(Écrit par Antoine)
Marqués par notre immersion d'un mois dans l'association Utopia56 en mars auprès des réfugiés de la jungle de Grande Synthe, nous avons eu envie d'approfondir le sujet.
Si Calais-Grande Synthe reste la zone la plus "connue" qui rassemble en un même point le plus de réfugiés (2000 à 3000), la frontière franco-italienne voit également de nombreux réfugiés frapper à sa porte. Ainsi, arrivés sur la célèbre, magnifique et touristique Côte d'Azur, nous avons eu envie d'aller voir ce qu'il se passait sur cette frontière, que nous avons donc traversée pour rejoindre côté Italie, près de Vintimille, le collectif Kesha Niya ("pas de problème" en kurde).
Nous avons retrouvé ici les mêmes parcours migratoires qu'à Grande Synthe. Des gens comme vous et nous, qui fuient leur pays afin de trouver une zone où ils puissent vivre en sécurité, de manière apaisée. Ici, beaucoup d'Africains, notamment du Soudan, Gambie, Guinée, Ethiopie, Érythrée, arrivés par bateau depuis la Libye dans des conditions inimaginables, essaient par centaines de franchir cette frontière contrôlée de partout. La PAF (police aux frontières) contrôle les routes. Les trains sont fouillés systématiquement, et des hélicoptères et militaires patrouillent (souvent en civil) dans la montagne, par laquelle de nombreux réfugiés essaient de passer à pied.
Les bénévoles de Kesha Niya interviennent au "Border Spot" : un belvédère touristique à 1km de la frontière reconverti en campement d'infortune, où nous venons chaque jour de 9h à 21h cuisiner et accueillir les "pushed back" : les réfugiés refoulés à la frontière. Nous passons la journée avec eux au-dessus d'une mer aux couleurs paradisiaques, avec vue sur Menton, en France, leur objectif qu'ils essaient désespérément d'atteindre.
Un matin, Moustapha se présente au Border Spot. Ce jeune soudanais de 17 ans, qui ne parle ni anglais, ni italien ni français mais seulement arabe, nous explique à l'aide d'un ami traducteur s'être fait refoulé par la police française, après avoir été contrôlé en France dans la montagne la veille. Contrôlés après 18h, les réfugiés sont gardés par la police française pour la nuit dans des "containers", sortes de préfabriqués assez spartiates et pouvant être qualifiés de prison d'où chaque matin, une dizaine de réfugiés reviennent et atterrissent à notre "Border Spot".
Moustapha nous montre les papiers rédigés par la police française et italienne, le fameux "refus d'entrée". À la lecture de ce document, nous nous rendons compte qu'il y a deux erreurs importantes. La date de naissance de Moustapha est inscrite au 01/01/2003, ce qui lui donne donc la majorité alors que Moustapha nous affirme être né le 16/01/2004. La police, n'étant pas habilitée à faire des évaluations de minorité, doit normalement inscrire la date de naissance déclarée par le réfugié. De plus, à la fin du refus d'entrée, il est mentionné que ce document lui a été relu et expliqué en anglais, langue qu'il comprend. Pourtant, Moustapha, avec qui j'essaie d'échanger en français comme en anglais, n'en comprend pas un mot.
Face à ces deux erreurs flagrantes et cette situation d'injustice, je décide donc en concertation avec les autres volontaires d'accompagner Moustapha à la frontière pour expliquer la situation aux policiers, et tenter de corriger les erreurs. Arrivé à pied à la frontière, je rencontre d'abord les militaires italiens, auprès de qui j'explique succintement la situation, en demandant si j'ai bien le droit d'accompagner Moustapha 100 mètres plus loin, auprès de la police française. Ceux-ci ont l'air étonné de ma venue, mais m'autorisent sans problème à accompagner le jeune mineur.
À peine entré dans le poste de police, je vois des regards très étonnés et après m'être présenté, je commence à expliquer la situation... Interrompu après quelques secondes, on me demande ma carte d'identité, aussitôt photocopiée, et les policiers changent alors d'attitude. Le premier, d'abord assis sur son siège, se lève pour me parler et m'explique en levant le ton que je suis en train de commettre un délit pour passage illégal, et que je risque gros, et m'invite vivement à sortir tout de suite. Le deuxième se lève et semble aller derrière pour "chercher des renforts". Ayant eu l'aval des militaires italiens pour accompagner le mineur à la police française, je leur explique que je ne fais qu'accompagner un mineur incapable de s'exprimer en français ou anglais. Je tente à nouveau de présenter les erreurs présentes sur le document (date de naissance, langue parlée), et j'entends une policière (qui me semble être une des chefs) crier "ON GARDE ON GARDE ON GARDE".
On me demande alors aussitôt de m'asseoir, avec le mineur, et de me taire. Lorsque je sors mon téléphone de ma poche, un policier s'énerve et m'ordonne de le ranger. Je m'exécute. J'essaie alors de rassurer le jeune soudanais de 17 ans qui ne comprend rien à la situation et on m'ordonne de me taire et de ne pas communiquer avec le migrant, qui semble pourtant apeuré. Je demande ensuite si je peux aller aux toilettes et on me répond que non.
Grosse ambiance.
Deux nouveaux policiers se présentent (ils sont désormais donc 5 à s'occuper de mon cas) et, moi aussi, un peu stupéfait de ce que je viens de déclencher en tentant de défendre les droits de ce mineur, je demande alors aux policiers si je suis en garde à vue.
On me répond que "non, pas pour le moment", que je suis en "vérification". Je les vois pourtant discuter, hésiter, faire des allers-retours avec les bureaux... On m'explique et me réexplique en quoi ce que je fais est dangereux et interdit, on me dit que j'aurais dû profiter de la première invitation à sortir pour éviter de risquer la garde à vue.
