Arrivée au workaway. Après un trajet en bus sur une route chaotique et bucolique dans la campagne bogotanaise, nous arrivons au village de Tenjo, charmant et reposant. Un bol d'air frais bienvenu après les pots d'échappement de la capitale. Nous partons ensuite à pieds trouver la ferme dans laquelle nous serons volontaires pour deux semaines. A 2900 m d'altitude avec des sacs à dos de 20kg, la rude montée bordée de mimosas en fleurs nous a demandé une bonne heure d'effort et nous a laissés aussi haletants que suants. Perché à flanc de montagne et surplombant Tenjo, le vaste terrain est habité par une famille (un couple et deux enfants) vivant dans une petite maison de type Chunzua faite de bois, de paille et de pierres. Munis d'outils basiques avec l'aide d'employés et de volontaires, leur ambitieux projet consiste à construire de nouveaux locaux, agencer des lieux de méditations, créer et entretenir de petits potagers, décorer / aménager et améliorer le confort du lieu de manière générale. Un certain nombre de projets donc, qui sont traités en parallèle (en fonction des cycles de la lune) et qui donnent l'impression d'un site en chantier permanent. A terme, leur objectif est de vivre des visites de gens curieux de leur mode de vie.
Chunzua familiale Petit rappel de ce qu'est un volontariat type workaway : il s'agit d'un travail de bénévolat généralement dans une ferme ou une auberge de jeunesse, dans lequel le bénévole s'engage à travailler environ 5 heures par jour, 5 jours par semaine en échange du gîte et du couvert. Concrètement, en général, les workaways que nous avons réservés ces prochains mois en Colombie demandent soit une participation financière pour la nourriture, soit ne la fournissent pas.
Nos conditions de vie. Nous avons été installés dans une cabane (sans électricité évidemment) aux murs faits de planches et de carton, dans laquelle nous avions une tente et un fin matelas aussi confortable qu'un parpaing. L'originalité (ou l'exotisme avec le recul) est que sous cette cabane se trouvent les abris des chèvres, surexcitées à la nuit tombée. Ajoutés à cela, les hurlements des chiens, le chant nocturne du coq et la température en chute libre ont souvent eu raison de notre sommeil. Côté sanitaire, toilettes sèches et douche froide dans le jardin, au tuyau d'arrosage. Viviendo el sueño.
Notre palace avec toiture végétalisée - Toilettes sèchesLe travail. Quelle que soit la météo, une journée sans pluie étant rare, nous étions donc mis à contribution de 8h à 13h30/14h. Nous ne comptons plus le nombre de trous creusés, de kilos de terre retournée, de mauvaises herbes (ndP : ou 'adventices' pour faire plaisir à mon ingénieure agronome chérie) arrachées, de kilos de béton fabriqués ou d'acier scié. S'il est clairement satisfaisant de produire quelque chose de ses propres mains, nous avions parfois l'impression d'être les servants d'une famille (relativement riche) qui ne nous utilise pas pour créer de la valeur marchande, mais plutôt pour améliorer son petit confort. La diversité des activités a cependant été appréciable !
Malgré le caractère parfois difficile du travail (soulever moults sacs de ciment de 50kg...), nous avons été marqués par la mentalité des gens qui travaillent ici, aussi bien les propriétaires que les quelques employés. Durs au mal, leur dévotion donne l'impression que chaque complication est une opportunité de positiver. Par exemple, après avoir porté une poutre excessivement lourde de 10 mètres, une employée s'étant autant cassé le dos que nous s'est simplement exclamée « Qué emoción ! » pendant que nous râlions. Ou encore, chaque mauvaise herbe arrachée représente pour eux un mauvais sentiment débarrassé (autant vous dire qu'on positive à fond).
Au boulot ! Travail de construction, désherbage, création de potager, plantations sur toit végétalisé, peinture...La spiritualité. Dès le premier contact avec nos hôtes, nous avons compris que la spiritualité allait prendre une place importante dans le quotidien. Lors de notre arrivée, la propriétaire nous a invités à saluer les lieux afin que l'environnement soit clément avec nous. Nous avons été invités à toucher un arbre et un rocher en nous présentant, puis à faire 3 tours sur nous mêmes pour nous débarrasser des pensées négatives (NdP : Personnellement, j'espérais que c'était une blague et qu'il y avait une caméra cachée quelque part). Nous avons ensuite appris que la maison ronde de type Chunzua avait été bâtie selon un modèle de représentation d'être humain avec entre autres ses cheveux (toit de paille), ses doigts/orteils (20 poutres en bois structurant le mur), des côtes (structure du toit en 24 poutres), un cœur (la cheminée) et un cerveau (les gens vivant à l'intérieur). Ils considèrent également que l'intérieur de la maison est un utérus... Et d'après eux, la montagne sur laquelle on se trouve est une femme.
Les discussions étaient souvent des formes de monologues appelant à célébrer la valeur de la terre, purifier son esprit, semer des graines (métaphoriquement) pour un futur meilleur, se remémorer le savoir-faire des ancêtres/abuelos...
