Finis la tente, finis le camping ! Les sacs-à-dos allégés nous poursuivons le voyage vers le nord, en direction de l'Altiplano bolivien, des sites Incas péruviens et de l'aventure amazonienne.
Du 1er avril au 8 août 2019
130 jours
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Hé bien nous y-voici, nous y-voilà ! Notre bus en partance d'Humahuaca nous dépose dans le village le plus au nord-ouest de l'Argentine, La Quiaca, et de là nous formons un petit convoi de backpackers en direction du pont-frontière avec la Bolivie. Un flot perpétuel de piétons traverse ce pont, dans un sens comme dans l'autre, et on comprend vite pourquoi. Après s'être fait tamponner nos passeports et après avoir échangé nos pesos argentins en bolivanos, on se retrouve dans une rue commerçante sans fin où les argentins viennent acheter casseroles, télés, chaussures adadas de contrefaçon et autres provisions à prix... boliviens !

En ce qui nous concerne, on cherche à rejoindre la gare routière. Arrivés sur place, c'est-à-dire sur un bout de trottoir sous un genre de hangar, on reprend nos réflexes habituels et on se rend au comptoir prendre des infos. Mais au comptoir il n'y a juste...personne. Aucun espèce d'horaire affiché non plus. Et pour cause, comme on s'en rendra vite compte en Bolivie, dans les gares il y a des "crieurs" qui annoncent des destinations à coups de hurlements ("à La Paz, à La Paaaaaaaz", "Tupiza, Tupizaaaaa") et des bus ou des mini-bus qui attendent d'être remplis avant de partir. Vu comme ça, pas besoin ni d'horaire ni d'employé au guichet !

On n'a besoin de très peu de temps en Bolivie pour se rendre compte qu'on est en Bolivie !

Le premier restau à Tupiza qui nous tord le bide, l'absence totale de supermarché (ici tout se passe dans les étals bruyants et multicolores du mercado central), la négociation des prix à toutes les sauces: du ticket de bus à la chambre d'hôtel en passant par les cahiers et les feuilles de coca. Car oui, l'altitude se fait vite sentir. On manque d'air, on manque d’appétit et on manque d'énergie. Ici tu choisis entre parler, marcher et manger. Jamais les deux ou les trois à la fois ! On adopte donc la coutume locale: infusions de feuilles de coca sensées apaiser et oxygéner.

Et puis il y a l'incroyablissime look des boliviennes ! Petits mocassins, chaussettes remontées jusqu'aux genoux, jupe bouffante ou plissée qui laisse apparaître les beaux bas, pull en laine, tablier à carreaux noué dans le dos, grandes nattes brunes qui tombent dans le dos et se terminent par des p'tits noeuds en feutre et grand chapeau à large bord pour compléter cet accoutrement. En option, le tissu aux motifs et couleurs plus que locaux dans lequel ranger, au choix, un enfant, des provisions ou le stock de marchandises à aller vendre au coin de la rue.

Aucun doute, on est complètement dépaysés et on n'a plus aucun repères... C'est parfait pour donner une nouvelle tonalité au voyage et un nouveau souffle à l'aventure !

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La presque-unique raison qu'ont les touristes d'aller à Tupiza c'est la prolifération d'agences de voyage que l'on y trouve. On s'en fait donc une petite série avant de choisir, payer et signer chez Alexandro Travel. Le principe est assez simple: on s'inscrit sur une liste et on attend que d'autres touristes fassent de même jusqu'à ce que l'on soit quatre ou cinq passagers.

Le dimanche matin on a donc rendez-vous à 7h30 à l'agence. Là, on retrouve Sophie, Etienne et Lucie les trois autres français qui feront office de compagnons de voyage pendant les quatre jours à venir; ainsi que Martha, indispensable à notre survie puisqu'elle sera notre cuisinière attitrée, du p'tit dèj au dîner, en passant par des p'tits goûters, p'tites sucreries de temps en temps etc. et puis, tout aussi indispensable, Roman notre chaufeur-guide et sa jeep rutilante (mais pas flambant neuve!) aux pneus arrières... assez lisses !

L'équipage étant au complet, on embarque sur la piste, prêts à se faire ballotter dans tous les sens en admirant les paysages. Le premier jour on est assez chanceux puisqu'on arrive toujours les premiers sur les sites, ce qui nous laisse une dizaine de minutes pour en profiter tranquille avant l'arrivée des quatre jeeps des autres agences. Après le deuxième arrêt on arrivera systématiquement bon derniers puisqu'une crevaison nous a fait prendre un peu de retard... Bah voilà, les conséquences des pneus lisses ! Mais c'est bien aussi puisqu'on arrive quand les autres partent.

Pour cette première journée on commence par admirer la vallée de Tupiza aux montagnes rouges et vertes, les quelques cactus qui commencent à apparaître dans le paysage, lamas et vicuñas à perte de vue... Dans la voiture on est tous admiratifs des paysages qui défilent, ce qui ne nous empêche pas de faire connaissance et de jouer à "Contact !" pour faire passer le temps. Dans l'après-midi on arrive sur le site de la Ciudad Encantada, soit la "ville enchantée", parce que quelqu'un a décidé que cette étrange formation rocheuse ressemblait à une ville... Mouais. On est moyennement convaincus par les explications, mais on reste néanmoins fascinés par le lieu, on s'y promène tant bien que mal puisqu'on a un peu de mal à respirer à cause de l'altitude avant de se diriger vers la dernière étape de la journée (quel circuit bien rôdé !), le village abandonné et donc en ruine de San Antonio de Lipez.

Sur la route, Roman nous raconte l'histoire de ce village de colons espagnols consanguins où tout était fabriqué en or, jusqu'aux cloches de l'église, puisque construit à proximité d'un gisement d'or. Un conte farfelu où une bolivienne fait flancher tous les hommes du village bien contents d'avoir autre chose à se mettre sous la dent que leur mère ou leur cousine (ouais ouais, ils étaient bien trash au XVII ème !). Selon la légende, un curé malin venu de la ville propose aux voisins "indigènes" d'échanger un beau camion (avec bidons d'essences et d'huile de moteur) contre toutes les richesses dorées du village espagnol décimé. La communauté peut intéressée par l'or se fait donc berner, le curé part avec le moindre chandelier, dent ou pépite d'or qu'il peut trouver pour la ville de Potosi. Et quand les villageois découvrent qu'ils se sont fait avoir, pfiuuuut, plus de curé, plus de cloche dorée ! On a pu apercevoir le camion ayant servi de monnaie d'échange et on vous garantit qu'il faisait très dix-septième siècle...

Après la rapide visite des ruines on remonte dans le 4x4 où, il faut l'avouer, on est un peu à l'étroit. Et c'est parti pour deux heures de bosses, de soubresauts, de virages, de nuages de poussières et de musique à fond. On arrive de nuit à Quetena Chico, parce qu'ici la nuit tombe à 18h30. On pense pouvoir se poser mais... non ! On oublie une étape importante ! Le déficelage méthodique du paquetage du toit sur lequel Roman grimpe. Il défait la bâche et nous passe (ou nous balance !), un par un, nos sacs-à-dos, la cuisine, la bouteille de gaz. On passe ensuite au coffre et on sort des assiettes, une glacière, un carton de victuailles, une nappe, sept verres, une boîte de 30 œufs, un bidon-thermos... On défile un par un dans la cuisine, où s'active déjà Martha, en file indienne et chargés de nos multiples paquets.

Le lendemain matin on a rendez-vous à 7h00 pour l'opération inverse. Chargement, un par un et dans l'ordre, des boîtes, sacs, cartons et autres paquetages qui permettent notre survie dans ce milieu hostile et, il faut bien le dire, désertique.

Pour le deuxième jour de l’expédition, on continue d'écarquiller grand les yeux à chaque étape, bluffés que l'on est par les grandes lagunes encore gelées (c'est haut, fait pas chaud !), les flamants roses qui prennent leur envol et se déplacent super synchros, une laguna blanca qui n'est pas blanche, une laguna verde qui est bleue et une laguna colorada qui, elle, est rouge. Même les geysers du coin, à plus de 5000 mètres d'altitude, sont multicolores: piscine grise, bassin bleu ou marron bouillonnant. L'endroit est mystique et enfumé mais un peu gâché par la présence bruyante de nos amis les touristes. Malheureusement, on passe notre journée parmi une foultitude de jeeps parce que faut pas rêver, toutes les agences font quasi exactement la même chose... D'ailleurs nous avons tous un arrêt obligatoire dans le "désert de Dali" nommé ainsi parce qu'il parait que peut-être l'endroit ressemble un peu, vaguement, de loin, à certains tableaux du peintre surréaliste. Photos, photos, photos ! A notre sens le plus beau ce n'est pas spécialement ce fameux désert mais plutôt ce qu'il y a en face: une montagne multicolore à la frontière du Chili.

Enfin...! c'est une bien belle journée que l'on a passé là, Roman et Martha se détendent et sont de plus en plus blagueurs, jusqu'à notre arrivée fanfaronante à Villa Mar, le mini-village perdu au milieu de rien où on passe la nuit: fenêtres ouvertes, musique à fond, et vas-y que j'agite mon mouchoir pour accompagner les traditionnels airs de Cueca bolivienne !

Au troisième jour de notre road-trip organisé, après le rituel du chargement maintenant bien rodé, on fait un premier stop à la Copa del Mundo. (Je vous laisse essayer de comprendre le pourquoi de ce petit nom avec les photos). Un arrêt et une séance photo qui font apparemment plus plaisir à Roman qu'à nous, puis on poursuit jusqu'à Villa Italia Perdida où on fait de la grimpette dans les énormes cailloux. Wahou ! C'est beau de là-haut !

L'arrêt suivant est au bout d'une piste super étroite où la jeep passe très très près des rochers. Roman nous fait faire une pierapie, une "thérapie du pied" qu'il a inventé pour qu'on se défasse de nos ondes négatives, que l'on laisse tout ça à la pachamama et que l'on reparte plus légers, tout plein d'optimisme et de positif ! L'herbe est toute moelleuse, on croise un bon paquet de lamas, des oies sauvages et tout au bout du chemin, une lagune noire avec poules d'eau et troupeau de canards.

Après un passage au Canyon de l'Anaconda où on ramasse des cristaux de sel qui ressemble trop à des diamants on se dirige vers le clou du spectacle, le moment que l'on attend tous, ce pourquoi la masse de touriste est venue se perdre dans le sud Lipez, le point vers lequel convergent tous les 4x4... J'ai nommé le célébrissime... fantastiquissime... exceptionnellissime... ... SALAR DE UYUNI !

Le salar c'est 12 000 km2 de sel à parfois presque 120 mètres de profondeur, une gigantesque réserve de lithium et, accessoirement, le réservoir de sel de table de toute la Bolivie et le matériau de construction de la région. Mais quand on arrive sur les lieux on est bien loin de toutes ces considérations. On est plutôt époustouflés par la beauté du lieu, sans voix devant le reflet du ciel et des volcans alentours sur le miroir d'eau que forme le salar, éblouis par tant de blancheur et scotchés face au spectacle du coucher de soleil.

S'il ne faisait pas si froid on aurait du mal à quitter ce lieu magique. Mais une fois la nuit tombée il est l'heure pour nous d'aller se mettre au chaud dans notre hôtel de sel, à Puerto Chuvica, où les murs, les sommiers, les tables... absolument tout est fait de sel, jusqu'au sol jonché de cristaux salins. Improbable mais vrai !

Le lendemain on décolle à 6h00 pétante, avec les premières lueurs du jour, pour aller admirer le lever de soleil sur le salar. Tout aussi époustouflant que la veille, on ne se lasse pas de voir les couleurs changer et ce rouge pétant se refléter à l'horizon. Où que l'on regarde on ne sait plus où est le sol, où est le ciel, l'illusion de cet immense miroir étant tellement parfaite.

Après ce petit moment de poésie nous quittons ce lieu où nous étions absolument seuls pour rouler sur le salar et aller faire une ballade sur l'île Incahuasi, un îlot de corail sur lequel ont poussé des cactus, des toilettes et une gargote où acheter son ticket. De là-haut on a une belle vue sur l'immensité blanche et, où que l'on regarde, nos yeux se posent sur une couche de sel.

Pour la dernière étape c'est notre talent de voyajoueurs qui est sollicité: appareil photo en main, on s'amuse pendant des heures à jouer avec les perspectives et faire les lilliputiens au sommet de nos dés !

Et qu'est-ce qu'on a rigolé !

Sur les coups de treize heures, Roman nous dépose dans la rue d'Uyuni qui fait office de gare routière. On ne cherche pas longtemps les fortes voix qui crient "Potosi Potosiiiiii",on négocie nos billets et on grimpe dans le bus en direction de la ville la plus haute de Bolivie, Potosi, qui culmine à 4200 mètres... Nous voilà presque sur le toit des Andes !

