Après Martine au boulot, voici Martine sur un vélo. Au départ, je voulais partir seule et à pied. À cause d’une mauvaise chute, j’ai reporté la marche. En route pour l’aventure à deux.
Du 21 mai au 13 juin 2018
24 jours
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J - 3 Les préparatifs

Le temps s’accélère et la liste des choses à faire et à ne pas oublier s’allonge. Les vélos sont prêts. Nous pourrons ainsi tirer la chariote à tour de rôle. J’essaie de ne pas me projeter afin de garder sérénité et bonne humeur et d’évacuer le stress. Nous avons quand même pris une tente car dans la seconde partie du voyage après Nevers, il ne sera pas tous les jours facile de trouver une chambre d’hôte. Demain, je m’occupe de la pharmacie et de la pâte d’amandes (conseil d’un ami sportif).


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Arrivée du duo chez Lise et Damien à Saint-Brevin avec la chariote et le paquetage.

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De bon matin tout guillerets, nous avons pris la route, accompagnés par nos hôtes et leurs amis sur une quinzaine de kilomètres. La nouvelle portion de La Loire à vélo à partir de Saint-Brevin les Pins recèle quelques merveilles visuelles. Les pêcheries s’alignent en rangs serrés et donnent l’illusion de herses noires qui griffent la Loire à marée basse. Le temps est parfait. Un vent d’est nous rafraîchit. Dommage, nous l’avons dans le nez, les moucherons aussi. Nous nous régalons des paysages. Les flancs du fleuve ont pris une teinte jaune grâce aux iris juste ouverts. Deux arrêts plus tard, nous embarquons sur le bac qui relie Indret à Indre. Notre étape du soir chez Yan, Pascale, Tissam et Cannelle.

En arrière plan, le pont de Saint-Nazaire et les chantiers navals. 
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Au revoir Yan, Pascale et Indre.

La retour sur notre deux-roues se fait plutôt facilement sauf la remorque qui a une sérieuse tendance à tanguer. Pas de doute, elle est trop chargée. Nous prenons la route des Usines - la bien-nommée - sous le pont de Cheviré jusqu’à Chantenay. Direction le marchand de vélos. Nous délestons une partie du sac de la chariote dans deux immenses sacoches vertes made in Germany. Espérons qu’elles soient solides !

La traversée de Nantes s’effectue au son des slogans des manifestants. Le calme revient sur les bords de Loire, majestueuse par endroits. Plus loin, des îles rétrécissent l’horizon. Viennent ensuite d’immenses étendues maraîchères. La mâche, les pieds dans le sable, est chapeautée de petits tunnels verts pour les protéger de la chaleur. Plus loin, les poireaux sont en pleine forme, prêts à passer à la casserole. Sur les chemins du sud Loire, les premières vignes surgissent en terres de Maine-et-Loire, alors qu’en face la Loire-Atlantique n’a pas fini de s’étaler. La tour d’Oudon nous indique que Le Méen approche. Il faut encore grimper une côte de 2 km... La charmante maison de Martine et Bernard nous ouvre les bras.

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Chez Martine et Bernard, l’impasse du Point de vue n’a pas usurpé son nom. La vue sur la Loire est époustouflante. Une vue en plongée à couper le souffle. Nous repartons en immortalisant la façade à la floraison luxuriante. Les kilomètres s’enchaînent. Nous sommes un peu tendus. Arriverons-nous à avaler 75 km sans gémir ? Le temps est magnifique mais le vent souffle à l’est, face à nous. Après Ancenis, nous empruntons la piste au sud de la Loire. Saint-Florent-le-vieil est plus petit que dans mon imaginaire mais charmant. Gracq a bien eu raison de contempler le fleuve royal de sa belle bâtisse.

Plus loin, les premiers bancs de sable apparaissent. Sur le chemin, les églantiers sauvages charrient des fleurs par centaines. Les saules pleureurs protègent les vaches Limousines de la chaleur. De chaque côté de la Loire d’immenses champs sont cultivés. Mais de çi de là, coquelicots et boutons d’or colonisent une parcelle.

Les kilomètres défilent. Montjean-sur-Loire, Chalonnes... De longues lignes droite sur du bitume nous plombent un peu le moral. L’étape touche à sa fin. Mais à 6 km du but, un énorme orage s’abat sur nos frêles épaules. Pas de quoi nous mettre la rate au court-bouillon. Nous savons que la soirée sera chouette chez Annick et Denis à Bouchemaine.

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Ce matin, il a fallu passer les vélos au jet d’eau pour retirer la boue de la veille. Tous les vêtements ont été lavés et séchés. Seules nos chaussures étaient encore trempées malgré un passage dans le sèche-linge.

Nos corps gardent en mémoire les 75 km de la veille. Quelques tensions se sont installées non pas dans les jambes mais dans les poignets, les cervicales et le bas du dos. Aujourd’hui nous repartons pour 66 km. Nous croisons des cyclistes femmes qui voyagent en solitaire. Un couple de La Rochelle rencontré au Thoureil est parti pour... 4000 km jusqu’au delta du Danube. Nous sommes des petits joueurs avec nos 1200 km.

Après les Ponts de Cé, notre compteur affiche déjà 200 km. Nous sommes fiers. Le parcours du jour est agréable. Le tuffeau s’invite partout. Le blanc laiteux des façades contraste avec le schiste sombre. Le tout est réhaussé de magnifiques rosiers grimpants. De petits jardins donnent sur la Loire, toujours aussi royale ! On se régale. Sauf quand par erreur nous prenons le parcours sur le plateau. Les grimpettes pompent notre énergie. La tête dans le guidon, on finit par retrouver le circuit au bord du fleuve. Saumur se dévoile enfin. Pleine de charme avec ses façades à colombages et son clocher tors. Pierre et Ines nous accueillent avec beaucoup de gentillesse. On est gâté par de telles rencontres.