Quiétude nocturne, non loin de la capitaleL'épisode le plus marquant sur ce thème restera celui de la visite pédagogique d'une dizaines étudiantes américaines accompagnée de leur guide. À leur arrivée, nous les avons accueillis par une session de méditation sous la pluie autour d'un autel creusé dans la terre. Nous avons ensuite enchaîné sur un épisode de plantation d'arbres accompagné de chant, de danse et de méditation afin de faire grandir le mieux possible l'arbre. C'est aussi l'occasion de « planter un vœux » et de le voir grandir.
Pour conclure la journée, nous nous sommes rendus dans un autre Chunzua pour nous mettre à l'abri. Nos hôtes nous ont alors plongés dans une ambiance très particulière, pour ne pas dire surnaturelle pendant près de 30 minutes. Feu de bois allumé, nous étions réunis autour du couple qui nous a alors parlé de spiritualité et de savoir-faire ancestral (médecine, construction, agriculture...). Puis de manière crescendo, cela s'est transformé en session de méditation. Nous étions debout, les yeux fermés, la respiration lente. En nous berçant d'un instrument au son cristallin et d'une percussion très intense rendant l'atmosphère hypnotisante, les voix nous invitaient à l'écoute de notre corps, au lâcher prise. Dans la continuité, on nous a alors proposé un traitement utilisé par les anciens, censé purifier le corps et l'esprit. Il s'agissait d'un genre de tabac en poudre, appelé Rapé/Osca qui est soufflé à travers une pipe par le donneur et reçu dans chaque narine par le receveur.
NdP : Voyant une partie des américaines très intéressées par l'expérience, sans pour le moment me faire remarquer, je me suis dit 'por qué no ?'. Cependant, j'aurais peut-être dû me poser davantage de questions en voyant le guide (colombien) du groupe d'étudiantes se raidir peu à peu à l'idée d'en prendre, alors que manifestement, il avait déjà pu expérimenter cette poudre soit-disant miracle. Alors que notre hôte se dirigeait vers lui, il me redemande si j'en veux. Étant bien élevé, je n'ai pas su répondre non. C'était donc moi le premier cobaye. L'angoisse. Les yeux fermés, respirant par la bouche, l'hôte me fait dire mon prénom-nom trois fois, puis après une incantation, me souffle les deux salves de poudres dans les narines. A peine le temps de sentir la brûlure dans les narines que déjà l'hôte-gourou se met à faire des bruits sur-réalistes avec sa bouche, mélange de souffle et d’onomatopées venues de l'espace, comme pour accompagner la sensation terrible de mon nez qui n'avait rien demandé. La respiration comprimée, des vertiges, les mains tremblantes, la salive qui monte, je tente de rester digne et de lutter contre l'effet. Je me concentre sur les prochaines victimes pour mesurer l'impact que je ressens. Le guide est le second sur la liste justement. Une fois la basse besogne subie, il se met alors alors à tousser, à cracher, à trembler, puis finit par vomir. Ambiance. Je ressens un sentiment mélangé d'inquiétude de ce qui peut m'arriver et de fierté de ne pas être tombé le premier. La prochaine sur la liste, même effet... ! En voyant ce spectacle grotesque et effrayant, je ne saisi pas bien pourquoi les filles suivantes ont quand même accepté de subir l'expérience. Peut-être n'ont-elles pas osé dire non au gourou aux gesticulations et aux sons improbables. Je pensais à Maïté qui assistait à la scène. Je l'imaginais impuissante comme un lapin devant les phares d'une voiture. Victime de bouffée de chaleur et oppressé par les plaintes de ces corps perdant leur contrôle et par cette odeur de fumée de bois, je suis vite parti prendre l'air. Quinze minutes plus tard, je vomissais mes tripes. C'est ainsi que le mot 'Guayabo' (signifiant en espagnol colombien 'gueule de bois') est rentré, par la force des choses, dans ma mémoire pour un très long moment. Rien d'autre donc. Pas de voyage spirituel, comme le promettait l'hôte. Pas d'amélioration du moi.Ceux qui veulent croire à la transe de l'âme et à la communion avec l'au-delà peuvent peut-être arriver à ressentir un voyage spirituel illusoire. Les autres se contentent d'un guayabo.
NdM : Malheureusement, on n'était pas assis à côté dans cet antre inquiétant et je n'ai pas pu donner le coup de coude salvateur à ma moitié, suivi d'une réprimande chuchotée qui lui aurait évité les épouvantables effets de ce « remède ». Je dois dire que dès le début, je le sentais pas ce truc. Voir mon Philou tout tremblant, le visage livide, les lèvres sans vie et ne pas savoir quand il irait mieux a été assez éprouvant.
Les animaux de la ferme. Nos hôtes possèdent quelques animaux : poules, chèvres, chiens et chats. Chaque matin la biquette Humildad donne 1L de son lait, ses copines allaitent quant à elles leurs petits.
