En me couchant la veille, je suis un peu perdu. Je ne sais pas trop pourquoi je suis ici, ni pourquoi j'ai loué une voiture pour deux jours, ni ce que je vais en faire. Je me dis que j'aurais dû tracer vers le sud directement.
Je m'explique. Le nord de l'argentine, et particulièrement la province de Jujuy, est frontalier avec la Bolivie via le Salar d'Uyuni, que j'ai vu il y a deux ans, et avec le Chili via, notamment, le désert d'atacama, que j'ai vu il y a deux ans également. Pour le reste, la région de Jujuy est très similaire, avec ses montagnes de toutes les couleurs, ses salars*...
*Salar : ancienne mer asséchée laissant de vastes étendues de sel exploité et qui font la joie des touristes puisque la lumière y est telle qu'on distingue mal l'horizon et on peut y prendre des photos avec effets d'optique.
Du coup, j'ai envie de quelque chose que je ne connais pas encore. Bien sûr, je peux apprécier à nouveau, presque avec des yeux étrangers, ces merveilles de la nature, mais bon...
Après, une amie m'a parlé d'un endroit nommé Tolar Grande où se trouve le cône de Arita, une masse rocheuse formant un cône presque parfait, ce serait un volcan qui ne serait jamais entré en irruption. À côté, se trouve Los ojos del Mar, des trous d'eau turquoise au milieu de nul part. Paraît-il qu'on ne connaît toujours pas la profondeur de ces trous d'eau saline. Paraît il également que là, se trouvent les bactéries qui ont été à l'origine de la vie sur terre. Il n'y a que 5 endroits comme celui ci dans le monde. Ça ce serait original !
Un réveil sonne dans la chambre à 5h du matin. Il sonne et re-sonne. À croire qu'il n'y a que son propriétaire qui ne l'entend pas. Je me dis que je devrais en profiter pour me lever, boucler mes affaires et partir.
Et puis... İl est 9h30 quand je rouvre les yeux. Je saute hors du lit. Et tente de me dépêcher de partir. Je ne sais toujours pas où, mais advienne que pourra. A quelques kilomètres au nord se trouvent las salinas grandes, autant commencer par là. Il est 10heures.
Une particularité de l'Argentine, à chaque frontière entre provinces, et souvent, à la sortie des agglomérations, se trouvent des controles de police. J'arrive à un premier, et quelque chose me dit que ce sera pour moi.. Bingo ! Controle d'identité, rien de plus banal. Sauf que lagent veut me verbaliser parce que je n'ai pas mis les feux. C'était ça la dernière règle de Wendy ! Et pourtant je m'en rappelais mais... J'avais mis les feux de croisement et non ceux de position. Bon, je parviens tout de même à négocier.
Quelques kilomètres plus loin, la route commence à se tortiller dans tous les sens, la montagne andine approche. Sur la route des Salinas grandes se trouve le petit village de Purmamarca, célèbre pour ses montagnes de toutes les couleurs. Je retrouve finalement avec grand plaisir cette merveille de la nature. Du vert, du rouge, de l'orange, du marron, et des cactus candélabres à foison. Grand dieu que c'est beau.
Chaque virage est ensuite plus beau, différent et plus impressionnant que le précédent. Je m'arrête plusieurs fois, tourisme oblige, pour prendre quelques photos, me perdant dans des réflexions métaphysiques sur la place de l'homme dans le monde et sur son aspect minuscule face à l'immensité de la nature.
