Afin de mieux comprendre ce pays, je vous propose une parenthèse histoire (bien loin d'une romance, j'en ai peur) très intéressante, bonne lecture !
Jusqu'au XIXe siècle le pays est la proie d'invasions menées par les pays voisins. Le Cambodge est le théâtre de beaucoup de tragédies de palais : trahisons, coups de poignard, assassinats et autres décapitations (un vrai Game of Thrones !). En 1722, pas moins de quatre rois complotent les uns contre les autres. Le Siam (Thaïlande) et le Vietnam se le disputent et le pays finit par passer sous le contrôle vietnamien. Plus tard il repasse au Siam, puis en 1813 le Vietnam réplique et annexe le Cambodge de nouveau. Evidemment les Thaïs répliquent et commencent guerres, dévastations, etc...
En 1863, le roi cambodgien Ang Duong conclut une alliance avec l'empereur des Français (Napoléon III) : c'est le début du protectorat.
Les cambodgiens en veulent à la France, alors maîtresse de la Cochinchine (actuel sud du Vietnam), de ne pas leur avoir rendu les régions annexées jadis par les vietnamiens, mais les français obtiennent du Siam qu'il renonce à ses prétentions sur le pays, ainsi qu'aux provinces conquises de Battambang et d'Angkor. Après encore quelques batailles politiques, le Cambodge commence enfin à ressembler à un pays. Parallèlement la France colonise : routes, plantations d'hévéas, hôpitaux, écoles publiques, trains... L'enseignement bouddhique est maintenu, les vieux textes sacrés traduits...
En 1940 le royaume thaï, profitant de la défaite française au début de la seconde guerre mondiale, attaque avec succès le Cambodge et le Laos et reprend Battambang et Angkor. En 1941, le Japon occupe l'Indochine, attaque Pearl Harbor... mais attendra le,9 mars 1945 (juste avant la capitulation) pour investir Phnom Penh (capitale du Cambodge) et jeter tous les français en prison. Trois jours plus tard, le nouveau roi, Norodom Sihanouk (encore un super nom), dénonce le protectorat français et proclame l'indépendance.
Définitivement débarrassé des ingérences françaises, le Cambodge ne l'est pas pour autant de ses propres démons. Pour mieux riposter aux attaques de ses opposants, Norodom Sihanouk abdique en mars 1955 et laisse le trône à son père. Un peu comme de Gaulle (qu'il admirait), Sihanouk (de son petit nom Norodom) a toujours demandé des preuves d'amour à son peuple. Le Sangkum, "communauté socialiste populaire" qu'il met sur pied, lui permet de gagner les élections de septembre 1955 et de se faire nommer premier ministre. Cinq ans plus tard, à la mort de son père, il ne reprend pas le trône mais accède au statut de chef de l'Etat. Un nouveau référendum national confirme que les cambodgiens approuvent sa politique de neutralité dans le conflit vietnamien.
Les Américains (les revoilà) vont faire payer cher à Sihanouk son non-alignement. La CIA arme le mouvement khmer Serei qui tente de l'éliminer. Aidée également par la Thaïlande et le Vietnam Sud (tous deux pro-américains), la guérilla de droite cambodgienne sape soigneusement durant 10 ans toutes les tentatives de paix du gouvernement, incitant inévitablement Sihanouk à rechercher l'aide de la Chine et du Vietnam Nord. En 1965, la rupture entre le Cambodge et les Etats-Unis est totale.
Suite aux élections de 1966, le général Lon Nol, qui a su gagner la confiance de l'armée cambodgienne et de la bourgeoisie toutes deux inquiètes de la montée du péril communiste, devient premier ministre.
Aussitôt, Sihanouk forme un "contre gouvernement" dans lequel on retrouve diverses personnalités de la gauche cambodgienne, dont de futurs khmers rouges. Pris dans un inextricable engrenage politico-militaire, le Cambodge sombre dans l'anarchie. Des émeutes éclatent dans les zones rurales réprimées par les hommes de Sihanouk, grave erreur qui lui vaudra la haine des campagnes.
Au même moment, les débuts de la révolution culturelle chinoise enflamment les esprits de la gauche cambodgienne : les Khmers rouges sont nés, ainsi baptisés par Sihanouk.
