Au Salvador il y a deux endroits vraiment très touristiques : la côte nord ouest, très prisée des surfeurs ainsi que des baigneurs et le complexe volcanique près de Santa Ana. C'est pourquoi cette ville accueille quelques touristes de passage dans le pays et par là je veux dire que l'on en croise au maximum seulement quelques dizaines lors d'un séjour salvadorien. Au terminal de San Salvador il y a plusieurs bus qui partent toutes les heures et vont jusqu'à Santa Ana mais en empruntant au moins 6 ou 7 routes différentes. Du coup avec la chance que j'accumule dans les transports depuis un moment, il est fortement possible que je prenne le mauvais et me retrouve à faire un détour de plusieurs heures dans la campagne et des patelins bien perdus. Au final, le bus dans lequel je monte fait le trajet entre les deux villes sans s'arrêter. Je reste méfiant, cette chance soudaine me paraît plutôt suspecte.
Je débarque au milieu d'un immense marché contenant trois des terminaux de bus de la ville. Ça me fait penser au terminal chaotique de Léon au Nicaragua. Vu l'étroitesse de la rue, entre les stands et les bus passant au milieu de ceux-ci, il y a à peine la place pour que les passants puissent circuler. Va falloir être vigilant pour pas se prendre un coup de rétro en marchant. Pour la première fois depuis mon arrivée dans le pays je suis en "zone sécurisée" selon le gouvernement français car la carte qu'il met à disposition place Santa Ana et tout l'ouest en jaune et non plus en orange comme la partie orientale du pays.
En marchant à peine 150 m au milieu de tout ce chaos je tombe nez à nez avec l'hôtel que j'avais repéré sur Internet. Après une négociation très brève, j'ai la chambre pour 11 $ la nuit. C'est vrai que la zone est bruyante et il est plutôt difficile de s'y repérer une fois à l'intérieur mais je suis à moins de trois minutes des bus. Et le point positif c'est que si je cherche n'importe quoi, j'ai tout à portée de main avec le marché. Avant que je parte en balade le proprio me met en garde de ne pas rentrer à pied dans le coin après 22h. Le mieux si je compte revenir c'est de prendre soit un taxi soit un Uber. Et c'est le plus naturellement du monde qu'il me répond « Je vais être franc avec toi, ici on est sur le territoire d'un gang mais avec les patrouilles de ces derniers mois on ne les voit quasiment plus, même la nuit. Mais bon, on ne sait jamais…" Au moins le gars est honnête et ça met plutôt en confiance.
Tout près de Santa Ana se trouve le lac de Coatepeque qui est en fait une immense caldeira contenant un lac. Elle se serait formée il y a environ 60 à 70 000 ans à la suite d'une série d'explosions importantes. Pour y aller c'est simple comme bonjour. Un bus part du marché et il suffit d'attendre d'arriver au fond sur le bord du lac pour descendre quand bon me semble. Vu depuis le bord de l'eau, le lac ne semble pas vraiment impressionnant même si les rebords laissent deviner que l'on est sur les vestiges d'un édifice plutôt gigantesque. Certaines années, le lac change de couleur à cause d'algues et de micro-organismes pour devenir bleu azur. Pas de chance pour moi, l'eau restera bleu "normal". Au bord de l'eau, des hôtels et des restaurants sur pilotis sont sortis de terre comme des champignons et avancent leurs terrasses en grignotant de l'espace l'eau. Ces activités permettent à toute la population vivant près du lac de vivre du tourisme, et de façon plus prospère qu'il y a plusieurs années en arrière. Au milieu du lac, l'île hyperchic de Teopan où toute la haute société salvadorienne vient se détendre.
Même si a première vue, le lieu paraît calme et idyllique, la réalité est un peu différente. L'endroit ressemble beaucoup plus à une base de loisir qu'à un lieu calme pour se ressourcer. Plusieurs gros bateaux proposent de faire des tours sur le lac et sont accompagnés par une dizaine de jet-ski faisant des va et vient incessants près de la plage. La cerise sur le gâteau sort directement grâce aux nombreuses enceintes des restaurants, et Amérique Latine oblige, le choix n'est pas trop diversifié : du reggaeton en veux tu en voilà. Malgré tout ça, le cadre reste quand même extra mais la meilleure vue pour profiter du paysage se trouve tout en haut sur le bord de la route où des restaurants ont là aussi émergé. Heureusement, on trouve aussi sur les rives du lac, quelques plages calmes où les bateaux de pêcheurs très colorés mouillent en attendant tranquillement leur prochaine sortie pour aller remonter les ressources des profondeurs du lac et ainsi approvisionner les restaurants. D'ailleurs dans celui où j'ai décidé de m'arrêter, il est possible de choisir soi-même le poisson que l'on veut commander si les bateaux reviennent juste de la pêche. Prochain concept : donner une canne au client et il devra se contenter de ce qu'il aura remonté.
