous ces amis rencontrés sur la route.

Au revoir Montréal, en passant par la Cabane à Sucre , évidemment ! 
18

Notre ascension du Saint Laurent va commencer. Depuis deux mois nous remontons le fleuve, mais cette fois-ci, nous allons l’escalader. La différence de niveau entre Montréal et le Lac Ontario est de 68 mètres. Nous allons donc devoir franchir sept écluses pour atteindre cette altitude et lutter contre le courant.

Ma nature optimiste me pousse à réserver les quatre premières écluses en une journée. C’est jouable en distance, c’est jouable en horaires… Yves reste septique.

Nous quittons notre belle escale montréalaise le jeudi 1er septembre à 6h00 du matin. Nous devons repasser sous le pont Jacques-Cartier sous lequel passe ce courant de folie. Cette fois-ci, il nous pousse vers la sortie. Le moteur tourne fort pour bien rester manœuvrant, tout se passe à merveille, à dix noeuds au moins. Nous virons la cardinale de l'île Saint-Hélène et entrons à nouveau dans le fleuve.

Le courant nous chasse vers la sortie  

C’est ici que débute la Voie Maritime. Pourquoi une Voie Maritime ?

Les Grands Lacs et le fleuve Saint Laurent sont nés à la fin de l’ère glaciaire, il y a un peu moins de 10 000 ans. Ce système hydrologique est donc très jeune. Le parcours de l’eau entre le lac Supérieur et l'océan Atlantique présente beaucoup d'irrégularités que l’érosion n’a pas encore fait disparaître. C’est là l’origine des rapides et des chutes, gros obstacles pour la navigation. C’est ainsi que Jacques-Cartier s’est cassé les dents sur les rapides de Lachine, autour de Montréal, lors de sa quête du passage du Nord-Ouest.

Les Français tentèrent de contourner les rapides de Lachine par un premier canal dont les travaux débutent en 1680. Ils s’achèveront un siècle plus tard.

Entre 1779 et 1783, les ingénieurs royaux britanniques creusent les premiers canaux opérationnels, pour répondre aux impératifs militaires après l’invasion américaine. Ainsi le Lac Saint-Louis est-il relié au Lac Saint-François par quatre canaux, à peine profonds d’un mètre. Cinq premières écluses, larges de moins de deux mètres, permettent de remonter le Saint-Laurent.

Il existe bien une solution moins risquée pour contourner les rapides, mais elle est fastidieuse, c’est le portage. L’accroissement de la population de la colonie vers l’ouest et les besoins de mobilité vont faire entrer le Canada dans « l’âge des canaux ».

Cela débuta en 1825 avec le canal de Lachine à Montréal , puis en 1833 avec le premier canal Welland entre les lacs Ontario et Erié. On instaura un gabarit unique pour les écluses : 200 pieds (61m) de long, 45 pieds (13,7m) de large et 9 pieds (2,7m) de profondeur. Le gouvernement de la jeune province du Canada construit ainsi une série de canaux permettant de contourner les principaux rapides, Cornwall en 1843, Beauharnois en 1845, Iroquois en 1847… mais ceux-ci deviennent rapidement trop étroits. Dans les années qui suivirent, ils furent reconstruits ainsi que leurs écluses, pour accueillir des bateaux toujours plus gros.

1895 voit la création de la US-Canadian Deep Waterways Commission, pour étudier la faisabilité d’une voie maritime. Mais ce ne sera qu'après la seconde guerre mondiale, sous de fortes pressions commerciales, que le projet va se concrétiser. Une nouvelle commission apparait en 1949 ; ce sera la bonne ! En 1951, les Etats-Unis amorcent les travaux sur le canal Wiley-Dondero, qui contournera les rapides internationaux.

En 1954, débutent les travaux de construction de la Voie Maritime. Il faut modifier quatre ponts de Montréal, draguer de nouveaux chenaux et assembler des écluses.

La Voie Maritime s’ouvre à la navigation le 25 avril 1959. L’inauguration officielle aura lieu le 26 juin, en présence de la reine Elizabeth II et du président Eisenhower, à bord du yacht royal Britania commandé par le Duc d’Édimburg, Philip Montbatten.

Cette gigantesque voie maritime permet de relier l’Atlantique aux cinq Grands-Lacs. Les écluses ont toutes les mêmes dimensions : 766 pieds (233,5m) de long, 80 pieds (24,4m) de large, 30 pieds (9,1m) de profondeur, parfait pour notre MedioVaS !

La Voie est fermée de fin décembre à fin mars en raison des hivers plutôt froid de la région. Cela permet d’y effectuer les travaux de maintenance.

Première écluse en vue. 

Nous longeons l'île Sainte-Hélène, en direction de notre première écluse. Nous atteignons Saint-Lambert vers 07h15. L’ouverture pour les plaisanciers est prévue vers 09h15. Un beau petit ponton nous permet de patienter tranquillement. Deux autres bateaux arrivent, une vedette à moteur et un voilier Étap 28i, fameux voilier de construction belge. À bord, le skipper canadien d’origine britannique a embarqué un couple de jeunes Chinois qui rêvent de voyage autour du monde. Ils arrivent de Terre-Neuve et vont jusqu'à Toronto. Ils approchent pour accoster à couple. Nous ne sommes pas ravis en observant leur manoeuvre et l’absence de défenses sur leur coque. D’un bon coup de marche arrière, le skipper se dégage au dernier moment. Son équipage frappe des défenses et nous les aidons à accoster au ponton après avoir reculé MedioVaS pour leur laisser davantage de place… et souffler.

L’heure tourne et toujours pas d’annonce d’éclusage sur le panneau d’affichage des plaisanciers. Nous tentons de contacter l’éclusier mais le téléphone en place ne fonctionne pas. Il n’y a plus qu'a attendre et surveiller les petits feux, donc chacun a une signification importante, que nous avons du étudier avant d’arriver.

En attente ... 

À 10h45, enfin, les petits feux orange s’excitent, nous pouvons nous préparer. L’éclusier nous balance un truc incompréhensible dans les hauts-parleurs qui résonnent dans toute l’écluse. Tout le monde se précipite pour larguer ses amarres et se présenter dans le bon sens devant les immenses portes encore fermées. Nous tournons un peu en rond et les portes finissent par s’ouvrir devant nous, tous les feux au vert.

Enfin dedans !  

Nous avons l’impression de rentrer dans une cathédrale. Ici, pas besoin d’amarres. On nous envoie des cordages flottants depuis le quai, là-haut, tout en haut, si haut. Bateau après bateau, chacun pioche ces longues lignes qui tombent du ciel. En une quinzaine de minutes, nous sommes hissés de dix mètres et apercevons enfin le plancher des vaches.

Nous sortons de l’écluse de Saint-Lambert vers 11h15. Le scepticisme d’Yves trouve raison, nous ne passerons jamais quatre écluses aujourd’hui ! Je modifie la réservation pour les deux dernières au lendemain matin.

Le site de réservation est très bien fait pour les plaisanciers, mais il ne faut pas se tromper, choisir sa bonne écluse, montante ou descendante, matin ou après-midi … et si ce n’est pas réservé et payé, nous ne pouvons pas écluser.

Nous poursuivons notre route dans ce canal étroit et sinueux. Le croisement d’un cargo est toujours impressionnant.

Pousse Yves ! 

Vers 13h00, nous trouvons le ponton d’attente de l’écluse Sainte-Catherine. Elle était réservée pour ce matin, mais comme le retard n’est pas de notre fait, nous sommes quand même les bienvenus. Une bonne heure plus tard, nous escaladons à nouveau une dizaine de mètres, toujours en compagnie du voilier « des Chinois ».

Le canal de la Rive Sud, premier tronçon de la Voie Maritime, nous a permis de contourner les rapides de Lachine. Nous entrons maintenant sur le territoire des Mohawks à Kahnawake. Nous en profitons pour tenter du gazole dans la réserve, en principe nettement moins cher (vous vous souvenez, les taxes…) Yves saute dans MiniVaS, chargé des jerricans, pendant que je surveille le mouillage. À peine parti, le voici déjà de retour ? Yves n’a jamais vu du gazole aussi cher, il a « salué l’Indien » et rentre bredouille et choqué. Nous repartons aussitôt pour trouver un mouillage pour la nuit, au plus proche des écluses suivantes.

Après avoir traversé le lac Saint-Louis, nous mouillons devant la petite marina de Melocheville, mais l’ancre ne trouve que des cailloux et nous sommes devant le déversoir de l’écluse qui peut engendrer un courant énorme lorsqu’il fait son office. Nous allons tenter notre chance de l’autre côté de l’entrée de l’écluse. Nous nous approchons de l’autre marina, devant Beauharnois. La sondeur passe de 5 m à moins de 2 m. Oups ! Pourtant nous ne touchons rien. Yves reprend sa trace pour retrouver les 5 m. Chose faite, l’ancre mouille dans 6 mètre d’eau et nous pouvons dormir à peu près tranquilles, devant le barrage de la centrale hydroélectrique de Beauharnois.

Beauharnois 

Vendredi 2 septembre, nous nous présentons vers 8h15 devant les écluses du Beauharnois. L’ouverture est prévue vers 9h30…. et se fait attendre une fois encore. Nous retrouvons nos amis chinois au ponton d’attente, qui se présentent encore et toujours sans défenses ! À 10h30, nous entrons dans l’écluse aval et ressortons de l’écluse amont à 11h00. Les deux écluses se suivent et permettent une ascension d’un peu plus de vingt mètres. Toujours plus haut !

Le cargo entrant dans l'écluse se colle au mur qui lui sert de guide. La largeur de l'écluse est la même que celle du cargo ! 

Il n’y a pas que des écluses, le long de la voie maritime, il y a aussi des ponts. Pour la plupart d’entre eux, ils sont largement plus haut que notre tirant d’air, mais pas tous. L’ouverture de notre premier pont devait avoir lieu à 15h00. Il a ouvert un peu avant pour un cargo, il aurait pu nous attendre une dizaine de minutes, mais non, il s’est abaissé devant notre nez. Nous sommes obligés de faire des ronds dans l’eau ou de se laisser dériver. Vers 15h20, enfin, le pont se relève et nous pouvons passer.

Nous rejoignons Salaberry-de-Valleyfield, il paraît que c’est très mignon et ils ont du gazole. Vers 17h00, nous mouillons l’ancre face à leur marina. Notre sondeur nous gratifie à nouveau de fonds de moins 2 m, là où devrions en trouver 4 ou 5. Nous commençons à comprendre pourquoi : le fond des bassins est une vrai plantation d’algues montantes et cela rend notre sondeur un peu parano.

Mouillage pour le week-end. 

J’envoie un message à notre amie Fannie, rencontrée aux Bermudes (vous vous souvenez de la drisse coincée en tête de mat le jour de leur départ ?) puis en Nouvelle Écosse. Nous n’avions pas pu la voir à Montréal, alors je tente. Bingo ! Elle peut nous rejoindre le lendemain. Ça tombe bien, nous restons ici deux nuits. La météo annonce un peu de vent de nordet dans deux jours, j’ai donc proposé à Yves de profiter du coin au soleil et du vent plus tard.

Première chose à faire : le plein de gazole. Yves revient les bidons pleins mais la mine déconfite : le carburant est encore plus cher que chez les Mohawks ! Le prix va-t-il suivre la même courbe que notre ascension du Saint-Laurent ? Les marinas abusent : nous vérifierons plus tard, lors de notre promenade à pied en ville, les prix y sont 40% moins chers. Nous serons plus vigilants dorénavant.

Elles sont splendides et savent se faire entendre.  

C’est vendredi et le soir il y a fête, évidemment. De notre mouillage, nous profiterons du concert donné au bar, un peu plus loin. Les bateaux vont et viennent, l’endroit n’est pas des plus tranquilles, mais c’est agréable de voir du mouvement sur l’eau le long des maisons qui allument leur barbecue. Nous ne sommes plus bercés par les grognements des phoques, ce sont les oies bernaches du Canada qui prennent la relève ; ainsi que les omniprésents cormorans et des mouettes grosses comme des goélands…

Le fond du bassin de notre mouillage. 

Samedi matin, la journée est magnifique et chaude. Nous partons nous promener dans le joli parc et la ville. Le décor alterne entre une ville de villégiature avec ses belles maisons, avec ses nombreux bateaux, et une ville industrielle avec de hauts blocs en pierre rouge et leurs cheminées. Évidemment, nous trouvons toujours le clocher de l’église en premier lieu.

Basilique-Cathédral Sainte Cécile, datant de 1855. 

Fannie nous annonce une arrivée vers midi trente. Nous l’attendrons à la Pataterie, elle a du retard et nous avons faim.

Quel bonheur de revoir Fannie. Elle a quitté le voilier Arjuna et son chum pour prendre un nouveau départ et retrouver sa famille après une année passée en mer.

Elle nous fait visiter Valleyfield, ville qu’elle connait bien pour y avoir travaillé quelque temps et qu’elle affectionne tout particulièrement. Nous apprendrons donc que la ville était essentiellement industrielle. Vers 1850, la compagnie écossaise The Valleyfield Papers Mills s’y installe, suivie de la filature Montréal Cottons Compagny. La ville ouvrière perd ses usines qui sont transformées en hôtel et logement sociaux. Les habitants bénéficient aujourd’hui d’aides sociales importantes, leur permettant de garder un statut relativement important. La ville se transforme petit à petit en lieu de villégiature, marina et bateaux y fleurissent.

Vieux canal du Beauharnois 

Nous nous promenons le long du vieux canal du Beauharnois et de ses rapides, source principale d’énergie utilisée à l’époque par les usines. Les rapides sont devenus le rendez-vous des kayakistes. Après cette belle promenade, Fannie nous propose un tour au supermarché en profitant de sa voiture pour faire le plein de provisions. Elle connait bien la corvée à pied chargée de sacs bien lourds. Nous ne refusons pas ! Vers 15h00, nous lui disons au revoir et merci. Nous sommes heureux d’avoir pu partager ce moment inattendu, une fois encore une belle surprise.

Merci Fannie, c'était trop sympa de te revoir. 

Nous posons nos courses à bord et je profite de cette belle chaleur pour m’offrir un petit bain ; l’eau frôle les 25 degrés. Depuis quelque temps, nous naviguons en eau douce. La coque de MedioVaS qui montrait un profil bien sale à Montréal semble avoir subi un auto-nettoyage et je veux aller vérifier cela. L’eau douce a tué toute la faune et la flore qui s’étaient installées et le frottement lors des navigations a fait le reste. Pourvu que cela dure jusqu’au prochain carénage ! Maintenant, nous devons faire attention avec la végétation des plans d’eau douce, de longues algues qui peuvent facilement venir obstruer l’entrée d’eau du moteur et bien d’autres choses.

Ça fait un bien fou ! 

Samedi soir, c’est encore la fête autour de nous, un défilé de bateau vont et viennent. Nous sentons la saison qui se termine, tout le monde profite des derniers jours chauds de l’année. Le ciel se couvre et nous aurons quelques orages dans la nuit. Dimanche matin, nous appareillons tôt pour profiter du nordet, ce vent qui apporte avec lui de la pluie. Nous arrivons ainsi à traverser le lac Saint-François à la voile. Au bout du lac, nous entrons à nouveau dans les canaux entre les îles et la terre ferme. Il faut commencer à alterner le pavillon de courtoisie, tantôt canadien, tantôt américain. Yves a mis en place un astucieux système de drisse continue, les pavillons montent ou descendent en va et viens, l’un chassant l’autre.

Lac Saint-François à la voile et sous la pluie. 

Une fois bravé le courant sous le Pont International, nous approchons des écluses américaines. Pour celles-ci : pas de réservations, pas d’horaires et pas de paiement anticipé.

Les premières américaines sont les vaches le long du chenal devant le Pont International. 

Vers 15h00, nous nous amarrons à un ponton microscopique et en piteux état. À peine la manœuvre terminée, nous recevons l’autorisation d’entrer dans l’écluse Snell. On enchaîne avec l’écluse Einsenhower dans laquelle MedioVaS fête ses 24 000 miles ! C’est un heureux hasard qui correspond presque à ses six ans. Débarquer en Normandie un 6 juin et fêter son anniversaire chez Eisenhower, c’est chic.

24 000 MILES !!!! 

Le paiement a lieu à la sortie des deux écluses, en dollars CAN ou US, dans une petite pochette que l’éclusier fait glisser le long du mur. Ici, nous utilisons nos amarres, une par bateau qu’il faut lancer en style « lasso du cow-boy » autour d’un gros flotteur. Le remplissage se fait ultra-vite. Nous quittons les écluses vers 16h30, en route pour un mouillage.

Nous devons le trouver en territoire canadien, n’ayant pas encore fait d’entrée aux USA, nous ne pouvons que transiter, cela signifie ne pas toucher terre pas même avec notre ancre.

Le va-et-vient entre le pavillon américain et canadien. 


Ça va et ça vient au rythme de la ligne imaginaire au milieu du Saint Laurent. 

Nous trouverons un petit coin de vase canadienne face à Crysler Beach et son Crysler Farm-Battelfield Monument. La tenue est bonne et nous passons une nuit tranquille.

Chaque petit bout d'île est habité à sa manière.  

Vers 9h00 nous reprenons notre remontée du Saint-Laurent. Le vent du nord-nord-est nous permet de courir une belle partie du chemin sous voiles. C’est toujours agréable quand le moteur s’arrête. Nous sommes rythmés par les passage de frontière.

Griffon qui vient de nous doubler. 

« Griffon », un bateau de la garde côtière canadienne passe son temps à entretenir ou changer des bouées. Il nous suit ou nous précède depuis le lac Saint-François. Ce n’est pas toujours facile de subir le dépassement dans chenal étroit, surtout quand il est en manoeuvre perpendiculairement au chenal.

À 14h00, nous arrivons devant l’écluse Iroquois, dernière écluse canadienne et dernière écluse tout court. Nous ne pourrons la passer que vers 15h00, c’est tout une attente pour pas grand chose : les portes restent ouvertes en amont et en aval et nous passons d’un coté à l’autre sans freiner. Certes, nous sommes seuls et légers, nous ne déplaçons pas autant d’eau que les cargos qui, eux, doivent écluser.

Vers 17h00, nous mouillons à nouveau dans la vase canadienne, en face de Pier Island. Notre étrave pointe les USA.

Toujours heureux sous voile, même s'il pleut.  

Mardi 6 septembre le vent souffle fort dans nos voiles, nous naviguons grand largue ou en ciseaux, c’est magnifique. Le fleuve est bien agité et nous pousse dans de beaux surfs de 9/10 noeuds. Après trois heures de belle navigation, nous arrivons à Brockville. Cette fois-ci, nous avons vraiment quitté la province du Québec pour arriver en Ontario.

Nous découvrons le petit nid de Griffon et son stock de bouée 
Brockville 

Nous craignons un peu de ne pas être protégés du vent et surtout de la houle, mais au fur et à mesure que l’on s’approche, le lieu paraît beaucoup plus calme. Nous doublons les deux marinas, roulons nos voiles et mouillons à proximité des maisons. L’ancre semble bien tenir et nous ne roulons pas trop. Nous préférons rester à bord surveiller MedioVaS, nous sommes vraiment proches de terre. Vers 18h00, nous assistons à la régate du mardi soir. Le plan d’eau se couvre de plusieurs dizaines de petits voiliers répartis en trois classes. Nous observons leur tactique avec intérêt.

La régate va commencer . 

Le vent se repose et nous descendons visiter la ville. Je voulais absolument visiter le tunnel ferroviaire. Pour y arriver, nous déambulons dans les rues aux magasins surprenants.

Des vrais magasins que les "moins de vingt ans ne peuvent pas connaître".

La ville est une des portes d’entrée des Mille Iles, mais n’a pas le succès touristique de ses voisines. La belle place est entourée de clochers et de la mairie.

Ce ne sont pas les clochers qui manquent. 

Nous arrivons enfin à la porte du tunnel ferroviaire, fermée. Nous ne sommes pas seuls à vouloir visiter, une dame passe un coup de fil et nous annonce que quelqu’un va venir ouvrir les portes dans une vingtaine de minutes. En effet, les portes s’ouvrent bientôt. Ce passage sous terre, long de 1730 pieds, est le premier tunnel ferroviaire du Canada. Ouvert en 1854, il avait pour objectif de donner un accès aux voies de Brockville et Ottawa jusqu’aux rives du fleuve. Le tunnel est mis en scène par un jeu de lumière et de musique, c’est court mais très beau.

Le tunnel ferroviaire de la Canadian Pacific. 

L’appétit ouvert, nous nous dirigeons vers la pizzeria conseillée pas Daniel de Vendredi. Malheureusement, elle est fermée depuis l’avant-veille ! Nous trouvons un autre endroit bien sympathique et, en s’y installant, nous remarquons que c’est la Brasserie des Mille Iles. Il aura fallut quitter Québec pour se retrouver enfin dans une brasserie… ouverte !

Il est tmps de continuer notre route. 

Après ce bon déjeuner, nous retournons vers MiniVaS qui nous attend patiemment au ponton public pour partir.

À 13h30 nous entrons dans les Mille Iles. Nous nous promenons entre Îles, certaines portant des maisons somptueuses, d’autres de minuscules cabanes canadiennes. Nous atteignons l’ile Grenadier vers 17h00, où nous passerons deux nuits.

De la cabane à la maison, chaque Île a son style. 

Nous croiserons ainsi devant le château Singer. Il fut construit en 1902 par l’ancien Président de la fameuse compagnie de machines à coudre, comme relais de chasse. Aujourd’hui, il se visite.

Le château Singer.

Les rochers roses sous la lumière du soleil couchant sont splendides. Chaque île rocheuse, ou presque, possède sa maison, dont la taille varie avec celle de l’île. Pour pouvoir être nommée île, il faut que celle-ci porte au moins deux arbres.

Petite île devant Grenadier. 
Et toujours des couleurs splendides. 

L’archipel des Mille Iles est le résultat de l’érosion d’une ancienne chaîne de montagne il y a plus de 10 000 ans. Coté Canadien, l’archipel est devenu un parc incluant les îles privées et celles du parc. Plusieurs sites de débarquement, de camping ou de barbecue sont mis a disposition. Pour les pontons, nous devons payer une petite somme pour que MiniVaS ne prenne pas d’amende. Une fois le petit formulaire d’acquittement bien visible, nous partons faire le tour de l’île. Nous croiserons un chevreuil, des mini-grenouilles, un serpent, que de vie !

MedioVaS, une fois encore doit rester au large vu sa longue quille. 

Cette île était habitée vers 1818 par des fermiers. Ils trouvaient plus facile le défrichement et la culture de la terre de l'île que la terre ferme avoisinante caractérisée par ses affleurements rocailleux et son sol argileux. On y trouvait même une école, lieu d’enseignement mais aussi lieu de rencontre, d’assemblée et de culte. L'école a fermé ses portes en 1963, car l'île des Grenadiers ne comptait plus que trois enfants. Cela marqua la fin de l’histoire d’une collectivité qui fut, un temps, très vivante.

Ile Grenadier. 

Au retour de notre longue promenade, je me retrouve complètement immobilisée du dos. Un faux mouvement en retirant mon sac à dos, je suis désespérée. Mais cela ne nous privera pas du BBQ que nous avions programmé. Des sacs de bois sont disponibles à l’achat dans des abris. Tout est basé sur la confiance…

Notre petit sac de bûches à la main, nous choisissons le plus beau coin abritant un foyer au sol. Saucisses grillées et pommes de terre en papillotes, nous salivons déjà. Bon, les premières n’étaient pas assez cuites et les secondes étaient trop cuites. Il est loin le temps de nos braaïs en Afrique du Sud, nous avons un peu perdu la main.

Nous nous améliorerons ... 

Nous retournons au bateau, je ne peux vraiment plus bouger, c’est certainement un lumbago bien costaud. Yves est aux petits soins pour moi, mais, bloquée comme je suis, il ne peut pas faire grand chose. Je me plonge dans notre pharmacie et en sort les anti-inflammatoires les plus forts. J’envisage un départ le lendemain vers Kingston pour trouver un hôpital, je crains une hernie discale.

Vendredi 9 septembre, nous quittons notre mouillage vers 11h00, après une nuit douloureuse pour moi. Je fais le strict minimum à bord. Nous naviguons au moteur au milieu des Mille Iles, des cabanes canadiennes et des châteaux américains. Nous continuons de serpenter autour de la frontière et les pavillons poursuivent leur alternance.

Nous passons devant LE site à ne pas manquer : le château de Boldt, sur l'île Heart, dans les eaux américaines. Ce château fut construit par Georges Boldt, directeur général du Waldorf-Astoria de New York. Lui et sa famille possédait un cottage sur l'île Heart. Mais, en 1900, les Boldt lancèrent l’ambitieux projet de bâtir un bâtiment gigantesque, l’une des plus grandes maisons privées d’Amérique. Une centaine d’ouvriers travaillent dessus ainsi que sur d’autres bâtiments dans l’île. Sur une ile voisine, où les Boldt possédaient déjà un pavillon, ils lancent la construction d’un énorme abri pour yacht, d’un parcours de golf, de courts de tennis, d’écuries et d’un terrain de polo. En 1904, après le décès de l’épouse Boldt, tout s’arrête. Durant 73 ans, le château et toutes les dépendances restent à l’abandon, subissant les hivers rigoureux et les actes de vandalisme. En 1977, l’administration du Pont des Mille Iles acquiert Heart Island et son abri pour yacht, contre un dollar symbolique. En contrepartie, tous les revenus provenant de l’exploitation du lieu doivent être réservés à la restauration du site. L’objectif final n’est pas de terminer ce qui avait été commencé mais de restaurer l’île dans l'état dans lequel elle se trouvait à l'arrêt des travaux. La restauration a bien évidemment dépassé ce stade. L'île fait partie des lieux les plus visités de l’archipel. On y trouve même un bureau de police des frontières sur place, pour tous les étrangers qui y viennent, c’est le territoire des États-Unis tout de même ! Nous ne nous y arrêterons pas, bien évidemment.

Le château Boldt 

Vers 16h30, nous arrivons à notre mouillage, au nord du magnifique site de Beau Rivage. Notre ancre plonge entre l'île Mc Donald et l'île Lindsay.

Les anti-inflammatoires font quelque effet et, plutôt que de courir vers Kingston, nous restons deux nuits dans ce petit coin. Selon l’évolution de mon dos, nous aviserons. Magali, ma copine kiné de Normandie, me donne quelques conseils que j’essaye de suivre.

Le lendemain, ça va mieux, surtout quand je suis en mouvement. Je crains la position assise. Nous partons alors en visite autour des Îles en MiniVaS. Yves fait très attention et évite tout mouvement brusque de l’annexe. Le lieu est splendide.

Elles sont toutes splendides. 
Oh, un cygne sauvage en laisse (Nathalie L... c'est ici qu'ils sont élevés avant d'aller aux Caraïbes !) 
Et la mouette qui pêche, bien évidemment. 

Nous admirons les maisons sur chaque petite ou grande île. Nous trouvons l’un des pontons de l'île Beau Rivage, endroit idéal pour un barbecue. Cette fois nous avons déjà le bois, Yves trouve la boîte avec les formulaire pour payer et nous voici fin prêts. Nos saucisses grillent merveilleusement bien, nos pommes de terre sont encore trop cuites, cramées même. Mais nous progressons. Pas de promenade à pied, c’est trop de risques pour mon dos, au milieu de ces rochers en granit rose. L'après-midi se poursuivra au calme.

Notre star patiente au ponton, tel un grand !  
Ça chauffe !  

Dimanche 11, nous appareillons vers 9h30. Éole s’est un peu réveillé et nous permettra de dépoussiérer nos voiles. Nous entrons dans le Bateau Channel, chenal étroit entre la terre ferme et Howe Island. Admirative du paysage et peu concentrée à la barre, j’ai failli me manger le traversier. Il se fondait très bien dans le paysage et, au lieu de me lancer un gros coup de sifflet, il a gentiment ralenti sa vitesse, jusqu’à stopper. Yves, qui sort sa tête dans le cockpit, me met en garde. Je vire rapidement pour lui laisser le passage, un peu honteuse d’avoir négligé la priorité absolue du bac. Car ce petit traversier est un modèle traditionnel à câbles : il est tiré et guidé par deux câbles reliés à la terre. Il ne faut surtout passer trop près, devant ou derrière lui !

Oups ! 

Le passage devient très étroit et les virements de bords deviennent de plus en plus courts et dangereux, nous ne sommes pas aidés par le courant. Vers 11h00, le moteur nous aide à mieux progresser et à soulager mon dos. Nous arrivons pour déjeuner devant Milton Island. Dans l’après-midi, nous y ferons une petite promenade digestive. Ça m’agace de passer à coté de ces promenades dans les îles, alors je fais « bon dos » et j'arrête les anti-inflammatoires pour mesurer l’évolution de la douleur.

Encore un belle petite promenade. 

Le coucher de soleil nous offre des couleurs à oublier toutes les douleurs ; un spectacle inouï, toujours accompagné du chant des oies qui rejoignent le fleuve pour la nuit.

A défaut d'aurores boréales, nous avons ceci et on ne s'en lasse pas.  

Nous poursuivons notre remontée des milles îles au moteur, jusqu'à la petite île de Cedar. Il y a deux accès, nous tentons d’aborder par l’est. Mais, voyant le dos du rocher à bâbord et les pattes des oies qui ne flottent pas à tribord, le tout laissant un passage vraiment étroit avec trois mètres de fond si l’on en croit la carte, je ralentis et je fais marche arrière. J’explique à Yves, en vigie à l’avant du bateau, que je préfère faire le tour de l'île et trouver un autre point de mouillage. Nous nous trouvons face à Cedar Island et son ponton, avec une splendide vue sur le collège militaire et son pavillon en berne, la reine est décédée.

A gauche, le soit-disant passage. je préfère le voir du mouillage après avoir contourner de l'île. 


Au fond de la baie, nous apercevons une marina. Nous allons lui rendre visite en annexe, il me sera peut-être plus facile de partir de là-bas pour prendre le train vers Toronto. Il s’agit en fait du club de voile de la base militaire. Grâce au statut d’Yves, nous sommes les bienvenus. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons pour visiter un peu notre nouvelle île d’accueil. Nous sommes seuls.

Mais, à mesure qu’avance la soirée, trois voiliers un peut pirates accostent tour à tour au petit ponton. Tiens, nous pensions qu’il n’y avait pas assez d’eau… Mais nous restons prudents dans notre réflexion, beaucoup de bateaux du coin sont des dériveurs et donc bénéficient d’un très petit tirant d’eau.

Nous les entendrons faire la fête autour du BBQ dans la nuit. Au petit matin, il ne reste plus qu’un voilier. Yves part en MiniVaS vers Kingston, repérer les marina et les quais publiques, nous ne sommes vraiment pas loin. Je reste à bord pour protéger mes dernières petites douleurs de dos. Il m’expliquera qu'à coté de la marina on trouve des pontons « de jour ». C’est là que nos voisins de nuit passent leurs journées. Apparemment il y aurait suffisamment d’eau et personne ne vient contrôler si l’on paye ou pas son ticket de parking.

Le 14 nous allons donc accoster MedioVaS aux pontons de Kingston. Deux membres du staff sont là, installant des attaches papillons sur de petits piquets, mais personne ne demande rien. Les pontons sont vraiment courts pour notre voilier, mais nous arrivons à trouver un amarrage correct. Nous pouvons partir visiter la ville.

Quand il y a de l'eau, le ponton est trop court.  


Kingston devait être la capitale du Canada Nouveau, après la conquête britannique. Le parlement à peine construit, la ville se fait voler la place par Montréal. Le parlement ne verra jamais un ministre, aujourd’hui c’est la mairie qui occupe le prestigieux bâtiment.

Kingston, notre dernière ville-étape du Saint Laurent. 
Il y a toujours la Canadian Pacific comme star. 

Après quelques courses et une glace, nous retournons au bateau et nous repartons vers la petite île en vue d’y rester jusqu’au 16 au matin. Mais, une fois arrivés à notre point de mouillage, le guindeau fait des siennes. Il s’était déjà montré réticent par moment, mais, cette fois-ci, il ne veut plus rien savoir ni rien faire. Il est bloqué. Évidemment, cela arrive toujours lorsqu’un grain pointe son nez. Alors, plutôt que de continuer à tourner en rond en essayant de le faire fonctionner, nous allons vite au ponton de l’île, nous mettre en sécurité.

Le lendemain, nous démontons entièrement le guindeau ; impossible d’identifier la panne. À priori ce n’est pas le solénoïde du relais, le courant passe. C’est certainement la partie moteur qui est grillée, ou les charbons collés. Nous devrons le changer !

En soirée nous retournons à Kingston. Yves va tenter de trouver une solution auprès du magasin du coin, tandis que je prends le train vers Toronto pour y retrouver Manon, ma fille aînée. Nous passerons quelques jours chez Auriane, ma filleule, qui s’est installée la-bas avec son mari depuis un an.

Après la visite des chutes du Niagara, de Toronto et de ses îles, je rentre avec Manon vers Gananoque où Yves nous attend. Pas moyen d’avoir de réponses pour une commande du moteur électrique. Nous testons le mouillage avec un autre genre de guindeau, il s’appelle Yves. Ses bras, ses cuisses et son dos apprennent l’haltérophilie ! Je l’aide au moteur pour décrocher l’ancre, maigre soutien, mais l’homme fonctionne assez bien.

Un tout petit échantillon de Toronto. 

Nous passerons deux jours dans les Mille Iles avec Manon avant de la déposer à Kingston pour y prendre le train de Montréal, où elle part rejoindre son amie Salopette (le rigolo surnom de Salomé).

Et nous partons également, le coeur lourd et triste, chargé de merveilleuses rencontres, les yeux encore éblouis de ce qu’ils ont vu. Nous devrons affaler définitivement le pavillon de courtoisie canadien pour hisser celui des Etats-Unis à demeure pour les prochains mois… Un petit drapeau québécois reste insolemment planté dans les cordages, sous la capote de la descente, nostalgie quand tu nous tiens !

" Je me souviens " . 
19
En route vers les USA . 

Le vendredi 23 septembre, vers dix heures du matin, nous appareillons. Sortis du port, les voiles s’ouvrent et le vent nous pousse vers les USA, un peu beaucoup contre notre gré. Mais les oies sauvages nous ont expliqué qu’il fallait vraiment partir, alors nous les suivons. C’est le temps des migrations et le froid se fait déjà bien ressentir. Nous craignons un peu notre arrivée aux USA, enfin surtout l’immigration.

Comme je l’ai déjà expliqué précédemment, pour rentrer aux Etats-Unis en voilier, une simple dispense de visa ESTA en ligne ne suffit pas. C’est pourquoi, à tour de rôle, nous étions rentrés en Belgique pour obtenir un vrai visa de type B2, collé sur nos passeports.

