Jour 22 - Vendredi 30 octobre - 21h05
C'est fait ! 394 kilomètres, 11 000m de dénivelé positif et 20 jours de randonnée : notre Grande Traversée du Jura s'est achevée hier soir à Mandeure (Doubs), sous la pluie, par un sentiment de fierté et de bonheur, et un soulagement d'autant plus grand qu'après les annonces de mercredi soir, on a bien failli devoir renoncer tout près du but.
Nous vous écrivons finalement depuis la maison d'Yveline et de Philippe, l'oncle d'Antoine qui est venu nous chercher à notre arrivée hier et nous a ramenés chez lui à Grosmagny, à côté de Belfort. On est au chaud, et avant de partir dimanche pour notre lieu de confinement, on en profite pour vous raconter ce dernier tronçon de la GTJ qui nous a menés en 7 jours de Pontarlier à Mandeure.
La dernière fois, on vous avait laissé.e.s chez Claire et Denis à Pontarlier, et il pleuvait des cordes. En plus de nous offrir une belle saucisse de Morteau à notre départ, ils nous ont donné le meilleur plan que l'on ait eu sur ces 3 semaines : une ferme à trois heures de marche, en Suisse, que son propriétaire laisse ouverte pendant l'hiver pour les randonneurs de passage. Et en effet, après une douzaine de kilomètres sous une pluie battante, trempés jusqu'aux os, on a découvert cette très grande ferme au milieu de nulle part. Quand la porte s'est ouverte, l'euphorie nous a gagnés et ne nous a plus quittés jusqu'à notre départ 24h plus tard.
En regardant la pluie tomber, on a pu sécher nos vêtements au-dessus du poêle, lire, dormir dans un bon lit, manger de la saucisse et du riz, descendre une bouteille de vin et faire des mots fléchés, une vieille habitude prise pendant le confinement. On était complètement coupés du monde, on se croyait dans Into the Wild et c'était un grand moment de bonheur.
Les jours suivants se sont suivis et se sont ressemblés : de la pluie, des abris pour la nuit, des kilomètres et des kilomètres de marche. Une espèce de routine s'est installée. Antoine réveillé vers 6h30, moi vers 8h. Sursis de 20 minutes en rangeant l'intérieur de la tente pendant qu'Antoine préparait le thé, qu'on buvait en mangeant des Belvita après que je me sois péniblement extraite de la tente. 30 minutes pour démonter le campement et boucler les sacs à dos, et c'est parti.
Essoufflement dans les montées, mal aux pieds et gros ralentissement dans les descentes, il n'y a que sur le plat qu'on allait à la même vitesse et qu'on jouait à tout un tas de jeux pour passer le temps : "il ou elle", abécédaires, jeux de géographie (le plus abouti étant de lister tous les départements de France par ordre alphabétique. Ça occupe).
En moyenne, 7 à 8h et 25 à 30km de marche par jour, fin de la journée vers 18h (à la frontale depuis le changement d'heure).
A l'arrivée, on montait la tente ou on s'installait dans l'abri, je m'occupais des matelas et sacs de couchage pendant qu'Antoine préparait une soupe et un couscous. Après le repas, vers 19h, on se réfugiait sous la tente et on lisait avant de nous endormir vers 21h pour des nuits plus ou moins réparatrices et confortables.
Un soir, Antoine nous a offert une fondue jurassienne au comté dans une auberge bien rustique, où on a manqué de s'endormir devant le poêle, et deux ou trois fois on a pu trouver un bar ouvert pour prendre un verre et rencontrer les autochtones.
Concernant les paysages, on a essentiellement longé le Doubs depuis sa source. On garde un incroyable souvenir du saut du Doubs, impressionnant de puissance suite aux dernières grosses pluies, qui nous a fait penser aux Chutes d'Iguazu (Brésil/Argentine) et nous a offert des panoramas merveilleux. On se serait crus au Québec pendant l'été indien, le paysage était exceptionnel et, pour ne rien gâcher, vide de tout touriste. Car on est vraiment partis sur la fin de saison, et il s'est parfois passé des journées entières sans que l'on voie le moindre humain. Dans les villages, bien souvent des petites stations de ski, tout était fermé pour l'inter-saison et on a trouvé de nombreuses portes closes.
Ces derniers jours, on a beaucoup flirté avec la frontière suisse, et on n'a pas allumé nos téléphones de lundi à mercredi. Quelle ne fut donc pas notre surprise mercredi à 18h en arrivant à Saint Hippolyte et en découvrant que notre cher Président s'apprêtait à s'adresser à la nation ! On n'avait pas passé une très bonne journée, il faisait moche, on n'avait pas pris de douche depuis une semaine, l'étape était de 30km et j'avais décrété que j'en avais marre de marcher.
On avançait quand même en se remémorant les bons souvenirs du confinement à Santec et en rêvant d'une pizza le soir pour se remonter le moral. Mais en arrivant, trois gamins nous ont escortés jusqu'à des spots de bivouac en nous annonçant "ici on ne va pas avoir de pizzeria, seulement un kebab". Et effectivement, impossible de trouver quoique ce soit d'autre ouvert. Quiconque me connaît dirait "impossible qu'elle soit allée dans un kebab". Et bah... Si. On s'est retrouvés dans le kebab devant une portion de frites, d'une humeur exécrable en regardant CNews relayer en boucle les rumeurs sur un nouveau confinement et les images inutiles dont ils sont friands. A 20h, on s'est traînés sous la pluie pour monter la tente au bord du Doubs, puis on a écouté le discours.
Deux solutions à notre problème : 1) partir se confiner dans nos familles et nous tourner les pouces pendant un mois 2) contacter des lieux qu'on avait prévu de visiter pour voir si on ne pourrait pas aller chez eux et aider des associations ou des agriculteurs.
A ce moment là, il nous restait théoriquement deux jours de randonnée, et il était hors de question de ne pas arriver au panneau final, à Mandeure.
On s'est endormis, et quand je me suis réveillée Antoine avait déjà les yeux grand ouverts et m'a dit : "allez on traîne pas, on appelle des gens". J'étais fatiguée, j'ai presque supplié : "on dort encore juste un petit peu". Après vérification, il était 2h50. Connard.
A 8h, devant un chocolat chaud au bar en mode cellule de crise, on a passé pas mal de coups de fil puis décidé de boucler en une journée les deux dernières étapes. On a donc cavalé jusqu'à 18h pour, enfin, atteindre la fin de cette Grande Traversée. Un grand moment d'émotion !
Entre-temps, nous avons reçu une réponse positive à l'une de nos demandes, et nous sommes hyper contents de passer notre confinement dans un lieu où nous allons pouvoir nous rendre utile. On vous en dit plus très vite. Un seul indice... C'est en Alsace !
Depuis qu'on est arrivés à Grosmagny hier soir, on a super bien mangé grâce aux talents culinaires d'Yveline et de Philippe qui nous régalent de soupes de légumes du jardin, de tarte franc-comtoise (patates, morbier, crème, lardons, oignons, tomates... Que du bon), de choucroute alsacienne et de gâteaux. Nous allons vite reprendre les kilos perdus, mais quel accueil de rois ! Repos aujourd'hui et demain, et on vous dit à très vite pour la suite de nos aventures !
En attendant, bon courage et bon reconfinement à toutes et à tous !