Je prend pour la première fois le « service » (taxi) seule : le but du jeu est de négocier le tarif avant pour ne pas se faire arnaquer. J’arrive à la gare et je demande le bus pour Saïda. Les bus n’ont pas d’horaires fixes, ils attendent qu’ils soient suffisemment remplis pour démarer. On peut dire que je ne passe pas inaperçue seule dans ce bus. Un vieux monsieur est à côté et répète (en hurlant) "Saida,Saida,Saida..." . On démare enfin.
Le jeune en charge de remplir le bus fait faire une halte au chauffeur devant une épicerie. Il revient et s’assoit sur le siège à côté de ma rangée, me tend un pain plat, rond, parsemé de graines de sésame. Il me tend également un petit sachet de Zaatar rouge. (Zaatar : épice libanaise ressemblant à l’origan, se retrouve aussi en Palestine).
La conversation s’engage alors avec lui, mais aussi avec deux jeunes derrière moi, puis un militaire qui était le seul à parler un peu français. Nous passons un moment à plaisanter. Celui qui m’a offert du pain fait rire tout le monde car, ne comprenant pas tout ce qu’il me raconte, il mime les gestes. Imaginez le en train de mimer les gestes qui veulent dire qui veut m’accompagner dans Saida pour veiller sur moi car il est fort! Et surtout il parlait en même temps, je ne comprenais pas tout mais les jeunes du bus riaient aux éclats.
Nous arrivons. Je marche un peu sur le littoral, je prend des photos, un enfant m’aborde, on parle un peu ensemble et je reprend ma route. Il me suit et me regarde prendre des photos. Saida a un très joli litoral : il y a des palmiers, du sables, des grosses pierres où viennent s’assoir les couples pour regarder la mer, … le seul problème : le littoral est très sale. Il y avait anciennement une décharge dans les environs donc la mer continue à ramener des dechets. Un plan de remise en état des plages est prévu depuis 2005 car cet endroit est considéré comme patrimoine de l’UNESCO.
Attirée par des cris d’enfants qui jouent, je me dirige lentement dans le soukh. En suivant ces cris je tombe dans une école pour enfant qui était anciennement un couvant français. Je me balade un peu dans l’école,puis je continue dans le soukh. Certains passage sont privés de lumière. Vous passez donc dans un endroit où vous devinez l’ombre d’un étalage ainsi que du vendeur, mais vous ne voyez pas ce qui y est vendu.
Un vendeur de patisseries m’arrête, il me fait goûter une se ses spécialités, une sorte de pate en forme de croissant garnie de noix … un délice. Il me montre fièrement des photos de lui avec la veuve de Rafik Hariri, et un président de pays d’Africain.
J’arrive sur une petit place, je suis attirée par un atelier de bois. Les sculptures que je vois me font penser à celles que faisait mon grand père. Je rentre, l’artisan et son épouse m’accueillent, un peu surpris mais très gentilment, je pose quelques questions et m’en vais. Sur la place, il y a des photos de martyrs palestiniens et libanais. Je ne les connais pas tous. Je demande donc à trois jeunes présents sur la place et qui me regardent. (Je suis d’avis que plutôt que de laisser des gens vous regarder avec curiosité, il est mieux d’aller vers eux et de discutter avec eux.) Ils m’expliquent qui sont les martyrs. Ils sont attirés par mon pendentif qui représente la Palestine, eux même sont palestiniens. Je parle un peu avec eux et continue ma route.
En me perdant dans les ruelles du soukh, des enfants m’abordent. Ils me demandent d’où je viens. Je vais les croiser plusieures fois dans le soukh, ils s’amusent à poser devant mon appareil photo.
Plus tard je rencontre d’autres enfants qui veulent me vendre du popcorn, lorsqu’ils me demandent de quelle ville de France je viens je leur dis que je viens de Lyon et vu que ce sont des garçons, je leur parle de foot et de l’OL.
Je continue ma balade, accompagnée des enfants. J'arrive devant une petite maison où de jeunes hommes se tiennent debout. Ils me demandent si je suis palestinienne, toujours par rapport à mon pendentif. Eux le sont palestiniens. Ce pendentif aura permis d'engager plusieurs fois la conversation avec les gens.
L’un d’eux m’invite à rentrer dans la maison devant laquelle il se tient. L’entrée donne sur un grand jardin. Au fond, j’apperçois des femmes et des enfants. Il doit y avoir 3 couples, jeunes, la 20aine je dirai. Tous ont déjà 2 ou 3 enfants. Ils m'invitent à boire un jus de fruit dans leur petit salon, j’arrive à échanger avec eux. J’ai avec moi le petit futé où certains mots sont écrit en arabe phonétique. Je réussi à me faire comprendre tant bien que mal.
J'entends un bruit de pas, puis la voix d’un vieux monsieur. J'entrevois sa silhouette à travers les barreaux de la fenêtre. Le jeune me dit que c’est son père. Le monsieur rentre dans le petit salon, mais je n’ose pas le regarder par pudeur, mais aussi parce qu’il m’intimide. Il ne reste pas longtemps. A un moment, je demande au jeune si il avait déjà vu la Palestine, il me dit que non, mais que son père lui était en Palestine et qu’il s’est fait chasser à la Nakba (mot arabe qui veut dire « catastrophe », la Nakba marque le début de l’invasion israélienne).