Une semaine avant notre départ, je me connecte à la superbe application de la douane et immigration américaine. Un entretien vidéo se déclenche et l’on m’explique que l’on ne peut pas entrer dans le pays par Oswego. La seule porte d’entrée pour nous serait Heart Island, le petit bout de terre ultra-touristique qui porte l’énorme château de la famille Boltd. Là, nous pouvons faire tamponner nos passeports et entrer ensuite où l’on veut. Hors de question de faire marche arrière ! Je fouille Google et je trouve la liste des portes d’entrée maritime avec immigration. Ouf, Cape Vincent semble en faire partie et c’est sur le chemin. Yves les appelle, ils confirment que nous pouvons passer par là ; ce ne sera qu’un tout petit détour.

Vers midi, nous approchons de la côte américaine. Comme prévu dans les règlements, Yves contacte les Coast Guards par radio VHF. Les choses se compliquent, ils veulent nous parler sur un canal américain que nous n’avons pas sur notre poste international. S’ensuit un échange de numéros de téléphone dans les deux sens car ils ne peuvent pas appeler un numéro français, même par WhatsApp ! Tout finit par décanter et nous avons l’autorisation de pénétrer dans les eaux américaines. Il nous faudra appeler le poste de douane local dès que nous serons à Cape Vincent.

Nous sommes prêts pour les formalités à terre. 

Nous y arrivons vers 14h00. Impossible de trouver un ponton acceptable : soit il n’y a pas assez d’eau soit ils sont réservés aux personnes invalides qui ont aussi le droit de pêcher. C’est un chalutier-école qui finira par nous montrer où nous pouvons accoster. Nous lui faisons confiance avec réticence pour la hauteur d’eau et nous allons nous placer le long du quai. Nous voyons les algues chatouiller la coque de MedioVaS, mais nous ne touchons pas le fond. Yves prendra quand même la sonde à main pour vérifier le fond sur l’avant, on y voit vraiment beaucoup d’algues.

En route vers la douane et l'immigration. 

Puis il prend courageusement son téléphone et appelle le numéro reçu des Coast Guards. On le renvoie sur un autre numéro, puis un autre. Il commence à s’énerver légèrement. Je lui suggère de contacter le numéro que j’avais trouvé lors de mes recherches sur Google. Bingo, ils nous autorisent de descendre du bateau pour aller les retrouver dans leurs bureaux, à l’autre bout du village.

Petit tour de la ville au passage. 
Le nouvel ami de MedioVaS. 

Dix minutes de marche plus tard, nous sommes au bureau de la douane et de l’immigration. Deux grands gaillards nous y accueille très gentiment. Première question : « - Pourquoi avez-vous un VISA B2 ? Euh, parce que pour entrer en voilier de plaisance, nous n’avions pas le choix. » Ils nous expliquent que ce n’est pas obligatoire, mais nous restons méfiants, beaucoup de choses se disent sur les différents moyens d’entrer dans les eaux américaines. Comme cela dépend surtout du douanier en poste, nous sommes très contents de notre visa. Vers 16h00, nous sortons des bureaux avec tous les papiers en règle. C’est le moment de fêter dignement notre remontée victorieuse du Saint Laurent, avec coupes de champagne pour oublier notre nostalgie québécoise !

Cheers ! 

Samedi, nous appareillons au lever du jour, vers 06h00. Nous ne voulons pas perdre de temps. Le vent souffle toujours du nord, c’est parfait pour aller vers le sud. Le soleil se lève et nous offre une dernière fois une palette de couleurs splendides sur le Saint Laurent que nous quittons officiellement pour naviguer sur le Lac Ontario. MedioVaS s’y plaît et file cinq à huit noeuds. Le soleil est bien présent mais il n’est pas assez puissant pour nous chauffer.

Petite navigation dans le Lac Ontario. 

En fait, on se pèle ! Grand merci à nos « sous-vêtements-pilou-pilou » qui nous protègent du froid. Nous commençons à apercevoir d’autres voiliers, dont un derrière nous qui porte déjà son mat sur le pont et un autre bien plus au sud. Oswego est le point d’entrée de tous ceux qui veulent partir vers le sud. Il y a aussi par le canal Richelieu et le Lac Champlain, près de Québec, mais sa réputation de faible hauteur d’eau nous laissaient perplexes, tendance inquiets. Et puis il fallait quand même sortir par la grande porte du fleuve Saint Laurent et naviguer sur l’un des Grands Lacs !

Notre "gobe-moustique". 

Un petit moineau vient faire le ménage à bord, il se gave de nos cadavres de moustiques. Visiblement, il y prend goût et teste tous les postes du voilier. Nous sommes toujours surpris de voir de si petits oiseaux si loin des côtes.

Vers 15h00, nous arrivons à Oswego. Pas de réponse à nos appels radio mais une femme sort du bureau de la marine et nous assigne notre place. J’avais bien réservé notre passage, mais, ici, c’est surtout « premier arrivé, premier servi ». Nous ne sommes pas mécontents d’être partis tôt le matin. En fin de journée la marina sera pleine. Nous devons profiter du samedi après-midi et du dimanche pour préparer le démâtage et fabriquer des supports pour porter le mat avec nous, au-dessus du pont.

Nous sommes tous là pour la même chose, démâter. 

Comme c’est le point de départ pour les Canadiens mais aussi leur point de retour, la marina accumule un stock de supports laissés là par les bateaux précédents. Tout le monde peut aller se servir et adapter ce qu’il trouve à son goût.

Nous prenons donc de rapides mesures sur MedioVaS et allons chercher ce qui pourrait nous intéresser. Le stock diminue d’heure en heure, il ne faut pas niaiser comme disent nos amis québécois. Chaque bateau en attente de démâter stocke son petit tas de bois devant son ponton. C’est ainsi que l’on « réserve » ses supports, personne d’autre n’ira les prendre.

Ensuite nous affalons les voiles et nous démontons la bôme. Yves s’occupe de passer des messagers, de petits cordages qui remplaceront toutes les écoutes et les drisses qui courent sous un faux-pont, du pied de mât au « piano » de bloqueurs dans le cockpit. C’est qu’il s’agit de pouvoir les repasser facilement au moment de remettre le mât debout. De mon côté, je débranche tous les fils des appareils électroniques installés dans le mât (le radar, tous les feux de mât et les capteurs de vent). Puis je prépare aussi des messagers pour remplacer les câbles qui partiront avec le mat, à travers le pont. Dimanche matin, je pars au centre commercial à la recherche de vis à bois. Ce fut laborieux mais après deux heures de marche, je rentre avec une boîte pleine de longues et belles vis à bois.

Et toujours prendre des photos de ce que l'on démonte. 

Il pleut et il pleut encore ; heureusement il y a un abri sous lequel il est possible de travailler le bois. Nous prenons des mesures plus sérieuses et je pars avec tous mes outils sous l’abri. Ceux qui me connaissent savent comme j’adore les scies, les foreuses, les meuleuses et tout ces animaux électriques. J’ai réussi à stocker tout cela à bord, au grand désespoir d’Yves qui voyait les coffres se remplir à ras bord. Il a bien du céder devant la nécessité… et sans doute un peu d’amour.

Mes jouets n’étant pas au même normes électriques qu’ici, Yves m’apporte le petit groupe électrogène du bord. Et je commence à scier, visser, découper. Le support du milieu est prêt. Nous reprenons des mesures et c’est reparti. Mais, grosse frustration, un bateau voisin vient également bosser sous l’abri. En me voyant avec le groupe électrogène, il me propose son assistance avec son matériel. C’est super gentil, évidemment, mais je ne peux plus jouer ! Enfin, ce n’est pas le plus important, le boulot avance rapidement. Le deuxième support est prêt. Nous reprenons des mesures et j’attaque le troisième support. C’est qu’il est long notre mât ! Cette fois-ci, mon voisin de travail me prête ses instruments. Bonheur… la pluie se calme un peu, nos trois supports sont prêts. Nous arrimons celui du milieu tels un chapiteau et nous pouvons enfin nous reposer au sec.

Nous sommes très fiers de notre travail. 

Lundi matin, nous sommes attendus en quatrième position sous la grue. La météo s’annonce toujours pluvieuse mais moins venteuse que prévue, fort heureusement, sinon ils retardent les manoeuvres. Le numéro deux devait passer vers 09h00, chaque bateau ayant droit à une heure, au-delà le tarif augmente fortement. Nous estimons que notre tour devrait arriver vers 11h00. Les manoeuvres débutent en retard, mais le 3 n’est pas prêt et nous prenons sa place. La démâtage se déroule à merveille, malgré une bonne pluie. L’équipe est très pro, rien ne traîne . Vers 10h30, nous sommes de retour à notre place avec notre mât sur la tête. Le bateau passe ainsi de 12m hors tout à plus de 16m !

Après l'installation de la cravate pour soulever la mât, voilà le résultat.  

Le copain de menuiserie partant en ville, Yves en profite pour aller chercher des sangles pour amarrer les deux autres petits chapiteaux sur l’avant et l’arrière.

Ça y est, nous pouvons partir. Au fait, pourquoi démâtons-nous ? Pas pour le plaisir, non, non. Il s’agit de pouvoir passer sous les nombreux anciens et nouveaux ponts qui enjambent le « New York State Canal System ». Les pont les plus bas offrent un tirant d’air de 19 pieds, 6m seulement. Avec son beau gréement élancé, MedioVaS demanderait 17m !

Voici le parcours. 
Et pour ceux qui veulent s'amuser, vous pouvez calculer, en pieds, les niveaux montés et descendus ... 

J’apprends par la marina que le premier arrêt facile pour passer la nuit se trouve après la cinquième écluse. Il ne faut que deux heures pour y arriver, alors nous décidons de partir immédiatement pour cette nouvelle aventure. À 13h30, nous sommes dans l’écluse numéro 8, c’est à dire la première de notre périple. Nous entrons dans cette énorme boîte ; une porte noire de 12m de haut nous barre le passage. Le long des murs immenses pendent de longues amarres en tire-veille. La manoeuvre est plus délicate avec notre mât qui déborde de deux mètres à l’avant et presque autant à l’arrière, avec la fragile antenne radio pour couronner le tout. Il faut rester le plus possible parallèle au mur. Yves est de quart, à lui cette première écluse à la barre. L’approche se fait doucement, j’attrape l’amarre avant avec la gaffe, du bout des doigts. Ensuite un petit coup de marche arrière et l’arrière du bateau se colle au mur, Yves attrape l’amarre arrière. Ouf, pas de casse, c’est un bon présage pour la trentaine d’écluses qui nous attendent sur le trajet. La grande porte se ferme derrière nous. Après une dizaine de minutes, nous sommes sortis de notre caveau, MedioVaS refait surface, nous voyons la terre.

La fin du premier éclusage est proche. 

L’éclusier nous demande si nous continuons vers l’écluse suivante afin de les avertir de notre arrivée. Quelle belle organisation ! Autre bonne surprise, tout cela arrivera sans débourser un dollar. Cette année, le New York State Canal System est entièrement gratuit. Au sortir de l’écluse, nous poursuivons dans le canal qui est à peine séparé de lit originel du fleuve par un muret en mauvais état. Nous cheminons ainsi au bord des rapides que nous évitons grâce à cet ingénieux système d’écluses.

Nous sommes beaucoup mieux dans le canal ... 

Nous embouquons les écluses numéro 7, puis 6 et 5 ; toutes sont des écluses montantes. Avant chacune d’elles, nous pouvons admirer un barrage à vocation hydroélectrique. Parfois, le muret séparant les eaux est brisé, nous traversons alors de grosses veines de courant. On ne s’ennuie pas !

Sortis de l’écluse numéro 5, nous avançons doucement à la recherche du fameux ponton pour la nuit. Il n’est pas bien loin sur notre droite, nous sommes à Minetto. Nous avons même des toilettes à disposition.

Premier arrêt, un vrai succès.  

Après un gros orage, le soleil vient nous offrir de magnifiques couleurs sur la rivière. Apparaissent alors deux autres voiliers, des voisins de pontons à Oswego. Nous les aidons à s’accoster. L’éclusier leur a signalé un petit restaurant, nous irons à sa recherche. Tout est fermé, le village est pour ainsi dire mort. Google, toujours lui, propose un petit bar-restaurant de l’autre côté du pont. Nous arrivons dans une salle obscure : un grand comptoir de bois, un billard et un vieux flipper. Seuls les grands écrans télés apportent un peu de lumière, quelques têtes se tournent pour dévisager les étrangers, nous sommes bien en Amérique ! Pas de nourriture dans ce bar, nous prendrons donc une bière et nous terminerons la soirée chez Stewart, la station-service face au ponton, qui propose une petite restauration et de magnifiques glaces.

Cette fois-ci, nous sommes au-dessus du pont. 

Mardi nous appareillons au plus tôt ; les écluses fonctionnent de 07h00 à 17h00. Bonne nouvelle, la numéro 4 n’existe pas, nous gagnons une place. À 09h30, nous aurons ainsi franchi la 3 et la 2 et nous entrons dans la rivière Oneida. Un de nos poursuivants a vraiment du mal à manoeuvrer dans les écluses. Il n’y a pas trop de place pour accoster trois voiliers, dont les mâts débordent, tribord au mur. Il tente donc ses approches sur bâbord, clairement pas du tout le bord favorable pour son moteur. Après avoir encastré son mat dans le mur, il se retrouve en travers de l’écluse. Il arrive enfin à remettre son voiler le long du mur et à attraper les amarres, nous avons tous eu un peu chaud à chaque coup de moteur de plus en plus fort. L'écluse suivante se passe un peu mieux, mais c’est maintenant son antenne de télévision qu’il plante dans le mur. Nous comprenons rapidement que le fait que l’on soit devant les deux bateaux-amis les gêne un peu.

Nous longeons toujours les rapides, parfois ils croisent notre route. 

Notre fier voilier moderne se joue du bord défavorable et nous aurons la courtoisie de choisir la difficulté pour leur laisser le mur sur tribord à la prochaine écluse. Malgré cela, ils poussent leurs moteurs à fond dès leur sortie et nous doublent dans la rivière étroite pour s’assurer le prochain bord favorable… En effet, ça se passe beaucoup mieux pour l’autre bateau, mais notre pitié diminue d’un bon cran.

 " A Trois Rivières, restez à gauche ". 

À Trois-Rivières, nous saluons Belgium sur notre droite et nous poursuivons vers la gauche.

Le ciel est toujours très couvert. À la sortie de l’écluse E23, deux choix s’offrent à nous : continuer et traverser le lac Oneida ou nous arrêter avant. La couleur du ciel noircissant de minute en minute et notre guindeau défaillant nous poussent vers l’option la plus prudente. Ainsi, comme les deux bateaux canadiens, nous nous arrêtons aux pontons de Brewerton. À peine amarrés, l’orage éclate. Il ne cessera de pleuvoir qu’en fin de journée. Nous restons bien à l’abri, tout heureux de ne pas avoir continué notre route. La tombée du jour nous offre des couleurs exceptionnelles avant le retour de la pluie qui rincera le bateau toute la nuit.

Brewerton après l'orage. 

Le mercredi 28 septembre, nous appareillons au lever du jour, vers 06h30. Très rapidement, nous entrons dans le lac Oneida. Le ciel est redevenu obscur derrière nous. Nos compagnons de route ne nous suivent pas. La traversée du lac se passe très bien, nous croiserons quelques trawlers qui nous offrent leurs vagues d’étrave. Le mât et son arrimage « gros temps » supportent bien la houle croisée qui s’en suit, ouf !

Les voiles nous manquent ... 

À 10h20, nous sortons du lac et embouquons le canal Erié.

Le canal Erié. 

Grosse frayeur, il n’y a vraiment pas beaucoup d’eau. Le sondeur nous indique souvent moins de deux mètres. Nous ne touchons jamais le fond, la vase épaisse et les algues bien développées doivent renvoyer des échos qui troublent encore l’appareil. Mais il nous faut de l’eau et vite, le stress est insoutenable ! Heureusement, une fois sortis des forts courants de l’entrée du canal et surtout de l’écluse 22, notre sondeur nous indique 3 mètres et parfois même 4 mètres.

Nous déjeunerons en poursuivant notre route, après l’écluse 21, devant New London et Rome. Nous faisons la visite de l’Europe en une journée !

Rome, en moins prestigieux .

À 15h30, nous passons notre première écluse descendante, l’E20. La manoeuvre est quasiment la même, un peu plus facile pour s’approcher du mur, le mât passant par dessus celui-ci. Mais c’est un peu plus délicat d’attraper les amarres, il faut aller les pêcher au ras du sol. Nous apprivoisons cela sans grand problème et nous descendons ensuite fort et vite, en tenant le mur à bout de gaffe pour éviter que le mât ne racle dessus. Un fois au fond de notre caveau, la porte s’ouvre et nous sommes surpris par le courant engendré par l’eau du barrage voisin. Évidemment ce dernier déverse l’eau en aval de l’écluse, dorénavant. Nous augmentons le régime moteur en gardant l’oeil sur les repères et les tourbillons et tout se passe bien. Nous le saurons pour les suivantes.

Et quand l'écluse se vide, il y a quand même des fuites derrière nous. 

Nous sommes maintenant plus tranquilles pour nos escales. Nous remarquons rapidement qu’il y a des très beaux quais en amont des écluses. Il y en a aussi en aval, mais ils sont généralement en mauvais état et bruyants à cause du barrage qui se déverse. Nous décidons ainsi de continuer le plus loin possible. La ville d’Utica n’offre pas de ponton agréable, nous irons accoster en amont de l’écluse 19 vers 17h15.

Tranquilles pour la nuit en amont de l'écluse. 

Le jeudi, pas besoin de se lever avec le soleil. Il faut attendre l’éclusier qui commence sa journée à 07h00 et nous serons ses premiers clients.

Comme toujours, il nous demande si nous poursuivons vers l’écluse suivante afin de prévenir son collègue de préparer l’écluse. L’organisation est formidable et tout cela est entièrement gratuit.

Vers 11h00, devant Frankfort, le soleil apparaît enfin et illumine les arbres aux couleurs automnales. C’est splendide. Nous voyons les oies brouter le long de la rive, signe que nous sommes encore dans les temps avant l’hiver. Nous observons également des aigles pêcheurs à tête blanche, symbole des Etats-Unis ; c’est rassurant, nous sommes au bon endroit ! Les hérons, imperturbables, nous regardent passer tranquillement. Cormorans et mouettes, quant à eux, squattent toujours les bouées du canal.

Notre sillage laisse sa trace tantôt dans le canal Erié, tantôt dans la célèbre rivière Mohawks.

Little Falls, nous attendons la permission d'entrer  dans l'E17.

Alors que nous approchons l’écluse 17 à Little Falls, les portes sont fermées et le feu est rouge. Yves appelle par VHF, l’éclusier nous annonce dix minutes d’attente. Nous sommes dans un virage, entre une falaise et une usine. Après dix minutes, toujours rien. Je garde comme je peux le bateau en place entre brise et courant. Nous voyons les éclusiers occupés à déplacer des troncs flottants avec de longues perches. Finalement, après une demi-heure, nous pouvons entrer. Nous voyons les deux hommes tenir ces troncs en dehors du bassin… puis les pousser dans l’écluse après notre passage. L’écluse est elle-même déjà remplie de végétaux entre deux eaux. Pendant l’éclusage, les arbres viennent se coller à l’arrière de MedioVaS. Yves repousse ce qu’il peut pendant que je manoeuvre entre tous ces débris. Mais rien à faire, des branches se mêlent à l’hélice et tournent avec elle en frappant sur la coque, le safran en a embarqué également, rendant la barre instable. Il faut quand même continuer et passer le courant de la sortie de l’écluse. Une fois hors de danger en eaux plus calmes, je stoppe le bateau et lance la marche arrière. Ça paraît suffisant, il n’y a plus de bruit autour de l'hélice et la barre est redevenue légère. Nous comprenons mieux tout ce que l’on peut lire dans les blogs et les précautions que l’on donne sur la navigation dans ces eaux. Nous ne sommes pas encore au bout de nos péripéties, apparemment, et le sondeur nous annonce toujours des hauts fonds.

Sympa les arbres. 

Peu avant midi, j’aperçois de gros tuyaux flottants reliés à une drague qui occupent toute la largeur du canal, avec des amarres à terre pour faire bon poids ; grosse obstruction. Je ralentis pendant qu’Yves les contacte par radio. Très aimablement, ils vont nous laisser un passage sur le côté mais je dois me coller à eux, sur leur tribord. La bonne nouvelle, c’est qu’ils ont peut être dragué en aval ! C’est le cas, mais la joie est de courte durée. Nous oscillons toujours entre 2 et 4 mètres d’eau, le pire est toujours devant les petits affluent qui apportent leurs alluvions. Nous apprendrons à les reconnaitre.

Bonjour la drague ! 

Nous continuons notre rituel des écluses, entre voie ferrée et autoroute, en alternant toujours nos quarts, trois heures l’un, trois autres l’autre, rythme que nous gardons quelles que soient les circonstances.

Vers 18h00, nous nous arrêtons en amont de l’écluse 11 pour y passer la nuit. Nous sommes à Amsterdam. Oui, nous poursuivons le périple européen ! Et cette fois-ci il fait beau, nous descendons visiter les lieux.

Amsterdam, nous rencontrons Zandolee. 

La ville est plutôt coquette. Nous trouvons un petit dépanneur qui vend du jus d’orange mais pas de pain. Nous allons dîner au Russo’s Grill, bien évidemment, ce restaurant ayant accueilli les plus grands qui passent par là. Certes, il n’y a pas beaucoup de personnalités qui s’arrêtent à Amsterdam, mais quand même, Hilary Clinton y était. Ce restaurant, tenu par une famille italienne depuis plus de cent ans, propose une carte de plats italiens (évidement) revus et corrigés à la sauce Russo et tout est home made. Bonheur, ils nous vendent un de leur délicieux pain carré tout frais !

Le long du mur d’attente pour la nuit, nous rencontrons un autre voilier canadien, Zandolee. Comme la plupart des Canadiens migrateurs, ils vont vers les Bahamas. Ils ont un voilier mixte avec un poste de pilotage entièrement couvert. Nous leur envions le quart bien au chaud, l’air commence à fraîchir nettement de jour en jour.

Même les oies attendent. 

Le vendredi 30, il nous est impossible de partir à 07h00 du matin. La brume est si épaisse que l’on ne voit même pas l’écluse devant nous. Nous devons attendre qu’elle se lève, dans une belle ambiance mystérieuse. Vers 08h30, la brume est toujours présente, un peu moins dense, il faut partir pour ne pas prendre trop de retard. Pressés, nous ? Non, jamais… mais je dois quand même arriver quelque part pas trop loin d’un aéroport pour rentrer en Belgique et assister au week-end familial à Paris, pour les 80 ans de ma maman le 7 octobre. J’avais déjà prévu un retour autour du 13 octobre pour la remise de diplôme de fin d’étude de Manon, ma fille aînée. Le 7 octobre, c’est très proche.

La brume est moins épaisse... par endroit. 

Zandolee part également, devant nous. C’est parfait, nous aurons un repère dans la brume, son feu de poupe. Il fait froid, très froid dans l’air humide. Vers 10h00, la brume se dissipe, mais le froid persiste. Après Amsterdam, c’est normal, nous doublons Rotterdam et nous arrivons, toujours en descendant, à l’écluse numéro 8.

Nous profitons de notre vitesse réduite pour faire le plein du réservoir.  
Les habits chauds sont de sortie, il fait glacial, même lorsque la brume se dissipe. 

Devant nous, Zandolee réduit sa vitesse jusqu’à s’arrêter. Un mur apparaît devant nous. Est-ce la porte de l’écluse 7 de Rexford ? Non, ce n’est pas possible de voir la porte ainsi, c’est une écluse descendante et, sur la carte, elle est bien plus loin. Aux jumelles j'aperçois des arbres, Yves confirme. Ce sont des portes guillotines qui ferment une partie ou l’autre du canal. Belle illusion d’optique ce gate! Il y en aura deux ainsi, l’une juste après l’autre, des véritables portes de canaux dont l’utilité nous laisse perplexes.

Nous arrivons au bout du canal Erié. Les écluses 6 à 2 se suivent et se ressemblent. Nous descendons de plus de dix mètres à chaque fois. Un vrai ascenseur qui nous ramène au niveau de la mer en moins de deux milles.

Succession d'écluses ... 

À 16h00, nous trouvons une place le long du mur public de Waterford, à la porte de la rivière Hudson ! Il faut bien placer ses amarres pour que le mat ne viennent pas gratter le béton, le mur nous surpasse d’un bon mètre. Nous partons ensuite nous promener. Nous allons même voir l’écluse, l’ancienne toute petite et la nouvelle. Ça devait déjà nous manquer.

Waterford.  

Samedi premier octobre, c’est le grand jour. Nous passons notre dernière écluse, l’écluse numéro 1, ou Troy Lock, à 07h40. Elle sera notre porte d’entrée dans la rivière Hudson qui est en fait un fleuve. Zandolee décide de partir quelques jours plus trad, une tempête remonte la côte est des USA et ils ne pourrons pas aller plus bas que Catskills, c’est sans intérêt alors de payer une marina.

Troy Lock, je crois que nous avons obtenu notre "brevet écluse". En route vers l'océan ! 

Nous sommes de nouveau sous l’influence du courant de marée. Nous traversons une zone industrielle qui laisse place, après Albany, à de belles et grandes maisons, certaines avec leur ponton privé, et parfois des zones agricoles.


Entre industrie et ... 
campagne . 

Pendant la navigation, j’en profite pour vérifier les parties du mat qui sont accessibles. Je découvre qu’un des pataras est abîmé. Pourtant, ce ne sont pas eux qui travaillent le plus, loin de là.

Comme convenu dans mes nombreux échanges de mails, je contacte la marina Hop-o-Nose une heure avant d’arriver. À ma grande surprise, on m’annonce qu’il n’y a plus de place. Avec la tempête qui approche, tout ceux qui ont mâté ne sont pas du tout pressés de partir. On nous propose quand même une place sur un ponton d’attente. La marina se situe dans un affluent, le Catskills Creek. Pour y accéder, le passage est très étroit et très peu profond. Nous nous y enfonçons prudemment jusqu’à retrouver une hauteur d’eau bien plus grande qu’espérée. Pas de ponton d’attente en vue, mais trois hommes nous font signe de prendre la place de libre devant eux. C’est ce que nous faisons, un peu hésitants car ce n’est pas la bonne marina, mais ils insistent. Il s’agit de Mike, le maître de quai et son équipe. Catskills Marina a maintenant fusionné avec Hop-o-Nose. C’est extra, nous avons une bonne place, juste en face des douches. Mike nous explique que nous pourrons mâter lundi, très certainement. Ici c’est comme pour démâter : premier arrivé, premier servi.

Nous partons nous promener et chercher la fameuse pizzeria dont Zandolee nous a tant parlé. Nous avons l’impression d’être dans un décor de film américain, Main Street, Little Town.

La pizzeria ne se cache pas, elle se trouve sur la rue principale. Une calzone pour moi, une small pour Yves, nous aurons à manger pour trois repas. Je n’ai jamais vu une petite pizza aussi grande.

Nous faisons le tour de la crique pour tenter de voir Sean, le manager de Hop-o-Nose, mais il est absent. Par téléphone, je le préviens que nous aurons besoin de laisser notre mât à terre pour travailler dessus avant de mâter. Nous voulons changer le câble électrique du feu de mouillage et changer ce même feu par un feu mixte, tricolore et mouillage.

Je commence ensuite à faire tourner une machine de linge. C’est généralement Yves qui fait cela, moi je suis une catastrophe. Mais là, je dois tout tout tout laver. Depuis début août j’ai des démangeaisons partout et surtout la nuit. C’est très fatigant. J’ai éliminé la gale, les puces, la bourbouille. Il reste des piqures de moustiques canadiens, une allergie alimentaire, le stress de ne pas arriver à temps, l’allergie à la lessive avec adoucissant… Alors je lave avec un nouveau produit. Nous verrons bien.

Yves termine la soirée sur le bateau des voisins, pendant mes aller-retours machine. J’y rencontre le bateau qui traversait le lac Ontario au moteur et déjà démâté. Ils doivent changer leur étai, ça tombe bien puisque nous devons changer nos pataras. Ils ont déjà un contact à New York. Ce ne sera sans doute pas le moins cher du trajet…

Dimanche, nous commençons à préparer le bateau après un bon coup de nettoyage de MedioVaS ; Yves se charge de l’extérieur et moi de l’intérieur.

Lundi matin, personne ne se précipite sur la grue… Nous ne sommes pas très renseignés sur le déroulement de la journée. En fin de matinée, Mike nous confirme que nous irons au ponton de la grue en dernier, avec le droit de passer le reste de la journée à travailler sur notre mât. À 14h00, notre mât quitte enfin ses supports de voyage. Il reste suspendu à la grue par une cravate, le pied de mât reposant sur un support en croix, sur la passerelle d’accès au ponton. La tête de mât flotte dans l’air, au-dessus du ponton. Nous pourrons facilement travailler ainsi, tout en surveillant comment réagit tout cela avec la marée.

Commence maintenant une longue, très longue après-midi de travail. Nous commençons par retirer l’ancien feu de mouillage, de la rigolade ! Ah ben non, pas du tout. Impossible de dévisser deux des trois boulons. À coup de WD40 le dégrippant-lubrifiant magique et meilleur ami des marins, de pseudo-patience et d’acharnement, nous en retirons deux sur trois. Le troisième me tombe dans la main sans vraiment comprendre comment.

Retirer l’ancien câble électrique tout en passant le nouveau et un messager en plus, ça aussi c’est facile, en théorie. Mais quand les câbles s’emmêlent, la tâche se complique un peu. L’ancien est relié au nouveau, en tirant le premier, le second doit suivre. Mais il ne faut surtout qu’ils se séparent à mi-chemin dans le mat. Yves finit par avoir le dernier mètre sans rien perdre, son manchon de raccordement a tenu la distance, ouf !

Un autre de ses espoirs semble se confirmer, le nouveau feu paraît fait pour utiliser les memes trous que l’ancien, pas besoin d’en forer de nouveaux sur la plaque de tête de mât. Nous avons uniquement besoin de petits doigts pour passer sous le support. Nous en profiterons pour bien resserrer l’antenne de la VHF. Et je termine par remettre à poste une girouette Windex. Vous vous souvenez, cet instrument de précision tout léger en tête de mat, qui donne la direction du vent et sur lequel les oiseaux marins adorent se poser ? Lointain souvenir de la traversée vers les Seychelles…

Yves fait un super montage électrique pour tester le nouveau feu sur une batterie du chantier… et ça fonctionne à merveille ! La nuit est tombée, il faut tout finir à la lampe frontale, mais nous sommes heureux, tout est fait. Un problème ancien et irritant semble réglé.

À l’heure de ma dernière cigarette, j’aperçois notre tête de mat suspendue et sa belle Windex de régate qui commence à s’approcher dangereusement du sol. En outre, le mât repose maintenant principalement sur ses barres de flèches, sur les rambardes de la passerelle, ce n’est pas plaisant du tout. C’est le ponton qui monte vers le mat, avec la marée. Je préviens Yves qui s’assoupissait lentement et nous lui mettons des billots de bois en espérant qu’il tienne. En contrôlant les horaires de marée, il semble que le pire soit passé. Pour autant, nous veillerons quelques heures de plus, en attendant de voir le mât se décoller de la rambarde.

Mardi, à 08h00 Sean est là et Mike joue les grutiers, nous pouvons commencer la manœuvre. Le plus compliqué, sur MedioVaS, c’est de repasser tout le câblage á travers le pont, juste sous le pied de mât. Pas de passe-coque déporté, ils doivent tous passer l’un après l’autre par le petit tuyau qui sort du pont et être récupérés par le petit passage de l’épontille, dans le carré. Tout cela se joue avec le mât en équilibre à quelques centimètres du pont, gare aux doigts en cas de pilonnement. Yves demande une grande indulgence au grutier qui nous laisse patiemment tout notre temps. Mis à part le câble du radar qui perd son messager, tous les autres sont très disciplinés. Le mat est posé, haubans et galhaubans retrouvent leurs ridoirs et l’étai entouré de son enrouleur de génois est est capelé à la proue. Un unique patara en acier joint la tête de mât à la poupe sur tribord. L’autre est démonté pour servir de modèle et sera remplacé par un cordage en attendant les nouveaux. Nous débarrassons MedioVaS des supports de mats et ajustons au mieux les haubans. Nous irons prendre une nouvelle place pas bien loin de l’ancienne. C’est maintenant le tour de nos copains sur Zandolee .

Voilier tu redeviens, MedioVaS. 

Une fois amarré à notre nouveau ponton, nous commençons le branchement des câbles. Je passe un bon moment à trouver la solution pour le câble radar qui n'a pas suivi le bon chemin. À force de grattage de tête, de morceau de tringle, et de doigts fins dans l'eponûille, Alléluia, le câble retrouve son chemin. Maintenant c'est au tour du nouveau venu à bord, le feu tricolore. Gros désespoir, il ne fonctionne pas lorsqu’il est câblé sur son alimentation théorique, mais il fonctionne lorsqu’il est branché sur le feu de hune. Nous vérifions tout, rien à faire, nous sommes revenus au même point qu’avant. La tension chute quand on le branche. Yves remonte toute la chaîne avec son contrôleur électrique et parvient ainsi au tableau électrique. Il débranche la grosse fiche d'où partent tous les fils, il est dubitatif, peu de chance de travailler sur ce gros bloc de plastique serti en usine. En la remettant en place, il sent qu’elle est mieux enfoncée et un bip sonore surgit du tableau. Et voilà comment deux problèmes sont réglés en un instant : le fil d’alimentation retrouve sa tension nominale et l’afficheur fadasse du tableau électrique luit de nouveau comme au premier jour. Le feu de tête de mât est éclatant et nous laisse très frustrés de constater qu’il s’agissait d’une bête fiche mal enfoncée… Que d’achats de pièces de rechange, de loupiotes de remplacement, de voyages en tête de mât au bout d’une drisse et de creusement de tête. Enfin, nous avons maintenant des feux de navigation en tête de mat, Yves est tout de même ravi. Fini les feux de proue qui éblouissent la nuit et vive le feu tricolore que l’on voit de loin.

Dans l'après-midi la pluie semble vouloir se calmer un peu, nous envisageons de mettre la bôme à poste. Évidemment nous finirons quand même sous la pluie.

En voilà un autre qui est content de retrouve son poste. 

J’ai trouvé un billet d’avion à bon prix la veille et je trouve enfin un moyen pour rallier le petit aéroport low cost à une heure d’ici : un taxi que je réserve pour le lendemain. Le low cost en prend un petit coup.

Il pleut toute la nuit et ça continue le matin. Difficile de gréer la grand voile dans ces conditions. Nous parviendrons à le faire, juste avant que mon taxi n’arrive.

Je pars en Belgique pour une dizaine de jour. Yves ne va pas chômer, les pièces du guindeau seront livrées, il faudra tester cela, s’occuper également du pataras et placer un bel interrupteur pour le feu afin de pouvoir passer du feu de mouillage au feu de navigation.

