Deuxième jour au volant de la voiture de location et c'est reparti pour une nouvelle traversée de l'île à la rencontre de trois autres sites majeurs, trois ahus très différents les uns des autres.
Tous se présentent sur le même modèle comprenant 3 étages :
- la place avec les galets ronds qui est plate appelée l'aile de la plateforme qui était le lieu de cérémonie lors des festivités à l'occasion de naissance mais aussi de décès.
- une plateforme plus courte avec un plan incliné qui contient des chambres mortuaires où les restes des dignitaires reposent. A l'origine, les morts étaient incinérés mais par manque de bois la coutume a changé. Les restes étaient mis à sécher pendant une année complète derrière l'ahu. On récupérait les os, les nettoyait et on les mettait dans des bols en pierre appelés havenga que l'on plaçait dans les chambres mortuaires.
- l'étage où étaient érigés les moaï
Le premier site se trouve de l'autre côté de l'île, à proximité de la plage d'Anakena, une des deux seules plages de sable blanc où il est possible de se baigner.
Cette plage ressemble typiquement à une carte postale et lorsque je vois les cocotiers, il est évident que ce lieu rappelle l'idée que l'on se fait de la Polynésie et des plages de rêves. Il y a déjà du monde en cette fin de matinée vu qu'il fait beau et même plutôt chaud, temps parfait pour pouvoir piquer une petite tête.
Comme partout sur le site il y a un garde à l'entrée qui vérifie si l'on est bien en possession du ticket du parc et qui me (re)donne les consignes de respect des sites.
La plage d'Anakena est, selon la légende, le point de débarquement de Hotu Matu'a, le chef marquisien qui avait envoyé les 7 explorateurs à la recherche d'une nouvelle terre où vivre.
Je déambule entre les cocotiers jusqu'à atteindre les ahus. Le premier, l'ahu Ature Huki ne contient qu'un seul moaï en assez mauvais état et peu photogénique. le second par contre l'ahu Nau-Nau, est l'un des sites les mieux restaurés avec ses 7 moaï, donc 4 avec des pukaos. Ce ne sont pas les plus grands mais ce sont certainement les plus détaillés.
Lorsque l'on contourne l'ahu, on peut apercevoir sur les dos des statues la présence de gravures. Lorsqu'elles ont été renversées, elles sont tombées sur le sable et ont été peu à peu ensevelies et donc protégées de l'érosion.
Sur le mur de pierre qui forme la base, plusieurs pétroglyphes représentent des oiseaux et d'autres animaux, comme des lézards ou des singes. On peut également apercevoir qu'une tête de moaï est présente parmi les blocs constituants le socle de la plateforme (l'ancêtre du recyclage ?).
Il est maintenant temps d'aller piquer une petite tête, et malgré la saison, l'eau est vraiment très bonne. Vu la clarté de l'eau, j'en profite pour essayer d'observer quelques poissons tropicaux mais malheureusement je n'en aperçois aucun. Bon j'aime bien les défis mais évidemment sans masque et tuba c'était perdu d'avance. Après cette pause fraîcheur et détente, je ne m'éternise pas pour bronzer sur la plage et je vais vers les petites cases qui font office de bars/restaurants pour ensuite manger au pied d'un cocotier.
Je reprends la voiture pendant environ 10 kilomètres pour arriver à l'Ahu Tongariki, la plateforme la plus majestueuse de l'île. Il se situe en bord de mer à environ 2 kilomètres de la carrière de Rano Raraku.
C'est en faisant le tour que je me rends compte à quel point ils sont grands et imposants, le cadre aidant beaucoup entre un volcan et une mer d'un bleu tirant sur le turquoise. La plateforme mesure plus de 250 mètres de longueur, la plus grande de toute la Polynésie, et accueille des géants. Un des moaï atteint les 15 m de haut pour un poids de 86 tonnes, ce qui en fait le plus haut et le plus lourd de l'île achevé et érigé.
Chacune de ces statues est différente et il y a deux hypothèses qui pourraient en expliquer la raison. La première serait que 15 des 18 fils du roi Hotu Matu'a soient représentés ici. La seconde serait qu'ils représentent différents ancêtres, alors les tailleurs auraient essayé de leur donner une touche de véracité pour pouvoir les distinguer.
Comme pour les autres ahus, celui-ci a également été renversé mais il a eu encore moins de chance car il l'a été à deux reprises. Après avoir été restauré une première fois, un tremblement de terre d'une magnitude 9,5 sur l'échelle de Richter, a frappé la côte chilienne en 1960 et a également provoqué un important tsunami dans l'océan Pacifique. Certaines vagues ont mesuré jusqu'à 11 mètres de haut et lorsqu'elles ont frappé l'ahu, ont traîné les moaï sur une centaine de mètres à l'intérieur des terres. Ceci a engendré des dommages très importants sur la totalité de la structure.
Le projet pour le restaurer a été estimé à deux millions de dollars, somme qui a été fournie par le gouvernement japonais. Le chantier a commencé en 1993 et a duré cinq ans. Lors de cette campagne, les fouilles ont permis la découverte de 17 autres moaï complètement détruits sur le site, qui ont servi a bâtir le socle de l'ahu comme cela se faisait couramment avant. C'est une sorte de recyclage des matériaux sur les sites de construction d'ahus qui en abritaient déjà un.
