La peur. C’était l’objet de la première table ronde du Festival Chilowé : « J’y vais mais j’ai peur ». Une discussion sur l’importance de mettre les mots sur ses peurs, de les affronter mais aussi de vivre avec et d’en faire une force.
A une semaine du grand départ, je reconnais avoir peur. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de ne pas en être capable, peur d’abandonner dès la première journée. Ce projet, qui est pourtant mon idée à la base, est taillé sur mesure pour Antoine, qui ne manque d’expérience ni en trek, ni en stop, ni en bivouac. Au contraire, moi, je n’ai jamais marché plus de 2 jours en montagne, je pose le pied à terre dès que ça monte à vélo, je n’ai jamais levé le pouce pour arrêter une voiture, et je me demande bien si je vais réussir à faire tout ça. Je ne suis pas une princesse, mais pour moi, tout effort appelle le réconfort : une douche chaude, un bon petit plat en fin de randonnée, avec du fromage fondu dans l’idéal, et une nuit bien au chaud sur la couette, même si j’adore les nuits sous la tente, même (et encore plus) quand il pleut. Hier, j’ai hurlé sous la douche quand le ballon d’eau chaude s’est vidé alors que j’avais la tête pleine de shampooing. Le week-end dernier, j’étais gelée et j’empilais les couches dans la maison à 17°C, les mains autour d’une tasse de thé bien brûlante. Et pourtant, cette année, ce sera bain dans les rivières, lacs ou cascades, nuit sous la tente à des températures potentiellement négatives, coquillettes ou semoule au réchaud.
Antoine, lui, a plus peur de l’avant et de l’après. Il avait davantage peur de lâcher son travail, sa situation stable et son CDI en période de COVID avec toutes les incertitudes liées à son secteur d’activité. Et il a peur de ce que l’avenir nous réserve à notre retour de voyage : où habiterons-nous ? Avec quel argent ? Pour faire quoi ? Moi ça ne m’effraie pas, on aura bien le temps d’y penser. Je n’ai pas non plus eu peur quand j’ai posé ma démission sans rien avoir derrière - je me suis vaguement posé la question de l’après, mais je n’ai pas eu peur une seule seconde.
En parlant d’Antoine, une petite peur, mais beaucoup moins importante, tient à la vie à deux pendant ce voyage. A Chilowé, une table ronde accueillait Marie et Nil, un couple qui a marché 10 000 kilomètres du Portugal à la Turquie à la rencontre de « l’autre ». Nous nous sommes retrouvés dans leur témoignage. Faire un tel projet à deux, partir à deux, ne laisse plus la place à grand-chose d’autre. Ces derniers mois, notre projet est pratiquement devenu notre unique sujet de conversation, à un tel point qu’il a fallu décréter des « horaires de travail » pour faire des pauses dans nos réflexions. Partir à deux, c’est aussi vivre l’un sur l’autre chaque jour, et donc ne plus avoir le plaisir de se retrouver, tout partager, et donc ne plus rien avoir à se raconter, dormir chaque nuit dans la même petite tente, partager tous nos repas, prendre toutes les décisions ensemble. Même si le confinement à deux nous a été plus que bénéfique et que nous ne nous faisons aucun souci sur notre bonne entente mutuelle, il y aura forcément des galères, des moments compliqués à gérer, des jours où l’on aura envie d’être seuls. Heureusement, nous avons suffisamment discuté, nous sommes suffisamment complémentaires et nous nous connaissons suffisamment bien pour savoir que nous sommes sur la même longueur d’ondes et que tout devrait parfaitement bien se passer.
Car être sur la même longueur d’ondes et donner le même sens à cette aventure est primordial. C’était le thème d’une autre table ronde du Festival portant sur l’aventure engagée : « L’aventure oui, mais pas que pour sa gueule ». Trois intervenants particulièrement inspirants nous ont parlé écologie et maladie. Anaëlle, du Projet Azur, est arrivée au Festival avec un sac plein de déchets qu’elle a ramassés sur le chemin. Elle a parcouru 1000km en kayak et vélo pour sensibiliser la population aux déchets plastiques en mer. Et elle compte bien recommencer l’année prochaine en sillonnant la Loire dans les 2 sens. Violette, atteinte de fibromyalgie, a des douleurs immenses, persistantes et invisibles dans tout son corps. Avec une poussette pour porter son sac, elle a parcouru à pied 6000km le long du littoral européen pour faire connaître sa maladie. Quant à Matthieu, le fondateur de « zéro mégot », il a pédalé 18 000km sur les 5 continents pour découvrir et promouvoir des initiatives de lutte contre la pollution plastique. En juin 2021, il remontera la Seine à la nage, en relai, pour retracer le parcours d’un mégot abandonné dans les rues de Paris et alerter les consciences.
