Écrit le 29 août à Montpellier
J’ai donc passé 7 semaines en Inde, du 3 juin au 23 juillet, voyageant à travers 6 États et travaillant pour 3 projets différents, tout cela n’étant en fait pas vraiment prévu.
Pendant les 10 premiers jours j’étais logée à Panvel, quartier excentré de Navi Mumbai, et je travaillais pour Safe n’ Happy Periods avec Sarika Gupta, la fondatrice de l’ONG, et 4 autres volontaires (une française, une anglaise, une turque et une égyptienne). J’ai eu l'occasion de visiter Mumbai, découvrant des lieux très touristiques mais aussi les ruelles de Dharavi, sautant dans les wagons de train les plus bondés du monde et me baladant dans l’un des plus beaux musées de l’Inde.
J’ai eu l’immense chance de rencontrer Marine et Mariyan, une française et un anglais, juste après mon arrivée en Inde.
C’est avec eux que je me suis lancée dans la deuxième partie de mon aventure : passer deux semaines à Waghali, un petit village à 7 heures de train de Mumbai, pour y enseigner dans une English Medium School. Marine et moi donnions des cours d’anglais et de géographie à des enfants de 8 à 12 ans. Pendant les récréations, on avait l’occasion de discuter avec les élèves, qui tentaient tant bien que mal de communiquer avec nous en anglais, mais toujours avec le sourire ! On a aussi pu organiser des activités avec eux, et animer la Journée Internationale du Yoga à l’école.
Je suis rentrée à Mumbai enrichie de centaines de souvenirs, de milliers de sourires, d’un anniversaire inoubliable en mémoire, et avec un système immunitaire renforcée par une grosse intoxication alimentaire.
Ma 5ème semaine était dédiée au tourisme : Marine et moi avons sillonné le Nord de l’Inde, visitant Udaipur et Jaipur au Rajasthan, Agra et son célèbre Taj Mahal, la capitale New Delhi et enfin Amritsar dans le Pendjab, le clou du spectacle. Le tout en 8 jours !
A peine rentrée à Navi Mumbai, je suis repartie avec Mariyan pour participer au lancement du projet Sustainable Himalayas de l’ONG Earth5R, une association assez importante en Inde qui promeut le développement durable via 5 objectifs : Respecter, Réduire, Réutiliser, Recycler et Restaurer. Nous avons donc passé près de deux semaines dans l’Etat de l’Uttarakhand, dans la région indienne de l’Himalaya, entre un petit hameau perdu dans les montagnes et une sorte de village-étape touristique en haut d’une vallée. Avant de rentrer à Mumbai, Mariyan et moi sommes repassés par Dehra Dun, la capitale de l’Etat, pour visiter le Tibetan Camp, puis avons passé 2 jours à Rishikesh, une ville très touristique connue pour ses ashrams et traversée par le Gange.
Il me semble avoir appris autant pendant ces 2 mois en Inde que pendant les 18 années de ma vie. Ce voyage a été extrêmement enrichissant pour moi, et l’est tout autant depuis mon retour en France, car les souvenirs me viennent à tout instant et les discussions au sujet de mon expérience me permettent de me poser de nouvelles questions mais aussi de voir les choses sous de nouveaux angles.
Ce carnet de voyage m’a accompagnée tout au long de mon aventure, et dans ce dernier post je voudrais en quelque sorte dresser un bilan de ces deux mois en Inde. Il est évidemment impossible de lister tout ce qui m’a marquée, tout ce que j’ai appris ou toutes les réflexions que j’ai eues.
Mais voici, dans les grandes lignes, ce que j’ai tiré de cette expérience indienne, autant en terme de réflexions personnelles que de découvertes sur le pays en lui-même.
* Le pouvoir du sourire : cette simple contraction de quelques muscles est en fait une façon de communiquer s’avérant très pratique pour des individus qui ne parlent pas la même langue ! Un sourire est un moyen de rassurer, de montrer son ouverture, son hospitalité, une façon de dire qu’il n’y a pas de raison d’avoir peur de nous. Et le meilleur dans tout ça c’est que tout le monde peut sourire et que ça ne coûte rien !
