Pistes cyclables, voies vertes, eurovélo, vélodysée... Certains de ces tracés suivent d'anciennes voies de chemin de fer, d'autres reprennent d'anciens chemins de halage le long d'un canal et d'autres encore longent les berges d'un fleuve. Ces itinéraires réservés aux deux roues ont fleuri, un peu partout ces dernières années, pour le plus grand bonheur des petits et grands équilibristes à deux roues.
La route de nos vacances est parfois plus large mais souvent bien moins carrossable et nous devons aussi la partager avec quelques rares "machines", comme on dit ici, et aussi parfois avec quelques animaux.
Cet itinéraire un peu fou serpente au beau milieu du massif du Pamir, il remonte d'interminables vallées, gravit des cols en altitude, franchit des montagnes, traverse des hauts plateaux, longe des lacs et saute des rivières.Il mène à la grande nature, belle, sauvage, rude et aride...
La "Pamir highway", ou route M41, est cet axe qui relie le Nord Est de l'Afghanistan à Douchanbé au Tadjikistan puis à Osh au Kirghizistan avec à mi-chemin, une bifurcation menant à la frontière chinoise. Aujourd'hui quand on parle de la "Pamir Highway", c'est au tronçon Douchanbé-Osh auquel on fait allusion.
Elle a été construite sous l'ère soviétique dans les années 40 en un temps record. On évoque une centaine de jours à peine pour la partie Douchanbé-Khorog, soit près de 500 km, c'est à dire une avancée d'environ 4km par jour. Vu le relief géologique et les moyens supposés de l'époque, c'est juste lunaire !
À cela doit-on ajouter que bien que soutenu par le gouvernement de la république soviétique, le chantier a été réalisé dans un effort commun et collectif ("khashar", effort mutuel en persan ) comme c'est seulement imaginable dans des états communistes !
C'est aujourd'hui un des réseaux routiers principal du Tadjikistan même si l'aspect de la route peut parfois sembler bien éloigné de celui d'une nationale tel qu'on se l'imagine ! Principalement fréquentée par des poids lourds chinois chargés d'énormes containers, on peut également y croiser quelques 4x4 faisant office de taxis et aussi... quelques vélos !
La "Pamir Highway" est très certainement un rêve pour beaucoup de cyclovoyageurs. Elle est pour certains, qui viennent spécialement la parcourir, un réel objectif à elle seule. Pour d'autres, elle est une étape de taille dans un voyage au plus long cours en Asie Centrale.
Une parenthèse.
Un voyage dans le voyage. Nous ne sommes pas encore de grands cyclovoyageurs mais cette route à travers les montagnes du Pamir nous faisait rêver.
Cyclorêveurs, cyclovoyageurs... Peut-être qu'au terme de cette épopée sur cet itinéraire mythique, serons-nous un peu des deux ?!
Brut mélange d'asphalte décrépis, de nids de poule géants, de terre battue, de sable, de gravier, de galets, de tôle ondulée, de flaques, de passages à gué, de vents durement établis, de poussière qui vole, elle met voyageur comme matériel à rude épreuve sur plus de 1000 km.
Suite à des affrontements armés, plus ou moins récents, entre Tadjiks et Kirghizs, la frontière entre ces deux pays est désormais strictement fermée. Impossible donc de parcourir les deux cents derniers kilomètres de la célèbre route se trouvant en Kirghizie. Dommage...
Pour autant, une fois la déception passée et après réflexion, ce nouveau paramètre s'avère finalement être une sacrée aubaine.
Quand une traversée des montagnes du Pamir se transforme en une boucle, cela signifie que l'on passe deux fois plus de temps dans ces paysages splendides, davantage de jours en altitude et que l'on reste plus longtemps au cœur du massif.
Afin de ne pas emprunter le même chemin à l'aller qu'au retour, on se met alors en quête de variantes et de vallées habituellement délaissées, de pistes peu parcourues, de chemins plus que de routes à proprement parler. On prend alors des voies beaucoup moins carrossables où les véhicules motorisés disparaissent parfois complètement.La "Pamir Highway" est à réinventer !
Autre avantage à cette frontière condamnée, il n'y a plus aucun camion à destination du Kirghizistan sur la M41 et seuls quelques poids lourds chinois empruntent toujours une partie de l'itinéraire mais là encore, covid oblige, leur nombre est beaucoup plus restreint qu'habituellement.
Les quelques véhicules de touristes, quant à eux, contraints de faire l'aller-retour par la même route se font également plus rares. Nous n'en croiseront aucun.