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Nous sommes partis de Saumur sous un ciel plombé. Nous sommes arrivés à Bréhémont avec la pluie. Et les prévisions pour les jours à venir ne sont pas optimistes.

Pour autant la journée a été agréable. D’abord Saumur additionne les atouts. Les bords de Loire offrent un panorama à 180º. Turcan ou Candes-Saint-Martin, petites cités de caractère, dévoilent des façades en tuffeau et des habitats troglodytes. On ne compte plus les châteaux et autres manoirs classieux. Après des chemins, cernés de chênes et de peupliers qui occultent le fleuve, on tombe en arrêt devant le château de la Belle au bois dormant à Rigny-Ussé. Il appartient à un Duc dont l’ancêtre à vaillamment combattu au XIe siècle. Bon, il y a quand même trouvé la mort ! Au fil des combats et des générations, ces nobles ne semblent pas s’être appauvris ! Nous poursuivons notre périple jusqu’à Bréhémont. Un pâté de maisons qui tient lieu de commune et une petite terrasse couverte pour abriter les cyclistes de passage dont ce Londonien originaire d’Irlande qui ne sait pas où il va mais qui parcourt plus de 100 km par jour pendant que sa femme supervise les travaux à son domicile.

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Hier soir, la chambre d’hôtes située en contrebas du lit de la Loire était parfaite pour le repos des guerriers casqués. Les propriétaires sympathiques ont pris le petit déjeuner avec nous. L’occasion de discuter de la vie calme à la campagne qu’ils ont mûrement choisie. Le cadre a de quoi faire des envieux. Nous apprécions mais nous restons des urbains dans l’âme. La pluie de la nuit a laissé place à un ciel bleu pour quelques heures. Nous en profitons pour tracer la route. Laurent tend l’oreille à plusieurs reprises. Il a entendu coasser les grenouilles. Il est en joie ! Ça lui rappelle son enfance en Brière à l’époque où les batraciens n’avaient pas encore été dévorés par les écrevisses de Louisiane.

Nous faisons un détour au château de Villandry. J’adore les jardins à la française ! J’adore les compositions légumes-fleurs. Bref, j’adore tout ce que je ne suis pas capable de faire pousser. Comme nous circulons à deux-roues, il n’est pas question d’acheter des rosiers grimpants. Dommage. Le Ava-Gardner et le Nicolas-Hulot sont craquants ! Nous pique-niquons à Savonnières suivi par une halte transat. Des chaises longues originales puisqu’elles sont décorées de vieux canevas cousus. Au bout de l’aire de repos, un groupe s’est réuni pour la Fête des voisins. Les enfants en profitent pour jouer à saute-mouton. Pourquoi pas colin-maillard ou balle au camp, tant qu’on y est !

Nous prenons la piste vers Joué-les-Tours chez mon tonton-parrain.

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Une halte chez Roger et Mylène nous a permis de nous plonger dans l’histoire familiale, livres de photos à l’appui. Nous évoquons ma grande famille paternelle et ce que deviennent mes oncles, tantes, cousins et cousines. On a parlé aussi de jardinage, de confiture, de voyage et de la cave troglodyte acquise depuis quelques années. Bref, une plongée en douceur dans mes racines qui fait du bien.

Quand nous avons repris nos vélos ce matin, nous avons mesuré les dégâts de l’orage violent qui s’était abattu la veille en soirée et la nuit. Des arbres jonchent le sol, des branches tapissent notre chemin. Nous tentons de les éviter. Aujourd’hui, c’est moi qui tire la remorque. Je tente de m’habituer mais lors d’un demi tour, je chute et le vélo se retrouve sur moi. Spectaculaire mais sans douleur.

Comme nous avons peur d’un nouvel orage, nous pédalons d’un bon rythme. Laurent craque à la vue d’une rutilante 4CV, la voiture de son adolescence ! On apprécie les panoramas changeants de la Loire, les champs de coquelicots et les rangs alignés des pieds de vigne. Amboise apparaît vivante, animée et verte. Ses châteaux, ses petites rues et ses maisons anciennes attirent les visiteurs en ce dimanche de Fête des mères. Alain et Annette nous accueillent à Pocé-sur-Cisse. Une commune très connue en particulier le lieu-dit Fourchette. Nous longeons les hautes haies d’une belle propriété dont on n’arrive pas à apercevoir le château. De toute façon, nous n’aurions pas pu aller saluer Mike Jagger !

Demain la météo annonce de la pluie toute la journée mais on refuse d’y penser.

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Nous quittons Amboise à regret. Nous y laissons nos jolies poules (en céramique) achetées dans la vieille ville ainsi... qu’Annette et Alain, nos hôtes en charge de les surveiller en attendant de nous les rapporter. Il ne pleut pas mais le ciel est sombre et lourd. On croise les doigts, les vêtements de pluie à portée de main. La veille je n’avais pas réussi à monter une côte particulièrement raide. Aujourd’hui nous pensons être épargnés. Que nenni. A la sortie d’Amboise, la piste grimpe fortement pour atteindre le haut du coteau. On se rassure en se disant qu’on sera bien préparé pour attaquer le massif central. Le vent toujours de face ne chasse pas les nuages. Heureusement que le trajet est ponctué de jolis manoirs et de champs de coquelicots et de bleuets.

Nous arrivons à Chaumont-sur-Loire sans prendre une goutte. On se prépare à visiter les jardins mais à l’entrée la jeune femme peu amène nous refroidit. C’est le pack complet ou rien et pour les vélos, on est prié de les porter pour franchir deux volées de marches si on veut les stationner. Comme nous n’avons pas prévu de passer la journée au château, on repart un peu dépité.