Pour accéder au mirador en haut, il me faut au moins une heure de marche et avec pas loin de 40 degrés, je mets un peu de temps pour me motiver et lancer la machine. J'ai pensé à la solution de facilité qui serait d'attendre que le bus repasse et reparte en sens inverse, mais ici les horaires sont plutôt fluctuants, pour ne pas dire inexistants. Je préfère marcher plutôt que d'attendre au minimum 40 minutes à me tourner les pouces. Et ce coup-ci, je dois admettre que j'ai plutôt bien senti le coup car même pas 5 minutes après avoir commencé à marcher une voiture s'arrête à ma hauteur et me demande si je veux monter. Me voilà donc une nouvelle fois à l'arrière d'un pick-up, à l'air libre avec une vue sur le lac qui se dégage au fur à mesure de la montée.
Vers la moitié du chemin, on passe devant une sorte de mirador naturel où aucun arbre n'obstrue la vue. Je demande alors au chauffeur de me laisser ici. Il me dit qu'il peut m'attendre mais comme j'ai envie de profiter un peu du coin, je me vois mal le faire poireauter pendant une dizaine de minutes. Après cet arrêt imprévu, je dois donc me taper la deuxième partie de la montée et toujours sous un soleil de plomb. Moins de 100 mètres après être reparti, une autre voiture s'arrête de nouveau et, sans un mot, me fait signe de la tête et me montre avec sa main l'arrière du pick up. C'est tellement cool de voir qu'ici les gens s'entraident et viennent en aide même à un parfait inconnu sans n'avoir rien demandé. Ça me change des 5 heures de stop dans le sud du Chili où parfois les gens passaient sans même me regarder. Ici, aucune tentative de stop, deux voiture qui passent et deux qui s'arrêtent… 100 % d'efficacité.
Arrivé en haut, et toujours sans un mot, le cowboy derrière le volant me serre la main. Au niveau du mirador, les bars se succèdent sur quelques centaines de mètres. C'est plutôt bien fait, tout est en bois, à moitié dans le vide et offre une vue imprenable sur le lac. La fin d'après-midi permet d'avoir une luminosité et des contrastes qui embellissent toutes les couleurs du paysage. Dans le bar, je remarque qu'en guise de déco, le proprio a accroché plusieurs plaques d'immatriculation dont plusieurs salvadoriennes. Elles sont au couleur du drapeau du pays et ce sont les plus belles que j'ai pu voir jusqu'à maintenant. Dans tous les pays que j'ai traversé depuis le début du voyage, j'ai essayé de me procurer des plaques à ramener en guise de souvenir, mais mis à part au Panama, toutes mes recherches se sont soldées par un échec ou un abandon. J'essaye d'obtenir des infos sur le moyen de m'en procurer et sans le savoir cette recherche m’amènera à vivre une petite "quête" qui deviendra une des situations les plus imprévisibles de mon voyage. Mais avant d'en arriver là, il commence à se faire tard et il faut que je songe à rentrer à Santa Ana. Le bus passe juste devant les restos et, vu son allure, il faut faire signe bien avant pour qu'il s'arrête.
Le voyage pour rentrer a duré bien plus longtemps que je ne le pensais, et c'est à la nuit tombée que j'arrive dans le centre ville. A cette latitude, la nuit tombe vers 18h30 et la vie dans la rue s'arrête en même temps que l'obscurité s'installe. A 19h30, il n'y presque plus personne dans les rues, et seules quelques voitures circulent encore. Pour rentrer jusqu'à l’hôtel, je dois entièrement traverser le marché. Tout est fermé dans les étals en dur et pour les stands de rues, seules des bâches entourées de gros scotch et de tendeur protègent les marchandises. Ici et là, des chiens errants cherchent quelques restes à grignoter accompagnés par une ou deux silhouettes qui déambulent dans le noir quasi total. L'éclairage public n'a jamais été installé par ici et, même s'il n'est pas tard, l'ambiance est déjà bien pesante.
