7 h du matin. Je me réveille tôt mais c'est juste par précaution. Je veux être sur la route de bonne heure pour ne pas risquer de trouver beaucoup d'autres auto-stoppeurs autour et que ce soit difficile de monter dans un véhicule. En plus la nuit a été assez bruyante ! Un enfant dans la chambre voisine est malade et a pleuré une bonne partie de la nuit. Les joies des séjours en auberge... D'ailleurs au petit déj, je rencontre les parents et une de leurs amies. Ce sont des Belges adorant voyager mais depuis deux ans la donne a changé avec le petit. On échange des bons plans vu qu'ils viennent du nord et vont aujourd'hui au Parc du Queulat. Lorsque j'expose mon plan pour la journée, on convient que lorsqu'ils partiront, si je suis toujours en galère avec le pouce levé sur le bord de la route, ils s’arrêteront et m'avanceront au maximum. Plutôt cool, je n'aurai plus qu'à trouver une autre voiture pour arriver à bon port. La journée avant même d'avoir commencé me paraît déjà plus simple ! Quelle naïveté...
8 h, à la sortie du village. Bien droit, bras tendu avec précisément un angle de 49° et le pouce dressé vers le ciel. Il est tôt et peu de voitures passent. J'attends une bonne demi-heure mais rien à se mettre sous la dent. Un autre auto-stoppeur poireaute lui aussi mais va dans la direction opposée. A chaque râteau, on se lance un regard plein de compassion. Une dizaine de minutes plus tard, un 4x4 s'arrête. Ce sont les Belges. Ils me laisseront à l'entrée du Parc national et j'aurai déjà parcouru plus de 20 km. A 9 h, il me reste donc 70 km à parcourir avant que la nuit tombe. Je suis plutôt large.
Le lieu n'est pas top pour faire du stop, c'est une succession de virages et la visibilité n'est pas super pour que je sois repéré par les voitures ou les bus allant vers le sud. Avec mes 12 kilos sur le dos, je marche jusqu'à trouver une zone plus dégagée. Depuis la route, il est possible de voir le glacier. Avec le recul, il n'a pas exactement le même aspect que la veille où il était seulement possible de voir la couleur bleutée de l'immense amas de glace. Ce que je prenais pour le ciel hier est en réalité une importante calotte blanche le coiffant. Je continue de marcher à travers une forêt jusqu'à arriver sur une ligne droite bien longue. L'endroit est parfait pour tenter ma chance. Une, deux, trois, quatre... trente voitures plus tard, et je suis toujours au même endroit.
J'avais lu sur Internet avant de partir qu'il était très courant de faire du stop ici, mais avec le nombre relativement faible de voitures passant chaque jour et le nombre a contrario élevé d'auto-stoppeurs, ce n'était pas toujours évident de réussir à monter dans un véhicule. D'autant plus qu'entre temps, une fille est arrivée et s'est installée juste à coté de moi, prétextant qu'à deux c'est plus facile. Soit mais non... Seul il n'y a déjà pas toujours de place, alors deux, ça va compliquer la tâche. Elle m'apprend que ces jours-ci c'est encore plus difficile car d'habitude les pick-ups s'arrêtent et peuvent nous embarquer à l'arrière, mais la semaine dernière un backpacker allemand a trouvé la mort dans un accident sur cette route précisément. Les autorités ont donc conseillé aux conducteurs de ne pas s'arrêter pour ne pas être jugés responsables.
J'envisage sérieusement de reprendre mon sac pour continuer d'avancer et trouver un autre endroit. Quand je m'aperçois que la fille à côté devient dingue et insulte en hurlant les voitures qui ne s'arrêtent pas, j'ai mon signal de départ pour repartir. C'est déjà relou d'attendre, alors si c'est pour qu'une hystérique me perce les tympans...
Au bout de 2 km, j'arrive sur les bords du fjord. C'est déjà beaucoup plus sympa de marcher dans cet environnement. Les paysages sont très photogéniques avec plusieurs teintes de bleus. Cela me fait temporairement sortir de la tête la lourdeur de mon sac que je trimbale depuis déjà pas loin de 7 km... Je fais une pause un peu plus loin à l'ombre. Parce que oui, je crame pas mal ! Mais je ne me plains pas vu que d'après le profil pluviométrique de la région, j'avais 88,2% de rencontrer mon amie la pluie aujourd'hui, ce qui aurait vraiment été un véritable enfer. Je vois passer des dizaines de voitures et aucune ne s'arrêtent. La majorité sont pleines et les conducteurs s'excusent quand ils passent devant moi.