L'automne est bien là.  
20

Le vendredi 24, mon petit avion rouge me dépose au mini-Stewart-airport-international, près de Newburgh. À l’aller, j’ai eu droit à un spectacle d’aurores boréales, enfin, moi qui les chassais désespérément depuis deux mois. Au retour, nous avons survolé le Groenland, du blanc à perte de vue.

Magique ! 

Yves m’a envoyé un gros taxi noir, plus qu’une heure de route et je suis de retour au bateau. La marina s’est complètement vidée en une semaine. Tous continuent leur route vers le sud.

Yves est un peu brisé, les pièces qu’il a commandées pour le guindeau ne sont pas en faute, l’engin ne veut toujours pas tourner. Le fournisseur ne lui donne pas de date pour une livraison du moto-réducteur. Et les pataras qu’il fait confectionner ne seront pas prêts à temps.

Samedi, nous gréons le génois, MedioVaS retrouve ainsi toutes ses voiles à poste. Pour se changer un peu les idées, nous allons nous promener dans Catskills à la recherche d’une glace, bien évidemment. Nous tombons sur une maison abritant plusieurs expositions un peu particulières, amusantes.

Yves, toujours très perplexe devant l'Art Moderne . 
La fin du mois est proche. 

Histoire de me faire comprendre l’avarie du guindeau, Yves le démonte et le remonte une fois de plus, travail fastidieux et épuisant dans l’espace très réduit de la baille à mouillage. Le moteur électrique tourne bien, mais dès que l’on rajoute le moto-réducteur, plus rien ne tourne. C’est bien lui qui coince. Lundi, à la première heure, je contacte le fournisseur. Monica, avec qui j’avais déjà été en contact, m’annonce qu’une telle pièce pourrait bientôt arriver chez eux. Bonne nouvelle ! Je lui passe commande, sans lieu de livraison, nous préciserons plus tard, en fonction des délais réels…

Nous devons décider : rester à Catskills jusqu'à livraison ou poursuivre notre route. Nous décidons de partir le lendemain. Nous ne pouvons pas rester ici indéfiniment, l’hiver vient !

Catskills et sa crique qui nous a bien accueillie. 

Lundi soir, nous allons dîner à bord du dernier voilier de passage, un ketch de plus de 60 pieds appartenant à un Brésilien. Nous passons une soirée très sympa avec Richard et ses deux équipiers.

Mardi 18, nous quittons la crique de Catskills à 09h00. Nous rentrons dans la rivière Hudson. Les montagnes de Catskills nous saluent, revêtues de leurs couleurs automnales.

Un défilé de belles maisons. 

Vers 10h30, nous doublons le phare de Saugerties, marquant l'embouchure de la crique d’Esopus. Ce phare, construit en 1869, fut restauré et transformé en petit musée, avec Bed and Breakfast. Il nous rappelle la navigation de bateau-vapeurs qui remontaient ou descendaient l’Hudson.

Des douze phares bordent la rivière Hudson, il en reste sept, tous de petits bijoux.

Saugerties Lighthouse. 

À quelques kilomètres de Saugerties, se trouve la ville de Woodstock, célèbre pour son festival de musique et emblème de la culture hippie des années 1960. En fait, le festival n’a pas eu lieu à Woodstock, les habitants de la ville ayant lancé une pétition refusant de voir débarquer des milliers de personnes sur leurs terres. Le festival s’est réellement déroulé à une centaine de kilomètres de là, à Bethel ! Aujourd’hui, Woodstock a moins de scrupules et propose toutes sortes de musées du festival, célébrations et autres souvenirs rentables.

Nous poursuivons la descente, tranquillement, sous voile ou moteur. La marée nous accompagne et nous facilite la tâche. Enfin nous prenons un cours d’eau dans le bon sens !

Les maisons majestueuses décorent chaque rive du fleuve. Vers 13h30, nous apercevons le phare de Kingston, marquant l’embouchure de la crique de Rondout. Chaque phare possède son histoire mais tous sont la réponse au même problème : la croissance du flux maritime.

L’ouverture du canal Delaware et Hudson, en 1828, terminait sa route dans la crique de Rondout. Des milliers de voiliers arrivaient de Pennsylvanie pour livrer leur cargaison de charbon dans la vallée Hudson et à New York. Les barges suivirent, remplies de pierre bleue, briques et ciment. C’est ainsi qu’en 1837, un premier phare fut construit près du centre. Mais sa structure en bois n’a pas résisté aux intempéries. En 1867, un nouveau phare est érigé. De style victorien, trois bâtiments de pierres bleues, il accueille la gardienne du phare, Catherine Murdock (veuve de l’ancien gardien) et sa famille. Son fils James devint son assistant en 1880. Le port s’agrandit, trois nouveaux brise-lames en dehors de la crique le protègent. Le phare se trouve alors en mauvaise position géographique et les capitaines s’en plaignent, n’arrivant plus à situer correctement l’entrée de la crique. Catherine prend sa retraite en 1907 et c’est James qui occupera le troisième phare, construit en 1915, en briques. Il devient alors le phare le plus récent de la rivière Hudson. Les deux phares ont co-existé pendant plusieurs années. En 1954, le plus récent est entièrement automatisé et l’ancien est démoli. Le gardien de phare n’habite plus sur place, la maison reste abandonnée. En 1980, lorsque les Coast Guards se séparent de leurs propriétés, la ville de Kingston et le Musée Maritime de la rivière Hudson en deviennent propriétaires et en font un musée, uniquement accessible en bateau.

Roundout Lighthouse 

Vient ensuite le magnifique phare d’Esopus Meadow, certainement l’un des plus beaux et le dernier existant en bois. Situé dans la vasière sous le port d’Ewen, là où broutait les vaches, lui valut le surnom « Maid of the meadows » (Demoiselle des prés). Cette vasière est aujourd’hui submergée.

Il date de 1870. Posé sur une pierre de granite, il arbore un style du Second Empire Français. Les sept chambres qui le composent accueillaient facilement la famille du gardien, après avoir fait la traversée en bateau. Le dernier gardien des lieux est Alfred Vaughan en 1965, date de sa fermeture et remplacé par un pylône et un feu automatisé. Une opération de sauvetage est lancée et réussie en 1990 par la commission Save Esopus Lighthouse.

Esopus Meadows Lighthouse. 

Nous avions plusieurs options pour passer la nuit, mais sans savoir à quoi elles ressemblaient. J’avais contacté une petite marina qui pouvait nous accueillir sur son ponton extérieur, la saison touche à sa fin pour tout le monde et beaucoup sont fermés. Plus en aval, il y avait une autre possibilité de pontons publics d’après la carte. Nous allons tout exploré et finalement nos trois options se soldent par une seule, le ponton de Hyde Park Marina. Tout semble fermé, mais un homme veille dans son truck. Il vient nous accueillir. ll n’est pas vraiment agent de la marina, mais il semble connaître les lieux et le responsable. Comme nous sommes prêts à payer cash, il nous propose de collecter le prix de la nuitée pour la placer dans une enveloppe, évitant ainsi au maître de port de se déplacer… Il nous propose 40 dollars au lieu des 70 annoncés. Il s’éloigne « pour passer un coup de fil » au maître de port et régulariser notre situation. Il revient avec un grand sourire, tout est clair.

Hyde Park Marina et son énooooorme pavillon américain. 
Ils sont vraiment courageux car il fait vraiment froid ! 

En soirée nous assistons aux différents cours d’avirons de l’université toute proche. Dans la nuit, la température chute fortement et tout est gelé au réveil. C’est notre première gelée depuis bien longtemps.

La dernière gelée pour MedioVaS date du Havre ... Souvenir, souvenir. 

Un magnifique pygargue à tête blanche vient se poser sur le sapin derrière nous. Je l’ai toujours pris pour un aigle à tête blanche, mais en fait c’est un pygargue (Bald Eagle en anglais, erreur…). Différence entre les deux : son régime alimentaire est composé de poissons, son bec est massif et ses pattes ne sont pas recouvertes de plumes. En 1950, on ne comptait plus que 400 couples. Grâce au Bald Eagle Protection Act de 1940, qui prenait également en compte l’aigle royal, il est déclaré espèce menacée en 1967. Aujourd’hui, on compte plus de 300000 individus, quel plaisir de les voir survoler l’Hudson.

Enfin une photo réussie de l'emblème américain. 

Hyde Park est une petite localité située au nord de Poughkeepsie. Nous n’aurons pas le temps de la visiter. C’est ici qu’est né le président Franklin Roosevelt. C’est ici également qu’il y avait une demeure avec son épouse Eléonor. Un parc national lui est également dédiée.

Nous quittons ce bel endroit plein de surprises à 09h20, c’est la marée qui décide !

Notre navigation se fait au moteur, le vent est toujours contre nous. Tirer des bords nous rallonge la route et nous ne voulons pas arriver de nuit à notre point suivant.

Vers midi nous doublons Newburgh et son mini Stewart airport. Un peu plus au sud, se trouve la petit île Pollepel, à 300 mètres de la rive orientale du fleuve. Le nom pollepel vient du néerlandais et signifie « louche » (en bois). En effet, l’histoire de ce petit bout de terre est louche et pourrait être sans intérêt s’il n’y habitait pas un étonnant château aux allures très médiévales, le château de Bannerman. Après la guerre de Sécession, Francis Bannerman avait besoin d’un lieu pour y établir ses armes, uniformes, poudre à canon… il achète cette petite île, construit un château d’inspiration écossaise et mauresque, en 1901. Mais le château ne sera jamais terminé ; Bannerman décède en 1918. En 1920, une explosion détruit une partie du bâtiment et en 1969 un incendie en brûle une autre. Les restes du château tiennent debout par miracle. L’organisation Bannerman Castle Trust attribue le nom de Pollepel à un conte pour enfant, parlant d’une jeune fille nommée Polly Pell et ayant échoué à cet endroit. C’est beaucoup plus romantique que louche (en bois).

Ile Pollepel et son mystérieux château. 

La rivière se resserre, devient plus sinueuse et s’enclave dans des collines. Au prochain méandre, nous sommes proche de notre point de chute.

L'armée de l'air est prévenue. 

D’ailleurs, un message bien clair de l’armée de terre nous le fait remarquer, juste après avoir contourné l'île Constitution. Nous longeons la colline de West Point. Les énormes bâtiments apparaissent, surplombant un minuscule mouillage. Nous sommes devant l’Académie militaire de West Point, l’école des officiers de l’armée de terre américaine, un nom très prestigieux aux Etats-Unis.

Couramment appelée West Point, elle fut la première base militaire créée après la déclaration d’indépendance, faisant d’elle la plus ancienne académie militaire du pays. Historiquement proche de la France, l’école est décorée de la Légion d’Honneur et jumelée avec l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. C’est ici que nous allons passer la nuit, sans aucune demande préalable. Je trouve cela assez incroyable. Le mouillage est vraiment petit, nous ne sommes pas loin du bord, l’ancre croche dans 4 à 5 mètres d’eau. Si l’on s’éloigne, on trouve illico 15 à 20 mètres d’eau et, sans guindeau, c’est compliqué à relever. Je vous rappelle que notre guindeau est manuel, il s’appelle Yves ! Alors nous serrons les dents et admirons la forteresse, particulièrement moche.

Nous serons bercés comme d’habitude par les « tchu-tchu » du train. Il circule tout le long de l’Hudson, sur ses deux rives. Nous connaitrons bientôt tous les horaires. Le sommeil sera très léger, le vent souffle et nous craignons le pire. Fort heureusement l’ancre tient bien. Nous attendons la renverse pour partir. Vers 10h30 les muscles d’Yves sont au travail pour relever la chaîne. Lorsqu’il ne reste plus que quelques mètres, je l’aide au moteur en tirant sur l’ancre pour la faire déraper et aller vers les 15 mètres de fond pour qu’elle ne recroche plus. Le vent s’en mêle, l’ancre est suspendue, lourde, mais Yves aura le dessus et nous pouvons partir.

Même au soleil elle n'est pas belle. 

Nous longeons les belles propriétés et quelques châteaux. Nous contournons Anthony’s Nose et les Bear Mountains, réputées pour ses randonnées, et nous passons sous son pont. L’Hudson s’élargit devant nous, donnant l’impression d’entrer dans un lac. Nous aimerions bien sortir les voiles complètement et tirer des bords, mais ce lac est trompeur. Il n’y pas d’eau le long de la rive gauche, juste une énorme centrale nucléaire dont les abords sont dûment surveillés par un petite vedette du Shérif.

Vers 15h00, nous arrivons en amont du Tappan Zee Bridge et son mouillage devant la ville de Nyack. Une centaine de bateaux nous attendent sur leurs bouées. Nous mouillons dans 4 mères d’eau, au nord de la zone du mouillage, enfin de la place à volonté ! Le vent est tombé, le pont s’illumine complètement, nous sentons que nous approchons de New York !

Tappan Zee Bridge 

Le vendredi 21 nous sommes impatients, c’est le grand jour ! Nous levons l’ancre avant que le vent se lève, vers 07h30, tant pis pour le courant. C’est plus facile pour Yves et ses muscles.

La rivière est large, droite, enclavée entre de belles falaises. Nous apercevons les gratte-ciels new-yorkais vers 08h30. L’émotion est vive à bord.

Si si, c'est New York à l'horizon. 

Mario, le Capitaine Sirop, voulait assister à ce spectacle, mais la cueillette d’érable retient son capitaine. Pareil pour notre amie Nathalie, autre candidate, retenue en son étude normande, au milieu d’une pile de paperasse.

G.W. Bridge. 

MedioVaS passe sous le dernier pont, le Georges Washington Bridge. Très rapidement, son mat devient ridicule aux pieds de Manhattan.

NYC !!! 

L’Hudson termine sa course dans l’Upper Bay avec l’East River. Nous nous noyons dans la masse de bateaux porte-touristes venus admirer la grande et belle Statue de la Liberté. Elle est là, éclatante au soleil. Nous ralentissons l’allure pour savourer ce moment. Arriver en voilier aux pieds de la grande dame est un événement mythique pour la plupart des navigateurs. Pour nous, c’est un vieux rêve qui se réalise.

Nous y sommes ... 

Nous embouquons le petit chenal qui la contourne et allons mouiller notre ancre, là, juste à côté d’elle. Nous partageons ce privilège avec un unique autre voilier, canadien.

Évidemment ce n’est pas très tranquille comme coin, les bateaux livrant le lot de visiteur sur l'île et les hélicoptères qui tournent au dessus rendent le tout un peu bruyant. Mais qu’importe, nous sommes là avec MedioVaS. C’est incroyable.

Peu de temps après, nos seuls voisins viennent en annexe et nous proposent un tour de statue par la mer avec eux. Ben oui, ils sont ainsi les Canadiens. Nous acceptons et partons en visite. Nous approchons d’Ellis Island, mais il est interdit d’en faire le tour autrement qu'à la force de bras. Alors nous reprenons le tour de la statue. Mais la grosse vague d’étrave d’un bateau et notre barreur pas très averti font mauvais ménage, l’annexe s’engouffre dans la vague et nous sommes inondés. Il doit avoir l’habitude car il a une pompe de cale électrique dans son canot ! Nous revenons à bord, trempée pour moi qui était à l’avant. Pas rancuniers, nous les invitons pour un 5-à-7 à bord !

Je me change et nous repartons sur MiniVaS vers le Liberty State Parc (coté New Jersy), où il y a des pontons publics. Nous espérons pouvoir y laisser notre annexe et aller faire quelques courses. Malheureusement, sans permis c’est n’est pas possible, les rampes et leurs pontons sont strictement réservés aux mises à l’eau des bateaux sur remorques. Yves me dépose donc et je pars à la recherche d’un supermarché.

Joli quartier bien américain. 

Je prends des chemins plutôt douteux sous et sur l’autoroute. Après une bonne demi-heure de marche, j’arrive à Greenville. Je trouve une épicerie avec tout ce qu’il faut. Juste à coté, je commande une pizza. Ainsi nous aurons tout ce qu’il faut pour recevoir nos invités. Pas besoin de parler anglais, tout se fait très bien en espagnol !

Yves vient me récupérer et nos voisins arrivent avec une bonne bouteille de vin rouge. Le temps de mes courses, le mouillage s’est rempli d’une dizaine de bateau, c’est presque plein ! Nous passons deux heures très sympathiques. Le soleil se couche doucement, les lumières changent. Tout le monde part sur son annexe pour faire le meilleur cliché de son voilier au coude à coude avec la statue.

Au soleil couchant 
et de nuit bien évidemment . 

Le vent se lève légèrement, il s’engouffre dans le bateau qui préfère s’orienter face au courant. Nous restons dehors, toujours béats de pouvoir mouiller là, gratuitement, sans aucune restriction. La belle s’illumine, le spectacle est grandiose. Chargés de nos émotions nous allons nous coucher. Une heure plus tard, un boucan d’enfer nous réveille. Nous pensons à un problème avec notre ancre et son orin, à un bateau qui vient se frotter à nous… il n’en est rien. C’est la grande dame qui occupe ses insomnies en s’offrant un somptueux feu d’artifice.

Et quand elle se croit à Broadway ! 

Nous sommes vraiment gâtés. Le spectacle terminé, nous allons dormir pour de bon.


Heureux d'être là ! 
21
Encore elle ! 

Le samedi 22 octobre, nous nous réveillons aux pieds de la statue, les yeux toujours grand ouverts devant ce spectacle incroyable. Nous en profitons le plus longtemps possible. La météo va changer et, vers midi, nous partons. Yves a trouvé une marina « abordable », au nord de Manhattan, qui nous permet de rester quelque temps sans être complètement ruinés.

Alors que nous traversons le port de New York de part en part, le moteur résonne d'un son sourd que nous connaissons bien : le circuit d’eau de refroidissement fait des siennes. L’eau s’écoule, mais pas suffisamment, ce qui explique le grondement de l'échappement. Nous poursuivons malgré tout, nous ne pouvons pas nous arrêter à la croisée de l’Hudson et de l’Eastern River ! Et le vent va se lever… mais il est encore trop faible pour nous permettre de faire voile. Nous continuons à faible vitesse, à une allure qui « produit » assez d’eau pour ne pas risquer de surchauffer.

Nous longeons Manhattan une seconde fois, c’est superbe. Devant le Pier 88, la brise nous permet de poursuivre sous voile, c’est magique.

Il y en a un qui se sent bien chez lui . 
Longer NYC à la voile, c'est mythique.  

Vers 17h30, nous sommes amarrés à la bouée 15 de la marina de Dyckman Street. En tirant dessus au moteur pour la tester, elle nous donne l’impression de partir joyeusement avec nous. Nous tentons notre chance sur la bouée suivante, même chose. Bon, nous revenons à la première, la plus proche des pontons. Nous sommes entourés des derniers voiliers de régate J80 qui restent à l’eau malgré l’hiver tout proche.

Yves et MiniVaS vont à terre afin de rencontrer le maître du port et se refaire de quelques dizaines de dollars. Je reste à bord pour surveiller MedioVaS dans le courant.

Lumières depuis notre bouée sur le pont Georges Washington.  

Dimanche, nous commençons par faire l’entretien du moteur. Belle découverte : la roulette en caoutchouc de la pompe à eau montre deux petits bras cassés. Nous échangeons un regard complice, nous la connaissons bien cette panne, maintenant. Puisque nous y sommes, nous changeons aussi l’huile et les filtres.

Bien chanceux que les petites pattes ne soient pas passées dans le circuit ! 

Nous pouvons partir tranquilles vers Downton Manhattan. La marina se trouve à quelques foulées de la célèbre Broadway Avenue. Une chance pourrait-on dire… mais c’est qu’elle est extrêmement longue, la célèbre avenue et nous sommes à son extrémité nord ! Trois-quart d’heure de métro et nous descendons devant Ground Zero, l’endroit où se trouvaient autrefois les Twin Towers du World Trade Center, jusqu’au 11 septembre 2001. Nous nous promenons en silence autour du 9/11 Memorial qui marque le site de la tragédie.

Je trouve le mémorial toujours aussi émouvant. 

C’est en 2006 que débutèrent les travaux de la nouvelle tour. Elle devait porter le nom de Freedom Tower. Mais, en 2009, son nom officiel change et devient désormais One World Trade Center. Selon les avis, il s’agit simplement de l’adresse historiques des tours jumelles : One, World Trade Center ; ou d’une tentative inclusive, plus ou moins repentante : one world - trade center « un monde commun où commercer tous ensemble ». Elle devient la tour la plus haute de New York, à 541 mètres.

One World Trade Center. 

Nous pénétrons dans l’Oculus, la gare futuriste qui remplace l’ancienne, détruite lors des attentats. Cette nouvelle plaque tournante du transport de Manathan se veut être un symbole d’optimisme. Elle représente les ailes d’un oiseau. Les jeux de symétrie sont assez impressionnants. Son architecte, l’espagnol Santiago Calatrava, est également à l’origine de l’aérogare Saint Exupéry de Lyon (FR) et de la gare de Liège Guillemins (BE).

L'Oculus, l'oiseau tout blanc. 

Outre les trains et les métros, on y trouve des magasins de luxe, des restaurants… et des glaces !

Nous sautons dans un des métros qui nous transporte à Times Square. En effet, c’est très cliché. Mais la météo ne se prête pas à une longue promenade à pied. Et puis, il fallait quand même que l’on passe par Downtown Broadway, la portion si réputée.

Nous n'avons pas poussé le cliché jusqu'à aller boire un verre autour d'une des tables rouges. 

Nous rentrons en fin de journée, MedioVaS est toujours accroché à sa bouée ayant vaillamment résisté aux courants de jusant et de flot.

Lundi matin, Yves part avec ses gros bidons pour faire le plein de gazole en ville. Pendant ce temps, je décide de dégivrer notre congélateur qui est bientôt vide. Mais cela prend du temps lorsque la température à bord ne dépasse pas les 15 degrés ! Je vois Yves revenir bredouille, la station toute proche ne vend pas de gazole ; eh oui, nous sommes aux USA, pays de l’essence !

Nous partirons ensemble en fin de matinée à la recherche de notre énergie, un peu plus loin. Yves rentre déposer les bidons à bord de MiniVaS et je pars à la recherche d’un mètre pliable. Ici pas besoin de connaître l’anglais, l’espagnol est beaucoup plus utile. Je trouve le mètre et un nouveau petit charriot pour trimbaler les bidons. Problème : pas moyen de payer, nos cartes de crédit exigent notre code secret pour accepter de payer le commerçant, contrairement aux cartes américaines, et les terminaux ne sont pas tous compatibles. Et je n’ai pas assez de cash. Je tente le tout pour le tout en espagnol et propose un règlement en Euros. C’est mon jour de chance : la femme du boss part bientôt en Italie, il est ravi de prendre mes euros ; au taux d'un pour un, tout le monde y gagne. Je retrouve Yves et nous dégustons de bonnes empanadas avant de dévaliser un des nombreux supermarchés de notre petit coin de paradis. C’est la grande ambiance dans les rayons : la musique latino anime les courses, on se prend à danser devant les pots de ketchup !

Nous ne pouvons pas avoir que des éclairages de cinéma. La brume a son charme également. 

Mardi, la journée est belle, nous marchons vers le Bronx. Ce n’est pas très loin de nos quartiers. Cet arrondissement, un temps synonyme de grande criminalité, est également le berceau du rap et du hip-hop et le royaume des Yankees, l’équipe de football américain qui y possède son stade. Le Bronx a su faire le ménage, il est devenu un quartier comme les autres, avec un nom célèbre !

Entrée dans le Bronx.

Le secteur était habité par les indiens Siwanoy jusqu’à l’arrivée des colons européens dont le Suédois Jonas Bronck, qui serait à l’origine du nom Bronx. Très bien situé, entre Manhattan et la Nouvelle-Angleterre, le quartier s’est développé de manière colossale jusqu’à la crise de 1929. Il accueille alors, pendant les années de la Prohibition, les gangs polonais, juifs, italiens et irlandais, qui faisaient venir de l’alcool en douce. Le déclin se poursuit jusqu’aux années 90, quand l’implantation de grandes chaînes de magasin et le développement d’habitations à loyer modéré permettent au quartier de se renouveler. En 1997, il obtient le « All-America City Award ».

Après un pont et une bonne marche, nous sommes en plein Bronx. Ses grands immeubles en brique rouge et leurs fameuses échelles de secours nous plongent dans bien des films.

Nous continuons jusqu’au quartier historique où nous trouvons les magnifiques maisons brown stones, qui nous rappellent la période florissante du quartier.

LES BROWNSTONES. 

Encore quelques (nombreux) pas et nous arrivons à Little Italy et sa fameuse Arthur Avenue, bordée de trattoria, de charcuteries et de commerces typiques. Le vrai quartier de Little Italy est ici, dans le Bronx, et il y est resté ! Celui de Manhattan a été complément écrasé par Chinatown il y a quelques années.

Nous y trouvons même les fabricants de cigares  

Avant de retourner à bord, nous récupérons enfin notre colis annonciateur de travail pour le lendemain : le moto-réducteur du guindeau est bien arrivé, Alleluia !

Ce fameux lendemain, le ciel est couvert et la brume bien installée. Peu importe, Yves plonge dans la baille à mouillage dès son petit-déjeuner avalé. Une heure plus tard, le guindeau ronronne à nouveau, c’est un grand soulagement. Nous profitons de notre euphorie pour parfaire le réglage du gréement avec le mètre récemment acheté. J’ai trouvé la méthode de réglage de la tension des haubans avec un mètre pliant, nous allons la tester. Elle se révèle pas trop mauvaise, c’est toujours délicat de tendre les haubans : trop mou, ça gigote sous le vent, trop tendu, ça finit par casser des torons.

Il y a de la joie, ça fonctionne ! 

Nous allons fêter notre succès à Harlem, encore une zone de Manhattan autrefois riche qui avait acquis très mauvaise réputation mais qui a su s’en sortir.

À l’arrivée des Européens, l’île de Manhattan est habitée par les Amérindiens Lenapes (appelés aussi « Delaware »). Ils vivent de pêche, de chasse et d’agriculture. À partir du XVIIème siècle, les choses changent un peu et ils pratiquent le commerce des fourrures avec les Européens.

Harlem, lui, est un petit village fondé en 1658 par le gouverneur néerlandais Pieter Stuyvesant. Le lieu est nommé Nieuw Haarlem, en hommage à la ville de Haarlem aux Pays-Bas. Le nom est simplifié Harlem en 1664, par les Britanniques, lorsqu’ils prirent le contrôle de New York. Jusqu’au milieu du XIXè siècle, Harlem garde son caractère champêtre où de grandes familles possèdent des terres. Mais au milieu du XIXè siècle, Harlem connait une phase de déclin. Les grands domaines agricoles sont abandonnés. Harlem reçoit une arrivée massive d’Irlandais pauvres.

Vers 1873, Harlem est enfin rattaché à la municipalité de New York. Ce changement s’accompagne d’une première vague de constructions à caractère spéculatif, tout le monde misant sur le succès du quartier, surtout avec l’arrivée du métro. Les fameuses belles demeures en pierre brown stones fleurissent. Mais les retards dans la construction du métro et l’abondance de logements font chuter les prix. De nouveaux immigrants juifs venus de l’Europe de l’Est y débarquent vers 1890, suivi par des Italiens, d’autres Irlandais et des Finlandais. Le secteur est d’Harlem commence à se paupériser.

Pendant ce temps, les lynchages s’intensifient dans le sud des Etats-Unis. La discrimination et la mécanisation agricole pousse plusieurs milliers d’Afro-Americains à migrer vers les villes industrielles. Une communauté noire peu nombreuse était déjà installée autour de la 125è rue. Le krach immobilier de 1904 fait encore chuter les prix de l’immobilier. Le promoteur immobilier afro-américain Payton encourage alors l'installation des familles noires à Harlem.

Entre les deux guerres, un mouvement de renouveau de la culture afro-américaine naît avec Harlem comme berceau et foyer principal : c’est la Harlem Renaissance. Photographie, musique, peinture et surtout littérature sont en pleine effervescence. Les oeuvres se multiplient, se diversifient et se diffusent. De nouveaux artistes et intellectuels afro-américains s’établissent à Harlem : Marcus Garvey, Duke Ellington, Louis Armstrong…

La Renaissance de Harlem rime avec « nuits de folie et de tous les plaisirs ». Des lieux mythiques ouvrent leurs portes : le Cotton Club, l’Apollo Théâtre et bien d’autres.

1920, c’est aussi la Prohibition. Les bars et clubs réservés aux Blancs sont contrôlés par les mafias juive et italienne. Les gangs afro-américains ne veulent pas rentrer en compétition, ils se concentrent alors sur le jeu clandestin. Ils inventent le bolito, sorte de loterie. Les dirigeants s’enrichissent et investissent ensuite dans des projets plus licites.

Après la seconde guerre mondiale, le pays sort de la crise économique mais pas Harlem. Le paysage urbain se dégrade, les belles maisons aussi, les commerces sont abandonnés, Harlem devient un ghetto. Même la bourgeoise noire déserte le lieu. Pauvreté, drogue, violence et criminalité ne font qu’augmenter.

À la fin du XXè siècle, c’est la gentrification qui sauve Harlem. On rénove et on réhabilite, des familles aisées quittent le Lower Mahattan à le recherche de brown stones et réinvestissent les lieux. La 125è rue est réaménagée. Les grands magasins ont pour obligation d'engager une main d'oeuvre afro-américaine. Petit à petit, le revenu moyen des Harlémites augmente. En appui des financements publics et privés pour le réaménagement de la zone, le célèbre maire de New York de l’époque, Rudy Giuliani, met en place sa politique de tolérance zéro, de 1993 à 1998. La moindre infraction entraîne immédiatement une punition sévère, en raccourcissant au maximum les délais entre le délit et la réponse judiciaire. Il prône également l’intégration des minorités ethniques dans les forces de l’ordre. Le résultat est flagrant.

La 125è rue redevient une artère commerciale populaire accueillant centre commerciaux et cinémas. Même Bill Clinton y installe ses bureaux, lui aussi investit…

Le métro nous dépose au pieds de cette célèbre 125ème rue, coeur de Harlem. Nous nous arrêtons devant le prestigieux Théâtre Appolo qui accueillit les plus grands jazz bands. Nous pouvons entrer mais juste à la boutique souvenirs. Le seul moyen de le visiter est d’assister à un spectacle. Il y en a bien un en fin de journée, mais il n’a pas trop d’intérêt et nous abandonnons l’idée.

Nous continuons vers le quartier historique de Saint Nicholas, alignement parfait de brown stones. Elles furent construites en 1891 par trois cabinets d’architectes, à la demande du promoteur David H. King, lui-même a l’origine de Madison Square et du socle de la Statue de la Liberté. Le quartier est considéré comme un des joyaux de l’architecture de NYC. C’est un exemple exceptionnel du design urbain de la fin du XIXè siècle. Au total, plus de 700 bâtiments sont classés au patrimoine historique et architectural.

Et c'est bientôt Halloween. 

Évidemment, il est difficile de visiter Harlem sans passer par la YMCA, célèbre auberge de jeunesse. Cet établissement date de 1933 et remplace le précédent datant de 1919. Il accueillait une population afro-américaine qui ne pouvait se loger dans les petits hôtels bons marchés de NYC à cause de la discrimination raciale. Beaucoup d’écrivains y ont habités, Malcom X est passé par là et Bill Clinton en est toujours membre (évidemment).

Un nouveau membre ? 

Non loin se trouve la splendide église baptiste abyssine. Nous voulions y entendre du gospel, mais pour cela il faut venir lors de l’office du dimanche. Nous contemplerons l’extérieur, un peu déçus de ne pas pouvoir y entrer, les règles de visite autant changées au plus fort de la pandémie Covid. Fondée en 1808, elle serait la plus ancienne église baptiste de la ville. Cela dit, open trouve à tous les coins de rue !

On nous L'église baptiste abyssine, on nous laissera dehors ... 
Et tant d'autres  

En fin de journée, les pieds bien usés par la marche, nous prenons un bus pour rentrer à notre belle petite marina. La nuit est venteuse. Vers 06h00 du matin, j’entends la bouée du corps mort taper sur notre coque. Ceci n’est pas rare mais le bruit vient de l’arrière, c’est beaucoup plus surprenant. Je vais voir ce qui se passe dehors. C’est la bouée de notre voisin qui vient se frotter en passant sous MiniVaS. Je m’équipe de la gaffe et passe une heure à la repousser ainsi que le petit régatier qui y est amarré, baptisé « 3 Love Bugs ». En effet, il est très amoureux et vient également se frotter à MedioVaS.

MedioVaS et sa nouvelle copine. 

Lorsque Yves se lève, nous nous déplaçons vers une autre bouée, mais nous sommes toujours trop proche d’un des voiliers de régates de la marina. Nous tentons une troisième bouée, il y a le choix, c’est la fin de saison ! Celle-ci nous satisfait davantage.

Nous pensions visiter Brooklyn mais avec le vent qui souffle et l’incertitude de l’amarrage, nous préférons rester à bord.

Nous attendons toujours nos pataras tout neufs, qui pourraient arriver en soirée… on y croit encore un peu. Après tout, nous sommes toujours ici à cause des retards de livraison.

Vendredi 28 octobre, c’est le bon jour ! Yves se lève tôt et part dans le froid piquant visiter les métros new-yorkais. Il pousse même jusqu’au New Jersey, de l’autre côté de l’Hudson, pour récupérer les pataras directement chez le fournisseur. Lorsqu’il est de retour, il est hors de question de les mettre en place. Il y a trop de vent et la rivière est bien agitée, je ne monterai pas au mât aujourd’hui. Nous gardons la balancine de secours mise en place lors du re-matage.

Vers 11h00, nous allons faire le plein d’eau à la marina et nous appareillons. Enfin nous pouvons continuer notre route. Nous avons la chance d’avoir une bonne fenêtre météo devant nous pour une sortie dans l’Océan Atlantique Nord. La mer nous manque un peu, mais pas de grand départ un vendredi. L’excuse de la superstition nous permet de profiter encore un peu de la baie.

Nous hissons les voiles, descendons pour la dernière fois l’Hudson River. Au passage, nous saluons Manhattan et la Statue de la Liberté puis nous empruntons The Narrows, le chenal balisé qui longe Brooklyn et conduit à l’océan.

Au revoir NYC et ta belle dame. Cela restera un moment inoubliable. 

Sous le pont Verrazano-Narrows, ça y est, nous quittons officiellement New York.

Dernier pont avant de laisser New York derrière nous. 

Il nous faut encore traverser toute sa Lower Bay par le petit chenal bien balisé, si nous ne voulons pas nous échouer. Un bon mouillage pour la nuit nous attend à Sandy Hook Point. Nous allons nous reposer dans la jolie petite anse de Horseshoe. Quelques oies et canards viennent nous rejoindre. Peut-être feront elles aussi la route le lendemain ? C’est la saison…

Une bonne nuit avant de retrouver l'océan et les quarts ... 
22

Samedi 29 octobre, nous quittons cette paisible baie de Horseshoe vers 08h00 du matin. Nous devons doubler Sandy Hook avec moteur et voiles, afin de lutter contre courant et vent contraires. Plus question de perdre du temps par ici, nous sommes impatients de retrouver l’océan.

