Samedi 11 :
L’auberge est aussi vivante à 6h que quelques heures auparavant en pleine soirée. On s’entasse dans le premier pickup pour gagner Lanquin. Je ne le sais pas encore, mais je commence le pire trajet de ma vie.
Après une heure de route sur des cailloux saillants et de rebondissements contre un siège inconfortable, on arrive dans la cohue de Lanquin, bled bien vivant pour une heure aussi matinale. Les mini-bus des transferts s’entrecroisent tous et des crieurs tentent d’orienter tout un chacun. Je trouve mon véhicule pour Rio Dulce, avant de monter à bord je fais le plein en achetant 5 petits pains à la cannelle puis je vais m’asseoir sur une banquette sans repose-tête. Je retrouve d’ailleurs une hollandaise que j’ai croisé au marché de Chichicastenango, assise confortablement devant.
Le mini-bus se met en route, c’est parti pour 6 heures de route caillouteuse sans une once de goudron. Petits virages, routes étroites, beaux paysages (certes), mais c’est surtout le trajet de l’enfer. Ma fenêtre ne cesse de glisser pour se fermer avec tous les cahotements incessants, empêchant l’air frais de rentrer. Nids de poules continus, musique romantique insupportable, enfants travaillants avec des pioches pour combler les trous de la route (ils tendent la main lorsqu’un véhicule passe, en quête d’une rétribution) : c’est vraiment la route de l’enfer.
On arrive FINALEMENT à Rio Dulce. C’est là que je découvre que mon auberge n’est pas dans la ville même, mais sur la rivière. C’est le cas de presque tout le monde à bord du minibus. Notre calvaire n’est pas fini, c’est parti pour une heure de bateau. Pas une promenade tranquille en bateau, non haha, une heure de bateau rebondissant sur les flots, avec du vent nous fouettant nos délicats visages.
Bon, ok, on voit de beaux bateaux dans des marinas privées, yachts, catamarans, majestueux voiliers… On est dans un des seuls endroits où les assurances acceptent de couvrir les bateaux contre les risques d’ouragans dans la région, ce petit coin de Guatemala étant totalement à l’abri de ceux-ci.
Des dames faisant la lessive dans la rivière Le bateau débarque une partie d’entre nous au ponton de la Casa Redonda. Le cœur de l’auberge, une grande paillote ronde de plusieurs étages faisant office de réception, cuisine, salle à manger, compte aussi quelques chambres privées et un dortoir au dernier étage : sur une mezzanine ouverte, une dizaine de lits en demi-cercle avec chacun sa petite moustiquaire.
Je fais connaissance avec Jaime le réceptionniste et José le cuisinier, ainsi que Baloo, le chien des lieux. Je vais rapidement tomber amoureuse de l’endroit, l’auberge dispose de plusieurs aires de vie jonchées de hamacs et de canapés, plusieurs pontons se jettent dans l’eau tranquille de la rivière, les bruits de la jungle uniquement interrompus par un bateau à moteur de temps en temps. Bien qu’il y ait plusieurs maisons particulières et hôtels sur le bord de la rivière le lieu reste très peu aménagé, tout est calme et beauté.
La rivière d’eau douce n’a pas de crocodiles, enfin comme dit Jaime « mais non t’inquiètes, ils sont 40 mètres plus haut dans l’eau ». Un des pontons dispose d’une plateforme pour bronzer ou pour se lancer dans l’eau.
Pendant les quelques jours ici je vais m’adonner à une forte activité physique à base de :
- Lecture effrénée d’un thriller prenant (« La Trilogie du Mal » de Maxime Ferrence, c’est vraiment très bien)
- Ecoute attentive des chants d’oiseaux (parfois j’ai du mal à croire que ce soit des sons naturels tellement ils sont hors du commun)
- Diner familiaux tous ensemble autour de longues tables
- Trouver un refuge pour la pluie quotidienne de l’après-midi
Bref, que des activités éreintantes
Dimanche 12 :
Katrina, une hollandaise, parvient à m’arracher de ma lecture frénétique pour m’embarquer sur un kayak à deux places. Nous remontons jusqu’à des eaux thermales bordant la rivière, quelques kilomètres plus en aval. Non sans mal, nous évoluons sur un itinéraire en forme de zigzags, le temps que l’on trouve comment nous coordonner pour pagayer tout droit.
