Notre ascension du Saint Laurent va commencer. Depuis deux mois nous remontons le fleuve, mais cette fois-ci, nous allons l’escalader. La différence de niveau entre Montréal et le Lac Ontario est de 68 mètres. Nous allons donc devoir franchir sept écluses pour atteindre cette altitude et lutter contre le courant.
Ma nature optimiste me pousse à réserver les quatre premières écluses en une journée. C’est jouable en distance, c’est jouable en horaires… Yves reste septique.
Nous quittons notre belle escale montréalaise le jeudi 1er septembre à 6h00 du matin. Nous devons repasser sous le pont Jacques-Cartier sous lequel passe ce courant de folie. Cette fois-ci, il nous pousse vers la sortie. Le moteur tourne fort pour bien rester manœuvrant, tout se passe à merveille, à dix noeuds au moins. Nous virons la cardinale de l'île Saint-Hélène et entrons à nouveau dans le fleuve.
Le courant nous chasse vers la sortie C’est ici que débute la Voie Maritime. Pourquoi une Voie Maritime ?
Les Grands Lacs et le fleuve Saint Laurent sont nés à la fin de l’ère glaciaire, il y a un peu moins de 10 000 ans. Ce système hydrologique est donc très jeune. Le parcours de l’eau entre le lac Supérieur et l'océan Atlantique présente beaucoup d'irrégularités que l’érosion n’a pas encore fait disparaître. C’est là l’origine des rapides et des chutes, gros obstacles pour la navigation. C’est ainsi que Jacques-Cartier s’est cassé les dents sur les rapides de Lachine, autour de Montréal, lors de sa quête du passage du Nord-Ouest.
Les Français tentèrent de contourner les rapides de Lachine par un premier canal dont les travaux débutent en 1680. Ils s’achèveront un siècle plus tard.
Entre 1779 et 1783, les ingénieurs royaux britanniques creusent les premiers canaux opérationnels, pour répondre aux impératifs militaires après l’invasion américaine. Ainsi le Lac Saint-Louis est-il relié au Lac Saint-François par quatre canaux, à peine profonds d’un mètre. Cinq premières écluses, larges de moins de deux mètres, permettent de remonter le Saint-Laurent.
Il existe bien une solution moins risquée pour contourner les rapides, mais elle est fastidieuse, c’est le portage. L’accroissement de la population de la colonie vers l’ouest et les besoins de mobilité vont faire entrer le Canada dans « l’âge des canaux ».
Cela débuta en 1825 avec le canal de Lachine à Montréal , puis en 1833 avec le premier canal Welland entre les lacs Ontario et Erié. On instaura un gabarit unique pour les écluses : 200 pieds (61m) de long, 45 pieds (13,7m) de large et 9 pieds (2,7m) de profondeur. Le gouvernement de la jeune province du Canada construit ainsi une série de canaux permettant de contourner les principaux rapides, Cornwall en 1843, Beauharnois en 1845, Iroquois en 1847… mais ceux-ci deviennent rapidement trop étroits. Dans les années qui suivirent, ils furent reconstruits ainsi que leurs écluses, pour accueillir des bateaux toujours plus gros.
1895 voit la création de la US-Canadian Deep Waterways Commission, pour étudier la faisabilité d’une voie maritime. Mais ce ne sera qu'après la seconde guerre mondiale, sous de fortes pressions commerciales, que le projet va se concrétiser. Une nouvelle commission apparait en 1949 ; ce sera la bonne ! En 1951, les Etats-Unis amorcent les travaux sur le canal Wiley-Dondero, qui contournera les rapides internationaux.
En 1954, débutent les travaux de construction de la Voie Maritime. Il faut modifier quatre ponts de Montréal, draguer de nouveaux chenaux et assembler des écluses.
La Voie Maritime s’ouvre à la navigation le 25 avril 1959. L’inauguration officielle aura lieu le 26 juin, en présence de la reine Elizabeth II et du président Eisenhower, à bord du yacht royal Britania commandé par le Duc d’Édimburg, Philip Montbatten.
Cette gigantesque voie maritime permet de relier l’Atlantique aux cinq Grands-Lacs. Les écluses ont toutes les mêmes dimensions : 766 pieds (233,5m) de long, 80 pieds (24,4m) de large, 30 pieds (9,1m) de profondeur, parfait pour notre MedioVaS !
