La petite parenthèse en France nous a laissé le temps de réfléchir à notre itinéraire en Turquie. Passerons-nous par Istanbul ? Ce nom mythique nous fait rêver mais quand nous nous penchons sur les cartes, nous réalisons le détour que cela représente. Nous tranchons et abandonnons Istanbul pour suivre la côte moins montagneuse.
Jour 247 - Jeudi 6 octobre
L'objectif est de rejoindre le poste frontière, lieu exact que nous avions atteint avant notre retour en France. Après notre atterrissage à Alexandroupoli, nous tentons de faire du stop mais optons finalement après une bonne heure d'attente pour le bus.
Premier poste grec franchis sans problème mais le policier nous explique qu'il est impossible de traverser à pied le pont qui enjambe le fleuve Maritsa, frontière naturelle entre les deux pays et zone militaire sous contrôle. Nous sommes donc bloqués pour à peine 300 m. Alors, nous reprenons patiemment notre quête d'un stop. Les voitures passent au compte goutte : rien. Enfin, l'une d'elle s'arrête, un couple russe a eu pitié de nous. La longue attente avant de passer le poste turc nous laisse le temps d'échanger. Artimo et Vica ont quitté la Russie à cause du contexte politique et errent sur les routes à la recherche d'un pays où s'implanter. Nous sommes touchés par leur gentillesse et leur courage. Ils nous déposent à Ipsala la première ville turque située juste de l'autre côté de la frontière. Les drapeaux rouges au croissant et à l'étoile sont partout. Aucun doute, les turcs manquent leur territoire.
Notre marche débute dans une ambiance étrange. La ville mêle des bâtiments flambant neufs et des lotissements qui semblent perdus aux milieu des champs qui s'étendent à perte de vue. Sous un beau soleil, nous avons une impression d'immensité en découvrant cette campagne désertique dont la monotonie est rompue par des colonies éparses. Dans les premiers villages nous avons l'impression de replonger dans les ambiances albanaises : les modestes maisons brinquebalantes et les chiens des rues pouilleux renforcent cet effet. Les habitants affairés nous regardent passer et nous dévisagent sans gêne. Nous ressentons alors une sensation d'inconfort due à l'inconnu.
Nous sommes heureux de reprendre le rythme de la marche. Cette fois, nous repartons pour terminer notre pèlerinage. D'un pas dynamique, nous entamons la Turquie qui représente encore un bon morceau.
Nous enchaînons les nuits sous tente. Dans un premier temps, c'est plus simple. Nous tâtons le terrain avant d'oser faire notre demande d'hospitalité. Un stock de nourriture française nous permet d'avancer en autonomie. Nous explorons cette terre inconnue en nous posant les questions de base : où dormir, manger et boire ? Lors de ces premières journées nous sommes touchés par des gestes spontanés de la part des habitants. Ainsi un couple tenant un restaurant, à qui nous demandions seulement de l'eau nous fait assoir et nous sert un apéritif plantureux que nous savourons même si nous venions de déjeuner. À ce moment-là, nous apprenons notre premier mot turc : «teşekkür» / «Merci».
Un autre jour, dans la rue, un homme nous adresse la parole, puis, voyant que nous ne comprenons pas, il parvient à nous souhaiter la bienvenue dans son pays : «Hoşgeldiniz». À travers ces démarches, nous sentons qu'ils ont à cœur de bien nous accueillir dans leur pays.
Un peu plus loin, alors que nous entrons dans la ville de Gelibolu, une famille nous invite à prendre le thé accompagné de délicieux gâteaux. Tous ces gestes de générosité nous encouragent et nous aident à prendre nos marques.
D'Ipsala à Eceabat, la région d'Edirne nous offre des paysages arides de campagne quadrillée par les champs labourés aux nuances ocres. Pas de forêt en vue, sauf au sommet des monts alors, notre regard embrasse l'horizon que rien ne semble arrêter.
Ça et là, des villages se nichent au creux d'une colline. Pauvres mais vivants, nous imaginons le quotidien des habitants que l'on voit aller aux champs. Les femmes âgées, portent un foulard entourant leur visage et un pantalon large à fleur. Les hommes eux, sont en chemise et vieux pantalon de costume. Depuis l'Albanie, nous avons pris l'habitude de croiser la route de bergers menant leurs troupeaux à la recherche des rares brins d'herbe.