Nous franchissons les 400 km avant midi. On rêve d’une halte réparatrice à Candé-sur-Beuvron. Mais la brasserie, l’épicerie et la boulangerie ont le même jour de fermeture : le lundi. Pas de bol. Nous n’avons pas d’autre alternative que de pédaler jusqu’à Blois. À 19km ! En prime, il pleuvouille. Le poulet aux pâtes nous redonne le sourire et le moral. On ne s’arrête pas en si bon chemin. Chambord nous attend. Et il vaut le déplacement. Un couple de Chinois en tenue de mariés, bouquet de fleurs à la main, immortalise son union devant le majestueux château aux 365 fenêtres. Nous décidons de nous arrêter à Maslives pour la nuit. Nous en avons plein les pattes après avoir parcouru 72 km.

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Nous quittons notre hôtel tristounet sous un ciel sombre. La veille, nous étions passés à travers les gouttes. Nous défions à nouveau la météo. Nous avons chaud mais nous pédalons avec entrain. Nous croisons un couple de Canadiens. Ils ont atterri à Nantes avec leur petit garçon et tout leur équipement. Ils ont pris un an sabbatique. En vélo, ils vont traverser l’Europe jusqu’en Croatie avant d’embarquer pour le Maroc. Plus loin, c’est un Belge tatoué qui fonce de Bruxelles à Paris jusqu’à la Loire.

Notre itinéraire nous conduit tantôt au nord du fleuve, tantôt au sud. À plusieurs reprises. Lorsque j’aperçois deux énormes colonnes de fumée blanche, je sais qu’on approche de Saint-Laurent-des-Eaux. Séquence émotion. Je pense à mon père qui a travaillé dans cette centrale comme dans toutes celles de France et de Navarre. J’ai le souvenir d’un été particulièrement étouffant à Mer où nous habitions, d’un profond ennui et de mon impatience à partir en colonie de vacances.

On arrive à Baule. C’est le comble de s’y retrouver 500 km plus loin. Mais en chemin, il a perdu le LA. Beaugency remarquable par son cœur médiéval a conservé une dynamique commerciale. On en profite pour acheter notre pique-nique que nous mangerons à Meung-sur-Loire. Prononcez « min ». Notre amie Marie nous a parlé de son cousin, passionné de roses anciennes. On s’arrête le voir au Jardin de Roquelin. Une merveille située à quatre coups de pédales de la Loire à vélo. Stéphane nous ouvre l’enclos de son paradis fleuri aux senteurs subtiles. Un régal olfactif. On reviendra.

Les moucherons continuent de m’attaquer. Le temps vire à l’orage. Il ne faut pas traîner. On ne résiste pas à la photo dans le champ de coquelicots. Je souris en m’imaginant dans la pub Kenzo. Il me manque la robe rouge !

Jeanne d’Arc, nous voilà. Orléans nous attend. Jean-Claude et Raymonde aussi. Les premières gouttes commencent à tomber. On est sauvé.

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Décalage de ce compte-rendu, en raison de violents orages qui ont coupé les connexions.

(Avant) hier soir, nous avons partagé un bon moment et un bon repas chez ma tante et mon oncle. Nous ne les avons jamais perdus de vue. En revanche, dans cette fratrie paternelle de huit enfants, plusieurs sont éloignés de notre vie. Nous reparlons de Millac, minuscule commune de la Vienne et berceau familial. Très vite, on devient un tantinet chauvin. Les pommes, le raisin ou la salade... tout est bien meilleur qu’ailleurs. Les poules pondent des œufs plus bio que bio.

Bref, nous passons une excellente soirée autour d’un poulet aux abricots, une recette qui sera transmise à Laurent pour qu’elle figure en bonne place de ses spécialités. Pour l’heure, il n’en n’a qu’une ! En une soirée, il double la mise. Jackpot pour les potes...

Avant de quitter Orléans, nous arrivons à croiser Nadine, une copine de longue date, de l’époque où je sévissais (et elle aussi) au Parc naturel régional de Brière. Pourvu que l’on se revoit plus longuement. Dans la capitale du Loiret, la Loire file au rythme d’un courant puissant. Nous attaquons une partie sauvage. Finis les manoirs et châteaux, place aux sternes. De part et d’autre du fleuve, nous apprécions les 50 nuances de green. Du vert jaune au vert noir. La nature n’a rien de monotone. Les arbres, résineux et feuillus, jouent leur partition. Altiers, frêles, puissants, rondelets, filiformes ou monumentaux, ils dessinent des paysages changeants.

Les carrières charrient du sable. La poussière s’infiltrent sous mes lunettes. Et je continue à aimanter les bestioles. A côté de moi, Laurent - et sa peau de Briéron - défie les éléments. Le Dark Vador de la Loire ! Châteauneuf-sur-Loire se distingue par ses élégantes halles et ses multiples commerces (dont 3 boulangeries pâtisseries, un chocolatier et même un marchand de laine). Étonnant pour une commune de 8000 habitants. Sans doute que les centres commerciaux sont trop éloignés. À Saint-Benoit-sur-Loire, des moines bénédictins chantent dans la basilique où est enterré Philippe 1er. Je crains de me trouver seule dans la crypte. Je pense aux messes noires. Je dois trop lire de thrillers ! Plus loin, on trouve le château de Sully plutôt élégant. Le ciel est tellement noir que nous nous précipitons dans un bistrot. La bourrasque est aussitôt suivie de trombes d’eau et d’éclairs. On profite d’une courte accalmie pour rejoindre notre jolie chambre d’hôte. Nos vélos sont à l’abri. Laurent a eu le temps de réparer sa première crevaison.

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À 21 h la veille, nous nous sommes endormis comme des masses. Nous n’avons même pas entendu les orages grondés toute la nuit. Ce matin, j’ai les yeux gonflés et le regard évasif ! Laurent a revêtu son sweat-shirt du Snos aviron. Son porte-bonheur pour ramer sans effort ! Moi, j’ai revêtu mon petit haut mexicain à têtes de mort. Je veux faire peur à Chaac, le dieu de la pluie maya. Le ciel est encore très bas et sombre et des trombes d’eau sont annoncées. Nous décidons d’avaler le maximum de kilomètres le matin. On passe à côté de Gien et de son remarquable pont à douze arches. Nous traversons quelques jolis villages. Je reluque les maisons comme toujours. Les chemins sont praticables à l’exception des remontées de pont en pierres, peu carrossables.

