09/04/2017 - Nauta
La traversée en canoë sur le rio Maranon aura été une aventure insoupçonnée. Je n'avais pas pris pleinement conscience de ce en quoi je me lançais.
375 km - 9 jours - 8 nuits sur un fleuve qui dépasse parfois les 2 km de large.
Il ne pouvait pas y avoir meilleure expérience pour aller à la rencontre des nativos.
Je souhaite tout d’abord replacer le contexte mais ce coup-ci, dans son intégralité, c’est à dire sans le côté “monde des bisounours”.
Je me lance dans une traversée sur le départ d’un des plus grands fleuves du monde, tout le monde nous dit que nous sommes des grands malades et que c’est très dangereux, certains nous disent que les vagues peuvent atteindre les 2 m de haut, nous sommes pendant la saison des pluies, j’ai pu remarquer par moi même qu’il est impossible de débarquer n’importe où sur le bord et je suis avec un mec que je connais depuis une demi heure !😀
Jour 1 :
Nous partons donc de Lagunas avec déjà une belle démonstration de solidarité des villageois. Nous sommes comme deux gosses à contempler cette immensité à laquelle nous appartenons désormais. Rapidement, un dauphin de rivière vient nous montrer le bout de son nez. On est aux anges. On rame, on discute, on apprend à se connaître, on découvre notre nouveau monde de plus près… Dans la barque le fleuve est encore plus impressionnant. Il semble atteindre les 200 m de large. Ce n’est qu'à la fin du voyage que nous nous rendrons compte qu’il était en vérité bien plus large qu’on ne le pensait.
Après une bonne journée à pagayer au soleil, nous arrivons à la jonction de deux fleuves. WWWWOOOUUUAAAAA ! on se croirait sur l’océan. C’est immense. C’est calme, la nature nous entoure. j’ai l’impression d’être une fourmi dans un parc alors que je n’ai pas rétréci. C’est merveilleux, à couper le souffle. Les chants des oiseaux, des insectes, des perroquets, de quelques singes et autres animaux nous bercent dans un univers nouveau.
Ici, en plein milieu de ce parc aquatique démesuré, on sent bien que l’homme appartient à la nature et non l’inverse.
Malheureusement les photos et même les vidéos ne témoignent pas de la splendeur du spectacle.
Bon c’est bien beau tout ça mais d’après l’altitude du soleil, il fait nuit dans une heure et on se retrouve au milieu de ce désert liquide dont on avait sous-estimé l'ampleur. (D’après Google Maps, la jonction ferait environs 2 - 3 km de large sur 4 - 5 km de long). Bon on va ramer un peu pour essayer de trouver un village.
A cet instant je dois aussi préciser qu’il n’y a aucun village de marqué sur les cartes et que seuls les “ouais ouais il y a des villages plus loin” des gens à qui on demande, nous laissent imaginer qu’on va tomber sur un lieu pour dormir. Au pire des cas, on a nos lampes frontales et on peut faire nuit blanche dans le bateau mais si un village pouvait se montrer, ce serait sympa.
A la sortie du virage nous apercevons un village sur l’autre rive. C’est parti, faut ramer pour traverser vite car faire du contre courant ce n’est pas possible alors il ne faut pas le louper.
Nous accostons alors dans le village de Pucacuro. Le village est littéralement les pieds dans l’eau, les gens passent de maison en maison avec le fleuve jusqu’aux genoux, les gamins jouent dans l’eau et le premier mec qui vient nous voir c’est… le bourré du village.
A notre arrivée les quelques regards présents se demandent ce que 2 Greengos viennent foutre ici, à cet heure là, dans ce canoë bizarre. Cette sensation nous la retrouverons à chaque débarquement 😀
La mascotte du village tient à nous aider à porter nos lourds et encombrants bagages dans ce chemin périlleux. Comme prévu il se casse la gueule avec nos affaires et tout le village rigole. Ca y est, on est connus.
Le village doit contenir 50 habitants. Étonnamment, il y a une auberge ici où l’on passe la nuit pour 3 euros. Des planches en bois permettent de faire le chemin vers le rez de chaussée sans se mouiller. Comme dans la réserve, les toilettes sont la petite cabane dans le fond. (Aller c’est le moment pour préciser que la merde va donc dans l’eau stagnante en dessous qui sert également pour… faire la vaisselle, rincer les fruits… :) c’est l’aventure !!! haha).
Pour dîner, nous nous rendons dans “la maison là bas” où une dame fait normalement la bouffe le midi pour les enfants de l’école. Ça c’est du plan sûr, j’adore 😀
Effectivement madame nous accueille dans sa Casa et nous propose un plat copieux pour un euro cinquante. Parfait.
Posés sur la table nous racontons notre histoire qui fascine les gens qui nous entourent. Il suffira de quelques minutes pour que ceux-là se remettent rapidement sur le film de Jean Claude Van Damme des années 90 qui passe sur le téléviseur cathodique.
On comprendra alors plus tard que l’électricité est fournie par le groupe électrogène du village qui coupe à 21h. Voilà pourquoi ils ne voulaient pas louper JC :)
Cette petite étape tranquille nous a permis de faire connaissance en douceur avec les gens du fleuve.
Nous repartons au petit matin sur notre barque pour entamer les kilomètres.
Jour 2 :
Sur les coups de 11h les nuages noirs font leur entrée au dessus de cette forêt dense. Le vent se lève, je n’aime pas bien ça. Rien de dangereux mais rien d’agréable à l'horizon.
30 minutes plus loin on aperçoit une ferme en bord de rivière et décidons de nous y poser le temps que la pluie passe.