Ce jour là, en débouchant d'une forêt de pins, le chemin qui tranche net le couvert forestier nous donne à contempler en contrebas la plaine sur laquelle viennent mourir les vagues de la mer Egée. Encore un panorama à perte de vue. Nous devons suivre la courbe que forme cette avancée de mer pour rejoindre le bras de terre qui sépare la mer Egée du détroit des Dardanelles.
Nous découvrons avec joie que la Turquie nous réserve des chemins de terre idéals pour la marche. Ces derniers contrastent nettement avec les grands axes routiers en asphalte flambants neufs. Objectif du jour : la ville de Gelibolu. Une route de crête nous y conduit. L'après midi passe bien vite quand nous avons à contempler de part et d'autre les collines se jetant dans la mer.
Jour 253 - Mercredi 12 octobre
Il y a deux manières de traverser les Dardanelles : emprunter un pont réservé aux voitures ou prendre un bac reliant Eceabat à Çanakkale. Nous optons pour la deuxième qui nous fera profiter du défilé des porte-conteneurs et des pétroliers qui rejoignent Istanbul. La traversée nous offre également une vue imprenable sur les forteresses qui se dressent fièrement de part et d'autre du détroit.
Le bac nous dépose en plein coeur de ville. Jusque-là, les villes turques nous paraissaient sans grand intérêt. Mélange d'immeubles modernes et de rues rectilignes où seules les mosquées apportent une touche de charme. Mais à Çannakale, du moins dans le centre, nous sommes immédiatement happés par les ambiances de rue. Dans de petites ruelles étroites bordées par les façades hétéroclites, nous découvrons d'innombrables boutiques petites mais vendant chacune un produit spécifique. Les étalages montrent un large échantillon de la gastronomie locale. Par l'odeur alléchés, nous hésitons entre les petits pains briochés fourrés des boulangeries, les «pide» (pizza turque) et les «kebap». Nous nous installons finalement devant la porte d'un «döner» et dégustons cette spécialité bien meilleure qu'en France tout en profitant curieux du ballet des passants affairés.
Repus, nous prenons le temps de visiter le fort militaire beau vestige du passé. Nous découvrons la version turque de la bataille des Dardanelles durant la Première Guerre mondiale. Les prises de guerre (plaques de sous-marin français ou anglais) nous rappellent que nous étions alors ennemis. C'est aussi l'occasion pour nous d'en apprendre plus sur le héros national Mustafa Kemal dit «Atatürk». Depuis notre arrivée en Turquie nous voyons partout son visage sous forme de statue, d'affiche. Les voitures portent même fièrement sa signature. S'étant illustré lors des combats, cet homme de conviction au tempérament bien trempé a ensuite progressivement gravi les marches du pouvoir jusqu'à s'opposer au sultan encore en place. Ses méthodes plus ou moins autoritaires ont permis au pays de se moderniser et de devenir un régime démocratique. C'est passionnant pour nous de comprendre à travers quelques discussions combien sa vision a imprégné durablement le pays.
En cherchant des lieux d'intérêt sur notre itinéraire, un nom mythique retient notre attention : Troie. Le site se trouve à quelques kilomètres de là où nous nous trouvons. Alors, nous ferons le détour. Il faut engager l'ascension de la petite colline pour accéder à l'ancienne cité et admirer le point de vue qu'offre ce belvédère sur toute la vallée. Une fois passé le guichet, les panneaux d'information nous permettent de comprendre que les vestiges visibles correspondent à la superposition de neuf villes successives sur une période allant de -3000 av. J.-C. jusqu'au Vème siècle. Si Marie est soucieuse de ne pas manquer la moindre information qui puisse l'aider à comprendre toute la complexité du site archéologique, Jean-Baptiste se contente de faire quelques croquis pour saisir l'esthétique des ruines.
Nous finissons la visite par le musée qui mérite que l'on s'y attarde aussi bien pour son incroyable collection que pour sa muséographie et son architecture contemporaine. En bref, une journée qui satisfait autant l'architecte que l'archéologue !
Ce matin là, on se lève avec la désagréable impression que la journée sera identique aux précédentes et ne se résumera qu'à deux choses : marcher puis planter la tente. Nous réalisons la place cruciale qu'a pris la demande d'hospitalité dans notre pèlerinage. Au delà des aspects pratiques (lit, douche, bon repas...), ces rencontres enrichissent profondément notre routine. Après une semaine à dormir sous la tente et à ne pas oser demander l'hospitalité, nous sentons qu'il est temps de prendre notre courage à deux mains. Nous rédigeons avec l'aide de Google, un petit texte en turc pour expliquer notre démarche et demander un lieu où dormir.