Avant d’arriver à Briare, nous empruntons le pont-canal, qui relie la Loire à la Seine sur près de 60 km. Eiffel est encore passé par là. Je suis toujours bluffée par les prouesses techniques. Ici, les moutons bêlent en contre-bas alors qu’un bateau traverse à plusieurs mètres au-dessus d’eux. Nous nous arrêtons grignoter en bord de Loire. Ce soir nous pique-niquerons sans doute dans notre roulotte. J’aime l’idée. Seul hic, les toilettes sèches pour peu qu’elles soient en bois. J’ai peur des monstres qui pourraient en sortir. Un mauvais souvenir d’enfance quand je devais traverser le jardin de ma grand-mère pour aller dans une cabane. Le trou me semblait immense et trop noir. Bbbbrrrrr...

Entre Gien et Briare, nous avons passé les 600 km. La moitié de notre périple. On a toujours le sourire.

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Hier nous nous sommes arrêtés à Briare, connu pour ses émaux. Nous avons fait une halte devant l’église pour admirer le travail des mosaïstes, financé par une riche famille du cru.

En pédalant le long du canal, le Briéron pédaleur a vu nager un ragondin. L’espèce invasive a en effet colonisé beaucoup de rivières et de marais. Mais finalement le doute l’habite. Son coeur penche pour un castor mais sans queue plate visible, le suspens reste entier.

Nous arrivons à notre roulotte. Dans un enclos à côté de nous, cohabitent des poules, des oies, une chèvre, un mouton et deux gros cochons asiatiques dont le ventre touche terre. La star de la bande, le dindon royal, ou Meleagris gallopavo, est issu sans le moindre doute d’une lignée française. Sa bouille reprend les couleurs du drapeau national. Son excroissance charnue molle sur le front et sur le cou est rouge. Sa tête dépourvue de plumes passe au bleu quand il est stressé. Le tout encadré d’un plumage blanc. Le noir apparaissant quand il fait la roue.

Tout ce petit monde nous fait comprendre que nous le dérangeons. Le calme revient à la nuit tombée. C’est alors que les grenouilles de l’étang se lancent dans un concours de coassement ! À ce régime-là, la nuit s’écoule en pointillés, la pluie drue frappant sur le toit de la roulotte. En trois jours, la France a été touchée par 165 436 décharges de foudre. Nous avons largement reçu notre quota...

En chemin, nous rencontrons un biologiste en retraite, venu avec des amis dans la région. Certains font du vélo, de la marche ou du canoé. Lui, a sorti son appareil photo monté sur pied et équipé d’un puissant objectif. Il s’est installé en bord de Loire sur un spot unique en son genre. Il peut saisir la vie du guêpier d’Europe, un petit oiseau très coloré qui s’accouple dans la saulaie. Son chant extraordinaire ravit notre passionné amateur. Il n’est pas le seul. À quelques mètres de lui, un ornithologiste guette aussi - et en toute discrétion dans sa tente marron- ce mangeur d’insectes.

Le ciel toujours menaçant, nous oblige à de longues distances sans coupure à l’heure de la sieste pour éviter les trombes d’eau de fin de journée. Nous devions stopper à Bannay mais Laurent a suggéré avec persuasion Sancerre. Je ne sais vraiment pas pourquoi !

Les photos sont prises avec mon IPhone sauf celle du gêpier que je vous ai mise en illustration 
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Vendredi soir, nous avons posé notre barda à Saint-Satur, plus exactement dans un petit hôtel répondant au doux nom de Verger Fleuri. Le jardin est en effet charmant. Une odeur particulière flotte à l’intérieur, un mélange de tabac froid et d’humidité. La chambre vétuste est affublée d’un cabinet de toilettes dont les équipements remontent à des temps immémoriaux.

Nous enfourchons nos vélos sans traîner pour grimper à Sancerre. Le dénivelé est sévère. Dans le centre, nous découvrons un château privé bien camouflé et quelques belles demeures dont celles de Jacques Coeur. La légende dit qu’un souterrain relie la bâtisse jusqu’à Bourges. Sancerre n’affiche pas une belle santé malgré sa renommée. Même les boutiques de vignerons sont fermées.

Au petit matin, nous reprenons la route. En l’absence de panneaux, nous empruntons une départementale avant de retrouver le circuit de la Loire à vélo.

Nous tenons absolument à passer sur le pont de Pouilly-sur-Loire. Il marque le milieu de la loire. Soit 496 km de part et d’autre. Comme nous avons parcouru 700 km pour y parvenir, on se dit que nous risquons de dépasser les 1200 km pour rejoindre la source. En attendant, nous pensons à l’instant présent. Déguster un Pouilly fumé.

Nouvelle grimpette. Nous trouvons un bistrot de village. Nos trois voisins de tablée au visage rubicon dégustent moult ballons de spécialités du terroir ! Je me dis : « Tiens, encore des spécimens élevés au grand air. Un air saturé de tanin ! ».

Notre prochaine étape : la Charité-sur-Loire, en plein festival du Mot. Nous pique-niquons sur la plage en bord de fleuve. Puis nous déambulons dans la cité à pied.

Un écrivain clame de bons mots devant plusieurs centaines de férus de calembours, pléonasmes, et autres oxymorons. Au paradis des mots, Laurent est ravi de savoir qu’Alain Rey est un habitué des lieux.