Notre première escale nous permet de déguster des eaux de cocos tout juste fraîches et tombées du cocotier. Je me baigne dans l’eau chaude, la technique c’est de faire des petits brassages d’eau pour ne pas s’ébouillanter.
Nous redescendons en longeant de près la rive sauvage, nous dépassons la clinique mobile pour prendre un affluent de la rivière. Nous croisons des zones plus urbaines, des communautés de villages avec des huttes faisant office d’écoles et d’églises, les gens se déplacent en canoé ou en bateau à moteur collectif.
On passe devant des carcasses de bateaux abandonnées, ainsi que devant la Finca Tatin, un établissement géré par le même propriétaire que la Casa Redonda. Nous finissons notre balade en remontant jusqu’à un ruisseau où la profondeur nous empêche de continuer.
De retour à the Round House, Katrina a les mains pleines d’ampoules et les jambes cramées, je m’en sors mieux. Après un rafraichissement dans la rivière je vais continuer le premier tome de ma trilogie.
Depuis mon arrivée la veille j’ai plus au moins fait connaissance avec une des personnalités des lieux, un écrivain texan qui se soule la gueule toute la journée pendant qu’il écrit un roman prenant place dans la région et mêlant divinités mayas et Baloo le chien des lieux. Il paraît aussi qu’il ronfle tellement fort qu’un groupe de hollandais veulent changer de dortoir pour rejoindre le mien.
Lors du dîner je rencontre un couple adorable de clarinettistes, elle est italienne et lui guatémaltèque, ils vivent à Bâle mais ce sont rencontrés au conservatoire de Nice. Ils parlent donc l’espagnol, l’italien et le français avec une facilité déconcertante. Ils goutent des margaritas pendant que je sirote un mojito délicieux, non seulement Jaime est réceptionniste mais il est fait d’excellents cocktails également.
D’ailleurs le système de paiement dans cette auberge est particulier, chaque hôte a un « compte » dans un livret à la réception et l’on marque ce que l’on consomme pour payer à la fin, c’est en partie basé sur la surveillance du staff mais aussi sur la confiance.
Je vais me coucher après m’être faufilée sous ma moustiquaire, mon sommeil sera uniquement interrompu par un cafard qui a réussi à traverser les mailles de mon bouclier. Pendant que je me débats dans l’obscurité pour le faire dégager, je remarque en effet les ronflements du texan, me parvenant depuis l’autre dortoir, effrayant les jaguars de la forêt.
Lundi 13 :
Comme chaque matin, j’embête José pour qu’il me fasse un petit déjeuner moitié pancakes – moitié omelette. Puis j’embarque pour Livingston, une des seules villes du Guatemala donnant sur la mer des Caraïbes, d’ailleurs Livingston est uniquement accessible par bateau.
Avec Katrina on descend à la même auberge, la Casa Rosada, qu’on a un peu choisi par hasard. On n’a aucune réservation et l’auberge nous propose de dormir dans le même lit deux places. Après avoir négocié une jolie ristourne nous acceptons d’approfondir notre relation d’amitié en partageant les bras de Morphée ensemble.
Vu qu’on est parties pour passer du temps ensemble on décide de se rendre jusqu’aux Siete Altares, une série de cascades et petits lagons d’eau douce.
On peut sentir l’influence caribéenne dans la ville, tout est assez détendu et tranquille. Nous sommes également au berceau de la culture Garifuna, un héritage de la culture créole d’esclaves haïtiens affranchis.
Nous marchons sur la plage au nord de la ville, elle n’est pas très charmante, et pleine de déchets plastiques. Il y a cependant de nombreux pécheurs qui tractent à mains nues leurs filets hors de l’eau chaude et peau profonde. Des pélicans suivent minutieusement les bateaux de pécheurs, tout comme les vautours, ce qui est plus surprenant. Nous continuons de longer des petites habitations en bord de mer, maisonnettes sommaires devant lesquelles sèche le linge, jusqu’à arriver à destinations.