A peine débarqués à Nueva Union, deux femmes viennent nous voir pour nous demander ce que l’on fait là. C’est vrai qu’avec la galère en manoeuvrant nous avons atterri dans l’enclos des poules. C’est pas qu’on ait des gueules de pirates mais ça nécessite une petite explication. Les femmes nous disent que nous pouvons patienter ici sans souci. Très bien.
La ferme est différente de ce que l’on voit d’habitude. Elle est proprement construite, ordonnée, l’espace est vaste… étonnant.
Puis les femmes reviennent avec un mec. Je dois préciser qu’ici tout le monde se trimballe avec une machette à la ceinture :) On ne sait pas trop à quoi s’attendre mais comme toujours, le mec est tout surpris, il nous prend pour des oufs, rigole et nous dit “suivez moi et venez manger, vous devez avoir faim”. Bah écoute si tu proposes :)
Les quelques travailleurs de la ferme nous rejoignent pour déjeuner. Nous faisons une prière avant de commencer notre plat. Puis, quelques minutes plus tard un homme d’une soixantaine d’année rentre, et nous sommes présentés au patron. Un américain pasteur venu s’installer ici. Ahhhhhhh mais c’est pour ça que tout est droit ici :)
On nous a donc offert notre repas, les travailleurs ont rapproché notre bateau et mis nos affaires à l'abri, nous avons papoté avec le pasteur et le sous chef pendant près d’une heure. Le pasteur nous avait proposé de dormir là ce soir. Trop aimable mais les kilomètres ne vont pas se faire tout seuls. Je retiendrai de ce déjeuner ma discussion avec le sous chef. A force de question il m’explique que pour s’installer ici, c’est gratuit. Il faut juste être accepté par la communauté. Il faut présenter son plan, dire combien de terrain on veut et si tout le monde est d’accord, c’est parti.
- Il n’y a pas de taxes, pas de terrain à payer… rien ?
- Non rien.
- Et vous les travailleurs vous pensez quoi du patron pasteur Américain ?
- on est ravi, on a une église et un travail agréable.
- et vous êtes payés combien en moyenne?
- entre 80 et 150 euros par mois t
A d’accord, il s’est mis bien l’amerloque.
Je lui demande alors mais pourquoi vous avez attendu le pasteur pour faire tout ça ? A quoi il me répond simplement que eux, les Péruviens du Rio (rivière en espagnol) ils aiment bien avoir les bras croisés. Ceux à quoi il faut traduire : “parce qu’on y avait pas pensé avant”. Le gars m’explique qu’ici ils n’ont pas la culture du travail pour l’argent, de l’amélioration, du profit… Il parle du pasteur comme un dieu car ils ont un travail, de l’argent (ouais si on veut) et ils vont peut être bientôt exporter. Youpiiii
Ce témoignage me fait vraiment réfléchir.
Ces gens sont ravis de recevoir ce qui à été pour nous le début de la fin : la recherche du profit. Ils ne savent pas que c’est le début de la perte de ce qu’ils aiment ici. Leur autonomie, leur tranquillité, le calme… Qui pourrait leur en vouloir de simplement souhaiter un peu d’argent pour manger autre chose de temps en temps et de l’électricité pour regarder Jean Claude Van Damme à n’importe quelle heure ? Personne.
Je ne peux pas lui expliquer la suite de l’histoire du profit, moi qui ai plus d’argent dans mon sac à dos que lui dans sa maison familiale.
Y a t’il un milieu, un équilibre qui permettrait de maintenir le calme, la justesse de consommation et le confort ?
La pluie cesse, nous remontons dans notre navire. Nous remercions le Ricain et son équipe pour leur générosité et raccrochons nos rames.
A l’abri sous la bâche sera le thème de cette après midi sous le crachin tropical.
A l’approche de la nuit, nous arrivons près d’un village et le premier habitant nous salue spontanément et nous invite chez lui. Bon on est tombés sur le bourré du village mais ce coup-ci, on va dormir chez lui. Sa femme et ses enfants rentrent, ils semblent faire la gueule. Je pense qu’ils n’apprécient pas de voir papa complètement torché qui a invité deux Greengos à dormir à la maison alors qu’ils n’ont rien à nous offrir. Ambiance tendue mais détendre on sait faire (pas de sous entendu là dedans que les choses soient claires).
La soirée sera calme et c’est plutôt au matin que c’est devenu intéressant. Le mec est parti se pinter la ruche depuis 5h du mat. Il reviendra vers 10h pour s'allonger comme une merde sur la terrasse. C’est alors que le reste de la famille commence à se laisser aller.
Nous avons un peu échangé, elles nous ont montré leurs animaux, la femme à été nous chercher du singe pour le déjeuner. Je ne suis pas trop fan mais s’il fallait essayer une fois dans ma vie, c’était bien en plein milieu de l’Amazonie. De plus, comment faire le difficile devant cette immense marque de générosité. Elle nous offre un repas, que dis-je, un festin. Bon le singe c’est pas mauvais mais ça ne vaut pas le coup de manger du singe non plus. La mère s’est occupée de manger la tête comme une indigène, c’était assez… étrange :)
Dans la matinée nous avons également reçu la visite du président du village et de ses deux haut-placés haha. Il nous font un discours comme quoi ils sont ravis de nous accueillir dans ce village de Nueva Santa Rosa et puis il nous sort un blabla, pour ensuite nous parler d’électricité et … ahhhhh d’accord, tu veux du pognon et tu fais le gentleman. Malgré le fait qu’on est que peu d’argent à leur offrir, j’ai quand même pris le temps de me plonger dans mon rôle de diplomate pour lui expliquer les raisons de notre passage sur son charmant village et la grande reconnaissance que nous lui témoignons ….bref, j’ai fait du pipo en espagnol la situation m’a bien amusé ;)
Néanmoins c’était intéressant de voir que, comme me l’expliquait le sous chef de la ferme Américaine, il y a bien une hiérarchie et qu’ils sont venus réclamer poliment de l’argent. Qu’en penser, je ne sais pas vraiment. Moi je veux être témoin de leur générosité et eux souhaitent simplement un peu plus de confort grâce à l’économie des étrangers qui passent sur leurs terres. Disons que la balance est à l’équilibre.
