Pédaler dans le Nord-Est

De l’Ardèche vers le Luxembourg. Nous chercherons ensuite à faire une boucle via Strasbourg, Bâle et Genève avant de revenir en Ardèche par la Via Rhôna.
Dernière étape postée il y a 2 jours
Du 6 au 30 septembre 2023
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Publié le 8 septembre 2023

Avant de prendre nos vélos, nous stationnons notre camion en Ardèche chez Gilou (mon frère) et Isa (ma belle-sœur). Ce qui implique de traverser une bonne partie de la France. Saint- Fortunat, dans la belle vallée de l’Eyrieux, nous ouvre les bras. Une halte ressourçante. Surtout pour Laurent, qui souffre d’une inflammation du pied.

Une halte à Vichy avant d’arriver en Ardèche  
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Ce vendredi matin, on décide de raccourcir notre première étape. Pour cause de handicap. On quitte l’Ardèche, on oublie très vite le Rhône et on démarre au nord de Lyon, à Fontaines-sur-Saône, directement sur la Voie bleue. De longues et larges chaussées cyclables. Recouvertes de sable blanc. Nos vélos aussi. Jusqu’à Thoissey, petite commune de l’Ain. 52 km, « tranquillou bilou » sur les berges de la Saône, écrasées de soleil. 34° au mercure. Quasi d’une seule traite. L’idée est d’arriver tôt et pas trop fatigués. De trouver un camping ombragé et de s’arranger pour regarder le rugby dans le bistrot du village. Seul attrait de ce bourg de 1600 habitants : le plafond de l’apothicairerie de l’Hôtel-Dieu, peint par Lugnot. Bon, il faut aimer le trompe-l’œil et les angelots.

Laurent égare ses lunettes de vue. Il n’a plus sa tête. Mais il sait sur quel pied danser ! Nous allons dormir dans notre petite tente. Tout commence bien. A un doigt de pied près…

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Une nuit en pointillée. Décidément, Laurent entame le périple avec des obstacles. Cette fois, c’est son matelas qui reste plus plat qu’une crêpe. Une fuite, injuste, il faut le reconnaître. Je suis solidaire. Mon duvet vient atténuer la rudesse du sol mais pas les reliefs. La nuit humide et fraîche m’oblige à sortir la laine polaire. Les aléas du voyage…

Nous quittons Thoissey, tôt, en raison de la chaleur annoncée. La commune a vécu fin août un épisode climatique extrême pendant 7 minutes, nous a raconté une salariée du camping. « Une tempête ». Les branches ont été arrachées, la pergola de la terrasse surélevée a atterri dans la piscine pleine de nageurs. Pas de blessé mais des dégâts considérables.

En reprenant la route, nous rencontrons Bernard, un cycliste qui effectue le Tour de France par tronçons. « Je viens de Bretagne » se présente-t-il. Finalement, nous sommes presque voisins puisqu’il habite Guérande. A Mâcon, le maillot de Laurent du badminton de Pornichet attire Gérard, un addict du Croisic. Dont la famille a colonisé le port de pêche en achetant plusieurs villas après guerre. Nous sommes attablés au pied de la Maison du Bois, une beauté du XVIe. Alors occupée par la confrérie bachique, assemblée de professionnels et d'amateurs, qui promeut les vins de la région. J’ai découvert l’importance du port de Mâcon, depuis la nuit des temps. Jules César en a d’ailleurs parlé. Aujourd’hui il est tourné vers le tourisme. La petite plaisance et les navires-hôtels.

Le trajet jusqu’à Tournus (ne prononcez pas le S) ne présente pas de difficulté. Nous ne quittons pas la Saône des yeux. Pas une ride de surface. Pas beaucoup d’oiseaux. Les pêcheurs taquinent le poisson : carnassiers, fouilleurs et poissons blancs.

Des familles pique-niquent. D’autres se baignent. Les rives alternent les rangs de feuillus en souffrance et des parcelles de maïs calcinées par un trop plein de soleil.

Laurent a racheté des lunettes-loupes et un matelas gonflable. La situation s’améliore ! La marche est toujours difficile, et il pédale plus fort du côté droit. Ne risque-t-il pas de trop muscler sa jambe valide ? That is the question 🤣

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À part un illuminé qui engueulait copieusement un être imaginaire, la nuit a été réparatrice. Une fois la tente repliée et les sacoches fermées, nous partons à l’assaut de l’abbaye de saint Philibert de Tournus. Du nom du moine, chassé de Noirmoutier par les méchants Vickings. Il s’arrête exactement où serait enterré Valérien. Qui valait quand même qu’on y construise un édifice religieux entre le XI et le XIIe. De l’art Roman comme je l’aime épuré et bien costaud sur ses piliers. Un des plus anciens centres monastiques de France. De belles mosaïques ont encore été découvertes en 2002.

Ce dimanche, des hommes avec de longues capes blanches brodées d’une croix rouge aux volutes complexes s’avancent vers le chœur. L’Ordre du « saint sépulcre de Jérusalem » (j’ai demandé) s’apprête à célébrer sa messe de rentrée. Ces chevaliers s’inspirent des croisades. Je les imagine prêchant en latin. Une version assez intégriste de la religion. On quitte l’assemblée pour la crypte.

De belles sculptures en chêne me font penser au masque de Scream et à Dark Vador. Chacun ses références. Au fond du puits, 7 fontaines seraient source de miracles. Chaque 20 août, les pèlerins priaient pour avoir des enfants. Et si possible les avoir frisés. Une coquetterie… Le 15 septembre, ils venaient boire l’eau de ce puits espérant guérir des fièvres et de diverses maladies. Un agenda précis.

Adieu Tournus, allons à Chalon-sur-Saône. Déjeuner. Des pâtes. Il en faut de l’énergie pour pédaler. D’autant qu’il fait encore plus chaud que la veille. Peu d’ombre sur cette portion qui se confond avec Eurovélo 6.

La Chapelle au dessus de l’abbaye  
Trois soufflets pour faire fonctionner les orgues.  
Une exposition sur le thème de la Saône et un vélo électrique datant de 1938. 
Le puits de tous les miracles.  
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Publié le 10 septembre 2023

Laurent a gagné 6 km/h, passant de 19 km/h de vitesse les deux premiers jours à 25. Il va mieux. Malheureusement, il est entré en collision avec un insecte irascible, d’origine inconnue. Il n’a pu éviter la piqûre dans le cou, côté cœur. Pas de pommade. Pas de pharmacie ouverte le dimanche. Il serre les dents, tel un courageux cycliste.

La veille, nous avons parcouru 74 km, aujourd’hui 63 jusqu’à Verdun-sur-le Doubs. Une étape éreintante. Mais le moral ne faiblit pas. Même si on ne peut pas dîner. Les rares restaurants ouverts… sont complets.