Près d'une heure de route plus tard, j'arrive à la Salinas grandes-le salar-. Et bien... Il n'a rien de grand, on dirait même une maigre tache blanche au milieu de nul part. De plus, il est pris d'assaut par une centaine de touristes, se comportant, bien entendu, comme des touristes.. Mais bon, ça fait tourner le commerce local. Quelques natifs profitent de l'affluence pour vendre diverses babioles. Voilà, me dis-je, l'aspect le plus triste de la mondialisation. Vendre son âme au diable blanc, encore. Je me laisse tout de même tenter par deux porte-clé lama et un cœur en sel-chassez le romantisme, il revient au galop-. Je discute avec une dame d'un stand qui vend des gravures sur pierre représentant la chakana-croix des andes pour ceux qui n'ont pas suivi-. Elle m'explique la signification de divers motifs dont les 4 éléments ou la pachamama, la déesse terre sacrée. C'est beau, mais ça casse dans le sac! Un peu plus loin, on vend des sachets de plantes. Ça, ça m'intéresse, surtout dans cette région, les natifs possèdent toutes sortes de remèdes. Jachete de la pupusa- le nom m'a fait rire--et une autre herbe dont j'ai oublié le nom. On m'explique que c'est contre le mal des montagnes. Touriste que je peux être parfois, je m'empresse de faire un maté avec la pupusa- j'apprendrais plus tard que ce n'est pas vraiment l'usage-. Le goût est plutôt bon et, cela fait du bien aux voies respiratoires.
Je prends quelques photos sur le salar et puis je retourne à la voiture.
Et maintenant, que faire ? Je regarde sur Maps.me et tolar grande se trouve à quelques 200km. J'y vais ? J'y vais pas ? Je fonce vers la quebrada de humahuaca plus au nord, circuit plus traditionnel.-quebrada = canyon -. Bon, plus de temps à perdre à tergiverser, Tolar Grande me voilà! Je me dis que je vais regretter si je n'y vais pas.
À quelques centaines de mètres du salar, un troupeau de lamas est en train de paître paisiblement. Je tente de les prendre en photos mais ils sont bien trop farouches. Fucking llamitas !!
Et c'est là que les problèmes commencent. Je roule, et je roule, et je roule encore. Passant à travers des paysages tous plus fabuleux les uns que les autres. Après plusieurs heures de route, je tombe sur un point d'informations touristiques, je me renseigne sur le temps restant jusqu'à Tolar, et la dame me répond "5heures". Donc maps.me ne se trompe pas.-cette règle annule la précédente :parfois on peut malheureusement faire confiance à la technologie-. Je reprends donc la route, me disant qu'il est encore temps de faire demi tour. Que nenni !
Et là, les problèmes commencent vraiment, le GPS me dit de tourner à gauche, sauf qu'à gauche... Il n'y a pas de route. Ah ! Si! Il y a un petit chemin de cailloux mélangés à du sable. Et bien... Allons-y ! Ce chemin est en fait une route provinciale. Elle traverse une mine d'exploitation de sel à ciel ouvert. Plein de chemins partent dans tous les sens, si bien qu'un 4*4 me voyant un peu en galère, m'escorte quelques minutes jusqu'à ce que le chauffeur me dise "maintenant, c'est tout droit". Plusieurs fois, je manque de ruiner la voiture à cause de trous, je manque de rester embourbé dans des trous de sable, l'arrière de la voiture part comme si je faisais du drift. En toute modestie, j'ai découvert ce jour que je suis un pilote, quoi qu'en disent mes amis qui trouvent que je conduis mal- et c'est plutôt justifié-. Je me dis, heureusement que je suis seul dans la voiture! Et, pendant cette traversée du désert, seul avec moi même, je me livre à toutes sortes de méditations, émerveillé toujours plus par la nature qui m'entoure.
Sur la route, je croise encore un ou deux salar, beaucoup plus sauvages, avec de petits villages aux abords, au charme atypique.
Sur la route toujours, pas un chat. Je croise peut-être un ou deux 4*4 par heure. Les seuls êtres vivants sont des lamas, des vicunas ou des mules.
Et je roule, et roule encore. Le temps file à une vitesse et la flèche indiquant ma position sur la carte est toujours plus éloignée de Tolar.