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Potosi, qualifiée par le routard de "ville de plus de 100 000 habitants la plus haute du monde", fait remarquable que je ne pouvais pas manquer de citer pour notre Guiness Record personnel, est donc une ville qui culmine à plus de 4 000 mètres d'altitude. Autant dire qu'on se rue vite sur le premier taxi qui passe pour se rendre à l'auberge et s'éviter une désoxygénation dans les rues très très pentues de la ville. Manque de bol, on est en pleine semaine sainte et notre voiture se retrouve bien vite coincée entre trois marchands ambulants, deux bus et une immense procession. L'occasion de prendre notre premier cours de conduite et de code de la route bolivien: suffit de klaxonner, de faire le bourrin, de créer une troisième file là où elle n'existe pas, d'insulter les gens garés, les chauffeurs de bus, les piétons et de serrer les fesses aux croisements, même si concrètement, ça sert à rien... Impossible pour le grand-père taximan de nous emmener jusqu'à la calle Junin, d'ailleurs, il sait même pas exactement laquelle c'est. On finit donc à pied, et bien qu'on ai hâte d'arriver, on prend le temps de faire "oooh" devant l'imposante cathédrale, "aaaaah" en traversant la jolie place principale, "oooaaaah" en prenant les mini-ruelles aux allures presque médiévales et "oufff" quand enfin on aperçoit l'enseigne du Koala Den, hostel où nous avons élu domicile.

Bien que l'altitude tape fort sur la tête d'Antho, au point de lui couper l’appétit (si si, c'est possible !) et de le vider de son énergie, le lendemain on déambule dans Potosi, à la recherche des rues pas trop en pente. Il nous faut parfois slalomer dans les foules denses des croyants, leur écraser un peu les pieds pour pouvoir passer, se faire engueuler quand malencontreusement, parce qu'on est un peu trop grands, on cache le spectacle d'un mec torse nu jouant Jésus, traînant une croix et se faisant fouetter pour de faux par des cavaliers déguisés en Romains... Décidément, que l'on soit en Espagne où en Amérique du sud, l'ambiance des processions est toujours aussi pesante et glauque.

Enfin on arrive quand même, en ce jeudi saint, à se glisser jusqu'en haut d'un mirador qui nous permet de prendre un peu de hauteur et d'admirer la vue sur la ville. Et même, on assiste à une visite guidée en français de la Casa de la Moneda, là où étaient fabriquées les pièces boliviennes jusqu'à ce que l'endroit devienne un musée. On prend donc toute la mesure de la richesse historique de Potosi, ville minière pillée par les espagnols où le colonialisme et l'esclavagisme ont battu leur plein pendant des siècles, jusqu'à ce que la Bolivie prenne son indépendance et que les ressources s'épuisent.

Depuis Potosi on prend un bus pour Sucre, la capitale constitutionnelle de la Bolivie, classée au Patrimoine mondial de l'Unesco, et oui m'ssieurs dames ! La ville a changé quatre fois de nom jusqu'à prendre celui de Sucre (prononcer Soucré) non pas pour que tous les francophones de passage fassent des jeux de mots pourris mais bien pour honorer le Général Antonio José de Sucre qui a, entre autre, signé la Déclaration d'Indépendance de la Bolivie, qui fait 6 pages et que l'on peut voir à la Casa de la Libertad, sur la place principale de la ville.

A Sucre le temps passe vite, très vite, surtout qu'on n'y fait pas grand chose d'autre que de profiter du jardin de l'auberge et du centre ville tranquille. Chaque jour, une voire deux voire trois visites au marché sont obligatoires. Un coup pour aller y boire un jus de mangue-ananas pressé, un autre pour aller se chercher une cuillère de riz, deux avocats, une carotte... Si on voulait, on pourrait même acheter une cuisse de poulet qui a jamais été mise au frais, une côte de porc ayant subit le même sort, un gâteau coloré plein de crème, une gousse d'ail, une branche d'aloe vera, un bout de fromage, des Fleurs de Jamaïque et autres fruits exotiques jamais vus, une paire de lunettes de vue, une carte SD, un rouleau de PQ, un tube de dentifrice, des poupées, des bougies, des petites, moyennes et grosses marmites. Le tout étant de se repérer dans le dédale des allées !

Le dimanche c'est passage obligatoire par Tarabuco, village à 60 km de la ville, et son marché. Très réputé des locaux qui viennent de tous les villages alentours vendre leur poncho en échange de sandales en pneus ou de bonnets tissés aux motifs lamas. Antho se prend pour l'un des leurs et a à cœur d'aller discuter avec chaque marchand de tissus, traditionnels ou attrape-touristes, pour tenter de dénicher le poncho de ses rêves. Car oui, malheureusement (pour moi), Anthony a un rêve bolivien et ce rêve-là s'appelle "Poncho". Et c'est tout au bout d'une ruelle, après des heures de marchandage, qu'il finit par dénicher son nouveau compagnon de route, 100% (enfin peut-être...) en poil d'alpaga, avec capuche et petites ficelles pour ajuster le col, tout doux et tout gris. I-DE-AL pour ne plus être discret du tout dans les rues de la capitale !

Le vendredi 26 avril il est temps pour nous de sortir de notre douce torpeur, de chausser les chaussures de rando, de préparer nos petits sacs-à-dos et de retrouver les quatre copains français de l'auberge pour partir à l'assaut de la randonnée des villages Jalq'a. A Chataquila nous attend un immense escalier qui descend sur 2,5 km et a la particularité d'exister depuis - 1470 avant JC et d'avoir servi jusqu'en 1540. Il fait donc partie du chemin de l'Inca qui traverse sur des milliers de kilomètres l'ancien royaume du même nom. On s'étonne tous de devoir commencer une rando par de la descente, et quantité de genoux en prennent un coup.

Après avoir marché 16 Km à travers les montagnes colorées, qui passent du vert au violet sans prévenir, on arrive à Maragua, village étape perdu au milieu de rien. Dans la journée on aura croisé deux petits vieux qui nous font payer un droit de passage sur leurs terres, dont une mamie, toute seule dans sa cabane en plein vent qui n'a l'air de connaitre que deux mots d'espagnols: "diez bolivianos". Pour le reste, c'est un long dialogue de sourd qui s'entame, elle nous parlant à toute vitesse en quechua et nous balbutiant quelques mots en castellano.

Le mini-village où l'on fait étape est au milieu d'une plaine, entouré de montagnes toutes différentes et plus belles les unes que les autres. La carte mentionne le "cratère de Maragua", on s'attend tous à dormir au cœur d'un volcan, mais c'est plutôt un coup de marketing touristique: de très loin la vallée pourrait peut-être éventuellement faire penser à un cratère... Quelques habitants nous attendent à l'entrée du village pour nous proposer leurs hébergements pour la nuit, on négocie repas-nuit-petit-déjeuner, on pose nos sacs et on va voir la Garganta del Diablo. C'est la quinzième depuis le début du voyage et celle-ci est une "petite" cascade de 40 mètres de haut encastrée dans un très bel endroit. Après avoir vu les lieux on rentre vite se mettre à l'abris et, en moins de temps qu'il n'en faut pour le lire, un énorme orage éclate et tourne pendant des heures autours de Maragua, coupure d'électricité et éclairs majestueux à l'appui !

Le lendemain matin, malgré les courbatures et les genoux amochés, il nous faut repartir en direction de Niñu Mayu, où nous attendent des traces de pas de dinosaures. Wahooooou ! On s'attend tous à un truc spectaculaire, et heu...on est donc tous assez déçus de voir des mini-traces incrustées dans une plaque rocheuse. Franchement, n'importe qui aurait pu inventer le fait qu'elles appartiennent à des dinosaures pour donner une bonne raison aux touristes de venir. Mais bon, on décide d'y croire, on compare la pointure de nos chaussures à celle des empreintes (y'a pas à dire, les dinos gagnent !) et on poursuit notre route en oubliant même de prendre une photo pour immortaliser le spectacle.

Un promeneur nous indique le chemin, ou plutôt la vague direction à suivre: "par là-bas, en haut de la montagne"... Au détour d'une crevasse nous attend une petite vieille qui nous demande du paracétamol, Anthony ne résistant pas à son charme lui achète un bracelet tissé à la main (ça sera stylé avec le poncho en alpaga !) et on retombe presque par magie sur le chemin. On croise une quantité d'engins de chantier et de mecs qui s'activent (ou pas) à côté, grignotant un peu de la montagne pour combler le vide des fossés et damant la toute nouvelle route. Pour certains on est à 20 minutes de Potolo. Pour d'autres à 45. Pour untel il nous reste une heure et demie de marche. Pour le monsieur qui coure derrière ses ânes, moins d'une heure... Evidemment, on marche au moins deux heures et demie avant d'arriver à Potolo, mais le paysage est à couper le souffle ! On ne sait plus où donner de la tête tellement partout c'est beau, on a du mal à ne pas se retourner tous les cinquante mètres pour admirer le panorama derrière nous et chaque virage est une surprise pour le regard.

Bien que ça tire dans les cuisses, on n'est pas déçus de cette ballade de deux jours et on s'engouffre dans un bus cahotant où tous les locaux nous dévisagent. C'est partis pour trois heures de tape-cul où on se retient de regarder par la fenêtre parce que le ravin à cinquante centimètres des rues est vraiment, vraiment très profond; à ne rien comprendre aux conversations en quechua des petits vieux qui nous entoure même s'il est évident qu'ils parlent de nous et de nos curieux yeux bleus et, enfin ! on est de retour à Sucre.

Une bonne douche, un bon restau, une bonne nuit de sommeil, un dernier dimanche à se la couler douce entre le marché et le jardin et Hop ! on s'embarque pour douze heures de bus direction La Paz.

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Et nous voici nous voilà dans la capitale bolivienne ! La ville est immense, impossible d'en distinguer le début ou la fin... Et n'allez surtout pas croire que les pics andins enneigés pourrait en stopper l'expansion: des habitations sont construites dans les moindres recoins de la vallée, quitte à ce que certaines s'écroulent de temps en temps.

Les premiers jours, on reste fascinés par cette ville tentaculaire en même temps qu'essoufflés par la plus minime des ballades, puisqu'il est absolument impossible de faire plus de 200 mètres sur du plat à La Paz. Et quand c'est pas plat et ben p*%*$ de b§!!**ù de m%^*! qu'est-ce que ça monte ! Même les marches des escaliers dans les rues sont en pente ! Pfiiiu... Du coup, pour s'économiser les poumons on opte pour l'option téléphérique. Soit le mode de transport paceño qui remplace habilement le métro avec ses 10 lignes et qui nous permet de faire le tour de la ville et de la contempler, moitié-fascinés moitié-horrifiés, depuis le ciel.

Heureusement pour nous, la ville a su préserver de l'agitation quelques ruelles résistant encore et toujours à l'envahisseur... Petits musées qui nous laissent bouches bées tellement ils sont désordonnés et inintéressants, petits vieux qui se prennent des bains de soleil, galeries d'art, magasins d'artisanats; le tout débouchant sur la place aux milles pigeons où se côtoient, soudainement, ancien et nouveau monde. Il n'y a qu'à voir "l'habile" assemblage de cette vieille église avec cet immense immeuble beaucoup trop moderne pour le quartier. Ou encore, symbole de la rébellion du sud envers le nord, l'horloge inversée, à l'image de la rotation des aiguilles dans l'hémisphère sud, contre la marche du temps imposée par le nord. Pour ceux qui n'auraient pas tout bien compris, comme moi au début, les chiffres sur l'horloge sont dans l'ordre 12, 11, 10... 3, 2, 1 mais l'heure indiquée reste la bonne. Subtile, hein ?

Enfin... La Paz, c'est aussi un bouillonnement perpétuel (sauf le 1er mai !) de gens qui bossent, de gens qui bossent pas, de marchands ambulants, de cireurs de chaussures, d'enfants qui vont à l'école en uniforme, suivis par leurs parents en costard qui les pressent, de grévistes, et de vendeurs de parapluie les jours de pluie... Et c'est encore un ballet incessant de minibus qui coupent la route aux piétons, de taxis fous furieux qui klaxonnent les passants qui traversent une rue, l'angoisse à chaque passage piéton, des pots d'échappements qui puent et qui fument. Ambiance mégalopole assurée !

Après un chouette passage au Musée de l'Ethnographie et du Folklore, pour le coup intéressant et bien foutu, où on a pu observer l'évolution du bonnet à travers les âges (c’est même pas une blague !) ou encore les différents masques utilisés dans les différentes régions de Bolivie pour les fêtes et carnavals, on se rend au touristique mais célèbre marché des sorcières de La Paz. Là, dans la calle de las brujas, quelques boutiques en rang d'oignons vendent amulettes, potions magiques, fœtus de lamas (nan nan, c'est pas des peluches qui pendouillent du plafond), herbes médicinales et autres bizarreries. Le reste des commerces de la rue se consacre à la vente de souvenirs boliviens authentiques et pas du tout faits en série. Étrange, mais sympathique endroit pour qui aime flâner et faire les boutiques !