Les crues de la Saône ne sont pas rares. La ligne de démarcation à Gergy. Nous quittons « la France Libre » ! 
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Nous traversons le pont. Les Bordes juste en face se trouve à la confluence du Doubs et de la Saône. Le bistrot O Fil de l’O oublie de mettre du café dans l’eau chaude. Les habitués fument au bar. Ici, la devise : Rien à foutre ! Nous traversons une région rurale plus pauvre. Des bâtiments agricoles sont transformés en habitat précaire. Des villages revendiquent sur pancartes leur aversion aux éoliennes et prônent le Frexit. Un petit vent sud-est ne rafraîchit nullement nos corps assoiffés. Jallanges, patrie d’Anne-Marie Javouhey, libératrice des esclaves de Guyane, affiche sa fierté.

La Saône prend des allures de fleuve. Dommage qu’elle se jette dans le Rhône. Elle restera rivière. Des canaux assurent sa navigabilité. Des péniches habitées s’alignent sur les berges de Seurre, réputée pour son château, son hospice, sa maison de bois et la maison du gouverneur.

Dans une guinguette, un petit groupe de sexagénaires endimanchés (le lundi) vient fêter un heureux événement. Un mariage/remariage. À table, plusieurs maires de villages alentours, le notaire et quelques proches. Ils côtoient, des touristes en short et des « sans-dents » (pour de vrai !). La cohabitation est savoureuse.

Nous laissons Dijon à une trentaine de kilomètres à l’ouest. Impossible de manger à Saint-Jean-de-Losne. À 13 h 30, la cuisine est fermée. La supérette nous sauve la mise. Nous pique-niquons à l’ombre. La suite du trajet ressemble à une épreuve d’endurance. Les panneaux sont rares. On se perd, on revient, on s’écarte de la Saône, le relief se transforme. On a soif. L’eau commence à manquer. Le paysage vallonné, cultivé et sans arbre n’accroche pas notre attention. On veut juste boire et s’arrêter. Les 80 km sont franchis quand on arrive au camping. Ouf.

La jonction avec le canal Rhin-Rhône. 
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Publié le 12 septembre 2023

HIer soir, pique-nique au camping devant notre mini tente. La chaleur a été atténuée par une pluie orageuse. On apprécie. D’un autre côté, il faut trouver des astuces pour recharger les batteries en extérieur. Électricité et eau ne font pas bon ménage. Autre désagrément : quand on sort à quatre-pattes de notre « chambre de toile », on est tout mouillé. Je comprends mieux pourquoi je détestais camper quand j’étais jeune.

Laurent a retrouvé la forme, pleine et entière. Quant à moi, à part les boutons de piqûres d’insecte, le nez rouge (malgré une protection solaire indice 50) et la peau toute blanche en forme concentrique autour des yeux : rien à signaler. Si ce n’est que je ressemble davantage à un clown qu’à une cycliste.

Auxonne, ancienne place forte, possède un patrimoine historique laissant imaginer un passé militaire prestigieux. Bonaparte, devenu par la suite Empereur, y a séjourné. Labellisée « Ville Impériale », la commune aurait bien besoin de collecter des fonds. Son château, rafistolé à la va-comme-j’te-pousse, garde quand même une prestance, renforcée par ses fortifications. Nous longeons l’enceinte du 511e Régiment du Train qui appartient à la première brigade logistique, grande unité du commandement de la Force Logistique Terrestre.

La Saône reste à portée de vue. Le soleil nous accompagne à nouveau sur un parcours parfois monotone. Quand les champs s’étendent à perte de vue, sans haies bocagères.

Dans un petit hameau, à proximité de Lamarche, les noms de rues ont été choisis en fonction de ce qu’on y trouve : rue du Four, rue de l’Eglise, rue du Sapin, etc.

Plus loin, une multitude de peupleraies attire mon attention. Du bois de coupe à en croire les alignements de troncs débités. Cette activité est-elle appelée à perdurer, quand on sait que chaque peuplier avale entre 17 et 215 litres d’eau suivant les jours ?

On a un peu de mal à trouver le château de Charles le Téméraire à Talmay. Le domaine privé dispose d’un magnifique parc qui n’est pas ouvert au public.

Nous quittons la Côte d’or pour la Haute Saône, 5e département traversé. À peine arrivés à Gray, des trombes d’eau s’abattent sur la ville. On est chanceux. Normal, ce soir on dort à l’hôtel du Fer à cheval !

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Pôle d’attractivité secondaire entre Dijon et Besançon, Gray fait grise mise. Même la rue commerçante manque d’éclat. On a du mal à imaginer un port dynamique dès le XIIIe siècle. Fer de lance à l’Est, juste derrière Strasbourg.

L’affaire Alexia lui colle à la peau. Rappelez-vous Jonathann Daval, éploré, qui avait finalement avoué avoir tué sa compagne.

Notre hôtel baigne dans son jus des années 70. Moquette douteuse au sol qui remonte jusqu’à la moitié des murs. Des prises sans jus et un néon qui s’allume après avoir chauffé. Mais on oublie tout pour le simple plaisir de dormir dans un lit.

Ce 13 septembre, Laurent entre dans son année gainsbourgienne. 69, année érotique. Bilan dans un an.

On prend la route de bonne heure en prévision de la pluie annoncée vers 15 heures. Direction Port-sur-Saône. Les panneaux annoncent Vesoul. Et je ne peux m’empêcher de chanter Brel.

« T'as voulu voir Vierzon, et on a vu Vierzon

T'as voulu voir Vesoul, et on a vu Vesoul

T'as voulu voir Honfleur, et on a vu Honfleur

T'as voulu voir Hambourg, et on a vu Hambourg

J'ai voulu voir Anvers, on a revu Hambourg

J'ai voulu voir ta sœur, et on a vu ta mère

Comme toujours »

Je ne connais que ce couplet.

C’est un plaisir de pédaler sous un ciel bas et gris. Le décor alentour offre des points de vue plus intéressants, plus vallonnés, plus boisés que la veille.

S’émerveiller d’un cygne, craindre une buse, slalomer entre les branches tombées quelques heures plus tôt, s’inquiéter en voyant deux vaches fugueuses et admirer quelques toitures… pas le temps de s’ennuyer.

Au pays des 4 rivières, les amateurs peuvent s’adonner - en grandeur réelle - au Jeu de l’antre du drakkar : Sigéric. Du nom d’un archevêque anglais en l’an 990. Je suppose qu’il faut se déguiser.

Arrêt Chez Yvette à Ray-sur-Saône. Un estaminet original et une bande-son spéciale Aubert.

Nous sommes intrigués par un tunnel fluvial, dit la voûte de Savoyeux, un ouvrage d'art déroutant la Saône entre deux de ses méandres. Terminé en 1843, Il est long de 642,5 mètres. La dérivation réduit le trajet de 4,5 km. Quelques kilomètres plus loin, le canal tunnel de Saint Albin est encore plus long. 681 m. Faut pas être un marinier claustro !

Ce soir, on marque l’anniversaire de Laurent au camping (mobil-home). Au menu : melon-jambon cru. C’est la fêêêttteee.