Le 18 mars 1970, le parlement proclame la destitution de Sihanouk. Le prince Sisowath Sirik Matak (à vos souhaits), responsable de cette trahison, a été encouragé par la CIA. D'ailleurs, Washingon reconnaît aussitôt le nouveau gouvernement composé du prince à vos souhaits et du général Lon Nol.
Sihanouk coincé à Pékin, appelle le peuple cambodgien à la résistance, ceux qui ne sont pas massacrés prennent le maquis et rejoignent les Khmers rouges. Enavril 1970, Nixon donne son feu vert aux forces américo-sud-vietnamiennes qui pénètrent au Cambodge pour en chasser les révolutionnaires vietnamiens. Les conséquences sont terribles pour la population, en l'espace de 14 mois, les américains vont effectuer plus de 3 600 raids. Terrorisés, les paysans des provinces de l'est se réfugient à Phnom Penh, dont la population passe de 600 000 habitants à 2 millions.
A partir de 1970, le Cambodge entre dans une guerre qui va se prolonger pendant plus de 20 ans. Malgré tous les efforts de Sihanouk (qui porte cependant une sacrée part de responsabilité), le pays est trop petit pour supporter la pression des Etats-Unis (via la Thaïlande et le Vietnam Sud), du géant soviétique et de la pieuvre chinoise (qui arme les Khmers rouges). Trop peu de voix s'élèvent pour sauver le peuple khmer plongé dans l'enfer de cette "troisième guerre d'Indochine".
Lon Nol décrète la loi martiale, condamne Sihanouk à mort et se fait nommer président de la République. Sous son régime, environ 800 000 personnes sont victimes des divers affrontements au Cambodge. Sihanouk crée le Front uni national du Kampuchéa et s'allie aux Khmers rouges pour s'opposer aux putschistes.
En avril 1973, Sihanouk retourne en secret dans son pays pour entreprendre une tournée des zones "libérées" par la guérilla khmère rouge. La république de Lon Nol, rongée de l'intérieur par la corruption et militairement battue sur tous les fronts, est prête à tomber. Phnom Penh est encerclée.
Le 17 avril 1975, les Khmers rouges sont maîtres de la capitale, les habitants accueillent les "révolutionnaires" avec enthousiasme.
Mais alors, sous prétexte de bombardements américains imminents, en l'espace de 48h, les "libérateurs" procèdent à l'évacuation TOTALE de la capitale ! Soit environ 2,5 millions de personnes sont déportées de force vers les campagnes du nord et de l'ouest du pays. Un exode qui coûtera la vie à environ 400 000 personnes...
En quelques jours, cette ville, considérée comme la plus belle d'Asie du sud-est, n'est plus qu'une ville fantôme, livrée aux rats et aux révolutionnaires qui saccagent tous les symboles de la société bourgeoise et capitaliste. C'est "l'année zéro", aube d'une renaissance totale proclamée par la radio khmère rouge.
Dans la foulée, toutes les villes du Cambodge sont évacuées : on ordonne à la population de gagner les rizières pour se mettre au travail. Durant sa déportation, la population est triée en trois catégories : les militaires sont conduits à l'écart pour être exécutés, les fonctionnaires et intellectuels (il suffit de porter des lunettes ou d'avoir un stylo) sont envoyés dans des "villages spéciaux", le reste classé sous l'appellation de "peuple" est prié de rejoindre son village natal et de travailler dans des conditions proches de l'esclavagisme...
Toute la société cambodgienne est réorganisée sur le modèle d'une armée. L' Angkar (organisation suprême des Khmers rouges) régit désormais le pays sans que personne ne connaisse vraiment les responsables. Tout est remis en question : les gens doivent changer de nom, le salut avec les mains est banni, la lecture est remplacée à l'école par des danses et des chants révolutionnaires... Les enfants appartiennent à l'Angkar, c'est la période "papa-maman" ainsi baptisée par la radio officielle...!
Le mariage n'échappe pas à la révolution : les époux sont choisis au hasard, plus de 600 personnes pouvaient être unies en une seule fois au cours d'une cérémonie express ! Ces mariages forcés seront considérés comme des crimes en 2009.