La Voie est fermée de fin décembre à fin mars en raison des hivers plutôt froid de la région. Cela permet d’y effectuer les travaux de maintenance.
Première écluse en vue. Nous longeons l'île Sainte-Hélène, en direction de notre première écluse. Nous atteignons Saint-Lambert vers 07h15. L’ouverture pour les plaisanciers est prévue vers 09h15. Un beau petit ponton nous permet de patienter tranquillement. Deux autres bateaux arrivent, une vedette à moteur et un voilier Étap 28i, fameux voilier de construction belge. À bord, le skipper canadien d’origine britannique a embarqué un couple de jeunes Chinois qui rêvent de voyage autour du monde. Ils arrivent de Terre-Neuve et vont jusqu'à Toronto. Ils approchent pour accoster à couple. Nous ne sommes pas ravis en observant leur manoeuvre et l’absence de défenses sur leur coque. D’un bon coup de marche arrière, le skipper se dégage au dernier moment. Son équipage frappe des défenses et nous les aidons à accoster au ponton après avoir reculé MedioVaS pour leur laisser davantage de place… et souffler.
L’heure tourne et toujours pas d’annonce d’éclusage sur le panneau d’affichage des plaisanciers. Nous tentons de contacter l’éclusier mais le téléphone en place ne fonctionne pas. Il n’y a plus qu'a attendre et surveiller les petits feux, donc chacun a une signification importante, que nous avons du étudier avant d’arriver.
En attente ... À 10h45, enfin, les petits feux orange s’excitent, nous pouvons nous préparer. L’éclusier nous balance un truc incompréhensible dans les hauts-parleurs qui résonnent dans toute l’écluse. Tout le monde se précipite pour larguer ses amarres et se présenter dans le bon sens devant les immenses portes encore fermées. Nous tournons un peu en rond et les portes finissent par s’ouvrir devant nous, tous les feux au vert.
Enfin dedans ! Nous avons l’impression de rentrer dans une cathédrale. Ici, pas besoin d’amarres. On nous envoie des cordages flottants depuis le quai, là-haut, tout en haut, si haut. Bateau après bateau, chacun pioche ces longues lignes qui tombent du ciel. En une quinzaine de minutes, nous sommes hissés de dix mètres et apercevons enfin le plancher des vaches.
Nous sortons de l’écluse de Saint-Lambert vers 11h15. Le scepticisme d’Yves trouve raison, nous ne passerons jamais quatre écluses aujourd’hui ! Je modifie la réservation pour les deux dernières au lendemain matin.
Le site de réservation est très bien fait pour les plaisanciers, mais il ne faut pas se tromper, choisir sa bonne écluse, montante ou descendante, matin ou après-midi … et si ce n’est pas réservé et payé, nous ne pouvons pas écluser.
Nous poursuivons notre route dans ce canal étroit et sinueux. Le croisement d’un cargo est toujours impressionnant.
Pousse Yves ! Vers 13h00, nous trouvons le ponton d’attente de l’écluse Sainte-Catherine. Elle était réservée pour ce matin, mais comme le retard n’est pas de notre fait, nous sommes quand même les bienvenus. Une bonne heure plus tard, nous escaladons à nouveau une dizaine de mètres, toujours en compagnie du voilier « des Chinois ».
Le canal de la Rive Sud, premier tronçon de la Voie Maritime, nous a permis de contourner les rapides de Lachine. Nous entrons maintenant sur le territoire des Mohawks à Kahnawake. Nous en profitons pour tenter du gazole dans la réserve, en principe nettement moins cher (vous vous souvenez, les taxes…) Yves saute dans MiniVaS, chargé des jerricans, pendant que je surveille le mouillage. À peine parti, le voici déjà de retour ? Yves n’a jamais vu du gazole aussi cher, il a « salué l’Indien » et rentre bredouille et choqué. Nous repartons aussitôt pour trouver un mouillage pour la nuit, au plus proche des écluses suivantes.
Après avoir traversé le lac Saint-Louis, nous mouillons devant la petite marina de Melocheville, mais l’ancre ne trouve que des cailloux et nous sommes devant le déversoir de l’écluse qui peut engendrer un courant énorme lorsqu’il fait son office. Nous allons tenter notre chance de l’autre côté de l’entrée de l’écluse. Nous nous approchons de l’autre marina, devant Beauharnois. La sondeur passe de 5 m à moins de 2 m. Oups ! Pourtant nous ne touchons rien. Yves reprend sa trace pour retrouver les 5 m. Chose faite, l’ancre mouille dans 6 mètre d’eau et nous pouvons dormir à peu près tranquilles, devant le barrage de la centrale hydroélectrique de Beauharnois.