Même lieu mais monde complètement différent : une fourmilière géante la journée qui devient un désert froid et austère une fois la nuit tombée. La seule source de lumière provient d'un garage entrouvert, d'où s'échappent les paroles des chants religieux de la trentaine de fidèles se retrouvant tous les soirs. Je comprends maintenant pourquoi le gérant m'a déconseillé de rentrer à pied après 22h. Si il se passe quelque chose ici, on se retrouve totalement seul pour s'extraire d'une embrouille ou d'une malheureuse rencontre. Il y a quand même un vigile pour couvrir sept rues, autant dire qu'il vaut mieux qu'il soit au bon endroit au bon moment s'il veut être efficace.
Derrière le lac se trouve le complexe volcanique qui attire tous les touristes dans la région. Ce complexe est composé de trois volcans qu'il est possible de grimper. Le problème c'est qu'il y a peu de départs chaque jour car la visite doit se faire obligatoirement avec un guide et une escorte armée, prérogative sécuritaire du pays… Du coup un seul bus part tôt le matin et malgré le fait que le volcan ne soit qu'à une trentaine de kilomètres de Santa Ana, il ne faut pas loin de deux bonnes heures de route pour y arriver. La rando coûte environ 6 dollars qui serviront à rémunérer entre autre le garde qui nous accompagne. Aujourd'hui, il est seulement possible de faire l'ascension du Santa Ana, appelé aussi Ilamatepec en langue nahuatl. L'autre volcan, l'Izalco, est bien moins populaire et un peu plus difficile, les ascensions ont donc lieu seulement les weekends. A 10h du matin tout le monde se regroupe devant le sentier du départ sans que l'on puisse encore partir et il faut attendre de longues minutes sans trop savoir pourquoi. En réalité le garde n'est toujours pas arrivé et les guides ne peuvent pas monter sans lui.
L'habit ne fait pas le moine, mais en voyant le garde débarqué, je ne suis pas totalement persuadé que la sécurité soit plus assurée avec sa présence. Clairement, on peut voir qu'il n'a absolument aucune envie de grimper. Tout au long de la marche il sera bien derrière le groupe pour au final s'arrêter à mi-chemin et attendre que le groupe redescende. On doit ne pas être loin d'une quinzaine de nationalités représentées et l'ascension ne se passe pas comme prévu pour tout le monde. Randonner en tong représente sûrement un challenge et une difficulté un peu plus relevée. Les guides font remarquer à trois Américains que ça risque de ne pas le faire. Sur les trois, deux sont plutôt d'accord mais le dernier, une grande gueule bien exubérante, se marre et dit au guide de se détendre. Oh punaise, il va falloir rester à côté pour profiter du spectacle et se marrer un peu ! Après seulement 25 minutes de marche, le terrain devient accidenté et les deux premiers abandonnent laissant le plus bruyant, et saoulant, continuer seul. Rectification : il faut vraiment rester loin de lui, je n'en peux déjà plus de ses informations et commentaires scientifiques (de comptoir) à tout va. On progresse rapidement sur le chemin qui s'élève progressivement et, même si localement certains passages sont un peu plus abrupts que d'autres, ce n'est pas vraiment difficile.
L'ascension continue jusqu'à un mirador, alternant passages boisés et paysages lunaires où seuls quelques agaves arrivent à sortir de terre et se développer sur ce terrain inhospitalier. À ce stade le groupe est totalement dispersé et l'un des guides ne souhaite pas que l'on passe devant lui pour "raisons de sécurité". A partir de maintenant on avance par petits groupes de quatre ou cinq personnes et le guide nous lâche finalement pour attendre une autre partie.
Au fur et à mesure, L'Izalco et le Cerro Verde se découvrent. Ces deux volcans qui nous font face se sont formés directement sur le flanc du Santa Ana. Les trois volcans qui composent en partie le complexe sont indirectement connus dans le monde entier, et presque tout le monde les a déjà aperçu de près ou de loin via la littérature car ils ont inspiré les trois volcans de l'astéroïde B 612 où s'ennuie le Petit Prince. Ce n'est pas un hasard car la femme d'Antoine de Saint-Exupéry est salvadorienne ; elle est nait et a passé son enfance dans un village au pied de l'Izalco, à seulement quelques kilomètres de là.