Forts de ces bonnes résolutions, nous arrivons dans un petit village de campagne. Quelques hommes attablés au café nous invitent à boire un «çay» (thé). Il est encore tôt mais nous saisissons l'occasion. Les hommes viennent tour à tour s'asseoir à notre table et nous devons à chaque fois recommencer les présentations en dépliant la carte avec le tracé de notre périple. Pensant leur montrer le mot expliquant notre démarche, Marie montre à la place un autre mot où nous avions ajouté une phrase pour demander l'hospitalité. Le gérant du bar, Erol, nous propose alors de nous héberger. Croyant à une attention spontanée de sa part nous n'osons pas refuser alors que la journée de marche est à peine entamée. Nous réaliserons seulement le lendemain que nous avions en réalité demandé l'hospitalité à 11h, malgré nous !
Nous le suivons donc jusqu'à une petite maison de terre crue blanchie à la chaux environnée d'une petite cour où se promènent librement les poules et les chèvres. C'est la maison de ses grands-parents où il nous laisse sa chambre. Sa grand-mère arrive quelques instants plus tard et s'affaire pour nous préparer le déjeuner. Il est impensable de l'aider alors, nous observons cette femme âgée et menue qui dans la cuisine encombrée (où le seul équipement moderne est la machine à laver) nous prépare un délicieux repas qu'elle apporte sur un grand plateau dans l'entrée qui fait aussi office de salon. Elle déplie sur le sol un grand tissu et pose le plateau au centre. Nous observons notre hôte et imitons ses gestes : nous nous asseyons en tailleur, rabattons un coin du tissu sur nos jambes et commençons à manger en piochant dans les différents bols avec un bout de pain les crudités, sauces et fromages faits maison. Nous découvrons la cuisine familiale turque qui n'a rien à voir avec les kebap ou les pide. Le dépaysement est complet et pourtant Erol sait nous mettre à l'aise avec sa gentillesse et ses nombreuses attentions. Cette première rencontre débloque quelque chose en nous, elle nous donne confiance pour oser aller d'avantage à la rencontre des turcs.
Plongés dans ces ambiances de campagne vallonnée, nous découvrons une des activités de saison : la récolte des olives. Bien sûr, depuis notre arrivée sur les rives méditerranéennes, nous parcourons souvent d'immenses oliveraies qui donnent aux paysages de beaux reflets verts argentés. L'oncle d'Erol nous avait expliqué qu'il fallait trois mois environ pour effectuer la récolte et nous comprenons pourquoi : tout se fait à la main. Par groupes de 10 ou en famille, on arrive en voiture ou en tracteur les femmes systématiquement à l'arrière avant de déployer de grandes bâches blanches au pieds des arbres pour ne pas perdre un fruit. S'ensuit alors un gaulage et ratissage méthodique de chaque branche pour en faire tomber les olives. On a même découvert l'outil spécialement dédié à cela : une fourche vibrante qui facilite la manoeuvre. La récolte plus précoce donnera les olives vertes puis quelques temps plus tard les olives devenues noires. Ensuite, les femmes prennent le relais. Après nettoyage, les olives sont fendues puis conservées dans de grands bocaux en plastique avec un mélange d'eau, de citron et de sel. Il suffit d'attendre quelques mois pour la dégustation.
Jour 258 - Lundi 17 octobre
Nous regagnons la côte à Küçükkuyu et le lendemain, lors d'une pause, nous apercevons deux marcheurs, chose rare dans ce pays. Nous nous saluons avec complicité et nous rendons vite compte qu'il s'agit d'autres pèlerins. Quel bonne surprise ! La discussion s'engage et nous échangeons nos expériences respectives avec beaucoup de joie : itinéraire, hébergement, rencontres, spiritualité, équipements... tout y passe !
Aurélie est française et Edu est espagnol. Ils sont partis de Jérusalem et marchent vers Saint Jacques de Compostelle. Nous partageons aussi biscuits et dattes que nous avons dans nos sacs. Le couple nous donne le contact d'un autre pèlerin : Alex qui nous a précédé jusqu'à Jérusalem. Grâce à ses conseils nous contournerons quelques jours plus tard une zone où lui s'est fait harcelé par des gens malintentionnés.