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Notre étape à la Charité-sur-Loire a été riche en rencontres. Après avoir visité la commune et fait un tour à l’exposition sur Mai 68 à travers les slogans, nous avons retenu un spectacle dans un jardin clos et boisé. Stéphane et des amis musiciens ont créé une association pour gérer la scène qu’ils ont appelée La Goguette. Leur programmation est l’une des plus denses de la Bourgogne. De deux salariés, ils espèrent passer à quatre. Ce soir-là, après deux Pouilly et un sandwich merguez, nous découvrons le slameur et poète Govrache. Ses textes sont souvent pertinents et impertinents, teintés d’humour, de mélancolie et d’humanité. Nous rentrons à la maison d’artiste. Notre logeuse, une jeune femme à la tête bien faite et bien pleine, nous a laissé sa chambre. Elle avait oublié que nous venions. Son parcours de vie attire notre curiosité. Nous aimerions bien la revoir dans cinq ans pour savoir ce qu’est devenue cette ancienne étudiante punkette de HEC qui a quitté Paris et son boulot de consultante pour aller apprendre le tango en Argentine. Installée avec ses enfants à la Charité, elle s’est éloignée du spectacle vivant et se consacre désormais à l’écriture et à la préparation de sa thèse. Avec elle, nous parlons du développement du territoire. La région dépend de Dijon mais la frontière naturelle du Morvan contraint la population à se tourner vers Clermont-Ferrant.

Nous partons plus tard qu’à l’accoutumée. Direction Nevers. Au pont-canal au-dessus de la Loire, nous discutons avec l’éclusier. Un grand sportif très intéressé par notre périple. Il a investi dans un tandem et il aimerait se lancer avec sa femme.

Nous nous arrêtons à Cuffy, au Bec de l’Allier. À l’endroit où la rivière se jette dans le fleuve royal. Il nous resterait exactement 453 km jusqu’au mont Gerbier. 800 km seraient derrière nous. Nous verrons bien. D’anciennes bites d’amarrage attestent d’une activité maritime. Du temps où le commerce s’effectuait par le fleuve. Nous arrivons à Nevers par un parc aquatique abandonné. Le ciel bleu se voile. Nous avons chaud et soif.

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Nevers en soirée. Nous avons testé un dimanche. Disons que la ville, aussi habitée que Rezé (plus de 38000 habitants), apparaît déserte. Nous déambulons dans la cité d’Art et d’Histoire. Un classement mérité. La vieille ville aux rues empierrées abrite des monuments remarquables. Le palais ducal ressort du lot ainsi que la cathédrale mi-romane, mi-gothique. Un mariage curieux. La restauration du bâti privé n’est pas toujours effectuée dans les règles de l’art. À croire que les Bâtiments de France lâchent la grappe de Nevers ! Puisque je parle de raisin (!) nous dégustons un verre de bourgogne avec notre repas.

En rentrant nous coucher, nous assistons à une partie de wheeling. Ce sont des motards qui roulent sur la roue arrière. Ils ont traversé la ville à fond. Impressionnant. Cette pratique est interdite mais très tendance.

Nous sommes partis tôt ce matin. L’étape n’est pas très longue en raison de la météo. Nous voulons arriver avant que le ciel nous tombe sur la tête. Nous longeons le canal, la Loire sillonne à proximité. Nous croisons peu de cyclistes. La nature se suffit à elle-même. Les villages sont rares, les exploitations agricoles aussi. Nous remarquons quelques « blondes ». Je veux parler de la couleur de la robe des vaches. Sans doute des charolaises.

Nous arrivons à Decize. Nous sommes surpris par la flottille de bateaux amarrés au port. La commune de moins de 6000 habitants bénéficie d’infrastructures importantes : un hôpital, un lycée, des équipements sportifs, une piscine, une gare et des aménagements ludiques le long de la Loire. Quelques vestiges rappellent son passé moyenâgeux.

Le fleuve large comme deux autoroutes coule en douceur.

Le ciel tonne. Une fois de plus nous sommes épargnés.

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Nous quittons Decize tôt. La météo ne nous prédit pas une bonne journée. Le matin, il est prévu des averses éparses. On décide de foncer. Après étude de la carte, nous optons pour la piste vélo, plus longue que la route départementale de dix kilomètres.

Un dernier regard à ces petits chalets d’esprit nordique et nous prenons les chemins estampillés « Eurovélo 6 » sous un ciel bas, sans une once d’azur. Après la Saône-et-Loire, la Loire. Très vite les paysages changent.

Le fleuve et le canal apparaissent de manière fugace. Des nénuphars, à quelques jours de la floraison, tapissent la surface de l’eau. Des hérons et des cygnes vaquent à leurs occupations.

Dans les sous-bois, Laurent essaie d’entrer en contact avec les oiseaux ! Il siffle et attend une réponse. Il n’a pas encore embrassé les arbres...

Plus loin de grands chênes - tels des seigneurs- semblent surveiller la campagne vallonée. Très vallonée. On se laisse emporter dans les descentes, et on prend tout notre temps dans les montées.

Lors d’un arrêt photo, une voiture s’arrête à ma hauteur. Le conducteur engage la conversation. Mais je sens qu’il y a anguille sous roche voire même baleine sous le gravier quand il me demande si je lis. Il me tend sa carte en me conseillant un ouvrage traduit en cent langues. C’est un Témoin de Jehovah. La probabilité de croiser quelqu’un sur une minuscule route à Charrin est pourtant infime. Je suis contrariée d’autant que j’ai raté l’élevage de cochons fermiers en plein air.

En observant certaines parcelles, je me dis : « ici gît les épis » (pour l’allitération). Des trous sombres perforent les champs de blé. Deux hypothèses à ces dégâts ; les sangliers ou les orages.

Nous arrivons à Bourbon-Lancy. Nous découvrons toute une activité économique liées aux thermes. Nous en profitons pour quelques heures de détente Thalasso. Le pied !