Beauharnois Vendredi 2 septembre, nous nous présentons vers 8h15 devant les écluses du Beauharnois. L’ouverture est prévue vers 9h30…. et se fait attendre une fois encore. Nous retrouvons nos amis chinois au ponton d’attente, qui se présentent encore et toujours sans défenses ! À 10h30, nous entrons dans l’écluse aval et ressortons de l’écluse amont à 11h00. Les deux écluses se suivent et permettent une ascension d’un peu plus de vingt mètres. Toujours plus haut !
Le cargo entrant dans l'écluse se colle au mur qui lui sert de guide. La largeur de l'écluse est la même que celle du cargo ! Il n’y a pas que des écluses, le long de la voie maritime, il y a aussi des ponts. Pour la plupart d’entre eux, ils sont largement plus haut que notre tirant d’air, mais pas tous. L’ouverture de notre premier pont devait avoir lieu à 15h00. Il a ouvert un peu avant pour un cargo, il aurait pu nous attendre une dizaine de minutes, mais non, il s’est abaissé devant notre nez. Nous sommes obligés de faire des ronds dans l’eau ou de se laisser dériver. Vers 15h20, enfin, le pont se relève et nous pouvons passer.
Nous rejoignons Salaberry-de-Valleyfield, il paraît que c’est très mignon et ils ont du gazole. Vers 17h00, nous mouillons l’ancre face à leur marina. Notre sondeur nous gratifie à nouveau de fonds de moins 2 m, là où devrions en trouver 4 ou 5. Nous commençons à comprendre pourquoi : le fond des bassins est une vrai plantation d’algues montantes et cela rend notre sondeur un peu parano.
Mouillage pour le week-end. J’envoie un message à notre amie Fannie, rencontrée aux Bermudes (vous vous souvenez de la drisse coincée en tête de mat le jour de leur départ ?) puis en Nouvelle Écosse. Nous n’avions pas pu la voir à Montréal, alors je tente. Bingo ! Elle peut nous rejoindre le lendemain. Ça tombe bien, nous restons ici deux nuits. La météo annonce un peu de vent de nordet dans deux jours, j’ai donc proposé à Yves de profiter du coin au soleil et du vent plus tard.
Première chose à faire : le plein de gazole. Yves revient les bidons pleins mais la mine déconfite : le carburant est encore plus cher que chez les Mohawks ! Le prix va-t-il suivre la même courbe que notre ascension du Saint-Laurent ? Les marinas abusent : nous vérifierons plus tard, lors de notre promenade à pied en ville, les prix y sont 40% moins chers. Nous serons plus vigilants dorénavant.
Elles sont splendides et savent se faire entendre. C’est vendredi et le soir il y a fête, évidemment. De notre mouillage, nous profiterons du concert donné au bar, un peu plus loin. Les bateaux vont et viennent, l’endroit n’est pas des plus tranquilles, mais c’est agréable de voir du mouvement sur l’eau le long des maisons qui allument leur barbecue. Nous ne sommes plus bercés par les grognements des phoques, ce sont les oies bernaches du Canada qui prennent la relève ; ainsi que les omniprésents cormorans et des mouettes grosses comme des goélands…
Le fond du bassin de notre mouillage. Samedi matin, la journée est magnifique et chaude. Nous partons nous promener dans le joli parc et la ville. Le décor alterne entre une ville de villégiature avec ses belles maisons, avec ses nombreux bateaux, et une ville industrielle avec de hauts blocs en pierre rouge et leurs cheminées. Évidemment, nous trouvons toujours le clocher de l’église en premier lieu.
Basilique-Cathédral Sainte Cécile, datant de 1855. Fannie nous annonce une arrivée vers midi trente. Nous l’attendrons à la Pataterie, elle a du retard et nous avons faim.
Quel bonheur de revoir Fannie. Elle a quitté le voilier Arjuna et son chum pour prendre un nouveau départ et retrouver sa famille après une année passée en mer.