Nous parlons avec eux du «Jérusalem way». C'est une route de pèlerinage qui traverse l'Europe pour rejoindre la Terre Sainte. Nous apercevons régulièrement le balisage blanc et rouge de cet itinéraire depuis Amphipolis en Grèce. Si nous continuons à tracer notre propre route, nous sommes ravis de suivre de temps en temps ce chemin que bien d'autres avant nous ont emprunté.
Mireille, adorable pot de colle.
Dans l'agréable ville côtière de Küçükkuyu nous nous étonnons du contraste avec les ambiances de campagnes des derniers jours. Le mode de vie n'est pas si différent mais le décor change radicalement. Ici les immeubles remplacent les maisons. Bien alignés et entourés de jardins proprets le long de grandes promenades de bords de mer reflétant un niveau de vie plus élevé. Mais toujours ces mêmes chiens errants peut être un peu moins faméliques. L'un d'eux se prend d'affection pour nous. Nous n'avons pas su chasser ce bon labrador noir demandant nos caresses (et notre nourriture !). Rebaptisée Mireille par Jean-Baptiste censé avoir horreur des chiens, nous nous retrouvons avec cet affectueux problème sur les bras. Les villes s'enchaînent et Mireille nous suit fidèlement. Catastrophe, elle nous attire en plus les attaques des autres chiens défendant leur quartier. Nous ne savons plus que faire pour nous en débarrasser conscients qu'elle ne pourra nous accompagner indéfiniment. Nous avons tout essayé : la faire fuire, la mettre de l'autre côté d'un enclos, nous avions même pensé à l'attacher sur un lieu public mais rien n'y fait elle nous colle. La solution miracle est trouvée : à la prochaine ville un généreux vétérinaire accepte de la garder le temps qu'on s'éloigne. Cette compagnie à quatre pattes nous manquera !
Reboostés par la rencontre avec Erol, les demandes d'hospitalité se succèdent entre chaque journée de marche dans le golfe d'Edremit.
Dans sa dégaine de jardinier en short, tongs et tuyau d'arrosage à la main, rien ne laisse imaginer qu'Ismaël est officier militaire. Dans sa maison de vacances, il nous offre de quoi nous restaurer et nous initie à l'égrenage des grenades. Un militaire spécialiste des grenades ! Ismaël nous recommande la visite d'un villa romaine située non loin de là. Mosaïques, canalisations, bains, fresques, tout y est avec vue sur la mer. Les riches propriétaires romains savaient choisir leur emplacement.
Le soir suivant, dans un village balnéaire, déserté par les vacanciers, nous demandons si nous pouvons planter notre tente en sécurité sur le square qui borde la plage. Curieux comme nombre de ses compatriotes Gemil, intègre la discussion que nous avons initié auprès des habitants. Il ne lui aura pas fallu longtemps avant de revenir vers nous pour nous proposer de loger dans un appartement qu'il loue habituellement. Comme de coutume, notre hôte nous apporte un généreux dîner. Une bonne nuit de sommeil, un çay au petit déjeuner et c'est reparti.
On continue plein sud en longeant les plages vides et les villages quasi déserts. Ce soir, rebelote, le gérant de l'épicerie (Market) et le gérant du bar nous trouvent une chambre tout confort au dessus du café. Mieux qu'un hôtel car en prime nous faisions de belles rencontres. Ces hommes qui sont continuellement en contact avec les autres sont très souvent disposés à nous aider. Et la tente reste confinée au fond du sac !
En quittant la côte pour contourner la zone déconseillée par Alex, nous débouchons sur une vallée perdue où seules les abeilles viennent boire au mince filet d'eau laissé par un immense barrage. En aval, le village de Bahçeli sera notre point de chute pour la nuit. Nous tentons encore une fois le "deux en un" au market : courses du soir et demande d'accueil. Ça ne manque pas ! Ercan nous ouvre les portes de sa maison pour nous offrir une soirée inoubliable. Après nous avoir montré ses trésors archéologiques qu'il exhume sans scrupule avec son détecteur de métaux, nous revêtons des tenues traditionnelles décorées au crochet par sa femme. L'émerveillement de Marie pour la dextérité d'Ayça lui vaudra un beau cadeau : un foulard brodé des mains de la jeune femme.