Je serai bien restée mais j'ai encore des choses à voir et malheureusement, ma conversation est limitée. Je les remercie infiniment et leur dit que je dois partir. Ils me disent que si je reviens à Saida, je reviens chez eux. J’espère non seulement y revenir, mais y revenir en parlant arabe courament
Heureuse d’avoir connu cette famille, je pars en ayant qu’une idée en tête : aller à la grande mosquée de Saida dont on m’a venté la beauté. Je marche dans le soukh, je demande à chaque fois (en arabe s'il vous plaît) où se trouve la mosquée. Un coup on me dit à droite, un coup à gauche... finalement, je demande à une femme qui elle demande à un jeune de m’accompagner. Je le suit, on passe par une ruelle en travaux, je passe sous des échafaudages, sous les étincelles des scieuses des ouvriers. Nous arrivons devant la mosquée. Un grand batiment en vieilles pierres jaunes. Magnifique.
(Mon appareil photo décide à ce moment là de m'abandonner, d'où la mauvaise qualité des photos).
Nous arrivons devant la porte. Le jeune a l'air confus, les portes de la mosquée sont fermées. Je le rassure en lui faisant comprendre que ce n’est pas grave, que je prierais à Beyrouth et que je me contenterai de prendre des photos de l’extérieur. C’est un peu le bazar. Il me parle, des jeunes en face, tous installer en ligne devant le mur, fumant leur narguilé, nous parlent de loin, un vieux monsieur arrive, je ne comprend rien mais je vois qu'il veut m'aider, tout le monde s'agite pour la petite blonde.
Je prend donc des photos, sous les regards curieux des jeunes qui fument. Le vieux reviens vers moi, il a une démarche particulière. Il boitte et son corps se balance vers l’avant à chaque pas. Il vient vers moi,brandissant fièrement une clé dans la main. A ma grande surprise, il m’ouvre la porte de la mosquée. Je me sent honorée.
Je le suis,comme une petite fille suivrait son grand père, sur la pointe des pieds. Il est silencieux et arbore un air sérieux.
Nous passons le grand portail d’entrée, nous arrivons sur une cour, puis devant une grande porte en bois. Il l’ouvre, nous nous dirigeons vers la salle de prière mais avant, je dois faire mes ablutions.
Il attend que je fasse mes ablutions, tout en me félicitant quand j'effectue les bons gestes, puis m’accompagne à la salle de prière. A chaque fois qu’il veut me montrer quelque chose, il me le montre du doigt en me faisant un petit signe de la tête, toujours l’air sérieux et très respectueux à la fois. Parfois il me dit un mot ou deux, avec sa grosse voix et son arabe que je ne comprend pas. Au départ, il me montre l’emplacement pour les femmes qui se trouve dans la petite cour à l’extérieur de la salle de prière. Mais il change d’avis et me fais rentrer dans la salle des hommes, un honneur de plus.
Je découvre cette jolie salle de prière, avec ses tapis, ses vitraux, ses pierres. Il me m'indique) toujours avec son doigt) où prier. Mais il change encore d’avis et me fais prier dans le minhbar, c’est à dire l’emplacement où prie l’imam. C’est donc heureuse, honorée et émue que je prie.
En priant je voyais ce petit vieux, grand à la fois, qui marche lentement et en boitant dans la mosquée en attendant que je finisse ma prière.
Je fini et me dirige vers lui. Il me fait un premier geste avec sa main qui veut dire « fini ? », puis me fais un autre geste qui m’incite à prendre des photos de la mosquée. Il me montre à chaque fois ce que je dois prendre en photo. Puis nous sortons, il veille à ce que je remette bien mes chaussettes et mes chaussures , puis me fais prendre des photos de l’éxtérieur.
L’envie est trop forte, il faut que je le prenne en photo. Je lui demande alors en français : « je peux te prendre en photo?parce que tu as un visage Masha ALLAH ! », et la j’apperçois ses pomettes qui sortent de son visage et ses yeux s’étirer. Tout son visage s’illumine avec son sourire. Il prend la pose.
Je lui montre le résultat de la photo et ça a l’air de lui faire très plaisir. Nous prenons le chemin pour sortir de la mosquée, il la referme à clé, il se retourne vers moi, et toujours d’un seul geste et d’un air sérieux me dit au revoir. Je le salue, je salue les jeunes qui fument le narguilé, et je pars.
Soudain, ça me revient à l'esprit. Ce vieux monsieur qui boîte, avec sa grosse voix, qui a ouvert la mosquée spécialement pour moi et qui m’a fait prier dans le minhbar, je comprend qu'il s'agit du père du palestinien chez qui j’ai bu un jus de fruits plus tôt dans la journée. Ce père de famille, dont la voix m’avait intimidée. Celui qui m’a ouvert la mosquée et le même qui s’est fait chasser de son pays, la Palestine.