En fin d'après midi, j'arrive dans une zone de haute montagne, la route est plus caillouteuse et sinueuse que jamais. Je fais par moments des dérapages (in)contrôlés. Et là, la nature devient oppressante : je suis si petit dans ma voiture au fond de ces espèces de canyons sans aucune vie, avec ces montagnes toujours plus impressionnantes autour de moi. Je vérifie par moments à quelle altitude je me trouve, point culminant repéré :4100 mètres. En moyenne, 3700/3 800 mètres d'altitude. Si je ne dis pas de bêtise, le mont blanc est à 3700 mètres. Et là, la balade interminable commence à peser. Moi qui n'ai pas vu de montagne depuis des lustres, pas franchement habitué à cela et vivant au bord de l'océan, il semblerait que le fameux soroche vienne me tenir compagnie. Il faut dire qu'en peu de temps je suis passé de 1500 mètres d'altitude à 4000...
Le soroche, c'est le fameux mal des montagnes redouté des touristes dans les andes. Sur le principe : en altitude la pression atmosphérique augmente et l'air devient plus rare- cette fois ce sera aux biologistes de me reprendre-. Pour les symptômes : mal de tête, essoufflement, nausées, perte d'appétit, accélération du rythme cardiaque...
Pour ma part, ça a commencé par un léger mal de tête. Mais très vite, sont apparues des difficultés respiratoires et une grosse accélération du rythme cardiaque. Et puis la fatigue s'ajoute à cela. Il est 18h et voilà donc environ 8h que je roule. Et puis... Seul dans la voiture, difficile de se calmer et de se concentrer sur autre chose que la tachycardie de fou qui s'empare de moi. J'ai bien tenté un autre maté de pupusa mais rien à faire.
Je m'arrête et tente de me dégourdir les jambes, mais c'est pire. Mes jambes chancellent et mon rythme cardiaque s'accélère encore. À ce moment, j'ai prié fort le ciel de me venir en aide...
Et voilà que la nuit tombe et je me retrouve seul en pleine montagne. J'ai dû croiser un ou deux 4*4 qui se sont arrêtés pour me dire qu'un camion arrive et qu'il me faut me ranger. Ils me demandent si ça va. J'acquiesse, pas convaincu. Ils me disent que Tolar est à une demie heure. Ouf ! Mais c'était sans compter les minutes supplémentaires parce que je me suis perdu. Et comme il faut. Je me retrouve sur un chemin encore plus ardu que le précédent, montant toujours plus. Jusqu'à arriver à une chaîne qui barre la route. Bon... Demi-tour.
20h30 , voilà environ 10heures que je roule. Mon rythme cardiaque est toujours incontrôlable. Je trouve une auberge au centre du village. La réceptionniste m'explique qu'ils sont peut-être complets car ils attendent un groupe. Je lui demande avec le peu de forces qu'il me reste si je peux me poser quelques minutes, le temps de me calmer un peu. Je lui explique que je ne me sens pas bien, elle me dit qu'il y a un service médical à l'entrée du village. Je songe un instant à y aller mais me dis que la situation me fera stresser encore plus. J'ai la tête qui tourne et me demande si je ne vais pas faire un malaise. Et puis, allongé sur un bout de canapé près du poêle à bois, ça commence à aller mieux.
La dame revient vers moi quelques minutes plus tard et me dit que le groupe attendu arrive. Je me vois déjà dormir dans la voiture, dans le froid. Elle m'explique alors qu'il y a un hospedaje, soit une maison d'hôte. Je marche avec difficulté, entre dans l'hospedaje et, par chance, il reste un lit dans une chambre avec un vieux monsieur. Tous les convives sont attablés mais, je n'ai pas faim, bien que mon dernier repas remonte à la parilla de la veille. Je file dans la chambre et la dame me dit qu'elle reviendra pour m'apporter une couverture et une serviette.
Je m'allonge, mets de la musique relaxante - un album que j'ai avec moi et qui m'aide à me reposer-. Je m'endors profondément sans demander mon reste.
Rq1:Je ne comprends pas pourquoi cette fois-ci les montagnes sacrées des andes n'ont pas voulu de moi. Rien que d'écrire ce récit, j'ai le souffle coupé.
Rq2: sur ce coup, c'est moi qui me suis comporté comme un vrai touriste en ayant oublié à quel point les trajets dans les andes peuvent être longs et périlleux. 100km ici ce n'est pas la même chose qu'en France !