Première partie du trajet à effectuer sur les 160 miles. 

Vers 09h30, c’est chose faite. Le moteur peut aller se reposer, les voiles sont ravies et nous aussi. Plein vent arrière, nous tangonons le foc et filons plus de 5 noeuds dans 10/13 noeuds de vent. Le soleil nous réchauffe suffisamment, la mer et agitée sans être désagréable et le courant nous porte un peu. Nous restons à vue de terre, pour ne pas nous retrouver dans les pattes des cargos.

La nuit tombée, nous pouvons enfin utiliser notre feu de navigation en tête de mat. C’est un vrai bonheur de ne plus être éblouis par nos propres feux.

La nuit tombe de plus en plus tôt. 

Vers 21 heures, le vent forci jusqu'à une vingtaine de noeuds. Gardant les voiles en ciseaux, nous prenons des ris et maintenons notre allure. Nous nous attendions à un froid glacial, c’est quand même un vent du nord qui nous porte. Étonnamment, il fait plutôt bon. Nous sommes tout de même bien couverts, on ne sait jamais comment cela peut évoluer dans la nuit.

Mon dernier quart de la journée se passe devant Atlantic City, ville de casinos et d’hôtels de luxe de la côte est. La cité du vice est tellement étendue qu’elle semble interminable. Et elle est bien éclairée, ici pas d’économie de lumière ! À minuit, Atlantic City est enfin derrière nous, il ne reste plus que 100 milles à parcourir.

Le vent reprend un souffle plus doux, les voiles abandonnent leurs ris. Il a aussi légèrement tourné, ce qui nous oblige à empanner.

La remontée de Delaware Bay vers le canal de Chesapeake et Delaware. 

Nous avions deux possibilités de route. La première consiste à continuer par l’océan, vers la baie de Chesapeake, la seconde est de rentrer dans la baie de Delaware. C’est celle que nous choisirons, la fenêtre météo étant courte. C’est un choix qui nous permettra ensuite de visiter toute la baie de Chesapeake en descendant.

Vers 05h30, nous approchons de l’entrée de la baie de Delaware, évidemment un peu trop tôt et nous craignons que le courant soit contre nous. L’entrée peut être être délicate lorsque le vent et le courant s’opposent. Finalement nous embouquons au moment de la renverse et c’est parfait.

C’est à ce moment que j’entends parler à la radio VHF. Je regarde les AIS autour de nous, et oui, c’est bien Dooghie qui communique avec un autre voilier. Dooghie, c’était notre voisin de mouillage au pied de la Statue de la Liberté. Yves les contacte, ils partent vers Chesapeake Bay par l’océan, en caravane avec quatre autres voiliers. Nous leur souhaitons une belle traversée et nous continuons notre chemin dans la Baie de Delaware.

Le foc retrouve son poste sans tangon et nous remontons la baie au bon plein, en filant 7 noeuds.

Nous croisons plusieurs phare qui font la splendeur et la renommée de la Bay.  

Vers midi, c’est davantage le courant que le vent qui nous pousse. La brise tombant de plus en plus, le moteur prend la relève. Nous devons trouver un mouillage avant la tombée du jour, qui arrive de plus en plus tôt, et nous voulons être proche de l’entrée du canal du lendemain.

Nous irons tremper notre ancre auprès des cargos, au nord des Reedy Islands vers 17h. Après deux essais, nous trouvons du sable, la mer est plate, le vent endormi et nous aussi.

Lundi 31 octobre nous allons naviguer sur le canal Chesapeake & Delaware, plus communément appelé le C&D Canal. Ce dernier relie l’estuaire de Delaware à la baie de Chesapeake, en réduisant le trajet entre Philadelphie et Baltimore de 500 km.

Premier pont du canal. 

C’est au XVIIè siècle que le cartographe Augustin Herman, originaire de Bohème, propose l’idée d’un canal qui relierait les deux bras de mer. Mais l’absence de moyens financiers empêche le visionnaire de concrétiser son projet.

Sa construction débutera en 1824. Un premier canal à écluses ouvre en 1829. Il fait une vingtaine de mètres de large mais seuls onze mètres sont navigables avec un tirant d’eau d’à peine 3 mètres. Le bief de partage n’étant pas alimenté par un cours d’eau, il fallait remonter l’eau d’un bief à l’autre par une machine à vapeur.

En 1906, Théodore Roosevelt nomme une commission chargée d’étudier la faisabilité d’une voie « libre et ouverte ». En 1919, le canal est racheté par le gouvernement fédéral des Etats-Unis. Il confie la gestion et la refonte du canal au corps des ingénieurs de l’armée. Intégralement au niveau de la mer, plus profond et plus large, le nouveau canal ouvre en mai 1927. Il est dessiné de façon à ce que que des agrandissements soient facilement réalisables. Aujourd’hui, il mesure un peu moins de 137 mètres de large et sa profondeur est amenée à plus de 11 mètres.

La brume est dense au réveil. Nous attendons un peu, la navigation dans le canal peut être délicat si la visibilité est mauvaise. Vers 07h00, le brouillard semble se dissiper un peu, on aperçoit les deux rives du canal ; nous tentons le tout pour le tout et nous appareillons. Vers 08h00, nous embouquons le fameux canal. La visibilité est assez bonne, en tous les cas suffisamment pour en trouver l’entrée sans se mettre sur les cailloux. La navigation à la voile est strictement interdite ainsi que le mouillage. C’est notre moteur qui fait la job (nous aimons cette expression canadienne et, oui, ils nous manquent nos amis canadiens !).

Les couleurs d’automne sont toujours aussi intenses. Hérons et pygargues à tête blanche nous accompagnent tout au long des 22 km à franchir.

Etrangement, notre calcul de courant entre l’entrée et la sortie n’est pas cohérent, ce qui fait que nous avons un noeud contre nous. Je propose à Yves de faire une halte dans la jolie petite ville de Chesapeake pour attendre la renverse. Il semble y avoir un ponton public bien accueillant. Une fois devant, nous tentons d’entrer dans le bassin. La sonde indique des haut-fonds, je recule et sors de là. Nouvelle tentative, toujours des haut-fonds ; tant pis, nous partons sans voir Chesapeake.

Vers 11h00, nous laissons le canal et ses belles maisons derrière nous. Nous continuons dans l’Eastern River. Nous effleurons à peine la baie de Chesapeake et nous nous enfonçons de 8 miles dans la rivière Sassafras. Cette fois-ci, c’est l’Atlantic Coast Guide qui nous conseille, le guide que nous avions reçu de nos amis hollandais Janneke et Wietze (Anna Caroline) lors de mon dernier passage à Noel, en Belgique. Le guide date de leur voyage dans la région, il y a plus de dix ans, alors nous restons prudents. Nous avons également des applications, sur nos téléphones, nous tenant informés des mouillages.

La rivière Sassafras est, semble-t-il, l’une des plus belles de la région. Elle est sinueuse, bordée de majestueuses maisons à l’américaine. Ça nous change un peu du nord, mais… rien ne vaut les si jolies cabanes canadiennes ! Partout de petits pontons prolongent les jardins dans l’eau. Au détour d’un méandre, une crique s’enfonce et appelle au mouillage. La rivière est large mais, comme souvent, il faut rester prudent car elle est trompeuse. Il y a peu d’eau en dehors des bouées. Nous nous enfonçons encore, elle semble interminable. Mais oui, nous arrivons au bout de la rivière. Enfin, c’est le bout pour nous : un pont barre la route à notre mat et les hauts fonds empêcheraient notre bateau de flotter. C’est le coin des marinas ! Il y en a au moins trois, côte à côte. Nous mouillons entre le parc de bouée, où les derniers bateaux de la saison sont encore amarrés, et une marina aux pontons désertés. Il est 14h30, nous sommes à Georgetown Harbor, dans le Maryland. C’est notre première escale dans la célèbre baie de Chesapeake. Et c’est Halloween !

Une marina bien pleine, une autre bien vide. 

Nous armons MiniVaS de son moteur et Yves part prospecter. Il revient un peu pus tard, content d’avoir trouvé des pontons pour débarquer. Nous allons ensuite nous promener un peu. Tout à l’air mort, c’est peut-être le jour qui veut cela.

Les feuilles commencent franchement à tomber ... 

Pour fêter notre arrivée, j’invite Yves à dîner au Deep Blue, le restaurant de Kitty Knight, une maison historique de la ville. Il y a plus de deux siècles, une jeune fille aux cheveux rouges comme la flamme naissait sous le nom de Catherine Knight. Elle grandit, toute en beauté et obstination. Elle était connue comme la plus belle fille du comté de Kent. La légende dit qu’elle a dansé avec Georges Washington. Durant la guerre de 1812, les Britanniques, conduit par l’amiral Georges Cockburn, semblaient avoir comme principal objectif de brûler tout le Maryland. Lorsque les troupes ennemies débarquèrent à Georgetown, tous les habitants s’enfuirent, sauf Kitty Knight et sa voisine alitée. En sortant la tête par sa fenêtre, ses cheveux rouges flottant dans le vent, elle exprima son refus de quitter les lieux, pour continuer de veiller sur sa voisine malade. Le coeur attendri, ou touché par la beauté de Kitty, l’Amiral Cockburn épargna cette maison et celle de sa voisine.

Aujourd’hui, le restaurant donne sur la marina, avec une belle vue sur MedioVaS. Une décoration très yacht club américain nous entoure. Nous commençons par prendre un verre du coté pub, au style plutôt anglais. Puis notre dîner se transforme en souper canadien en choisissant le Seafood Chowder, c’est un peu la soirée des trois nations !

Au réveil, le temps est calme, très calme, et légèrement couvert. C’est la situation idéale pour monter au mat, avant la brise de l’après-midi. Outils en poche et le premier pataras sanglé à la taille, oh hisse, Yves me propulse jusque tout en haut. Je retire le premier axe qui portait le pseudo-pataras provisoire et installe le nouveau. Yves le raccorde sur son ridoir et le tend, histoire de pouvoir larguer son jumeau à tribord, tout en me gardant en sécurité. Pendant ce temps, je prépare un petit va-et-vient pour récupérer le nouveau pataras en tête de mat. Même travail une fois ce dernier récupéré : retirer la goupille et l’axe, sans perdre une pièce, sécuriser le vieux pataras, placer le nouveau avec axe et goupille, toujours sans rien faire tomber. Ouf , tout se passe très bien, personne ne décide de se jeter à l’eau et les goupilles se laissent assez gentiment manipuler. Yves fixe le nouveau pataras tribord dans son ridoir et me redescend. J’arrive à peine à poser mes pieds au sol et à rester debout sur mes jambes tant celles-ci se sont crispées pour me tenir autour du mat. Après une dizaine de minutes et un Coca Cola, tout rentre dans l’ordre. Nous équilibrons la tensions des nouveaux pataras et sommes ravis du boulot effectué.

MedioVaS est seul, les bouées aussi. 

Nous pouvons partir découvrir la ville et faire quelques emplettes. Arrivés au dinghy dock, nous remarquons que la marina est vraiment vide et ses pontons servent davantage de support à une nouvelle végétation qu'à amarrer des bateaux. À l'époque de notre guide Atlantic Coast, la marina et toutes celles autour étaient florissantes. Un local nous expliquera que la marina a fait faillite, depuis plus d’un an rien ne tourne. Ce n’est donc pas la saison tardive qui explique le calme qu’il y règne. A priori un acheteur devrait reprendre le tout en décembre. Pendant ce temps-là, la marina d’en face récupère et sort de l’eau les derniers bateaux qui nous tenaient compagnie sur les bouées.

Nous tentons de trouver un petit chemin vers la ville, mais rien. Nous sommes en Amérique, il faut marcher le long des grands axes. « - Ah bon, vous n’avez pas voiture ? » Les maisons sont toutes décorées pour Halloween et ça ne manque pas d’imagination !

Treat or trick ?  

En suivant notre plan, nous trouvons le cimetière le long de la route, mais son église a disparu. Après une bonne heure de marche, nous arrivons à Galena. Oui, nous avons du marcher jusque là. En fait, Georgestown existe à peine.

Nous trouvons l'épicerie qu’il ne faut pas manquer. En effet, quelle surprise de trouver cette épicerie de luxe au milieu de rien ; ses prix sont également hors du raisonnable. Nous y trouvons pourtant les quelques produits manquant à bord, sans trop nous charger, et nous rebroussons chemin.

Nous sommes prêts pour naviguer dans la baie de Chesapeake, le paradis de la voile, dit-on…


Il faut redescendre Sassafras River et ses belles couleurs  
23

Mercredi 2 novembre nous levons l’ancre vers 07h00, avec le lever du soleil. Les couleurs annoncent une journée splendide. Nous parcourons la rivière Sassafras en sens inverse et découvrons de nouvelles beautés.

C'est calme et beau. 

Le vent est malheureusement absent, nous faisons route au moteur jusqu’à la petite île Hart Miller. C’est un parc national, une réserve d’oiseaux. Nous mouillons au large de l’île, les haut-fonds ne nous permettent pas de nous en approcher. MiniVaS fera le reste de la route jusqu'à la belle plage de sable.

Il y en a un qui se croit aux Caraïbes. 

Nous décidons d’y apporter nos saucisses, nos pommes de terre et notre fameux petit barbecue « jetable » qui attend son tour depuis des mois. Débarqués à terre, les pieds un peu dans l’eau, nous apercevons le garde qui brûle du vieux bois. L'île est fermée à la randonnée mais nous pouvons nous installer sur la plage et profiter des tables de pique-nique. On se croirait en été, sur une plage des Caraïbes, à la différence près que nous sommes seuls. Finalement nous utilisons le barbecue des installations et le bois perdu de l’île. Jamais nous n’aurions espéré une telle grillade en cette saison !

L'été indien a du bon ! 

Nous passons une nuit agréable dans ce paisible mouillage. Nous levons l’ancre le lendemain vers 07h30, le vent se joignant enfin à nous.

Les oies cacardent au-dessus de nous, elles ne savent pas si continuer Sud ou rester dans ce petit coin merveilleux. 
Merveilleuse navigation.  

Le genaker fait une sortie grandiose, en route vers Annapolis. Vers 10h15, nous passons sous le Bay Bridge, l’un des deux seuls ponts qui traversent la baie de la Chesapeake.

Bay Bridge. 


Il est ensuite déjà temps de rouler les voiles pour remonter la rivière Severn. À midi, nous mouillons l’ancre devant la célèbre USNA, US Naval Academy, l’École navale américaine.

Nous sommes presque dans leur parking . 

La ville fut d’abord baptisée Providence en 1649, par ses fondateurs, des Puritains exilés de Virginie. Menés par William Stone, ils fondèrent la colonie sur la rive nord de la rivière Severn. Elle pris ensuite le nom de Anne Arundel’s Town, en l’honneur de la femme de Lord Baltimore. En 1694, elle est nommée Annapolis pour rendre hommage à la princesse Anne.

La ville demeure un port négrier jusqu’en 1808. Les esclaves y débarquent et sont vendus aux planteurs du sud pour travailler le tabac ou le coton.

Également un port de pêche prospère, Annapolis devient la capitale des Etats-Unis après la signature du traité de Paris en septembre 1783, mais pas pour longtemps. La capitale sera transférée à Trenton en 1784.

Annapolis, capitale du Maryland, est aussi reconnue comme la Mecque de la voile américaine. C’est un peu pour cela que nous y faisons escale, même si ce n’est plus la saison des boat shows.

Vers 13h00, nous descendons à terre. Ce ne sont pas les bassins et pontons qui manquent, par ici, il y en a même plusieurs pour les dinghies. Nous sourions devant les panonceaux limitant la tailles des annexes à 3,60m et la puissance de leurs moteurs à 40cv, c’est l’échelle américaine ! Nous avons le choix entre deux pontons pour notre donc minuscule annexe : nous optons pour celui qui est au centre de la ville.

L'hiver approche. 

Nous sommes charmés par la beauté des ruelles et des « petites » maisons en bois de couleur, toutes alignées. Ce petit quartier contraste avec les splendides et grandes maisons géorgiennes qui font aussi la réputation de la ville.

Sir Francis Nicholson, gouverneur de la province du Maryland, voulait une ville qui ressemble aux capitales européennes. Et il réussit si bien son pari qu’un Georges Washington admiratif demanda à Pierre l’Enfant de faire de même. C’est ainsi que les rues de Washington DC sont calquées sur celles de Paris, Amsterdam ou Milan.

Nous commençons par faire le tour dit des « vieux et vieilles » d’Annapolis, en commençant par le prestigieux St. John’s College, l’une des plus anciennes universités du pays. Elle succède à l’école préparatoire King William’s School fondée en 1696, avant de devenir une université en 1784 en changeant de nom. Dans cet institut, l’enseignement prend un genre particulier. L’apprentissage est libre, guidé sans être dirigé, basé sur la lecture et la discussion. La plupart des travaux portent sur les Great Books : une collection d’une soixantaine de livres qui condensent un peu tout ce que l’homme moderne rêve de savoir. On y rassemble le Western canon, les piliers de la culture et les grands classiques de philosophie, religion, histoire, mathématiques, sciences et littérature.

St John's College, un campus qui donnerait presque envie de reprendre des études.

Sur State Circle se trouve le Capitole ( Maryland State House ), le plus haut toujours en fonction du pays, il date de 1772. Il est coiffé du plus grand dôme en bois, construit sans clou. Malheureusement en travaux, nous ne pourrons pas le visiter.

Le Capitole. 
Un des rues partant de State Circle. 

Nous nous laissons emporter dans les rues aux grandes demeures autour de State Circle. La vieille ville n’est pas grande et il y règne un grand calme : peu de voitures, pas de bus ; les gens se promènent. En redescendant, nous tombons sur deux rues très animées, alignant leurs magasins vers le front de mer. Dans l’une, il faut fermer les yeux pour ne pas se laisser tenter par toutes les belles boutiques de vêtements de voile. Dans l’autre, boucher ses narines pour ne pas s’assoir à chacune des terrasses et s’y gaver de crabes et autres fruits de mer. Je dois avouer que ça ne résistons pas très bien et nous nous laissons légèrement emporter par les deux.

Le lendemain, Yves passe la matinée autour de nos panneaux solaires qui ne produisent presque plus d’électricité. Certes, c’est presque l’hiver et le soleil est très bas. Mais il découvre que sur nos quatre panneaux principaux, deux ne répondent plus du tout. Deux sont encore vivants mais la production totale a sévèrement chuté !

Nous partons à la recherche de magasins d’équipement pour trouver quelques pièces de rechange indispensables et c’est le parcours du combattant. Je pensais que nous allions trouver des magasins de bateau à chaque coin de rue, c’est quand même la capitale de la voile. Mais les américains ont de grosses voitures, les vendeurs se collent aux marinas qui pullulent autour de la ville et tout est toujours trop loin, Nous marchons longtemps pour revenir presque bredouille, avec un pauvre bidon d’huile que l’on trouve partout.

Pour nous consoler, Yves m’invite en terrasse sur le front de mer pour mon anniversaire. En guise de bougies, c’est une flamme qui éclaire ce 4 novembre.

Au coin du feu, en terrasse. 

Samedi, de bon matin, nous partons visiter l’United States Naval Academy (USNA), la principale école navale du pays. Tout commença le 10 octobre 1845, le secrétaire à la marine des Etats-Unis, Georges Bancroft et le professeur de chaire de mathématiques, William Chauvenet, fondent la Naval School. L’école occupait alors le petit fort en bois de Fort-Severn, sur la rivière du même nom. La première promotion comportait 50 élèves-officiers. En 1850, l’école devint l’Académie navale et le cursus est établi à quatre ans. Aujourd’hui, chaque promotion compte environ 1200 midshipmen et, depuis 1976, on y compte des jeunes filles.

USNA 

Pour la visiter, après avoir présenté nos passeports à l’entrée, nous avons deux options : s’y promener librement ou suivre un guide. Nous optons pour le second choix. Nous devons patienter une demi-heure avant le prochain tour ; ça tombe bien la boutique de souvenirs est juste là !

10h00 précises, la guide rassemble son petit troupeau et nous commençons par un petit peu d’histoire et la présentation du cursus des midshipmen.

Aux couleurs de la Navy, évidemment ! 

Une fois dehors, nous avons droit à l’éloge et aux anecdotes sur l’histoire de la mascotte Billy Goat, face à sa statue. La première mascotte, de 1847 à 1851, était un singe, le Navy Monkey, animal préféré de Georges Bancroft. Depuis 1893, c’est une chèvre. Pourquoi une chèvre ? Pendant des siècles, les navires emportaient à bord des animaux pour fournir de la nourriture fraîche aux marins. Les navires des marines britannique et américaine transportaient également des chèvres, qui recyclaient les ordures et produisaient du lait, dont on faisait aussi du beurre.

La légende raconte qu’un navire de la marine avait emporté une chèvre domestique qui mourut pendant une traversée. Très affectés, les officiers décidèrent d’en garder la peau pour lui redonner forme une fois à terre. Deux enseignes furent désignés pour la conserver. Sur la route vers le taxidermiste, les deux enseignes font halte au tout premier match de football (américain) de l’USNA. À la mi-temps, l’un des enseignes décide de se couvrir de la peau et de jouer la chèvre sur le terrain. La foule s’enflamme et la Navy gagna le match. C’est ainsi qu’en 1893, une chèvre en chair et en os, dénommée El Cid, fit ses débuts comme mascotte de l’équipe de football de l’USNA, offerte par les officiers de l’USS New York. La Navy bat alors les terriens de West Point, 6 contre 3. L’animal est définitivement adopté par l’équipe. Au début des années 1900, elle reçoit le nom de « Bill », ses successeurs portant un numéro, tels des souverains. Aujourd’hui, c’est « Bill XXXIV » qui est la mascotte de l’équipe. Il y a la Bill team , un groupe de midshipmen qui s’occupe d’elle tout au long de l’année dans sa ferme, non loin de l’Académie. Ils sont également en charge de son transport lors des matchs, une mission à haut risque, l’adversaire ne reculant devant aucun coup bas pour démoraliser les joueurs.

Torpille japonaises de la Seconde Guerre Mondiale. 

Nous continuons notre visite du campus, logiquement dénommé le Yard, comme pour un arsenal. Nous avons la chance de rentrer dans l’énorme et magnifique bâtiment où logent tous les aspirants. Nous avons même droit à pénétrer dans une chambre témoin. Nous n’en revenons pas de circuler ainsi librement dans ce qui reste tout de même une base militaire !

Dans le bâtiment pour les galas, suspendu au plafond, nous découvrons un avion et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du premier aéroplane ayant apponté sur un navire. C’est le 18 janvier 1911 que le pilote américain Eugene Fly (!) réussit l’exploit d’avoir apponté sur l’USS Pennsylvania. C’est la naissance des porte-avions qui joueront un rôle immense dans la guerre du pacifique.

Nous contournons l’énorme maison de l’amiral superintendent, dont c’est généralement le dernier poste, poétiquement baptisé sunset tour. Puis nous longeons les maisons jumelles des officiers chefs de divisions, la rue prenant logiquement le surnom de Captains’ alley.

Elles ne paraissent pas si grande que cela, mais elles le sont en réalité : sept chambres, quatre salles de bain, un vaste basement au sous-sol… c’est le modèle américain, évidemment.

Nous arrivons à la chapelle dont la coupole est visible de très loin. Dessinée par Ernest Flagg, la pierre angulaire fut posée en 1904 par l’Amiral Georges Dewey et son inauguration eut lieu le 28 mai 1908. En 1940 elle a du être agrandie pour accueillir 2500 personnes. Dans cette chapelle, on pratique les culte catholique comme protestant. Sous la chapelle se trouve la Crypte John Paul Jones (Ecossais d’origine, 1747-1792). Son dévouement pour l’indépendance et la liberté des Etats-Unis ainsi que son esprit combatif ont donné à la marine des Etats-Unis ses premières leçons de courage, d’honneur et de victoire. Le 26 janvier 1913, ses ossements trouvèrent place dans la crypte, dans un sarcophage de marbre italien blanc et noir ornés de bronze. Tout autour de la crypte sont inscrits les noms des différents navires qu’il a commandés.

Nous terminons notre visite, sans guide cette fois-ci, à la petite buvette du Yard qui propose de délicieux sandwiches et d’excellents pains au chocolat.

De retour, en ville, nous assistons à une drôle de rencontre : une compétition du tir-à-la-corde. Ce jeu assez banal et amusant me rappelle mon enfance. Il est ici adapté et revu en grand, à l’américaine peut-être, entre les deux rives d’Annapolis. La corde traverse entièrement le bassin portuaire, la circulation maritime est arrêtée, et les équipes se font face, sans se voir, de part et d’autre de l’eau ! Sur le plan d’eau, un voilier tient le milieu. Oh Oh Pull! Nous avons la chance d’assister à deux victoires consécutives de notre côté de l’eau. Pendant ce temps au large, ce sont des voiles dorées qui régatent et s'entraînent sur l’eau, tous les voiliers de la Navy sont de sortie.

OH OH PULL ! 

Ainsi se termine notre petit séjour dans cette surprenante ville d’Annapolis, dans la douce chaleur de l’été indien qui tient bon.

24

Dimanche 6 novembre vers 6h30, les voiles refont leur apparition, en pleine forme après le changement d’heure. Nous voulons traverser la baie de Chesapeake. Le vent vient un peu dans le nez et nous oblige à tirer des bords. Nous commençons au près, dans 10-12 noeuds de vent, c’est parfait, d’autant que le courant nous emporte dans la bonne direction.

Au deuxième virement de bord, nous doublons l’un des fameux phares de la baie de Chesapeake, le Thomas Point Shoal Light. C’est le dernier phare sur pilotis encore planté sur son emplacement d’origine. Deux précédents phares en pierre avaient été construits en 1825 et 1838 sur la côte, mais ils se révélèrent trop sujets à l’érosion. En 1873, le Congrès ordonna donc la construction d’un phare hexagonal, en bois et sur pilotis. Il fut construit et mis en service en 1875. Une tempête détruisit sa lentille en 1877 et les pilotis subirent les dommages des glaces. La lentille fut remplacée et les pilotis protégés par des remparts en pierre. Le phare fut automatisé, mais en 1986 seulement.

Thomas Point Shoal Light

Finalement, il ne nous faudra que trois virements et un ris, le vent forcissant, avant d’embouquer l’Eastern Bay. Quelques gouttes de pluie viennent arroser notre succès. Une fois dans la baie, nous sommes protégés du vent. Nous la remontons au portant, sans ris, en zigzagant au milieu des crabs floats (bouées de casiers à crabes). Nous croisons toute une flottille de voiliers qui remonte le vent, fin de week-end oblige. Trois longues boucles nous conduisent à St Michaels, dans un vent capricieux et des haut-fonds un peu partout. Nous y mouillerons l’ancre vers midi, en compagnie de deux autres voiliers. La petite ville semble bien agréable, vue de loin ; le guide ne s’est certainement pas trompé. Nous prévoyons de passer deux nuits dans la rivière.

Première impression :ça va être une belle escale. 

Nous faisons un petit tour à terre dans l’après-midi, essentiellement à la recherche d’un mécano capable de réparer notre groupe électrogène qui s’est remis à tousser avant de s’étouffer, lorsqu’il tourne avec le dessalinisateur. C’est un soucis que nous devons régler si nous voulons continuer à avoir de l’eau douce ! Chance, il y en a un … pas de chance, son agenda est over-booked… et la marina qui vend du diesel attend encore sa livraison.

Deuxième impression : nous en sommes convaincus. 

Au moins, la plus vieille ville du comté de Talbot est splendide. Établie vers 1600, elle était le comptoir commercial des fermes de tabac et des trappeurs. En 1672, l’Église épiscopale du Christ de la paroisse de l'archange de St Michael, rien que ça, est fondée le jour… de la Saint Michel. C’est ainsi que le village prend ce nom. En 1778, un agent terrien britannique, James Braddock, y achète 20 acres qu’il divise en 58 lots à revendre. C’est ainsi qu’est créé le centre historique actuel, St Mary’s Square.

Dans ses débuts, la ville était surtout Méthodiste avec la venue d’un prêtre itinérant. Braddock offrit donc une parcelle pour y construire une église Méthodiste.

Les chantiers navals ont commencé à fleurir, on en comptait jusqu'à six pendant la Guerre de 1812. Ils avaient pour spécialité de construire d’élégantes et rapides goélettes, les schooners, qui reçurent plus tard le prestigieux surnom de Baltimore Clippers. Ces navires étaient capables d’échapper aux pirates comme aux marines étrangères. Plus tard, ils furent utilisés comme navires privés armés, porteurs d’une lettre de marque du gouvernement américain. Ils étaient ainsi autorisés à capturer puis monnayer les navires ennemis auprès de l’amirauté, devant le fameux tribunal des prises. Cette façon de naviguer à gage était honorablement considérée comme une combinaison de « patriotisme et de profit », contrairement aux pirates ; même travail mais avec la reconnaissance de la nation !

La ville joua son rôle dans la Guerre de 1812 lorsque, en 1813, la flotte britannique de l’Amiral Cockburn la choisit comme cible, en vue de détruire son point stratégique : les chantiers navals. Le 10 août 1813 avant le lever du jour, la Bataille de St Michaels débutait. Les Britanniques débarquent, s’emparant rapidement de la batterie d’artillerie avant de retourner à leurs navires. Ils bombardent alors la ville depuis des barges escortées par un brick. Étrangement, ils ne font que très peu de dégâts et ne touchent pas les chantiers navals. On ne connaitra le fin mot de l’histoire qu’un siècle plus tard. On raconte que les habitants, rusés, ont protégé la ville et ses chantiers en allumant des lanternes dans les bois, derrière la ville, trompant ainsi la visée des bateaux. St Michael est ainsi connue comme the Town that fooled the British (la ville qui a leurré les Britanniques), depuis la commémoration de la bataille en 1963.

Après la guerre, c’est le déclin des chantiers navals. Mais la ville est sauvée par le développement de l’ostréiculture. Vers la fin du XIXème siècle, chaque maison du village comptait au moins un membre impliqué de près ou de loin dans l’industrie de la pêche. L’une de ces entreprises, Coulbourne et Jewett, est plus particulièrement connue pour avoir été fondée au début du XXème siècle par des Noirs. Ils lancent sur le marché la viande de crabe bleu, son succès est toujours d’actualité ; ils ont presque réussi à détrôner les huîtres.

Navy Point, les maisons historiques.  
Face aux maisons, quelques bateaux d'époques.  

Lundi, nous allons approfondir la visite de la ville en commençant par le Musée Maritime la Baie de Chesapeake ; un incontournable paraît-il. Sans le savoir, nous marchons sur les pas de Coulbourne et Jewett. Le musée s’est installé dans la conserverie des fameuses boîtes de viande de crabe. Le musée fut ouvert en 1965, il abrite un chantier naval et décrit toute l’histoire maritime de Chesapeake Bay. Un bâtiment séparé est dédié à la chasse sur l’eau, mais le clou de l’exposition reste le fameux phare de Hooper Strait qui fut posé là sur la terre ferme.

Le chantier naval pour navires ... anciens .
Le musée  

Je voulais surtout voir le phare, mais nous nous laissons emporter par l’ensemble du musée. Nous sommes plongés dans un autre temps : celui de nos arrière-grand-parents, grand-parents et parents, parfois même celui de nos jeunes années.

Le phare et sa première lentille de Fresnel. 

Le phare de Hooper Strait se trouvait entre les îles Hooper et Bloodsworth, à l’entrée du Tangier Sound. En 1879, il remplace un premier phare sur pilotis, détruit en 1867 par la banquise. Pour qu’il ne subisse pas le même sort, il est monté sur des pieux, eux-même vissés dans la vase. C’est le même principe que celui des ancres à vis dont on fait grand cas écologique aujourd’hui, nous n’avons pas inventé grand chose…

Il est désactivé en 1966 et déplacé à St Michaels en 1967. La baie comptait approximativement 70 de ces phares aussi magnifiques que romantiques.

Je serais bien partie pour "la route des phares" ...  

La visite terminée, nous retournons vers le petit centre ville, retrouver les maisons victorienne toutes en couleur.

Nous déjeunons sur une terrasse aux fontaines d’eau bien originales, presque belges ! Moules frites pour moi, évidemment, et pizza pour Yves (évidemment aussi ?).

Nous continuerons notre promenade, il faut digérer maintenant, le long de la rue principale. Il y a moyen de déguster le vin de la région, la bière de la région et le gin de la région !

Entre bière et vins, nous choisissons les vieilles voitures. 

Nous optons plutôt pour le petit Motor Museum, découvert par hasard. Deux femmes nous accueillent dans le grand hangar. Des voitures privées d’un autre temps viennent hiverner ici, la collection évolue au gré des propriétaires qui trouvent ici un garage à bon prix. Moyennant un autre petit prix, il est possible de les admirer ; gagnant-gagnant ! Il y a là quelques jolis spécimens, dont plusieurs variations autour de la Ford modèle T, du pickup agricole au camion de pompiers. Les belles anglaises sont toujours aussi charmantes, il y a d’ailleurs une Austin Healey qui plaisait bien à mon père !

Nous retournons au bateau pour rejoindre le quai de la marina, le diesel est enfin arrivé ! Après une bonne nuit de repos, nous pourrons continuer le périple.

En route vers un autre phare, peut-être ! 
25

Mardi 8 novembre, nous descendons la rivière et l'Eastern Bay vers 06h30. Le vent est en pleine forme, 20 à 25 noeuds du nord, parfait pour notre route vers le sud. Grand-voile et génois bien arisés, nous filons 7 à 9 noeuds sous un grand soleil frisquet.

C'est vraiment un paradis pour la voile, un peu technique et beaucoup de plaisir. 

Vers 16h00, nous arrivons aux îles Solomons, à l’entrée de la rivière Patuxent. Nous nous enfonçons dans le dédale des petites îles jusqu’à trouver notre mouillage en face d’une des majestueux phares.

Entre haut-fonds et marina, faut trouver le mouillage. 
Nouveau voisin de mouillage, petit phare que j'aime tant! 

Aussitôt l’ancre mouillée, Yves part avec notre groupe électrogène, encore lui, vers une marina où un mécano pourrait travailler dessus et voir de quelle grippe il souffre vraiment.

Pendant ce temps, je creuse un peu l’histoire locale. C’est après la Guerre Civile (connue aussi, plus au sud, sous le nom de Sécession ou d’Agression du Nord…) que l’entrepreneur Isaac Solomon, originaire de Baltimore, voit un potentiel de fortune à l’embouchure de la rivière. Nous sommes en plein boom de l'huître et il veut en tirer parti. Il crée une communauté où tout tourne autour de l’huitre : bateaux, wharfs, entrepôts, et logements pour les employés. Mais Isaac était un visionnaire trop pressé et son commerce s’effondra, les coquilles d’huitre devinrent sable. Les marins de l'île ramassèrent ce sable et firent de l'île une perle pour la communauté maritime. Les marinas ont poussé comme de la mauvaise herbe et l’on y trouve tous les services nécessaires pour une bonne escale. Nous sommes à l’abri de la surpopulation, c’est l’avantage de naviguer en novembre. Malgré tout, nous sommes quatre voiliers au mouillage, toujours des Canadiens et Américains qui font route au sud, vers les Bahamas. Ils portent ainsi le joli surnom de snowbirds, comme les oiseaux migrateurs… et comme nous, finalement !