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Publié le 14 septembre 2023

Du bois, du bois, en veux-tu en voilà. Sur le bord des chemins, aligné au cordeau par centaines de mètres, devant les maisons et les granges… Sans nul doute, ici, on se chauffe au bois. Autour de Corre, cette matière première est aussi travaillée industriellement en scieries et fabriques de meubles.

On sait en quittant Port-sur-Saône que l’étape jusqu’à Corre sera difficile. 40 km avec des dénivelés importants. Sur des routes fréquentées. Plusieurs cyclistes, croisés auparavant, nous ont parlé de ce tronçon pas encore aménagé en vélo-route. En prime, nous attaquons sous un ciel noir, un vent du Nord et du brouillard. Pas d’aviron et pas de footing cet été en raison d’une contracture, Laurent s’avoue vaincu à plusieurs reprises dans les montées. Et ce qui est rare, il atteint les sommets en poussant son vélo à pied.

À Fouchécourt. Un feu de circulation. Si vous respectez la vitesse, il reste au vert mais si vous arrivez trop vite, il passe au rouge. Malin.

Jussey, cité de caractère, surprend. Son riche patrimoine dont la Maison Cordienne attire notre attention. Pourtant elle se détériore. Depuis plusieurs jours, nous remarquons des supermarchés Colruyt. Ils appartiennent à une famille belge. Le concept : peu de choix par produit, au meilleur prix. Fromagerie et fruits/légumes sont stockés dans un espace froid (comme au MIN à Nantes).

Erreur d’aiguillage, nous passons par la « Ferme du gros noyé ». Je souris. A priori, il ne s’agit pas de l’arbre. L’accent sur le « e », semble nous dire qu’un gros monsieur a perdu la vie en se noyant. Je penche pour la faute d’orthographe.

Très régulièrement, s’alignent des round-balers, ceints d’une protection verte. Mais une tendance s’impose façon chamallow : en rose. Des ballots de foin qui revendiquent un genre ? Que nenni. Ce sont des agriculteurs qui se mobilisent. Une partie du prix d'achat du film plastique est reversée à la lutte contre le cancer. Le rose pour le cancer du sein, le bleu pour soutenir la recherche contre les cancers de la prostate et le jaune contre les cancers infantiles.

Ouf, Corre met un terme à notre premier calvaire. Située à la confluence du Côney et de la Saône navigable, l'agglomération est traversée par trois voies antiques secondaires : la voie dite "du Rhin", celle dite "de Lorraine" en direction du nord et la voie Luxeuil-lès-Bains / Bourbonne-lès-Bains, fossilisée par l'actuelle Départementale. Cette voie de liaison devait être très importante, car les Romains y avaient édifié une colonne au dieu des cavaliers.

Les 30 km suivants ressemblent à un parcours de santé dans une nature luxuriante. Fontenoy-le-château ressemble à un village abandonné. Pourtant une association dynamique porte un projet culturel. Ainsi des citations jalonnent les rues empierrées. Une balade littéraire en 200 panneaux.

On loue une grande tente à Bains-les-Bains (La Vôge-les-Bains, nouvelle commune).

Nous sommes dans les Vosges, en Lorraine  
Les maisons d’ Éclusiers ont un pignon recouvert de zinc ouvragé.  
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Parfaite la tente dont les arceaux se gonflent. Cuisine intégrée et on se tient debout. Notre chambre comprend deux lits de camp en toile assez confortables. À Bains-les-Bains, ville thermale connue pour ses sources chaudes, nous avons eu très froid. Malgré les laines polaires et les chaussettes…

Les sources minérales étaient déjà connues à l'époque gallo-romaine. Sachez que la commune de Bains-en-Vosges est devenue Bains-les-Bains en 1892. Pourquoi ? Mystère. Comme à Vittel, son eau sera vendue sous le nom de Source Saint-Colomban jusqu’à la dernière guerre.

Depuis la veille, Laurent a perdu ses nouvelles lunettes/loupes. Il s’est endormi contrarié. Et s’est réveillé Ronchonchon. Il a cherché partout et a fini par les retrouver… parterre dehors. Soulagement. Nous quittons la station thermale en empruntant un chemin de VTT, très accidenté et caillouteux. La longue montée qui suit nous cisaille les pattes. La suite du parcours fait rapidement oublier la difficulté matinale.

Nous laissons la source de la Saône - Vioménil - à 14 km à l’Ouest. Nous longeons le canal des Vosges ou canal de l’Est (439 kilomètres) qui serpente en parallèle de la Moselle. Nous avons déjà parcouru 500 km. Les écluses se multiplient, certaines tous les 200 m. La nature est magnifique. Des sapins rectilignes s’érigent à 20 ou 30 m de haut. Des forêts denses. Loin de l’activité humaine. La sensation réjouissante d’être seuls au monde sur des kilomètres.

Pas étonnant que les fées défaisaient chaque nuit le pont en construction à Les Voivres. Elles ne voulaient pas être dérangées. Véridique ! La légende est racontée sur la rive du canal.

En remontant plus au nord, d’anciennes usines désaffectées : Peaudouce, une filature, une fabrique de laves, ses tuiles de grès de toitures… Quel dommage qu’elles ne soient pas réhabilitées.

« Si t’es sage, t’auras une image », me lance mon binôme rigolard en passant près d’Epinal. Son musée, son château. On file à Charmes, notre destination du soir. Le petit camping « Aux Mille charmes » tient ses promesses.

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Nous décollons de bonne heure. L’idée : avaler tous les kilomètres sans étape. Le parcours est à nouveau très agréable. Nous prenons notre première saucée depuis notre départ. Ce ne sera pas la dernière selon la météo. Mouche dans le lait, disons plutôt moucheron dans l’œil. De Laurent. Opération sauvetage réussie mais l’insecte a trépassé. Encore des usines désaffectées, des tronçons de canal asséchés, des chênes centenaires, des hérons dignes, des canards joueurs… L’automne gagne la forêt et joue la palette des jaunes et ocres. Nous arrivons à Nancy à midi. Le temps de ranger nos vélos, de décharger nos sacoches et nous repartons. À pied. Parfait ce changement de rythme. La Meurthe traverse la ville et à côté d’elle le canal de la Marne au Rhin. La vieille ville s’étale autour de la magnifique place Stanislas.

Grâce aux journées du Patrimoine, nous avons accès à de nombreux sites. Aujourd’hui, l’hôtel de ville, classé Monument historique. Construit en hommage au roi de France, il est destiné à la gloire de Stanislas. Roi polonais détrôné, il reçoit les duchés de Lorraine et de Bar. Il marie sa fille au roi Louis XV qui devient ainsi son gendre. Pas folle la guêpe ! Passionné d’art et d’architecture, on lui doit la transformation de Nancy par une opération d’urbanisme de grande envergure.

On poursuit au musée des Beaux Arts. Avec la collection Daum. Un grand nom de la cristallerie. En déambulant dans les rues du centre-ville, nous trouvons la Maison des sœurs Macaron. En 1952, la Ville a honoré les Soeurs (religieuses) Macarons en donnant leur nom à la partie de la rue de la Hache où prit naissance la fabrication du Véritable Macaron de Nancy en 1792. Une recette aux amandes. Depuis cette date, cette spécialité est entrée dans le patrimoine gastronomique des Lorrains d'origine ou de coeur. Goûter, c’est l’adorer.