Le ridicule ne tue pas !Nous poursuivons notre route en alternant entre terre et mer. Mais la durée des jours raccourcissant, nous sommes parfois surpris par la tombée de la nuit qui rend la demande d'hospitalité plus complexe pour la simple et bonne raison que les gens sont à l'intérieur de leur habitation. Dès que le soleil se couche, l'air frais de la soirée ne tarde pas à nous saisir.
Ce soir, nous tentons de fuire l'impressionnante ville d'Aliağa où règne une odeur de mazout due aux raffineries portuaires qui de nuit ressemblent à une métropole dystopique illuminée. Nous campons dans une petite forêt sur ce qui semble être une ancienne décharge. Mais ce lieu a le mérite de nous isoler de l'agitation urbaine et nous troquons les lampadaires de la ville contre le ciel étoilé.
Cette journée nous réserve une surprise : alors que nous dépassons une petite ville triste et salle, un homme occupé à couper du bois s'interrompt brusquement pour nous saluer. Il paraît particulièrement heureux de nous voir et nous comprenons par ses gestes qu'il nous a aperçu lorsque nous marchions vers Çanakkale. Nous n'en revenons pas de cette coïncidence. Nous sommes émus : sa maison le long de la route ressemble à une cabane faite de bric et de broc. Lui et sa femme y vivent pauvrement au milieu des poules mais cela ne les empêche pas de nous accueillir pour le thé. Leurs bons sourires resteront un souvenir fort pour nous.
Aliağa n'était que le début, nous entamons une marche pénible le long des routes dans une grande vallée aride et industrielle où tout semble disparaître sous un brouillard jaunâtre de pollution.
Pour couronner le tout, nous nous faisons une fois de plus surprendre par la nuit à l'entrée de la ville de Menemen. Une ambiance de fête règne dans les rues mais pour nous qui sommes fatigués, cela accentue le stress de ne pas avoir de logement. Des gens nous abordent rigolant de nous voir marcher. Malgré tout, nous n'avons pas le choix, nous demandons à droite à gauche l'hospitalité jusqu'à un café où Mulsum fait office d'ange gardien. Contrairement aux autres il a immédiatement compris notre demande et nous emmène dans un local. Les drapeau, le grand bureau ainsi que ses explications nous font comprendre qu'il s'agit du local de son parti politique. La grande vitrine nous laisse peu d'intimité mais qu'importe, nous nous y sentons en sécurité. Le lendemain, autour d'un thé qu'il nous offre, nous échangeons et apprenons que nous nous trouvons dans le quartier gitan de la ville. Un ancêtre de Mulsum était venu d'Inde pour s'installer ici. Nous pouvons ajouter cet accueil à la liste des logements improbables de notre voyage !
Jour 265 - Lundi 24 octobre
Depuis ce matin nous progressons péniblement dans la banlieue d'Izmir qui n'en finit pas. Évidemment, les grands axes routiers, les zones commerciales mais aussi les résidences privées derrières leurs clôtures parsèment notre chemin et nous obligent à faire quelques fois des détours. Mais il faut bien tout cela pour la troisième ville du pays et ses 4 millions d'habitants. Pas de scrupule, ce soir nous avons réservé un logement. Aujourd'hui, c'est jour de fête !
Le lendemain nous arrivons dans le centre mais la préoccupation de notre hébergement nous contraint à reporter la découverte de Smyrne, nom de la ville antique. Nous avions repéré quantité d'églises dans lesquelles nous comptions aller mais pas de chance, elles sont toutes fermées. Leur présence s'explique par l'influence de l'Empire romain d'Orient, mais aussi par l'occupation grecque de la ville au lendemain de la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, la présence des chrétiens orthodoxes et catholiques est toujours forte. Il y a même une paroisse française vers laquelle nous nous dirigeons. Enfin, cette église semble ouverte mais au lieu d'un prêtre nous trouvons des ouvriers qui retapent les locaux paroissiaux. Ces derniers nous renvoient vers l'épicier du coin sans que l'on comprenne pourquoi. De fil en aiguille, nous sommes pris en charge par Jimmy, un paroissien. Visiblement ici tout le monde se connaît. Grâce à lui, nous contactons le curé, prêtre français avec lequel nous échangeons sur sa mission et la communauté chrétienne en Turquie. Le père Gabriel nous renvoie à son tour vers une famille française qui accepte de nous accueillir pour la nuit. Expatriés, Xavier, Aliénore et leurs 5 filles, nous hébergent dans leur belle maison. Autour d'un bon repas nous discutons de la vie en Turquie et en apprenons un peu plus sur l'histoire de cette ville. Étrange sensation que d'être replongés soudainement dans des discussions bien françaises.