* Un très grand manque de conscience environnementale liée à une absence de connaissances et de sensibilisation. Depuis l’école primaire, on m’a rabâché qu’il faut fermer le robinet pendant qu’on se lave les dents, qu’il faut faire bien attention à trier les déchets, à éteindre la lumière en sortant d’une pièce, puis au collège et au lycée c’était le tour du cours sur les 3 piliers du développement durable, et cætera et cætera… Mais finalement, dès le plus jeune âge, les petits Français intègrent des comportements et des principes qui leurs sembleront toujours évidents dans leur vie d’adulte. Et c’est justement cela qui manque aux Indiens : personne n’est choqué de voir une maman ouvrir la fenêtre de la voiture, devant ses enfants bien sûr, pour y jeter le bâtonnet et l’emballage de la glace qu’elle vient de finir. Les routes jonchées de déchets font partie de la vie quotidienne de (presque) tous les Indiens. Malheureusement, cohabiter avec des vaches et des chèvres, et avec la nature en général, ne veut pas dire qu’on la comprend et qu’on sait comment la respecter…
De plus, de façon plus pratique, certaines zones de l’Inde sont tellement isolées que, même s’il y avait des poubelles dans les maisons et les rues, qui viendrait chercher ces déchets pour les jeter dans un espace approprié ? C’est le cas de Kot Goan, qui est à plus de 2h de voiture d’un village à proprement parler…
Tout comme les principes d’un comportement respectueux de l’environnement, les mesures d’hygiène les plus basiques ne sont pas apprises et donc pas intériorisées par la plupart des Indiens. Ceux avec lesquels j’ai pu travailler (qui viennent donc de grandes villes et de milieux plutôt privilégiés) se rinçaient les mains après être allés aux toilettes sans utiliser de savon (alors qu’ils mangent avec les mains…), certains ne se sont pas douchés pendant 4 jours et ne se lavaient pas les dents le soir. Lorsque Marine et moi étions malades et au plus bas à Waghali, seul Mariyan a eu l’idée de nettoyer les toilettes que nous partagions dans la maison. L’une des Indiennes avec qui nous vivions était malade d’intoxication alimentaire comme nous mais continuait de manger du poulet en sauce…
* Le modèle de société indien est bien différent de celui que l’on connait en Europe, ou du moins en France. Bien sûr il est critiquable et montre certaines limites, mais il est aussi très inspirant à mes yeux. En Inde, les liens familiaux sont particulièrement forts : dans la plupart des familles, plusieurs générations cohabitent dans un tout petit appartement ; les cousins s’appellent « brothers » et « sisters » car ils grandissent ensemble comme des frères et sœurs (certains nous expliquaient en effet le concept de « cousin-sister » ou « cousin-brother »). Les jeunes générations développent un immense respect pour les « anciens », qui est visible notamment quand les adultes ou enfants prennent la bénédiction des plus âgés en leur touchant les pieds puis en touchant leur propre front. De plus, l’organisation de la vie quotidienne est bien plus propice à la rencontre et au partage (j’ai toujours eu l’impression qu’en France tout est fait pour que l’on n’ait pas à parler avec des inconnus). On prend les repas assis par terre avec plusieurs plats placés au centre du cercle, chacun se sert et mange avec les mains (au restaurant, il est évident pour les serveurs que les plats commandés sont à partager ainsi, il n’y a pas toujours au menu de plat individuel pour une personne comme en France).
D’un autre côté, cette organisation de la société mène à une forte pression sociale, on se sent toujours jugé et, avant d’agir, on se demande ce qu’en penserait la grand-mère ou le voisin…
* J’ai eu la chance de faire énormément de rencontres absolument exceptionnelles et surtout très variées : j’ai bien sûr fait la connaissance d’étudiants étrangers comme moi, venant des quatre coins de la planète (Angleterre, Egypte, Turquie, Pérou, Etats-Unis, Russie, Espagne, Italie, Maroc). J’ai aussi rencontré des Indiens, filles et garçons, qui dans leur vie quotidienne, via des travaux bénévoles ou des carrières professionnelles, tentent de faire évoluer leur pays avec en tête un idéal plus ou moins réalisable mais portés par l’espoir, le travail et la motivation. Enfin, j’ai eu l’immense chance de rencontrer énormément de « locaux », des enfants, des adultes, des personnes âgées, notamment dans les villages et grâce aux projets pour lesquels je travaillais. Je ne me souviens pas de tous les visages, mais plutôt de l’immense émotion transmise par chaque rencontre.