Quelques vases Daum. 
À gauche, le Hall du livre, la plus grande librairie de Nancy. À droite, façade en mosaïques. 
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La ville clé de la Lorraine me touche. Mon père y a travaillé et ma mère a accouché de Jacky, mon frère aîné. Forcément, je la regarde avec tendresse et je la découvre pleine de richesses. Son architecture, ses œuvres d’art, ses parcs et jardins…

Le musée des Beaux Arts réunit les grands peintres et sculpteurs. Modigliani, Derain, Manet, Monet, Courbet, De Latour, Dufy, Majorelle (le fils), et même Rodin. Picasso, lui, a été prêté à Antibes pour l’été. Émile Friant nous épate. Il ressort de l’oubli et c’est largement mérité.

Il fait chaud dans les rues animées de la « Ville Vieille ». Nous décidons de nous éloigner jusque sur les hauteurs de la fac de Lettres. Dans ce quartier, se niche la Villa Majorelle. Celle de Louis. Du pur Art Nouveau. Il y fait entrer la nature et les végétaux, travaillés en utilisant les nouveaux matériaux de l’époque : le métal et le verre. L’homme - riche entrepreneur - emploie 200 salariés. Ferronnier et ébéniste réputé, il sait s’entourer d’architectes de talent.

Il a un fils unique souffreteux qui supporte mal le climat de Nancy. Jacques Majorelle quitte la Lorraine pour le Maroc. Il devient le peintre qui a donné son nom au bleu de son atelier de Marrakech. Quant à la Maison de son père, il la vend aux Ponts et Chaussées qui la transforment en bureaux. Heureusement que la Ville récupère et réhabilite cette Villa.

18000 pas plus tard - ma montre les compte - nous rentrons au bercail. Lundi, nos vélos prendront le train jusqu’à Strasbourg. Avant notre second parcours sur les trois prévus.

Cette année, notre temps est compté. C’est bien connu, les retraités ont des activités prenantes.

Samedi soir devant l’hôtel de ville. 
Le Palais du gouvernement sur la place de la Carrière. 
La villa Majorelle. 
Une ancienne distillerie transformée en gymnase et le Palais ducal. 
Magnifique plafond de l’église des Cordeliers. 
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Ce matin, il ne s’agit pas de baguenauder le nez au vent. La mission revêt une certaine importance : trouver un train qui accepte nos vélos et les bagages qui s’y attachent. En général, ce sont des TER, hors des horaires d’embauches et de débauches. 11 h semble une heure tout indiquée pour ne pas se faire refouler sur les quais.

Billets en poche, nous avons accès au train sans passer par l’ascenseur. Le contrôleur nous conseille la première voiture, spécialement conçue pour les deux-roues. Laurent se fait reprendre. « Monsieur, on ne dit plus wagon depuis longtemps ». Le wagon sert au transport des marchandises et des animaux et la voiture au transport des passagers. Attention, on ne badine pas avec le vocabulaire. Les mots ont un sens, diantre. Et les wagons-lits alors ? Ils ne servent pas seulement aux cochons ?

Les emplacements vélos sont bien balisées, et accessibles à condition d’avoir pratiqué de la musculation durant vingt ans. Car monter quatre marches sans décrocher les sacoches relève de l’exploit physique. La descente du train s’avère plus simple. Même le passage dans l’étroit ascenseur s’effectue assez facilement.

Sur le terre-plein de la gare, Yvon - venu nous accueillir - nous sert de guide. Les vélos se comptent par centaines. Strasbourg est la 4e ville cyclable mondiale derrière Copenhague, Amsterdam et Utrecht. 600 km de voies aménagées. Et ce n’est pas terminé.

Nous passons devant la cathédrale de style gothique. La plus visitée après Notre-Dame de Paris.

Après un déjeuner en famille, chez Line et Yvon, direction le Parc de l’Orangerie. La petite Anaé se laisse tenter par la voiture électrique. Bleue. Créé au XVIIIe, le site boisé a des allures de jardin romantique à l’anglaise : pièces d’eau, ponts, fontaines, allées sinueuses et plantations désordonnées volontairement. Le zoo s’est vidé de ses occupants (par conviction politique). Seuls, quelques habitants à plumes ravissent les enfants.

Pas le temps de s’attarder, nous enfourchons nos vélos avant que le ciel noir nous tombe sur la tête. Nous ne sortons pas indemnes des pluies orageuses. Une belle soirée nous attend. Et un bon lit. Le bonheur en quelque sorte.

Devant la gare et dans la voiture. 
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Cet après-midi, nous redécouvrons la ville avec gourmandise. Je ne vous parle pas du Kougelhopf, cette brioche alsacienne moelleuse. Nous l’avions sur la table du petit-déjeuner. Non. Je vous parle du centre historique. Ici - ce n’est pas comme à Nancy- tout a de l’allure, même les rues commerçantes. Les colombages rehaussent l’esthétique générale. Mais, les couleurs des enduits et les jardinières de fleurs accentuent la beauté de l’ensemble.

La cathédrale Notre-Dame coupe le souffle. Sa flèche, sculptée dans un grès siliceux rouge, ressemble à de la dentelle. Les photos intérieures sont un clin d’œil à Pépette, amie passionnée de détails architecturaux.

Strasbourg se distingue par la multiplicité des lieux de culte. Catholique, protestant, musulman, et juif. Les synagogues racontent une histoire singulière. Celle d’une minorité juive, implantée dans la ville depuis le 12e siècle. Sa langue était un mélange de yiddish, alsacien et allemand. Sa population a cru. Atteignant dans les années 1970, 50000 pratiquants. Aujourd’hui, ils seraient 25000. Une communauté traditionnelle désormais assez visible avec talit Katar, tsitsit, papillotes et shtraïmel ou kipa.

Nous poussons jusqu’à la Petite France reconnaissable par ses tours des anciens ponts-couverts médiévaux. Vauban y a laissé son empreinte. Mon quota idéal de 10000 pas journaliers est largement dépassé. Dans une artère piétonne, 1200 jeunes de la DOC, l’institution de la Doctrine chrétienne, déferlent en piaillant après leur messe de rentrée à la cathédrale.

Ce soir dîner en terrasse. Le beau temps est revenu. Ne jamais négliger les spécialités culinaires. La culture concerne tous les sens.

À droite Laurent avec le Dr schweitzer. 
Fresque au musée d’Art Moderne. 
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Les Trois Chevaliers ont fêté cette année, leurs 100 ans d’activités culinaires. Je ne m’avance pas trop en disant que le chef n’est pas celui de l’ouverture de l’auberge alsacienne. En revanche, les portions n’ont pas diminué. Les filles ont pris un jarret et les gars une escalope cordon bleu panée. Elles étaient si imposantes dans l’assiette que les légumes étaient servis à part. Disons, la tubéreuse préférée de beaucoup, à savoir la patate. Frites et sautées.