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La soirée à Bourbon-Lancy méritait un petit développement. Nous sommes partis découvrir la cité à pied. Nous constatons qu’elle a été fortifiée. Des vestiges datent du XIe siècle. L’église Romane présente un double intérêt. Je la trouve imposante et bien conservée ; surtout, elle porte le nom de Saint-Nazaire.

Le beffroi mérite aussi le détour. On apprend que Georges Kirsh est l’inventeur du Beurdin. C’est l’automate situé en haut du beffroi et qui sort la tête à chaque heure sonnante. Il en profite pour tirer la langue aux curieux. Son créateur voulait rendre hommage aux gens simples mais peut-être pas aussi simples qu’il n’y paraît. Beurdin entre dans le langage courant pour désigner un simplet. À Bourbon-Lancy, une confrérie des Beurdin perpétue la tradition. N’est pas simplet qui veut !

Nous dînons dans un resto de terroir. Les grenouilles et les escargots sont cuisinés de diverses manières. Nous optons pour l’œuf mollet à la sauce au vin de Bourgogne, escargots et gésiers. Délicieux et finalement assez léger. Notre repas est accompagné d’un Macon rouge. Bu avec modération. Nous pensons à l’étape du lendemain !

Nous quittons les bords du lac sous un ciel clair. L’orage est tombé durant la nuit. Nous empruntons les voies vertes. Rectilignes. Elles empruntent sûrement une ancienne voie de chemin de fer. De longs faux-plats sont visibles jusqu’à la ligne d’horizon. Laurent les aborde sans problème. Même pas mal !

Sur le chemin, des maisons sont prises en étaux entre la Loire en contrebas et le canal au-dessus. Les propriétaires ont un double risque : la montée des eaux et une fuite de la digue.

Nous sommes contraints à un arrêt forcé. Cette fois, c’est ma roue arrière qui a crevé. Je laisse MacGyver tranquille à étudier la complexité de la roue. Il agit à son rythme et avec efficacité. Un cycliste septuagénaire s’arrête avec l’envie de tailler une petite bavette. Il est épatant. Il nous raconte sa descente de la Loire en canoë, de Saint-Etienne à Nantes puis du Canal de Nantes à Brest jusqu’à Quiberon. « C’est un mois d’Amazonie sans les crocodiles », ironise-t-il. Cette fois, il a pris un vélo et se dirige vers Tours avant de descendre à Biarritz.

Nous pouvons repartir. Des gouttes de pluie nous accompagnent. Nous arrivons à Digoin sans avoir sorti les capes mais en crevant une seconde fois !

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L’info du jour, ce sont les mille kilomètres parcourus après une étape de 75 km. J’ai peu de choses à raconter sur Digoin. Nous sommes allés acheter des chambres à air supplémentaires en cas de nouvelles crevaisons. Laurent ne s’est pas encore transformé en « roi de la rustine »... Pour l’heure, il ne répare pas mais démonte et remonte. Et sans un brin de bougonnerie. Il est fort.

Nous avons dormi dans un chalet au fond du jardin d’un couple de sportifs. Stéphane a tout construit et monté, du chalet en passant par la piscine, le bain norvégien et le sauna dans un gros tonneau. Nous avons repris des forces et observé le ciel orageux et la pluie tomber, à l’abri sous un auvent.

Ce matin nous prenons la voie verte de Saône-et-Loire, la première de France. Nous nous rallongeons de 24 kilomètres. Paray-le-Monial rime avec patrimonial. Un détour s’impose. Voilà un parfait exemple d’architecture Romane clunisienne. Superbe. Nous croiserons d’autres édifices clunisiens, certains plantés au milieu de quasi rien !

Nous empruntons d’anciennes lignes de chemin de fer et de longs faux plats. Une légère pluie nous accompagne sur plusieurs kilomètres. Elle me donne un goût de liberté. Elle me rappelle mon adolescence sur mon Solex. Il ne manque que mon écharpe en laine de 2 mètres de long, tricotée maison ! Nous retrouvons la Loire avec plaisir. Elle est toujours large. Le boulanger de Digoin m’a dit qu’elle était encore (et exceptionnellement) en crue.

Nous avalons des kilomètres dans la campagne sans traverser de villages et sans indications. Les troupeaux de charolaises sont légions. « Salut, les filles. Ce soir, c’est steak ! ». Elles ne bronchent même pas. Nous sommes en pleine région de la bête à viande. Nous jouxtons Charolles, commune qui a donné son nom à la race bovine, réputée pour sa chair.

Nous arrivons à Roanne sans avoir pris de grosses saucées. Dans le port, les bateaux sont plus nombreux qu’à Saint-Nazaire. Nous ignorions la puissance de cette France fluviale. Nous avons quitté la Bourgogne. L’Auvergne nous ouvre les bras... et ses dénivelés.

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Comme nous sommes contents d’avoir franchi les 1000 kilomètres, nous décidons de marquer l’événement. Nous visitons Roanne à pied. La ville ne nous fait pas rêver mais quelques maisons anciennes et monuments retiennent notre attention. Nous prenons la direction de la gare. Nous voulons absolument voir Le Central, la Maison historique des frères Troisgros. Le rond-point tout proche est affublé d’une sculpture en forme de fourchettes. La fameuse table, auréolée de trois étoiles, a déménagé à Ouches. Les chefs ont maintenu une adresse à Roanne. On se laisse tenter par la brasserie-épicerie qui a conservé la décoration. On apprécie. On savoure. On est content. Youpi.

Moi, l’adepte de BlaBlaCar, je trouve une solution pour nous alléger avant la montagne, avec la complicité de mon frère à la réception. Un trajet Roanne-Valence. Dès potron-minet, un jeune conducteur charge notre gros sac et la remorque. On est soulagé.

Il fait frisquet et les petites routes grimpent. On en bave des ronds de chapeau. Disons-le crûment, on en chie. Même avec mon assistance électrique, même sur la position Power « la force est en moi », les vingt premiers kilomètres sur les monts Forez me coupent les jambes, Laurent c’est plutôt le souffle.