Bref, la route est libre.
À nous la "Pamir Highway" !
Nos passeports tamponnés, il nous faut maintenant également composer avec un délais de trente jours maximum dans le pays, créneau déjà quelque peu grignoté par le temps de rejoindre Douchanbé depuis Samarkand et un peu de logistique sur place :
S'alléger de ce qu'il peut rester de superflus dans nos sacoches et effectuer les quelques démarches administratives nécessaires pour entrer officiellement dans la région du Pamir.
Permis GBAO en poche, courses pour être un peu autonomes en nourriture, taxi rudement négocié et partagé avec trois autres cyclos.
Vélos ficelés sur le toit, excitation à son comble, c'est parti pour 17h de voyage : Pamir en ligne de mire !
C'est à Khorog que débutera notre épopée Pamirienne ! À la classique M41 plus directe, nous préfèrons tout d'abord emprunter le chemin des écoliers : la Whakan valley (en bleu sur la carte !).
Cette interminable vallée remonte sur plusieurs centaines de kilomètres la rivière Panj, énorme cours d'eau et frontière très naturelle entre Tadjikistan et Afghanistan. Les eaux grises sont déchaînées et les vagues parfois gigantesques.
Nous remonterons plusieurs jours durant ce corridor dans lequel le vent s'engouffre avec fureur chaque après-midi. Pour notre plus grand bonheur, il souffle dans notre dos et ça file parfois à toute vitesse !
On peut profiter ainsi du panorama sur les grands sommets enneigés de l'Indu Kouch et saluer de temps à autres les afghans sur la rive opposée. Côté Tadjik, ce sont les militaires qu'il faut "saluer" à intervalle régulier. Checkpoints et patrouilles qui se baladent en permanence, arme à la main et œil fixé sur les Afghans bien occupés, quant à eux, à vaquer aux simples tâches de la vie quotidienne !
Quelques petits villages ou simples hameaux rencontrés égayent le trajet.
Des enfants qui courent à nos côtés ou qui pédalent quelques centaines de mètres avec nous, des paysans au retour des champs tout sourire qui nous saluent, une micro boutique et une boisson fraîche à se mettre dans le gosier !
Après quatre jours à jouer aux montagnes russes le long des flots, on quitte la vallée principale pour prendre de la hauteur et aller à la rencontre des montagnes Tadjiks.
Adieu l'asphalte ! Bonjour le sable, les cailloux et la tôle ondulée !L'altimètre grimpe et les pédales moulinent....
À 4300 mètres d'altitude, tout le monde stoppe sa course : Voilà un premier col dans la poche ! En short et en jupette s'il vous plaît !
Le paysage s'ouvre plus largement et chaque virage est une jolie surprise à condition de pouvoir lever le nez de son guidon !
La descente s'avère être presque plus exigeante que la montée : Piste raide, caillouteuse et grand plat dans lequel on s'ensable copieusement.
De la tôle ondulée de qualité supérieure fait suite et nous mène de lac salé en lac salé... Dommage, on avait justement une grande soif !
Il faudra encore patienter quelques dizaines de kilomètres...
Enfin un dernier virage et une surprise de taille nous attend : noire, lisse et chaude.
Aurait-on pu un jour imaginer que retrouver du goudron provoquerait en nous une si grande joie ?
Bien que défoncée et au dénivelé largement positif, on se laisse porter par l'enthousiasme de l'asphalte retrouvée (et aussi par la soif !) le long de ce tronçon de la M41 que nous venons de rejoindre (en jaune sur la carte !).
Du vélo jusqu'à ce qu'il fasse nuit noire suivie d'une grande étape de cent kilomètres au milieu de paysages incroyables, sur cet immense plateau, le lendemain nous mène jusqu'à LA ville du coin : Murghab.
Changement de décor : C'est par une grande plaine verdoyante et humide que l'on rejoint la civilisation.
Un ultime checkpoint et contrôle de nos passeports. Il ne s'agirait pas que l'on soit deux afghans déguisés en cyclistes ayant traversé la Panj à bord de nos pédalos pour venir acheter deux cannettes de bières à Murghab !
Douche chaude, lits, bières (justement !), soupe et emplettes au bazar local.Changement d'ambiance, ici on porte des chapeaux en feutre et des foulards fleuris, on vend fromage et viande à l'intérieur de yourtes en béton (!) et un village de containers décrépis abrite tout plein d'autres petites boutiques.
Ce petit bazar est un vrai spectacle dans lequel on serait tenté de déambuler des heures.
