La presque-unique raison qu'ont les touristes d'aller à Tupiza c'est la prolifération d'agences de voyage que l'on y trouve. On s'en fait donc une petite série avant de choisir, payer et signer chez Alexandro Travel. Le principe est assez simple: on s'inscrit sur une liste et on attend que d'autres touristes fassent de même jusqu'à ce que l'on soit quatre ou cinq passagers.
Le dimanche matin on a donc rendez-vous à 7h30 à l'agence. Là, on retrouve Sophie, Etienne et Lucie les trois autres français qui feront office de compagnons de voyage pendant les quatre jours à venir; ainsi que Martha, indispensable à notre survie puisqu'elle sera notre cuisinière attitrée, du p'tit dèj au dîner, en passant par des p'tits goûters, p'tites sucreries de temps en temps etc. et puis, tout aussi indispensable, Roman notre chaufeur-guide et sa jeep rutilante (mais pas flambant neuve!) aux pneus arrières... assez lisses !
L'équipage étant au complet, on embarque sur la piste, prêts à se faire ballotter dans tous les sens en admirant les paysages. Le premier jour on est assez chanceux puisqu'on arrive toujours les premiers sur les sites, ce qui nous laisse une dizaine de minutes pour en profiter tranquille avant l'arrivée des quatre jeeps des autres agences. Après le deuxième arrêt on arrivera systématiquement bon derniers puisqu'une crevaison nous a fait prendre un peu de retard... Bah voilà, les conséquences des pneus lisses ! Mais c'est bien aussi puisqu'on arrive quand les autres partent.
Pour cette première journée on commence par admirer la vallée de Tupiza aux montagnes rouges et vertes, les quelques cactus qui commencent à apparaître dans le paysage, lamas et vicuñas à perte de vue... Dans la voiture on est tous admiratifs des paysages qui défilent, ce qui ne nous empêche pas de faire connaissance et de jouer à "Contact !" pour faire passer le temps. Dans l'après-midi on arrive sur le site de la Ciudad Encantada, soit la "ville enchantée", parce que quelqu'un a décidé que cette étrange formation rocheuse ressemblait à une ville... Mouais. On est moyennement convaincus par les explications, mais on reste néanmoins fascinés par le lieu, on s'y promène tant bien que mal puisqu'on a un peu de mal à respirer à cause de l'altitude avant de se diriger vers la dernière étape de la journée (quel circuit bien rôdé !), le village abandonné et donc en ruine de San Antonio de Lipez.
Sur la route, Roman nous raconte l'histoire de ce village de colons espagnols consanguins où tout était fabriqué en or, jusqu'aux cloches de l'église, puisque construit à proximité d'un gisement d'or. Un conte farfelu où une bolivienne fait flancher tous les hommes du village bien contents d'avoir autre chose à se mettre sous la dent que leur mère ou leur cousine (ouais ouais, ils étaient bien trash au XVII ème !). Selon la légende, un curé malin venu de la ville propose aux voisins "indigènes" d'échanger un beau camion (avec bidons d'essences et d'huile de moteur) contre toutes les richesses dorées du village espagnol décimé. La communauté peut intéressée par l'or se fait donc berner, le curé part avec le moindre chandelier, dent ou pépite d'or qu'il peut trouver pour la ville de Potosi. Et quand les villageois découvrent qu'ils se sont fait avoir, pfiuuuut, plus de curé, plus de cloche dorée ! On a pu apercevoir le camion ayant servi de monnaie d'échange et on vous garantit qu'il faisait très dix-septième siècle...
Après la rapide visite des ruines on remonte dans le 4x4 où, il faut l'avouer, on est un peu à l'étroit. Et c'est parti pour deux heures de bosses, de soubresauts, de virages, de nuages de poussières et de musique à fond. On arrive de nuit à Quetena Chico, parce qu'ici la nuit tombe à 18h30. On pense pouvoir se poser mais... non ! On oublie une étape importante ! Le déficelage méthodique du paquetage du toit sur lequel Roman grimpe. Il défait la bâche et nous passe (ou nous balance !), un par un, nos sacs-à-dos, la cuisine, la bouteille de gaz. On passe ensuite au coffre et on sort des assiettes, une glacière, un carton de victuailles, une nappe, sept verres, une boîte de 30 œufs, un bidon-thermos... On défile un par un dans la cuisine, où s'active déjà Martha, en file indienne et chargés de nos multiples paquets.
Le lendemain matin on a rendez-vous à 7h00 pour l'opération inverse. Chargement, un par un et dans l'ordre, des boîtes, sacs, cartons et autres paquetages qui permettent notre survie dans ce milieu hostile et, il faut bien le dire, désertique.