Comme on s’arrête souvent, on admire le paysage. La Loire en contrebas nous offre son plus grand méandre à Cordelle. Le château de la Roche posé sur le fleuve n’a pas à rougir de la comparaison avec ses cousins de Touraine. Nous croisons des randonneurs dont un groupe de moines noirs en bure gris souris. Le ciel sombre nous colle aux basques. Et pendant dix kilomètres, il vient pleurer sur nos épaules. La Loire a pris une couleur chocolat. Sans doute les orages et les ravinements.

On se ressource dans un bistrot à Balbigny. On en repart sans nos capes. Les villages recèlent des trésors romans clunisiens et des monastères bénédictins. La route est longue sur le « balcon du Forez ». Je savais bien que je n’étais pas au rez-de-chaussée !

Nous sommes particulièrement heureux d’arriver à Montrond-les-Bains. 73 km avec des difficultés, c’est trop. Demain promis, nous reverrons nos ambitions à la baisse.

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Montrond-Les-Bains. Nous devinons qu’il s’agit d’une station thermale. L’existence de cette commune est très ancienne. Le mont volcanique de forme ronde a inspiré son nom que l’on prononce en oubliant le « t ». Son château du moyen-âge servait à surveiller le fleuve. Lors d’un forage pour trouver un nouveau gisement de charbon, c’est de l’eau chargée en minéraux qui est sortie à 7 m de haut. Un geyser à 28º et une aubaine économique durant plusieurs décennies. La ville rajoutera « les Bains » à son nom. Sa réputation a perduré jusqu’à aujourd’hui. On y soigne l’obésité, les affections digestives et métaboliques ainsi que les rhumatismes.

Nous sortons de Montrond par une piste. À la recherche de tranquillité, nous avons retenu une petite départementale. Nous croisons de nombreux cyclistes et... motards. Comme la Patrouille de France, ils roulent en escadrille !

Nous trouvons amusant de voir le pont du Diable à côté de la chapelle de Bonson. Avec son sens de la répartie bien connu de ses amis, Laurent s’exclame : « Bonson de bonsoir ! ».

Dans la plaine, les champs sont cultivés. Les éleveurs ne sont pas regardants sur la race des vaches : charolaises (vanille), holsteins (N&B) et limousines (rousse). Quelques rares moutons servent sans doute de « tondeuses à dents ».

À Saint-Just/Saint-Rambert, nous admirons le centre historique. Dans l’église, la plus grande du Forez, nous croisons le futur marié de l’après-midi. Laurent l’informe qu’un gros nid de guêpes a pris possession de la partie extérieure de l’édifice religieux. Juste dans le cadre choisi pour la photo de groupe. La tuile.

Les paysages ont encore changé. Les monts sont recouverts d’une forêt de sapins. Quelques chalets accentuent le décor montagnard. La Loire dans cet environnement apparaît plus sauvage que jamais.

Les dénivelés ne ressemblent pas à ceux de la veille. Les pentes sont un peu moins raides mais plus longues. Une montée continue de 8 km : c’est très dur quand même !

Nous posons nos vélos à Aurec-sur-Loire aux Cèdres Bleus. Et je m’interroge sur le plaisir après l’effort !

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À Aurec-sur-Loire, nous dormons dans un chalet au milieu de magnifiques cèdres bleus. C’est à pied que nous traversons une passerelle métallique ondulante pour rejoindre le centre historique, composé de quelques ruelles piétonnes. Le circuit est ponctué de fresques murales à l’esprit « troubadours et seigneurs ». Les bords de la Loire sont aménagés en vaste zone de loisirs et de détente.

Nous nous abritons sous un pont en attendant que le gros grain ait terminé de rafraîchir la chaussée. Le goudron fume de plaisir...

Nous nous arrêtons devant un garage, intrigués par les créations insolites d’Alexandre, un autodidacte qui aime torturer fourchettes et couteaux. De drôles d’animaux naissent entre ses mains. (Son site : lesptiteschosesdalex.jimdo.com).

À peine avoir quitté Aurec ce matin, nous attaquons une longue ascension de plus de 25 km. Je ne vous ressers pas le couplet de la veille (ça grimpe,c’est dur !). Le scénario est le même, en pire, d’autant qu’un vent souffle du sud, en pleine face.

Jusqu’à Retournac, la départementale ressemble à une nationale. Avec son trafic intense et bruyant. Puis le calme revient. Je découvre des buses, des vraies, pas celles que je peux croiser parfois sur la côte ! Les paysages boisés sont magnifiques. La Loire nerveuse frappe les obstacles qui la gêne. La beauté de la nature nous récompense.

Nous arrivons à Vorey surnommée « La Petite Nice du Forez ».

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Nous avons désormais un rituel. Nous arrivons à notre destination du jour dans l’après-midi. On se douche, on récupère. Souvent, on attend que la pluie cesse et on part à pied à la découverte de la commune.

On est intrigué par Vorey. On cherche ce qui la fait ressembler à Nice. En vain. On manque sans doute d’imagination. À l’Auberge du l’Arzon, le patron nous éclaire. « C’est le temps : plus clément que dans le reste du Forez ». On regarde le ciel noir et la pluie tomber. On n’est pas convaincu!

Entre deux averses, on découvre que Louis Jouvet est né à Vorey. Le personnage qui nous fascine le plus se nomme Philibert Besson. Il a des allures de professeur Tournesol. Je me souviens qu’une émission de radio lui a été consacrée. Difficile de résumer sa vie rocambolesque. Je retiendrai que ce député a inventé l’euro (europa) et se battait déjà contre les grands financiers au début du siècle dernier. Ce visionnaire a fini en prison.