Les sacoches reremplies de ce qu'on a pu trouver à acheter au container épicerie et c'est reparti ! La M41 fait une grande courbe vers le nord en direction du Kirghizistan.
À présent, le vent est contre nous et il va bien falloir s'y résoudre. Sauf imprévu ou conditions climatiques exceptionnelles, le vent dominant et nous, serons désormais à contre-courant !
La route pour la Chine ayant bifurquée à droite, on a la M41 juste pour nous ! Plus un camion et deux ou trois voitures par jour tout au plus !
Pas un chat et pas un chinois, pourtant la Chine et sa grande muraille de barbelés sont à quelques mètres à peine ! Des kilomètres et des kilomètres de poteaux et de clôtures plantés au milieu de ce no man's land minéral.
Sait-on jamais qu'un Tadjik veuille aller cueillir un caillou sur ce flanc là de la montagne ! Vu la taille du pays, si tout le périmètre est barricadé ainsi, ils ont intérêt à être nombreux les planteurs de poteaux chinois !
La route se redresse peu à peu, la terre et la poussière reprennent leurs droits sur l'asphalte et quelques épingles s'enchaînent.
Ak Baïtal en vue !
Un joli col à 4660 mètres. Qui aurait dit qu'on grimpe un jour si haut... à vélo !?
L'idée nous vient alors qu'on a, enfouis au fin fond de nos bagages deux paires de baskets. Et si on les emmenait se balader un peu ? Des globules plein les sacoches, c'est le moment d'en profiter !
Un peu de marche à pied pour se dégourdir les gambettes et rejoindre cette crête haut perchée. L'alti affiche 4900 mètres.
La barre du "record" annuel est dépassée mais croyez-le ou non, cette presque traditionnelle virée estivale à 4810 mètres ne me manque pas du tout.
La cohue de guides, les refuges blindés et les cailloux qui dégringolent encore moins !
Y retournerai-je, je me le demande à cet instant...
Sur mon vélo, je me nourris parfois néanmoins de ces belles journées d'avril qui ont précédé notre départ. Atlas marocain, sierras espagnoles, caillou chaud, calme, tranquillité, sourires et bonheur d'être là...
En écrivant ces lignes, je pense aussi inévitablement à Marine, déjà un mois ; à Adèle, quelques jours à peine... Chutes fatales encordées à leur client(e). Des vies parties en poussière en montagne mais surtout au travail.
"Métier passion", le mot est beau mais le jeu n'en vaut largement pas la chand'elles...
☆
Cette grande descente dans une tôle ondulée impeccablement sculptée me sort de ces sombres réflexions. Se faire secouer de la sorte est non seulement désagréable mais il semblerait que cela accentue irrémédiablement les effets de l'altitude. Un mal de tête tenace s'installe !
C'est un peu sonnés que nous crloisons nos premières yourtes et apercevons nos premiers yaks au loin. Avec ces nomades là, nous nous observons un moment, incrédules. Je ne sais pas qui prend le plus l'autre pour un extra-terrestre !
Quelques dizaines de kilomètres plus tard, il est temps de quitter à nouveau la M41 pour se jeter à corps perdu dans la grande nature sauvage.
La Bartang valley (en rouge sur la carte !) mériterait un récit à elle seule. De vagues traces de roues dans la pampa, une vallée mal définie, un cours d'eau qu'il faudra parfois traverser...
Ici le goudron n'est plus qu'un très lointain souvenir, les ponts sont en option et mieux vaut avoir fait ses provisions de nourriture et de carburant avant de s'engager plus profondément dans la Bartang.
Pour peut-être la toute première fois depuis le début du voyage, nous roulons vers l'Ouest !
Le soleil nous réchauffe le dos quand nous pédalons aux premières heures du jour où la gelée blanche est encore installée. L'après-midi, il nous brûle le nez et nous le poursuivons jusqu'à installer notre bivouac et le voir jouer à cache-cache entre les sommets, pour finalement disparaître derrière l'horizon acéré.
Le vent, quant à lui, est ici désespérément établi, il nous souffle de reprendre notre chemin vers l'Est ! En milieu de matinée, il se réveille timidement puis par quelques bourrasques s'installe confortablement jusqu'en milieu de nuit. Il lève alors la poussière, le sable, il assèche la peau, la bouche, il pique les yeux. Il ralentit les cyclistes qui tentent de se frayer un chemin à contre-vent, il secoue la toile de tente et vient perturber la flamme du réchaud.