Le ventre rempli nous reprenons notre chemin sans saluer le Padre qui dort encore sur le sol. Nous remercions la famille et leur laissons un billet qu’ils ont du mal à accepter.
Leur pauvreté m’a tout de même marqué. La maison est vide. Il n’y a pas de chaise ni de table pour manger. A ma demande la femme m’explique qu’elle préfèrerait vivre en ville mais il lui faudrait 8000€ minimum pour l’achat de la maison. C’est pour cela qu’elle vit ici, où l’emplacement est gratuit.
La fille quand à elle, étudie en ville où elle dort chez sa tante et apprécie vraiment revenir ne rien faire ici pendant ses vacances.
Les témoignages me laissent perplexe. Que ferais je à leur place ? Déjà j’utiliserais mon temps libre à faire une table et des chaises. Ce qui me laisse à penser qu’ils ne sont soit pas trop démerdards soit ils aiment vivre “Tranquilo” comme ils disent.
Jour 3 :
Nous levons l'ancre vers 11h pour une longue journée sous le soleil. On rame, on papote, on observe les dauphins qui s’amusent autour du bateau, on se baigne, on contemple ce paysage qui ne cesse pas de nous éblouir.
Vers 17h, nous ne sommes plus qu’à trois heures de San Rosé de Saramuro, un village important de 2000 habitants :). Nous sommes samedi et s’il y a moyen de faire un peu la fête, moi ça m’irait bien. C’est sympa de ramer mais danser et boire une ch’tite bière me semble être un programme mérité :). Nous allons donc naviguer un peu de nuit. Les conditions sont parfaites alors nous nous autorisons ce spectacle privé un peu fou.
Nous avons vécu un moment magique :) Le coucher de soleil nous ouvre les rideaux pour laisser place à cette demi-lune qui éclairait notre chemin. Les étoiles et la voie lactée positionnent ce décor infini. Le calme et l’étendue de la rivière nous baignent dans la plénitude de l’instant. L’orchestre de la jungle est grandiose. Wooouuuaaaaaa !!! Nous posons nos rames, nous nous taisons et contemplons ce chef d’oeuvre éphémère.
Au bout de 4h (au lieu de 3 car il est difficile de ramer les yeux vers le ciel :) ) nous apercevons la lumière du village. En nous en approchant nous passons devant de nombreuses maisons. Bizarre, la lumière est plus forte là bas, allons y !
Ahhhh non, finalement le village était avant mais là on est arrivés à une raffinerie de pétrole. Cette grande entreprise très éclairée ne prend pas les voyageurs, il n’y a pas d’auberge de jeunesse et on ne peux pas laisser le bateau ici. Il faut donc remonter à contre courant (truc impossible). Heuuuuu :)
Bon mon voyage m’a appris qu’en se montrant cordial et un peu perdu, un Péruvien ça se négocie à l’aise. Alors lui, il va nous garder notre bateau parce le spectacle de la rivière il valait largement le Puits du Fou mais 4h c’est suffisant :)
Le gardien accepte que nous laissions notre barque ici mais il faudra venir la chercher à 7h demain matin car après c’est son collègue qui prend la relève. (Oui bah tu lui expliqueras à ton collègue :) ).
Tout rentre dans l’ordre, nous trouvons une auberge de jeunesse. Les gens nous disent : “c’est vous qu’on a vu passer en canoë ?” Euhhhh , oui c’est ça. Encore une fois on a vite été connus ici :)
On demande à un gars qui fait la sécu du village s’il y a un bar dans le coin. Il nous affirme que oui et nous y conduit gentiment. Haaaa, Maxou va pouvoir boire une p’tite bière après ces 10h de canoë et peut être se faire des copains :)
Le gars représente en fait la police. En effet il n’y a pas de commissariat, ce sont donc deux trois mecs qui, à tour de rôle dans la semaine, se partagent cette tâche. Bon, et tu peux boire un coup pendant le service ? “oui, j’ai juste pas le droit de danser”. J’adore !!!
Une demi-heure plus tard nous sommes invités à la table d’un groupe d’à côté. J’ai eu ma bière, mes rencontres, j’ai dansé… encore une belle soirée avec de généreuses démonstrations de leur hospitalité.
Vers 2h nous rentrons avec le gars de la sécu qui certes n’a pas dansé, par contre il peut vraiment boire pendant le service, il n’y a pas de doute :)
Le lendemain nous sommes réveillés à 5h par des airs de Cumbia de la discothèque d'à côté. Grrrrr Mais qui va venir danser au p’tit matin ???
La pluie nous donnera l’occasion de prendre le temps et de refaire le plein avec le peu d’argent qu’il nous reste. Les rencontres du matin sont aussi riches que celles du soir. Un gars nous explique la politique de son pays. L’épicière veut se marier avec moi car je suis français. Les gamins nous lancent quelques mots en Anglais en se marrant, la boulangère nous fait goûter toutes ses gourmandises avec fierté… mais qu’est ce que je suis bien ici :)
Vers 13h nous retournons à notre bateau en espérant ne pas avoir causé de souci au second gardien de la raffinerie. Nous arrivons sur les lieux et là, surpriseeeeeee, le gardien, c’est le gars de la sécu d’hier qui à pris sa cuite avec nous la veille :) On est peinards !!
