Nous revoilà !
Après ce mois de vélo entrecoupé de séjours en wwoofing, on s'est un peu calmés ces derniers jours. On est posés chez Simon et ses super colocs, avec qui on goûte aux joies des soirées raclette/jeux de société.
Mais bon on ne s'est pas tourné les pouces pour autant !
Dès le surlendemain de notre arrivée à Orléans, on est partis à 30km de là pour visiter l'école Upaya, une école démocratique alternative où l'on a passé 3 jours en compagnie d'une équipe formidable, que l'on remercie pour son accueil!
C'est une maman d'élève qui nous y a amenés et qui nous en a donné une première vision d'ensemble : selon elle, l'école républicaine est inadaptée à la plupart des élèves et les force à rentrer dans un moule, il est donc essentiel de créer des écoles alternatives pour prendre davantage en considération les besoins des enfants, respecter leurs individualités et leur offrir un espace de liberté de choix et d'expression.
A Upaya, on ne parle pas d'élèves mais d'enfants, on ne parle pas de professeurs mais de facilitateurs d'apprentissage, on établit ensemble le programme de la journée, on vote les règles communes à main levée après un débat démocratique et, bien sûr, on n'a pas de devoirs ni de notes. Les maths et le français sont secondaires face aux "projets personnels" (jonglage, couture, journalisme...) que les enfants organisent par eux-même.
A Upaya, l'environnement est très naturel et les enfants naviguent à leur guise entre la grande yourte pour les "cours" et les jeux, le tipi pour le goûter et les champs pour jouer, faire un footing ou encore construire le nouveau compost. Upaya, concrètement, ce sont environ 20 enfants de 3 à 14 ans, qui peuvent être présents à temps plein, mi temps ou quart temps, et dont les parents déboursent 400€ par mois pour leur assurer une meilleure éducation. Éducation assurée par deux "facilitatrices" qui n'ont pas pour mission de tout savoir et de tout transmettre, mais d'aider les enfants à trouver par eux-mêmes les moyens d'apprendre ce qu'ils veulent apprendre.
Antoine et moi sommes tous les deux des purs produits de l'éducation nationale, tous les deux enfants, frère et sœur de profs. On a pourtant vécu les choses très différemment, et devant l'impossibilité d'écrire un article consensuel, on a décidé d'en écrire une partie chacun.
On commence par moi, pour Antoine c'est un peu plus bas :)
La yourte et la "cour de récréation" des enfantsJe ne savais pas à quoi m'attendre en arrivant de bon matin dans la yourte où, comme partout j'imagine, parents et enfants avaient du mal à se séparer. Après avoir formé un cercle pour se dire bonjour, partager son humeur du matin et établir un planning assez vague de la journée, chacun.e a vaqué à ses occupations. Pour les petits, on était dans de la périscolaire (lire des histoires et faire des puzzles), pendant que les grands s'adonnaient à leurs projets respectifs : pour l'une, apprendre à jongler et aider sa copine dans son projet de journalisme (poser des questions aux enfants et faire une vidéo pour le blog de l'école). Quant aux garçons, studieux dans la caravane, ils ont bossé sur les camps d'internement du Loiret pendant la seconde guerre mondiale et planifié la venue de spécialistes.
A l'intérieur de la yourte Le midi, chaque enfant mange ce qu'il ou elle a ramené de la maison, et chaque grand aide un petit à réchauffer son plat et à s'installer. L'après-midi, l'heure était au conseil d'école : assis en cercle, les grands et les moins grands ont débattu de propositions de règles de vie commune déposées dans une boîte prévue à cet effet. Après débat, l'autorisation de jouer au cheval dans la yourte n'a pas été retenue. Une personne = une voix, adulte comme enfant, et les facilitatrices n'ont pas vocation à imposer de règlement, mais à faire réfléchir les enfants à ce qui est le mieux pour eux.
Ensuite, les enfants se sont défoulés à l'extérieur pendant qu'un adulte, compagnon de l'une des "maîtresses", papa de deux des "élèves", préparait sous le tipi des pancakes au feu de bois qui ont été dégustés en toute convivialité en attendant l'heure des parents.