Elle nous fait visiter Valleyfield, ville qu’elle connait bien pour y avoir travaillé quelque temps et qu’elle affectionne tout particulièrement. Nous apprendrons donc que la ville était essentiellement industrielle. Vers 1850, la compagnie écossaise The Valleyfield Papers Mills s’y installe, suivie de la filature Montréal Cottons Compagny. La ville ouvrière perd ses usines qui sont transformées en hôtel et logement sociaux. Les habitants bénéficient aujourd’hui d’aides sociales importantes, leur permettant de garder un statut relativement important. La ville se transforme petit à petit en lieu de villégiature, marina et bateaux y fleurissent.
Vieux canal du Beauharnois Nous nous promenons le long du vieux canal du Beauharnois et de ses rapides, source principale d’énergie utilisée à l’époque par les usines. Les rapides sont devenus le rendez-vous des kayakistes. Après cette belle promenade, Fannie nous propose un tour au supermarché en profitant de sa voiture pour faire le plein de provisions. Elle connait bien la corvée à pied chargée de sacs bien lourds. Nous ne refusons pas ! Vers 15h00, nous lui disons au revoir et merci. Nous sommes heureux d’avoir pu partager ce moment inattendu, une fois encore une belle surprise.
Merci Fannie, c'était trop sympa de te revoir. Nous posons nos courses à bord et je profite de cette belle chaleur pour m’offrir un petit bain ; l’eau frôle les 25 degrés. Depuis quelque temps, nous naviguons en eau douce. La coque de MedioVaS qui montrait un profil bien sale à Montréal semble avoir subi un auto-nettoyage et je veux aller vérifier cela. L’eau douce a tué toute la faune et la flore qui s’étaient installées et le frottement lors des navigations a fait le reste. Pourvu que cela dure jusqu’au prochain carénage ! Maintenant, nous devons faire attention avec la végétation des plans d’eau douce, de longues algues qui peuvent facilement venir obstruer l’entrée d’eau du moteur et bien d’autres choses.
Ça fait un bien fou ! Samedi soir, c’est encore la fête autour de nous, un défilé de bateau vont et viennent. Nous sentons la saison qui se termine, tout le monde profite des derniers jours chauds de l’année. Le ciel se couvre et nous aurons quelques orages dans la nuit. Dimanche matin, nous appareillons tôt pour profiter du nordet, ce vent qui apporte avec lui de la pluie. Nous arrivons ainsi à traverser le lac Saint-François à la voile. Au bout du lac, nous entrons à nouveau dans les canaux entre les îles et la terre ferme. Il faut commencer à alterner le pavillon de courtoisie, tantôt canadien, tantôt américain. Yves a mis en place un astucieux système de drisse continue, les pavillons montent ou descendent en va et viens, l’un chassant l’autre.
Lac Saint-François à la voile et sous la pluie. Une fois bravé le courant sous le Pont International, nous approchons des écluses américaines. Pour celles-ci : pas de réservations, pas d’horaires et pas de paiement anticipé.
Les premières américaines sont les vaches le long du chenal devant le Pont International. Vers 15h00, nous nous amarrons à un ponton microscopique et en piteux état. À peine la manœuvre terminée, nous recevons l’autorisation d’entrer dans l’écluse Snell. On enchaîne avec l’écluse Einsenhower dans laquelle MedioVaS fête ses 24 000 miles ! C’est un heureux hasard qui correspond presque à ses six ans. Débarquer en Normandie un 6 juin et fêter son anniversaire chez Eisenhower, c’est chic.
24 000 MILES !!!! Le paiement a lieu à la sortie des deux écluses, en dollars CAN ou US, dans une petite pochette que l’éclusier fait glisser le long du mur. Ici, nous utilisons nos amarres, une par bateau qu’il faut lancer en style « lasso du cow-boy » autour d’un gros flotteur. Le remplissage se fait ultra-vite. Nous quittons les écluses vers 16h30, en route pour un mouillage.
Nous devons le trouver en territoire canadien, n’ayant pas encore fait d’entrée aux USA, nous ne pouvons que transiter, cela signifie ne pas toucher terre pas même avec notre ancre.
Le va-et-vient entre le pavillon américain et canadien.
Ça va et ça vient au rythme de la ligne imaginaire au milieu du Saint Laurent. Nous trouverons un petit coin de vase canadienne face à Crysler Beach et son Crysler Farm-Battelfield Monument. La tenue est bonne et nous passons une nuit tranquille.