Notre barque a subi la pluie et le vent. Nous remettons un peu d’ordre à notre embarcation et reprenons le fleuve sous les nuages.
Jour 4 :
Notre traversée aura été courte ce jour-ci. La pluie nous aura fait décoller tard et la nuit tombe vite au Pérou.
En chemin nous croisons deux canoës. Un monsieur et sa femme dans l’un et un jeune homme dans l’autre. Nous en profitons pour demander s’il y a des villages dans les prochains kilomètres. Sans étonnement aucun, l’homme nous répond que oui, il y a plein de villages. Tout va toujours bien dans le meilleur des mondes ici, on commence à connaître :)
Le personnage nous demande ensuite si nous connaissons le “Masato” et accompagne sa demande par un geste de la main nous laissant comprendre que c’est quelque chose à boire. “C’est une boisson locale”. Parfait, goûtons cela.
La femme prend alors avec ses mains naturellement très propres, une pâte dans un seau qu’elle met dans la bassine qui sert certainement à écoper le bateau. Elle ajoute ensuite de l’eau de la rivière. Mélange avec ses mains et me tend la bassine qui visiblement présente quelques traces d’huile ou je ne sais quoi. bref, il faut pas être trop regardant sur l'hygiène et se rappeler qu’on est en plein milieu de l’Amazonie. Je bois ce breuvage… délicieux !!! non je déconne, c’est étrange et il y a des grumeaux :) Mais pour le sport on fait un grand “hhuuuuummmmmm c’est bon !!!” et on en reprend :)
On apprendra par la suite que le Masato est fait à base de Yuca, un genre de patate blanche d’ici. Il est d’abord râpé, pour ensuite être mâché, puis recraché dans un pot. Il fermente ensuite 2 - 3 jours pour donner de l’alcool et une texture pâteuse. Il suffit enfin de la mélanger à de l’eau pour en faire ce succulent apéro :) Santé !!!
Vers 17h, nous passons au côté d’une île comme nous en croisons tant mais ce coup ci, il y a un panneau “Bienvenue” sur le rivage. Nous ramons comme des dingues pour atteindre le bord avant de passer cette probable entrée pour une nuit gratuite. Nous mettons un pied sur cette grande étendue de jungle de 10 hectares pour se faire accueillir par deux chiens qui ne font pas honneur au panneau de bienvenue. Puis, quelques secondes plus tard, un petit vieux vient à notre rencontre. Nous lui expliquons que nous cherchons un endroit pour passer la nuit. Il nous invite volontiers chez lui en nous précisant qu’il n’a rien de plus à nous offrir que son toit. Très bien nous n’en voulions pas plus.
Au fil des discussions nous apprenons que Papi à 78 ans, qu’il n’a pas mangé depuis plus de 24h, qu’il vit tout seul ici sur cette île, que plus grand monde ne vient lui rendre visite et qu’il essaie de se nourrir de ce que la nature lui offre. Notre petit vieux a le dos courbé par la vie, il était bûcheron et fabriquait des maisons en bois. On devine son quotidien à aller chercher péniblement un peu de quoi vivre dans ses cultures qui doivent demander tant d’attention et d’huile de coude. Nous avons un peu de peine à remarquer sa pauvreté mais aussi beaucoup d’admiration devant l’énergie et la joie de vivre qu’il nous témoigne.
Nous avons des pâtes et des sardines, du pain et des petits gâteaux. Il nous suffira un regard avec Pierro pour nous accorder à lui offrir un grand repas et des restes pour son lendemain même si nous n’aurons plus rien pour nous. Nous trouverons bien de quoi nous nourrir dans un prochain village et quand bien même il nous faudrait jeûner une journée, nous penserons à papi le ventre plein grâce à notre passage sur sa Terre.
Papi à une petite cuisine décrochée de sa maison. C’est commun ici, sans doute pour que les restes d’odeurs n’attirent pas les insectes et autres animaux dans la maison. Le chemin pour y accéder est tellement fragile et branlant que l’on a du mal à imaginer notre funambuliste de 78 ans ne pas chuter un jour.
Nous nous sommes donc régalés avec nos quelques réserves. Pépé mange comme un ogre. Il dévore également notre pain rassis que nous souhaitions donner à ses chiens. On finira ce repas avec un petit verre de digestif local et un mapacho (cigare amazonien). Notre vieillard est aux anges et par conséquent nous aussi.
21h, nous allons nous coucher. Je prends le temps de méditer sur cette belle rencontre assez bouleversante. La vie, la pauvreté, la générosité, la joie de vivre, mes grands parents, le partage… Je m'endors sur ses pensées qui raniment quelques émotions.
Le lendemain, je trouve le grand-père auprès de la rivière à faire le reste de la vaisselle de la veille. Ce n’est pas l’inactivité qui l’emportera :)
Nous avalons un petit dèj et nous décidons de réparer son “ponton” hasardeux avant de reprendre le fleuve. Papi nous trouve quelques vieux clous, nous trouvons des planches, un peu de bricolage et le chemin vers la cuisine est consolidé.
On se sentait mal à imaginer notre vieil ami chuter ici.
Pierro, touché par la pauvreté de cet homme, sort ses 100 soles de secours (30 euros) et les offres par un geste spontané. Pépé les accepte humblement.
Nous ne nous attarderons pas plus car la pluie d’hier nous a un peu freinés. Le soleil d’aujourd’hui nous encourage alors nous quittons ce généreux vieil homme qui nous a amené un beau message de vie et de sagesse par sa simple spontanéité et par son hospitalité. Il est certain que son souvenir me reviendra quand je devrais, à mon tour, choisir d’ouvrir ma porte à un étranger.