Les jeudis et dimanches c'est jour de marché à El Alto qui, comme son nom l'indique, est la ville sur les hauteurs de La Paz et qui est, comme son nom ne l'indique pas, le plus grand marché de plein air d'Amérique du Sud ! Et oui m'sieurs dames ! Et comme c'est le plus grand (vraiment très très impressionnant), on y trouve encore plus de tout que d'habitude. Le proverbe dit qu'on peut y acheter d'une aiguille à une voiture. Nous rajoutons: à condition de savoir où chercher ! Le marché est organisé par zones et si on s'engouffre dans la mauvaise on peut déambuler pendant une heure parmi les étals de pièces détachées de voitures et de boîtes à outils... Impossible, donc, de dresser une liste exhaustive de toutes les curiosités qu'on aurait pu s'y procurer, mais pour son ampleur et son ambiance, la ballade valait le détour !

Et voici venu le moment fatidique de vous raconter les deux plus longues heures de notre voyage. Oui oui, plus longues que deux heures assis par terre dans un camion qui nous aurait pris en stop, ou plus longues que deux heures d'attentes à la douane, dix kilomètres avant la ligne d'arrivée. Plus longues encore qu'une nuit d'indigestion à faire des aller-retours aux toilettes pour y vomir ses tripes ou que deux heures à sur la place du village paumé de Cochrane à se demander ce qu'on allait bien pouvoir faire de nous-mêmes puisque Angélica nous avait magistralement plantés (et tous ces épisodes sont malheureusement véridiques !).

A l'origine de cette petite erreur de parcours, donc, il y a les nombreux articles de blogs et de guides de voyage que j'ai lu et qui parlaient des combats de cholitas. L'idée de voir des nanas en costumes traditionnels se battre sur un ring pour prouver aux mecs que elles aussi elles sont cap d'abord ! m'a tout de suite emballée, voire fascinée ! Et étant donné ma fixette, impossible pour Antho d'esquiver l'attraction normalement pas trop touristique des Cholitas Wrestling. Tout d'abord, qui sont les cholitas ? Et bien ce sont toutes ces madames qui au lieu de porter jeans et sweatshirt comme toutes les jeunettes de Bolivie continuent de porter quatre jupes l'une sur l'autre, un pull en laine assorti, deux grandes nattes et un chapeau.

Très bien, mais et alors ? me direz-vous. Et bien un jour, un businessman malin a décidé de faire participer ces demoiselles aux déjà populaires combats de catch. Engouement instantané, succès assuré, l'idée est devenue un concept et le concept une attraction touristique. On se mêle donc à une foule de gringos, pop-corn et cocas en main pour assister effarés à des combats de catch mal joués (mais peut-être que c'est normal ?), gênants, absurdes, répétitifs, basés sur des ressorts un peu trop vus et revus avec de grands grands moments de solitude pour eux comme pour nous.

Assez amusant, cependant, d'observer les yeux des spectateurs s'arrondir et ne pas en revenir, les visages s'allonger, certains se prendre au jeu et hurler "Pé-pi-ta ! Pé-pi-ta !" pour encourager leur cholita et d'autres, garder un visage fermé et interrogateur tout le long du show. Et quel show ! Je crois que les deux vidéos ci-dessous illustrent assez bien le malaise ambiant... Qui a eu l'idée de venir ici déjà ? Hein ?! Ah, ouais... Bon ben... je sors, alors !

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Afin de s'échapper un peu de la pollution et du bouillonnement de La Paz on décide d'aller passer un peu de temps dans la région des Yungas, l'entrée de la jungle amazonienne en Bolivie. Il nous faut d'abord serrer les fesses très fort dans les virages de la "route de la mort". Déjà, parce qu'elle s'appelle la route de la mort (et que c'est pas pour rien), parce qu'elle n'est qu'une multitude de virages au bord d'immenses falaises, et ensuite parce que notre chauffeur est un chauffard et qu'il roule, double et fonce n'importe où, n'importe comment et n'importe quand. Mais le chemin est spectaculaire ! On prend la route bien au dessus des nuages, à 3 640 mètres d'altitude, pour ensuite traverser la brume et, à la sortie de la masse nuageuse, découvrir une végétation tropicale où les bananiers plient sous le poids des énormes régimes de bananes qui y pendouillent. On perd environ 2 500 mètres de dénivelé avant d'arriver, par un tronçon de route pavée qui fait mal aux fesses, à Coroico qui culmine à 1 100 mètres. Rien que ça ! La plupart des touristes font le trajet à vélo (bande de malades !) mais nous, on préfère le risque de la conduite bolivienne à celui de l'adrénaline cycliste... Question de principe.

Donc en a peine trois heures de retournement d'estomac nous avons la bonne surprise d'arriver vivants et sous une chaleur torride à Coroico. On s'attendait à un village, c'est plutôt une petite ville perchée sur une montagne où nous attaquent instantanément des espèces de petites mouches jaunes qui piquent avec autant de ferveur que des moustiques. On se lance quand même dans une ballade jusqu'au calvaire (qui porte très bien son nom), à 14h, par 58°C, 83% d'humidité et pas un souffle d'air, évidemment. Heureusement que le point de vue vaut le coup, parce que la route est jonchée de détritus (humains) et de plantes qui puent.

On décide de passer la nuit au refuge d'animaux La Senda Verde. Mais quelle drôle d'idée nous avons eu là ! Autant leur site internet est vendeur autant les cinq premières minutes nous donnent envie de fuir. En effet, on nous fait entrer dans un enclos humain duquel on ne sortira que le lendemain matin... On est venus attirés par la possibilité de dormir dans une cabane dans les arbres. Manque de pot, elle est occupée, ne nous reste que la formule "Eco Hut" à côté des oiseaux.

Ici les animaux sont rois et vivent chacun dans leurs enclos, exceptés les singes desquels on se protège grâce à notre enclos. Première surprise pour nous, petits naïfs, aucun de ses animaux ne vient du coin. Ils ont tous été arrachés à un trafic d'animaux dont ils étaient victimes et amenés dans ce refuge parce qu'il n'y en a pas beaucoup d'autres en Bolivie. Aucun des animaux n'étant dans son environnement naturel, ils ne peuvent pas se reproduire. Une loi bolivienne interdirait la réintroduction des animaux, ils sont donc tous là pour "une fin de vie digne", comme on nous l'explique bien gentiment. Comme on l'apprendra également pendant la visite, leurs histoires sont tristes. Le problème, en fait, c'est que l'on apprend pas grand chose d'autre. A part que le Capi Vara s'appelle Capi et que le daim s'appelle Bambino, et que leurs histoire sont triistes, triiistes comme des frigos vides on reste assez déçus de l'expérience. Mais quand même, on a pu voir un tapir, des singes araignées, hurleurs, écureuils ou encore capucins; des aras jaunes et bleus, des aras rouges et bleus, des serpents, des toucans, un caïman, des centaines de tortues... Et puis on a eu me privilège de se faire réveiller à 6h00 du mat' par les perruches et aras de la volière juste derrière. Alors, qui dit mieux ?!

Allez... il est l'heure pour nous de retenter l'expérience de la route de la mort, il fait décidément trop chaud à Coroico ! On rentre à La Paz se taper une indigestion à cause d'un tiramisu pas frais qui nous clouera chacun un jour au lit, mais attention pas le même jour (pour qu'on puisse s'occuper l'un de l'autre peut-être ?) avant de filer pour Copacabana et son lac au nom le plus drôle du monde, Titicaca !

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On prend la route en ce lundi 6 mai, un peu barbouillés mais bien décidés à oublier notre dernière mésaventure culinaire. On slalome parmi les paceños qui vont à l'école, à la fac ou au boulot pour sauter dans un taxi qui prend tous les raccourcis imaginables et circule avec aisance dans les embouteillages pour nous déposer au Cementerio general, d'où partent les bus pour Copacabana. A peine la porte du taxi entrouverte que trois personnes nous sautent dessus "A Copa, à Copacabana amiga, te hago buen precio amiga, son 30 bolivianos amiga", j'entends en stéréo le même discours auprès d'Antho "A Copa amigo, 20 bolivianos en bus, sale ya". On se consulte du regard et on fait le point : à gauche, mini-van, 14 personnes, après nous il manque trois passagers et on part, 30 boli. A droite vieux et gros bus, part dans 10 minutes, 15 boli. En face, mini-bus, 20 personnes, 20 boli, ne sait pas quand il part.

Le choix est vite fait: dans le bus on a trop de possibilités d'avoir des nausées au premier virage, de s'arrêter à chaque croisement pour prendre ou déposer des passagers et donc d'arriver 4 heures après tout le monde. On mise donc sur le cheval de gauche, mini-van presque plein, on paie nos tickets, on charge les sacs sur le toit et on attend patiemment que le véhicule se remplisse. Une vingtaine de minutes plus tard, les portes se ferment et le bus se lance à toute berzingue dans les rues pentues et sinueuses de La Paz. Il nous faut au moins une heure pour sortir de la ville d'El Alto et laisser derrière nous pollution, misère, bidonvilles, cochons qui font les poubelles au bord des routes et trafic de dingue. On découvre alors avec bonheur que la route est 1) asphaltée et 2) droite. Toute droite !

Parfait pour profiter du paysage avec moins de secousses et sans avoir à surveiller que le chauffeur ne double pas en montée, en plein virage et dans la brume (comme si le surveiller pouvait y changer quelque chose). Et quel paysage ! Après quelques kilomètres on est au bord du lac Titicaca, enfin, au bord d'une immense étendue d'eau que l'on sait être le Titicaca mais dont on ne voit pas la rive opposée. Petits hameaux de bord de route, bœufs au travail dans les champs, vaches qui broutent tranquillement et quelques champs de culture de-ci de-là. A gauche, des collines puis le lac, à droite des plaines puis des montagnes enneigées. On n'est pas mécontents d'avoir quitté la capitale !

Quelques heures plus tard le bus s'arrête au bord du lac, sans crier gare, et tous les passagers descendent du bus d'un pas décidé. Hein ? Personne n'a pensé à nous prévenir, mais le bus prend un petit raccourci et va emprunter un bac plutôt que de contourner tout le Titicaca. Un passager nous prend en charge et nous invite à le suivre quand il voit nos airs égarés. On monte tous dans un petit bateau pour trois minutes de navigation et, une fois sur l'autre rive, on attend que notre véhicule traverse lui aussi, récupère tous les passagers et nous mène 40 kilomètres plus loin, à Copacabana. On y arrive le troisième et dernier jour de la fête de la Cruz.

Dans le centre de cette petite ville balnéaire, donc, quelques fanfares suivis par des gens complètement saouls qui tentent de danser en rythme, une forte odeur d'urine, des yeux vitreux qui nous fixent de manière assez flippante pendant qu'on les fixe de nos yeux écarquillés un peu écœurés, un parfum ambiant de friture et d’égout mélangés, sur le "front de mer" du lac, là où s'alignent les petits kiosques où manger des truites grillées, différents groupes ont installé des scènes et se dandinent mollement devant fanfares et groupes de musique, le tout dans une belle cacophonie, ça et là des mecs bourrés qui, par miracle, ne se pissent pas dessus, des cholitas qui manquent de s’effondrer au moindre mouvement... Bref, l'accueil est aussi sympathique qu'un dimanche soir de feria, il ne reste que la crème de la crème et le public est tout sauf chaleureux. Cette drôle d'arrivée ne nous empêche pas de se trouver une chambre où dormir, un endroit où manger, d'aller se balader au bord du lac et d'aller traîner du côté de l'imposante cathédrale.

Un bâtiment blanc étonnamment grand pour la taille de la ville, qui en jette pas mal avec ses mosaïques et ses différents clochers. Mais le clou du spectacle se passe devant l'église, où sont garées en file indienne des voitures ornées de pétales et de couronnes de fleurs, capot ouvert. Mais pourquoi donc ? Mais enfin, pour que les familles rassemblées dans la prière puisse assister à la bénédiction de la voiture par le prêtre du village ! Et oui... vous avez bien lu. On vient de toute la Bolivie et de tout le Pérou faire baptiser sa bagnole chez sainte Copacabana. Ensuite, évidemment, on arrose ça d'une bonne bière, on se fait un selfie avec le prêtre et roule ma poule !