Nous nous promenons jusqu’à la pointe de l'île Salomon, qui est en fait une presqu’île entourant des iles plus petites. Nous n’entrons pas dans le musée maritime, celui de Saint Michaels est le plus beau, parait-il.

Comme toujours, c'est splendide. 

Nous récupérons le groupe électrogène en fin de journée. Le mécano lui a nettoyé l’essence et changé sa bougie … faut y croire. Comme c’est un groupe 220 V et que, ici, tous les appareils sont en 110 V , il n’a pas pu le tester au travail en charge.

Comme tous les oies, c'est la grande discussion des oies, et nous ne nous en lassons pas !  

Jeudi, nous traversons la rivière Patuxent vers 06h30 pour retrouver la baie de Chesapeake. L’ouragan Nicole remontant la côte Est des Etats-Unis, nous devons nous mettre à l’abri. Je trouve une petite crique qui semble bien protégée, la seule d’ailleurs sur la côte ouest de la baie.

Lydia, membre de l’OCC qui connaît bien le secteur et chez qui nous nous rendons, confirme que nous y trouverons un bon abri.

Départ de bonne heure, les voiles se disputent la place. 

Nous prenons un ris dans le génois pour commencer, puis le grand genaker refait son apparition, avant de terminer notre route avec les voiles en ciseaux pour atteindre l’entrée de la rivière vers 15h00. Nous parcourons le chemin sinueux au moteur, guettant les haut-fonds-surprises. Vers 16h00 nous trouvons notre petit refuge de Mill Creek, en plein milieu de la campagne.

Le tracteur fait ses dernières heures avant le mauvais temps. 

Vendredi, comme prévu, Nicole passe, et même au loin, nous en sentons bien les conséquences : il pleut fort, très fort. Mais nous sommes bien à l’abri du vent sur notre petit étang entre les champs et les forêts.

Ne nous laissons pas abattre par le mauvais temps. 

Samedi 12 novembre, nous appareillons vers 06h00 sous une lumière bien différente de celle de la veille.

Ce n'est pas un légende " après la pluie vient le beau temps". 
Et une autre belle journée de voile. 

Vers 13h00 nous nous offrons une halte pour faire le plein d’eau « dessalée » ; il faut quand même s’assurer que notre générateur ne tousse plus.

Nous profitons aussi de la chaleur inatendue, ça ne va pas durer . 

Fausse joie, sa bougie neuve n’a pas soigné son mal, il tousse encore après une heure de bon service. Nous repartons un peu peiné mais peu importe, nous allons enfin rencontrer Lydia, la petite soeur américaine d’Yves. Enfin… la presque soeur américaine. Voici l’histoire qui débute avec un commentaire sur la page Facebook de notre club de navigateur océaniques. Lydia, également membre, remarque son nom et envoie à Yves un mail de plus amusants : « - Êtes-vous cet Yves Jourdan qui fut étudiant en échange chez nous, étant jeune ? Si oui… j’étais la petite soeur ! »

Il s’avère qu’Yves n’est jamais allé aux USA si jeune et encore moins en famille d’accueil, il a dû se contenter de la froide Angleterre ! S’en suit pourtant un échange de mails amusés et une invitation à passer chez eux sur notre parcours, nous offrant même une place sur leur ponton.

Remontée de la Rappahannock River, passage sous le pont, entrée dans la baie, quelques virages trompeurs ... et  
Nous mouillons devant le ponton de Lydia et Bill. 

Voilà comment nous arrivons, après une superbe journée de voile, dans une crique perdue le long de la rivière Rappahannok. Nous refusons le plus diplomatiquement possible la proposition de ponton. Nous ne connaissons pas les hauteurs d’eau, c’est un haut ponton fixe avec de gros pilotis et le vent de la nuit va nous pousser contre, assez fort. Le mouillage dans 5 mètres d’eau nous paraît beaucoup plus sûr.

Elle nous attend quand même ! MiniVaS fait le fier en accostant au ponton, face à leur énorme trawler. Avec l’âge, ils sont « passés du côté obscur », délaissant la voile et les courses au large pour le confort du gros bateau à moteur.

C’est le moment des embrassades et des émotions, vous pouvez comprendre, retrouver quelqu’un après tant d’années sans jamais l’avoir connu ! Il y a de quoi y laisser une larme.

Après cet accueil incroyable, Lydia et Bill nous proposent de venir dîner chez eux, le soir même ; ils ont prévu d’autres invités avec nous. Nous mettons nos plus beaux habits et passons une soirée très sympa, autour d’une viande grillée au barbecue et d’un bon vin rouge.

Les dîners suivant les horaires d’un souper belge, nous commençons vers 17h30 et nous sommes de retour relativement tôt à bord. Dans la nuit le vent tourne et forcit, cela faisait bien longtemps que ça ne nous était pas arrivés, mais notre ancre chasse. Rien de grave, le sixième sens d’Yves précède son alarme GPS de quelques minutes et nous remouillons, en donnant davantage de chaîne.

Et toujours les belles couleurs de l'automne.  

Bill sourit en apprenant notre mésaventure et nous propose une fois encore une place sur son énorme ponton. Mais nous refusons toujours.

Bill et Lydia nous amènent chez leur ami mécano avec notre générateur. Peut être sera-t-il meilleur médecin ? Ils nous offrent en prime une visite des alentour : tous les supermarchés et les belles boutiques, la station essence qui vend de l’essence sans maïs, les bons restaurants et les magasins de bricolage où l’on trouve de tout… Ils sont très fiers d’habiter à moins de dix minutes de tout et son contraire dans cette région qui était à l'époque recouverte par la culture du tabac.

Lundi, nos hôtes partent vers Richmond pour voir LE match de basket de l’année avec des amis. Le dernier match n’était pas terrible et ils espèrent une belle rencontre. Leur retour est prévu pour mercredi matin. Pendant leur absence, ils nous offrent leur maison grand ouverte, ainsi que leur pick up truck pour faire nos courses et aller prendre des nouvelles de générateur.

La bouteille de gaz nous accompagne, un petit remplissage ne lui fera pas de mal, ainsi que les jerricans de gazole vides. Il est temps également de faire le plein de provisions.

Ponton de luxe. 

Sur la route nous voyons Bill faire demi-tour… leur match est annulé, il y a eu une fusillade la veille. Apparement un étudiant déçu est devenu fou et a tiré sur cinq joueurs. C’est ça aussi l’Amérique !

Jessie le mécano est un personnage haut en couleur. Noir de Louisane, c’est un Créole de carte postale, portant le verbe haut et le pistolet à la ceinture. Après un instant de surprise, on se dit qu’il n’a peut-être pas tout à fait tord ? Pour autant, il n’a pas encore fini d’ausculter notre groupe électrogène, il nous donnera des nouvelles dans la journée. En attendant il nous fait l’éloge de son propre perfectionnisme et se targue de connaître un spécialiste des petits moteurs, encore plus pointu que lui. Une fois encore, il nous faut bien le croire. Pendant que notre linge se refait une beauté dans la buanderie de qualité industrielle de Lydia, nous remplissons le caddy. Et pendant que notre lessive sèche, nous profitons du wifi et du grand confort de leur maison.

Leur propriété est magnifique, un ponton donne sur une crique à l’arrière, pour les petites embarcations et leurs moments de pêche. A l’avant, un énorme terrain les sépare de la route, sur lequel j’aurai bien vu deux ou trois chevaux brouter paisiblement autour de leur piscine. Mais il n’y a pas de chevaux : à la place, ce sont des chevreuils sauvages qui passent sur leur terrain, ou des renards et parfois des coyotes. Nous apercevons un jeune cerf magnifique, à l’orée des bois.

Le soir, ils nous emmènent dans un petit restaurant bien local. Je goûte enfin le fameux Chesapeake’s crab cake si réputé. C’est délicieux mais très copieux.

Comme leur match est annulé, nous leur proposons de venir à bord le lendemain pour partager notre déjeuner. Je me lance dans la préparation de pâte à lasagne et de tout ce qui va dedans. La pluie cesse gentiment de tomber lorsque Yves va les chercher au ponton. Elle reprend de plus belle une fois nos invités partis. Il faut quand même qu’il pleuve de temps en temps, au moins il fait un peu moins froid. En attendant le sud, nous vivons dans la douce chaleur du chauffage du bord. La nuit il ne fait pas plus de 3 ou 4 degrés. Cette fois-ci l'été indien semble nous avoir quitté pour de bon. Il va être temps de bouger si nous ne voulons pas voir la neige recouvrir MedioVaS. les oies ont raison ...

Puis ce sont enfin des nouvelles de notre groupe électrogène : Jessie va le ramener chez Bill. Il a demandé assistance auprès de son spécialiste et, apparemment, il fonctionne à merveille, après le nettoyage complet de son carburateur et le changement des gicleurs.

Une belle fenêtre météo s’annonce pour jeudi, ce qui nous permet d’accepter le dîner de mercredi soir en ville avec Lydia, Bill, deux autres couples membre de l’OCC et le Commodore de l’OCC lui-même avec sa femme, Simon et Sally. La soirée est très animée et les discussions tournent atour des aventures de chacun sur des voiliers bien entendu. Nous apprendrons que Simon et Sally, qui arrivent du Groenland sur le grand Shimshal II prennent la même route que nous. Enfin des marins qui ne vont pas aux Bahamas ! Bon, ils ne sont ni Canadiens ni Américains, mais Anglais, résidant au Pays de Galles. Leur mât est trop trop haut et leur quille trop profonde pour naviguer dans l’Intra Costal, il devront faire le tour par l’océan uniquement. Nous les reverrons certainement à Norfolk, lors de notre prochaine escale.

La fine équipe, Lydia et Bill tenant la marque de l'OCC.  

Cela fait bientôt cinq jour que nous sommes chez Lydia et Bill. Ce sont de grandes embrassades et d’infinis remerciements pour cet accueil royal. Lydia, qui n’en pas vraiment l’âge, est bien devenue notre petite soeur américaine, finalement. Nous les croiserons peut-être le long de l’Intra Costal, ils prennent également le départ vers le sud, après Thanksgiving.

Quelle escale incroyable ! 
26

Le jeudi 17 novembre, nous quittons notre famille américaine vers 07h00. Nous ne sommes pas seuls à la sortie de la baie donnant sur la rivière Rappahannock : les haut-fonds sont envahis par les pêcheurs de crabes. Normalement, la pêche est finie à cette saison ; il paraît que le crabe s’enfonce dans la vase pour l’hiver. La technique de pêche ancestrale est assez particulière, même si les moyens modernes sont à disposition. Une énorme pince est mise à l’eau depuis le bord des bateaux à fond plat. Le bateau tourne autour de la pince qui racle alors le fond, la pince est ensuite relevée et le crabe bleu est récolté.

La pêche aux crabes bleus 

Sous voiles, nous restons vigilants et naviguons en zigzaguant. Une fois le pont de la rivière franchi, la brise fraichit jusqu'à 20 noeuds. Nous envisagions de passer la nuit dans une crique à la sortie de la rivière, mais MedioVas file pas du tout disposé à s’arrêter.

Premier dauphins depuis longtemps , ils nous disent de continuer notre route.

Alors nous suivons le mouvement. Avec quelques ris dans les voiles, nous continuons la descente de la baie vers une autre crique qui semble bien abritée, la dernière avant Norfolk. La journée est magnifique, la navigation rapide et l’on passe devant les beaux phares de la région. Nous embouquons la rivière Poquoson et atteignons Chrisman Bay vers 16h30. Nous retrouvons de drôles de cabanes dans l’eau, postes d’observation ou postes de chasse aux canard ?

Amis à plumes, vous avez deux options : se pavaner ou se planquer. Dans le doute, je choisirai la deuxième.

Deux autres voiliers ont eu la même idée. Le soleil couchant colore le rivage en rose pale. La nuit sera très calme. Simon le Commodore et Sally espéraient nous retrouver à la baie précédente ; nous les croiserons plus tard.

Vendredi, nous nous réveillons dans le froid, le thermomètre extérieur annonce 0 ℃. Heureusement, le chauffage du bord nous préserve des engelures. Bien couverts, nous partons vers 07h00, comme souvent, quand le soleil se lève.

Il fait bien frais ce matin. 

Aujourd’hui, pas de ris : le vent a du s’essouffler. Dans 10 noeuds de brise, nous quittons la baie de Chesapeake, pour de bon cette fois-ci. Escorté par une frégate américaine, nous passons au-dessus du tunnel sous-marin qui relie Hampton à Norfolk.

Nous virons à gauche dans la rivière Elizabeth. Pas d’erreur, nous sommes bien à Norfolk. Je n’avais jamais vu de porte-avions de ma vie, je suis gâtée. C’est un vrai parking ! On dit qu'à moins de dix porte-avions, le port paraît vide. Nous en comptons une bonne dizaine, qui font presque oublier les portes-hélicoptères, plus petits avec seulement 40 000 tonnes…

Nous sommes certains d'être à Norfolk ! 

Nous poursuivons la remontée de la rivière car nous sommes attendus au ponton de Greta et Garry, les OCC Port Officers de Norfolk. Ils habitent dans un bel immeuble où chaque propriétaire d’appartement dispose d'une place au ponton. En cette saison, les pontons sont vides et laissés à la disposition de Greta pour accueillir les membres de l'OCC en escale, en échange d’une bouteille de vin ou d’une boîte de chocolats… Nous sommes gâtés et nous ne regrettons pas notre deuxième année d’adhésion. Simon et Sally arrivent un peu plus tard, sur leur grand Shimshal II.

Avant de manger (encore !), nous partons nous dégourdir les jambes et faire un rapide petit tour du voisinage. Non seulement nous avons une place au ponton, mais celui-ci se trouve au coeur du quartier historique, de grandes et belles demeures le long de rues pavées.

Le soir, nous sommes invités pour souper (oui, elle a promis une soupe). Évidement, nous parlons voile, baie de Chesapeake, Norfolk et Intra-coastal.

Samedi, nous partons seuls visiter Norfolk.

Tout petit jardin oriental face à un ancien bassin de pêche, réhabilitation de la ville ...

Aussitôt sortis du quartier historique et après avoir traversé la Pagode et le Jardin Oriental, nous tombons face à face avec un géant des mers, un symbole de la puissance navale américaine, le dernier cuirassé construit aux ÉtatsUnis, l’USS WISCONSIN.

Un vrai cassé-tête pour lui faire une place au ponton à côté du musée. 

Ce vétéran de la bataille du Pacifique, de la guerre de Corée et même de la guerre du Golfe, commença sa carrière en 1944. Il prendra sa retraite en 2006 et deviendra un musée.

Devant le majestueux, un petit parc à l'honneur des hommes ayant servis le pays.  

Le Wisconsin porte l’étrange surnom de WISKY, un trait d’humour assez américain. En 1956, l'USS Wisconsin entre en collision avec l’USS Eaton, au large de la côte de Virginie, un jour de brume particulièrement épaisse. Le Eatonperd sa quille et sa salle des machines est inondée. Il est immédiatement remorqué a Norfolk. Quant au Wisconsin, il rentre par ses propres moyens vers le chantier naval. Tout est mis en oeuvre et l'exploit pour sauver l'USS Wisconsin est réalisé. Ils vont récupérer l’étrave du croiseur Kentucky, navire dont la construction fût interrompue étant donné que la guerre était terminée. Cent quarante tonnes et soixante-huit pieds d’étrave ont ainsi été déplacés d’un bateau à l’autre. En seize jours seulement, l’USS Winsconsin retrouvait la mer et partait pour l’Espagne. C’est à cette occasion que l’équipage lui donne son nouveau surnom : l’arrière du WISconsin et l’avant du KentucKY forment désormais le WISKY !

L'USS Wisconsin après la collision. 

Nous passons ensuite beaucoup de temps dans le Mémorial Mac Arthur. Greta nous en avait parlé la veille, c’est bien plus intéressant qu’attendu. Le mémorial fut érigé en 1961, pour abriter la tombe du général Douglas Mac Arthur et de sa femme.

Le Général reçu trois fois la Médaille d’Honneur pour ses campagnes aux Philippines. C’est la première fois que père et fils reçoivent tour à tour une médaille d’honneur. Arthur Mac Arthur Jr, son père, s’etait déjà fait remarquer, guerre après guerre : pendant la guerre de Sécession (en 1862, dans le camp de l’Union, évidemment), dans les guerres indiennes (en 1897), au cours de la guerre contre les Espagnols en Georgie (en 1898) et par ses exploits aux Philippines (en 1901).

Son fils Douglas suivit un parcours aussi brillant pendant la Première et la Deuxième Guerre Mondiale, puis lors de l’occupation du Japon et durant la guerre de Corée.

En visitant le musée du mémorial, nous parcourons toute l’histoire de ces périodes bien tumultueuses… tout en révisant nos connaissances éparses !


En cherchant notre chemin vers le quartier des « artistes de rue », NEON District , nous nous retrouvons avec peine dans l’immense parking l’entrée du centre commercial Mc Arthur, énormissime, évidemment !

Cela nous rappelle que c'est bientôt Noël. 

Yves cherche un petit cadeau pour notre hôte du lendemain, qu’il ne trouvera pas, la moitié des boutiques ont fait faillite lors de l’épidémie, c’est assez lugubre. En revanche, il y là un guichet de change qui accepte nos dollars canadiens. Après avoir parcouru les trois étages dans tous les sens, nous retournons à notre quête artistique.

Il est vrai que le quartier se nomme NEON, et devient plus intéressant la nuit, lorsqu'il s'illumine. 

Le quartier en soi est plutôt décevant, il y a bien quelques dessins sur les murs mais rien de transcendant. Pour nous dépayser un peu mieux, nous entrons dans le grand magasin Bob’s Guns.

Yves tient à y faire une incursion, pour vérifier cette légende des armuriers américains . Alors allons-y : c’est impressionnant et un peu flippant, ce supermarché et toutes ces armes en rayon. Yves teste le vendeur pour savoir s'il accepterait de nous vendre nous vendre une arme, sachant que nous sommes étrangers. Après réflexion, c’est non : il faut être résident, au moins. On sent que le vendeur est très déçu de ne pas pouvoir nous refourguer un ou deux fusils ; sans la présence de son manager, qui sait ce qu’il aurait accepté comme justificatif… En rebroussant chemin, nous nous rabattons sur le marchand de macarons et nous en prenons un grosse boîte pour Aurélie, elle aura ainsi le gout du pays !

Arrêt de tram bien pittoresque, le Chrysler Muséum et l'ancienne bibliothèque.  

Le chemin du retour est parsemé de demeures somptueuses. Je tente ma chance aux abords du Wisconsin pour une petite visite, mais les portes du musée ferment dix minutes plus tard. Ce sera pour une autre fois. J’y apprends en écoutant parler les locaux que, le soir-même, c’est la grande parade dans les rues du centre-ville.

De retour au ponton, nous retrouvons deux voisins de plus, Canadiens membres de l’OCC. Tout le monde parle « parade », qui signe le début de la saison et des festivités d’hiver. Nous ne pouvons pas manquer cet événement ! le rendez-vous est fixé à 18h45.

Petit échantillon... 

La parade est interminable, tous les corps de métier y sont présents, toutes les écoles défilent, et tous les commerces se montrent pour faire leur publicité. L’ambiance est bon-enfant, les fanfares de lycéens font de leur mieux… Le clou du spectacle se trouve dans le public : notre voisine de trottoir afro-américaine hurle ses encouragements à chaque démonstration de danse ou de muscles : « - You’re doiiiiiiing well guyyyyys ! - You’re looookking good ladies ! - Keep it on, keep it on ! ». Son euphorie est émouvante et contagieuse.

Quand arrive enfin le père-Noël et ses elfes tous blancs de blancs, c’est le signe que la parade se termine et tout le monde rentre chez soi. Nous n’oublierons pas ce samedi 19 novembre à Norfolk.

Sur le chemin du retour, Nous découvrons l'USS Wisconsin tout en lumières.  

Dimanche, c’est une toute autre journée qui nous attend. À Norfolk se trouvent the base navale (la plus grande d’Amérique, à peine récemment détrônée par la Chine au premier rang mondial) et une tout aussi gigantesque base aérienne. Mais il y a aussi un des deux grands commandements de l’OTAN, le pendant du Shape en Belgique. Yves retrouve ainsi une camarade officier de marine qui vient d’y être affectée. C’est une connaissance de longue date qui a tenu plusieurs des postes qu’Yves avait occupés, puis a servi avec lui au Shape, ils se sont ainsi croisés régulièrement.

Aurélie et Frédéric, son mari lui aussi ancien marin, viennent gentiment nous cueillir à la porte de notre ponton privé à 11h00. Nous traversons tout Norfolk pour arriver à Virginia Beach. Cette fois-ci, la discussion tourne davantage autour de la marine, mais également de la vie de famille en Amérique et de celle dont ils rêvent, en voyage. Ils habitent une jolie maison américaine, beaucoup plus vaste qu’elle ne paraît de l’extérieur. Surprise en entrant, les étages y sont inversés : en bas les chambres, en haut la « cuisine-salle-à-manger-salon » avec, évidemment, une grande terrasse pour le barbecue. L’air est frais et nous goûtons la chaleur d’un feu de « fausse cheminée ». Mais que c’est agréable de contempler les flammes, on se croirait en hiver. Après un délicieux steak grillé, des frites et du pain maison (et quelques macarons jalousement partagés par Aurélie), nous nous couvrons bien et partons à pied découvrir le quartier. En moins de cinq minutes, nous sommes dans un parc au bord d’une rivière puis, le long de l’océan, sur une immense plage de sable blanc, juste à l’entrée de Chesapeake Bay. Nous découvrons cette porte vers l’Atlantique Nord, que finalement nous ne prendrons pas sur MedioVaS.

Une fois encore, des retrouvailles inattendues. 

Après cette belle visite de Virginia Beach, nous remontons dans leur voiture familiale pour aller retrouver notre voilier, en faisant une petite escale pour remplir nos bidons de gazole pas trop cher en passant. Merci les amis d’Amérique !

Sur le ponton, nous croisons Michelle et Ian sur Mahina, ils partent le lendemain et nous aussi. Après concertation avec ces fins connaisseurs du voyage vers le sud, nous décidons de partir ensemble vers les Intra Coastal Waterways, les fameuses ICW.

A bientôt le long de l'ICW ! 
27

The Intracoastal Waterways

Ça y est, nous sommes à la porte d’entrée de cette voie maritime intérieure, bien connue des Canadiens et Américains mais un peu moins des Européens. La voie est empruntée par les « snowbirds », ou oiseaux migrateurs. Ce sont ceux qui fuient l’hiver pour retrouver la chaleur tropicale des Bahamas ou de la Floride et inversement.

Sa création fut décidée par le Congrès américain en 1919, afin d’offrir aux navires avec un tirant d'eau de 3,7m une route sûre et protégée, leur évitant de lutter contre le Gulf Stream qui longe la côte, ou contre les coups vents de nord particulièrement violents qui s’opposent à ce même courant. La voie part officiellement de la rivière Annisquam, dans le Massachusetts, passe par le nord de Boston, longe toute la côte Est puis contourne la pointe Sud de la Floride pour terminer à Brownsville, au Texas.

ICW 

Tout ceci semble merveilleux. Dans la réalité, lorsque l’on parle de l’Intracoastal, on parle essentiellement de la portion réellement navigable, celle qui va de Norfolk, en Virginie, jusqu’à Miami, en Floride. Et même sur ce trajet, elle n’offre pas toujours la protection et la sécurité tant attendues. Ses petits noms sont nombreux : the Inland Waterway (la voie dans les terres), the Ditch (le caniveau), Inside (dedans), the Intercoastal (l’inter-côtes) ou simplement son acronyme : the ICW.

En commençant la préparation de la navigation dans l’ICW : livres, guides, applications, Google, ... on tombe très vite devant de nombreux « mais » et « cependant ». Nous devrons être prudents, afin d’éviter tous les pièges de cette voie qui semble si paisible. Très vite je trouve une page Facebook qui regroupe ses usagers, donnant et recherchant des conseils actualisés. L’un des membres nous dirige vers Skipper BOB423. Bob le capitaine navigue constamment du sud au nord et du nord au sud, et partage sa trace telle une limace sur du carrelage à qui veut bien le suivre. Cette trace est téléchargée sur nos lecteurs de cartes électroniques et nous rassure un peu, sans pour autant nous éviter tous les dangers, notre tirant d’eau étant un peu plus important que le sien… Il faut dire que la voie est limitée par ses nombreux ponts à des voiliers de taille moyenne, donc des tirants d’eau limités, ce qui n’est pas le cas du nôtre.

À quoi devons-nous nous attendre ? L’ICW se compose de baies, de rivières, de détroits naturels et de canaux creusés par l’homme que l’on appelle les cuts. Ces cuts sont souvent très étroits, reliant deux sections plus larges à travers terre, créant ainsi un raccourci. Il faut donc oublier l’image d’un long canal qui longe la côte, coincé entre des arbres et aux hauteurs d’eau hasardeuses. L’ICW c’est de l’eau qui circule naturellement entre baies, criques, rivières. On y trouve des haut-fonds, mais également des bassins bien profonds. Par endroits, la marée est inexistante, alors qu’elle peut être très importante dans d’autres. Les courants associés peuvent être forts, il faudra faire attention aux vents qui soufflent contre eux. Le long de l’ICW, il y a des voies d’échange vers l’océan, ce sont les inlets. Ils entraînent volontiers des perturbations de fond ou de courant, certains sont larges et bien balisés pour les navires de commerces, d’autres sont trop dangereux pour naviguer, même avec un voilier, nous devrons bien les étudier lors de nos éventuels sorties vers l'océan.

Des dizaines de ponts passent par dessus, la plupart sont suffisamment haut pour que notre mât et ses antennes passent dessous, d’autres sont très bas et s’ouvrent, se lèvent, pivotent ou basculent.

Les distances sont longues entre deux escales toujours incertaines, le temps de parcours s’allonge au fil des ouvertures de ponts à heures fixes ou sur demande (avec des créneaux pendant lesquels ils n’ouvrent pas, lorsque le traffic routier est important), les courants ne sont pas toujours en cohérence avec les marées, les miles notés sur les documents nautiques ne sont pas des milles mais des status miles, les miles terrestres américains (1 mile pour 0,85 milles)… Pour couronner le tout, le balisage déjà inversé aux Amériques change de sens au grés des entrées de port. Cela nous promet une navigation particulièrement technique ! Ne cédons pas devant les « mais » : l’ICW, c’est avant tout de l’eau, profonde ou pas, bleue, verte, grise ou marron, plate ou agitée au gré des vents et des courants, traversant des états riches de couleurs et d’histoire. C’est une navigation passionnante qui nous fera admirer une faune et une flore aussi variées qu'inconnues et qui nous conduira d’une zone tempérée au climat subtropical. Ça y est : nous sommes prêts pour la portion Est de la Great Loop, la grande boucle « fluviale » qui parcourt la moitié des USA.

Première journée.  

Nous avons convenu avec Michelle et Ian, sur Mahina, de partir tôt. Ils connaissent bien cette route, ce sont des snowbirds expérimentés. Nous commençons directement par un défi : le pont de Gilmerton (5,8mi) n’ouvre pas entre 6h30 et 8h30, pour ne pas congestionner le traffic routier. À 05h00 le 21 novembre, les moteurs ronronnent, nous larguons les amarres et entrons dans notre nouvelle aventure sur la rivière Elizabeth. Il fait nuit noire, mais la ville et ses ports brillent de mille feux ; nous restons sur nos gardes. Mahina nous suit, nous devons être devant le pont avant 06h30 pour espérer une ouverture. Nous suivons les méandres de la rivière, quelques pêcheurs amateurs s’aventurent déjà avant le lever du jour, malgré le froid qui pince, il fait à peine 1℃. Aux premières lueurs du jour, le pont apparaît devant nous. Il n’est pas encore 06h30, et Mahina tente sa chance à la radio. La réponse du maître de pont est vaseuse, en gros il ne veut pas ouvrir. Yves prend le relais, pendant que, sans que nous le sachions Michelle les appelle au téléphone. Ouf, il se décide à bien vouloir ouvrir le pont pour nous, cela nous permettra peut-être de parcourir les 61,5 miles prévus pour la journée.

Nous laissons le Dismal Swamp sur notre droite, ce passage étroit et mal entretenu n’étant vraiment pas adapté à la quille de MedioVaS.

Première vue de l'IWC, à la lumière du jour. 

Nous enchaînons avec l’écluse, 5mi plus loin, qui ouvre aux heures pile. Une brume légère s’invite au lever du soleil, l’atmosphère se fait mystérieuse, l’entrée dans l’ICW est magique.

En attendant que l'écluse ouvre, on papote avec Mahina.  
La brume apparaît. 
La promesse semble déjà être tenue, c'est magique. 

Sortis de l’écluse de Deep Creek, nous entrons dans le canal Albemarle et Chesapeake, Nous ne sommes plus soumis aux marées ni aux courants. Nous devons maintenir une bonne allure et faire des calculs pour arriver aux bonnes heures d’ouvertures des différents ponts, certains ouvrent aux heures rondes, d’autres aux demi-heures, les plus simples restant ceux qui ouvrent sur demande. Pour notre première journée, nous sommes servis : nous aurons huit ponts ouvrants à franchir.

De nouveaux camarades de parcours. 

Vers 09h00, d’autres bateaux arrêtés le long de la rivière se joignent à nous, dont Intuition que l’on avait rencontrés aux Îles Salomon en baie de Chesapeake. Une petite caravane se forme. Les autres avancent vite, nous devons augmenter notre régime moteur pour rester en formation.

Le paysage défile, tantôt une forêt, tantôt un vaste marécage. La température augmente doucement pour atteindre péniblement les 12℃. Une partie de la caravane nous abandonne à Coinjock, dont nos amis de Mahina. Nous comprendrons pourquoi pour la suite : c’est le poste essence le moins cher de tout le trajet ! Nous poursuivons encore un peu pour mouiller notre ancre près de la crique Broad dans la rivière North, entre les bouées de casiers. La rivière est large, par ici, le vent semble vouloir se reposer, nous aurons une nuit tranquille.

Coinjock 
Deuxième journée. 

Au programme du mardi 22, il y a 70mi. C’est ambitieux comme distance, il faut alors prévoir plusieurs plans, différents mouillages possibles sur le papier ; tout peut arriver. Nous partons tôt, dès que le jour commence à apparaitre. Le moteur tourne à 06h00 et nous bénéficions de 8℃. Cest déjà le sud ?

Nous quittons la rivière pour traverser la baie d’Albemarle. Malheureusement, il n’y a pas suffisamment de vent pour la franchir à la voile. Nous embouquons la rivière Alligator, il est 09h30 quand nous arrivons devant le premier pont à ouverture et nous sommes toujours seuls. J’appelle le maître du pont qui rechigne un peu à l’ouvrir pour un seul bateau, mais accepte quand même. Je ne dois même pas attendre, tout est bien synchronisé.

Merciiiii.  

En passant, il commence à me demander l’histoire derrière le nom du bateau… je lui en fais une version très courte tout en poursuivant la route et le remercie, à l’américaine, pour cette ouverture privilégiée.

Le challenge des croisements. Pas de cargo, que des barges et leur beau petit pousseur (remorqueur) qui s'emboite dedans.  

La rivière est large, survolée par d’énormes pélicans, mais pas d’alligators en vue. Nous continuons notre chemin, en respectant bien les bouées et la fameuse trace du capitaine Bob.

Voici à quoi ressemble la carte : sur le papier il y a 3,6m d'eau, dans la réalité il y a 2,9m dans l'étroit chenal dragué.

La température augmente, elle approche les 20℃, c’est le bonheur ! Nous sommes bientôt face au premier long lad cut. Les documents nautiques conseillent de « ne pas y rentrer si vous n’êtes pas certains d’en sortir de jour ». Nous sommes prévenus ! Il est bientôt midi et le cut ne fait que 20mi, nous devrions être à l’aise.

Le cut qui se referme derrière nous. 

Le passage est plus large qu’on ne pensait mais ce n’est qu’une illusion de surface, le canal n’est dragué que sur une étroite bande et pas toujours en son centre. Il faut vraiment suivre la trace de Bob et être attentifs aux indications du guide. Malgré cela, notre quille fait par deux fois connaissance avec le sol américain. Nous avançons à vitesse très réduite, un oeil sur le sondeur et l’autre sur l’eau, il y a également des troncs qui dépassent, signe de l’érosion des berges, pour nous rappeler l’illusion de largeur.

La végétation est splendide, quelques grosses maisons font leur apparition. L’ambiance serait tout à fait paisible, s’il y avait davantage d’eau !

La sortie du cut. 

Vers 15h15, nous sortons du cut pour pénétrer dans la rivière Pungo. Nos amis sur Mahina nous ont rattrapés, ils rallient le premier mouillage conseillé. Nous préférons continuer un peu, tant qu’il fait encore clair. Nous avons repéré un endroit qui devrait bien nous abriter du vent s’il forcit dans la nuit. Entre quelques casiers de pêcheurs, nous ancre finit par se poser vers 16h30. Nous ne sommes pas déçus de notre grande crique.

Une nuit bien au calme nous attend. 


Troisième journée. 

Mercredi 23, c’est presque la grasse-mâtinée, nous virons la chaîne à 08h00 ! Notre trajet du jour est un peu plus court mais toujours parsemé de surprises. Nous profitons d’une légère brise et d’une rivière bien large pour dépoussiérer un peu le génois qui tiendra compagnie au moteur. Nous retrouvons également un peu de courant, portant heureusement.

Enfin un peu de voile pure.  

Nous laissons Belhaven, la rivière Pungo et son cut derrière nous pour découvrir l’anse de Palmico. Nous profitons de son étendue pour mouiller et faire tourner le dessalinisateur avant les prochains passages étroits.

Il y a toujours quelqu'un pour nous guider. 
Encore des arbres, des marécages, des ponts et des villages.  

Nous franchissons le dernier cut de la journée et nous nous enfonçons dans un petit bras de la rivière Neuse, pour y passer la nuit. Le sondeur ne nous rassure pas, il y a tout juste 2,2 mètres d’eau, 10cm de plus que notre tirant d’eau. Les marées sont de retour, on devrait gagner un peu d’eau à marée haute.

Quatrième jour. 

Jeudi 24, c’est Thanksgiving, la fête sacrée aux USA. Pour fêter cela, une famille de dauphins bien matinale nous accompagne et nous guide pour sortir de cette rivière.

Joyeux Thanksgiving ! 