Merci Papi
Jour 5 :
Comme à chaque fois c’est un réel plaisir de me retrouver de nouveau sur le canoë avec mon capitaine Pierro. Nous enchaînons les kilomètres, porté par le courants et parfois par nos coups de rame. On se baigne, on se lave, on navigue accompagné des papillons et des dauphins (dois-je parler des moustiques ??? non, ça foncerait ce beau tableau haha). Nous croisons des bateaux de marchandises qui rendent la traversée plus sportive : “il passe à droite ou à gauche, merde à droite rame rame il vient droit sur nous !!!” :) Nous passons également devant de nombreux petits villages typiques qui deviennent de plus en plus communs à nos yeux.
La météo pendant la saison des pluies est très décisive. La grande question est de savoir si la pluie et les gros nuages viennent vers nous. Mon compère et son esprit “aventure” est toujours plus relax que moi sur le sujet. Pour planter le décor, voici une situation : quand vous voyez ça venir droit sur vous, qu’il y a une belle maison sur le bord, que le fleuve fait 2 km de large et que le vent se lève, doit on continuer tranquille ou bien faire une pause à l’abri dans la charmante maison ???
Malgré l’envie du propriétaire du canoë dans lequel je suis de continuer en croisant les doigts, nous écoutons notre sagesse et nous arrêtons près de la petite maison sur pilotis, belle et bien entretenue par un mec qui nous accueille avec sa machette à la main.
“bonjour, on peut faire une pause ici le temps que la pluie passe ?
- il ne va pas pleuvoir, répond froidement le papa des lieux.
- mais ça vous dérange si on s’arrête 30 minutes ?
- vous venez d’où ?
(difficile de juger si nous sommes les bienvenus)
- Heeuuuu de Lagunas.
- Mais vous êtes des dingues, nous dit-il en souriant. Aller, venez chez moi. Vous allez bien boire un coup de Masato”
Ha bah bien sûr, c’est tellement bon la bave péruvienne haha :)
Sa femme arrive en courant car, prévenue par sa fille elle ne pouvait pas croire que deux Greengos venaient de s'arrêter chez eux. Elle nous dit bonjour, surprise et en pleine euphorie. Elle nous invite également et nous sert un bol de Masato, de la soupe et une assiette de poulet riz accompagné de bananes plantain. Bon on vient de manger mais on va bien trouver de la place.
Nous avalons tout ça et reprenons notre route. Le Padre avait raison, il n’a pas plu mais la pause en valait la peine :)
Nous naviguerons jusqu’à la tombée de la nuit. Le coucher de soleil nous offre de nouveau un panorama splendide que nous prenons le temps d’honorer en silence, bercés par le courant.
Nous arrivons dans un village. Il nous suffira d’expliquer à la première personne rencontrée que nous cherchons un endroit pour dormir pour que celui-ci nous propose son toit. Moi qui pensait qu’on allait peut être galérer. Ce ne sera encore pas pour ce soir :)
L’homme nous présente sa maison. Il informe sa femme qu’il a invité deux étrangers. Bien que ce soit pas coutume, elle accueille la nouvelle avec un naturel presque perturbant. Comme à l’habitude péruvienne, il nous dit de nous asseoir et nous offre à boire. En réponse à ma curiosité, l’homme nous explique qu’il est paysan et qu’il travaille aussi pour un projet subventionné par le gouvernement. L’objectif est d’éduquer les différents agriculteurs du fleuve avec des techniques agricoles naturelles. Ils répondent aux questions des agriculteurs et étudient leurs diverses questions. Génial !!! j’apprends donc qu’il y a une réelle dynamique de progrès initié par le gouvernement, sur ces terres que l’on pourrait croire oubliées de tous.
Après une bonne heure de bavardage, nous demandons s’il y a une épicerie pour acheter de quoi manger. Ceux à quoi il répondra en disant à sa femme, “ramène deux assiettes”. Un peu gênés mais ravis à la fois, nous nous retrouvons avec du poisson frais, du riz et des bananes plantain. Nous qui avions peur de jeûner, on aura bien finalement rempli notre panse comme des princes aujourd’hui haha.
Une fois le ventre plein, on se pose dehors pour discuter et …. ne rien faire, comme ils le font si bien ici. Le voisin a mis en marche son groupe électrogène pour allumer la télé. Ils sont une dizaine à l’intérieur pour regarder l’écran et autant dehors à observer par la fenêtre (enfin le trou dans le mur car les vendeurs de fenêtre ne font pas fortune dans cette partie du pays :) ). Les enfants s’amusent entre eux, les ados sont réunis en petits groupes deci delà et les parents s’échangent quelques mots de passage. J’explique alors à notre hôte qu’en Europe, les gens vivent dans des maisons fermées et ils ne parlent presque pas à leurs voisins. Ils travaillent dans des entreprises toute l’année et profitent de trois semaines de vacances pour aller au camping. “C’est quoi le camping ?” me demande-t-il. “C’est ce que tu vis tous les jours. Ce sont des lieux où les gens aiment se retrouver dans des hébergements avec peu de matériel, où les campeurs vivent principalement dehors et aiment échanger avec leurs voisins, faire des rencontres et prendre le temps de vivre”. Étonné, mon ami péruvien me répond que c’est ce qu’il vit tous les jours et me demande alors pourquoi nous ne faisons ça que trois semaines par an. “Malheureusement je ne sais pas te répondre amigo” mais la situation laisse à réfléchir.