N'étant pas franchement tenté par l'expérience "garde à vue" je m'efforce de garder tout mon calme et ma courtoisie pour leur expliquer que je ne fais pas de passage illégal, que je suis entré moi même dans le poste de police avec le jeune (ce qui je crois ne ressemble pas vraiment à ce que ferait un passeur) et que j'ai en plus demandé l'autorisation aux militaires italiens de franchir la frontière (située quelques mètres avant le poste de police).
L'un des chefs semble comprendre un petit peu le ridicule de la situation, et après discussions avec ses collègues, décide de nous "relâcher".
Avant de ressortir, un policier m'explique que le refus d'entrée, avec la date de naissance, a été rédigée après le document de la police italienne, et est donc basé sur celui-ci. Ce sont donc les militaires italiens qui doivent changer le document.
De retour au Border Spot, avec le jeune, je lui explique avec l'aide d'un réfugié traducteur que je n'ai pas réussi à faire modifier ce document, que je n'ai pas été écouté. Le jeune ne paraît pas très surpris, et plutôt résigné.
La pression retombe un peu. La frustration est immense.
Je relis alors attentivement les documents du jeune : le document français a été réalisé un jour avant le document italien. C'est donc consciemment que les policiers français ont ignoré l'âge de ce mineur qui aurait dû, en application du droit français, être pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, et l'ont refoulé à la frontière. Ayant peu d'imagination, les policiers inscrivent systématiquement la même date de naissance sur le refus d'entrée : le 01/01/2003.
L'exemple que j'ai vécu et que je viens de vous décrire le plus sincèrement possible dans les détails représente très bien l'état d'esprit de la police aux frontières, sur les nerfs.
Qui traque chaque réfugié.
Qui place des caméras dans la montagne.
Qui ne nous contrôle quasiment pas, Léa et moi, lorsque hier, avec nos gros sacs à dos et nos jolis minois bien blancs, nous passons la frontière à pied pour revenir en France.
Car finalement, après seulement quelques jours passés ici, nous sommes revenus en France. Car malheureusement, Kesha Niya ne nous convenait pas.
Kesha Niya... un collectif anarchiste de quinze à vingt personnes de 18 à 35 ans, venant d'Allemagne, de France, d'Espagne... qui partagent le même lieu de vie et la même philosophie.
Le campement dans lequel nous avons passé une semaine se situe à Rocchetta Nervina, un mignon petit village italien perché dans la montagne à 30minutes de Vintimille. Arrivés au village, il faut ensuite crapahuter 40 minutes dans la montagne pour parvenir au campement, caché en pleine nature.
Un petit coin de paradis ?
Oui mais non.
Le cadre est magnifique et les paysages de montagnes, les rivières et cascades aux alentours vraiment beaux.
Mais la réalité du campement est très spartiate. Léa dirait : "immonde". Chacun installe sa tente où il peut sur les rares endroits plats. En guise de lieu de vie commun, une cuisine aménagée dans une ruine, où des centaines de mouches virevoltent sur des quantités de nourriture récupérée dans les poubelles du Lidl, et rarement stockée au frais par manque de place. Des seaux de compost un peu partout qui débordent et qui attirent insectes et autres rongeurs qui se promènent. Je ne vais pas m'étendre sur la douche extérieure et les toilettes, mais on n'est sur les même standards.
Pas un problème pour les Alter'Vagabonds habitués des campements spartiates ? Un peu quand même. Si on aime bien dormir sous la tente, qu'on est à fond pour la récup etc, le manque d'hygiène nous a clairement mis mal à l'aise.
Là ça ne se voit pas, mais ça ne sent pas la rose et il y a des centaines de mouchesCeci dit, nous aurions presque pu faire avec pour quelques semaines, en se douchant dans la cascade et en faisant sauter les repas (après une séance de récup dans les poubelles, Léa a refusé de toucher à quoi que ce soit, les fruits et légumes sans emballage ayant macéré toute la journée au soleil au fond des poubelles).
Mais au-delà de ça, le fonctionnement global, peu structuré et très peu cadré ne correspondait pas à notre façon de faire. La volonté de rester en "collectif" et de ne pas créer d'association nous pose déjà problème lorsque le collectif demande des dons. Des réunions qui s'éternisent, qui sont sensées commencer à 21h, qui finalement démarrent à 23h, ou n'ont pas lieu du tout. La possibilité d'être off autant qu'on veut, d'aller randonner dans la montagne alors qu'on peine à remplir le planning, nous interroge. Une liberté finalement trop grande pour nous, pourtant avides de liberté. On ne se sentait tout simplement pas à notre place, et pas tellement bien accueillis car trop différents. En tant que "cisgenres" (d'un genre en adéquation avec notre sexe, c'est à dire que je suis né homme et que je me revendique homme), nous n'avions pas les mêmes repères que la majorité de nos camarades qui se disent non-binaires (ni hommes, ni femmes, nous devions nous référer à eux en disant "them" plutôt que "he" or "she"). Bien que l'on soit également féministes et contre le patriarcat, nous en faisions ici moins une priorité que l'aide aux migrants, quand eux plaçaient tout cela sur un pied d'égalité.
A Kesha Niya, on est accueillis par... Un clitoris géant !Après avoir expliqué ces raisons au collectif, qui effectue malgré tout un super travail auprès des réfugiés, nous avons donc décidé d'écourter notre expérience à la frontière.
Nous nous lancerons donc dès demain pour une nouvelle et dernière étape de notre Tour de France, qui devrait durer un mois. La Grande Traversée des Alpes à pied, de Nice à Chamonix ! A suivre...