Nous remontons l’eau fraîche en marchant à même l’eau avec nos chaussures (je finis de sacrifier mes sandales), pour nous arrêter devant une grosse cascade. On plonge dans l’eau froide avec une immense satisfaction, je vais même jusqu’à grimper en haut de la cascade pour sauter, en manquant tout juste de faire une mauvaise chute à cause des pierres glissantes.
Images empruntées à l'internet De retour en ville nous trouvons une jolie terrasse pour déjeuner, alors que Katrina opte pour des tacos au poisson (la pauvre elle rêvait de manger du poisson depuis 2 semaines) alors que je déguste un riz avec des haricots noirs et des bananes plantains, un plat très traditionnel du coin (à Cuba on l’appelle « arroz con gris »).
Je profite de l’après-midi pour – surprise – LIRE plus, j’en suis déjà au second tome de mon histoire de sérial killer, j’en suis au point de veiller tard grâce au rétro-éclairage de ma liseuse parce que je suis totalement happée par l’histoire. Le soir Katrina me propose d’aller dîner ensemble. C’est une curieuse relation que nous avons, j’ai toujours l’impression qu’elle est très solitaire et très réservée mais elle me propose toujours de faire quelque chose ensemble, c’est entre l’indifférence et la complicité, deux extrêmes bien distincts pourtant. Elle a parfois des moments d’extraversion qui me laissent sans mot, alors qu’elle est taciturne le reste du temps.
Notre dortoir n'a pas de fenêtre, c'est juste des trous dans le mur. Pendant qu’elle se prépare je traverse le dortoir pour aller à la salle de bain, et là, surprise. Etant donné que notre lit double est dans un renfoncement de l’étage, je n’avais pas croisé les autres occupants, mais il s’avère que je connais tout le monde !
Je vois d’abord AZZZIIIIZZZ et ses frères, avant que je sois hélée par Phillip (l’allemand qui m’a mis une misère au badminton à Semuc Champey), puis par Michelle (la hollandaise qui était dans le bus avec moi jusqu’à Rio Dulce), et enfin les deux filles faisant beaucoup de yoga de l’auberge Greengos. Nous allons donc tous diner ensemble !
Je profite de l’occasion pour gouter le tapado, une soupe traditionnelle à base de crustacés et de coco absolument délicieuse. Comme pour aller de pair avec mon repas, des petits crabes de terre ne cessent de zigzaguer entre nos jambes.
Miam
Mardi 14:
La matinée s’écoule tranquillement pendant que je flâne dans la ville, je déguste une glace sandwich (les meilleures) tout en m’imprégnant du courant d’air frais de la mer qui s’ébat au bout du ponton. Pour le déjeuner je mange de délicieuses empanadas à 3 quetzales, je continue de lire assidûment.
Il y a des lavoirs publics pour faire sa lessive, mais aussi pour se laver les cheveux Puis vers 14h je remonte dans un bateau direction la Casa Redonda, je vous dis que j’ai adoré l’endroit. Là-bas j’y retrouve Jaime et José, mais aussi Jaime n° 2, l’espagnol avec qui j’ai monté le volcan Pacaya. Ce dernier me raconte ses journées de voyages depuis que l’on s’est vus la dernière fois : il a fait le tour du sud du pays en moto, échappant à des attaques au machete sur les routes cabossées de la côte pacifique et se faisant escorter au moment de faire le tour du lac Atitlan pour éviter les attaques de bandits. Je me rends compte que mon séjour est beaucoup plus tranquille.
On passe une bonne aprèm à discuter, en compagnie d’Alan, un photographe américain qui était déjà là lors de mon précédent séjour. Pour économiser des sous il « campe » dans l’auberge, c’est-à-dire qu’il dort dans un hamac ou un canapé une fois la nuit tomber.