Bien qu'ils soient très proches, ils ne se ressemblent en rien car le Cerro Verde est totalement recouvert de végétation alors que l'Izalco est totalement dénudé laissant seulement apparaître les roches le composant. Ayant connu sa dernière éruption dans les années 60, la végétation n'a pas encore pu reprendre possession de ses flancs et les recouvrir. Avec cette teinte froide, sombre et uniforme, il fait penser au repère de Sauron, la célèbre Montagne du Destin, dans la saga du "Seigneur des Anneaux". C'est d'ailleurs le plus jeune volcan du Salvador car il s'est formé en 1770. Étant extrêmement actif entre 1770 et 1958 et vu sa position très proche du Pacifique, il gagna le surnom de "Faro del Pacifico" car les marins pouvaient l'apercevoir en mer depuis de très longues distances. D'ailleurs une petite anecdote sur ce volcan : lors de la dernière éruption un nouveau cratère s'est crée et a menacé le village juste en dessous. Les habitants ont érigé une statue de la Vierge pour protéger leur village et comme par miracle la dernière coulée de lave s'arrêta juste au niveau de la statue. Vrai ou pas ? En tout cas, c'est ce que raconte la légende.
J'ai la chance de n'être accompagné que de trois autres personnes lorsque j'arrive sur les lèvres de l'immense cratère en moins de deux heures. D'ici, sont visibles les nombreuses fumerolles crachant dans l'atmosphère une quantité phénoménale de dioxyde de soufre. Elles surgissent des entrailles du volcan et disparaissent en ne laissant que des trainées jaune-orangées sur les rebords de la caldeira. Ceux qui nous ont rejoints, se cachent le nez pour atténuer l'odeur d’œuf pourri qui nous entoure, mais grâce au vent qui balaye assez fortement le sommet, l'odeur semble vite se dissiper. Les émanations de soufre via les fumerolles traduisent l'activité du volcan et nous ne pourrons rester qu'une demi-heure en haut à cause de la toxicité du gaz. Même si le Santa Ana n'est maintenant pas très actif, il est étroitement surveillé en raison de sa dangerosité car lors de sa dernière éruption en 2005, il provoqua une coulée de boue dévastatrice et propulsa dans l'atmosphère des blocs de la taille d'une voiture.
On continue notre progression le long de la petite crête jusqu'à ce que l'œil du volcan apparaisse. Le lac d'acide est d'une incroyable couleur bleu jade scintillante et occupe le fond d'un cratère au centre d'un ensemble de quatre anneaux, quatre caldeiras, s'étant formées lors de grosses phases explosives. A 2381 m, au sommet du plus haut volcan du pays, le paysage est sensationnel. Avec d'une part la roche rouge s'accumulant sur les bords, la couleur étincelante de l'eau, les dépôts jaunes vif de soufre et de l'autre la superbe vue à 360° sur le Pacifique et le lac Coatepeque, c'est difficile d'imaginer un lieu aussi merveilleusement incroyable et photogénique.
Alors que plusieurs Salvadoriens immortalisent l'instant en déployant le drapeau national et posant fièrement en photo devant le paysage, on devine que l'Américain arrive car on l'entend gueuler à des kilomètres. Quand il apparaît, tous ceux qui l'accompagnent ont l'air passablement énervés. Au sommet, il se met à hurler de plus bel, à sortir des bières et à vouloir faire des checks que presque tout le monde décline. Il y a un panneau qui interdit d'aller plus loin à cause notamment du terrain fortement accidenté et du vent violent. Le seul survivant du gang des tongs décide d'arrêter ses explications foireuses sur le volcan et de passer outre l'avertissement pour s'aventurer plus loin car selon lui la vue est "nettement meilleure". Parce que oui, c'est un expert dans tous les domaines. Petite devinette : d'après vous qui a ramassé une énorme gamelle en glissant sur un rocher et a donc du se taper la descente en boitant tout du long ? Tout ça pour ne rien voir de plus, se faire une entorse et obliger les guides à l'aider pour redescendre. Là on en tient un très très bon ! Mais heureusement qu'il est là, un cador de ce niveau, ça aurait quand même été dommage de passer à côté…
La descente est super facile, si on ne boîte pas évidemment, et en moins d'une heure je me retrouve au point de départ. Il me suffit d'attendre un bus pour ramener tout le monde jusqu'à Santa Ana mais aucune idée de l'heure à laquelle il doit passer. En demandant au proprio d'un hôtel à côté, à un guide et à un habitant, j'ai droit à trois horaires différents. C'est avec plein d'espoir que j'attends celui qui devrait être là dans 15 minutes. Comme jusqu'à présent la journée a été vraiment parfaite, cela ne se produira pas. Je reste à attendre avec seulement quatre autres personnes, et même si tout le monde parle espagnol, c'est la foire aux accents. Entre l'italien, l'allemand, l'anglais et le français, c'est un joyeux mélange. il nous faudra attendre pas loin de 2 heures avant d'entendre un moteur et apercevoir enfin un bus, comme d'habitude très coloré, sortir d'un virage de cette route de montagne sinueuse.