Las de toute cette agitation, dès le lendemain matin on file au port se trouver un bateau pour embarquer pour l'Isla del Sol, l'île du soleil, là où, selon les Incas, le soleil serait né. (Rien que ça). L'île est minuscule au milieu de ce lac de 8 000 km² mais dès les premiers instants on en ressent le calme et la sérénité. Il nous faut d'abord affronter l'escalier de la mort inca, où s'essouffle tout un chacun. Déjà, il est raide. Ensuite, il est long. Et enfin, on est à 4000 mètres d'altitude et l'oxygène se fait rare. On avance tant bien que mal, marche après marche, tout en se faisant doubler par des ânes chargés comme des mules (aucune véhicule à moteur ne s'est aventuré sur l'île !) et des enfants aussi rouges et essoufflés que nous mais bien plus rapides et parfois tout aussi chargés. Et après l'effort le réconfort ! Il ne nous reste plus qu'à aller se promener et errer sur les chemins, sans toutefois trop s'aventurer dans la partie nord de l'île où on risquerait de se faire zigouiller puisque depuis un conflit inexpliqué (sujet tabou) les touristes ne sont plus vraiment les bienvenus.

Enfin, on a deux petites heures de marche devant nous pour aller explorer l'île, profiter de son calme et de la vue splendide. On se perche sur un mirador à 4100 mètres pour aller voir le coucher de soleil, de notre terrasse on peut admirer le lever de soleil, quelques criques, une forêt, une ruine inca ,des légendes sur une cité enfouie sous le lac, une virée sur la voisine Isla de la Luna, des truites à la plancha, des jus de fruits pressés... Quoi de mieux pour dire au revoir à la Bolivie que ces deux nuits sur l'Isla del Sol ? Dommage que notre visa de trente jours soit sur le point d'expirer, on serait bien restés quelques temps en compagnie du soleil au milieu du lac.

Rappelons quand même, pour notre liste de records personnels, qu'après avoir traversé le plus grand désert de sel du monde (Uyuni), être passé par la ville de plus 100 000 habitants la plus haute du monde (Potosi), avoir séjourné dans la capitale la plus haute du monde (La Paz), nous avons aussi navigué sur le lac navigable le plus haut du monde (Titicaca) qui est aussi le plus grand lac d'eau douce d'Amérique du sud.

Pas étonnant donc qu'en Bolivie, ce pays de traditions, l'on vive en permanence au dessus des nuages, toujours à plus de 3 000 mètres, entre altiplano et sommets enneigés ! On n'y sera pas resté très longtemps mais les gens se sont montrés curieux et sympathiques dès que l'on engageait un peu la conversation et le dépaysement a été fort dans les communautés quechua et aymaras. On peut dire que dans ce pays l'organisation est aussi bien gérée que la circulation routière, c'est-à-dire dans le chaos et qu'ici rien n'est jamais certain mais que tout se négocie à tout va !

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"La lune a oublié d'emporter la ville quand elle s'est séparée de la terre" disent les arequipeños. Quoi de mieux que cette entrée en matière kitshissime, empruntée au Guide du Routard, pour introduire "Arequipa la blanche"? Et oui, cette ville a un nom digne d'un grand chef indien, et elle le mérite bien !

Nos petits cœurs d'européens en mal de vieilles pierres et de ruelles moyen-âgeuses bondissent de joie lors de nos promenades dans le centre historique de la ville où rivalisent églises, monastères, cathédrales et autres bâtiments cathos légués par ces colons d'espagnols. Mais au delà des constructions en sillar, la pierre volcanique blanche de la région, il y a dans le centre ville tout plein de cafés, de petits magasins sympas, des centres culturels plein de bonnes et mauvaises surprises, des terrasses où aller siroter un pisco sour, la boisson nationale, en profitant du coucher de soleil puis de la nuit sur la ville (facile, celle-ci tombe vers 18h00), des jolies places, des séances de cinéma à l'Alliance française, une crêperie où aller faire nos français en buvant un cidre péruvien, un hyper-super-bon restaurant où les viandes sont cuites à la pierre volcanique et où la serveuse nous donne son nom en début de service et se comporte comme une vraie hôtesse avec nous, les routards pouilleux de retour de rando. Il y a même un musée où on peut aller voir Juanita, une momie d'enfant inca sacrifiée pour éviter les éruptions volcaniques. Ça peut paraître un peu cruel, mais tout un tas de corps d'enfants sacrés ont été retrouvés enterrés dans les montagnes tout aussi sacrées du Royaume Inca, et Juanita est la plus vieille d'entre eux (500 ans tout de même).

Si le centre ville, joli et tranquille, est assez petit, la ville, elle, parait immense quand on la contemple depuis un mirador. Et surtout, elle est dominée par trois volcans un-peu-beaucoup-très-proches dont les noms valent le détour: le Chachani, le Misti et le Picchu-Picchu et dont les sommets enneigés nous rappellent que tout de même, on est encore en altitude bien qu'on ne soit "qu'à" 2300 mètres.

Bref, on a aimé Arequipa, sa douceur de vivre, sa tranquillité et ses glaces artisanales (les bières, elles, étaient bof-bof, malheureusement pour Anthony).

Pendant ces dix jours, on consacre tout de même une matinée à la star du centre ville: le Monasterio de Santa Catalina. Le couvent est une véritable ville dans la ville, protégée par d'immenses murs derrière lesquels les jeunes filles de bonne famille (riche, la famille) étaient obligées de passer leurs vies mais où elles déambulaient dans les ruelles aux doux noms andalous, faisaient du troc de broderie sur les placettes, faisaient laver leur linge par leurs servantes-esclaves au lavoir, se promenaient dans les cloîtres... Elles se sont succédé, de 1579 à 1970 dans les cellules individuelles de novices puis carrément dans leurs maisons individuelles, l'église à portée de main, les constructions, réparations et emménagement étant à la charge des familles restées dans la vie réelle. Et on apprécie encore aujourd'hui leurs goûts en matière de peinture puisque les ocres, jaunes, rouges et bleus pétants viennent mettre un peu de beauté dans cet endroit austère.

Motivés comme jamais, on se jette dans un bus pour parcourir les 250 kilomètres (et, horreur, sept heures de trajet !) qui nous séparent de Cabanaconde. C'est de ce petit village que l'on démarre une rando de trois jours qui nous mène dès le premier jour dans les entrailles du Canyon del Colca. Et attention, accrochez-vous, celui-ci est le deuxième canyon le plus profond... du monde ! Mais oui, mais oui, rien que ça.

On est récompensés de la douloureuse descente par une fin d'après-midi dans les thermes à 38°C de Llahuar. On y barbote jusqu'à avoir trop chaud, aller se tremper dans la rivière glacée à quelques pas de là puis retourner en courant dans l'eau bouillante. Idéal pour se délasser ! Le deuxième jour on reprend un peu de hauteur pour longer le canyon sur 10 kilomètres, on passe au-dessus d'une oasis, on traverse les villages de Malata et de Cosñirhua avant de redescendre sur San Juan de Chuccho où l'on passe l'aprem à jouer aux cartes avec d'autres randonneurs. Et le repos est nécessaire car dès le lendemain, 6h00, on se lance dans l'ascension du canyon. Plus de quatre heures et mille mètres de dénivelé positifs nous attendent, chaque virage est un mystère: il finira quand ce chemin sinueux et raide comme tout ? Vertige assuré, mais la récompense est là puisque quelques Condors des Andes viennent nous narguer et planer au dessus de nos têtes.

Il faut dire que les volatiles mesurent jusqu'à 3 mètres d'envergure et qu'entendre le battement de leurs ailes et le sifflement de l'air quand ils nous survolent, ça fait quelque chose. On côtoie ces oiseaux depuis nos premières randos patagoniennes, à l'extrême sud de la Cordillère, mais on n'avait encore jamais eu l'occasion de les voir de si près et de les regarder nous regarder.

Après toutes ces émotions, il ne nous reste plus qu'à rentrer à Arequipa pour une bonne douche, une bonne bouffe et, une fois les courbatures disparues, repartir sur les traces des incas, en direction de Cuzco, leur mythique capitale.

8

Si Cuzco fut en son temps la capitale de l'empire Inca, elle est aujourd'hui sans conteste la capitale péruvienne du tourisme. Difficile de faire trois pas sans se faire proposer, dans le désordre, une manucure, une excursion au Machu Picchu, des bracelets en macramé, un massage, de la coke, un tour à la Rainbow Mountain , des bonnets péruviens, de l'herbe, des portes-clés lamas en plastique, ou une visite guidée de la ville gratuite jusqu'au moment où elle devient payante. Mais si on arrive à faire abstraction de tout ça et à garder le sourire en disant "no, gracias" à tout bout de champs, il faut admettre que la ville est impressionnante ! Des fondations incas (ces gros blocs de pierre taillés et superposés comme des pièces de puzzle) sur lesquelles les colons ont rajouté leur petite touche hispanisante... Ça donne des églises et des bâtiments religieux à tous les coins de rues, des petites places mignonnes ornées de fontaines, des patios surprenants, de belles cours intérieures, des ruelles pavées et plein de petits passages secrets et d'escaliers en pierre pour passer d'une colline à l'autre et d'un quartier à l'autre.

On passe donc pas mal de temps à déambuler dans les rues du centre ville et à tenter de s'éloigner des places principales, un peu trop vitrines touristiques, sans tomber dans le glauque et le délabré. Tout un défi ! Et puis Cusco étant le carrefour de tous les voyageurs, on y retrouve par hasard (ou pas) un certain nombre d'anciens compagnons de route avec qui on va boire des verres tout en dissertant sur nos voyages et sur le Pérou. C'est l'occasion aussi de tester la spécialité culinaire locale, non sans un peu de réticence... le cuy al horno soit le cochon d'inde au four. Et de se rafraîchir avec de bonnes glaces artisanales !

Le dimanche, c’est le traditionnel jour de marché. On s'embarque donc dans une voiture-taxi-transport-privé au chauffeur à priori fan de rallye (mais ça, évidemment, on s'en rend compte trop tard) pour le village de Pisac. On est obligé de lui demander de ralentir la cadence pour ne pas vomir sur ses beaux sièges en cuir pendant la quarantaine de minutes sur cette route de montagne très très sinueuse.

Bref, à Pisac est concentré une bonne partie des artisans qui travaillent l'argent extrait des montagnes alentours. Un prétexte parfait pour flâner dans les étals, marchander, comparer les prix et finalement trouver le bracelet que poursuivait Anthony dans ses rêves les plus fous et des boucles d'oreilles qui n'étaient dans aucun rêve mais tant qu'à y être, hein ? C'est qu'on négocie plus facilement si on achète plusieurs articles...! Et puis là, c'est authentique. Le village est assez petit, entouré de montagnes, le centre est entièrement piéton, les gens du coin en profite pour se donner les dernières nouvelles de la semaine, quand ils ne s'endorment pas sur leurs stands de légumes ou d'artisanat made in china. Mine de rien, ça fait du bien de sortir de la ferveur de Cusco et de s'éloigner de son agitation pour aller écouter la fanfare de flûte de pan de l'école de Pisac !

Bon et puis... C'est bien beau de se tourner les pouces, de boire des jus de fruits au marché et de faire du shopping, mais il ne faudrait quand même pas passer à côté de la célèbre (depuis qu'elle a été découverte, il y a cinq ans) Rainbow Mountain ou Montaña de siete colores ou encore la montagne aux sept couleurs. Pour se faire, un minibus vient faire la tournée des hostels entre 4h00 et 4h30 du matin. Et bien aussi incroyable que cela puisse paraître, même si cette heure de réveil fait mal, voire très mal, les touristes se jettent sur l'occasion d'aller se faire ballotter pendant trois heures, de nuit, sur une route pourrie dans un minibus douteux. On est cons hein ?!

Après une pause petit-dèj, super briefing du "guide" qui nous apprend que nous et les trois autres minibus on est le groupe "Los amigos de la naturaleza" et que notre cri de rassemblement c'est "Ahou, ahou, ahou !" (et tout ceci est aussi véridique que nos têtes de trois pieds de long pendant ce moment fédérateur et très instructif), on arrive enfin, à 9h30, au pied de la montagne. On s'empresse de larguer le grand et lent groupe pour faire notre vie et partir devant. La principale difficulté de l'ascension n'est pas dans son dénivelé, d'environ 500 mètres, mais plutôt dans le fait qu'on est en altitude, que l'oxygène manque et que le corps n'est pas dans des conditions optimales pour réaliser un effort physique. Antho, frais comme un gardon, grimpe ça comme s'il s'agissait d'une simple ballade sur les bords de la Garonne, il se vante même de n'avoir pas une trace de sueur à l'arrivée ! De mon côté je peine un peu plus, jambes lourdes, souffle coupé et une flemme, mais alors une flemmasse de mettre un pied devant l'autre... Enfin tant bien que mal, je parviens essoufflée au sommet.

