Nous voilà donc arrivés dans un hôtel qui nous met dans l'ambiance ! Et on découvre la ville de Rantepao, nichée au coeur des montagnes de Sulawesi centrale et capitale du pays Toraja. Le soir même, on rencontre Bodi, un guide (Toraja lui aussi) qui réussi à nous convaincre de nous emmener à la découverte de leurs coutumes dès le lendemain. Après une négociation musclée, on se met d'accord pour assister à une cérémonie funéraire puis faire un tour (avec de nombreux arrêts) au Sud de Rantepao.
Les Torajas sont un groupe ethnique comptant environ 650 000 personnes dont la plus grande partie est chrétienne, les autres musulmans ou adepte de la religion traditionnelle (qualifiée d'animiste) intitulée "Aluk to dolo" ou la voie des ancêtres. Ils vivent encore selon un modèle de castes avec dominants et "esclaves".
Pour la petite histoire, le nom Toraja a été donné à ce peuple par les colons Hollandais en 1909 ! Et oui ces chers Hollandais, mirent longtemps à se préoccuper de ce peuple vivant en autarcie dans leurs montagnes. Suite à la peur de la montée de l'Islam dans l'extrême sud de la Sulawesi, ils y virent un beau potentiel pour transformer tout ce monde en bons petits chrétiens... Les Torajas résistèrent et même convertis n'abandonnèrent jamais vraiment leurs cultes ancestraux et toc !
Et, depuis les années 1970, ce peuple s'est ouvert au monde et aux touristes, fascinant notamment quantités d'anthropologues. En effet, en plus d'un art architectural incroyable dans la culture Toraja, la mort a autant importance que la vie et leurs rites funéraires sont uniques au monde...
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Bon on a tâché de faire preuve d'une grande ouverture d'esprit et d'essayer de comprendre le pourquoi du comment, mais comme prévu ce ne fut pas facile à supporter...
Au matin suivant, on part en voiture car la pluie est de la partie, et direction une cérémonie funéraire pour commencer. (Ben oui comme ça le petit déjeuner est encore sur l'oestomac c'est plus chouette 🤐 ).
Bon vous devez vous demander au terme de ce suspense incroyable:
1-pourquoi ont-ils le droit d'assister à une cérémonie funéraire ? Et 2- Qu'ont-elles de si spéciales et atroces ? Alors désolé mais il va falloir repartir sur quelques explications...
Tout d'abord, lorsqu'une personne décède, elle est considérée comme malade jusqu'à son enterrement. Elle est donc momifiée et conservée dans la maison comme si elle était vivante, on lui dépose à manger, change ses vêtements,... et cela peut durer de quelques semaines à plusieurs années !!
Pourquoi ? Le temps de réunir l'argent nécessaire à la cérémonie qui coûte au minimum 10 000€, en gros tu vis et travaille pour la mort (bizarre cette phrase 🤔 ).
Pour les Torajas, après la mort vient le paradis (jusque là vous suivez...), pour y accéder peu importe ce que tu as fait sur Terre, bien ou mal, le principal est d'être bien accompagné. Et par qui ? Par des buffles et des cochons pardi ! Plus il y a de buffles sacrifiés, qui grâce à leurs cornes vont repousser les démons et ouvrir la porte d'eden, plus tu as de chances de gagner le paradis. Et bien évidemment témoigner de ta richesse, conserver ta place et caste dans l'au-delà.
Sachant qu'un cochon vaut 200€ et un buffle de 2000€ à 20 000€ 😮 (voir 50 000 € pour les noirs et blanc aux yeux bleus), imaginez le prix lorqu'on en sacrifie jusqu'à plusieurs centaines... 😮
Nous voilà donc sur place, le premier jour d'une cérémonie funéraire, elles peuvent durer de 3 jours à plusieurs semaines !
Elles se déroulent en grand comité (environ 200 personnes) et la présence d'étrangers est appréciée...
On nous offre tout de suite boissons et gâteaux alors qu'on se présente à la famille du défunt et on leur donne notre offrande en retour. (Une cartouche de cigarette, un comble alors qu'on vient d'arrêter de fumer... 😈).