14 h. J'ai décidé d'avancer de nouveau. Cela fait 5 heures que j'essaye de monter dans un véhicule et je commence à trouver le temps franchement long. Soudain, j'entends le bruit d'une voiture qui arrive derrière moi, je lève le pouce sans même la regarder, ça m'évitera d'être déçu. Mais contre toute attente, un klaxon retentit. En me retournant, je vois un camion s'approcher et s'arrêter à ma hauteur. Les gars me proposent de me prendre et de me déposer à l'embranchement entre deux villages, ce qui signifie qu'il ne me resterait plus qu'une vingtaine de kilomètres à parcourir. C'est mieux que rien et la motivation me revient instantanément. Par contre... Ils sont trois et il n'y a que trois places dans l'habitacle alors où est-ce que je vais monter ? Un des passagers me dit de le suivre et ouvre la benne du camion pour que je monte dedans. Pas de panique Maman, il n'avait pas l'air louche et ne m'a pas proposé de bonbons, c'était plutôt bon signe !
C'est à ce moment-là que je vois qu'il y a déjà 9 personnes dans le camion. C'est incroyable, à ce moment précis j'oublie les 5 dernières heures et je savoure cet instant auquel rien ne m'avait préparé ce matin. Tous sont Chiliens, il faut dire que 90 % des gens que j'ai rencontré jusqu'à maintenant sont des voyageurs locaux qui profitent de la fin des grandes vacances pour découvrir le Sud. Dans une benne de camion c'est pas l'idéal pour communiquer, entre le bruit du vent et les sursauts de la route qui font claquer les portes métalliques. Pareil pour le confort, c'est pas super cosy vu qu'il faut passer un col avec une vingtaine de lacets et que la route est totalement défoncée. A chaque nid de poule, on vole et ce sont les parois de la benne qui nous servent d'amortisseurs ! Après 45 minutes de trajet, nouvel arrêt. On pense qu'un onzième passager va nous rejoindre mais non, le chauffeur nous annonce qu'il y a une cascade à deux minutes de la route et qu'il s'est arrêté pour que ceux qui sont intéressés puissent aller la voir. Le coup de bol, je suis tombé dans le seul camion de chantier du coin où le mec est chauffeur ET guide touristique.
Une fois reparti, il faut seulement dix minutes au camion pour arriver à l'embranchement. Terminus, tout le monde descend. Sauf moi. En discutant avec les autres, tous vont à Coyhaique alors je demande au chauffeur où il va exactement. Je suis plutôt content quand j'entends "Puerto Cisnes". C'est convenu, il me refait monter et c'est reparti pour environ 40 minutes de route. Celle-ci est de nouveau en asphalte et je peux m'allonger dans la benne pour essayer de faire une sieste. Seule la température m'empêche de m'endormir. Quand la porte s'ouvre, ce n'est pas Puerto Cisnes que j'ai devant les yeux mais un entrepôt vieillot avec tout autour des machines de chantiers, des épaves de voitures et des tonnes de grillages entassés à même le sol. Qu'est-ce que c'est que ce délire ? Maman, je retire ce que j'ai dit... le gars était peut être louche au final ! En réalité, c'est un centre où est stocké tout le matériel nécessaire pour l'élevage de saumons. Les trois qui m'ont pris en stop sont des ouvriers d'une saumoneraie et sillonnent le fjord tous les jours pour vérifier si tout va bien ou si une de leurs nombreuses installations nécessite une réparation. Petit arrêt d'une vingtaine de minutes où je rencontre deux Vénézuéliens qui ne prennent pas de pincettes pour évoquer la situation de leur pays qui a entraîné leur fuite. C'est donc à grand coup de " Maduro, hijo de la gran puta" ( je ne pense pas qu'il soit vraiment nécessaire de traduire ça, même pour les inconscients ayant pris allemand au collège), que j'apprends leurs histoires. Apparemment, les Colombiens et les Chiliens sont sympas avec les immigrés, les Équatoriens un peu moins et les Péruviens pas du tout. D'ailleurs à l'évocation du Pérou, les insultes pleuvent de nouveau.
Enfin arrivé à Cisnes, j'ai même la chance d'être déposé devant devant la porte de l’hôtel, devant les yeux étonnés de la propriétaire qui ne devait pas vraiment s'attendre à ça. Le grand luxe ! Il est 16h30 et je suis enfin dans ma chambre. Journée épuisante mais expérience gratifiante. Ce n'était pas la première fois que je faisais du stop, mais chaque journée est toujours différente. La chance était finalement avec moi, même si à un moment j'ai cru que je n'en verrai jamais le bout.