C'est une fois tout en haut, après avoir bravé la foule, le vent, les graviers qui glissent, le froid et la flemme que l'on peut se retourner pour admirer les strates de couleurs de la montagne. Elles proviennent du fer, du cuivre et du souffre présents dans le sol et font un effet assez incroyable à la montagne ! Malheureusement, il fait très très froid là haut, le vent est cinglant et on a oublié nos gants, on ne tarde donc pas trop à redescendre. Pour rentrer, on fait un petit détour par le mirador de la vallée rouge. Là, il ne s'agit plus d'un petit bout de montagne multicolore mais bien d'une immense vallée qui s'étend à perte de vue sous nos yeux et est plus rouge que rouge ! La surprise étant bien plus grande que devant la Rainbow Mountain dont on est matraqués de photos à Cusco, on est bien plus impressionnés et presque plus impactés quand on la découvre !

Malgré la masse de touristes et le côté agaçant du grand groupe de tou-tou Ahou Ahou Ahou, on est contents d'avoir fait l'effort de venir voir par nous mêmes cette fameuse montagne aux sept couleurs, qui n'est pas sans nous rappeler la montagne aux quatorze couleurs que l'on avait vus à Humahuaca en Argentine.


Enfin, après cette promenade de santé assez éprouvante on rentre à Cusco retrouver le confort de notre minuscule chambre d'hôtel et faire passer avec une empanada le mal d'altitude subit pendant la journée.

C'est qu'il faut qu'on se repose car il nous reste un Machu Picchu et un Choquequirao à aller explorer !

9

La tribu de chercheurs et d'archéologues qui s'affaire autour du Machu Picchu n'a pas encore tout compris du pourquoi du comment de la cité. Elle a disparue pendant des siècles, ayant été jalousement tenue secrète par les incas lors des invasions espagnoles et a été redécouverte en 1911. Depuis, elle a été intégrée à la liste des sept merveilles du monde moderne et est ouverte au tourisme depuis les années 90. Et les touristes, hé ben ils se la mérite, leur cité inca ! Evidemment, à l'époque, les routes étaient empruntées par des lamas et des piétons, la cité est donc assez isolée et à quand même 215 kilomètres de Cusco. Autant dire que pour s'y rendre, c'est un peu la croix et la bannière mais précisons tout de suite que cela n'en fait pas un lieu protégé du tourisme de masse, au contraire, jusqu'à 2500 personnes par jour peuvent pénétrer dans le sanctuaire.

Son isolement en fait donc du pain bénit pour les agences qui ont le monopole des moyens de transport pour s'y rendre. On est donc un peu forcés de passer par une agence, qui récupère une vingtaine de touristes endormis vers 7h00 du matin et nous embarque en minibus pour 6 heures de route (ben oui, 215 kilomètres = six heures de route...c'est la norme sur les chemins péruviens !). Une route de montagne où il est difficile de faire abstraction des multiples virages pour profiter du paysage. Et qui plus est si on a mangé la veille un truc douteux qui a fait qu'on s'est vidé l'estomac toute la nuit et qu'on continue sur la route. Hein Antho ? Tant bien que mal, on arrive dans le petit patelin d'Hidroelectrica, fin de la route asphaltée, fin du voyage pour le minibus. Mais pas pour nous... Pour accéder à Aguas calientes, aussi baptisé Machu Picchu Pueblo, il nous faut encore longer une voie ferrée pendant 10 kilomètres. Mais pourquoi donc, me demanderez-vous ? Et bien déjà parce qu'il n'y a pas de sentier piéton et ensuite parce que le train est réservé aux voyageurs à gros porte-monnaie, vu qu'il coûte environ un euro la minute.

Alors malgré le manque de sommeil et l'absence de nourriture dans son ventre, Anthony décide de braver la chaleur tropicale et humide du coin et, bon an, mal an, il parvient à mettre un pied devant l'autre pour avancer en direction d'Aguas calientes, entre crampes d'estomac et session vomis. On se fait rattraper par tellement de monde qu'on finit par tomber sur des gens qu'on connaît qui nous tiennent compagnie sur les derniers kilomètres et on arrive, fourbus et à la nuit tombante, dans le mini-village qui s'est construit au bord de la voie ferrée.

Et on file se reposer, car le lendemain, à 4h20 du matin on est postés dans la file qui s'est déjà formée en attente du bus de 5h30. On ne sait pas trop comment ils se sont débrouillés pour affréter des bus jusqu'ici, mais on est bien contents qu'ils existent puisque ça nous évite de grimper les 1774 marches de l'escalier inca en état de post-indigestion. Du coup cela nous permet d'être assez bien placés dans la file d'attente de ceux qui ont leur entrée à 6h00 et de voir ce site légendaire vide de touristes, puisqu'ils sont tous derrière nous !

Il ne nous reste plus qu'à déambuler dans la cité, vers la porte du soleil d'abord, puis vers le pont inca, sur les multiples terrasses et enfin dans la "zone urbaine". On sait pas trop comment on a raté THE temple du soleil, par contre on a trouvé le temple du condor. C'est déjà pas mal ! Il faut dire que pour nous inciter à prendre un guide il y a zéro panneau d'information sur le site, on grappille donc quelques explications à droite à gauche, là où traînent nos oreilles. La quantité de touriste matinaux ne nous empêche pas d'apprécier l'énergie particulière du lieu et d'être super impressionnés par la superficie de l'endroit, le nombre de constructions restantes et le paysage époustouflant... Cela nous permet de croire qu'ils avaient bien choisit l'emplacement pour en faire un lieu de culte au soleil, à la lune, pour l'observation des étoiles et lieu de villégiature pour l'Inca inca (l'empereur, le chef, celui qui domine les chamans, les nobles et ces gueux de paysans).

Après s'être bien imprégnés du lieu et la chaleur commençant à se faire un peu trop sentir, on redescend vers Aguas calientes pour aller y passer une après-midi reposante, à profiter de la tranquillité de ce petit village sans voiture et à prendre des forces pour les dix kilomètres à pied qui usent, qui usent, du lendemain. Un bus nous attend au bout des rails et nous ramène, nous, nos souvenirs et nos belles images dans la tête, jusqu'à Cusco.

Un autre de nos objectifs à Cusco était d'aller voir la cité inca de Choquequirao. Pour ça on choisit de se mettre entre les mains d'une agence et d'un guide qui nous organise tout de A à Z sans que l'on ai à trop réfléchir. On part donc un dimanche matin avec Omar, un jeune "guide" de 21 ans, Edwin le muletier et ses trois mules, et deux autres touristes randonneurs: Richard le canadien ("you can call me Rick !") ultra-sportif et toujours devant et Natalia la chilienne, la lenteur même, toujours derrière. C'est donc assez tranquilles, tous les deux à notre rythme, que l'on parvient tout d'abord en bas d'un canyon où la chaleur est brûlante puis, après deux heures de montée au camping de Santa Rosa où l'on bivouaque. Ciel étoilé et plat de riz-patate au rendez-vous.

Le lendemain Omar nous lève avant l'aube et nous fait grimper deux heures dans le noir, frontale fixée sur le front, jusqu'au village de Marampata où un petit-dèj inca nous attend: pain, boisson au quinoa, panqueque (des pancakes, quoi) à la banane... On fait le plein d'énergie et on se lance dans les deux heures qui nous séparent du Choquequirao. Attention, cours de quechua: choque = or, quirao = berceau, on va donc au... berceau d'or, mais oui mais oui !

Et là, on est récompensés de nos efforts. Le lieu est vide, on distingue à peine deux randonneurs au loin, on peut grimper sur plein de points de vue pour admirer la cité et ses deux places principales, on se ballade dans les anciennes ruelles, épatés que tout ça soit encore debout (pas mal les constructions anti-sismiques de l'époque !). Pendant ce temps Omar nous raconte un peu l'histoire du site et, la fonction des différents lieux (de la maison des momies à la plateforme des cérémonies en passant par la douche inca et la maison du chaman). On descend jusqu'à d'étonnantes terrasses aux motifs incrustés dans les murs, les seules les uniques à avoir ce type de décoration: l'eau et les lamas, qui étaient adorés des incas. La remontée est bien difficile et vraiment, on n'envie pas les paysans de l'époque ! Après un pique-nique de riz-patate-purée et une sieste on remonte le long du canal pour aller sur les hauteurs de la cité et profiter une dernière fois de la vue d'ensemble.

Chacun repart ensuite au camping pour profiter de la vue de luxe et se préparer mentalement au chemin du lendemain, que l'on voit parfaitement se dessiner sur la montagne d'en face. "C’est vraiment là qu'on était hier matin ?" "Oui oui, et c'est vraiment là qu'on sera demain soir !".

Et comme promis, le lendemain matin on descend en deux heures trente les 1700 mètres de dénivelés négatifs qui nous séparent du bas du canyon et on remonte dans la fournaise pendant 1h30, jusqu'à une petite oasis fraîche mais envahie de bestioles qui piquent où un repas et une sieste nous attendent. Une fois la chaleur un peu (mais vraiment juste un peu) retombée on attaque les trois dernières heures de remontée sur les sentiers. On a quitté la chaleur humide de la montagne d'en face et on quitte progressivement la chaleur sèche de ce flanc là pour retrouver l'étonnant mélange de cactus et de neige éternelle, des blés rouges couchés par le vent et un paysage vraiment à couper le souffle qui ne fait que difficilement oublier la difficulté à grimper ces 1500 mètres de dénivelé positifs. Ouch ! C'est les mollets endoloris que l'on atteint Capuliyoc, au sommet, où l'on profite d'une bière fraîche et d'une douche chaude en attendant le véhicule qui nous ramènera le lendemain matin à Cusco.

On ne peut pas s'empêcher de maudire ces incas, qui allaient percher leurs cités vraiment trop haut dans les montagnes tout en se félicitant d'avoir été au bout de cette rando difficile. Il nous reste deux jours pour aller profiter des restos et glaces artisanales de Cusco, de la facilité de la ville et du confort d'un bon matelas avant de se faire une quinzaine d'heures de bus jusqu'à Ica et l'oasis de Huacachina.

10

A Ica il n'y a rien à voir ni à faire pour les touristes que nous sommes, nous filons donc directement à Huacachina, à 10 km de là, sans oublier de se faire arnaquer par le taximan. Au réveil après une nuit de bus, c'est toujours sympa ! Il nous dépose donc dans ce endroit étrange où de jeunes américains se dorent la pilule au bord de la piscine où les haut-parleurs sont poussés à plein volume et où lunettes de soleil et mojitos sont de vigueur.

En fin d'après-midi on traîne nos carcasses en haut des dunes pour aller y manger du sable (c'est que le vent souffle très fort !) et admirer le coucher de soleil. On est un peu en avance, le temps d'observer de haut ce paysage étrange, désert au milieu des montagnes, quantité et quantité de dunes et du sable à perte de vue. Malheureusement le ciel est assez voilé, on ne voit même pas l'océan au bout et le soleil plongera ce soir là dans une mer de nuages.

Le reste du village étant assez moche on retourne vite fait bien fait se terrer dans les hamacs de l'hostel, cocktails et parties de cartes endiablées nous y attendent.

A 200 kilomètres au nord nous faisons étape à Pisco. Petite ville très moche et très sans intérêt où l'on doit être les premiers touristes de la saison. Hébergement à prix cassé, rues un peu délabrées... Le parfait combo pour se reposer sans culpabiliser et apprendre par cœur les détails du plafond de la chambre !

Le mardi 11 juin on file à Paracas embarquer pour les îles Ballestas. On fait le tour, en bateau, de ces îles qui sont aussi parc national. Une quantité incroyable d'oiseaux y est concentrée, ils sont des milliers, tellement que l'on ne distingue plus le sol par moment. On aperçoit les tout petits petits pingouins de Humboldt, des otaries (je précise qu'aucun des animaux photographié n'est mort. Ils sont juste... amorphes !), des pélicans qui viennent racler les bords de plage avec leurs grands becs et tout un tas de volatiles au nom indéterminé. La balade nous fait du bien, on la termine par une délicieuse trilogia marina au restau avec ceviche, saints-jacques farcies au parmesan et causa limeña aux crevettes. C'est que le grand air, ça creuse !

De Pisco nous prenons un bus pour Lima d'où nous prenons un taxi pour l'aéroport d'où nous prenons un avion pour Iquitos d'où nous prenons un tuk-tuk pour l'hospedaje Neydita d'où nous ne bougerons plus avant quelques jours !