Arrivés sur l'esplanade principale deux buffles sont déjà égorgés et en train d'être dépecés sur la terre battue... ça met dans l'ambiance.
C'est sans compter les cris d'effroi des cochons ligotés à des bambous à nos pieds. Par moment les hommes viennent en chercher un, l'emmène dans une paillote toute proche et on entend leur cris d'agonie avant de sentir l'horrible odeur de cochon grillé... Maelle qui prenait déjà sur elle est limite de se sentir mal. On pensait échapper aux sacrifices en venant tôt le premier jour... 😵
En même temps Bodi nous explique le déroulement des cérémonies, tout est ritualisé. Après une procession dans le village, la famille du défunt accueille les invités qu'on verra arriver en defilés successifs. Ils amènent leurs présents avec eux notamment les buffles, cochons, cigarettes,... et seulement quelques sacrifices ont lieu le premier jour. La sono hurle le nom de chaque participant ainsi que son offrande qui est notée pour rendre la pareille...
Après être venu jusqu'au cerceuil, situé au balcon de la maison principale, les invités prennent place sur des plateformes et paillotes construites pour l'occasion. Elles sont gardées par des jeunes gens en tenue traditionnelle.
Les jours suivants seront une succession de processions, de danse, de banquets et de sacrifice en masse pour finir. Puis le cercueil est finalement mené au caveau familial.
Bon si vous êtes une personne sensible aux animaux, ce n'est ni facile à supporter ni possible à cautionner à notre époque. Et on est encore une fois étonné par ce dont l'humain est capable par croyance...
Après leur condition n'est pas pire que dans nos abattoirs, les buffles sont bichonnés pendant leur (courte) vie, si ce n'est d'être régulièrement accrochés naseaux en l'air pour avoir un dos plus musclé...
Et ouf, on prend un peu l'air à la campagne ! On commence la visite par une grotte funéraire, veille de 500 ans elle contient des ossements, des cercueils en bois finement sculptés et des statuettes à l'effigie des défunts.
On poursuit par des falaises funéraires, le corps (des nobles majoritairement) est déposé dans un caveau familial qui est creusé à même la roche ! On retrouve ici aussi des poupées sculptées à l’effigie du défunt qui permettent un lien entre les vivants et les morts.
Puis on termine dans la rubrique mortuaire par l'arbre à bébé. On plaçait les nourrissons décédés dans une tombe creusée dans le tronc d'un arbre et "recousue", bon décidément bien glauque, on se croirait dans le film Sleepy hollow ! L'arbre en grandissant amène l'âme des défunts vers l'au delà...
Dorénavant les bébés sont enterrés avec leur famille.
Après une pause déjeuner (qui a faim après tout ça ? 😣), on s'arrête de nombreuses fois pour contempler les incroyables maisons Toraja ou Tongkonans.
Massive construction en bois avec un toit en forme de bateau. Cela symboliserai l’arrivée de leurs ancêtres par la mer et qui utilisèrent la coque du bateau pour se protéger des intempéries. D'autres pensent que le toit vient de la forme des cornes de buffle, leur animal sacré...
Tous les murs sont magnifiquement sculptés et peints. Et, comme vous pouvez voir on retrouve en façade les cornes des buffles qui ont été sacrifiés lors d'enterrements successifs dans la famille... plus il y en a plus tu affiches ta richesse.
Chaque maison s’accompagne d'au moins un grenier à riz, nettement plus petit mais tout aussi décoré.
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Le lendemain, une petite pluie fine tombe sur la ville. On se motive quand même à partir au Nord de Rantepao en scooter, n'ayant pas le temps de le découvrir en quelques jours en trek.
Connue pour être la région la plus authentique et sauvage, on en profite malgré la grisaille. On découvre des bosquets de bambous, des tombes dans des rochers, des forêts et une diversité de rizières incroyables parsemées de villages colorés.