Heureusement, nous avons marché pour digérer le festin roboratif alsacien ! La cathédrale étincelait dans ses habits de lumière. Parfaitement lestés, nous avons dormi du sommeil du juste.

Nous avons repris la route ce matin, accompagnés jusqu’à la sortie de Strasbourg par Line et Yvon. C’est un avantage pour nous que nos hôtes connaissent parfaitement leur berceau. Éducation, économie, histoire, culture… rien ne leur échappe.

Place de la République, nous nous arrêtons quelques instants pour observer le monument intitulé « À nos morts ». De tous bords. Avec plusieurs dates de conflit : la première guerre mondiale, la seconde, l’Indochine, l’Algérie. Les jeunes d’une même famille pouvaient être enrôlés dans l’un ou l’autre camp. Et s’affronter. Des drames humains terribles. Les SS Allemands retiraient les enfants les plus « ariens » en vue de les éduquer à leur façon !

Aucune difficulté sur les bords du canal de la Bruche. Nous nous arrêtons à Molsheim. Son musée de la Chartreuse et sa Fondation Bugatti. Du nom de ce jeune Italien de 28 ans qui a monté une usine de construction automobile dans la bourgade de 3000 habitants. Un siècle plus tard, Molsheim reste un haut lieu de la mécanique de précision. Ettero puis Jean ont écrit une véritable épopée. Pas seulement dans l’automobile. Ils ont inventé dans de nombreux domaines : ferroviaire, maritime, chirurgical… Sur le chemin, nous commençons à apercevoir des rangs de raisins au loin sur le flanc des collines. Et d’un coup, les pieds de vigne bordent notre route.

Un peu plus au sud, Rosheim recèle quelques pépites. Centre viticole, la petite ville est surnommée « la Cité romane » ou « la Ville rose ». Son bâti roman exceptionnel, en fait une destination prisée sur la route des vins d’Alsace.

Ce soir, on pique-nique au pied de notre petite tente à Obernai. Léger, léger. Profitons du beau temps.

Molsheim  
Rosheim 
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Le phénomène surprend les salariés du camping d’Obernai. Il affiche complet tous les jours. Et ce depuis début septembre. Vans et camping-cars circulent sur cette route des vins, les Allemands en tête. Les cyclistes en mini toile comme nous sont rares. Il faut préciser que l’humidité tombe à la nuit venue et que nous ne sommes pas à l’abri d’un orage.

La matinée s’emmanche mal. D’entrée, on tourne en rond puis on fait une boucle qui n’avance… à rien. Enfin, la moyenne montagne cueille Laurent à froid. Avec un vent debout qui ne nous lâche pas de la journée. Monter, descendre, monter, descendre. Avec son sens de l’effort poussé, le Briéron tient le cap sans mettre pied à terre.

Pendant ce temps, j’observe les silhouettes de châteaux sur les contreforts des montagnes qui dessinent l’horizon. Les vignes tombent jusque dans les vallées. Les vendanges tirent leur révérence dans les prochains jours. Avec les grains nobles et les vendanges tardives. Fin août, c’était le crémant puis le vin d’Alsace, et l’Alsace Grand cru. Parmi les appellations que certains connaissent citons le Sylvaner, le Riesling, le Muscat, les Pinot blanc, gris, noir et le Gewurtztraminer…

On ne s’arrête même pas déguster. L’effort se contente d’eau.

Mon pouce gauche sort de l’anonymat dans la douleur alors que c’est celui de la main droite qui change les vitesses. Bizarre. Le coude gauche de Laurent lui aussi devient ultra sensible. Décidément, l’arthrose nous guette.

Une horde de moucherons recouvre nos vêtements. Certains ont même réussi à s’immiscer sous mon débardeur. Par tous les saints ! Phobique des bestioles, tout retirer me démange. Mais nue comme un ver, en bord de route ferait désordre. Je me retiens.

Les bourgades traversées nous font (un peu) oublier notre Bretagne. Quoique. Puisque Itterswiller est jumelée avec l’île de Brehat. Malin. Vin blanc et huîtres : l’accord parfait.

Les constantes alsaciennes ? Façades à colombages, rues pavées en cœur de ville et des jardinières de fleurs encore très vivaces. J’apprécie particulièrement les couleurs des enduits de la famille des ocres, des parmes, des bleus et des verts. Un cachet unique.

Bernarswiller et Gertwiller puisent leurs noms à la fois de la forme française et de la prononciation en dialecte alsacien. Les suffixes « willer » et « wihr » font référence au terme « villare » (village) d'origine gallo-romaine. Bref, tout n’est pas Allemand.

Au fil des kilomètres, le ciel s’obscurcit. L’idéal : arriver avant 17 h. La météo prévoyant des orages. Le camping Le Médiéval de Turckheim dispose de bungalows. Pas d’hésitation. Une nuit dans un lit et au sec ne se refuse pas.

À peine arrivés, la pluie s’abat sur notre nid douillet. Demain sera un autre jour…

Obernai 
Notre bungalow à Turckheim 
Turckheim 
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La soirée dans notre petit bungalow nous ressourcent. Quelques fruits, un match de rugby exceptionnel : que demande le peuple.

Nous repartons ce matin avec des shorts de vélo bien secs. Un luxe. Pour affronter le vent froid, nous sortons les laines polaires. Les jambes restent à l’air libre. S’il pleut, elles sèchent plus rapidement. Théorie Martinienne.

Notre parcours du jour suit l’Eurovélo 5. Premier stop à Eguisheim. Qui vit et respire le vin. Même l’école s’appelle « La Vigne en fleurs ». C’est dire. Son classement parmi les plus beaux villages de France attire les touristes. Ce matin, les cars charrient des groupes : asiatiques, personnes âgées… De quoi donner le sourire aux commerçants. On se faufile entre deux vagues.

Le territoire est habité depuis le paléolithique. Après les cro-magnons, d’autres civilisations ont marqué la région de leurs empreintes. Ce sont les gallo-romains qui développent la culture de la vigne. Le premier château est érigé vers 720 et ressemble davantage à une résidence fortifiée. De forme octogonale autour d’une cour intérieure. La chapelle - magnifiquement peinte - est édifiée plus tard sur les restes du donjon. Un personnage illustré est né dans cet édifice, Bruno d’Eguisheim qui devient pape sous le nom de Léon IX.

Autre curiosité : les cours dîmières. Ces cours ou fermes agricoles appartiennent à des nobles ou de puissantes abbayes. Elles sont construites autour d’une cour intérieure. On y pénètre par un seul accès. Lieux de ventes, d’achats, d’échanges et de taxations, elles restent à l’abri des pillages. Le village en a compté jusqu’à 20 au 17e siècle.

On prend un café à Rouffach. Nous sommes déjà dans le Haut Rhin. Département, situé en bas du Bas Rhin, qui lui est en haut. Vous me suivez ? En fait leur nom vient de l’altitude. D’ailleurs, nous passons près de Guebwiller. Séquence souvenir. Qui de ma génération n’a pas appris que « le (grand) Ballon de Guebwiller est le point culminant du massif des Vosges. Son altitude : 1424 m. À son sommet, le monument des Diables bleus rend hommage aux victimes des chasseurs alpins qui ont combattu en 14/18.