Chaque petit bout d'île est habité à sa manière. Vers 9h00 nous reprenons notre remontée du Saint-Laurent. Le vent du nord-nord-est nous permet de courir une belle partie du chemin sous voiles. C’est toujours agréable quand le moteur s’arrête. Nous sommes rythmés par les passage de frontière.
Griffon qui vient de nous doubler. « Griffon », un bateau de la garde côtière canadienne passe son temps à entretenir ou changer des bouées. Il nous suit ou nous précède depuis le lac Saint-François. Ce n’est pas toujours facile de subir le dépassement dans chenal étroit, surtout quand il est en manoeuvre perpendiculairement au chenal.
À 14h00, nous arrivons devant l’écluse Iroquois, dernière écluse canadienne et dernière écluse tout court. Nous ne pourrons la passer que vers 15h00, c’est tout une attente pour pas grand chose : les portes restent ouvertes en amont et en aval et nous passons d’un coté à l’autre sans freiner. Certes, nous sommes seuls et légers, nous ne déplaçons pas autant d’eau que les cargos qui, eux, doivent écluser.
Vers 17h00, nous mouillons à nouveau dans la vase canadienne, en face de Pier Island. Notre étrave pointe les USA.
Toujours heureux sous voile, même s'il pleut. Mardi 6 septembre le vent souffle fort dans nos voiles, nous naviguons grand largue ou en ciseaux, c’est magnifique. Le fleuve est bien agité et nous pousse dans de beaux surfs de 9/10 noeuds. Après trois heures de belle navigation, nous arrivons à Brockville. Cette fois-ci, nous avons vraiment quitté la province du Québec pour arriver en Ontario.
Nous découvrons le petit nid de Griffon et son stock de bouée Brockville Nous craignons un peu de ne pas être protégés du vent et surtout de la houle, mais au fur et à mesure que l’on s’approche, le lieu paraît beaucoup plus calme. Nous doublons les deux marinas, roulons nos voiles et mouillons à proximité des maisons. L’ancre semble bien tenir et nous ne roulons pas trop. Nous préférons rester à bord surveiller MedioVaS, nous sommes vraiment proches de terre. Vers 18h00, nous assistons à la régate du mardi soir. Le plan d’eau se couvre de plusieurs dizaines de petits voiliers répartis en trois classes. Nous observons leur tactique avec intérêt.
La régate va commencer . Le vent se repose et nous descendons visiter la ville. Je voulais absolument visiter le tunnel ferroviaire. Pour y arriver, nous déambulons dans les rues aux magasins surprenants.
Des vrais magasins que les "moins de vingt ans ne peuvent pas connaître".La ville est une des portes d’entrée des Mille Iles, mais n’a pas le succès touristique de ses voisines. La belle place est entourée de clochers et de la mairie.
Ce ne sont pas les clochers qui manquent. Nous arrivons enfin à la porte du tunnel ferroviaire, fermée. Nous ne sommes pas seuls à vouloir visiter, une dame passe un coup de fil et nous annonce que quelqu’un va venir ouvrir les portes dans une vingtaine de minutes. En effet, les portes s’ouvrent bientôt. Ce passage sous terre, long de 1730 pieds, est le premier tunnel ferroviaire du Canada. Ouvert en 1854, il avait pour objectif de donner un accès aux voies de Brockville et Ottawa jusqu’aux rives du fleuve. Le tunnel est mis en scène par un jeu de lumière et de musique, c’est court mais très beau.
Le tunnel ferroviaire de la Canadian Pacific. L’appétit ouvert, nous nous dirigeons vers la pizzeria conseillée pas Daniel de Vendredi. Malheureusement, elle est fermée depuis l’avant-veille ! Nous trouvons un autre endroit bien sympathique et, en s’y installant, nous remarquons que c’est la Brasserie des Mille Iles. Il aura fallut quitter Québec pour se retrouver enfin dans une brasserie… ouverte !
Il est tmps de continuer notre route. Après ce bon déjeuner, nous retournons vers MiniVaS qui nous attend patiemment au ponton public pour partir.
À 13h30 nous entrons dans les Mille Iles. Nous nous promenons entre Îles, certaines portant des maisons somptueuses, d’autres de minuscules cabanes canadiennes. Nous atteignons l’ile Grenadier vers 17h00, où nous passerons deux nuits.