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Quand on arrive, de nuit, à Iquitos, on est tout de suite saisis par la chaleur et l'humidité ambiante. Impossible de faire comme si elle n'existait pas puisque après dix minutes à l'extérieur on colle et on suffoque. Dès le lendemain, à la lumière du jour, on prend toute la mesure de cette ville où vrombissent des centaines de tuk-tuk qui menacent d'écraser les rares piétons à chaque instant. Car des piétons, il y en a très peu, tous les péruviens embarquent à bord des tuk-tuk fous, faudrait quand même pas faire deux cents mètres à pied ! Assez régulièrement, c'est-à-dire au minimum quotidiennement, une pluie tropicale vient s'abattre sur la ville, faire déborder les caniveaux et faire ruisseler arbres et cheveux. L'air ambiant se rafraîchit pour au moins trente minutes avant que la chaleur ne reprenne de plus belle dès que le soleil refait son apparition. Tout un rythme et toute une logistique auxquels on n'est pas habitués et qui nous changent de nos habitudes péruviennes !

Mais on évolue avec plaisir dans cette jungle urbaine: il fait beau, il fait chaud, les flics n'hésitent pas à piquer du nez sur leurs motos quand vient l'heure de la sieste, sur le malecon on peut arpenter de long en large les abords du fleuve Amazone qui borde la ville, boire des bières bien fraîches à la tombée de la nuit et profiter d'une vue imparable sur la ville et de la lumière changeante à une table chic du restaurant flottant Al frio y al fuego. Rien de trop déplaisant, finalement...

Pour la Saint-Jean, fête très populaire par ici, on va se mêler à la foule des badauds en grignotant du pop-corn devant un suuuuper concert où les hits péruviens d'hier et d'aujourd'hui sont repris en cœur par les spectateurs abrités sous les abribus parce que, tiens tiens, il s'est mis à pleuvoir des trombes d'eau.

Et de temps à autre, en ville, on croise un bâtiment estampillé "Monumento de la Nacion" recouvert d'azulejos, les mosaïques de carrelage espagnoles, bâtiments plus ou moins en ruine qui témoignent du passage des colons dans la ville d'Iquitos. Absurde de se les imaginer évoluer en robes à 12 volants ou en costumes trois pièces dans cette ambiance tropicale où la tong et le short à fleurs sont les accessoires qui rassemblent !

Les jours où on a le cœur bien accroché, on s'aventure dans les marchés locaux. Au marché de Belén on est d'abord saisis par l'odeur fétide et en même temps qu'on se bouche le nez, on ouvre de grands yeux mi-écarquillés mi-écœurés. On déambule dans d'interminables allées où des stands de poulets morts font la concurrence à ceux de poissons éventrés, les charcutiers exposent des morceaux de cochon pré-découpés, les têtes bien en évidence pour qu'on n'ai aucun doute sur la provenance de l'animal. Des chats, des chiens et des vautours déambulent parmi les étals et essaient de grappiller les restes. Nous on est plutôt en train d'essayer de filer sans demander notre reste ! Toute sorte de chose se vendent par ici, l'allée des potions magiques propose des épices en poudre, des flacons de potions qui guérissent tout et des gris-gris à base de dents de caïmans. Des coiffeurs coupent les cheveux à même le trottoir, des enfants dorment au milieu des stands de vêtements... Impossible de retenir un petit sourire cynique quand on arrive dans le coin des poulets vivants et, enfin, près de la sortie !

Le marché de Nanay, un autre quartier, est plus ouvert, plus petit, moins sombre mais tout aussi dégueu puisqu'on trouve dans les échoppes du poisson grillé, des morceaux de caïmans (dont des têtes, une fois de plus) et, spécialité locale, des vers en brochettes. Oui oui. Des vers, à déguster vivants ou grillés. Comme on est de vrais aventuriers et qu'on revient de la forêt où on a été jusqu'à lécher des termites à même la termitière, on tente l'expérience, genre peur de rien ! Gloups. Bweââârk. Baaaaaaah.

Voilà. C'est gluant, caoutchouteux, gras mais quand on s'accroche et qu'on va jusqu'à déglutir on peut percevoir une certaine ressemblance avec un gout de cochon grillé. Enfin quand même, on n'en fera pas notre diète quotidienne..!

On passe une petite quinzaine de jours dans la bruyante Iquitos et sa région et quand vient l'heure de partir, on ressent plus que jamais l'isolement de la ville. Aucune route ne la relie au reste du monde. Et si on est arrivés facilement, en deux petites heures d'avion, en partir ne s'annonce pas aussi simple...

Et en effet, notre bateau, qui devait partir le mardi 26 à 21h est annulé le matin même. Coup de chance, on en trouve un autre pour le 27 à 5h00 du matin. Mais comme il ne faudrait pas que cela soit trop simple, le bateau part de Nauta, à deux heures de route de là, et l'embarquement s'effectue vers 3h du matin. Wahou. Une belle soirée sur le ponton de la compagnie Eduardo s'annonce. On s'allonge sur nos sacs et on essaie de s'endormir, bercés par les ronflements des voisins et les averses tropicales. Quand enfin on embarque, l'Eduardo III s'engage sur les méandres de l'énorme rivière Marañon et ne nous déposera à Yurimaguas, son terminus, qu'à 21h30 (au lieu du 18h annoncé, mais c'est normal, on est en Amérique du sud...). Entre temps, il aura fait halte dans d'improbables villages posés le long du fleuve, déversant des passagers pour en reprendre deux ou trois, les autres restants à quai, plus de place, retentez votre chance dans deux jours ! Des femmes et des enfants se jettent à bord pour nous vendre eau fraîche, bananes tout juste cueillies de l'arbre, poissons grillés, pop corn, glaces maisons... et autres friandises qui nous font paraître le temps moins long.

Quelle drôle de vie que celle de l'Amazonie... Le plus étrange est de voir les enfants aller et venir de l'école dans leurs uniformes blancs immaculés et de s'imaginer les jours d’élections ou le facteur faisant sa tournée en canoë !

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Comme on n'est pas allés jusqu'à Iquitos juste pour faire les citadins, on remet notre destin entre les mains de Tony, guide dans la réserve naturelle de Pacaya Samiria, qui va nous balader pendant cinq jours le long de la rivière Yanayacu.

Le premier jour on découvre notre bateau, ses sièges pas très moelleux, son joli toit de feuilles tressées, Juanito, son capitaine édenté mais toujours mort de rire, son moteur tremblant et vrombissant et le rythme tranquille de la navigation à 12km/h. Sur le chemin on s'arrête pour observer un paresseux accroché à un arbre ou une bande de petits singes qui grimpent sur des lianes. On croise un groupe qui part et qui nous offre un morceau de caïman grillé au feu de bois.

Et on arrive sous des trombes d'eau (pas très original !) au village de 20 de enero où l'on passe la nuit. La pluie s'arrête juste à temps pour nous permettre d'admirer le coucher de soleil et pour nous laisser partir à la chasse nocturne au crapaud Walo (parce qu'il fait "walo walo"). Tony nous montre ses talents d'imitateur de cris d'animaux, nous fait goûter un fruit qui colle avant de nous ramener au village pour une bière devant un match de la Copa America suivi avec attention par quelques villageois et diffusé à l'aide d'une petite télé branchée à un groupe électrogène.

Le lendemain, une fois la brume matinale dissipée, de longues heures de navigation nous attendent. Mais on ne se lasse pas de ce paysage aux mille verts, du reflet du ciel dans l'eau et on guette tous les oiseaux, singes et paresseux avec avidité. Le temps est long, mais on apprécie ce rythme tranquille facilement puisqu'on est devenus de grands habitués des longues heures de transport et qu'on a rarement la chance d'admirer ce genre de paysages !

Enfin, on finit par arriver au village de Yarina où nous seront les seuls touristes de la semaine. Il s'étend le long de la rivière sur environ un kilomètre et est constitué d'une trentaine de famille, une centaine d'habitants. Comme souvent au Pérou, des nuées d'enfants accompagnés de leurs parents dont on ne sait jamais, à première vue, s'ils sont avec leurs grandes sœurs ou leurs grands-mères. On est d'ailleurs dans le village natal de Tony, qui est lui même grand-père à 45 ans, nourris et logés par sa maman qui a elle même ses parents dans la maison au bout du village. Tout va bien, on n'a croisé aucun enfant victime des séquelles de la consanguinité mais évidemment, rien n'est garanti à 100%.

Après une petite sieste dans notre super chambre avec moustiquaire intégrale et salle de bain privée, on se rend dans la cahute où tout le village s'est rassemblé pour le match Pérou-Bolivie mais on reste à l'extérieur à observer des enfants grimper dans les arbres et se suspendre inlassablement à leurs branches. S'ils jouaient à "chat" avec lui, ils attraperaient Tarzan sans aucun problème !

A 18h00, de nuit, on embarque sur le bateau pour partir à la chasse au caïman. A l'aide d'une méga lampe torche, Tony scrute les bords de la rivière jusqu'à voir briller deux petits points rouges. Tout va bien, on le tiens ! Et même, on l’attrape ! Enfin quand je dis "on", c'est Tony bien sûr. Il se jette, depuis l'avant du bateau, sur la berge et HOP ! Il choppe le caïman qui s'avère être tout petit petiot. Après un petit cours sur la vie passionnante des crocos on le relâche et on rentre au bercail.

Le jour suivant on va se promener en forêt, sur le sentier Quitasueños. Nos bottes en caoutchouc aux pieds, on s'aventure sur les sentiers non tracés, suivant à la trace notre guide. Avant de poser le pied par terre on ne sait jamais si le sol sera dur, mou ou carrément profond de trente centimètres de boue.

On part donc joyeusement à la recherche des énormes fourmis coupe-feuilles qui peuvent laisser un arbre tout nu de son feuillage en une nuit. On observe attentivement toutes les sortes de fleurs, feuilles, arbres, champignons, insectes, oiseaux que l'on peut trouver sur notre passage. On déguste quelques termites à même la termitière : "c'est croquant", dit Antho qui ne se prive de recommencer à léchouiller la termitière. Tony nous fait un petit cours de plantes médicinales, de l'anticoagulant au cicatrisant en passant par le désinfectant. On croise un arbre à caoutchouc, de ceux qui ont rendus des colons très riches à la fin du XIXème siècle, et des indiens très esclaves pendant le bien nommé épisode de la "fièvre du caoutchouc". On croise aussi une tribu d'arbres marcheurs suivis de leurs cousins las palmeras caminantes, les palmiers marcheurs. Mais le but ultime de la promenade c'est d'aller voir l'arbre des arbres, esprit des esprits, un arbre si haut qu'on n'en voit pas la cime, si large qu'on en fait le tour en cinq minutes et si grand et vieux et imposant qu'on peut se fabriquer des cabanes entre ses racines. Un peu ridicule d'apprendre que c'est un ficus, les nôtres ont une bien petite allure en comparaison !

Sa machette à la main, Tony évolue avec facilité dans cette jungle malgré sa bedaine, bien plus que nous en tout cas, qui sommes à l'affût du moindre moustique et du moindre bruit étrange. Et les bruits ici, ça ne manque pas. Bruissements de feuilles en haut : un aigle ? un colibris ? Bruissement de feuilles en bas: un serpent ? Une souris ? Grondement puissant sur le sol: un avion ? un troupeau de sangliers ? L'ambiance est à son comble et Tony est plutôt bon pour faire monter la pression !

On finit par une balançoire de lianes suspendues très très haut dans les arbres, une énorme raie motora dissimulée dans la rivière et on rentre chez Mama Ester pour le repas qui sera très probablement à base de riz, de bananes frites ou écrasées et de poulet ou de poisson. L'après-midi, après une longue baignade dans la rivière Yanayacu ("eaux noires") à redescendre le courant, on part pour une session pêche sur le canoë. Bah quoi, faut bien ramener à manger pour ce soir !

Pour notre dernier jour, on se lève avant l'aube pour embarquer sur le Leonardito I, le bateau de Juan, et remonter le courant de la rivière. Après une trentaine de minutes, Juanito coupe le moteur et laisse dériver la barque jusqu'au village. On assiste depuis l'eau au réveil de la forêt, oiseaux après oiseaux, singes après singes. Tony entame un dialogue avec chacun d'entre eux et on essaie de les apercevoir perchés dans leurs grands arbres.

On part ensuite rendre visite aux dauphins roses à force de manger des crevettes. Ils sont une cinquantaine à nager dans le coin et sortent de l'eau de temps à autre pour un petit saut, une sortie de tête, un petit coucou aux touristes ! On fait ensuite une promenade dans la forêt, on tombe sur des pas-très-rassurantes traces de pas de jaguar, Tony flippe un peu et puis on continue de s'enfoncer dans la forêt jusqu'à se faire surprendre par une énorme pluie tropicale que l'on entend mais que l'on ne sent pas, bien protégés par les immenses arbres qui nous entourent.