* Les signes extérieurs de religions sont très acceptés en Inde, les différentes religions cohabitent pacifiquement (avec quelques accrochages bien sûr), bien qu’il y ait souvent des quartiers où se regroupent les musulmans, les chrétiens etc. La religion hindoue est à la base de la culture indienne, certaines traditions hindoues sont donc aussi pratiquées par des indiens d’autres religions ou athées (comme le port du bindi ou du tilak par exemple). Pendant mon voyage, j’ai pu découvrir des religions qui m’étaient inconnues comme le sikhisme et le jainisme, toutes deux passionnantes de par leurs origines, leurs valeurs et leurs pratiques rituelles.
* Une très grande importance donnée à Gandhi, leader des mouvements non-violents qui ont participé à l’indépendance de l’Inde. Le symbole de ses lunettes rondes est visible sur énormément de murs et est une façon pour l’Etat de rappeler à l’ordre les citoyens, notamment sur les questions d’écologie et de respect des biens publics et des autres.
Depuis 1996, on peut voir le visage de Gandhi sur tous les billets de banque, et les Indiens considèrent donc qu’il est irrespectueux envers ce Père spirituel de mal plier ou de froisser l’un de ces billets.
* Les règles de vie en société, de politesse, de « bon sens » sont bien différentes de celles de chez moi (cracher par terre est complètement normal, tout comme se battre et pousser tout le monde pour rentrer dans le train etc.). Le signe des deux mains jointes devant la poitrine, qui signifie « j’ai une place pour toi dans mon cœur » et qui est une immense marque de respect, tranche avec d’autres comportements de la vie quotidienne mais montre aussi l’ouverture et le côté très chaleureux de la culture indienne.
* L’Inde est un pays extrêmement marquant en termes d’observation des inégalités : d’un côté, l’Inde semble bloquée dans le passé, être « encore au Moyen-Age » ; d’un autre côté, la mondialisation a apporté les codes occidentaux, la technologie, un certain développement économique etc… Les empires Tata (qui possède l’exploitation de Starbucks en Inde, le thé anglais Tetley, Jaguar, Land Rover etc.) et Reliance Industries sont visibles partout en Inde et font tous deux partie des entreprises les plus importantes au monde. La tour Antilia à Mumbai, qui appartient à la première fortune d’Inde Mukesh Ambani (PDG de Reliance Industries), compte 27 étages, 29 chambres, 3 piscines… Depuis Dharavi (le plus grand bidonville d’Asie), on voit les buildings modernes et riches, sièges de grandes entreprises ou habitations. Le Pendjab était visiblement plus riche que les autres Etats que j’ai pu visiter (les rues étaient bien plus propres, les gens habillés à l’occidental, beaucoup moins de mendiants etc.).
Dans le train à Mumbai, presque tout le monde a un téléphone ou un smartphone, mais certaines femmes portent des saris traditionnels quand d’autres sont en jeans et T-shirts, d’un arrêt à l’autre on passe du CBD au bidonville et à la campagne, comme si on changeait de pays à chaque arrêt de train. Il y a comme un gouffre entre le monde des Indiens riches, des expatriés internationaux et des touristes, et celui du reste des Indiens.
Dans un univers qui semble parallèle, les habitants de Kot Goan, village perdu dans l’Himalaya, n’ont jamais vu de train ni d’avion de leur vie. Les enfants de l’internat dans lequel nous résidions sont venus me voir pour me montrer leurs « petits » bobos : l’une avait le petit doigt complètement écorché, l’autre avait un énorme ongle incarné, ou encore une brûlure sur le bras ou, plus inquiétant, des plaies mal cicatrisées sur tout le corps… Bien sûr, la responsable de l’internat s’occupe d’eux comme elle le peut (bien que l’attention portée à chaque enfant ne soit pas toujours égale), mais cela est incomparable à la façon dont serait traité un Indien vivant dans une ville et allant chez le médecin (et encore plus incomparable à ceux qui ont accès aux cliniques privées hors de prix).
* La quantité d’épices dans la cuisine indienne n’est pas une légende ! Il existe en revanche une grande différence entre ce que j’ai mangé dans les villages, dans les restaurants pour touristes et la street food que j’ai (ou n’ai pas…) mangée. Le meilleur est d’ailleurs ce qui est cuisiné par les petites dames dans les villages !