De la cabane à la maison, chaque Île a son style. Nous croiserons ainsi devant le château Singer. Il fut construit en 1902 par l’ancien Président de la fameuse compagnie de machines à coudre, comme relais de chasse. Aujourd’hui, il se visite.
Le château Singer.Les rochers roses sous la lumière du soleil couchant sont splendides. Chaque île rocheuse, ou presque, possède sa maison, dont la taille varie avec celle de l’île. Pour pouvoir être nommée île, il faut que celle-ci porte au moins deux arbres.
Petite île devant Grenadier. Et toujours des couleurs splendides. L’archipel des Mille Iles est le résultat de l’érosion d’une ancienne chaîne de montagne il y a plus de 10 000 ans. Coté Canadien, l’archipel est devenu un parc incluant les îles privées et celles du parc. Plusieurs sites de débarquement, de camping ou de barbecue sont mis a disposition. Pour les pontons, nous devons payer une petite somme pour que MiniVaS ne prenne pas d’amende. Une fois le petit formulaire d’acquittement bien visible, nous partons faire le tour de l’île. Nous croiserons un chevreuil, des mini-grenouilles, un serpent, que de vie !
MedioVaS, une fois encore doit rester au large vu sa longue quille. Cette île était habitée vers 1818 par des fermiers. Ils trouvaient plus facile le défrichement et la culture de la terre de l'île que la terre ferme avoisinante caractérisée par ses affleurements rocailleux et son sol argileux. On y trouvait même une école, lieu d’enseignement mais aussi lieu de rencontre, d’assemblée et de culte. L'école a fermé ses portes en 1963, car l'île des Grenadiers ne comptait plus que trois enfants. Cela marqua la fin de l’histoire d’une collectivité qui fut, un temps, très vivante.
Ile Grenadier. Au retour de notre longue promenade, je me retrouve complètement immobilisée du dos. Un faux mouvement en retirant mon sac à dos, je suis désespérée. Mais cela ne nous privera pas du BBQ que nous avions programmé. Des sacs de bois sont disponibles à l’achat dans des abris. Tout est basé sur la confiance…
Notre petit sac de bûches à la main, nous choisissons le plus beau coin abritant un foyer au sol. Saucisses grillées et pommes de terre en papillotes, nous salivons déjà. Bon, les premières n’étaient pas assez cuites et les secondes étaient trop cuites. Il est loin le temps de nos braaïs en Afrique du Sud, nous avons un peu perdu la main.
Nous nous améliorerons ... Nous retournons au bateau, je ne peux vraiment plus bouger, c’est certainement un lumbago bien costaud. Yves est aux petits soins pour moi, mais, bloquée comme je suis, il ne peut pas faire grand chose. Je me plonge dans notre pharmacie et en sort les anti-inflammatoires les plus forts. J’envisage un départ le lendemain vers Kingston pour trouver un hôpital, je crains une hernie discale.
Vendredi 9 septembre, nous quittons notre mouillage vers 11h00, après une nuit douloureuse pour moi. Je fais le strict minimum à bord. Nous naviguons au moteur au milieu des Mille Iles, des cabanes canadiennes et des châteaux américains. Nous continuons de serpenter autour de la frontière et les pavillons poursuivent leur alternance.
Nous passons devant LE site à ne pas manquer : le château de Boldt, sur l'île Heart, dans les eaux américaines. Ce château fut construit par Georges Boldt, directeur général du Waldorf-Astoria de New York. Lui et sa famille possédait un cottage sur l'île Heart. Mais, en 1900, les Boldt lancèrent l’ambitieux projet de bâtir un bâtiment gigantesque, l’une des plus grandes maisons privées d’Amérique. Une centaine d’ouvriers travaillent dessus ainsi que sur d’autres bâtiments dans l’île. Sur une ile voisine, où les Boldt possédaient déjà un pavillon, ils lancent la construction d’un énorme abri pour yacht, d’un parcours de golf, de courts de tennis, d’écuries et d’un terrain de polo. En 1904, après le décès de l’épouse Boldt, tout s’arrête. Durant 73 ans, le château et toutes les dépendances restent à l’abandon, subissant les hivers rigoureux et les actes de vandalisme. En 1977, l’administration du Pont des Mille Iles acquiert Heart Island et son abri pour yacht, contre un dollar symbolique. En contrepartie, tous les revenus provenant de l’exploitation du lieu doivent être réservés à la restauration du site. L’objectif final n’est pas de terminer ce qui avait été commencé mais de restaurer l’île dans l'état dans lequel elle se trouvait à l'arrêt des travaux. La restauration a bien évidemment dépassé ce stade. L'île fait partie des lieux les plus visités de l’archipel. On y trouve même un bureau de police des frontières sur place, pour tous les étrangers qui y viennent, c’est le territoire des États-Unis tout de même ! Nous ne nous y arrêterons pas, bien évidemment.