On fait un premier arrêt pour déjeuner près d'un incroyable belvédère. Des rizières en plateau s'étendent sur des centaines de mètres, et on profitera longuement de la vue en dégustant une soupe de nouilles instantanées.
Après être passés par le hameau de Batutumenga on prend le chemin du retour sur Rantepao. Sur la route on double de nombreux camions transportant hommes et buffles. On apprendra qu'avait lieu des combats de buffles aujourd'hui... Avant les cérémonies funéraires les plus fastueuses, des combats sont parfois organisés. 😟
Les points de vue ahurissants sur les montagnes et la campagne environnante s'enchaînent accompagnés des sourires et grands bonjours des habitants, interloqués de nous voir par ici ! On passe par de multiples petites vallons, et on reste souvent scotchés par la beauté et le contraste de ces rizières colorées et des nombreux rochers volcaniques noir et blanc.
On retourne à Rantepao juste avant que l'orage ne transforme certaines rues en piscine, et on dinera au café Arras, établissement pour touristes (prix plus élevés que d'habitude), mais où on mange vraiment très bien. On y testera un jus de fruit excellentissime au nom perdu en cours de voyage, mais qui ressemblait au fruit de la passion...
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Direction le Sud de Rantepao, on commence par le village musée de Ke'tekesu qu'on avait croisé en voiture avec notre guide. Bon on a vu des villages plus beaux et authentiques en se promenant, mais l'avantage ici c'est qu'on peut enfin rentrer dans une de ces habitations étranges. Et comme prévu, leur architecture de toît alambiquée ne laisse pas autant de place à l'intérieur que ce qu'on imagine malgré leur taille imposante.
On prend ensuite la direction du village de Lemo, les rizières se succèdent encore mais sans se ressembler. Il fait un temps magnifique alors rouler au milieu de ces paysages est un vrai bonheur. Décidément le scooter est le meilleur moyen de découvrir la région.
Ici et là des montagnes karstiques font leur apparition avec à nouveau des falaises parsemées de tombeaux. Il y en a d'ailleurs à visiter sur notre chemin, mais en ayant déja vu le premier jour, on préfère avaler les kilomètres et voir le plus de paysages possible.
On passe le petit village de Londa et on fait une boucle sur de petites routes de campagne avant de revenir sur l'axe principal.
Revenus à la civilisation bruyante et fourmillante, on s'occtroie une pause déjeuner udon et pâtisserie en bord de route.
Puis, à la vue d'un joli pont enjambant la rivière (environ 5km au Sud du centre ville) on décide de traverser pour rejoindre (à nouveau) le nord de Rantepao par l'autre côté de la vallée. Maps.me nous prévoit 15 km avant de retrouver des routes empruntées la veille. Ça grimpe dur et notre vitesse d'escargot nous laisse le temps d'admirer de nombreux petits hameaux...
On ne croisera pas l'ombre de ce qui ressemble à un touriste de l'après midi. La route devient bien accidentée mais sur les cailloux on va toujours plus vite que les camions ouverts qui font office de transports local 😊.
On aperçoit par moments, l'autre côté de la vallée et certains villages traversés la veille. La petite quinzaine de kilomètres prévus nous paraissent bien long au fur à mesure que le chemin rétréci, devient boueux et cahote sévère. Plus de voitures depuis longtemps, seul les scooters peuvent passer par ici...
On finit par retrouver une route digne de ce nom avant de tomber en panne d'essence ou de finir embourbé 😅. Maintenant il y a même du traffic, et rebelotte on double de nombreux buffles dans des camionnettes.
Bien fatigués par tout ces kilomètres, on fait simple et on dîne à nouveau au café Arras (au second du nom, il y en a deux sur la route principale séparés par moins de 500m) où on revoit le groupe de Toulousains qu'on croise régulièrement depuis l'île de Tumbak.
Ce soir sera notre dernier à Sulawesi, un bus de nuit nous attend pour Makassar la capitale tout au sud de l'île...
On traversera le centre de l'île à toute vitesse pour être débarqués à l'aéroport au petit matin !!! Plus que quelques heures à patienter et c'est parti pour un vol vers Kuala Lumpur !