Ca grouille de vie !Baila Baila ! Ces deux semaines n'ont pas été que dur labeur, le divertissement était aussi au rendez-vous. Une soirée d'initiation aux danses latines nous a particulièrement amusés et réchauffés !
Ca danse ! - Famille et volontaires Ressenti général. La pénibilité des conditions au quotidien et le manque de valeur de notre travail (à nos yeux) nous ont fait reconsidérer la durée de notre séjour. NdM : Un petit exemple illustratif : on nous a demandé de passer des heures à poncer un vieux tricycle rouillé hors d'usage récupéré à la décharge pour le rendre joli et mettre une plante dedans afin de décorer. Un peu loin l'idée que nous nous faisons du workaway, qui est davantage de venir en aide à une famille aux faibles ressources en travaillant avec elle pour faire fonctionner sa ferme ou son hôtel. Nous avons choisi malgré tout de poursuivre l'aventure, car en prenant un peu de recul , nos hôtes sont des personnes avec un grand cœur, et si leur mentalité et mode de vie diffèrent beaucoup du nôtre, cela reste une expérience très enrichissante et aussi un bon moyen d'améliorer notre espagnol.
Le recyclage au service de l'art végétal La nourriture, bis. Nous mangions avec nos hôtes des plats préparés ensemble, végétariens et principalement constitués de riz et de frijoles. Encore une fois, pas très raffiné (cf photo). De ce qu'on a vu dans cette région, les gens ne prennent pas un vrai repas le soir mais plutôt une sorte de goûter : des petits pains ou des arepas (galette de maïs insipide et pâteuse) avec une boisson chaude. Ici on boit du chocolat chaud avec ou sans lait, de l'agua panela (eau chaude avec le sucre local issu des cannes à sucre et vendu en blocs : la panela) ou encore de l'avena (agua panela mélangée à de l'avoine, avec ou sans lait). Les week-ends, nous avons poursuivi notre découverte de l'alimentation locale à travers les menus du jour de petits restaurants / cantines populaires. L'occasion de rencontrer des restaurateurs adorables et de très bien manger pour peu cher. On a fait connaissance avec des sauce Aji plus épicées les unes que les autres, delicioso ! Et des soupes Ajiaco, très typiques, bien meilleures que notre première à Bogotá. Toujours pas d'eau à table, c'est probablement le cas dans toute la Colombie. Dans les villages que nous avons visités, les tiendas de desserts (gâteaux et glaces) fleurissaient dans les ruelles et après le déjeuner les passants dégustaient ces douceurs en flânant.
Plâtrée du déjeuner à la ferme - Tienda de glaces - Repas au village - Tienda de gâteauxTenjo et Subachoque. Entourés de montagnes, les villages de Tenjo et Subachoque ont été très agréables à parcourir, avec leur jolie place principale pleine de vie. On n'y a pas ressenti la moindre insécurité mais lorsqu'on a voulu faire une randonnée connue pour la beauté de ses paysages, on nous a formellement déconseillé de la faire tous les deux. Il faut apparemment faire partie d'un groupe de randonneurs plus important pour ne pas risquer de se faire détrousser dans la montagne. Vraiment dommage que les problèmes d'insécurité nous empêchent de découvrir certaines facettes du pays, mais ne jouons pas avec le feu.
Places de villages et quartiers plus ou moins favorisésDe belles rencontres. Si la Colombie apparaît comme un pays dans lequel il convient de prendre toutes ses précautions en terme de sécurité (« no dar papaya! » qu'ils disent), c'est aussi un pays reconnu pour sa population extrêmement chaleureuse. Pendant cette petite quinzaine de jours, outre de savoureuses discussions avec des commerçants ou des passants, nous avons eu la chance de vivre deux moments très forts.
En travaillant, nous avons rencontré une jeune colombienne, mature, forte, attachante et amoureuse de la terre. Construisant notre relation au fil de conversations enrichissantes, cette jeune femme nous a raconté une page de sa terrible histoire familiale, maculée de sang, victime de la pègre, véritable gangrène encore active dans ce pays. Émus aux larmes par l'atrocité de son récit et la force de son sourire, nous gardons ce souvenir très précieusement. Il est clair que la Colombie n'en a pas encore terminé avec ses démons.
Balade avec Alejandra Alors que nous étions perdus dans la montagne, hors des sentiers battus, sans réseau, nous avons fait la rencontre d'un homme adorable, Camilo, qui nous a aidés et pris en stop. Nous l'avons revu le week-end suivant. Il nous a intégrés à sa vie et à sa famille avec une simplicité et une générosité sans limite. Visite d'un charmant village voisin, randonnée ultra confidentielle avec un superbe point de vue sur toute la vallée, apéro et dîner dans la maison de la famille... Cette journée nous a fait un bien fou !
Un dimanche avec Camilo, Myriam et Laura - L'encas parfait du randonneur : pâte de fruit + fromageLa magie de ces rencontres ne s'arrête pas à de beaux moments à usage unique puisque nous nous apprêtons à les revoir lors de notre escale de 5 jours à Bogotá.