J'avoue que c'était bien sympa le goûter pancakes dans le tipi! Pour cette première journée donc, aucune des matières classiques de l'école traditionnelle n'était au programme et le mot d'ordre était plutôt "faites ce qu'il vous plaît".
Nous avons passé une bonne nuit dans nos sacs de couchage au milieu de la salle de classe avant d'attaquer une nouvelle journée le lendemain. Cette fois-ci, Antoine s'est attelé à la fabrication d'un compost pour les toilettes sèches, aidé de petit.e.s jardinièr.e.s armé.e.s de brouettes. Quant à moi, j'ai profité d'un soudain intérêt des grands pour les maths pour les aider là dessus (enfin... Jusqu'à ce que j'échoue à poser une division euclidienne, à mon grand embarras, et que je sois obligée de convenir, pour répondre à la question de la jeune fille, que cela ne m'avait jamais servi dans la vie).
Quand je pensais savoir faire une division, et en fait pas du tout Les grands ont aussi décidé d'apprendre les langues sur Duolingo, l'anglais pour l'une qui veut devenir hôtesse de l'air, l'espagnol pour l'autre qui veut partir en voyage en Espagne avec ses parents. Je leur ai ensuite partagé le jeu traditionnel de mes parents à l'heure du coucher quand j'avais 10 ans : trouver les pays sur le planisphère accroché au-dessus de mon lit. Ça a eu son petit succès et ils ont pu apprendre des pays, continents, villes et régions en s'amusant.
La journée s'est finie avec la réalisation des tâches par binome grand/petit : nettoyer les toilettes sèches, ranger la caravane, vider le compost...
On a aussi pu regarder Gabriel, le boulanger nouvellement installé, mettre ses pains dans le four qu'il a fabriqué lui-même. De retour dans la yourte pour passer la nuit, après avoir longuement discuté avec des parents et avec l'équipe d'Upaya, l'heure était au bilan, et j'avoue que ces deux jours ont donné à réfléchir.
Je pense effectivement que l'école républicaine est loin d'être parfaite, même si en ce qui me concerne elle m'a parfaitement convenu. Elle m'a apporté un cadre, un programme scolaire conçu par des spécialistes, un enseignement apporté par des personnes formées pour ça, même si chaque professeur ne se vaut pas.
Une école démocratique ne m'aurait pas apporté un cadre et une rigueur suffisants et je pense que le niveau scolaire est globalement inférieur à celui attendu dans les écoles "républicaines" , comme dirait ce bon vieux Blanquer. Par ailleurs, je trouve que même s'il est louable et présente ses avantages, ce modèle basé sur la liberté et l'autonomie ne prépare pas à la vraie vie. Car la vie, à un moment ou à un autre, apporte son lot de contraintes, d'obligations, de loyers à payer, de deadlines à respecter, de rendez-vous à honorer, que ce soit à l'échelle professionnelle ou personnelle. Et je dis ça même si j'ai tout plaqué pour faire mon tour de France et que je vis ma vie plutôt très librement.
Mais je dois aussi reconnaître que l'école ne fait pas tout et que ma réussite scolaire est largement due à mes parents, tous deux profs d'histoire, J'ai eu la chance qu'ils s'investissent beaucoup dans ma scolarité et qu'ils complètent le programme de l'éducation nationale par une éducation à la maison ludique, qui m'a permis d'apprendre des tas de choses sans même que je m'en rende compte : faire des maths en randonnée, découvrir la peinture dans un CD-ROM du musée du Louvre ou dans un jeu des sept familles, faire un jeu de piste culturel pour découvrir la destination des prochaines vacances, écouter ma mère parler histoire et architecture dans les églises, apprendre la musique avec mon père .. Les exemples sont infinis et, d'une certaine façon, se rapprochent de l'enseignement de l'école démocratique : apprendre en s'amusant. Ce type d'école permet aussi, je pense, de développer de meilleurs rapports entre les enfants, davantage de respect, d'autonomie et d'entraide, bien loin des moqueries et du harcèlement dont on entend de plus en plus parler au collège. Mais ce sont également des valeurs qui devraient dans l'idéal être transmises par la famille...