Le lendemain l’homme est parti travailler à 4h du matin. Le temps est légèrement pluvieux, nous décidons de prendre notre temps pour un bon petit dej. Les habitants nous indiquent une boulangerie vers le fond du village. Les villageois nous regardent étonnés et nous saluent toujours très souriants. C’est alors que nous passons devant la “radio” du village. Il n’y a pas d’antenne mais simplement un mec, dans une mini cabane, qui passe de la musique sur des haut-parleurs merdiques à te donner envie de te boucher les oreilles. Interpellé par nos peaux blanches il nous demande ce que nous faisons ici. Nous lui expliquons notre parcours qui l’impressionne pas mal. Au bout de 20 minutes, il nous demande nos noms qu’il note sur sa main. Nous le saluons et reprenons notre marche quand d’un coup la musique de la radio s’arrête pour laisser s’exprimer l’animateur. “Mais naannnnnn” le type est en train d’expliquer haut et fort : “mesdames et messieurs aujourd’hui, dans notre village sont présent Maxime et Pierre de France et d’Autriche, ils traversent la rivière depuis Yurimaguas vers Iquitos…” et nous, pendant ce temps là, on marche dans les rues et les gens nous saluent encore plus souriants :) C’est du délire, on se croirait l’attraction du village, ou la série télévisée lol. Quel souvenir !!!
Nous trouvons alors cette boulangerie où encore une fois, le patron aime nous faire goûter ses friandises. On se fait le p’tit dej dans sa cahute et on commence à discuter. Après un petit quart d’heure, il nous invite chez lui et nous offre un thé et des trucs à manger. Nous papotons pendant une bonne heure, il nous invite ensuite visiter son four à pain. Il nous explique son projet de livrer les autres villages avec un bateau et nous montre fièrement son dossier qu’il compte présenter à la banque. Celui-ci contient une page de garde, un sommaire et….. une photo de sa femme devant la boulangerie, une photo de son chien sur le bateau, une autre photo de sa femme devant les stocks, une photo de lui devant son four et une photo de son téléphone portable première génération pour aborder le chapitre “communication”. Le tout avec des images pixelisées et floues... Et bah faut pas montrer ça à un banquier en Europe si tu veux qu’il te file un peu de blé mon gars haha. Nous avons évidemment évité de lui faire part de nos remarques et nous l’avons vivement encouragé. Il est tout de même intriguant de noter qu’on ne vit vraiment pas dans le même monde. C’est à la fois drôle et surprenant. Un banquier ici pourrait-il accepter un projet plus familial que financier ? Moi j’y crois à son projet car je me rend bien compte de la détermination de cet homme. Pourquoi mon esprit d’européen conditionné ne pourrait-il pas admettre qu’un banquier puisse accepter ce projet ??? j’aurais bien quelques idées mais je ne voudrais pas polluer les textes de cette longue étape :)
Nous saluons alors notre boulanger bien aimable avant de remonter dans notre embarcation.
Jour 6 et 7 :
Nous démarrons cette journée sous un ciel douteux mais notre enthousiasme est toujours bien présent. Les nuages nous font le plaisir de laisser la place au soleil pour nous offrir des moments de détente et de nage avec les dauphins.
Vers 4h30 le vent se lève et la menace réapparaît derrière nous. C’est alors que nous voyons sur l’autre rive une maison nous tendre les bras. Certes l’opportunité est alléchante mais si nous voulons la saisir, il va falloir ramer fort. Il nous faut parfois plus d’une heure pour traverser cet immense fleuve. Bon, rien de mieux à l’horizon, une tempête se pointe derrière nous… aller on rame comme des barges pour arriver devant cette famille colombienne venue s'installer ici près du reste de la fa mille. A 50m de notre embarcation, les bras tétanisés par l’effort, nous pouvons remarquer une moquerie discrète sur leurs visages. “Salut les Greengos, alors, on tente d'échapper à la tempête” se moque gentiment Jorge Panaipo, le père de cette charmante famille. Il nous aide à accrocher le bateau et très vite, sans attendre notre demande, il nous invite à rester chez lui pour la nuit.
L’homme est en train de réparer les fuites de son bateau avec le caoutchouc de ses vieilles bottes qu’il a fait fondre dans une casserole. La fille aînée lave le linge dans la rivière pendant que ses deux frères et sa soeur nous observent curieusement. La mère est dans la maison à s’occuper de sa petite fille. Leur demeure est l’ancienne école de Puerto America qu’ils ont rénovée. Le terrain est accueillant… on se sent bien ici :) On discute, on sympathise, on joue avec les gamins, on leur montre nos photos. Le courant passe bien.
Par curiosité je me permets de demander si les enfants vont à l’école. Le père me répond que malheureusement “non” car ils sont colombiens et seul le père à la nationalité péruvienne.
“- mais qu’est-ce qu’il leur manque pour avoir la nationalité péruvienne ?
- les papiers
- d’accord mais il faut quoi pour avoir les papiers ?
- de l’argent
- rien d’autre ?
- non, seulement de l’argent”
Moi qui est toujours du mal avec le côté administratif, je ne semble pas être le seul. Il m’explique aussi que l’école est dans le village d’à côté, qu’ils n’en ont pas dans le leur mais que ça ne poserait pas de souci de les emmener chaque jour. Ces enfants n’ont pas le droit à l’éducation seulement à cause de l’argent. Je repense alors à toutes ces fois où j’ai donné la vie dure à mes professeurs en leur disant “si je suis ici c’est parce que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans” quel petit merdeux. Si j’avais pu comprendre ma chance plus jeune, je n’aurais certainement pas usé le fond de la classe durant toutes ces années.
Nous passons ensuite à table. Ils nous offre du poisson fraîchement pêché avec du riz et des bananes plantain. Tiens !!! on commence à connaître :)
Pierro et moi sommes sur le coin de table avec le Padre Jorge mais je m’étonne de voir la femmes et les enfants manger assis par terre. Bon, ce n’est pas à moi de changer les coutumes même si cela me dérange un peu.