Depuis ce matin, nous essayons d’avoir un logement en dur pour la nuit. Les réponses sont identiques. Complet.

Nous passons devant le cimetière militaire français et alliés à Cernay. Aménagé en 1920, la nécropole nationale recueille 3643 tombes et 933 corps en ossuaire de soldats tombés lors des deux guerres mondiales. Nous posons notre tente au camping des Cigognes. Soirée et nuit sous la pluie et 9° au thermomètre. Chaussettes et laines polaires.

Heureusement, une tente est mise à la disposition des cyclistes. Nous pouvons manger à l’abri. Génial.

Eguisheim 
Cette vierge ouvrante date du 13e siècle.  Il n’en existe que deux exemplaires  
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Nuit froide. Très froide. 7° finalement selon les dernières informations. J’ai regretté de ne pas avoir enfilé de chaussettes. J’ai rajouté une laine polaire. Laurent a dormi avec sa capuche. Toute la tente a été passée à l’éponge avant d’être pliée.

Nous partons sous le soleil. Avec la fraîcheur de l’automne, nous confie un cycliste du cru. Petite étape aujourd’hui. Nous suivons toujours l’Euro vélo 5. Wittelsheim, situé à sept kilomètres de Cernay, nous donne l’impression de pénétrer déjà dans la banlieue de Mulhouse.

Le chevalement impose son squelette métallique à des kilomètres à la ronde. Entouré d’immenses bâtiments, il raconte l’histoire industrielle de ce bassin alsacien. La découverte d’un gisement de potasse date de juillet 1904. Le carottage effectué entre 627 et 649 mètres de profondeur conforte les perspectives économiques. Déjà Mulhouse se distinguait par le textile puis la mécanique (l’entreprise André Koechlin), et le ferroviaire.

La ville et sa région connaissent une immigration massive. En 50 ans, la population passe de 7187 habitants à plus de 32000. Une vague de main-d’oeuvre polonaise grossit les rangs des ouvriers. Les étrangers subissent des conditions de travail particulièrement difficiles : statut précaire, journée de 15 heures, 6 jours sur 7…

Nous arrivons par le nord (Richwiller et Pfastatt) en traversant des quartiers populaires. Le marché - ouvert trois fois par semaine - grouille d’usagers cosmopolites. Avec ses 300 commerçants, il est le plus grand du nord-est de la France.

Le camping de l’Ill, du nom de la rivière qui coule d’Est en Ouest de la ville pour se jeter plus loin dans le Rhin, baigne dans un écrin de verdure. Notre cabane en bois est parfaite. C’est décidé, nous n’irons pas à Bâle. Laurent n’a pas son passeport. Nous préférons rester ici deux nuits et prendre le temps de visiter le chef-lieu du Haut-Rhin.

Nous enfourchons nos vélos, délestés de leur chargement. Direction, le centre historique et la place de la Réunion. Nous avons une pensée pour Marin, danseur à l’opéra national du Rhin. Nous déambulons dans les rues piétonnes.

Dans le musée historique, visible dans l’hôtel de ville, une salle est consacrée à Alfred Dreyfus. Sur la place principale, le Temple protestant impose une architecture aussi riche qu’une cathédrale. Rare. L’artiste Elisabeth Bourdon y expose ses œuvres lumineuses, composées de diapositives peintes, gravées et poncées. Originales.

Nous terminons dans une taverne alsacienne traditionnelle. Choucroute royale, baeckeoffe ou baeckaoffa, accompagnés de riesling. Laurent se laisse tenter par la Fleur de bière, une eau-de-vie de houblon.

Retour au camping. Juste à temps pour le match Irlande-Afrique du Sud.

À gauche, le chevalement de la mine de potasse. 
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Après une excellente nuit, nous sautons sur nos bicyclettes. Frisquet mais ciel bleu et soleil. En route pour le musée national de l’automobile - collection Schlmupf - dans l’une des anciennes filatures des frères Schlmupf.

Moi, les voitures ne m’intéressent pas vraiment. Mais là, ça vous en bouche un coin, peut-on dire familièrement. D’abord, l’histoire de ces deux vieux gars, franco-Suisses, assez effacés, qui achètent des filatures et qui font fortune. Hans et Fritz.

Ce dernier développe une passion pour les automobiles surtout européennes et les Bugatti en particulier. Cette passion devient boulimie. Il achète avec frénésie. Parfois 40 exemplaires d’une même série. Il les bichonnent dans un espace de la filature dédié et tenu secret. Dans un atelier, 40 mécaniciens, peintres, selliers, menuisiers, maroquiniers, carrossiers et autres artisans spécialisés s’activent sur les modèles. Missions : restaurer à l’identique et les remettre en état de marche. Il aménage 17000 m2 d’entrepôt.

Ces patrons paternalistes à la réputation controversée traversent mal la crise du textile. Grève, occupation d’usine. 2000 personnes vont perdre leur emploi. La découverte de cette collection unique au monde fera le tour du monde et c’est Jean Panhard qui réussit à sauver la collection privée en associant pouvoirs publics et mécènes.

Je me suis amusée à relever le nom des ateliers de construction dont beaucoup sont français. J’en connais quelques-uns, vous peut-être davantage.

Daimler, Rheda, de Dion, Dufaux, de Dion-Bouton, Baudier, Fouraillon, Zedel, Darracq ou Piccolo, Soncin, Brasier, Mors, Corre-la licorne, Barré, Hurtu Georges-Richard, Decauville, Clément-Panhard, panhard-Levassor, benz, debouteville, Armand, Peugeot, Delamarre-Debouteville et Malandin, Jacquot, Hispano-Suiza, Delahaye, Farman, Isotta-Fraschini, Bentley, Maybach, Mors, Lorraine-Dietrich, M.A.F., Violet-Bogey, Philos, Delahaye, Pilain, Le Zèbre, Piccard-Pictet, Grégoire, Steyr, Alfa Roméo, O.M. Lancia, Minerva, Audi, Berliet, Scott, Mathis, Salmson, Amilcar, Monet-Goyon, Sénéchal, Grégoire, AFG Grégoire, Hotchkiss-Grégoire, Tatra, Arzens, Adlar, Ballot, Horch, Tracta, B.N.C., Ballot, Sizaire-Naudin, Serpollet…

Et plus tard, d’autres marques.

Aston Martin, Ferrari, Silva, NSU, alpine-Renault, lotus, trabant, Bentley, Gordini, simca-Gordini, Benetton, Lotus, Pegaso, Maserati, alfa-Romeo, Talbot, gordini, Cisitalia, Hongqi, etc.

Mon attention s’est portée sur la Bugatti - 41 royal, coupé - considérée comme la voiture la plus fastueuse au monde (1930). Tout y est démesuré. Il n’en existe que six exemplaires.