Puerto Cisnes est le chef lieu de la commune de Cisnes qui regroupe les deux cotés du fjord et le parc national du Queulat. Dire qu'ici la densité de population n'est pas folle est un euphémisme. 16 000 km² pour quasiment 5 000 habitants... En gros ça fait un tiers de bonhomme au kilomètre : 0,3 hab/km ! A titre de comparaison la Mongolie c'est 1,9 hab/km.
Direction le mirador de la Virgen sur les hauteurs de la ville avant que la lumière décline. Il y a un panneau explicatif à l'entrée qui met en garde ceux qui n'ont pas une bonne condition physique. Tu parles ouais... 30 mètres de dénivelé et 5 minutes de montée plus tard, je peux voir la petite ville dans sa totalité. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle est vraiment isolée du reste du monde. Coincée entre les eaux froides du fjord d'un côté et la forêt verdoyante à perte de vue de l'autre, seules les montagnes d'où je suis arrivé tranchent avec le reste du paysage. Puerto Cisnes est en réalité une oasis froide et humide où la vie et les activités humaines pullulent dans des domaines bien précis. Bien loin des clichés des oasis du désert donc. Le terme "isolé" est peut-être un peu exagéré, mais la première grande ville est quand même à 194 km par la route.
En redescendant, je me dirige vers le fjord pour voir le coucher de soleil. L'idée est bonne mais avec les nuages, le rendu n'est pas génial. A de rares moments, les rayons de soleil arrivent à traverser les nuages et à embellir le paysage. Le tour de la ville est vite fait, mais c'est plutôt agréable de se balader entre les maisons de bois typiques, l'église en bois aussi et l’hôpital qui contraste avec son architecture moderne et en pierre. Comme partout sur les côtes chiliennes, des systèmes d'alarme sont disposés un peu partout en ville. En cas de séisme et/ou tsunami, l'alerte est donnée et la population doit évacuer et se réunir au point de rassemblement situé plus en hauteur en ville. Mais ce système n'est pas infaillible. En 2010, un tsunami faisant suite à un énorme séisme a fait au moins 500 morts. J'ai souvent demandé aux gens comment ils font pour vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Tous m'ont répondu qu'ils vivaient avec, c'est comme ça et qu'ils se relevaient après. C'est vrai qu'ici entre les éruptions, les tsunamis et les séismes, ça ne doit pas être toujours simple à gérer. C'est d'ailleurs le Chili qui a le triste record de la plus forte magnitude jamais enregistré en 1960 à Valdivia, 9,5 sur l'échelle de Richter.
Le lendemain, après la première grasse mat du séjour, à savoir 10 h, je suis surpris par un phénomène qui est normalement courant ici mais que je n'ai pas encore vraiment eu l'occasion d'expérimenter : la pluie. Alors non je ne suis pas un masochiste qui préfère qu'il pleuve des cordes lorsque je visite un endroit, mais depuis 4 jours ici et je n'ai pas vu une goutte d'eau. Comme dit précédemment, normalement ça tombe presque quotidiennement ici. Tu m'étonnes que ça soit vert partout dans le coin ! L'averse dure moins d'une heure et je peux partir en direction de "Las dos lagunas". Sur le plan que j'ai récupéré à l'office de tourisme, il est indiqué que la ballade fait environ 10 km et que c'est une boucle. Je décide de faire la boucle dans le sens opposé à ce qui est marqué sur le dépliant, je préfère me manger la route en bitume sur 4 km pour commencer et garder les sentiers en pleine nature pour la fin.
Justement sur la route, je croise des gens dans une situation que je connais maintenant. Ils attendent depuis 3h qu'une voiture s'arrête pour qu'ils puissent monter. Le problème c'est que comme Puerto Cisnes est au fond du fjord dans un cul-de-sac, seules les voitures qui y vont ou partent empruntent cette route, ce n'est absolument pas un lieu de passage. La situation risque d'être compliquée pour eux. Après quelques kilomètres, j'arrive à l'endroit où un sentier devrait partir rejoindre les lacs. Seulement, impossible de le trouver, tout ce que je vois sur le bas côté ce sont des clôtures barbelées pour éviter le passage. Après une vingtaine de minutes à chercher en vain, je fais demi-tour et revient au point de départ. Super les 8 km sur une magnifique route... Je recroise les auto-stoppeurs, je relativise et me dit qu'il y a pire que moi. D'ailleurs le soir-même en allant manger dans le centre, je recroise l'un d'entre eux.