Nous finirons ce repas par une soirée conviviale à discuter, boire une bouteille que nous leur avons amenée et fumer les mapachos qu’il me reste.
Le lendemain, j’ouvre les yeux comme par habitude grâce aux chants de la nature. Il est 5 h. Les petits curieux nous observent dormir :)
Je vais me poser près de la rivière pour contempler le lever du soleil. Je me sens tellement bien ici. Cet jungle qui m’entoure, cet immense fleuve, l’aspect sauvage auquel on doit s’adapter, l’air pur, le calme… Les émotions me prennent. Je me demande alors si je serais heureux de vivre moi aussi dans ce contexte primitif ? Loin du stress, du bruit, de la course au profit, à vivre aux heures du soleil.
Les enfants viennent s'asseoir à mes côté, ils se mettent dans mes bras. Le père nous rejoint. Nous discutons un long moment sur les avantages de sa vie, ceux de la mienne et notre espoir de voir un jour un monde qui saura prendre les bienfaits des deux parties.
Je rejoins mon capitaine qui semble fatigué de nos efforts accumulés. Moi je suis en pleine forme et j’ai envie de vivre la vie de nos hôtes le temps d’une journée mais nous n’avons pas d’argent et pas de nourriture. Nous proposons alors à Jorge et sa famille de les aider dans leurs tâches du quotidien en échange d’un allongement de notre séjour sur leur terre. Ce à quoi il nous répondra avec le sourire “Vous allez poser vos fesses sur ces chaises, vous reposer et vous resterez aussi longtemps que vous voulez” :) Ses mots m’ont rempli d’admiration. Faire preuve d’autant de générosité, avec une telle spontanéité alors que tout ce qu’ils possèdent représente moins que mon sac dos… Ils viennent d’élargir le sens du mot “générosité” de mon cerveau d’Européen.
Bon je te remercie de ta proposition mon cher Jorge mais si tu crois que je vais poser mes fesses sur cette chaise les bras croisées, tu te mets le doigt dans l’oeil. J’ai la bougeotte dans les orteils et un surplus d’huile de coude alors “Vamos” ;)
En visitant les alentours de leur maison, je m'aperçois qu’il y a une nuance à apporter sur la pauvreté de leur situation. Ces gens là n’ont certes pas d’argent mais ils n’ont pas rien. Ils ont l’abondance de la jungle. Voici par exemple un citronnier et un papayer :
Si je compare au citronnier de chez mes parents on n’est pas sur le même rapport de productivité :) Il en est de même pour les bananes, les Yucas, le maïs, le poisson… Je commencerai donc ma journée par un peu de pêche au filet. J'aiderai ensuite à déboiser une partie du terrain pour préparer la plantation de maïs.
Après 2 heures de travail, je suis trempé de la tête au pied et j’ai 8 ampoules à la main droite. Bon, je vais ramasser les branches maintenant :) Mon nouvel ami lui transpire à peine et a abattu 5 fois plus de travail. La comparaison nous fera bien rire toute la matinée.
Pendant que je ramasse les branches avec le fils de 14 ans, il me demande des explications sur ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. Je lui explique simplement. Il me répondra ensuite d’une phrase perturbante, avec un regard très sincère : “merci de m’éduquer”. Mes explications bénignes semblaient résonner d’une toute autre manière dans sa tête. Je prends alors conscience que les gamins semblent m’apprécier particulièrement quand je leur explique des choses. Je reviens alors sur le thème de l’école et de ces foutus documents qui coûtent trop cher et je demande à la grande soeur :
“- Vous m’avez dit que les papiers pour la nationalité péruvienne étaient trop chers. Mais c’est combien au juste ?
- c’est 5 euros
- tu veux dire 500 ?
- Non, 5 euros”
Sa réponse me cloue le bec.
J’avais compris que ces gens étaient pauvres mais je n’avais pas mesuré à quel point. Je suis encore plus touché par leur générosité.
Je n’ai plus un sous sur moi, il reste 10 euros à Pierro et nous avons encore deux jours de traversée si la météo est bonne. Ce sentiment d’impuissance alors que mon compte en banque dépasse largement leurs gains de l’année me bouscule.
C’est l’heure du repas, je propose mon aide en cuisine mais comme à leur habitude, ils la refusent et m’invitent à m’asseoir.
Au déjeuner, ils se priveraient presque pour nous. Dans l’après-midi je nettoie mes affaires dans la rivière. La fille veut les laver pour moi. Bien-sûr je ne la laisserai pas faire. Nous venions quérir l’hospitalité et nous refusons maintenant d’être traités comme des princes.
Le soir arrive, je demande à ce que l’on organise la table pour manger tous ensemble. Le père accepte sans réticence et les enfants, tout sourire s'empressent de m’aider à organiser la table. Je prépare un grand pichet de jus de fruit. il m’aura fallu insister pour qu’ils me laissent faire. Je propose ensuite qu’on prenne le temps de prendre l'apéro avant de manger (il faut rappeler qu’habituellement on mange avant que le soleil se couche car il n’y a pas d’électricité). Nous prenons donc ce temps appréciable de partager ensemble, de jouer avec les enfants, de nous raconter nos vies. Ce moment est particulier pour eux car, de ce que nous avons pu voir jusqu’à présent, il n’est pas coutume que la femme et les enfants participent au moment du repas quand il y a des invités. Nous avons ensuite mangé tous ensemble. Les histoires et les rires ont accompagné la soirée jusqu’au coucher. Je pense que j’avais envie de les inviter à ma manière, même si nous étions chez eux :)
A un moment Jorge s’intéresse à ma lampe frontale. Elle est design, compacte, économique avec une fonction lumière rouge… C’est alors qu’il me dit :
“- woouuuaaa, elle est bien mieux que la mienne. Et ça coûte combien ?