Après quelques jours sur ce grand plateau à pédaler entre 3800 et 4000 mètres, nous plongeons dans la vallée à présent mieux dessinée. Coulée de boue durcie, pont écroulé, passages à gué nombreux, champs de galets, avalanches d'éboulis qui ont envahie un bout de piste, blocs qui ont degringolés, chemin trop raide et trop caillouteux, route parfois rongée par les eaux en furies.
Il y a quelques fois tout juste de quoi laisser l'espace pour le passage d'un vélo et on comprend mieux pourquoi ce sentiment de solitude se ressent si fort ici.
Pas de village à des kilomètres, pas de nomade en estive, le haut de la vallée est isolée, comme coupée du reste du monde. Quel privilège !
Dire qu'il suffirait de se laisser glisser le long de la vallée, de suivre les flots de la Bartang ne serait pas vraiment réaliste. Bien que majoritairement descendant, il faut ici être présent à tout moment. Les yeux rivés sur les quelques mètres à venir, concentré sur où va passer sa roue avant et tonique pour maintenir le cadre dans l'axe de sa trajectoire.
En montée, on guidonne, on mouline, on souffle. En descente, on se cramponne aux freins, on tente d'amortir les chocs trop nombreux et de se frayer un chemin entre les obstacles en maintenant un équilibre plus ou moins précaire.
Serait-ce cela que l'on appellerait le vélo tout terrain ?
Une fourche avec amortisseur nous aurait très certainement bien soulagé les poignets. Pour autant, bien qu'ayant parfois la sensation d'être dans un shecker, on ne lâche ni guidon ni l'affaire ! Une fois n'est pas coutume !
Dans une grande descente, j'enfilerai même mon casque. Si on quittait nos tongs, on ressemblerait peut-être même à des vttistes !
Une fatigue (bien crevante) accompagnée de quelques problèmes gastriques (bien emmerdants) me videront de toute mon énergie quelques jours durant. Je ferai mon possible durant une semaine pour avancer d'une distance correcte chaque jour, dans cette vallée qui me semble de plus en plus interminable, jusqu'à ce qu'une pause d'une journée s'impose.
Dur cependant de reprendre des forces quand il n'y a rien à manger. Nous avons cinq jours d'autonomie et en avançant plus lentement que prévu cela s'avère être un peu léger.
Je pédale au ralenti, je pousse parfois le vélo dans les montées ou dans les descentes trop techniques mais je teste quand même un truc assez génial, le VAM : vélo à assistance musculaire.
C'est assez simple, il suffit d'un vélo, d'une meuf complètement carpette et de son copain qui pousse tout ça !
Et dire que le soir, ça écoute des podcasts féministes... Au secours !
Le retour à la civilisation est lent, progressif, réconfortant... Premier signe de vie humain, une yourte inoccupée puis quelques dizaines de kilomètres plus loin, une bergerie perdue au milieu de nulle part et une poignée de personnes qui y passe l'été avec leurs troupeaux.
Une centaine de kilomètres plus tard, un tout premier village sans véhicule et sans boutique mais déjà une invitation à partager le thé.
Il faudra encore attendre une quarantaine de kilomètres supplémentaires pour reremplir notre garde manger en s'offrant deux paquets de pâtes dans une épicerie qui n'a de l'épicerie que l'appellation !
Peu à peu les habitations se font plus nombreuses, plus élaborées, les jardins sont agrémentés de fleurs, les premiers véhicules motorisés réapparaissent et la tôle ondulée qui y est associée.Les invitations se multiplient, on ne peut toutes les honorer.
De fil en aiguille, le chemin s'élargit pour devenir une route et, cerise sur le gâteau, une dizaine de kilomètres avant de sortir de la vallée et de rejoindre la M41, l'asphalte réapparaît comme par enchantement. Évidemment, le revêtement est loin d'être parfait mais cela nous donne l'impression qu'un boulevard s'offre à nous pour rejoindre Rujan.
Ce coup-ci, c'est le retour à la vraie ville : un hôtel, une douche et un restaurant.
Voilà déjà dix-sept jours que nous pédalons dans ces fabuleux paysages si sauvages. Aujourd'hui, nous avons un peu de mal à réaliser que ça y est... le Pamir, c'est terminé.
Il ne reste plus qu'à se reposer un peu et à inventer le prochain épisode !
On rêverait bien de plage et de farniente mais il n'y a encore rien de tout ça à proximité...
Il va falloir pédaler vite ou patienter encore pas mal !