Le château Boldt Vers 16h30, nous arrivons à notre mouillage, au nord du magnifique site de Beau Rivage. Notre ancre plonge entre l'île Mc Donald et l'île Lindsay.
Les anti-inflammatoires font quelque effet et, plutôt que de courir vers Kingston, nous restons deux nuits dans ce petit coin. Selon l’évolution de mon dos, nous aviserons. Magali, ma copine kiné de Normandie, me donne quelques conseils que j’essaye de suivre.
Le lendemain, ça va mieux, surtout quand je suis en mouvement. Je crains la position assise. Nous partons alors en visite autour des Îles en MiniVaS. Yves fait très attention et évite tout mouvement brusque de l’annexe. Le lieu est splendide.
Elles sont toutes splendides. Oh, un cygne sauvage en laisse (Nathalie L... c'est ici qu'ils sont élevés avant d'aller aux Caraïbes !) Et la mouette qui pêche, bien évidemment. Nous admirons les maisons sur chaque petite ou grande île. Nous trouvons l’un des pontons de l'île Beau Rivage, endroit idéal pour un barbecue. Cette fois nous avons déjà le bois, Yves trouve la boîte avec les formulaire pour payer et nous voici fin prêts. Nos saucisses grillent merveilleusement bien, nos pommes de terre sont encore trop cuites, cramées même. Mais nous progressons. Pas de promenade à pied, c’est trop de risques pour mon dos, au milieu de ces rochers en granit rose. L'après-midi se poursuivra au calme.
Notre star patiente au ponton, tel un grand ! Ça chauffe ! Dimanche 11, nous appareillons vers 9h30. Éole s’est un peu réveillé et nous permettra de dépoussiérer nos voiles. Nous entrons dans le Bateau Channel, chenal étroit entre la terre ferme et Howe Island. Admirative du paysage et peu concentrée à la barre, j’ai failli me manger le traversier. Il se fondait très bien dans le paysage et, au lieu de me lancer un gros coup de sifflet, il a gentiment ralenti sa vitesse, jusqu’à stopper. Yves, qui sort sa tête dans le cockpit, me met en garde. Je vire rapidement pour lui laisser le passage, un peu honteuse d’avoir négligé la priorité absolue du bac. Car ce petit traversier est un modèle traditionnel à câbles : il est tiré et guidé par deux câbles reliés à la terre. Il ne faut surtout passer trop près, devant ou derrière lui !
Oups ! Le passage devient très étroit et les virements de bords deviennent de plus en plus courts et dangereux, nous ne sommes pas aidés par le courant. Vers 11h00, le moteur nous aide à mieux progresser et à soulager mon dos. Nous arrivons pour déjeuner devant Milton Island. Dans l’après-midi, nous y ferons une petite promenade digestive. Ça m’agace de passer à coté de ces promenades dans les îles, alors je fais « bon dos » et j'arrête les anti-inflammatoires pour mesurer l’évolution de la douleur.
Encore un belle petite promenade. Le coucher de soleil nous offre des couleurs à oublier toutes les douleurs ; un spectacle inouï, toujours accompagné du chant des oies qui rejoignent le fleuve pour la nuit.
A défaut d'aurores boréales, nous avons ceci et on ne s'en lasse pas. Nous poursuivons notre remontée des milles îles au moteur, jusqu'à la petite île de Cedar. Il y a deux accès, nous tentons d’aborder par l’est. Mais, voyant le dos du rocher à bâbord et les pattes des oies qui ne flottent pas à tribord, le tout laissant un passage vraiment étroit avec trois mètres de fond si l’on en croit la carte, je ralentis et je fais marche arrière. J’explique à Yves, en vigie à l’avant du bateau, que je préfère faire le tour de l'île et trouver un autre point de mouillage. Nous nous trouvons face à Cedar Island et son ponton, avec une splendide vue sur le collège militaire et son pavillon en berne, la reine est décédée.
A gauche, le soit-disant passage. je préfère le voir du mouillage après avoir contourner de l'île.