Les religions sont persécutées et massacrées, les vénérables statues du Bouddha sont décapitées et Sihanouk rappelé dès 1975 pour participer à la "reconstruction", se retrouve prisonnier pendant 3 ans dans son propre palais.
Cloisonnés dans les campagnes dont ils n'ont pas l'habitude, en proie aux maladies, au soleil, à la faim et aux travaux de force, les citadins sont condamnés à une brève échéance. Les hôpitaux des villes sont interdits d'accès, les médicaments réservés aux combattants, les médecins traqués pour cause d'appartenance à la bourgeoisie... D'incessantes extractions sont commises sur la population sous prétexte de non conformité idéologique : les jeunes aux cheveux longs sont exécutés, de même que toute personne susceptible de connaitre une langue étrangère ! Les Khmers rouges haïssent les signes d'intelligence, "il vaut mieux tuer un innocent que de garder en vie un ennemi" disent-ils pour se justifier... On estimera à 2 millions le nombre de victimes. Ils ont appliqué sur le peuple khmer un génocide proportionnellement plus important que celui des nazis, à la différence qu'on peut parler d'auto-génocide puisque c'est leur propre peuple qui en a été victime...
Ils rêvent de reconstituer l'empire angkorien, et l'erreur du nouveau gouvernement est de s'en prendre au régime de Hanoi. En décembre 1978, l'armée vietnamienne envahit le Cambodge et chasse les Khmers rouges de Phnom Penh.
Les vietnamiens installent des cambodgiens au pouvoir, dont Hun Sen un khmer rouge repenti (fastoche). Mais ils ne se débarrassent pas des Khmers rouges, acculés à la frontière thaïlandaise... Ils reprennent la guérilla, pour cela ils vont utiliser un moyen diabolique pour tenter de déstabiliser le nouveau régime : les mines, de fabrication chinoise (ils fabriquent vraiment tout ces chinois), elles sont conçues non pas pour tuer mais pour mutiler. Ils les placent dans les rizières et les champs pour empêcher les paysans de travailler...
C'est le début de la famine et d'un nombre considérable de mutilés, ce qui incite des organisations caritatives à aider le peuple cambodgien (enfin), mais une partie de l'aide (qui passe par la Thaïlande) est détournée par les Khmers rouges.
Le 23 octobre 1991 , les accords de paix sont enfin signés à Paris. La plus importante opération de l'histoire des Nations unies peut commencer pour un budget estimé à 2 milliards de dollars : rétablissement de la paix, retour des réfugiés, mise en place d'un nouveau pouvoir politique, organisation d'élections libres et reconstruction du pays.
Le 24 septembre 1993, Sihanouk redevient roi du pays, 38 ans après avoir abdiqué (ce qui en fait du même coup le plus ancien souverain asiatique), il désigne le prince Ranariddh (son fils) comme premier ministre et Hun Sen comme second ministre. La démocratie est revenue, Sihanouk a retrouvé son trône (ce que tout le monde voulait) et la reconstruction du pays est bien entamée.
En 1998, Hun Sen remporte les élections "démocratiques" et devient Premier ministre. Les Khmers rouges ralliés ont obtenu un poste de député, ceux qui choisissent d'intégrer l'armée gardent leur grade et leurs avantages (bonjour l'ambiance dans les casernes !!) !!! Sihanouk ne peut rien dire, muselé par son premier ministre...
En 2001, le conseil constitutionnel du Cambodge donne son accord pour la création d'un tribunal chargé de juger les Khmers rouges, mais pas tous, certains ont obtenu de Hun Sen, lui-même Khmer rouge repenti, une amnistie pure et simple !!
Le nouveau roi est Norodom Sihamoni, plus jeune fils de Sihanouk, qui abdique de nouveau en 2004.
Finalement, après 30 ans d'attente, le procès des Khmers rouges s'ouvre le 17 février 2009. Cinq personnes se retrouvent sur le banc des accusés, seulement cinq... En effet, l'opposition du gouvernement cambodgien brandit habilement le spectre d'une blessure nationale qui pourrait entraîner le retour de l'instabilité.