Quant à la Bugatti-Veyron, quelques stars en possèdent. Il faut quand même débourser plus d’1,1 million d’euros. Ce modèle qui monte jusqu’à 407 km/h est le plus rapide du monde. Je me demande bien sur quelle route ?

Une salle est dédiée aux voitures de Louis de Funès au cinéma. La 2 CV de Bourvil mise en pièces. Il réplique : « Et maintenant, elle va marcher beaucoup moins bien. Forcément ».

Mulhouse - longtemps territoire libre et indépendant - regorge de bâtiments industriels désaffectés. Les anciennes usines DMC en font partie. Nous y allons à l’occasion d’une porte-ouverte.

Née en 1746, pour fabriquer de l’Indienne en France (tissu imprimé coloré), l’entreprise familiale devient DMC en 1800 (la marque Dollfus-Mieg & Cie), connu du grand public pour son fil à broder. Qui n’a pas utilisé des écheveaux pour un canevas ou des broderies ?

L’un des fistons est reconnu pour son engagement politique et social visant à soutenir la santé, le bien-être et l'éducation des travailleurs, notamment par un fonds d'urgence, des écoles et des installations pour les enfants. Il a aussi cofondé l'Association pour la prévention des accidents, qui a conduit à l'élaboration de lois sur la santé et la sécurité en Allemagne et en France.

Dans un bâtiment DMC, Motoco accueille 140 artistes, plasticiens, peintres, sculpteurs, graveurs… Pour résumer : du bon et du moins bon. Mais le lieu vaut le détour.

Mon rêve de vivre dans une ancienne usine refait surface. Sans doute au cours de mes sept autres vies !

Demain matin, nous prenons le train avec nos vélos et notre barda.

L’entrée du musée. 
À gauche, la toute première automobile. 
J’ai pris certains modèles parce que je les trouvais amusants, beaux ou pour un détail  
À gauche la 2V de  Bourvil, à droite la voiture au klaxon remarqué dans le Corniaud.
À droite la Panhard de mes parents.
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Comment relier Lyon avec des vélos et leur chargement de randonneurs quand vous êtes à Mulhouse ? Par le TER. Mais un grand détour est obligatoire. Mulhouse-Belfort : arrêt, changement, ascenseur. Belfort-Besançon : arrêt, changement, ascenseur. Besançon-Dijon : arrêt, ascenseur. On décide de passer une demi-journée dans la capitale de la moutarde qu’on ne connaît pas et on ralliera Lyon mardi matin.

Une place de la gare minérale nous tend les bras. Nous descendons dans un Ethic Hôtel, genre auberge de jeunesse que le chanoine Kir aurait initié. La chambre est spartiate mais propre. On enfourche nos fidèles montures, le moyen le plus rapide pour rejoindre le centre-ville.

La capitale de la Bourgogne/Franche-Comté a fière allure. « Ville d’art et d’histoire », elle présente un vaste secteur sauvegardé de 97 hectares. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Plusieurs musées sont accessibles gratuitement au public. Certains sont d’anciens lieux de culte désacralisés.

Le palais des Ducs abrite le musée des Beaux Arts et l’hôtel de ville. Jean Sans Peur, Philippe Le Bon et Charles le Téméraire y sont nés. Leurs tombeaux y trônent. Et on se laisse aspirer par les œuvres là encore très intéressantes. Plusieurs Rodin, Degars, Picasso, Matisse, Dufy et d’autres. Nous découvrons la Marseillaise - Départ des volontaires de 1792 - de Rude en version miniature et dans une ancienne chapelle transformée en musée Rude, la version grandeur réelle en plâtre. La réplique définitive se trouve sur l’un des piliers de l’Arc de Triomphe à Paris. On la connaît sans le savoir !

Maisons à colombages, églises romanes et gothiques, hôtels particuliers des 17e et 18e siècles, soulignent majestueusement les rues médiévales. Une pointe d’Art Nouveau se remarque à l’angle de rues avec ses formes de champignons en toiture de l’immeuble, signé Louis Perreau.

Le centre historique entièrement piéton laisse de beaux espaces aux terrasses des bars et des restaurants qui font le plein. On se régale. À Dijon tout est bon…

À droite. Charles  le Téméraire  
Deux Rodin, à droite une sculpture de Sarah Bernhardt 
La Marseillaise de Rude.
À gauche, Saint-Joachim. À droite, une rue spéciale Laurent. 
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Le local à vélos de l’Ethic hôtel se situe au sous-sol. Surprenant, pas de rampe d’accès mais une vingtaine de marches. Ce matin, remonter nos vélos n’est pas aisé. À la gare de Dijon, notre TER est annoncé avec 20 minutes de retard. Oublions la correspondance à Lyon.

Le train qui arrive n’est pas adapté. Marches, emplacements réduits. Nous devons décrocher les sacoches et suspendre mon vélo. Celui de Laurent est coincé dans le sas et il doit le tenir. À Lyon, même galère pour descendre. En revanche l’ascenseur est plus grand. L’accès à la voiture du TER réservée aux vélos est accessible sans effort de forçat. On respire.

Nous descendons au sud de Lyon, à Givors, pour récupérer la Via Rhôna. Une salade dans une boulangerie avec terrasse et nous quittons cette commune, carrefour de communication entre le Velay, le Forez et le Dauphiné. Par ailleurs, Givors est la porte septentrionale du Parc régional du Pilat (à ne pas confondre avec la dune du même nom).

Le parcours est plat, bien balisé, souvent le long du Rhône. Un petit vent du sud atténue la chaleur retrouvée. Les paysages sont variés. Les vignes s’étendent sur les hauteurs. Laurent pense qu’il s’agit de Beaujolais, je ne suis pas d’accord.

Très rapidement, Sainte Colombe (Rhône) et son immense musée Gallo-romain s’imposent à nous. En face, de l’autre côté du pont, Vienne apparaît lumineuse sur la rive Est du fleuve. Nous sommes en Isère. Les ruelles étroites serpentent vers le mont Pipet. L’ancienne cité fortifiée, liée à l’empire romain, a hérité d’un patrimoine architectural remarquable. Surnommée « la cité sainte », elle est connue aujourd’hui pour son festival de jazz et son théâtre antique. Utilisée en Scène de plein air durant tout l’été. Les ajouts permanents en tôle ondulée et béton, ressemblent à des verrues.

Nous continuons notre exploration le long du Rhône. Sur les monts alentours, les vignes. Dans la vallée, le maraîchage (salades, choux, poireaux). Plus loin vers Tupins et Semons, L’île du Beurre (sans vache), espace naturel protégé, ponctuée d’observatoires de la faune et de la flore. Nous sommes enveloppés dans les arbres et la verdure. Une forêt alluviale composée de peupliers vieillissants. Ils cohabitent avec des prunelliers, noisetiers, érables, frênes et cornouillers sanguins. L’arrivée à Condrieu nous enchante. Cette charmante bourgade face au fleuve large et paisible prend des airs suisses à l’image de Cully, au bord du lac Léman. Elle a créé une centrale villageoise, une première en France, qui regroupe des actionnaires citoyens. Ils produisent collectivement de l’énergie à partir d’installations photovoltaïques sur des toitures privées et publiques.