Après un repas pris sur une table éphémère en feuilles de palmiers, de poissons cuits dans ces mêmes feuilles de palmiers, on est bien obligés de reprendre les cannes à pêche en bois et de se prêter au jeu. Heureusement, c'est tout facile, en trente secondes des poissons viennent mordre à l'appât et on en remonte une belle série. Anthony s'illustre à la pêche au trident et il n'est pas peu fier d'avoir harponné deux poissons, même si d'après Tony et Juan, s'est un score ridicule qui ne lui permet pas encore de s'autoproclamer vrai homme des bois ! Et hommes des bois, eux, ils le sont jusqu'à la pointe des cheveux qu'ils n'ont plus. Rien ne les fait plus triper qu'uneuh bonneuh session pêcheuh dans la forêt, rien ne les réjouit plus que de chasser les serpents à main nue où d'appeler les caïmans en se camouflant dans les feuillages. Et heu... Je crois qu'Antho aime bien ça aussi....

Le cinquième jour, il est temps pour nous de retourner dans la civilisation. Après une visite matinale de la palmeraie reforestée par les villageois et du jardin des orchidées on embarque une dernière fois sur le Leonardito I pour les six ou sept heures de navigation qui nous séparent de la petite ville de Nauta. De là on prendra un minibus pour deux heures de route jusqu'à la grande ville.

Sur le retour on admire pendant de longues minutes le vol des hérons blancs et cendrés que l'on fait fuir avec notre gros vroum vroum de moteur, on déguste les dernières bananes ramassées dans la forêt et on arrive tout hagards et hébétés à Iquitos, impressionnés par les tuk-tuk et la ferveur de la ville, bien loin des cinq jours paisibles et calmes que l'on a passés dans la réserve naturelle de Pacaya Samiria.

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Après s'être pris quelques jours de pause et de repos à Tarapoto et après avoir passé une journée entière dans un minibus bondé à appréhender chaque virage tout en servant d'oreiller au voisin de droite qui tombe de sommeil (mais, miraculeusement, retient sa bave !) on pose nos sacs à Chachapoyas.

Ce petit nom mignon de Chachapoyas veut dire "peuple des nuages", la petite ville est située dans les montagnes, à 2300 m d'altitude. Le soleil nous chauffe le dos la journée et le soir le froid, vif, nous surprend en pleine balade dans les ruelles et les échoppes du marché. Les principaux intérêts de la ville résident dans les vestiges de la civilisation Chachapoyas qui sont dans les environs.

On se résigne à embarquer dans un minibus à touristes pour aller découvrir la grotte de Quiocta et les sarcophages de Karajia. On passe donc la journée en compagnie de cinquantenaires -et plus- péruviens qui ont tous leurs petites manies et leurs petites exigences mais ça va, le guide a l'habitude de gérer les relous, de répéter douze fois les mêmes choses et d'attendre tout son petit monde. Nous heu... on a un peu moins l'habitude et on les trouve vraiment pas très sympas, attentifs aux autres et "esprit de groupe". C'est plutôt moi d'abord et vas-y que j't'écrase les pieds au passage !

La grotte de Quiocta est un ancien cimetière, on se promène donc sans gêne au milieu des ossements, lampe de poche au poing car il fait tout sombre, bottes en caoutchouc aux pieds car le sol est argileux, humide et boueux. On s'enfonce de plus en plus loin en déambulant parmi les stalactites et stalagmites qui sont très hautes et donc très impressionnantes. Le jeu étant de retrouver les formes observées par les anciens guides, probablement sous hallucinogènes: "main de dieu", "petit mec bourré buvant un coup", "amoureux qui s'embrassent", "coupe du monde"... Certaines mamies du bus ont même vue Santa Rosa de Lima, c'est pour vous dire !

On passe une bonne demie-heure dans la pénombre de la grotte avant de laisser tranquille les chauves-souris qui y dorment en grappe et de reprendre le bus pour aller voir le clou du spectacles, les sarcophages suspendus dans la montagne de Karajia. Sculptés dans du bois et abritant des momies de gens importants, décorés pour certains de crânes humains... On les voit de loin et ils ne sont pas très colorés. C'est donc surtout l'occasion de faire redescendre les égyptiens antiques de leur piédestal: ils ne sont pas les seuls à avoir momifié et fait des sarcophages, non mais oh !

Le lieu manque un peu de magie, étant donné qu'on a vu des dizaines de photos dans les agences de tourisme de Chachapoyas on est un peu déçus, une fois sur place, de voir qu'il n'y a que ce qu'on voit sur les photos. Pas plus, pas moins, le suspens a été un peu gâché...

Le lendemain, on se rend à la ville fortifiée de Kuélap où l'on arrive après deux heures de bus et vingt minutes de téléphérique. On se retrouve donc à plus de 3000 mètres dans cette ancienne cité où on peut se promener parmi les fondations des anciennes habitations et de hauts murs en pierre. Comme souvent, les archéologues ne savent pas grand chose sur la civilisation qui vivaient là, si ce n'est qu'ils adorait les dieux du ciel et de la pluie et faisait venir celle-ci en jetant des centaines de pierres vers le ciel. Le reste n'est que supposition, "peut-être" et "quizas"

Les ruines sont envahies par la végétation luxuriante mais on peut, dans certaines anciennes habitations, deviner la trace des mortiers à même le sol, des enclos à cochons d'inde (déjà au menu de l'époque !), des réservoir à grains... A l'extérieur, il reste quelques frises aux motifs géométriques et, sur les hauteurs, des bâtiments rectangulaires probablement construits par les incas après leur conquête de la ville. Tout le long de la visite on est limités à se déplacer sur des passerelles en bois, des gardes armés (non mais franchement !) sifflent le touriste s'il s'avise d’effleurer les murs ou de poser son popotin sur un bout de cailloux, et des groupes de vingt à vingt-cinq personnes se déplacent sur le site, suivant leur guide, avec toute l'inertie générée par les groupes... Bref, le lieu n'est pas si magique qu'il pourrait l'être, on ne peut pas aller où bon nous semble et notre guide est assez soporiphique, ce qui rend la journée assez éprouvante. Heureusement, de là-haut, la vue à 360° vaut le détour et on peut se consoler en admirant le paysage !

Après avoir dégusté une bonne pie de limon (du beau spanglish !) dans la bonne pâtisserie du coin, il est l'heure d'aller prendre trois bus et deux tuk-tuk pour rejoindre, en une nuit, la côte Pacifique du Pérou: destination farniente, plage et cocotiers !

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Après la montagne, direction la plage. Enfin ! Voilà des mois que l'on est proches de l'océan pacifique sans pouvoir y tremper un orteil... Mais on a finit par dénicher un coin suffisamment au nord pour que la température de l'eau soit agréable, suffisamment hors-saison pour ne pas être pris au milieu d'une foule de touristes et dans un village suffisamment petit mais vivant pour pouvoir aller faire nos p'tites courses au marché sans prendre de bus, minibus, tuk-tuk ou taxi fou. Et ce petit coin tranquille s'appelle Máncora. On y passe donc huit jours tranquille à profiter autant du hamac de l'auberge que du sable fin de la plage.

Mais comme on n'est jamais tranquilles trop longtemps, quelques petits imprévus viennent changer nos plans. Il y a d'abord la rencontre malencontreuse du pied d'Anthony avec l'aiguillon d'une raie qui mine de rien décide de le traverser. A voir ses réactions, ça fait plutôt très très très TRÈS mal !!! Et puis quand il s'est remis de ses émotions et ose ré-approcher la plage, le jour où on a décidé de marcher loin, très loin, pour dépasser le village construit jusqu'au plus proche de l'eau et aller voir ce qu'il y a derrière ce lointain virage; on se fait intercepter par un flic qui nous déconseille fortement de poursuivre car justement là où on voulait aller les touristes se font attaquer par des bandits planqués dans les dunes. Ah. Mince... Il ne nous reste plus qu'à troquer la journée marche par une journée loques. On s'oublie dans nos lectures et autres mots fléchés quand Antho découvre d'inquiétantes plaques rouges sur sa cheville. Allergie au venin de raie ? Nouveau truc bizarre dans la mer ? On psychote quelques heures avant de réaliser, en le découvrant le soir rouge comme une écrevisse, qu'il ne s'agissait que de sournois coups de soleil !

Mais dans l'ensemble la vie à Máncora est plutôt douce et donne à notre voyage des airs de vacances, ce qui est très agréable. De couchers de soleil en balades le long de l'océan, de baignades dans les grosses vagues aux pic-niques au sable sur la plage de Punta Sal et de soirées jeux avec nos voisins allemands en soirées film grâce au bon wifi on repart de ce petit coin sympa, le 12 juillet, complètement retapés.

Prochaine étape, Piura, ville grise et bruyante dont les guides encensent le marché artisanal voisin nous le vendant comme "le plus beau du nord du Pérou". Une fois à Catacaos on est assez surpris en découvrant la seule et unique rue qui le constitue et ses étals de jouets en plastiques et de cendriers en bois, tous les mêmes. Mmmm... On rebrousse bien vite chemin et on file, le long de la panaméricaine, à Chiclayo.

Là, on va visiter les vestiges de la culture Moche (qui porte mal son nom): pyramide cérémonielle, cimetière pour les nobles et un musée qui présente les squelettes de ces derniers, enterrés avec leurs servantes, concubines, chiens, lamas et cie. Des centaines de jarres en céramique données en offrande, des bijoux en or, en argent et en cuivre que portaient ces messieurs (ils en avaient tellement qu'ils ne tenaient plus sur leurs jambes et passait leur temps assis à se faire transporter de-ci de-là) et autres trésors pour les archéologues, sauvés des successifs pillages de tombe.

Une étape sympa sans être folichonne, on reprend bien vite la route en direction de Trujillo.

A Trujillo on a la surprise de retrouver une ville à l'architecture coloniale qui, y'a pas à dire, nous en met plein les yeux ! D'énormes bâtiments colorés, des balcons en bois qui rappellent l'Andalousie, des patios fleuris derrière chaque lourde porte en bois. Waaaaaw... Enfin un peu de beauté en ville !

On se prend donc une petite semaine pour y flâner, aller visiter quelques expos, le musée d'histoire où l'on rencontre de drôles de peintures et une momie (c'est vraiment un classique dans ce pays...). L'auberge est déserte, on y est comme à la maison et on ne se prive pas de s'y concocter quelques bons petits plats quand on n'est pas à la pizzeria branchée du coin où traînent autant les jeunes de 19 ans que ceux, déjà trois fois parents, de 24 ans, accompagnés des grands-parents quarantenaires. On cherche les bars sympas mais la tendance est plutôt à la boîte de nuit où l'on va sapé comme pour le mariage de la reine d'Angleterre... Bizarrement, on a pas trop les codes. Tant pis, on va s'coucher, bercés par les basses du reggaeton diffusés à toute berzingue par tous les bars et boîtes du quartier.

Bon, sinon, à Trujillo, il y a quand même l'ancienne cité de Chan-Chan, "soleil-soleil" en langue chimu, patrimoine mondial de l'Unesco, représenté sur les billets de 20 soles. On peut y visiter le palais Nik-An, ancien palais des dirigeants chimus. Construit en adobe, certaines parties sont étonnamment bien conservées et les murs de cinq mètres de larges sont assez impressionnants ! On suit notre guide francophone dans le labyrinthe des ruines où l'on voit encore très bien les gravures de l'époque qui représentent poissons, pélicans et vagues.

A quelques kilomètres au nord de Trujillo, un combi, le transport en commun local, nous amène jusqu'aux Huacas del Sol y de la Luna, des temples-pyramides érigés par les moches. Après un énième musée qui nous présente des vases en céramique et des morceaux de squelettes retrouvés dans des tombes où simplement entassés près de l'autel, on visite le site. On y découvre des restes de fresques et de décorations en l'honneur des dieux de l'époque, censés protégés le peuple de la pluie. Les gens ont désertés les temples après un phénomène El Niño particulièrement violent et se sont dit que tous les sacrifices humains qu'ils avaient faits jusque là n'avaient peut-être servis à rien... Ils ont donc abandonné les lieux que les chimus, en arrivant dans la région quelques dizaines d'années plus tard, ont repris à leur compte. Et c'est reparti pour les sacrifices et le règne des prêtres !

Avant de partir nous faisons une dernière étape sur la côte pacifique du Pérou, à quinze kilomètres de là, et allons voir la plage de Huanchaco et ces célèbres caballitos de Totora, ces bateaux en roseaux ancêtres du longboard et du surf. Ici, au cœur de l'hiver, l'eau est glacée et on se contente de marcher sur la plage en comptant les vagues !

Et puis vient l'heure de se préparer mentalement au changement d'ambiance puisque après un bus de nuit, le 21 juillet, on va se réveiller à Huaraz, au pied de la cordillère blanche, l'avant-dernière étape de notre périple commencé il y a presque dix mois.