Au fond de la baie, nous apercevons une marina. Nous allons lui rendre visite en annexe, il me sera peut-être plus facile de partir de là-bas pour prendre le train vers Toronto. Il s’agit en fait du club de voile de la base militaire. Grâce au statut d’Yves, nous sommes les bienvenus. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtons pour visiter un peu notre nouvelle île d’accueil. Nous sommes seuls.
Mais, à mesure qu’avance la soirée, trois voiliers un peut pirates accostent tour à tour au petit ponton. Tiens, nous pensions qu’il n’y avait pas assez d’eau… Mais nous restons prudents dans notre réflexion, beaucoup de bateaux du coin sont des dériveurs et donc bénéficient d’un très petit tirant d’eau.
Nous les entendrons faire la fête autour du BBQ dans la nuit. Au petit matin, il ne reste plus qu’un voilier. Yves part en MiniVaS vers Kingston, repérer les marina et les quais publiques, nous ne sommes vraiment pas loin. Je reste à bord pour protéger mes dernières petites douleurs de dos. Il m’expliquera qu'à coté de la marina on trouve des pontons « de jour ». C’est là que nos voisins de nuit passent leurs journées. Apparemment il y aurait suffisamment d’eau et personne ne vient contrôler si l’on paye ou pas son ticket de parking.
Le 14 nous allons donc accoster MedioVaS aux pontons de Kingston. Deux membres du staff sont là, installant des attaches papillons sur de petits piquets, mais personne ne demande rien. Les pontons sont vraiment courts pour notre voilier, mais nous arrivons à trouver un amarrage correct. Nous pouvons partir visiter la ville.
Quand il y a de l'eau, le ponton est trop court.
Kingston devait être la capitale du Canada Nouveau, après la conquête britannique. Le parlement à peine construit, la ville se fait voler la place par Montréal. Le parlement ne verra jamais un ministre, aujourd’hui c’est la mairie qui occupe le prestigieux bâtiment.
Kingston, notre dernière ville-étape du Saint Laurent. Il y a toujours la Canadian Pacific comme star. Après quelques courses et une glace, nous retournons au bateau et nous repartons vers la petite île en vue d’y rester jusqu’au 16 au matin. Mais, une fois arrivés à notre point de mouillage, le guindeau fait des siennes. Il s’était déjà montré réticent par moment, mais, cette fois-ci, il ne veut plus rien savoir ni rien faire. Il est bloqué. Évidemment, cela arrive toujours lorsqu’un grain pointe son nez. Alors, plutôt que de continuer à tourner en rond en essayant de le faire fonctionner, nous allons vite au ponton de l’île, nous mettre en sécurité.
Le lendemain, nous démontons entièrement le guindeau ; impossible d’identifier la panne. À priori ce n’est pas le solénoïde du relais, le courant passe. C’est certainement la partie moteur qui est grillée, ou les charbons collés. Nous devrons le changer !
En soirée nous retournons à Kingston. Yves va tenter de trouver une solution auprès du magasin du coin, tandis que je prends le train vers Toronto pour y retrouver Manon, ma fille aînée. Nous passerons quelques jours chez Auriane, ma filleule, qui s’est installée la-bas avec son mari depuis un an.
Après la visite des chutes du Niagara, de Toronto et de ses îles, je rentre avec Manon vers Gananoque où Yves nous attend. Pas moyen d’avoir de réponses pour une commande du moteur électrique. Nous testons le mouillage avec un autre genre de guindeau, il s’appelle Yves. Ses bras, ses cuisses et son dos apprennent l’haltérophilie ! Je l’aide au moteur pour décrocher l’ancre, maigre soutien, mais l’homme fonctionne assez bien.
Un tout petit échantillon de Toronto. Nous passerons deux jours dans les Mille Iles avec Manon avant de la déposer à Kingston pour y prendre le train de Montréal, où elle part rejoindre son amie Salopette (le rigolo surnom de Salomé).
Et nous partons également, le coeur lourd et triste, chargé de merveilleuses rencontres, les yeux encore éblouis de ce qu’ils ont vu. Nous devrons affaler définitivement le pavillon de courtoisie canadien pour hisser celui des Etats-Unis à demeure pour les prochains mois… Un petit drapeau québécois reste insolemment planté dans les cordages, sous la capote de la descente, nostalgie quand tu nous tiens !
" Je me souviens " .