* Le pouvoir des couleurs sur le moral !!! En Inde, tout est coloré et décoré, des vêtements aux bus en passant par les murs des stations de train, les sacs, les temples… Mention spéciale à tous les magasins d’Udaipur où les yeux brillent sous l’éclat des mille paillettes, miroirs et couleurs.
* Globalement, les Indiens sont des gens extrêmement souriants, ayant l’air heureux, très accueillants et ouverts (malgré de petits incidents liés au fait d’être une touriste étrangère).
* Des paysages et des monuments absolument époustouflants et finalement très variés : en tant que bonne petite Française, j’avais une vision très clichée de l’Inde et ne réalisais pas à quel point ce pays est vaste, ni à quel point la culture et les décors varient d’un Etat à l’autre. J’ai eu la chance de voyager bien plus que prévu dans le pays, mais j’ai vraiment envie d’y retourner pour découvrir tout ce qui m’est encore inconnu, en particulier le Sud qui est plus difficile à visiter pendant la Mousson.
* Ce voyage a fait naitre en moi une très grande envie de découvrir l’Asie, et notamment les pays frontaliers de l’Inde (Népal, Bhoutan, Tibet, Myanmar) que j’ai pu toucher du doigt pendant la dernière partie de mon voyage dans l’Himalaya.
* Une grande réflexion personnelle sur le rôle des organisations internationales et ONGs étrangères ou occidentales dans les pays sous-développés, en développement, ou connaissant des crises (guerres etc.)… J’ai pu me confronter à la réalité des ONGs locales, ayant parfois des méthodes et façons de faire qui paraissent incongrues aux Occidentaux comme moi mais qui finalement, dans certains cas, se révèlent adaptées à la réalité du pays.
* Beaucoup de débats avec d’autres personnes (mais aussi avec moi-même !) sur les notions d’Orient et d’Occident, sur le poids de la colonisation, qui fait certes partie du passé mais se fait toujours aujourd’hui sous de nouvelles formes via la mondialisation (par exemple avec des traditions culturelles et religieuses remises en question par les valeurs occidentales : de quel droit ? qui peut affirmer détenir la vérité, les bonnes valeurs ?).
Pour résumer, ce voyage en Inde était bien différent de ce à quoi je m’attendais en terme d’expériences et de découvertes mais il s’est avéré bien plus varié et enrichissant que prévu (notamment via la possibilité que j’ai eue de visiter différentes régions du pays). J’ai appris énormément sur moi-même, sur la façon dont je me comporte face à l’inconnu, à l’inconfortable, à l’imprévu et aussi à mes peurs (coucou les araignées et les fous du volant). Je pense aussi avoir bien progressé en anglais (et en imitation de l’accent indien !) et avoir vraiment développé mes qualités de travail en groupe. J’ai pu en apprendre énormément sur l’Inde car j’ai eu la chance de me confronter à la réalité du pays et de ne pas avoir été enfermée dans une petite bulle (contrairement à beaucoup de touristes dans ce genre de pays je pense), et j’ai l’impression que certaines réflexions que j’ai pu avoir grâce à la découverte de l’Inde peuvent s’élargir et s’étendre à d’autres pays d’Asie, aux pays pauvres ou en développement (ou non-occidentaux peut-être ?).
J’avais choisi d’appeler ce carnet de voyage « L’Inde entre les lignes » car, lorsque je suis arrivée, j’espérais pouvoir découvrir le pays sous plusieurs angles, et pas uniquement sous celui de la touriste européenne venue voir les grandes villes et le Taj Mahal. Avec un mois de recul sur ce voyage, je pense que le titre est finalement justifié et représentatif de mon expérience : de Mumbai et Delhi aux villages des montagnes, du bidonville au logement universitaire, en passant par les lieux les plus touristiques et la campagne profonde, et logeant une nuit dans un grand hôtel mais le plus souvent chez l’habitant, je crois avoir eu un panorama assez large de ce qu’est l’Inde d’aujourd’hui, dans toute sa splendeur et dans ses recoins les plus sombres.
Cette expérience fait évidemment partie des plus enrichissantes de ma (courte) vie et je conseille vraiment à tous ceux qui auraient la chance de faire ce genre de voyage de sauter sur l’occasion sans hésiter, mais en étant bien préparés tout de même !