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Quand on arrive à Huaraz on est saisis par le froid matinal. A 6h00 du matin, à la montagne, il fait plutôt très frais ! On retrouve Charlotte, une copine rencontrée en Bolivie, à fond en train de préparer les petits dèj' de l'hostel où elle est volontaire. On se tient au courant des dernières nouvelles et on va faire un tour dans notre nouveau quartier, dans cette nouvelle ville. Où est le marché aux milles poulets morts et aux porcs entiers sur les étals des bouchers ? Où se cachent, dans les dédales de ce même marché, les vendeurs de légumes ? Et les vendeurs de fruits ? A quoi ressemble la Plaza de Armas huaracina ? Fort heureusement, on trouve très vite le bar qui vend les bières artisanales locales à la pression.

Dans cette ville de montagne les touristes randonneurs occidentaux se mêlent assez bien à la population locale, et sans qu'elle soit jolie, l'ambiance y est sympa et la vue magnifique !

Ville sympa, donc, mais aussi en altitude, à 3100 mètres. Autant dire qu'après une première nuit à dormir moyennement parce qu'on a l'impression de s'asphyxier on se réveille complètement déshydratés. Mission du jour, donc: boire de l'eau et faire une petite rando d'acclimatation. Rien de compliqué sur le papier, ça monte un peu mais nos pieds en ont vu d'autres... et pourtant ! Après trois pas on est essoufflés, le manque d'oxygène se fait sentir et la montée est duuuuuuuuuure !

Après avoir traversé le village éparpillé de Santa Cruz, croisé quelques paysans en pleine récolte de patates, des ânes, du maïs séché de toutes les couleurs et d'autres curiosités de la campagne péruvienne, on arrive enfin, épuisés, à la Laguna Wilcacocha, à 3750 m. Hein ? Quoi ? C'est CA, la lagune ? Tous les randonneurs qui arrivent avec peine au sommet ont la même réaction déçue, ce qui nous fait bien marrer. On profite de la vue en essayant de pas se faire voler notre goûter par les chiens errants et on redescend bien plus vite et facilement qu'on est montés !

Le soir, une soirée raclette avec Charlotte et sa bande nous attend, Antho frétille à l'idée de se faire une orgie de fromage mais fait moins son malin quand la soirée se transforme en "un dernier p'tit verre au bar", un jeu de cartes et "un dernier p'tit verre en boîte". Autant dire que pour l'acclimatation à l'altitude y'a pas pire et que le lendemain on ne sort que très tard de notre chambre et avec un manque d'énergie certain !

Une fois remis de nos excès on s'embarque pour une rando de 4 jours avec l'agence Galaxia. L'avantage de l'agence c'est que des ânes chargés comme des mules portent nos affaires et qu'on arrive au campement juste à temps pour pouvoir installer nos duvets pour la nuit dans des tentes déjà montées. L'inconvénient, c'est qu'il faut cohabiter, co-randonner et co-décider avec de parfaits inconnus. Et sur un groupe de neuf touristes, les chances d'avoir envie d'en baffer un.e après deux jours sont assez élevées ! La palme de la relou-peste-autoritaire-capricieuse est donc attribuée à Olga à notre unanimité tandis que celle du papy-lunatique-américain-le-monde-m'appartient revient sans conteste à Mike. Les autres, on s'en arrange et même, on se fait des copines avec qui critiquer le reste de la bande !

La première journée on se fait trimbaler pendant des heures dans un minibus poussiéreux sur les pistes de montagnes et on marche 4 heures sous un ciel mitigé, sur un chemin plat, jusqu'à notre premier lieu de bivouac, à 3900 mètres. On découvre la tente-cuisine, la tente-salle-à-manger et la tente-à-caca, à 18h00 on mange à la nuit tombante et à 19h15 on se dit "bonne nuit à demain". Personne ne ronfle trop car personne ne dort vraiment bien avec ce froid et à cette hauteur !

Le lendemain on démarre à 6h30 l'ascension vers le col de Punta Union. Au début tout va bien, et puis il se met à pleuvoir. Et puis plus on monte plus la pluie se transforme en neige mouillée, jusqu'à devenir de la vraie neige qui tient au sol, bouche la vue et fait froid aux yeux ! La montée n'est pas vraiment une partie de plaisir, entre la neige et le manque d'oxygène mais heureusement, une fois au col, des trouées de ciel bleu font leur apparition et nous permettent d'apprécier le paysage et de profiter de la vue depuis notre perchoir à 4750 mètres. Après le pic-nique on part vers le mirador de l'Alpamayo (qui finalement restera dans les nuages) d'où l'on voit la montagne Artesonraju qui a donné son image à Paramount Pictures. Après huit heures de marche on arrive à notre nouveau campement, proche du lac Jatuncocha. Entre deux cascades, au bord de l'eau, on profite du soleil couchant, d'un bon repas chaud et d'une soirée autour du feu sous un ciel incroyablement étoilé. On veille jusqu'à 21h quand même ! Mais bon, faut pas exagérer, on va se coucher à 21h15... tout le groupe dort déjà.

Le troisième jour des pancakes et du soleil nous attendent au réveil et nous donnent l'énergie nécessaire pour entamer les 16 kilomètres de redescente le long d'une petite rivière où tout le monde prend le temps d'admirer les lagunes, les petites fleurs et d'apprécier les pauses au frais, à l'ombre des arbres. On finit le chemin dans la poussière brûlante du soleil de midi, des bières fraîches nous attendent au village où se termine la randonnée et notre journée de marche... youpi ! Tout le groupe saute de joie quand, après le repas, on repart se tremper les pieds dans la rivière ou les fesses dans des thermes chaudes, selon les goûts de chacun.

Une dernière soirée, une dernière nuit, un dernier petit-dèj, un dernier pliage de duvets, roulage de matelas, pliage de tentes et nous voilà de nouveau en train de se faire secouer dans un minibus, d'un côté la montagne de l'autre la falaise.

Le lendemain on se motive, on s'active, on s'emporte un pic-nique et on repart à l'assaut des dénivelés violents mais cette fois tout près de chez nous. On s'attaque à la colline à l'est de Huaraz que l'on grimpe, grimpe, griiiiiiiimpe jusqu'à se retrouver sur la ligne de crête, au frais grâce à une petite brise bienvenue. On pic-nique au dessus du mirador de Rataquena et puis on redescend. Plus on s'approche de la ville, plus les ordures s'amoncellent jusqu'à proposer un super contraste poubelles/montagnes assez représentatif des bords des routes et des abords des villes péruviennes.

Et enfin, avant de quitter la ville on enfile les chaussures de rando une dernière fois (!!!), on prend un colectivo bondé jusqu'à Marian, un mini-village au bout d'une piste et on va se promener le long du chemin sous les yeux très étonnés des paysans et des enfants du coin. On échoue sur la terrasse du café associatif Yurac Yacu, devant une grande carafe de limonade bien fraîche, on pic-nique à l'ombre face aux montagnes de la Cordillère Blanche que l'on ne se lasse pas d'admirer... et on finit par leur tourner le dos pour rentrer.

Un dernier repas avec Charlotte qui se transforme en fiesta un peu trop alcoolisée, une dernière journée à faire les zombies dans le canapé en attendant notre bus de 23h00 et, tout d'un coup, c'est l'heure du départ. Et là, surgit de derrière les fagots, de manière complètement impromptue et imprévue, le méga-gros-coup-de-blues.

On réalise que ce bus de nuit est le dernier, que ces au revoir avec Charlotte et les autres clients de l'hôtel qui il y a deux jours étaient des inconnus mais dont on connaît aujourd'hui une bonne partie de la vie sont parmi les derniers de ce style, que cet hostel où l'on s'est sentis chez nous pendant dix jours ne sera probablement plus jamais un chez nous, tout comme les 98 autres lieux par lesquels nous sommes passés... Les quarante-quatre dernières semaines défilent devant nos yeux, avec tous leurs hauts et leurs bas et, tout d'un coup, on ne comprend plus cette envie de rentrer chez nous que l'on avait il y a deux jours. On se demande si on n'est pas un peu fous de rentrer et d'abandonner cette vie-là et cette liberté. Quand est-ce que l'on retrouvera cette adrénaline que l'on ressent dans l'improvisation du voyage, dans le mystère qui se cache derrière chaque nom de ville avant que l'on y mette les pieds pour la première fois ?

C'est la tête pleine de ces interrogations et de ces sentiments contradictoires que l'on s'embarque pour une nuit de bus. Terminus: Lima.

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C'est donc complètement secoués, par nos émotions et par les milliers de virages montagneux empruntés toute la nuit, que l'on arrive sans grand enthousiasme dans la capitale péruvienne, où vit plus d'un tiers des habitants du pays. Comme on est modernes on se fait conduire à notre auberge en Uber et vu l'heure matinale on croise les doigts très fort pour que notre chambre soit prête à notre arrivée et pour que l'auberge soit à la hauteur de sa description sur Hostelworld.

Evidemment, ils sont encore en train de faire le ménage et on est forcés de s'échouer, avec nos énormes sacs, dans les canapés du hall, à tenter de résister à la fatigue qui nous assomme et en proie à l'humidité ambiante, qui, on l'apprendra ensuite, est indissociable du climat local. Pour essayer de se remonter le moral, que l'on a dans les chaussettes, on va boire un café avec Julien, le frère d'une amie française qui, manque de bol, est coincé au Pérou depuis plusieurs semaines et ne rêve que d'une chose : fuir. Pas idéal pour le moral mais au moins on trouve un complice de blasitude avec qui échanger nos expériences de voyageurs.

Pour tromper l'ennuis, pendant les quelques jours qu'il nous reste avant de monter dans l'avion, on enchaîne free tour du centre ville, visites de musées, visites guidées de pyramides, etc. (Ben quoi, la prouesse archéologique n'est pas réservée aux égyptiens... Il suffit d'avoir du sable après tout. Et ici, il y en a en quantité !). Dans notre quartier, à Miraflores, très occidentalisé, on profite des multiples terrasses et happy hours, on négocie quelques cadeaux aux couleurs locales, on se gave de mangues séchées et d'avocats... Bref, on cherche à oublier la grisaille un peu trop en accord avec notre moral.

On a beau se dire que l'on a face à nous l'océan Pacifique, dans le quartier de Barranco, on le trouve moins fascinant qu'à Mancora, au nord du Pérou, moins surprenant qu'à Chiloé, à l'extrême sud du Chili, moins... tout en fait.

C'est-à-dire que tout ce que l'on fait a un air de "dernière fois" depuis quelques temps et on a beaucoup de mal à se faire à l'idée.

Et puis il est finalement l'heure de faire le bilan de cette longue première expérience de voyage pour tous les deux, entre les comptoirs d'embarquement et les postes de contrôles de l'aéroport.

Trois-cent-trois jours vécus collés l'un à l'autre et à nos sacs-à-dos. Les journées à coups de blues, les jours à coups de cœur, les longues heures de transfert dans les transports en commun, qui sont longues qu'il s'agisse d'un bus, d'un bateau, d'un avion ou d'une voiture attrapée le pouce levé sur le bord d'un chemin. Les jours de poisse où rien ne s'enchaîne correctement, les jours de chance où un imprévu provoque une belle rencontre, un beau moment, une surprise dans le paysage. Et puis bien sûr, tous les autres jours, les jours "normaux" passés dans des auberges, des hôpitaux, au sommet d'une montagne ou sur une plage, en centre ville, dans les couloirs d'une galerie marchande, dans le dédale des marchés locaux et artisanaux, chez nos wwoofers...

On ne peut pas s'empêcher de récapituler les stratégies de survie en jungle urbaine autant qu'amazonienne mises en place en fonction des quatre pays que l'on a arpentés; les avantages et inconvénients des cent lieux de bivouacs dans lesquels nous avons dormi, ou essayé de dormir; la routine du voyage qui finit par rattrapera tous les backpackers; l'envie que tout cela s'arrête et l'envie de continuer absolument, d'aller découvrir les surprises que réservent la prochaine frontière. Comment sont habillées les mamacitas un peu plus au Nord ? Comment parlent les gens ? Qu'est-ce qu'ils mangent au p'tit-dèj ?

Et pourtant, c'est ici que s'arrête pour nous la découverte. Il est temps de revenir à nos bords d'Ariège, à l'accent toulousain et l'ancestrale guerre de chocolatine contre pain au chocolat. A nous d'essayer de retrouver cette sensation d'aventure et de renouveau dans le quotidien et dans un environnement familier. L'heure sera bientôt aux nouveaux projets et aux nouvelles façon de voyager. Pour l'instant, il est temps de monter dans cet avion pour traverser l'Atlantique et aller retrouver famille, amis et fromages français, trop longtemps délaissés.

08 août 2019 Aéroport Paris-Charles De Gaulle 

PS : On dirait bien que l'on a repoussé à l'extrême le moment de clôturer ce blog et de vous partager cette dernière étape. Plus d'un an plus tard nous avons enfin pris le temps d'enregistrer cette dernière étape de notre road-trip aux 35 000 kilomètres.