Notre cause principale à nous, c’est l’écologie. Un voyage vert, au vert, à pied et à vélo et donc sans moyen de transport polluant. Un voyage avec chargeur solaire, matériel de randonnée essentiellement éco-conçu, approvisionnement en fermes locales, apprentissage du maraîchage biologique et de la permaculture, visite d’initiatives écologiques et aussi solidaires pour partager les bonnes idées et bonnes pratiques au plus grand nombre. Sans pour autant devenir accros aux réseaux sociaux : nous avons fait le choix d’une année déconnectée. Pas d’ordinateur, une montre au lieu d’un réveil, un topo-guide ou des panneaux au lieu d’un GPS, et seulement un téléphone chacun sur lequel nous nous connecterons ponctuellement pour donner des nouvelles ou prendre des photos en mode avion. Nous posterons de temps en temps du contenu sur ce blog et sur les réseaux sociaux, mais sans tomber dans le partage instantané, sans gâcher nos moments de liberté à penser à la photo à prendre pour la prochaine « story ».
Ce qui nous mène au thème de la dernière table ronde, qui portait sur la sobriété : « Il en faut peu pour être heureux ». Alors ça, pour être sobres, on va être sobres. Comme le dit l’adage, couplé à celui de Chilowé, on va vivre pendant un an d’amour, d’aventure et d’eau fraîche. Dans un mode de vie « sac à dos » où chaque gramme compte, nous aurons deux exemplaires au maximum de chaque vêtement, un savon de Marseille pour tout faire (toilette, lessive, vaisselle), une mini casserole et deux bols en bambou. Pour moi qui suis habituée à déménager chaque année depuis longtemps, cela ne m’effraie pas. Je suis une maniaque du tri, je ne suis pas matérialiste et pas du genre à avoir plus de 2 jeans et 3 paires de chaussures dans la « vraie vie ». Mais tout de même, toute notre vie dans un sac à dos, c’est un bon petit défi ! Cela nous obligera à nous concentrer sur nous, sur la nature, sur les rencontres, sur la découverte de notre pays sans nous égarer dans des considérations matérialistes. Et ça, c’est tellement excitant.
C’est finalement ce mot que j’utiliserai pour répondre à cette question : « Comment on se sent à une semaine d’une telle aventure ? ». Excitée. J’ai parlé de mes peurs, de mes interrogations, mais je sais pourquoi je fais tout ça.
Je sais qu’en sortant frigorifiée de la tente le matin, la vue sur la montagne sera ma plus belle récompense.
Je sais qu’un échange avec un berger ou un agriculteur autour d’un bon plat du terroir m’apportera plus qu’un énième verre autour d’une énième planche de fromages dans un bar à Paris.
Je sais que je n’ai pas besoin de plus de 2 teeshirts pour être heureuse.
Je sais que l’eau glacée est bonne pour la circulation du sang.
Je sais que les champignons que nous ramasserons et que nous ferons cuire au réchaud m’apporteront bien plus de satisfaction que ceux que j’achète au supermarché.
Je sais que chaque moment de repos sera amplement mérité.
Je sais que chaque rare moment de confort n’en sera que plus savoureux.
Je sais que les souvenirs que nous construirons, faits de belles rencontres, de moments de grâce et de grosses galères seront bien plus inoubliables que notre routine métro boulot dodo.
Je sais que je ressortirai de cette année plus sportive, plus sociable, plus épanouie, plus confiante en moi, plus alerte et plus engagée.
Je sais que cette année nous serons libres et heureux, et que nous nous apprêtons à vivre une aventure extraordinaire.