Pour le deuxième jour de l’expédition, on continue d'écarquiller grand les yeux à chaque étape, bluffés que l'on est par les grandes lagunes encore gelées (c'est haut, fait pas chaud !), les flamants roses qui prennent leur envol et se déplacent super synchros, une laguna blanca qui n'est pas blanche, une laguna verde qui est bleue et une laguna colorada qui, elle, est rouge. Même les geysers du coin, à plus de 5000 mètres d'altitude, sont multicolores: piscine grise, bassin bleu ou marron bouillonnant. L'endroit est mystique et enfumé mais un peu gâché par la présence bruyante de nos amis les touristes. Malheureusement, on passe notre journée parmi une foultitude de jeeps parce que faut pas rêver, toutes les agences font quasi exactement la même chose... D'ailleurs nous avons tous un arrêt obligatoire dans le "désert de Dali" nommé ainsi parce qu'il parait que peut-être l'endroit ressemble un peu, vaguement, de loin, à certains tableaux du peintre surréaliste. Photos, photos, photos ! A notre sens le plus beau ce n'est pas spécialement ce fameux désert mais plutôt ce qu'il y a en face: une montagne multicolore à la frontière du Chili.
Enfin...! c'est une bien belle journée que l'on a passé là, Roman et Martha se détendent et sont de plus en plus blagueurs, jusqu'à notre arrivée fanfaronante à Villa Mar, le mini-village perdu au milieu de rien où on passe la nuit: fenêtres ouvertes, musique à fond, et vas-y que j'agite mon mouchoir pour accompagner les traditionnels airs de Cueca bolivienne !
Au troisième jour de notre road-trip organisé, après le rituel du chargement maintenant bien rodé, on fait un premier stop à la Copa del Mundo. (Je vous laisse essayer de comprendre le pourquoi de ce petit nom avec les photos). Un arrêt et une séance photo qui font apparemment plus plaisir à Roman qu'à nous, puis on poursuit jusqu'à Villa Italia Perdida où on fait de la grimpette dans les énormes cailloux. Wahou ! C'est beau de là-haut !
L'arrêt suivant est au bout d'une piste super étroite où la jeep passe très très près des rochers. Roman nous fait faire une pierapie, une "thérapie du pied" qu'il a inventé pour qu'on se défasse de nos ondes négatives, que l'on laisse tout ça à la pachamama et que l'on reparte plus légers, tout plein d'optimisme et de positif ! L'herbe est toute moelleuse, on croise un bon paquet de lamas, des oies sauvages et tout au bout du chemin, une lagune noire avec poules d'eau et troupeau de canards.
Après un passage au Canyon de l'Anaconda où on ramasse des cristaux de sel qui ressemble trop à des diamants on se dirige vers le clou du spectacle, le moment que l'on attend tous, ce pourquoi la masse de touriste est venue se perdre dans le sud Lipez, le point vers lequel convergent tous les 4x4... J'ai nommé le célébrissime... fantastiquissime... exceptionnellissime... ... SALAR DE UYUNI !
Le salar c'est 12 000 km2 de sel à parfois presque 120 mètres de profondeur, une gigantesque réserve de lithium et, accessoirement, le réservoir de sel de table de toute la Bolivie et le matériau de construction de la région. Mais quand on arrive sur les lieux on est bien loin de toutes ces considérations. On est plutôt époustouflés par la beauté du lieu, sans voix devant le reflet du ciel et des volcans alentours sur le miroir d'eau que forme le salar, éblouis par tant de blancheur et scotchés face au spectacle du coucher de soleil.
S'il ne faisait pas si froid on aurait du mal à quitter ce lieu magique. Mais une fois la nuit tombée il est l'heure pour nous d'aller se mettre au chaud dans notre hôtel de sel, à Puerto Chuvica, où les murs, les sommiers, les tables... absolument tout est fait de sel, jusqu'au sol jonché de cristaux salins. Improbable mais vrai !
Le lendemain on décolle à 6h00 pétante, avec les premières lueurs du jour, pour aller admirer le lever de soleil sur le salar. Tout aussi époustouflant que la veille, on ne se lasse pas de voir les couleurs changer et ce rouge pétant se refléter à l'horizon. Où que l'on regarde on ne sait plus où est le sol, où est le ciel, l'illusion de cet immense miroir étant tellement parfaite.
Après ce petit moment de poésie nous quittons ce lieu où nous étions absolument seuls pour rouler sur le salar et aller faire une ballade sur l'île Incahuasi, un îlot de corail sur lequel ont poussé des cactus, des toilettes et une gargote où acheter son ticket. De là-haut on a une belle vue sur l'immensité blanche et, où que l'on regarde, nos yeux se posent sur une couche de sel.
Pour la dernière étape c'est notre talent de voyajoueurs qui est sollicité: appareil photo en main, on s'amuse pendant des heures à jouer avec les perspectives et faire les lilliputiens au sommet de nos dés !
Et qu'est-ce qu'on a rigolé !
Sur les coups de treize heures, Roman nous dépose dans la rue d'Uyuni qui fait office de gare routière. On ne cherche pas longtemps les fortes voix qui crient "Potosi Potosiiiiii",on négocie nos billets et on grimpe dans le bus en direction de la ville la plus haute de Bolivie, Potosi, qui culmine à 4200 mètres... Nous voilà presque sur le toit des Andes !