En reconnaissance de l'aide fournie par le gouvernement japonais, le moaï situé à l'entrée du site a été envoyé au Japon pour être prêté à des expositions à Osaka et à Tokyo. En raison de ce voyage épique, les insulaires ont commencé à le surnommer le "Moaï Voyageur", car les locaux eux, ne doivent jamais quitter l'île.
Au centre du site, il est possible de voir un moaï allongé sur le dos. Comme ses orbites ne sont pas taillées, il ne se trouvait donc pas sur la plateforme d'origine. En effet, une fois positionné debout c'est à ce moment précis que les orbites étaient finalisés. Il est probable que cette statue soit tombée et se soit cassée pendant le transport depuis la carrière.
La dernière chose à savoir sur cet endroit est qu'il est très prisé des touristes à l'aube car le soleil se lève derrière les statues, ce qui en fait certainement un des lieux les plus photogéniques du coin. Il n'est donc pas rare que des dizaines de personnes soient présentes très tôt le matin pour immortaliser l'instant. Malheureusement, je n'ai pas pu me rendre ici à l'aube, ou plutôt rien ne servait de s'y rendre car comme le temps était très couvert et pluvieux à ce moment de la matinée les rayons du soleil n'ont pratiquement jamais percé la couche nuageuse...
En route pour le troisième et le dernier de la journée. Je reprends pour cela la route qui mène à la carrière de Puna Pau, mais je continue plusieurs kilomètres sur la route qui alterne chemin de terre et asphalte. Je croise un homme avec un drône gigantesque, mais comme c'est interdit sur l'île, je me demande ce qu'il arrivera à son drône s'il se fait chopper. J'arrive et, une fois n'est pas coutume, je présente mon ticket.
L'ahu Akivi est le seul à l'intérieur des terres, et de fait, le seul face à la mer. Constitué de sept moaï, cet ahu s'appelle en réalité "Atiu", l'ahu Akivi est situé plus loin dans les collines. L'erreur de nom viendrait d'une erreur de lecture de carte lors d'une campagne de rénovation archéologique.
D'une longueur d'environ 90 mètres, sur laquelle se trouvent sept moaï d'une hauteur approximative de 4 mètres, le design de ces derniers est très homogène, ce qui suggère qu'ils ont été sculptés et érigés en même temps.
Sa position à l'intérieur des terres, le regard en direction du soleil couchant et leur nombre ont fait jaillir l'hypothèse qu'ils représenteraient les sept explorateurs ayant découvert l'île. Or, d'après ce que j'ai compris, cette théorie ne reposerait sur aucun fondement, mais serait tirée de la tradition orale contée de génération en génération, et serait maintenant reconnue comme vérité historique, à tort donc.
Cet ahu, même s'il ne représentait pas les sept explorateurs, présenterait un autre intérêt de par son orientation par rapport à certains repères astronomiques. Il est aligné avec les points où le soleil se lève au printemps et à l'automne lorsque ont lieu les équinoxes. Les Pascuans auraient donc pu très bien se servir de cette plateforme pour étudier le mouvement des étoiles et du soleil.
Au retour, je repasse devant l'homme au drône, mais je vois ce dernier tomber comme une pierre et s'exploser sur le sol et le type semble dégoûté. Ah le Karma...
Transport et mise en place des moaï sur les ahus
L'une des questions, toujours sans réelle réponse, qui subsiste est de savoir comment les moaï étaient transportés de la carrière jusqu'aux différents sites. Comme les Européens sont arrivés à une période où leur fabrication s'était arrêtée, les réponses se trouvent dans les traditions orales et dans les théories scientifiques.
La méthode la plus simple est le transport horizontal où l'on positionne le moaï sur une plateforme ou des rondins en bois et on tire à même le sol.
Une scientifique a remarqué que dans la carrière, les moaï ont une base plate alors que ceux couchés sur le site ont une base arrondie et abîmée à cause d' une friction. Elle a émis l'idée que le moaï était directement sur le sol avec des cordages au niveau de la tête de chaque coté. Puis en alternant, les hommes tiraient chacun d'un côté à plusieurs reprises pour le faire avancer. Il fallait seulement 40 à 50 personnes pour transporter ceux pesant environ 20 à 30 tonnes.
Autre technique venant des récits ancestraux est le transport vertical. En Polynésie, le monde spirituel est très présent, et selon les récits, le roi avec son pouvoir surnaturel les faisait marcher. En réalité, on pose le moaï verticalement au milieu d'une plateforme en bois et on le fixe avec des cordages aux angles pour le stabiliser et l'on tire la plateforme à même le sol.
La dernière théorie est celle impliquant les OVNI et les extra-terrestre, mais peu de crédit lui est accordée (et l'on se demande vraiment pourquoi...)
Il n'y a cependant qu'une seule technique connue pour les relever et les positionner sur l'ahu. Avec un système de levier, la tête est soulevée et des cailloux sont placés en dessous. Puis les pierres sont entassées sous la totalité de la structure jusqu'à ce que cette dernière soit debout. Au final devant le moaï érigé se dressera une rampe de pierre.
Il ne reste plus qu'à mettre les pukaos sur les têtes. De façon très simple malgré le poids, ils seront roulés sur la rampe à la force des bras jusqu'à la tête. Mais selon les scientifiques, cette technique est bien trop compliquée et pour eux, les pukaos étaient fixés avant le redressage à l'aide de cordages et l'ensemble était soulevé en même temps.