- 15 euros
- QUOI !!! la mienne n’en coûte qu’1 euro 50 !!! c’est pour ça qu’on ne trouve pas ce genre de modèle au Pérou”
Cette lampe, j’en ai besoin pour la suite de mon voyage. Oui mais lui il en a besoin tous les jours. Et merde je m’en fous de la suite de mon voyage. “Tiens mon ami, cette lampe est à toi”. Cet instant si insignifiant à écrire à pourtant été déstabilisant à lire dans ses yeux. Je repense alors à mes parents qui m'expliquaient l’importance qu’avait une simple orange sous le sapin à noël. Je viens de comprendre le vrai sens “d’offrir”.
Le lendemain matin, nous souhaitons partir pour continuer notre voyage. Jorge décide de tuer un poulet pour le petit déjeuner. mais des poulets, ils n’en ont pas 50, ils en ont 6 et maintenant plus que 5.
Nous demandons aussi s’ils ont de l’eau pour emmener sur le bateau. Je précise qu’ici il n’y a pas d’eau et que nous buvons de l’eau de pluie. La femme nous apporte alors 4L d’eau. Ce n’est qu’ensuite, en voulant me servir un verre que je comprendrais qu'elle nous a donné la totalité de leur réserve. Il vont donc attendre la prochaine pluie pour boire de nouveau. Tellement perturbé par ce que je vennais de remarquer, je n’ai même pas eu la présence d’esprit de leur remettre une partie de cette ressource vitale.
Après le repas (oui finalement c’était un déjeuner :) ), nous prenons quelques photos, nous offrons une de nos deux rames à notre ami qui en aura plus besoin que nous et le moment des adieux commence. Ce fût compliqué pour tout le monde. Seulement deux jours passés ensemble et tellement d’émotions partagées. Nous nous éloignons de cette attachante famille, portés par le courant en laissant couler des larmes sur nos joues souriantes.
Cette expérience aura sans nul doute été la plus touchante jusqu’à maintenant. J’ai appris la profondeur de la générosité, j’ai compris une infime partie de leur quotidien avec les bons moments et les dures réalités. Ils ont fait grandir des valeurs en moi et j’espère que mon quotidien occidental ne les effacera pas.
Jour 8 :
Il nous reste deux jours pour atteindre la ville de Nauta où je terminerai cette aventure. Je ne souhaite pas que le temps nous freine et pourtant la mini tempête nous mettra à l'épreuve. La rivière est de plus en plus large. Elle atteint à certains moments 2 à 3 km. Le vent est contre nous. Le courant nous fait prendre les plus longues distances. Nous ramons toute la journée. Notre seule pause sera l’heure passée sous la bâche à attendre que la tempête passe car la houle est trop forte et nous pourrions faire couler le canoë.
Le soir nous trouvons un village et comme à nos habitudes, la première personne rencontrée nous offre son hospitalité. Ma fatigue ne me fera pas profiter de cette soirée. De plus, il y a la télé d’allumée et nous remarquons bien la différence de convivialité.
Jour 9 :
La dernière ligne droite est la plus difficile. Nous prenons néanmoins conscience que nous allons quitter ce décor que nous avons pris le temps d’apprécier sous ses diverses facettes. Nous remarquons des Eco Lodge pour touristes. L’idée que des touristes puissent profiter de ce spectacle nous laisse songeur. Quel serait pour nous le goût de ces vacances sans les rencontres incroyables ???
Notre long périple se clôturera sur une touche de solidarité, comme ce fût le cas à notre départ. Nous croisons un bateau à moteur. Nous lui demandons où se trouve Nauta. Il nous crie sa réponse en continuant son chemin. Puis, il fait demi-tour et vient à notre rencontre. Il nous explique qu’avec le courant nous ne pourrons pas atteindre Nauta, que nous allons le dépasser. Il accroche alors notre bateau au sien et nous finirons ravis sur un bateau à moteur.
Les pieds sur terre et la tête dans la rivière (oui c’est pas vraiment le dicton mais ça peut se comprendre :) ) nous avons amarré au port de Nauta. Les gens viennent nous voir pour nous demander d’où nous venons avec notre petite barque étrange et primaire. Notre réponse ne met pas longtemps à faire le tour et de nouveau, tout le monde nous regarde étrangement. Je dirais presque que ça ne nous choque plus.
Nous l’avons fait :)
Je ne me rendais pas compte de l’aventure incroyable dans laquelle je me lançais. J’ai eu la chance inouïe de partager des moments de vie avec ces gens de la rivière. Ces peuples reculés qui vivent simplement, en répondant à leurs besoins primaires, sans trop connaître la folie du profit, m’ont enseigné les valeurs profondes de la générosité, de l’hospitalité et de la convivialité. J’ai aussi appris à apprécier l’instant qui s’offre à moi en mettant de côté mes peurs et mes angoisses. J’ai aussi cultivé les bienfaits de la patience et de l’écoute.
Si j’avais su qu’il y avait près de 400 km et que j’y passerais 9 jours, je s’rais po v’nu !!! Mais je savais que cette expérience serait inoubliable alors je l’ai fait et j’ai bien fait :)
Merci capitain Pierro ;)
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Nous passons la nuit à Nauta. Encore une fois, nous nous faisons héberger par pur hasard par une association de protecteurs des cultures indigènes. "Mais ça ne s'arrête jamais 😀"
Le lendemain, je prendrai la route en direction d'Iquitos où je déciderai d'y passer une semaine avant de rejoindre Inti Eco Lodge.