Il y a plusieurs semaines, notre chef d’expédition fixa rendez-vous aux éleveurs de rennes dans la toundra. Mais à quel endroit précisément ? Je ne distingue aucun point de repère dans ce grand blanc plat ou légèrement vallonné…
Après plusieurs heures de « route », nous apercevons une légère fumée à l’horizon. Elle annonce une poignée de iarangas, tentes proches des kotas laponnes, recouvertes de peaux des rennes.
Le froid nous mord impitoyablement dès que nous quittons nos forteresses métalliques. Les Tchouktches se couchent tôt en hiver et nous sommes mal à l’aise d’arriver en soirée. L’accueil est très cordial, mais pas à la russe avec de grands sourires, des questions, le souci d’installer au mieux ses invités. On dirait qu’ils nous connaissent déjà, comme si nous revenions simplement d’une virée dans la toundra. Chez les Tchouktches, c’est à l’invité (raimkélién) d’entamer la conversation et d’en choisir le sujet. Leur attitude en apparence distante est en fait une marque de respect. Le temps de prendre un thé autour du feu, la nuit tombe.
A l’intérieur de chaque iaranga (ou jaran’), il y a deux ou trois petites tentes appelées pologs (ou joron’). Le feu permet de cuisiner, chauffer l’eau et la iaranga, mais il n’est pas allumé en permanence. On s’installe donc pour la nuit dans un polog, à l’entrée voilée par une peau de renne à rouler vers le haut. Trois bougies éclairent l’intérieur ; les Anciens usaient de lampes à graisse de phoque. Le sol est tapissé de peaux de rennes. Pour garder la chaleur, les Tchouktches dorment à plusieurs dans le polog. Nous nous retrouvons à six dans le même lit : un Suisse, deux Allemands, une Russe, une Française et une Anglaise ! Très serrés, il nous est difficile d’éteindre un fou rire... La température extérieure est d’environ moins 40°C. J’ai au début peur d’avoir froid, même si les Tchouktches nous ont dit d’enlever nos encombrantes combinaisons, inutiles la nuit selon eux. Conseil surréaliste mais vrai... Après trente minutes de vaines tentatives pour glisser dans le sommeil, nouvel éclat de rire général. Fatiguée, je m’endors enfin, petit pois dans sa cosse.