(Antoine)
J’ai toujours eu peur du vide.
Du haut d’un phare, ou devant la page blanche de mon agenda, je n’ai jamais aimé cette sensation de vide.
Au fil de ma vie, je me rends compte à 28 ans que j’ai finalement toujours évité le vide.
Au collège, j’optimisais mes récrés et pauses dej pour jouer le plus longtemps possible au ping-pong avec mes copains dans la cour. Pour jouer le plus possible, nous organisions des tournantes, pour éviter l’attente, faire un maximum de matchs.
Au lycée, je remplissais tous mes weekends. J’ai suivi la formation de sapeur-pompier volontaire à 16 ans (250 heures de formation sur toutes mes vacances scolaires), et je suis devenu coach de basket. En un weekend, j’avais parfois le temps de faire 4 matchs (et les déplacements qui vont avec) : 2 matchs comme joueur, 1 match comme coach, et 1 match à la table de marque. En parallèle, une soirée le samedi soir avec les copains, une manœuvre avec les pompiers le dimanche matin. Bon, et parfois, mes devoirs, même si je dois être honnête, cela m’enchantait moins.
Étudiant en STAPS à Saint-Etienne, puis à Lyon, j’ai pris un job étudiant de livreur de pizza, tout en continuant mes activités de basketteur, coach et pompier tous les weekends en rentrant dans mon village de Rozier-en-Donzy, chez mes parents.
J’avais pris le rythme du « J-V-S » : le jeudi-vendredi-samedi signifiait pour les étudiants en STAPS d’enchaîner trois soirées du jeudi au samedi. Étant plus intéressé par les cours qu’au collège ou lycée, je ne manquais pas pour autant le cours de natation le vendredi matin 8h (rien de mieux que d’enchaîner les longueurs pour noyer la gueule de bois !), ni le cours magistral d’histoire du sport à 10h, puis l’athlétisme à 14h (je me souviens encore des séances gradins avec les interminables montées d’escaliers).
A 17h, je montais dans le train pour rentrer à Rozier, je profitais du trajet pour préparer l’entraînement de mon équipe de cadets. Arrivé à la gare, mon père me récupérait pour me déposer directement à la salle, où j’entraînais à 18h. Je passais ensuite en coup d’vent dîner à la maison, avant de repartir pour mon entraînement à 20h45. Pour souffler après cette journée marathon, nous poursuivions souvent l’entraînement par une petite soirée au foyer du basket, qui selon l’humeur, pouvait durer un peu…
Et le weekend se poursuivait.
Je ne vais pas vous faire toutes les étapes de ma vie, mais disons que j’ai plutôt continué sur cette lancée.
Ces deux dernières années à Paris n’ont pas vraiment dérogé à la règle ; entre mon job qui selon les périodes de l’année pouvait m’occuper entre 50 et 70h/semaine, le basket, mes engagements associatifs… et mes aller-retours quasiment chaque weekend à Lyon pour retrouver mes amis, ou ma famille. J’avais la chance d’avoir TGV MAX. Un abonnement pour voyager en TGV en illimité. Pour voyager au MAX. A 320km/heure, j’allais super vite ! Cela m’allait bien. L’optimisation du temps. La suppression de l’ennui.
La fuite du vide.
Le 17 mars 2020, BIG BANG dans ma vie. Mon rythme effréné venait de prendre une claque dans la gueule. Après être rentré de Jordanie à près de 1000km/heure, pris un train à 320km/heure pour rejoindre la Bretagne, je me retrouvais coincé, au fin fond du Finistère, au point mort.
74 jours confinés, à deux, dans un endroit où nous ne connaissions personne. Où nous ne pouvions aller au-delà d’un kilomètre du domicile. « Des déplacements brefs, à proximité du domicile », disait l’attestation. Moins de boulot. Fini le basket. Terminés les verres entre amis. Aucun aller-retour en train. Le calme, le temps qui revient au galop. L’ennui.
"Une période de bonheur et de liberté" L’ennui ?
Non. Pas le moins du monde. Ces 74 jours confinés ont été l’une des plus belles période ma vie. Une période de bonheur, et de liberté. Une période où j’ai appris à prendre le temps. Une période, où j’ai retrouvé du temps. Et surtout où j’ai aimé avoir du temps ! Comme beaucoup, j’ai retrouvé le temps de lire. De bricoler, jardiner, cuisiner. J’ai retrouvé le temps de faire du sport, aussi. Je ne vais pas vous dire que je n’ai rien fait, ce serait mal me connaître. Léa vous dirait que j’ai passé tout mon temps à chercher des chantiers à faire dans la maison. Mais j’ai aussi retrouvé le temps de penser, de réfléchir. Une chose finalement difficile dans une vie à 320km/heure.
En allant à pied chercher les pizzas, mercredi 13 mai comme nous le faisions chaque mercredi sur la place du petit village breton, Léa m’a parlé de sa nouvelle idée (nous avons eu pas mal d’idées pendant ce confinement). Un tour de France, à pied, des villages. Tentant. Et comme nous avions du temps pour réfléchir, j’ai réfléchi.
Dans mon boulot, j’aurais pu entendre : « On a challengé l’idée, pour l’upgrader. On a brainstormé, fait un gros job de benchmark et de sourcing, quelques call pour avoir des feedback pertinents. On aussi pensé ROI, évalué les risques et opportunités à l’aide d’un SWOT. ». Bon Léa, qui a fait une overdose de ces anglicismes à force de m’entendre parler en télétravail m’a interdit d’utiliser ce type de mots (je devais faire 10 pompes pour chaque mot anglais…). Mais pour être honnête, même si on a réfléchi à ce tour de France, en français, on a un peu fait tout ça quand même !
C’est donc ainsi que nous avons décidé ensemble de nous lancer dans cette aventure.
Au lieu de foncer, j’ai décidé de ralentir.
Au lieu de courir, j’ai décidé de marcher.
Au lieu d’optimiser, j’ai décidé de profiter.
Une année entière, à l’allure de nos pas.