Vorey se situe à la confluence de plusieurs cours d’eau qui viennent grossir le débit de la Loire. Elle concentre de nombreux départs de randonnées pédestres et à VTT. Son église est particulièrement coquette. Je prends des clichés pour l’amie Germinie.

Ce matin, il tombe des cordes quand nous prenons notre petit-déjeuner. Nous profitons d’une accalmie pour tailler la route. Le ciel est tellement noir que Laurent a déjà enfilé son blouson. Comme nous n’avons pas trouvé de chambre à Cussac-sur-Loire, nous suivons un autre itinéraire. Nous prenons une petite départementale à travers la campagne bordée par les monts d’Auvergne. Laurent peine dans les ascensions. Moi aussi. On s’arrête régulièrement mais on avance. Nous passons à Saint-Germain Laprade. Dans la zone industrielle, est implantée une énorme usine Michelin. Nous sommes dans le fief du roi du pneumatique. À côté, l’entreprise « mvpe » ne passe pas inaperçu. Plusieurs jeunes journalistes me surnommaient ainsi.

Quand nous arrivons au Monastier-sur-Gazeille (dernière étape en Haute-Loire), nous avons le sourire. Le compteur indique 1228 km depuis notre départ. Nous approchons du but.

Elisabeth nous ouvre sa chambre d’hôtes « Blaisine et Philomène », les prénoms de ses deux grands-mères.

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Le Monastier-sur-Gazeille. Ce nom ravit nos oreilles, nos yeux et notre cerveau. Plusieurs raisons à cela.

D’abord, cette petite cité de caractère abrite des monuments intéressants et des musées originaux dont le musée de l’Ecole qui plonge le visiteur dans la première moitié du XXe siècle. Son église abrite les plus vieilles orgues d’Europe (1518).

Le viaduc de Recoumène symbolise à lui seul le gâchis de l’argent public. Un homme politique du coin, ministre au début du XXe, s’était mis en tête de créer une ligne de chemin de fer. La Transcévenole, entre le Puy-en-Velay et Nieigles-Prades en Ardèche. Tunnels et viaducs très coûteux ont été construits alors que des voix contestataires s’élevaient, jusque dans les rangs du gouvernement. Ces infrastructures n’ont jamais servi.... sauf récemment pour du saut à l’élastique !

Ce village de Haute-Loire est aussi connu pour avoir hébergé Robert-Louis Stevenson. L’auteur de L’île aux trésors, amoureux d’une Américaine partie outre-Atlantique divorcer, a décidé de calmer son attente et son stress en allant marcher. Il aime Le Monestier pour « ses dentelles, l’ivrognerie, la liberté de propos et la discorde politique sans pareil ailleurs », avoue-t-il. L’Ecossais achète sur place son ânesse Modestine et il part sur les chemins jusque dans le Gard. Cette aventure s’est traduite par un livre. Ses chemins, connus dans le monde entier, sont devenus le GR70.

En quittant Le Monestier, nous savons que nous allons atteindre notre but dans la journée. Nous avons la pêche. Même si les dénivelés sont conséquents. Les paysages se succèdent : forêts, plateaux sauvages, fleurs et herbages. Nous sommes au cœur du « fin gras de Mézenc ». Une viande bovine d’exception dont la saveur vient d’un cocktail de 107 plantes différentes issues des plateaux éponymes.

Lorsque nous apercevons le gîte de Sainte-Eulalie, nous voyons arriver mon frère Gilles, venu de La Voulte à vélo. Après plus de 70 km de grimpette. Nous déchargeons nos vélos. Après une coupure d’une heure, nous partons à l’assaut du Mont Gerbier de Jonc situé 5 km plus haut.

Le col, la source, le panneau, la borne : nous immortalisons notre passage partout, heureux d’avoir parcouru toute cette route le long du fleuve, notre fleuve. 1264 km.

LE BONHEUR.

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La totale, le bouquet, le pompon.... Dites ce que voulez mais notre dernière étape a montré l’Ardèche dans sa version hivernale. Extrême.

Quand vous êtes arrivés au Gerbier, aucun train, aucun bus vous attend. C’est à la force des mollets qu’il faut repartir. Dans ce parc naturel régional où se situe la ligne de partage des eaux Atlantique-Méditerranée, nous avons opté pour l’union de la Loire et du Rhône. Nous redescendons à La Voulte-sur-Rhône, notre destination finale avant de remonter en voiture chez nous.

Le pire nous attend dans cette région où il est tombé 60 cm de neige en mai ! La pluie drue est au rendez-vous. Pas seulement. Le thermomètre affiche 5º. Notre équipement n’est pas suffisant. L’ascension sur dix kilomètres prend l’allure d’une épreuve de Koh lanta. Un épais brouillard nous empêche de distinguer les bords de la chaussée. Mes lunettes trempées brouillent ma vue. Des bourrasques de vent à plus de 65 km/h me déséquilibrent. J’essaie de mettre mon poids du corps plus près du guidon. J’ai peur. Je crains la chute à tout moment. Dans les descentes, le vent nous oblige à pédaler. Nous avons froid aux mains et aux pieds. Nous nous arrêtons à Marcols-les-eaux, la bien- nommée.

Quand le brouillard se lève, nous découvrons une nature grandiose. Les ruisseaux chantent sur notre passage. Les cascades charrient de l’eau à fort débit. Plus bas, les rochers s’éclaircissent Jusqu’à prendre une teinte laiteuse. À Saint-Sauveur, le soleil apparaît quelques instants. Le vent, lui, ne faiblit pas.

Pour arriver à La Voulte, nous empruntons une piste cyclo parsemée de trous et de branchages. Le vélo de Gilles crève à quelques kilomètres de l’arrivée puis le mien. Le duo « sur les jantes » finit à pied.

Nous avons parcouru 70km. Soit un total de plus de 1300km. Merci Gilles de nous avoir accompagnés dans cette épreuve. Le périple aurait été incomplet sans cette étape.