Ce soir, nous bivouaquons au camping de la Lône à Saint-Pierre-de-Boeuf (département de la Loire que MyAtlas ne connaît pas). Calme. Très calme. Aucune comparaison avec l’affluence sur la Route des vins.

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Nous reprenons la Via Rhôna de bon matin. La fraîcheur ne nous gêne pas pour pédaler. Parcours toujours aussi facile. Autour de nous, les paysages changent mais jamais ne nous lassent.

Le fleuve impressionne. Je ne parle pas du tiers de sa longueur en Suisse mais de la partie française que nous longeons. Déjà du temps des Grecs, il était surnommé l’Éridan, un dieu, fils de l’Océan et de Téthys. Ces grecs voyageurs qui remontaient de Rhodes lui donnèrent ce nom. D’ailleurs, ne dit-on pas « couloir Rhodanien » ? Le fleuve « fantasque » est aujourd’hui « dompté ». Sauf… crues exceptionnelles !

Nous l’admirons : large, calme, mais puissant. Épanoui dans les plaines, contraint quand il est enchâssé entre deux collines de roches boisées. Je vous épargne quelques centrales, pour ne retenir que la beauté des sous-bois échevelés, la rectitude de l’arboriculture fruitière, la discrétion des villages ocres blottis entre vignes et fleuve.

Premier arrêt à Serrières. Son musée des mariniers se trouve dans l’ancienne chapelle de Saint-Sornin, toute dévouée à la mémoire du passé batelier rhodanien. En prime, les lecteurs de Bernard Clavel - Le Seigneur du fleuve - reconnaîtront la reproduction du tableau qui illustre la couverture. Une scène de halage peinte par Alexandre Dubuisson en 1831.

Arrivés à Laveyron - et pas en Aveyron - nous sommes « pile poil » à la moitié de la Via Rhôna. 400 km de piste de chaque côté (amont et aval). Je souris. Une autre expression me vient : « À un poil de cul près » que je n’emploie plus sauf peut-être avec les amis d’un demi-siècle !

À moins de 10 km du fleuve, Ville-sous-Anjou est bien loin de la Maine et de la Loire. Cette bourgade de l’Isère a la seule particularité d’avoir vu naître en 1873, Emile Romanet, un des précurseurs des allocations familiales.

Et nous voilà à Tournon-sur-Rhône qui embrasse Tain-L’Hermitage. Les deux se tendent les bras au-dessus du Rhône. Le vieux pont de bois pour la circulation douce et un second pont pour l’intense circulation de la Nationale 7. Nationale qui coupe Tain en deux. Dommage, la commune a des atouts. Pas seulement sa Cité du chocolat. Je pense plutôt à ses vins réputés, aux châtaignes, à ses fruits. Sans oublier la briqueterie Fayol. Dernière usine de fours à bois traditionnels existante en France et classée Patrimoine Vivant.

Et côté historique, c’est ici qu’a été célébré le mariage de Charles V de Valois et Jeanne de Bourbon. Et les Tainois en sont fiers.

La Via Rhôna, un vélo route de 800 km. Laveyron se situe à mi chemin. 
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Tournon-sur-Rhône, chef-lieu et sous-préfecture de l’Ardèche, bénéficie du dynamisme lié à la viticulture. Elle possède aussi une unité de fabrication de camping-cars et de caravanes, avec Trigano VDL, leader européen de véhicules de loisirs. Au détriment de Trignac. Sa grande place ombragée, ses vieilles pierres et ses rues étroites attirent une population, en hausse depuis les années 60.

Camping fermé, hôtels complets, nous trouvons une chambre in extrémis dans le centre piétonnier de la Ville. Son nom : Le Pied de géant, une maison de famille rénovée qui a gardé le charme de l’ancien. Sandra est aux petits soins pour ses hôtes. Et elle raconte volontiers la légende qui a donné le nom à sa maison. En l’an 330 avant notre ère, un taureau fit 100 victimes dans les Arènes de Tournon. Un picador et un géant se précipitèrent à sa suite et tombe dans l’abîme de 100 m de profondeur. Seul le géant de 3 m survécut. Tout près, se situent une caverne et la grotte du Serpent. Reptile, qui toujours selon la légende, mesurait 5 m de long.

La journée s’annonce identique à la précédente : beau temps et parcours bien balisé. À Glun, le fleuve se disperse façon puzzle, avec ses bras petits et grands. À chaque fois, je prononce Gloun, Laurent me reprend. On dit « Glin ». Ah, ah, je me trompe volontairement, et il rectifie systématiquement. Je m’amuse d’un rien. À Saint Glin-Glin, on se marre bien.

Nous sommes agréablement surpris par la Via Rhôna. La route est très souvent ombragée, et toujours sécurisée pour les deux-roues, même quand elle longe une voie automobile ou traverse un pont.

Un Saint-Nazaire apparaît sur un panneau. Ni une ni deux, je pile. Une photo s’impose. Celui-ci s’appelle exactement Saint-Nazaire en Royans. Le nôtre est « Sur-Mer ». Nuance. On compte 15 Saint-Nazaire en France. Mais l’estuarienne reste ma préférée. On arrive à Valence avant midi. On apprécie la capitale de la Drôme. D’abord, son beau Parc Jouvet - aucun lien avec Louis, né à Crozon - mais avec Théodore, mécène fortuné qui a financé le projet qui était destiné à préserver le panorama sur la colline de Crussol en face. Il est classé « Jardin remarquable ». Ce qui est justifié.

Peu avant la 3e République, la ville se métamorphose. Les remparts sont remplacés par de belles façades. L’hôtel de ville et le Champ de mars datent de cette époque. La cathédrale Saint-Apollinaire et le port de l’Epervière valent le détour. Mais c’est le kiosque Peynet qui a été élevé au rang d’emblème de la ville. L’œuvre de l’architecte Eugène Poitoux datant de 1862 a inspiré Raymond Peynet et ses célèbres amoureux en 1942. Le kiosque à musique est désormais classé Monument Historique.

Le château de Crussol, domine la vallée du Rhône. Des ruines sur un site historique de 3 hectares. Jadis la forteresse était imprenable. Charmes quelques kilomètres plus loin n’en manquent pas.

Nous quittons la Via Rhôna quelques kilomètres avant La Voulte-sur-Rhône, pays de rugby et des légendes, les frères Cambérabéro. C’est le mien de frère qui a quitté le RC Trignac pour jouer ici. Et il y est resté.

Nous empruntons la Dolce Via, une autre voie cyclable, dans la vallée de l’Eyrieux. Elle aussi très belle. Nous retrouvons la famille… et notre van.

Fin de notre périple à Saint-Fortunat-sur-Eyrieux. 1020 kilomètres de pédalage, de grands bols d’air et des souvenirs pour… nos vieux jours.

Notre chambre au Pied du Géant. 
Une péniche, chargée non pas de sable mais de céréales broyées, s’engage dans l’écluse.
Valence.