Une fois en eau un peu plus profonde et plus large, nous naviguons sous voile sur la rivière Neuse dans 12 noeuds de vent.

Le bonheur de la voile. 

Arrivés dans le chenal étroit de Beaufort, nous continuons sous génois seul pour limiter la vitesse en cas de haut-fond surprise.

La prudence est de rigueur . 
Dans les environs de Beaufort. 

Vers midi nous arrivons à Beaufort, une grande activité y règne, c’est un week-end prolongé pour les Américains. Fini le calme de la petite caravane de voiliers, nous croisons les pêcheurs, des locaux en sortie avec amis ou famille, des bateaux de commerce…

Beaufort (NC) 

Ça grouille de dauphins, de pélicans, d’oiseaux inconnus. Nous retrouvons une eau beaucoup plus claire et un fort courant venant de l’océan ; Beaufort est un des gros inlets, une porte vers l’océan, sûre et empruntée par les gros cargos. Nous nous rapprochons de Morehead, sous l'île Sugar Loaf pour y mouiller notre ancre. Il est 13h00 et nous avons traversé presque la moitié de la Caroline du Nord. Nous sommes au Sud du fameux Cap Hatteras, un point redoutable par mauvais temps, et du Cap Lokhout. Au mouillage, nous retrouvons Simon, la Commodore de l’OCC et sa femme Sally sur Shimshal II. Nous allons leur rendre visite. Ils nous racontent leur route par l’océan, tout au moteur en luttant contre le Gulf Stream qui vient se frotter fortement au cap. C’est bien la peine… mais ni leur mât ni leur tirant d’eau ne leur permettent l’accès à l’intracostal.

Préparation au mouillage sous Sugar Loaf Island 

Ils nous proposent de passer la soirée à bord d’un voilier américain pour fêter Thanksgiving. Ça ne se refuse pas ! Patty et Peter, autres membres de l’OCC, naviguent vers le Sud sur Serendipitous. Ils ne savent pas trop encore vers où ils vont mais très certainement aux Bahamas pour commencer. Ils nous ont fait vivre LE vrai Thanksgiving, sauf la dinde qui est remplacée par du poulet, faute de four suffisamment volumineux. C’est émouvant de découvrir cette tradition.

Thanksgiving !  

Le lendemain matin, nous avons tous rendez-vous avec la Port Officer de l’OCC, Dianne Tetreault, un nom bien français pour une Texane pur jus.

Shimshal II est venu prendre un poste à la marina mais pas de chance, le voilà échoué. Ça tombe bien, cela faisait plusieurs semaines qu’il cherchait à vider sa caisse à eaux noires car sa sortie est bouchée. Malheureusement toutes les pompes des marinas sont… soit en panne, soit en congé de Thanksgiving.

Je lui propose de rapprocher MiniVaS et avec un furet, il pourrait déboucher la sortie de sa caisse à m….. qui se trouve désormais hors de l’eau. Son échouement devient un échouage et se révèle utile ! Ah ben oui, tiens, il n’y avait pas pensé. Il attrape son furet et Yves approche MiniVaS. C’est un peu longuet mais tout le monde l’encourage dans cette tâche ingrate. Un peu gêné de faire cela en pleine marina, il est quand même bien heureux lorsque le tout se débouche. Maintenant que ce problème délicat est résolu, c’est la tournée de ravitaillement en diesel, en gaz, les courses au supermarché et au magasin de marine. Tout le monde y trouve son compte et les bateaux se retrouvent bien chargés.

Dianne n’est pas vraiment Port Officer, elle est PO Représentative, cela signifie qu’elle n’a jamais validé les 1000 miles au large nécessaires pour devenir membre du club de plein droit. Pour autant, avec son défunt mari, ils ont beaucoup navigué entre les Caraïbes et la Floride. Originaire du Texas, elle est venue à Beaufort après le décès de son mari. À 80 ans, elle déborde d’énergie et n’économise pas sa salive. Elle a réservé une table au restaurant qu’elle affectionne tout particulièrement, pour toute sa troupe de l’OCC. Elle est ravie d’être entourée de marins, de parler de Beaufort, de s’occuper de nous et de nous faire goûter le fameux Pain Killer (un mélange de coco, fruit et rhum, réputé parfait antalgique). Le vin blanc me convient beaucoup mieux, surtout pour accompagner les crab-cakes. Nous ne rentrons pas trop tard, Simon et Sally veulent profiter de la marée haute pour déplacer leur voilier à une place plus profonde. Tout le monde participe à la manoeuvre, sans réelle nécessité, et nous parvenons à ne pas gâcher leur déplacement.

En attendant Dianne devant Shimshal II qui fait office de dinghy dock pour MiniVaS. 

Dimanche, Dianne vient nous chercher à 10h00 et, en deux bordées, elle nous conduit à Beaufort à une dizaine de minutes de notre port de Morehead. Petite cité balnéaire et de villégiature, Beaufort est reconnue comme étant la ville la plus COOL des Etats-Unis (il y a toujours un plus quelque chose dans ce pays). Elle bénéficie aussi du statut de la troisième plus vieille ville de la Caroline du Nord et c’est écrit partout !

Les maisons de capitaine. 

Le front de mer, quartier historique, est bordé de splendides maisons en bois rutilantes de peinture blanche. Ce sont les anciennes maisons des capitaines.

Ah ben c'est bientôt Noël ! c'est vrai que la ville est COOL .

Nous nous arrêtons au musée maritime où nous plongeons dans la vie de Barbe Noire, le célèbre pirate et l’échouage de son navire, le Queen Anne’s Revenge, sur un banc de sable en 1718, neuf ans après la création de la ville.

Et des bateaux d'époque . 

Évidemment le musée nous présente également la faune et la flore de cet énorme lagon entouré par une barrière naturelle reliant les cap Haterras et Lokhout.

Nous poursuivons la visite des maisons du quartier historique. Pendant la guerre de Sécession, Beaufort était occupée par des espions confédérés, dont Joshia Fisher Bell. Il mena une troupe pour détruire le phare de Lokhout et en endommagé d’autres, mettant ainsi en danger les navires de l’Union. Les Confédérés ont réussit à prendre le Fort Macon pendant un mois en 1862.

Nous terminons par la visite du cimetière fortement conseillée par Dianne. Ce cimetière datant de plus de 300 ans se compose de plus de 400 tombes, dont plus de la moitié datent d’avant la guerre de Sécession. De nombreux personnages célèbres de la ville y sont enterrés. Mais la tombe la plus intrigante est celle de « la petite fille enterrée dans un baril de rhum ».

La fille enterrée dans un baril de rhum. 

Cette jeune enfant, née en Angleterre revait de connaître son pays natal. Vers 10 ans, elle supplia son père de l'emmener avec lui lors de son prochain voyage, et quitter ce village colonial de pêcheurs. Sa mère, connaissant les dangers des mers, s’y opposa. La jeune fille tenace et insista. La mère se plia devant ce désir puissant sous une condition : que son père la ramène à Beaufort. Sur le chemin du retour, la fille mourut. Encore très loin de Beaufort, son père refusa que le corps de son enfant parte à la mer. Il prit un baril de rhum du capitaine et y plongea sa fille. Arrivés à Beaufort, elle fut enterrée dans le vieux cimetière dans le baril. Les visiteurs déposent toujours un objet ou un jeu pour enfant.

Royal James Café. 

Nous concluons notre matinée au Royal James Café. Un bar-restaurant bien local vu les tarifs du burger, autour de 2 dollars. L’ambiance est bien typique : tables de billard, musique tendance country, grand écran avec le football américain, … c’est exactement ce que l’on aime bien, se sentir comme les locaux.

Au revoir Beaufort. 

Dianne vient nous récupérer après ce repas sur le pouce. Les trois voiliers vont bouger, une tempête est annoncée. Nous avons tous eu la même idée de mouillage, c’est que soit nous sommes tous à côté de la plaque soit le choix est malin. En fin de journée, nous sommes tous face au Fort Macon, devant les Coast-Guard. Un quatrième voilier vient retrouver notre petit groupe. Le vent forcit comme prévu en soirée, l’ancre tient bien. Dans la nuit, malgré la force du vent, MedioVaS s’oriente dans le sens du courant. La mer s’agite lorsque le vent souffle contre le courant, mais rien de vraiment très inconfortable, nous avons connu pire. Nous dormons correctement, le coup de vent était moins violent qu’annoncé. Personne n’a trop souffert.

Le calme avant la tempête avec nos amis ... 
28
Nous quittons Beaufort. 

Après cette nuit à l’abri de la tempête, nous avions décidé de sortir vers l'océan et continuer notre descente vers Charleston au large des côtes. Le fort vent du Sud tourne à l’ouest dans la matinée puis au nord, sur le papier c’est très prometteur. Nos compagnons avaient opté pour le même choix, un peu forcés car ils sont trop grands pour naviguer sur l’ICW.

Lundi 28 novembre, vers 09h00, nous voyons que nous sommes les seuls à nous préparer. Yves contacte Simon par VHF. Ce dernier nous annonce qu’il va partir plus tard, son « gourou météo à terre » lui a fait la description d’une mer très chaotique jusqu’en milieu de journée. Notre voilier n’étant pas aussi rapide que le sien, nous ne pouvons pas attendre une heure si tardive, la fenêtre météo est courte et nous ne voulons certainement pas nous trouver avec le retour du vent du sud prédit 26 h plus tard.

Par prudence, nous prenons le chemin de l’ICW, plus lent car nous ne pouvons pas y naviguer de nuit, mais plus rassurant car nous évitons autre cap réputé difficile.

Première journée. 

Faut rapidement planifier la nouvelle route et, surtout, trouver un point de mouillage pas trop loin. Heureusement j’en avais quelques uns de réserve, la distance de la journée ne sera que de 44mi. C’est parfait vu l’heure de notre départ. Le moteur ronronne et se moque légèrement des voiles.

On pourrait croire que c'est lassant, mais même pas. 

Nous longeons une étendue d’eau, Bogue Sound, séparée de l’ICW par des bancs de sables ou des petites étendues de marécages ; et séparée de l’océan par les Bogue Banks. L’eau est calme, le relief plat et les fonds pas très profonds.

Lorsque des « attentions » apparaissent sur les cartes, il faut alors tripler la vigilance. Pour nous c’est une attention permanente, alors nous craignons le pire lorsque ces pictogrammes menaçants pointent leur nez.

Il y a de quoi s'occuper un peu quand on est de quart. 

Chaque méandre devient un point sensible, mais nous les passons sans problèmes. Notre assurance Sea Tow, que l’on a prise avant de s’aventurer dans les canaux de l’état de New York, pourrait presque nous faire une réduction pour bonne conduite : nous ne sommes pas encore échoué ( je touche du bois …).

Nous avons toujours nos "cormorans gardiens". 

Mais quand nous voyons les bateaux échoués, nous redoublons de vigilance. Les traces des ouragans sont partout visibles…

Cyclone ou imprudence ? 

Nous croisons la drague en plein travail et et nous avons alors davantage d’eau derrière elle. Parfois, c’est le contraire : quand la drague vient de traiter la portion de canal que nous avons déjà parcourue, nous savons que la suite du trajet sera moins profonde. Les patrons de ces dragues sont particulièrement polis et accommodants ; ils manoeuvrent à chaque fois pour nous laisser le passage et nous indiquent par radio sur quel bord les croiser.

Parfois nous apercevons l'océan de l’autre côté de la bande de sable qui nous protège.

Un marécage, une cible et l'océan qui nous fait un clin d'oeil derrière. 

Vers 16h00, après avoir négocié un méandre des plus angoissants, nous entrons dans une jolie petite crique pour y passer la nuit.

Quelques dauphins nous souhaitent la bienvenue. La crique de Hammock semblait bien plus étroite sur le papier que dans la réalité, c’est une bonne nouvelle.

Et comme toujours, il y a un bateau mouillé sur le point choisi par Yves. 

Aucune pollution lumineuse ne vient perturber ce ciel entièrement dégagé, la voie lactée est splendide, parfois balafrée d’une étoile filante. L’émotion est d’autant plus forte en entendant les dauphins respirer autour de MedioVaS.

C'est très tranquille au petit matin. 

Mardi nous démarrons avec le jour, à 06h20. Les couleurs sont superbes, la journée va être belle pour les 64mi à parcourir. La mer nous manque un peu mais ayant eu des nouvelles de nos amis de voyage, nous sommes bien heureux de pouvoir profiter de cette traversée par les terres.

Le voilier Serenditipous, parti le matin, a eu une très mauvaise mer : « -lLe seul qui n’était pas malade à bord était le chat ! ». Une mer croisée avec des creux de deux à trois mètres et le vent dans le nez. Simon est parti plus tard, avec une mer calme. Les deux ont finalement fait autant de moteur que nous.

Les villages, les épaves, les ponts, les bancs de sable se succèdent. Une petite caravane se forme, nous sommes en tête. Au fur et à mesure que la journée avance, nous nous faisons devancer. Ils poussent tous le moteur. Nous visons l’ouverture de midi du pont Figure Island. Les autres visent à priori celle de 11h30 ! Au bout du compte, nous ne sommes pas vraiment loin, le pont nous appelle pour que l’on accélère afin de rejoindre le groupe qui se trouve déjà devant le pont. Ils nous ont attendu trois minutes et nous sommes tous passés. Maintenant nous sommes en avance pour l’ouverture du pont suivant, 6mi plus loin, et qui n’ouvre qu’aux heures piles, et une demi-heure c’est trop court pour nos moteurs de voiliers.

Voici nos nouveaux compagnons de voyage. 

Quelques bateaux nous abandonnent après ce deuxième pont à ouverture, un autre poursuit la route devant nous. Le courant continue de nous pousser à 7 ou 8 noeuds. Mais il faut bien qu’il s’inverse à un moment. Nous sommes obligés de pousser le moteur afin d’arriver à notre point de chute avant la tombée de la nuit qui a lieu de plus en plus tôt.

Navires et oiseaux, pour l'un comme pour l'autre la diversité existe toujours. 

Et enfin, vers 16h30, nous doublons l’inlet du Cap Fear et trouvons le free dock (ponton gratuit) restaurant Provision Company, à Southport. Nous ne savons pas si notre quille y trouvera sa place, mais il n’y a pas vraiment d’autre solution à proximité. La crique que nous visions est en fait inaccessible. Parmi les commentaires trouvés en ligne, la hauteur d’eau au ponton pourrait être un peu juste. Le ponton lui-même est également court, très court. Une personne sort de son petit voilier et vient nous aider. Au fur et à mesure que j’avance le nez dans l’emplacement, le sondeur affiche de moins en moins d’eau. A 1,7 m, j’arrête. Nous flottons toujours. Nous amarrons le bateau le plus en arrière possible, en espérant que la quille, située en arrière du sondeur, ait au moins 2,1m d’eau. C’est de la vase en dessous de nous, cela perturbe souvent le sondeur et le rend pessimiste. Nous avons l’avantage d'être bientôt à marée basse, si nous tenons maintenant, nous tiendrons la nuit. Le nouveau coup de vent du Sud est prévu pour le lendemain, donc nous envisageons de rester ici pour deux nuits.

MedioVaS flotte ! 

Catherine, ma soeur, m’avait parlé de cet endroit qu’elle affectionne tout particulièrement, surtout les Bad Head Island. Il y a bien un joli mouillage par là, mais au vu de la météo, il est impossible de s’y installer. Les Îles sont ouvertes sur l’océan, le mouillage est le long de l’inlet, nous souffririons trop du courant et du vent.

Noël est partout. 

Le matin suivant, Yves papote avec notre voisin qui sort tous ses bidons de carburant sur le ponton. Il nous nous propose de partager sa voiture pour faire des courses ou du gazole. Tien, il a une voiture ? En fait non. Lorsqu’il est arrivé, un type s’est présenté spontanément comme chargé de d’accueil et lui a gentiment proposé son pick-up pour un ou deux jours, selon ses besoins. Yves saute sur l’occasion et part donc avec lui remplir les bidons de gazole et faire deux-trois courses. A son retour, nous profitons du ciel qui se libère de ses gros nuages et de la pluie pour aller visite le joli village de Southport.

Quelques trois milles habitants vivent de la pêche et du tourisme. Sa situation géographique explique son passé riche en histoire. Poste espagnol, pris par les anglais, convoité par les français, … il bien fallu construire une position militaire pour protéger le Cap Fear : ce sera le fort Johnson.

Pendant la guerre de Sécession, certains ont fait fortune comme le capitaine Thompson. Ce pilote, surnommé le « maître des haut-fonds » guidait ou commandait les bateau-vapeurs chargés de leur cargaison de coton au travers du blocus imposé par l’Union devant le cap. Il touchait 3000 $ en or par voyage. Sans surprise, sa maison fait partie des grandes et belles maisons du village.

La maison du capitaine Thompson est la plus grande bien évidemment. 

Nous allons déjeuner au Provision Company qui offre si aimablement son ponton sans que nous sachions trop s’il faut consommer en échange. A vrai dire, notre voisin est là depuis quatre jours, il n’a rien consommé, on ne lui a rien réclamé, il dispose même d'une voiture. C'est notre première grande expérience de la légendaire hospitalité du Sud : « Vous serez la main à quelqu’un qui vous a vendu de l'essence et sans comprendre comment, vous vous retrouvez autour d’un barbecue dans son jardin. Quinze jours plus tard, vous n’êtes toujours pas partis. »

Le restaurant est prometteur, a bonne réputation et l’on se sent un peu redevable pour nos deux nuits. Je découvre le vin en canette, et me régale de crevettes et crabe. Notre repas est très couleur locale, délicieux. Tout cela devant MedioVaS qui se prend une nouvelle bonne douche tout en dansant sur un important clapot.

Le vin en canette, c'est une grande première. 

Nous prolongeons notre visite par une nouvelle promenade digestive le long de l’eau et rentrons pour déguster une bonne glace, de l’autre côté de la rue. La Provision Company y possède un magasin de tee-shirts qui fait aussi glacier. Les employés passe de l’un à l’autre, suivant les horaires. Nous sentons bien que nous sommes un peu les seuls touristes, mais malgré une météo pas très agréable, quelques autres boutiques sont aussi ouvertes.

Bien seuls ... 

Pendant la nuit le vent s’estompe un peu et surtout il tourne au Nord, nous serons à nouveau sous le vent du restaurant.

Deuxième journée. 

Le jeudi matin, nous décidons de partir à marée haute. Ça tombe bien, elle correspond presque au lever du jour. Nous allons prendre la grande porte vers l’océan, ouvrir grand nos voiles et économiser un peu de gazole.

Nous doublons les belles Îles Bad Head et leur phare. Nous croisons les grands bateaux de pêche, avec leurs filets suspendus tels des ailes.

C'est magnifique ce retour de pêche.  

Le foc est tangoné, nous sommes encouragés par une meute de dauphins qui jouent devant l’étrave, dans les vagues bleues laissées par le vent de la veille. La température augmente au fur et a mesure, nous bénéficieront jusqu’à 18℃. C’est bon de respirer le grand air de la mer.

Nous leur donnons des nouvelles de leurs amis dauphins de l'ICW. 

Durant l’après-midi le vent devient moins régulier, il fait des sauts de 10 à 17 noeuds, mais au portant nous ne craignons rien. Vers minuit, les 17 noeuds sont bien installés, avec des rafales, la mer se forme, MedioVaS surfe. Nous allons trop vite, Yves prend des ris, c’est plus prudent.

Le canal de Charleston est en vue vers 06h00 du matin, nous le remonterons avec le courant dans le nez, au moins trois noeuds en contre. Le vent, bien orienté, nous permet de continuer sous voiles jusqu'à la rade. La remontée du chenal est intéressante : les fonds provoquent de belles vagues qui viennent grossir encore quand elles sont canalisées par les deux brise-lames qui s’étendent loin au large. Evidemment, à cette heure-ci et avec le courant, de nombreux bateaux sortent du port. Les grosses vedettes de pêche sportive ajoutent leurs sillages à la houle et les voiliers, étrangement, naviguent complètement à gauche ! Yves s’amuse à la barre sous voiles, mais je sens l’agacement le gagner.

Nous croisons le voilier Mahina de Michelle et Ian. Un grand bonjour et à bientôt peut être !

Vers 08h30, nous nous approchons du mouillage alors que le voilier Serendipitous change de mouillage. Un autre voilier que nous ratons.

Notre ancre croche dans un fort courant, la vase est de bonne tenue, et nous avons une vue impressionnante sur l’USS Yorktown, porte-avion de la guerre du Vietnam devenu un musée. Nous sommes en Caroline du Sud !

USS Yorktown. 

En fin de matinée, Simon et Sally de Shimshal II sortent de la marina pour venir mouiller derrière nous. Yves saute dans MiniVaS pour les saluer. Ils partiront dans l’après-midi vers le sud, nous les raterons aussi.

Après-midi est consacrée au repos et à l'organisation de la journée de la visite à terre. Nous sommes en face du Mont Pleasant, Charleston est l’autre coté du chenal. Après recherche et appel téléphonique à la marina publique, Yves apprendra que nous pourrons y accoster notre vaillant MiniVaS pour 10$. Nous n’avons plus qu'à espérer que la météo reste bonne et éviter les heures de fort courant pour traverser la rivière qui ressemble fort à un bras de mer !

Repos pendant que d'autres s'entraînent. 

Samedi vers 08h30 nous appareillons à bord de MiniVaS, très fier de sa mission. Finalement ce ne sont pas dix dollars mais cinq. Le maitre de port est très surpris de voir des gens qui payent encore en espèces. Cela dit, nous pensons qu’il en est très satisfait et s’est peut-être bien mis le billet dans la poche.

Après quelques conseils d’un autre visiteur longue durée, nous partons en ville. C’est amusant : lorsque nous propose des endroits intéressants, ce sont surtout des restaurants et des bars. Ce n’est pas du tout ce que l’on cherche !

Yves se sent chez lui. 

William Sayle, ancien gouverneur de la communauté anglaise des Bermudes, fonde la ville en 1670 sous le nom de Charles Towne en l’honneur de son roi. La ville grandit et devient assez rapidement une ville commerciale importante et un grand centre de la traite des Noirs dès 1730. Sullivan’s Island était la porte d’entrée pour 40% des esclaves. La ville accueillit également les Huguenots chassés par la révocation de l’Edit de Nantes. Ils créèrent ce que l’on appelle aujourd’hui le quartier français.

Avec l’expansion du Coton Sea Island, la ville devient l’une des plus peuplées des Treize Colonies et en 1770, son port est le quatrième port du pays.

En 1776, lors de la guerre de l’Indépendance, le Colonel Moultrie s’empare du fort en construction sur Sullivan Island. Il ordonne à sa petite garnison de finir de dresser les remparts en bûches de palmiste, le palmier local. Puis il y fait flotter un pavillon bleu portant un croissant de lune. La population se rit du colonel. Mais lorsque les anglais viennent attaquer le fort à coup de boulets lancés depuis leurs bateaux, une forte fumée se dégage mais mais les murs ont tenu bon. Les bûches de palmistes ont absorbé tous les chocs. La petite garnison contre-attaque et les navires anglais partent en retraite, bien humiliés. Depuis le fort fut baptisé Fort Moultrie et la Caroline du Sud a adopté le palmiste ainsi que le croissant de lune, qui ornent désormais le drapeau de l'état (et les plaques d'immatriculation).

Après un quart d’heure de marche, nous arrivons à Marion Square et son fameux Farmer’s Market. L’on y apprécie le calme et l’ambiance locale. Le marché s'étale devant la La Vieille Citadelle, ancienne Académie Militaire de la Caroline du Sud, aujourd’hui transformé en hôtel de luxe. L’académie militaire Citadel existe encore, un peu plus loin, ses élèves se promènent en ville le dimanche, dans un uniforme de tradition assez… sudiste.


Marion Square 
Oh un sapin perdu ! 

C’est sur cette place que je découvre les arbres de la Caroline du Sud. Je ne me lasserai pas de les regarder. Ils me plongent dans une atmosphère étrange, un voyage hors du temps. Et nous serons bien servis.

Première vrai rencontre avec les cheveux d'anges qui colonisent les arbres. C'est de la mousse espagnole ... qui colonise.  

Nous déambulons au hasard des rues, admirant les maisons impressionnantes. Mais nous n’avons qu’une journée, il va être temps de sortir notre plan offert à l’entrée d’un musée que nous ne visiterons pas. Nous arrêtons d’avancer au hasard et nous dirigeons vers le quartier historique. Le petit-déjeuner fut léger et nos estomacs gargouillent. Un glacier prometteur est fermé, c’est la Belgique qui va nous sauver. Dans une petite échoppe toute en longueur, Fred le Bruxellois vent des gaufres, des vrais gaufres belges. Son poste de radio retransmet le foot en français, et son accent ne saurait cacher ses origines. Il vit ici depuis sept ans, a créé sa petite entreprise qu’il vient de mettre en vente pour déménager sa petite famille dans le sud de la France. Il ne veut pas que ses jeunes enfants s’américanisent, il veut les garder dans une culture riche en histoire, européenne. Son look déjanté cache une tête bien droite sur ses épaules et nous comprenons que la sécurité sociale bien plus généreuse est un argument de poids pour la France ! Nous savourons donc nos gaufres délicieuses , et reprenons notre chemin.

Merci Fred pour ce moment de "belgitude". 

Nous parcourons la célèbre King Street, marchons à nouveau le long de Marion Square où l’on assiste à un spectacle de rue endiablée autour d’un tambour et de musique moderne. Nous entrons dans une grande galerie-hôtel de luxe prendre un bain de Noël. Leur réseau de train miniature y est superbe.

Encore un sapin égaré. 

Nous prenons une route perpendiculaire qui nous conduit à Meeting Street et également quartier français. Niché au coeur de la vieille ville, il se distingue par ses maisons colorées et les rues pavées. Mais surtout, nous l’avons rapidement reconnu à ses magasins Dior ou l’Occitane !

Quartier français  

Une bonne partie du quartier historique fut brûlée lors du « Great Fire » en 1861. Cet incendie est d’origine incertaine et met en avant des esclaves. Pour contrôler son expansion, quatorze maisons ont été dynamitées, créant ainsi couloir anti-feu pour protéger l’hôpital et la faculté de médecine. Le feu a malgré tout dévasté la ville d’est en ouest.

Old Slave Mart 

De ruelle en ruelle, nous arrivons enfin au Old Slave Mart. Ce lieu était, comme son nom l’indique, un marché aux esclaves. Mais différent …

En 1808, le pays interdit le commerce « international » d’esclaves, c'est à dire leur importation.L’essor du commerce de coton s’étendant, il faut davantage de main d’oeuvre. Il faut alors voir les choses différemment et mettre en place un système de vente d’esclaves « nationaux ». Ainsi, les afro-américains nés esclaves seront vendus à travers le pays sur les places publiques. Des routes de commerce, dans des conditions atroces pour les esclaves, prennent forme. Nombre d’entre-elles arrivent à Charleston. Les ventes aux enchères ont lieu sur grand-place du marché jusqu'à l’interdiction des ventes publiques en 1856. Le commerce de personnes à ciel ouvert a vécu, il faut désormais compter sur des halls privés. C’est ainsi que des « salons » de ventes d’esclaves ouvrent leurs portes, dont le Marché aux enchères de Ryan.

C’est aujourd’hui un musée formidable, un petit bijou qui explique en toute simplicité comment l’ignoble commerce se déroulait. Il fallait trouver des esclaves nés sur les territoires qui autorisaient l’esclavage. Et les acheminer jusqu’ici. Après une longue route dans des conditions morbides, il fallait les remettre en état. Une personne les classait, selon leurs capacités. Il valait mieux en trouver de jeunes et forts. Une liste de prix indique leur valeur d’époque et son équivalent moderne, en fonction de l’âge de l’individu. Un autre panneau indique les diverses professions en rapport avec la traite et l’exploitation. Ainsi, il y a un homme à chaque étape de la chaîne commerciale, afin de tirer le meilleur profit de l’enclave vendu. C’est une entreprise apparemment très lucrative et fort bien organisée.

Le Old Slave Mart est le dernier à subsister en Caroline du Sud. En novembre 1863, avec l’invasion des troupes nordistes, les ventes aux enchères sont totalement interdites. Le « marché » devient un centre de logement pour negroes puis un garage pour les voitures. En 1938, Miriam B. Wilson rachète le lieu et en fait un musée d’art africain et afro-américain. En 1964, Judith Chase et Louise Graves reprennent l’établissement et le remettent au centre de l’Histoire en faisant renaître le Slave Mart en musée. Reconnaissant l’importance historique du lieu, la ville acquiert l’ensemble en 1988. Gardons en mémoire que c’est à Charleston, le 20 décembre 1860, dans le Grand Hall de l’Institut Hall, qu’une délégation signait la sortie de l’Union. C’est le début de la Sécession…

Après cette visite, nous redescendons par Meeting Street, la rue où se trouvent les anciennes grosses propriétés des exploitants de coton. Celles-ci ont été protégées grâce à des lois patrimoniales très sévères, votées après la guerre de Sécession. Elles ont chacune leur histoire ; certaines se visitent, d’autres sont devenues des hôtels ou des propriétés privées. Vastes demeures coloniales ou maisons aux couleurs pastels, elles sont toutes splendides et nous rappellent que nous sommes bien dans le Sud.

La colonie n'était pas pauvre apparemment. 

À la hauteur du City Market, c’est à dire un marché-local-pour-touristes idéalement situé au débarquement des croisiéristes, nous croisons des carrioles d’époques, tractées par les chevaux. Nous trouverons même leurs écuries. La ville est tout de même très touristique !

City Market 

Le terrain du marché fut cédé à la ville en 1788 par Charles Pinckney, pour en faire un marché publique. Il insista pour que cela perdure jusqu’à la nuit des temps. Pour satisfaire sa demande, de petites « cabanes » sont construites en 1804, dans lesquelles se vendent viandes, fruits et légumes. Ces cabanes ont survécu aux pires catastrophes : tornades, tremblements de terre, ouragans et bombardements. En 1841, l’architecte Brickwell dessine les plans du futur Market Hall en rendant hommage au Temple de la Victoire sans ailes, d’Athènes. Ce lieu servira de point de rendez-vous pour les commissionnaires. Évidemment, ce marché est l’un-des-plus-vieux… de la Caroline du Sud.

Nous sommes quand même en Amérique. 

Avant de rebrousser chemin vers le bateau, nous entrons dans un Candy Shop. Waouh : des bonbons et du chocolat sous toutes les formes, des spécialistes de la pomme d’amour façon chocolat-caramel. Nous nous limiterons à une petite boule de glace. Nous avons compris le système : que l’on commande une ou deux boules, le pot ou le cornet est tout de même rempli de la même manière… à fond !

MiniVaS nous attend, impatient de traverser à nouveau le vaste chenal et de faire la course de la poule avec un énorme paquebot qui quitte les quais.

Une bonne fenêtre météo se présente pour continuer notre route par l’océan. Le sort veut que je ne visite pas encore de navire de guerre américain.


Et nous ne danserons pas le Charleston . 
29
C'est l'heure de la pêche . 

Dimanche 4 décembre, jour de la Sainte Barbe, nous quittons notre mouillage de Charleston vers 10h00. Le jusant est déjà bien établi, il va nous pousser vers la sortie, vers l’océan. Nous quittons la rade sous voiles, travers au vent. Arrivés dans le chenal, nous courrons bon plein dans 8 à 13 noeuds de brise. La sortie est bien rapide avec le courant qui nous pousse.

Nous assistons une fois encore au bal des pêcheurs, filets ouverts sur leurs longs tangons. Les mouettes tournent autour dans des cris incessants alors que les pélicans, plus paresseux, restent posés sur l’eau autour des filets.

Nous ne croisons pas que des pêcheurs.  

Nous étions partis vers St Mary puis, en cours de route, nous envisageons Jacksonville. Mais nous raterions alors une belle partie de la Caroline du Sud. Finalement, nous irons à Beaufort. Non, non, nous ne faisons pas marche arrière. Il y a Beaufort en Caroline du Nord et Beaufort en Caroline du Sud. Pour être certains d’être au bon endroit, il suffit d’écouter. Le premier se prononce BOOOfort, le second BIUUUfort. Nous allons ainsi à BIUUUfort.

Décision prise, nous avons donc 24 heures pour parcourir moins de 80 miles. Une brise légère, peu stable en direction mais toujours sur une allure portante, nous permet de ne pas avancer trop vite. Notre vitesse de croisière se stabilise entre 3 et 4 noeuds. Comme toujours, nous ne voulons pas mouiller de nuit dans un lieu inconnu.

Vers 01h30, nous commençons à apercevoir la bouée d’eaux saines de l’entrée de chenal. Il n’est pas toujours facile de retrouver les bonnes bouées rouges et vertes, le chenal du large étant bordé de piles qui clignotent rouge, elles aussi. Nous embouquons l’inlet, assez large et sans trop de danger.

À la patte d’oie, prendre à droite… Le vent faiblit vraiment, le courant nous emporte dans la bonne direction, mais il est temps de faire tourner le moteur. Nous devons remonter la rivière Matanza, dans l’étroit canal délimité par des bouées pas toujours éclairées. Je sors le projecteur et je passe la fin de mon quart à chercher ces bouées pour ne pas les emboutir. Le gros spot réveille souvent une colonie de cormorans ou un pélican terminant sa nuit sur l'une des bouées.

Devant Port Royal, Yves prend la relève. Nous sommes maintenant sur la rivière Beaufort, les premières lueurs du jours apparaissent. Nous découvrons les nombreux bateaux au mouillage et trouvons notre place parmi eux. Vers 07h00, l’ancre croche et nous pouvons nous reposer un peu. Enfin, il s’agit surtout d'habiller MiniVaS de son moteur.

MiniVaS profite d'un ponton pour lui tout seul dans une ambiance mystérieuse.  

Vers 09h30, nous partons à terre, impatients de visiter BIUUUfort, petite ville décrite comme l’un des bijoux cachés du Lowcountry, qui charme ses visiteurs depuis des siècles. « - Inspirez l’air marin, expirez, vous serez transformés ! ».

Nous y sommes ! 

MiniVaS a l’énorme ponton pour lui tout seul, il sent déjà une atmosphère différente de celle qu’il connaît. À peine pied à terre, nous trouvons l’abreuvoir à chevaux, une ambiance légèrement western.

Non MiniVaS, tu n'es pas un cheval. 

Nous sommes directement dans le quartier historique. En fait, Beaufort est l’une des rares villes à être reconnue comme « historique » dans son entièreté par le National Trust Historic Préservation. Nous serons servis. Les demeures coloniales foisonnent partout, toutes aussi impressionnantes par leur taille que par leur beauté. Les plafonds des porches sont toujours peints en bleu ciel en vue de chasser les mauvais esprits.

Attention, je vais me laisser aller dans les photos ...

Comment ne pas tomber sous le charme ? 