De nouveau dans le village je trouve le point de départ pour accéder à un mirador. Il faut environ 20 minutes pour l'atteindre mais avec la pluie le chemin est extrêmement boueux mais bien aménagé avec des troncs d'arbres disséminés aux endroits les plus délicats pour marcher tout en restant au sec. Arrivé au mirador, la vue est superbe. Un lac, des forêts partout, des montagnes avec des nuages au-dessus et aucun signe de constructions humaines. Cette vue c'était vraiment l'image que je me faisais de la Patagonie avant de venir. Je pourrai rester longtemps ici à ne rien faire, mais le vent est vraiment froid et me force à décamper. Sauf qu'au moment où je m'apprête à descendre du mirador, un bout d'emballage plastique s'envole de ma poche et va se coincer dans un arbre dans la pente plus bas... Un peu d'exercice ça ne peut pas faire de mal. Quand je suis en bas de l'arbre je me dis que ça ne va pas être difficile de grimper mais il est quand même très fin et pli un peu sous mon poids. J'espère vraiment qu'il ne va pas casser. Je n'ai jamais vu en vrai un paresseux grimper à un arbre mais je pense que la bestiole doit être bien plus gracieuse que moi dans cette situation. Une fois le maudit bout de plastique récupéré, je regagne le centre avec l'idée de louer un kayak une ou deux heure pour voir le fjord différemment.
Sur le chemin du fjord, je croise un homme qui vient me parler. Mon espagnol n'est toujours pas super mais je ne pige pas un mot de ce qu'il me dit. Mais ralentis et articule mon gars! Faut avouer que le chilien ce n'est plus vraiment de l'espagnol, entre l'accent et les mots qui diffèrent, là c'est presque devenue une langue à part entière.
Comme on est dimanche, ça risque d'être compliqué de trouver un loueur ouvert mais lui connaît apparemment un endroit où ça serait jouable. C'est donc accompagné d'un beau bébé d'1 m 90 avec une fourche dans les mains que je vais chez le loueur. Concrètement, c'est quoi le plan maintenant? S'il refuse il lui met un coup de fourche et je prends le kayak ? Evidemment, c'est fermé, quelle surprise! Mais cet homme à de la suite dans les idées et me propose une autre solution. Il a une barque et peut m'emmener faire un tour. Le soucis c'est que moi ce que je voulais c'était surtout pagayer un peu. Il veut même prendre sa guitare pour me chanter des chansons une fois sur l'eau. Ouais bon… C'est pas la peine de te donner tout ce mal pour me séduire, je ne suis pas intéressé. Je décide d'aller sur une plage à deux kilomètres de là, mais le type m'accompagne toujours et essaye de me convaincre. Il est gentil mais le bougre s'accroche !
Finalement enfin seul, je me pose sur les bords du fjord et passe le temps à regarder les tâches quotidiennes des gens vivant et travaillant ici. Du capitaine propriétaire de son petit bateau de pêche à l'employé de l'élevage de saumon, toutes les tâches ont l'air difficiles avec le froid qui règne et le vent qui balaye ces eaux glaciales. Et dire que l'on est en plein été... Je n'ose même pas imaginer ce que ces personnes doivent endurer pendant les long mois d'hiver. Pour dire à quel point il fait froid même à cette période, les cheminées sont allumées le soir pour réchauffer les habitations et les gens vivant à l'intérieur.
Le soir à l'auberge, je rencontre un Français parti faire le tour du monde en solitaire pendant un an. Il vient du nord du Chili et file au sud, donc on s'échange nos bons plans. Au fil de la discussion, il me raconte son itinéraire et s'arrête sur la Nouvelle-Zélande. Selon ses dires, c'est sympa mais pas autant que le Chili et c'est surtout moins authentique. En bref, ça a été une déception pour lui. Visiblement le sud est victime d'un phénomène mondial : l'invasion de touristes chinois qui a pour conséquences un cadre moins naturel et une flambée des prix. Ce n'est pas le premier à me dire ça et c'est bien dommage, car moi qui rêve d'y aller pour la nature et la tranquillité...
Puerto Cisnes c'est terminé, demain j'ai 9 heures de ferry pour rejoindre l'île de Chiloé. J'ai lu que la navigation dans le fjord était vraiment calme mais les quelques heures de traversée du Pacifique pouvait parfois soulever des estomacs. En y repensant, je me demande ce qui a bien pu pousser le gars qui a donné le nom à cet océan. A ce niveau là, ce n'est même plus une erreur mais une bourde royale. Bref, wait and see!