Malheureusement, depuis mon départ l’auberge s’est remplie et on est maintenant une cinquantaine. Jaime et José ont improvisé un dortoir pour 4 personnes dans leur ancienne chambre, en une journée ils ont construit des lits superposés, eux de leur côté s’improvisent des lieux de sommeil derrière le comptoir de la réception. Je partage donc un petit bungalow avec Jaime, une autre voyageuse et le texan-alcoolique-ronfleur.
Pour l’occasion je sors une nouvelle paire de boule quies que j’enfonce jusqu’au tympan. Je commence à comprendre pourquoi j’ai des problèmes d’oreille interne.
Mercredi 15:
On se réveille tout en délicatesse et en douceur grâce à une troupe tonitruante d’italiens voyageant vraisemblablement par troupeau. Après le petit-déjeuner je ne tarde pas à me rendormir dans un hamac. La pluie matinale me sort du sommeil et je m’en vais déjeuner avec Jaime l’espagnol. Nous allons louer des kayaks ensemble bien qu’il insiste pour que l’on prenne des kayaks séparés. Figurez-vous que je m’en sors bien mieux comme ça et je n’avance plus par zigzagues. Nous partons à la recherche d’une grotte que nous ne trouverons jamais.
On s’arrête donc à la Finca Tatin où l’on va faire un tour, jouer à un billard dont il manque une dizaine de boules (elles sont toutes tombées dans l’eau marécageuse entourant les lieux), on passe en revue une bibliothèque où je découvre la délicatesse de Jaime lorsqu’il se met à crier hystériquement à la vue d’une araignée en jurant qu’il n’y a pas ce genre d’insectes de l’autre côté de la rivière, chez nous.
Puis nous nous désaltérons dans la rivière en sautant depuis le ponton et en essayant de remonter une corde accrochée au-dessus de l’eau à la force des bras en compagnie de québécoises qui étaient également avec nous au volcan Pacaya, c’est petit le Guatemala.
Nous rentrons déguster des smoothies préparés par Jaime le nicaraguayen (c’est le barmen parfait, dommage qu’il soit tellement relou à faire des sous-entendus graveleux). Puis je retourne lire dans un hamac, ce que je fais jusqu’à l’heure du dîner.
José nous a fait de délicieuses lasagnes (avec une portion végétarienne pour ceux et celles qui le désirent), bien qu’il ne soit pas satisfait du résultat.
Je retourne digérer en lisant pendant que le groupe d’italiens règle sa note, cela prend un temps fou. Clyde, le petit chaton de la maison vient se blottir contre moi pour échapper à toute l’agitation. Il ne quitte mon sofa que pour aller tourner autour d’un crabe de terre s’étant aventuré dans la salle à manger, il semble totalement éberlué et ne cesse de sauter autour de l’animal pour échapper à ses pinces. Sa maman chat vient éventuellement le chercher pendant que Baloo commence à embêter Clyde.
Les italiens vont se coucher ce qui permet au calme de venir s’asseoir avec nous. Je me joints à un groupe de voyageurs. Un suisse nous fait une énigme où l’on doit sortir un billet de dessous une bouteille de bière sans toucher la bouteille, directement ou indirectement. On galère tous, avant que la solution soit trouvée par le texan, à notre grande surprise. Puis le même suisse essaye de nous apprendre un jeu de cartes super compliqué pour lequel un hollandais essaye de traduire les règles en allemand qu’il trouve en ligne. On ne fait pas long feu non plus. Mais je reste néanmoins avec Jaime le réceptionniste et José le cuisinier pour boire des mojitos. J’ai encore un peu faim, étant donné que José doit préparer du pain pour le lendemain je lui propose de faire des crêpes à la française. J’entreprends donc une recette de tête où je mets beaucoup de bière, puis je lui montre la tradition de la chandeleur de retourner une crêpe d’une main tandis que de l’autre on tient une pièce d’un euro (bon ici un quetzal du coup).
Je vais finalement dormir, pour découvrir que le texan, totalement soûl (Jaime a dû le raccompagner jusqu’à son lit) à laisser le plafonnier de la chambre allumé.