Les Européens ont tenté plusieurs explorations, aux temps de la colonisation, elles ont toutes échoué. Des immigrants écossais ont fondé, en 1684, la petite ville de Stuart, dont l’existence sera de courte durée. C’est en 1711 que les Anglais s’installent et créent la ville de Beaufort, deuxième ville la plus ancienne de l’Etat après Charleston. Sujette à des attaques incessantes des Amérindiens Yemassee, la ville prospère très lentement. Mais elle deviendra quand même le centre régional de la Lowcountry plantation economy. Les plantation de riz (Carolina Gold Rice) et de coton (Sea Island Cotton) contribuent à l’âge d’or de la ville. La population soutient bien évidemment avec ardeur le mouvement sécessionniste. Sans les esclaves, les plantations n’auraient pas eu un tel rendement !

Voilà qui explique la grandeur des maisons. 

Mais la Guerre de Sécession mettra fin à cet essor. Beaufort, ainsi que son port Royal, sera l’une des premières communautés du Sud Profond à retomber aux mains de l’Union, en novembre 1861. Une grande partie de la population blanche quittera la région. Dix mille esclaves libérés sont alors livrés à eux mêmes. Les terres abandonnées sont utilisées pour le Port Royal Experiment : enseigner aux nouveaux hommes et femmes libres et leur permettre de cultiver une petite portion de terre. En complément, ils pêchent ou chassent. C’est un succès, le chemin vers « l’indépendance du blanc » est en route. C’est dans cette petite ville également que l’on organise la fin de la ségrégation au sein des écoles, dès 1863.

Peu à peu reviennent quelques propriétaires ayant pris la fuite. Mais le marché du coton ayant chuté, l’économie de la ville a du mal à reprendre le dessus. Cultures de tomates et de salades, pêche à la crevette et industrie essayent de lui redonner un second souffle. Ce n’est qu'à partir de la deuxième moitié du XXème siècle, que la ville resurgit, grâce à des investissements militaires. Des investisseurs immobiliers découvrent alors ce petit bijou et même Hollywood pointe ses caméras sur la ville qui devient le décor de Forest Gump ou du Great Santini. La ville est réaménagée entièrement, de vieilles demeures deviennent des hôtels et des maisons de repos. C’est devenu un havre de paix où les Américains viennent en vacances avant de s’y installer pour leurs vieux jours. Comme je les comprends !

Tout simplement envoutant. 
A force de passer sous des ponts, un réflexe pavlovien s'installe. 

Nous parcourons toute la ville à pieds ; elle n’est pas bien grande. Je suis aux anges, entourée de ces arbres gigantesques et couverts de cette mousse espagnole grise. Le temps s’est arrêté. Nous sentons presque la présence d’une Scarlett O’Hara.

J'ai trouvé mon banc. 

Je lai déjà dit, je ne m’en lasse pas. Je sais déjà que l’atmosphère qu’ils dégagent va me manquer. Je comprends mieux l’émotion et l’attachement des gens qui parlent du Lowcountry. Nous sommes bien heureux de ne pas avoir manqué cette étape.

Arrivés au cimetière militaire national, un gardien nous fait un soi-disant bref, finalement assez long exposé des personnalités enterrées, la forme des tombes, etc. Il est occupé, heureusement pour nous, sinon nous en aurions pour la journée. Nous l’abandonnons avec soulagement, le self-guided-tour-book entre les mains, qui fait déjà quelques pages !

Le US National Cemetery de Beaufort est l’un des premiers créé… par le Président Abraham Lincoln, en 1863. Le commandant des troupes d’occupation acheta 29 acres de terre pour 75 dollars (l’équivalent de 1700 dollars aujourd’hui) à Polly’s Grove. Neuf milles soldats de l’Union, trois milles six-cent « inconnus » de l’Union et (seulement) une centaine de soldats confédérés reposent ici. Les pierres tombales different légèrement entre soldats de l’Union, Confédérés et inconnus. Celles des Confédérés sont de forme pointue. On prétend que cela évitait que l’on « s’assoie » dessus, en signe de mépris. Le cimetière s’est évidemment étendu depuis.

Après la Première guerre mondiale, le choix des emblèmes religieux gravé sur les pierres se limitait à la croix latine pour les Chrétiens et à l’étoile de David pour les Juifs. Aujourd’hui, nous pouvons compter près de quatre-vingts emblèmes différents. Avec un certain humour noir, on peut en conclure que la diversité religieuse n’est pas en voie d’extinction !

La présence de magnolias, de cèdres, de palmistes et de chênes, tous couverts par ces magnifiques cheveux d’ange, adoucissent l’alignement des pierres tombales. Ces pierres sont toutes faites de coquilles d’huitres agglomérées par la nature.

Au hasard des allées, nous voyons la tombe du Colonel Benjamin Vandervoort, immortalisé par John Wayne dans le célèbre film The Longest Day (Le jour le plus long). Il commandait un bataillon de parachutistes au matin du jour J, le 6 juin 1944. Malgré une hanche brisée à l’atterrissage, c’est lui qui a défendu Sainte-Mère-Église, objet de la mission Boston.

D’autres héros sont immortalisés dans des films, comme le Sergent Jenkins dans We Were Soldiers de Mel Gibson, décédé en 1965 dans la Bataille de la Drang au Vietnam.

Un cimetière moins militaire. 

Après ce moment de commémoration, nous prenons une autre route pour rentrer. Nous découvrirons qu’il n’y a que de grosses et belles demeures mais également des maisons et des quartiers beaucoup plus modestes, qui portent aussi une partie de l’histoire de la ville, aux maisons toutes aussi jolies. Cela nous rassure un peu de voir des habitations à taille humaine.

Nous quittons cette ville d’un autre siècle, baignée de cheveux d’anges, il nous reste de la route à parcourir.

Nous retrouvons notre mouillage. 

Nous avons le choix, océan ou ICW. Nous voulons encore parcourir la Caroline du Sud et ses paysages, c’est l’Intracoastal qui gagne.

Petite journée dans le Lowcountry. 

Le mardi 6 décembre, nous appareillons vers 08h00. Le courant nous pousse, la vitesse est bonne et nous savons que cela ne va certainement pas durer. Vers 09h30, nous coupons l’inlet que nous avions remonté la veille pour retrouver l’ICW de l’autre côté et nous plonger dans le Low Country. La petite brume se lève, nous sommes envoûtés par les couleurs du paysage et les chants des oiseaux. Le courant nous ralentit, cette fois-ci.

Le chenal longe Hilton Head Island et ses plantations. Il est étroit et peu profond, nous restons toujours sous haute vigilance. Puis il s’élargit et nous repérons enfin les bouées nous indiquant la route à droite de Daufuskie Island. L’erreur nous conduirait dans un petit inlet vers l'océan, pas et du tout accueillant pour notre MedioVaS.

Nous croisons des embarcations de genres biens différents  

Nous passons de cut en cut, entre maisons et pontons, évitant les méandres aux larges bancs de sable, pour arriver en fin de matinée à notre point de mouillage, devant Turtle Island.

C'est le genre de méandre que nous n'apprécions pas du tout. 

Devant nous s’étend un passage sans beaucoup d’eau d’après les cartes. Nous attendrons la marée haute de jour pour le passer.

Le mouillage s’enfonce dans une petite rivière bordée de sable. Nous nous aventurons dans cet espace mais pas longtemps, les bouées de pêcheurs et le sondeur nous poussent à faire demi-tour. Nous mouillerons plutôt à son embouchure, c’est plus prudent !

Nous préférons attendre une marée haute. 

La météo est calme, je décide de partir à la recherche d’aligators, avec le drone. Évidemment, tout le monde sait, sauf moi, qu’ils vivent en eau douce, or nous sommes en eau salée. Mais peu importe, à défaut de crocodile, le drone fait une rencontre merveilleuse avec une bande de dauphins et leurs petiots.

Nous voyons quelques voiliers traverser le cut quelle que soit la marée, la trace de Skipper Bob doit être bonne et cela nous rassure. Pour autant, nous restons prudemment au mouillage, imités par un voilier dans un autre bras du chenal. Comme le raconte le guide nautique, nous ne voyons que son mât entre les herbes hautes des marécages, c’est amusant.

C’est à 06h30 que nous virons la chaine de l’ancre, sous la pleine lune qui veut rencontrer le soleil.

Les sondes ne sont pas très engageantes. 

Il faut bien rester à droite, puis bien rester à gauche, puis laisser la bouée rouge à notre droite ce qui nous colle à terre à notre gauche … enfin tout cela se fait proprement avec beaucoup plus d'eau que prévu. Merci Bob pour ta trace. Et la lumière est exquise.

Nous sommes très surpris lorsque nous voyons en face de nous un véritable paquebot fluvial s’aventurer dans ce cut. Bonne chance !

Cette fois-ci, c’est le large qui nous appelle. Nous ne ferons pas escale à Savannah mais nous emprunterons son inlet pour rejoindre l’océan.

Un peu d'océan mais au moteur principalement faute de vent. 

Une légère brise nous permet de sortir les voiles et même le genaker, mais ce sera de courte durée. Le moteur devra prendre le dessus si nous voulons avancer, surtout que le vent qui venait par le travers tourne droit dans notre nez. En début de soirée, nous roulons les voiles et le genaker retrouve sa soute. Même au moteur, il faut rester vigilant : vers 23h00, je me retrouve en route de collision avec un cargo. Ses intentions ne sont pas très claires et je me déroute complètement pour passer derrière lui. Yves croisera également des cargos tout illuminés. La grosse houle océanique et la pleine lune nous accompagnent et nous font oublier un peu le bruit du moteur. Nous ne voulions vraiment pas traverser la Géorgie par l’Intracoastal, sa réputation la devance, jusqu’à former le dicton chez marins l’ayant emprunté : « - The ICW in Georgia, you do it once ! » (On ne le fait qu’une fois). En effet, il paraît que c’est l’un des plus beau tronçon mais également l’un des plus risqués : peu de fond, beaucoup d’algues, peu de mouillages sûrs…

L’inlet pour rejoindre Saint Augustine semble tout à fait impraticable sur la carte : pas de bouées et peu de fond. Dans la réalité, il est très sain et bien identifié par des bouées. Simon nous avait envoyé sa trace au cas où il y aurait de la brume en arrivant.

Inlet de Saint Augustine. 

Nous sommes devant l’embouchure au lever du jour, nous voyons bien le chenal ainsi qu’une épave de voilier qui nous rappelle de rester attentif. Un voilier entre devant nous, nous le suivons. Saint Augustine, son fort et sa croix apparaissent devant nous. Simon et Sally sont là, nous reconnaissons leur voilier Shimshal II. Nous manoeuvrons pour nous insérer entre les bateaux et mouiller l’ancre. Nous partons saluer nos amis en MiniVaS ; une fois encore ils partent le jour de notre arrivée.

Arrivée devant le mouillage où nous devrons trouver une petite place. 

La vue est splendide, la ville est prometteuse, nous découvrirons tout cela après un peu de repos.


Saint Augustine, La Floride.
30

Ça y est, nous sommes en Floride !

Le jour de la Pascua florida 1513 (le jour des Rameaux), près de l’embouchure du fleuve St. Johns, Ponce de León découvre une terre en pleine floraison : il la baptise La Florida (terre fleurie). En 1562, le roi d’Espagne Philippe II envoie Pedro Menéndez de Avilés à la tête d’une expédition pour se débarrasser des établissements de huguenots français, à l’embouchure du fleuve St. Johns, qu’il considère comme une sérieuse menace. Après avoir détruit les établissements, Menéndez poursuit sa route le long de la côte, pour finalement laisser des forces expéditionnaires dans le port naturel de St. Augustín. C’est à cet endroit que, le 8 septembre 1565, Menéndez revendique officiellement la Floride au nom de la couronne d’Espagne, devant les Indiens Timucuans qui assistent à la scène sans mot dire ni maudire.

St. Augustine prospère comme centre du contrôle espagnol de la côte atlantique. Elle est attaquée, puis brûlée en 1586 par le navigateur anglais Sir Francis Drake, mais les Espagnols la reconstruisent. La ville sera continuellement attaquée par des expéditions anglaises et par les Amérindiens aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, mais les Espagnols réussiront à en garder le contrôle.

Les lois espagnoles sur l’esclavage sont beaucoup plus souples que celles des anglais : droit à la possession de terrain, droit aux familles de rester unies, droit de payer leur liberté… C'est ainsi qu'entre le XVIIè et le milieu du XVIIIème siècle, des esclaves ont fui les colonies britanniques pour rejoindre la Floride espagnole avec la formule magique : « - "Je veux être baptisé dans la seule vraie foi (catholique)" » et l'espoir d'une vie meilleure. Nombreux sont ceux qui arrivent à Saint Augustine, où ils fondent une « colonie noire libre » : Gracia Real de Santa Teresa de Mose.

L’Espagne finira cependant par céder la Floride à l’Angleterre, en vertu du traité de Paris et à la suite de la guerre française et indienne.

La Floride revient pourtant à l’Espagne en 1783, qui la vendra aux États-Unis en 1819. En 1821, elle devient territoire de la jeune nation.

Après plus de deux cents ans sous domination étrangère et devant la perte de leurs terres au profit de la culture de plantations, les Amérindiens perdent patience et se soulèvent. La Floride devient alors le théâtre de violents combats, appelés les Guerres Seminoles. Les Amérindiens seront défaits en 1842.

La Floride devient un état de l’Union en 1845, mais se sépare des Fédéraux en 1861 pour rejoindre les rangs de l’armée des Confédérés. St. Augustine dépose les armes en 1862 et sera occupée pacifiquement par l’armée fédérale jusqu’à la fin de la guerre de Sécession.

À la fin de la guerre, St. Augustine devient la destination par excellence : son architecture de style espagnol, son décor naturel exceptionnel et son climat idéal attirent les visiteurs du Nord.

Henry M. Flagler se rend compte du potentiel énorme de la ville : il achète un chemin de fer pour transporter les passagers de New York à St. Augustine, un trajet de moins d’une journée. Ses deux hôtels luxueux, le Ponce de León Hotel et l’Alcazar, sont si opulents qu’ils attirent la fine fleur de la société : St. Augustine était devenue la villégiature de l’époque !

De nos jours, St. Augustine est encore l’une des destinations les plus appréciées de la Floride. Son charme, son histoire et son décor superbe en font l’endroit rêvé pour partir à la découverte ou en exploration.

Elle est la plus ancienne colonie d'origine européenne occupée en permanence aux États-Unis, elle possède la plus vielle école en bois des Etats-Unis, et autres records « visibles à marée basse ».

Voici la plus vieille école en bois des Etats-Unis. 

Il est temps de visiter ce bijou. Mais, avant cela, nous devons faire tourner notre moteur une bonne heure, pour charger nos batteries. Depuis quelques temps, nous remarquons que nos panneaux solaires ne les chargent plus. Comme nous faisons beaucoup de moteur, il n’est pas facile de savoir depuis quand cela dure exactement. Une fois les batteries pleines pour la journée, nous payons un ticket de deux jours pour notre MiniVaS au ponton de la marina.

Nous traverserons la ville du nord au sud et de l’est à l’ouest. Une ville où tout est accessible in walking distance, c’est rare aux Etats-Unis. Nous avons l’impression de déambuler dans un petit bout d’Espagne.

Nous sommes au mois de décembre, les fêtes de fin d'année sont proches et la ville ne fait aucune économie d’électricité. La nuit, Saint Augustine brille de mille feux. Chaque palmier, chaque balcon, chaque lampadaire porte ses lumières. J'ai hâte de découvrir cela.

Samedi, après avoir rempli nos sacs de courses et nos jerricans de gazole, nous retrouvons nos amis Michelle et Ian pour visiter le fort.

MedioVaS, une fois encore sous les canons. 

Nous dinons au Mill Pot Taverne, un petit concert y est donné comme dans beaucoup d’endroits de la ville. Une fois la nuit tombée, la ville s’éclaire et c’est magique. enfin nous allons voir ce spectacle.

Superbe ! 

Nous passons une journée supplémentaire sur place, pour profiter de la parade nautique nocturne, prévue le 10 décembre. C’est immanquable, évidemment !

Une fois le soleil couché, les bateaux se rassemblent, juste devant notre mouillage. Des voiliers, des bateaux à moteurs et des vedettes de promenade pour touristes cherchent vaguement à se mettre en ligne de file. Le plus amusant fut d’allumer la radio VHF et d’écouter les différents skippers, aucun ne respectant les distances ou l’ordre de passage. Les bateaux sont décorés de façon extravagante ; ils passent devant nous puis défilent devant un jury posté au Fort. Nous ne connaitrons jamais le vainqueur, mais plusieurs ont nos suffrages !

Celui-ci reste le plus beau à nos yeux  !
31
La Croix au petit matin, c'est l'heure de partir. 

Nous sommes au mile 777 de l’intercostal. Nous avançons relativement bien. Le dimanche 11 décembre, nous levons l’ancre à 06h45 pour profiter de la première ouverture du pont, à 07h00, d’autres bateaux nous ont imités. Le ciel est couvert, la température frôle les 17℃ et le moteur ronronne.

Nous profitons des derniers endroits calme, sans trop d'habitations.

Encore un peu de calme et quelques beaux bancs de sable à gérer.  

Mais le calme ne dure pas. Nous traversons une partie du nord de la Floride, de plus en plus peuplée, comme à Palm Coast.

Des maisons complètements emballées, des immeubles, des jets ski, heureusement il reste encore quelques cheveux d'anges dans les a...

Les grandes maisons de style colonial cèdent la place à de grandes maisons de vacances, des villes bâties sur la bande de sable entre l’ICW et l’océan. Tout au long de notre descente vers le sud, nous avions été mis en garde contre les moustiques. À vrai dire, nous avons été très chanceux et nous n’en avons pas croisé un seul. Pourtant, ici, les maisons sont entourées de jardins entièrement couverts de moustiquaires, comme de grosses bulles noires. Cela ressemble à d’énormes volières.

Les dauphins sont toujours là, parfois devant l’étrave, parfois derrière. Au mile 825, l’eau reprend cette couleur vert-thé si particulière que nous avions déjà remarquée en Caroline du Sud. Le courant commence à ralentir notre route. Vers 14h30, nous mouillons à Daytona, de l’autre côté du pont.

Un pont décoré, cst bien le premier que nous rencontrons. 

Nous sommes au mile 831, sur l’Halifax River, entourés de bateaux échoués. Les cyclones venant des Caraïbes passent régulièrement par la Floride : plus nous avançons vers le sud, plus nous constatons les dégâts qu’ils causent.

Un cimetière de voilier, la saison a été bien rude.

Le lever du jour marque, une fois encore, notre heure de départ. Nous avons une longue route à parcourir pour atteindre notre objectif de la journée : la Lune !

Bien flippant tout cela. 

Nous traversons une large bande d’eau parsemée d’îlots. La faune est incroyable : hérons, dauphins en chasse, pélicans qui profitent de la chasse des dauphins, pygargues à l’heure du repas et je vois mon premier dugong. Il est loin, malheureusement. Lorsque je regarde mes photos, je me demande même si ce n’est pas un alligator. Mais non, les alligators vivent en eau douce et nous sommes dans une portion d’eau salée.

Ça doit être l'heure du repas pour tout le monde. 
Il y en a qui sont plus patients pour déjeuner.  

Vers midi, le soleil décide enfin de faire son apparition, le vent également. Nous en profitons même pour sortir notre génois.

En milieu d’après-midi, nous commençons à longer Merritt Island. Nous craignons le passage du dernier pont de la journée car il est en travaux. Mais tout se passe bien. Vers 16h30, nous sommes au mouillage de Cocoa Beach.

Pas d'erreur sur notre localisation.  

Il existe bien un ponton gratuit pour les voiliers qui naviguent sur l’ICW, mais il y a déjà deux bateaux et nous ne savons pas s’il y a suffisamment d’eau pour MedioVaS. Ce ponton fut complètement détruit par le dernier cyclone, une partie a été refaite récemment. Nous l’utiliserons pour y accoster avec MiniVaS.

Un souvenir au pied du ponton flambant neuf.  

Mardi 13 sera jour de relâche pour tout le monde. Nous partons de bonne heure et appelons un taxi Uber. Le cadeau de Noël que j’ai choisi pour Yves (et pour moi évidemment), nous emmène sur la Lune, ou Mars peut-être. Oui, nous partons pour Cap Canaveral ! Mais ce n’est pas si facile d’y arriver. Le chauffeur Uber nous annonce qu’il est beaucoup trop top. Le site se situe sur Merritt Island, base militaire, donc il est impossible d’y entrer avant l’heure d’ouverture. Alors, au lieu de poireauter pendant une heure devant une grille, à une heure de marche de l’entrée, nous décidons de marcher dans les rues de Cocoa et prendre une autre voiture, plus tard.

Une station balnéaire bien jolie. 


À 09h00, nous arrivons à quelques secondes de l’ouverture du Kennedy Space Center. 

Nous voici au coeur du complexe de lancement spatial américain créé en 1959 et relevant de la National Aeronautics and Space Administration, la très célèbre NASA.

Le succès de l’astronautique soviétique, en pleine guerre froide, pousse le président John F. Kennedy à lancer son pays dans un programme spatial très ambitieux : le programme Apollo, en 1961.

La NASA reçoit pour objectif d’envoyer des hommes sur la Lune avant la fin de la décennie. L’Agence doit alors concevoir un lanceur géant, la fusée Saturn V. En 1963, la NASA met en construction une nouvelle base de lancement entièrement consacrée au lancement des Saturn V, ici, sur l'île Merritt. Le nouveau centre jouxte la base « Cap Canaveral » appartenant à l’Armée de l’air américaine. C’est d’ici que sont parties, jusqu’alors, toues les missions habitées et les sondes spatiales de l’Agence.

"Je suis un Héros" 

Nous passons par la Salle des Héros, qui présente un film sur la grandeur et le courage des astronautes. C’est vrai qu’il en fallait, du courage, pour monter à bord de ces mini-capsules moins bien équipées que le plus basique de nos téléphones portables.

Les engins sont impressionnants ! 

Nous voyons le parking des fusées qui envoient les satellites. Nous touchons du doigt les engins qui nous permettent de profiter de nos téléphones, de partager nos moments en direct sur les réseaux sociaux, de recevoir les chaînes de télévisions du monde entier, même au milieu de nulle part…

Nous apprenons tout sur les missions Apollo, sur les décollages des fusées et leurs évolutions. Nous voyageons dans l’espace, à bord d’un simulateur et nous survolons Mars. Nous découvrons également la vie cachée de notre Snoopy, astronaute en peluche qui va participer à la mission Artemis : le retour de l’homme (et de notre beagle préféré, donc) sur la lune.

Bravo Snoopy ! 

La journée commençait un peu comme dans un parc Disney, mais, finalement, nous sommes ravis de tout ce que nous avons vu : une journée remplie d’étoiles.

Decollage immédiat ... 

Le mercredi 14, nous partons un peu plus relax, vers 09h00. Le temps se gâte, un gros grain se prépare devant nous. Nous préférons nous mettre à labri au mouillage, le temps qu’il passe. Nous avons de la chance et nous trouvons un bon emplacement, juste en amont d’un des ponts, un peu avant midi. Nous déjeunons pendant que le grain passe et reprenons la route vers 13h00. Nous stoppons pour la nuit vers 15h00, à Indian Harbor Beach, au mile 923.

Yves a réservé son billet d’avion pour rentrer pour les fêtes de fin d’année en France. Nous devrions être largement dans les temps à Fort Lauderdale. Notre amie Nathalie vient me rejoindre pendant ce temps-là, avec son fils. J’aurai ainsi de la compagnie pour accueillir le Père Noël.

Jeudi 15 décembre, nous virons la chaine de l’ancre à 07h00. Le ciel est couvert, Éole souffle à pleins poumons. Il fait près de 30 ℃ et l’air est très humide. Nous avons des passages étroits à négocier et l’heure des ponts à surveiller et des bateaux échoués parsèment toujours notre route. Tout se passe bien : à 14h30, le pont de Fort Pierce s’ouvre pour nous. Nous tournons peu après vers la gauche et mouillons dans la baie de Causeway, au mile 966, face au centre-ville. Nous sommes à une centaine de miles de Fort Lauderdale. Tout semble parfait… et pourtant, les problèmes vont apparaitre.

Alors qu’Yves part à terre dans la matinée pour chercher du gazole, je reste à bord et je démarre le moteur pour charger les batteries. Problème : le bateau avance, même au point mort. J'éteins le moteur et le redémarre, idem. Il y a du vent, je me demande si cela est une illusion de ma part. Je fais un coup de marche arrière, mais le bateau avance de plus belle. Je démarre le traceur, la trace montre bien que, quoi que je fasse, du point mort à la marche arrière, j’avance. Je commence par inspecter les câbles du levier de vitesse, de la poignée jusqu’au moteur, rien ne semble anormal.

L'inspection commence, c'est moins glamour comme photos ... 

Lorsque Yves rentre, nous re-vérifions ensemble tout le chemin : il faut se rendre à l’évidence, la commande d’embrayage tourne dans le vide.

Yves met ensuite en route le groupe électrogène et branche le bateau dessus, comme s’il était à quai : ouf, nous avons un moyen de charger les batteries. Mais nous ne pouvons pas continuer notre route pour autant.

Yves ouvre le réservoir d’huile du sail drive, l’embase qui relie le moteur à l’hélice. C’est là-dedans qu’habite l’embrayage. Une sorte de mayonnaise en sort aussitôt, sous pression. Nous devons nous rendre à l’évidence, de l’eau de mer est entrée à l’intérieur de ce carter supposé étanche.

La fin de l’année s’annonce mal, très mal. Nous devons mettre tout en oeuvre pour réparer notre embrayage et notre sail drive.

Nous vous souhaitons une merveilleuse année !!! 
32
Fort Pierce, nos nouveaux voisins de mouillage. 

Nous sommes à Fort Pierce et nous savons que nous n’arriverons pas pour les fêtes à Fort Lauderdale et pas davantage à Miami. Toutes mes recherches pour trouver un ponton ou un mouillage confortable dans le secteur n’ayant donné aucun résultat, c’était peut-être un signe ! Fort heureusement d’ailleurs, car les prix sont démentiels et ne permettent aucune annulation.


Nous avons quelques contacts dans le coin : le Port Officer de notre fameux OCC, Jason ; des amis franco-américains, Eric et Chantal sur Hokulele que nous avions rencontrés à Madagascar lors de l’une de nos escapades depuis Mayotte et Robin, bien entendu, notre ami mécanicien canadien qui nous conseille en ligne.

Je mets tout le monde en action et chacun nous aide comme il peut. Jason nous met en relation avec différents chantiers afin de trouver une place au sec. Eric et Robin nous aide à établir un diagnostic : je démonte scrupuleusement le câble qui relie la manette de commande au levier de vitesse, le levier tourne dans le vide. Diagnostic différentiel : soit c’est une pièce du levier qui est cassée soit c’est dans le sail drive lui-même, mais alors nous devrions avoir un bruit de folie que nous avons pas. Nous trouvons les éclatés de toute l’embase et nous sommes un peu rassurés, cela doit être réparable.

La belle mayonnaise dans le réservoir d'huile, et notre fameux levier de commande qu'il faut démonter. 

Entre temps, la météo nous annonce un coup de froid pour Noël, il ne manquait plus que ça ! Nathalie et son fils Amaury doivent venir, à la recherche de chaleur et soleil… je lui demande si elle peut annuler son vol, vu les conditions dans lesquelles nous nous trouvons. Impossible, la compagnie ne veut pas donner de billet ouvert pour un prochain voyage. Ma chère fille Elise décide de se joindre à la fête, il faudra faire preuve d’organisation !

En attendant de sortir le bateau, nous faisons la connaissance de nos voisins de mouillage : Lionel et Michelle, un couple franco-américain. En les invitant à bord en retour, c’est un couple américano-belge, Robert et Sylvie qui se joignent à eux, ainsi qu’un navigateur solitaire québécois. Nous passons une soirée tous ensemble à bord de MedioVaS. Ça détend un peu, que bonheur de retrouver l’accent de la Belle Province.

Nous visitons également un peu le secteur en vue de situer un éventuel RBnB. 
Il y en a certains qui savent préparer Noël.  

Après plusieurs coups de fil et quelques visites d’exploration des chantiers, nous arrivons enfin à fixer une date pour sortir le bateau de l’eau : chez Cracker Boy Boat Work, le 29 décembre. Nous avons également un rendez-vous avec un mécanicien spécialisé Yanmar du chantier d’en face, ShearWater pour le 6 janvier. Pour boucler le tout, nous trouvons le magasin de pièces Yanmar, tenu par Tim. Tim a l’air un peu à l’ouest, il donne toujours l’impression de sortir d’une sieste difficile quand nous frappons à sa porte. Il ne veut pas qu’on l’approche, il faut rester à trois mètres et tenter de le convaincre de nos besoins à chaque demande. Nous ne savons pas très bien s’il comprend tout ce que nous lui disons… Lorsque nous le quittons après notre première visite, il nous lance un good luck with them, check your bill (bonne chance avec ces gars-là, surveillez votre facture), bien anxiogène ! Cette fois-ci, c’est à notre tour de ne pas vraiment vouloir comprendre ce qu’il veut dire par là.

Les choses sont assez bien avancées. Nous faisons tourner notre petit groupe électrogène tous les jours pour charger les batteries.

Jason nous conduit pour faire un plein de courses. Et Lionel est d’accord pour nous conduire à la première station de train qui nous mènera à Miami Airport.

Je prépare le bateau pour l’arrivée des invités. Yves fait sa valise. La température extérieure commence doucement à chuter.

C'est bien d'avoir un chauffage à bord en Floride, qui l'aurait cru ! 

Le 24 décembre, c’est le grand jour. Lionel nous dépose gentiment à la gare la plus proche (une heure de voiture). Puis nous nous offrons royalement une heure et demi de train jusqu’à l’aéroport de Miami, pour cinq dollars par personne. C’est le trajet le plus long mais le moins cher d’Amérique !

En route vers Miami. 

Nathalie et Amaury atterrissent vers 17h00 et Yves décolle vers 19h00, ils se croiseront sans se voir, au hasard des kilomètres de boyaux vitrés qui parcourent cet immense aéroport.

Yves s’enfonce dans la file du contrôle de sécurité, tandis que je pars à la recherche du point d’arrivée des invités.

Il est 17h00 quand l’avion atterrit. Mais il faudra plus d’une heure aux passagers pour passer l’immigration et davantage encore pour récupérer une voiture de location. Nous rejoignons enfin notre hôtel à Fort Lauderdale vers 21h00. Amaury s’endort et nous profitons du bar pour partager un verre de vin blanc et une assiette de pignons de poulet marinés… c’est quand même Noël !

Le 25, nous partons vers Fort Pierce, retrouver MedioVaS. Nous longeons toute la côte océanique et ses maisons de folie. C’est la Floride. La température est basse, si basse que les pauvres iguanes tombent des arbres, littéralement morts de froid. Cette vague glaciale balaye tout le nord des Etats-Unis et paralyse une bonne partie du pays.

Nous suivrons la côte pour retrouve Fort Pierce, un air de vacances.  
Les maisons sont démentielles. Petite séance photo "genre il fait chaud sans vison". 

Amaury découvre le bateau, Nathalie est déjà une grande habituée.

Le ciel s'éclaircit, la bande nuageuse est au large sur le Golf Stream. 

Le 26, nous partons en route pour Orlando dans l’après-midi. C’est là qu’atterrit Elise. Nous aurons déjà parcouru une bonne partie de la Floride, du sud au nord. Nous parcourons les rues de la ville et longeons ses étangs. La ville est vaste, son plus grand interêt réside dans les parcs d’attraction : l’Aquarium, les Studios… tout ce que nous ne visiterons pas !

Je récupère Elise et partons tous dîner. Il s’agit maintenant d’organiser nos petites vacances.

Le 27, Nathalie et Amaury vont vers Cape Canaveral, c’est leur tour de partir pour visiter la Lune. Elise et moi rejoignons le bus qui nous déposera à Fort Pierce. Nous sommes en avance, alors nous en profitons pour visiter l’énorme centre commercial.

Nous nous passerons de montagne russe, nous sommes trop chargées . 

A priori, ce sont les soldes. Nous en repartirons un peu plus chargées, surtout Elise. À 11h00, toujours pas de bus. Je revérifie nos billets : mais oui, dans la précipitation, j’ai pris deux billets pour 11:00… PM, donc le soir ! Il va falloir que je trouve une solution rapidement, c’est Uber qui me parait le plus simple. Et nous avons de la chance, Monsieur Truc, un vietnamien, accepte directement cette course longue distance.

Un peu fatiguées, nous déjeunons au restaurant de la marina, face aux bateaux de pêche sportive, puis nous embarquons dans MiniVaS, et Elise s’installe à son tour.

Dégustation d'alligator pour Elise. Ce n'est pas un régal, mais cela ne la traumatise.

Elle retrouve avec aisance la conduite de MiniVaS et part récupérer Nathalie et Amaury vers 17h00.

Petit moment de détente sur la plage de l'autre côté du mouillage. 

Le soir, nous lançons nos ligne de pêche le long du bord. Elise tente de réitérer son exploit de Grenade, bien décidée de ne pas remettre à l’eau son poisson, si poisson il y a. Et, bingo : après une demi-heure de patience et de changement d’hameçons, un poisson mort. Il faut maintenant le convaincre que « la meilleur place pour lui est à bord » (voir La Grande Séduction). Elle le travaille un peu et, hop, nous avons un beau poisson dans le seau. En le regardant bien, nous trouvons qu’il ressemble à un bébé requin. Mais Amaury qui connaît tout sur les poissons, nous annonce que c’est un poisson chat. Effectivement, il a de belles moustaches. Lorsqu’il s’agit de le tuer, plus personne ne répond à l’appel. Je dois donc m’en charger et je choisis de l’assommer. Cela prend un certain temps… Amaury tourne à moitié de l’œil, Nathalie ne sait trop quoi dire et Elise balance entre admiration et crainte de voir sa mère vétérinaire tuer cet animal avec une certaine violence. Le poisson chat n’a pas d’écaille, mais une peau de requin bien glissante. Après étude de la bête avec l’aide de Google, j’entreprends de le découper en filets.

Les filets sont déposés et rangés au frigo. Nous pouvons maintenant dîner, mais pas de poisson. D’ailleurs, Amaury ne dînera pas du tout !

Silence, il y a pêche à bord. 
Désolée le poisson. 


Le 29 décembre, c'est le grand jour. MedioVaS sort de l’eau. Avec un moteur qui ne veut aller qu’en avant, il est impossible de manoeuvrer. En particulier, il est compliqué de relever l’ancre, car le guideau exige que le moteur soit en marche. C’est donc la compagnie SeaTow qui va nous remorquer, grâce au contrat illimité que nous avons souscrit en entrant aux USA. Il existe ainsi deux compagnies de remorquage et d’assistance aux plaisanciers, qui font fortune des hauts fonds de l’ICW et des soucis du dimanche. Les bateaux de l’une, TowUS, arborent une magnifique peinture rouge vif, ses concurrents, tout aussi resplendissants se pavanent dans leur livrée jaune d’or ! C’est donc un bateau jaune que nous guettons. Elise reste à bord pour assister à l’événement, aider au besoin et apporter son soutien moral.