Bref... Allez, c'est au tour d'Antoine :)
Ancien entraîneur de basket et étudiant en STAPS ("Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives") j'ai tout de suite pu remarquer la "débrouillardise" et les qualités "motrices" de ces enfants, qui passent en effet beaucoup de temps dehors à courir, faire du vélo ou des jeux en forêt.
Dans cette période de confinement et couvre-feu, passer autant de temps dans la nature est un privilège offert à ces enfants. Les voir sauter dans les flaques, jouer à la cuisine avec de la boue, prendre les pelles pour m'aider à construire un compost... me rassure face notre société où l'on est hors la loi quand on met le nez dehors après 18h, où l'on serait apparement bien plus en sécurité bien au chaud les yeux rivés sur un écran assis dans un canapé...
Pour moi, cette école alternative permet à l'enfant d'apprendre par intérêt et par passion plutôt que par contrainte, ce qui est plus sympa et bien souvent plus efficace !
Ici on ne travaille pas par matière mais par projet. Ainsi, au lieu du combo dictée-exercices de maths, les enfants travaillent sur leur "projets personnels", qui correspondent à leurs passions ou centres d'intérêt du moment. Un enfant qui veut apprendre la couture va par exemple devoir contacter un.e couturier.ère (rédaction de mails, appel téléphonique...), organiser une vente de gâteaux pour financer les cours de couture (cuisine pour préparer les gâteaux, mathématiques pour compter la caisse)... et donc apprendre sans même s'en rendre compte ! Un jeune de l'école Upaya sera peut être moins calé sur Pythagore qu'un enfant de l'école conventionnelle, mais pourra par exemple lui apprendre à utiliser un appareil photo ou à faire un feu de camp !
Il pourra aussi lui apprendre la démocratie puisque au lieu d'étudier dans des cahiers la démocratie pendant la Grèce antique, ils vivent déjà cela en ayant chacun une voix lors du conseil de l'école hebdomadaire pour voter les nouvelles règles. Ils débattent, argumentent (plus ou moins bien selon l'âge...) gèrent des désaccords, parfois des conflits... Pour moi, c'est cela la préparation à la "vraie vie".
Autre avantage, si le cadre est plus large et l'enfant est plus libre à Upaya (j'étais par exemple surpris de voir un enfant de 4 ans sortir de la yourte sans être suivi et "surveillé" par un adulte !), il y a en fait une forte présence d'adultes. Upaya propose environ 1 adulte pour 6 enfants, quand il y a un enseignant pour 19,4 élèves en moyenne dans l'éducation nationale. Une différence significative qui ne peut pas permettre d'apporter autant d'attention à chaque enfant dans l'école conventionnelle. L'enseignant doit faire avancer le groupe en suivant un programme précis, en perdant souvent les enfants plus "lents", tout en ennuyant ceux qui seraient plus "rapides" (malgré tous leurs efforts !). À Upaya, chaque enfant peut avancer à son rythme car les enfants sont plus autonomes et les adultes plus disponibles.
Source : education.gouv.fr/l-education-nationale-en-chiffres-2019Principal point négatif pour moi : le coût financier et la non connaissance des ces alternatives par beaucoup de parents, qui engendre un manque de diversité parmi les enfants, ce que j'ai eu la chance de connaître dans mon école à Rozier, et qui est à mon sens une grande richesse.
Avec Léa, on se dit au final que chaque enfant est différent et qu'il est bien d'avoir plusieurs options, plus ou moins bien adaptées selon le caractère et la personnalité de l'enfant.
Voilà voilà, on pourrait en discuter pendant des heures mais je pense qu'on a fait suffisamment long pour aujourd'hui ! On s'arrête là pour la partie école, mais Upaya c'est bien plus qu'une école ! On vous raconte ça très vite.
Merci à toute l'équipe d'Upaya pour leur accueil et ces deux journées très enrichissantes ! Et vous ? Plutôt école traditionnelle ou école démocratique ? 😊