SeaTow arrive une heure en avance. Yves avait pris le rendez-vous avant son départ, en expliquant bien toutes nos contraintes, en particulier les horaires de marée sous la grue. Je l’avais confirmé la veille. Nous avons le temps d'étudier la manoeuvre avant de partir. Elise en profite pour cuisiner le poisson façon sole meunière. Le résultat est parfait, le goût de la sole sans les arêtes !

Il faut d’abord virer la chaine de l’ancre, qui repose dans la vase depuis presque dix jours. Pour utiliser le guindeau, je suis obligée de démarrer le moteur et nous avançons sur la chaîne. Elise tient la barre et SeaTow me retient ou me tire en arrière. Ça grince un peu, je crains qu’elle ne soit trop profondément enfoncée. Mais, avec patience, toute la chaîne s’empile dans la baille à mouillage et l’ancre termine sa course sur son davier. Ouf, la première étape est une réussite.

Le vent souffle de 15 à 20 noeuds, SeaTow a pris place à couple. Alors qu’il veut mettre en route son deuxième moteur, le courant et le vent nous dépalent vers la gauche, moment de stress : il ne démarre pas. J’imagine la scène : MedioVaS remorquant son remorqueur, moteur bloqué en avant… mais non, vroum vroum, c’est parti.

Tout à coup, c’est lui qui panique, il doute de la hauteur du mat sous le pont. Je lui confirme que l’on passe sans problème quelle que soit la marée. Évidemment, pour sortir le bateau de l’eau, nous devons être marée haute, toujours à cause de notre quille profonde. Une fois sous le pont, il serre les dents, et je souris ; je suis tranquille. Nous ne regardons plus depuis longtemps, l’illusion de se taper le pont est trop grande, même quand il y a dix mètres de mieux.

Au revoir SeaTow et MERCI ! 

SeaTow me conduit ainsi jusqu’au chantier. Il les a contactés à l’avance et ils nous attendent. La manoeuvre est parfaite. MedioVaS repose sur les larges bandes du travel lift, le chariot-grue. Il est soulevé et promené jusqu'à son emplacement. Une équipe d’entretien de coques vient me trouver directement pour me proposer leurs services. Je ferai affaire plutôt avec Jorge, que j’embauche pour poncer la coque uniquement. Vu les tarifs annoncés, j’ai déjà l’impression d’avoir un devis pour une nouvelle coque ! Mais bon, c’est ainsi, l’Euro n’est pas en notre faveur et la Floride est… emplie de riches retraités.

Bon décrassage sous haute pression avant de trouver sa place. 

Vous vous souvenez, lorsque j’écrivais que l’on pourrait presque demander un remboursement à SeaTow pour bonne conduite, aucun échouement ? Il faut que je retire mes mots, aujourd'hui ! Merci SeaTow et mon mari prévoyant ! MedioVaS est prêt pour un long moment au chantier. Je fais la vidange d'huile du sail drive pour qu'il est bien le temps d'évacuer sa mayonnaise. Elise et moi le quittons pour rejoindre Nathalie.

Nous avons décidé de passer le Nouvel An à Miami Beach. Nathalie y a réservé un superbe hôtel. Plage, baignade, visite, ambiance, tout le cliché de Floride est présent, dans un bon bain de foule. La chaleur est de retour, nous pouvons profiter de tout et me libérer un peu des angoisses de MedioVaS.

Miami Beach , nous sommes là 1!
Nous nous sentons vraiment en sécurité ! 
Et les gros clichés. 

Nous ne savons pas trop quels sont les codes pour passer le Nouvel An. Avec Nathalie, nous partons en exploration le long de la digue pour trouver un restaurant. Nous ne sommes pas seuls, évidemment. Après quelques recherches, notre choix est presque fait. Oui, presque : nous demandons le prix par personne… et nous faisons demi-tour. Nous allons dîner au restaurant voisin, dans une ambiance cubaine, pour un prix beaucoup plus raisonnable, mais avec un temps limité à deux heures ; il y a un supplément délirant pour rester jusqu'à minuit !

Nous partons vers 23h30 à la plage. Le décompte se fait et « boum-boum », nous regardons le feux d’artifice. Il est splendide, énorme et interminable.

Notre premier jour de l’année, nous le passons aux Everglades, sur un « bateau-ventilateur », à la recherche d’alligators. Un seul fera acte de présence. Mais la faune est tellement riche en oiseaux, tortues, poissons, que que les crocos ne nous manqueront pas. La sensation de glisse est extraordinaire, au milieu des marécages, sur ces engins sortis d’un film de Mad Max.

Les vacances touchent bientôt à leur fin. Yves rentre dans l’après-midi et Nathalie part le lendemain, MedioVaS nous attend.

Je loue une voiture à Miami et, après de grosses embrassades, Elise et moi laissons Nathalie et Amaury sur la plage ; nous partons vers Fort Lauderdale où Yves atterrit en soirée. Le lendemain nous rentrons à Fort Pierce, découvrir le R-BnB loué le temps des travaux ; le chantier ne permet pas la vie à bord.

Nous sommes en avance, nous allons d’abord faire le plein de provisions et déjeuner ensuite au Crocadillos, un bar-restaurant de plein air, un peu rustique et motards, qui nous faisait envie depuis quelque temps.

Enfin, nous découvrons le logement. Nous ne sommes pas déçus, la petite maison d’époque , toute rose, est de tout confort. Nous occupons l’étage. La clim est la bienvenue, la chaleur est étouffante, ça doit être cela la Floride.

Elise va occuper seule ses matinées, alors que nous allons au chantier, Cracker Boy Boat Work, retrouver MedioVaS et organiser son rétablissement. Nous allons également au chantier voisin, ShearWater, où nous nous rendons compte que personne n’est au courant du rendez-vous prévu pour le 6 janvier. Ça commence mal et Tom, le responsable de l’équipe mécanique, est injoignable.

Yves recevra finalement un mail, confirmant un rendez-vous pour le 5 janvier au matin.

Autre très bonne nouvelle, nos panneaux solaires tout neufs sont arrivés au chantier.

Plus de 50m de fil de pêche entoure la base de l'hélice, ceci explique l'entrée d'eau. Nous découvrons des dégâts sur le safran. 

L’après-midi, Elise s'occupe de refaire les joints de la cuisine, pendant que je démonte entièrement notre propulseur d’étrave. Nous y soupçonnons une très légère entrée d’eau et il tourne également dans le vide. En retirant l’hélice, Yves remarque que la goupille qui tient l’hélice sur son axe a disparu. Je recommande la petite pièce chez nos amis Quick, les mêmes qui nous avaient envoyé les pièces du guindeau.

Toujours aussi inaccessible! 

Mercredi, nous partons à la recherches de fourniture pour la peinture.

Elise a planifié tout un circuit touristique, entre musée des Navy Seals, plages et îlots de mangroves. Au musée des commandos de la marine, une belle surprise nous attend : le canot de sauvetage du cargo Alabama, celui dans lequel le capitaine Philips a été récupéré, après un acte de piraterie somalien. Hollywood en fait un film que je conseille : il est magnifique et nous le connaissons toutes les deux par coeur. C’est un grand moment d’émotion. Nous sommes ensuite promenées dans les activités des Seals, en remontant l’histoire, depuis le 11 septembre 2001 jusqu’à la seconde guerre mondiale.

Nous faisons la connaissance de nos voisins du dessous. Des snow birds, une fois encore, mais terrestres. Ils viennent passer trois mois de l’hiver en Floride. Ils ne sont pas venus seuls, de leur bagages émergent trois grands chiens, croisement de caniches royaux et de bergers.

Nous sympathisons avec eux et proposons un barbecue tous ensemble dans ce cadre merveilleux : notre jardin sous les arbres tropicaux.

Le 5 janvier arrive et nous sommes impatients de rencontrer le mécano. Nous l’attendons à bord. Yves a libéré les deux cabines arrière des matelas et toutes les choses qui encombrent l'accès au moteur. Vers 09h00 le voilà déjà : Mike dit Mikey et son jeune apprenti. Yves l’accueille en bas, tandis que je reste dans le carré. Ça discute, ça discute, je vois tout le monde monter. Yves est très tendu. Il me lance : « - Il veut tout démonter ! » Je me crispe également. Mike a regardé notre embase, le trou, les boulons et a conclu que tout cela se démontait et qu’il allait tout embarquer dans son atelier.

OUPS ! Nous ne sommes pas contents du tout. Nous gardons notre calme et Yves lui explique que nous avons également un problème de commande de levier, le bateau ne veut aller qu’en avant. Mike n’est pas mince, voire frôle l’obésité. Je commence à comprendre pourquoi il veut tout démonter, outre la technique bien connue de la prise d’otage. Travailler à bord où il faut se faufiler dans des espaces étroits n’est pas du tout à son avantage. Mais il arrive à passer la porte de la cabine arrière et regarde la partie supérieure de notre transmission sail drive. Il confirme sa conclusion : il faut tout démonter également « - It’s a huge work (c’est une énorme travail) ! Mes nerfs souffrent, Yves reste plutôt calme ou alors il cache bien ses émotions. Je sors l’éclaté de l’embase et le montre à son acolyte, qui a l’air beaucoup plus futé. Je lui indique ce qui pourrait se démonter, sans tout emporter dans l’atelier. Pendant ce temps Yves lui montre ce qu’il faut vérifier, avant de prétendre désosser notre embase. Le jeune finit par aller chercher des clés à pipe dans la voiture et Mike ouvre le boitier de commande que j’avais déjà libéré du câble de commande. Bingo, un petit axe est manquant, expliquant l’embrayage bloqué en avant. C’est un tout petit morceau de métal, facile à remplacer, mais Mike insiste toujours pour partir avec toute notre embase inférieur et supérieure, il veut retrouver l’axe, craignant que ce dernier se trouve toujours quelque part dans le mécanisme. Si c’était le cas, nous risquerions des dégâts bien plus graves. Après analyse, je conclue avec Yves qu’il n’y a pas moyen que cette pièce se promène dans les différents engrenages. L’huile passe de petit compartiment en petit compartiment, tout le système de roulement est jointif et ne laisse pas la place pour une pièce ressemblant à un boulot sans tête pour s’y promener. En revanche, il a une forte probabilité pour que le petit bout de fer, plus ou moins réduit en miettes, soit parti avec l’huile de vidange. Nous comprenons vite que le Mike en question veut tout emporter dans son atelier car il ne semble pas vraiment savoir ce qu’il fait. Je prends le levier de commande et je cherche comment je pourrais remplacer cet axe pour essayer de débrayer l’hélice. Pendant ce temps Yves et Mike vont au pied de l’hélice pour la démonter. Comme de l’eau rentre et se mélange à l’huile, il faut contrôler et changer les joints de l’arbre final. Pour nous, cela semble un mystère et un boulot de mécano spécialisé. Le cône devant l’hélice est bien capricieux, nous avons déjà tenté de le dévisser mais en vain. Il faut taper, chauffer, etc. Mike finit par y arriver. Sans vraiment rien expliquer à Yves, il embarque tout le moyeu et les arbres avec lui à l’atelier.

Pendant ce temps, je trouve la solution de la commande, je remplace l’axe perdu par un boulon et son écrou. Je remets tout en place et je chipote un peu à la poignée. Yves m’annonce que l’axe vertical engendrant le mouvement horizontal de l’hélice est débloqué, ouf ! C’est une première bonne nouvelle, fort bienvenue. Tout l’engrenage n’est pas foutu, pas besoin de tout démonter.

Nous partons avec les pièces du levier de commande et son boulon de secours rendre visite à Tim, le vendeur de pièces Yanmar. Nous lui montrons le tout, il pense que le remplacement de l’axe suffira mais nous préférons assurer nos arrières et remplacer les pièces principales qui montrent des signes d’usure et de frottements.

Yves passera l'après-midi au bateau, il attend Mike et notre moyeu. Ni l’un ni l’autre ne le rejoindront. Il est un peu de mauvaise humeur lorsque nous le retrouvons en soirée. Nous sentons venir la prise en otage de nos morceaux de transmission, et la rançon salée qui pointe son nez.

Pendant ce temps, Elise m’emmène faire un tour en kayak qui sera remplacé au pied levé par un tour de jet ski. Elle en rêvait depuis longtemps et j’ai horreur de cela : mais je suis faible devant mes enfants. Cela me perdra !

VROUM VROUM ... 

Nous nous retrouvons dans notre maison rose. Yves est déprimé, Mike n’est jamais revenu et son patron Tom ne donne pas de signe de vie.

Pour faire passer tout cela, nous allons dîner au Cider Pierce, il y a un concert, apparemment. Bon, il n’y a rien pour dîner et le concert n’était vraiment pas ce à quoi l’on s’attendait ! Dommage, le cadre était sympa.

Enfin, Yves a des nouvelles de notre pièce. Il faudrait changer l’axe principal de l’hélice qui montre des marques d’usure due aux joints.

Les deux traits parallèles, et bien ce n'est pas normal . 

C’est la fin des vacances pour Elise, son avion décolle à 08h00 d’Orlando. Nous partons de Fort Pierce vers 04h00. Deux heures de route plus tard, elle est à l’aéroport, bondé. Je reste le plus longtemps possible pour attendre qu’elle s’enregistre. Mais après une heure, je me fais gentiment dégager des emplacements de dépose-minute. Je reprends la route en sens inverse. Elise prendra son avion finalement sans problème.

Bon vol Elise . 

De retour à Fort Pierce, nous filons au fameux atelier pour observer notre pièce défectueuse. Je la mitraille de photos. Tom nous explique le soucis avec un joli devis en main ; nous manquons de tomber dans les pommes.

Cette fois-ci, nous allons jouer notre joker et appeler un ami : nous entrons en contact avec Robin, le Canadien. Il partage notre avis, Mike n’y connaît pas grand chose. En regardant les photos envoyées, il nous explique que c’est un grand classique et que, pas de panique, cela se répare, voire le changement de joint pourrait suffire. Tom nous avait fait comprendre que lui, agent officiel de la marque, ne pouvait pas réparer autrement qu’en remplaçant l’arbre d’hélice, pour conserver la garantie du travail. Honnêtement, la garantie, ce n’est pas ce qui nous préoccupe ; nous ne serons plus là pour nous plaindre auprès de lui, quoi qu’il en soit.

Sachant que notre propriétaires est également un marin, capitaine de yachts, je lui demande conseil. Par chance, il a un compatriote Sud-africain qui peut nous aider sans soucis, à Fort Lauderdale.

Plein d’espoir et de determination, nous tentons d’exfiltrer notre pièce dès le samedi matin, mais pas moyen, tout est fermé. Moi qui pensais que les américains travaillaient sans répit…

Nous devrons attendre lundi matin, nous profiterons du week-end pour visiter un peu mieux Fort Pierce.

Lundi, à la première heure, nous retrouvons Tom et récupérons notre moyeu complet. C’est déjà un premier miracle, nous n’avons encore rien payé ni versé aucune avance. Deux heures de route plus tard, nous sommes dans l’atelier de Fort Lauderdale. John nous explique qu’il ne faut même pas le réparer avec un manchon. Il vérifie les tolérances de la marque sur Internet et sourit : un petit coup de ponçage au tour suffira à retirer les marques d’usure qui sont vraiment peu profondes. Il nous confirme que l’on a bien voulu nous arnaquer. Il nous expliquera que, dans son pays que nous chérissons, les pièces neuves manquent. Il faut alors se débrouiller. Cela nous rappelle bien des souvenirs, un peu partout en Afrique. Nous aurons un cours particulier sur le fonctionnement des joints, des engrenages et du sail drive, nous sommes ravis. Un quart d’heure de boulot, une demi-heure de théorie, John ne fait pas de facture, il refuse d’être payé… mais accepte les donations !Yves sort un billet de 50 dollars avec presque une larme à l’oeil : nous venons d’économiser 2000 dollars ! Nous irons déjeuner au bord de la plage pour fêter ça, avant de prendre la route de retour.

Déjeuner à Fort Lauderdale. 

Le soir nous dinons avec les voisins et les propriétaires. L’économie réalisée grâce à eux nous permettra de rester une semaine de plus dans la petite maison rose et de conserver la voiture de location. MedioVaS n’est pas du tout prêt à retourner à l’eau.

Depuis le Canada, Robin valide la réparation. Avec Yves, nous prenons une décision claire : Mike le mécano ne viendra plus mettre ses pattes sur notre embase, ni sur le moteur, ni sur quoique ce soit. Cela nous fait un peu trembler, car nous devrons tout ré-assembler nous-mêmes, mais nous considérons que ce ne seras pas pire que si c’est Mike qui s’en mêle.

Nous attaquons le moyeu de l'hélice et ses fameux joints. Robin nous a bien expliqué comment les mettre en place pour ne pas les abîmer. En soi c’est assez simple lorsque l’on connaît les astuces et les pièges. Le premier joint empêche l’huile de l’engrenage de sortir, le deuxième empêche l’eau de mer d’y renter.

Partie hélice, validée! 


Nous nous repartissions les taches : je prends en main le montage et le changement de pièces du levier de commande en m’appliquant à bien suivre l’éclaté. Mes mains de chirurgiens tremblent d’impatience.

Levier de commande, validée. 

Yves s’occupe de remettre le moyeu, l’anode, hélice et son cône en place, en essayant de ne pas mélanger l’ordre de toutes les petites pièces. Nous sommes à peu près synchrones, tout le monde trouve sa place, nous allons pouvoir faire des essais. Il s’agit de voir si tout fonctionne, mais surtout d’être certain que le levier commande l’hélice dans le bon sens ! Nous avons une chance sur deux. Ce serait embêtant d’avoir une marche arrière qui commande en avant et vice-versa. Yves a passé beaucoup de temps autour de l’hélice et des manuels afin de savoir dans quel sens tourne la nôtre. Nous démarrons le moteur sur le chantier, pour quelques secondes, il ne risque pas de chauffer sans entrée d’eau.

Nous sommes ravis, l’hélice tourne, s’arrête et retourne dans l’autre sens en suivant la commande du levier, et, a priori, dans le bon sens !

Yves passe l’après-midi au repos dans la maison, les chauds-froids de la clim ont du lui coller un bon rhum, ou alors il a attrapé le coup de froid d’Élise. Pour ma part, je vais au bateau et j’attaque la peinture de la coque. Cette année elle sera noire.

Nous devons faire tout cela avant le vent du nord annoncé, signe de grand froid, après une journée de pluie. La peinture supporte mal les températures trop basse avant d’avoir séché.

Nous la terminerons le lendemain en fin de journée juste avant le mauvais temps.

Nous commençons enfin à voir le bout du chantier. Je réserve une date de mise à l’eau, en espérant que tout se passera bien.

Nous passons deux jours tranquilles, à l’abri de notre petite maison bien douillette. Pluie et 5℃, nous paressons devant les series de Netflix, sur l’immense écran du salon. Nous faisons également les provisions de MedioVaS et des lessives à volonté.

Le samedi 14, nous rendons la voiture après avoir chargé le bateau. Dimanche c’est encore repos, la température remonte doucement.


Lundi 16 janvier, MedioVaS retourne à l’eau. Le chantier est très professionnel, tout se passe à l’heure prévue.

Le moteur tousse un peu, normal, il doit remplir ses tuyaux d’eau. Avant de nous libérer complètement, je vérifie la marche avant et la marche arrière : Yves confirme que tout est bon, ouf. Ce gros moment d’angoisse passé, nous menons MedioVaS au mouillage devant l’inlet de la sortie vers l’océan.

Nous ne pourrons pas emprunter l’ICW : sur leur page Facebook, j’ai aperçu qu’un pont situé en aval ne s’ouvre plus. Il faudrait au moins une semaine pour le réparer. C’est comme si le destin voulait que l’on s’enracine à Fort Pierce. La météo s’annonce très calme pour le mardi, nous devons prendre cette fenêtre pour descendre par l’océan jusqu’au prochain inlet si nous voulons atteindre Fort Lauderdale avant le coup de vent du sud. Nous discutons de l’opportunité de prendre la mer avec notre embrayage et notre arbre d’hélice convalescents. Nous concluons que nous ne risquons pas de couler et qu’il est bien plus facile et prudent de mouiller sur les vastes étendues de sable à la profondeur idéale, que de risquer de rester sans propulsion dans ces canaux si étroits et très fréquentés. Au pire, nos amis de SeaTow viendront nous chercher !

Le bonheur d'être à nouveau sur l'eau . 
33
Inlet de sortie . 

Le mardi 17, vers 07h00, nous quittons Fort Pierce. Qui l’aurait cru ? Notre petite maison rose est déjà bien loin et nous la remercions encore pour tout le confort et le repos qu’elle nous a offerts. Le petit inlet s’ouvre devant nous, le grand océan nous appelle. Nous partons avec la marée descendante, le courant nous pousse vers la sortie. Cela vaut mieux, dans ces espaces étroits, le courant s’avère très fort. Un groupe de dauphins nous souhaite bonne route. Le moteur tourne bien, même si je trouve la poignée de commande un peu dure, surtout en marche arrière ; il faudra contrôler cela.

Nous retrouvons nos marques à bord, une petite brise nous permet de sortir le génois et la grand voile. Très vite, je remplace le génois par le gennaker.

Le moteur aura le dernier mot ! 

Comme nous nous y attendions, le vent finit par tomber et nous finirons au moteur. La température passe de 10℃ à 16℃, annonçant la fin du coup de froid. Mais cela confirme également une rotation des vents au sud pour très bientôt.

Nous profitons du soleil en longeant la côte de très près, afin de bénéficier du contre-courant théorique. Ce dernier ne se fait pas vraiment ressentir, c’est bien une frange du Gulf Stream qui nous ralentit. Vers 16h00, nous embouquons l’inlet de Riviera Beach, large et confortable. Le courant nous pousse vers l’intérieur, cette fois-ci. Nous mouillons l’ancre vers 17h00, dans la zone de mouillage. Le soleil se couche sur une usine plutôt bruyante et odorante. Mais cela ne nous affecte pas.

Je file à l’eau pour vérifier l’hélice : pas de regret, un beau sac en plastique se faisait déjà une joie de trouver sa place là où il ne faut pas. Je le retire au couteau et me promets de plonger à chaque arrivée. Dire que nous trouvions l’océan plus sûr que l’ICW, car charriant moins de déchets. Pendant ce temps, Yves vérifie l’huile de l’embase : elle est toute belle, pas de signe d’entrée d’eau. Oui, nous devenons un peu parano…

Un coucher de soleil un peu différent mais toujours si lumineux . 

Le mercredi 18, nous partons avec le lever du jour, dans l’ICW. Le vent du sud ne nous permet pas de naviguer par l’extérieur.

Nous croisons des bateaux de stars, comme celui-ci appartenant auparavant à Vanessa Paradis et Johny Deep. 

Recommence alors la litanie des ponts. C’est un peu la course contre la montre, ces ponts manoeuvrent presque tous à heure fixe. Il ne faut pas se louper car le temps est compté au plus juste entre deux ponts et leurs servants sont plutôt à cheval sur les horaires.

La caravane de bateaux est anormalement petite, sans doute à cause de la cinquantaine d’embarcations bloquées en amont du pont cassé. Nous sommes contents d’avoir pu l’éviter, grâce à cette petite fenêtre météo, pile le bon jour.

Un décollage de fusée depuis Cap Canaveral derrière nous. on reconnait bien la forme du nuage. et des dauphins bien matinaux.

Nous avons de plus en plus l’impression de naviguer en pleine ville : la Floride s’urbanise à mesure que nous avançons vers le sud.

Vers 16h00, nous mouillons l’ancre à Fort Lauderdale, enfin !

Un pont aux allures de Walt Disney marque l'entrée de Fort Lauderdale. 

Nous devons y retrouver Robin(a), la propriétaire de la petite maison rose. De nos commandes de chantier, les produits pour notre dessalinisateur, étaient arrivés quelques minutes avant la mise à l’eau ; mais la livraison des goupilles de rechange du propulseur d’étrave devait avoir lieu le 20. Par chance, cette livraison fut plus rapide et Robin nous apporte notre petit colis, profitant de sa venue pour mettre de l’ordre dans son autre RBnB, à FL, avant l’arrivée de ses clients. Nous pourrons ainsi bénéficier de bonnes fenêtres météo pour la suite.

Nous sommes au Mile 1063, c’est ici que se termine notre long voyage dans l’ICW. Un pont de Miami ne permet pas le passage de notre antenne VHF, nous ne voulons pas la démonter et encore moins prendre le risque de l’abîmer. Il faudra donc contourner la grande ville.

Nous passons une journée à terre. Fort Lauderdale est une assez grande ville, à une demi-heure de Miami et beaucoup plus calme que cette dernière. Nous profitons de MiniVaS pour sillonner les différentes « allées » que forment mille canaux. Ces allées sont bordées de maisons somptueuses, toutes agrémentées de pontons privés, si privés qu’il est impossible d’y accoster notre annexe. Heureusement, au fond de l’une d’entre-elles se trouve un bar-restaurant qui accepte les annexes, pour un avoir de dix dollars, à valoir sur les consommations. Le deal est correct, gagnant-gagnant, d’autant que le cadre est sympa.

Noël est toujours présent chez certains. Canaux et maisons de FL.

MiniVaS désormais en sécurité, nous entamons une longue randonnée vers le quartier animé de Las Olas. À vrai dire, il n’y a rien de très passionnant. C’est une ville à l’américaine, avec une seule rue qui soit vraiment animée. Mais nous trouvons un trolley-bateau gratuit, qui nous permettra de traverser le canal principal et de raccourcir de moitié notre route de retour. Nous sautons dedans et avons droit à une petite visite sur l’eau. Évidemment, nous aurons la confirmation que toutes ces énormes maisons, trop grandes, trop belles ou trop kitchs, appartiennent essentiellement aux rois de la drogue.

Nous allons déjeuner « chez » MiniVaS et terminons par le plein de provisions. C’est le moment de remplir les cales de MedioVaS à ras bord, tout le monde dit qu’il n’y a pas grand choses dans les rares magasins de notre prochaine destination.

En fin de journée, Yves m’offre un apéritif le long de l’océan et une belle promenade le long de la belle et interminable plage. Je l’invite à mon tour de l’autre côté du boulevard et nous dinons en amoureux, admirant les voitures extraordinaires et les bruyantes motos américaines qui défilent au coucher du soleil.

Un petit tour à la plage ... nous ne sommes pas très friand du sable.  

Nous avons reçu quelques conseils de Robin et ‘G’, son mari, ainsi que de Pam’ (ancien Port Officer de l’OCC), pour nos escales suivantes.

Le vendredi 20, nous quittons les terres et les villes. À 07h15, nous passons sous le pont de Las Olas et retrouvons l’océan, après un dernier pont autoroutier, énorme, qui manoeuvre rien que pour nous. Cette fois-ci, nous avons bel et bien un contre-courant.

Hollywood, un peu avant Miami. 

Nous saluons Miami et, bien en avance, nous entrons dans la Baie de Biscaney. Le chenal longe une série de maison sur pilotis, c’est splendide !

De l'autre coté de Miami, entre les haut-fonds de la Baie de Biscaney. Ce n'est jamais très rassurant lorsque le héron à pied ! 

L’eau retrouve sa couleur vert émeraude. Une petit plongée s’impose pour vérifier l’hélice. Je profite de l’après-midi pour régler la poignée et le câble de la commande du levier de l’embrayage. J’avais fait une série de photos pour Robin, le Canadien, j’applique maintenant ses instructions scrupuleusement. La poignée retrouve toute sa souplesse, un vrai bonheur.

Entre embrayage et détente.  

Nous scrutons la météo, à la recherche d’une fenêtre pour rallier notre prochain pays. Les USA c’est bien, mais il est temps de partir. Quatre mois, c’est long, cher et nous sommes déjà en retard : les alizés commencent à s’installer, annonçant des mers dures, surtout contre le courant du Gulf Stream. Il y en aurait une le 23 et une autre le 25. La première est trop proche, nous n’arriverons pas à temps sur la ligne de départ. Nous visons donc la seconde.

Le 21 janvier, nous filons voiles et moteur vers Rodriguez, une île au sud de Key Long. Finalement, nous poursuivrons 5 milles de plus, vers l'île Tavernier, espérant un meilleur abri. Un fort vent de SO est prévu et la géographie des bancs semble plus favorable ici. Nous mouillons l’ancre vers 14h30. La marée est basse, les bateaux à touristes sont là pour déposer leurs passagers sur le sable, au beau milieu de l'océan. Cela nous rappelle un peu Mayotte.

Le phare de Biscaney 
Tavernier à marée haute, les touristes sont partis. 

Nous continuons le lendemain vers Marathon. Les voiles arisées, nous filons bon train vers Marathon, portés par un vent de 20 noeuds et le courant. Nous devons y rencontrer Russel, autre Port Officer de l’OCC. Nous arrivons trop tôt, le vent ne s’épuisera pas avant une bonne heure, et la mer est trop formée pour aller rejoindre le mouillage prévu, dans deux mètres et demi d’eau. Nous risquons de toucher le fond dans le creux des vagues assez escarpées. Nous restons à la cape pendant une bonne heure et trouvons un mouillage en eaux un peu plus profondes vers 15h30, au large des Sisters Rocks. Le vent s’est à peine essoufflé, mais nous sommes en sécurité.

Une merveilleuse journée de voile. 

Nous ne verrons pas Russel, nous sommes trop loin de la côte. Il était prévu de rester ici toute la journée du lendemain : il parait que Marathon est très jolie et le vent nous soufflerait droit dans le nez.

Mais la fenêtre météo du 25 se maintient, alors nous ne voulons pas perdre de temps. Nous naviguons dès le 23 vers Key West, au moteur.

Je suis contente de voir arriver la fin de notre séjour américain. Mais je reste un peu stressée en surveillant la fenêtre météo qui doit nous ouvrir la porte de sortie. Elle ressemble un peu à une fenêtre à deux battants : quand elle s’ouvre d’un côté, elle se ferme de l’autre… Ensuite, il n’y a rien de bon avant mi-février ; les alizés sont vraiment bien installés. Nous devrons traverser le Gulf Stream, qui coule vers l’est donc contre les alizés : il serait très imprudent de traverser dans ces conditions.

Ils en sont fiers ! 

Key West abrite une quantité de bateaux au mouillage, c’est un peu la destination ultime des snow-birds, les voiliers migrateurs. Certains ont même du oublier de migrer vers le nord depuis plusieurs saisons ! Nous trouvons une petite place au beau milieu de tout cela. Le vent va tourner au nord avec des grains, le courant est très fort, mais MedioVaS parait idéalement placé, au centre d’un carré de voisins bien espacés.

La nuit bien tombée, le courant s’inverse et nous commençons à faire de drôles de choses autour de notre ancre. Les bateaux voisins tournicotent également, mais pas du tout en cadence. L’un d’eux semble même beaucoup plus près que prévu et, pourtant, nous n’avons pas chassé d’un pouce. Quand il se trouve vraiment bord à bord, nous comprenons que lui pousse sur son ancre tandis que nous tirons sur la nôtre. Sans plus se poser de question sur la magie des tourbillons de courant, nous sautons sur le moteur et le guindeau pour changer de place. Dans le noir et le vent, c’est toujours un peu une aventure, mais tout se passe très bien. Nous manoeuvrons dans une ambiance surréaliste, à la lueur de notre gros projecteur en mode lumière rouge. Enfin, nous sommes de nouveau à distance de sécurité de nos voisins. Il y a bien un petit voilier un peu trop près sur l’arrière, mais cette fois, c’est nous le gros ! Yves le surveille attentivement, relit trois fois les horaires de courant de marée en les rapprochant des prévisions de rotation du vent dans la nuit et décrète que nous serons tranquilles au moins jusqu’au matin. Il avait raison, mais nous nous lèverons quand même tour à tour dans la nuit, pour jeter un coup d’oeil sur le mouillage. Quand le vent souffle, on dort toujours un moins profondément…


Mardi, nous partons visiter Key West dans l’après-midi, une fois la pluie tombée. Nous offrons à MiniVaS une petite place de ponton pour la journée. Ici, toutes les annexes sont bien rangées, en bataille, dans un véritable petit port rien que pour elles. On est bien loin des dinghy-docks anarchiques et surpeuplés des Caraïbes.

MiniVaS se fait des amis, et nous, nous cherchons où aller. 


Les maisons sont superbes, tout y est entretenu à la perfection. Il y a du monde un peu partout. Le point le plus sud des USA est très prisé des touristes. L’eau a la couleur des Caraïbes, l’air est chaud et l’ambiance se veut un peu cubaine. Nous marchons sans but, apercevant au passage la maison d’Hemingway, un petit bijou.

Pour tous les goûts. 
La maison d'Hemingway et l'ancien phare juste en face. 

Évidemment, nous terminons par quelques courses, avant de retourner à bord. La fenêtre météo décide de garder ses deux volets ouverts, ouf ! Elle s’annonce courte et un peu délicate, nous décidons donc de considérer notre plan B en priorité : profiter au maximum du Gulf Stream qui nous sépare de Cuba. Ainsi, au lieu d’aller vers La marina d’Hemingway, à l’ouest de La Havane, nous irons à Varadero, une cinquantaine de milles à l’est. La distance depuis Key West est la même et cela nous permettra de connaître une autre partie de Cuba.

Le 25, nous passons la matinée à organiser le bateau. Mettre MiniVaS sur le pont avant, préparer la cabine arrière pour y dormir entre les quarts, faire disparaitre l’échelle de chantier et le matériel de peinture, avant de faire un dernier plein d’eau dessalée… Le vent souffle fort du sud-est, nous devrons attendre qu’il se calme pour partir.

En quatre mois aux Etats-Unis, nous sommes entrés par le lac Ontario, bien au nord, pour atteindre notre destination méridionale après avoir parcouru 1835 milles, l’équivalent de 3400 km.

Un petit aperçu du parcours. 

Nous avons vécu des instants formidables depuis Cape Vincent, rencontrés des gens extraordinaires, dont les nombreux Port Officers de l’OCC qui se donnent à fond pour nous. Yves y a même trouvé une « petite soeur » inconnue. Nous avons découvert des endroits magiques et en avons redécouvert d’autres, comme New York, sous des angles très différents.

Nous avons également vécu des moments pénibles avec nos soucis de guindeau ou de sail drive. Mais nous sommes de bien meilleurs mécaniciens aujourd’hui. Heureusement que notre incident s’est déroulé à Fort Pierce et non au milieu de la pampa. Un grand merci à tous ceux qui nous ont soutenus.


Des images merveilleuses plein la tête et le portefeuille un peu trop allégé, nous quittons les Etats-Unis vers Cuba, avec l’impression de jouer les forceurs de blocus. Une autre dimension nous attend, une escale qui se fait désirer depuis longtemps. Nous sommes impatients d’y être !

A très bientôt pour la suite !!! 

C’est ici que se termine également le chapitre MedioVaS en Atlantique Nord.