Demain nous prendrons le temps de découvrir le centre par nous même armés de nos carnets de dessins. De la place Konak à l'agora romaine de Smyrne en passant par le bazar Kemeraltı et l'église Saint Polycarpe (encore fermée), nous sommes marqués par la diversité historique et religieuse d'Izmir.
Autre élément que nous percevons depuis notre arrivée c'est le contraste entre les villes et les villages. Si les zones rurales nous semblent encore très ancrées dans la tradition (mode de vie, tenues vestimentaires, petite agriculture paysanne...), les villes quant à elles (de l'Ouest tout au moins) tendent fortement vers la modernité et la culture occidentale. À plusieurs reprises les gens nous expliquent que la partie ouest du pays "regarde vers l'Europe".
Une après-midi n'a pas suffit pour sortir de la ville tentaculaire. Sans autre solution, nous nous rabattons sur un hôtel. Enfin, le lendemain en quittant la côte, nous retrouvons la campagne où il est bien plus agréable de marcher. Nous savons désormais comment procéder : aux alentours de 17h30 avant que la nuit ne tombe, nous nous arrêtons au village le plus proche, faisons quelques courses puis allons vers le café pour demander l'hospitalité. Après les allers-retours habituels des hommes qui curieux viennent discuter avec nous, ce soir là, l'un d'eux Ali nous propose de venir chez lui. Sa maison simple mais confortable sert encore de maison familiale. Ses filles de nos âges n'ont pas les moyens d'avoir leur propre logement. Après une première collation en attendant que sa femme rentre, on nous installe dans le salon où la télé reste perpétuellement allumée bien que personne ne la regarde mais c'est un incontournable ici. Vient le repas, délicieux ! Nous en profitons pour échanger avec l'une de leur fille qui a l'âge de Marie. Naïvement, nous lui disons que nous serions heureux de l'accueillir si elle veut venir en France. Mais nous comprenons bien vite que la situation économique actuelle en Turquie ne leur permet pas de voyager. Nous réalisons bien souvent la chance que nous avons d'avoir les moyens et la liberté de voyager durant un an.
Souvent, et c'est particulièrement le cas en Turquie, les gens nous demandent nos contacts Facebook ou Instagram. Ici non plus, les réseaux sociaux ne sont pas uniquement l'affaire des jeunes et des citadins. Nous devons leur expliquer que nous n'avons pas de comptes Facebook ou autres. Mais qu'à cela ne tienne, la plus jeune fille d'Ali ne s'empêche pas de poster une vidéo de nous tous sur "son Insta" !
Jour 270 - Samedi 29 octobre
Une nuit sous tente plus tard, nous voilà enfin aux portes d'Ephèse. Le père Gabriel a une fois de plus fait jouer ses contacts. C'est un vrai cadeau pour nous : nous sachant accueillis, nous avons la journée devant nous pour visiter ce site que Saint Paul a parcouru. En suivant l'itinéraire proposé par maps.me (l'application que nous utilisons pour nous guider), nous avons la surprise d'accéder au site par un sentier au creux des petites montagnes qui l'entourent. Arrivés au col, nous découvrons soudainement la belle plaine au fond de laquelle surgit le théâtre antique monumental. Adossé à une montagne l'emplacement de cet ancien port est idéal. Nous profitons le temps du déjeuné de ce panorama qui s'offre à nous seuls.
Nous avons bien fait car en arrivant à la billetterie, nous découvrons une longue file d'attente au milieu de nombreuses échoppes d'attrapes-touristes. Nous sommes mals tombés c'est le week-end de la fête nationale.
Malgré le bain de foule, les vestiges valent le détour : on a réellement l'impression de se promener dans une ville ancienne. Nous imaginons sans peine le faste de celle-ci : rues pavées de marbre, agora aux multiples colonnes, fontaines immenses... la vie devait être bien agréable dans la cité d'Ephesus. Nous sommes particulièrement marqués par l'impressionnante voie Arcadian bordée d'une colonnade qui du théâtre s'avance rectiligne en direction de la mer dont il ne reste qu'un marécage. Toute blanche sous le beau soleil elle suscite notre émerveillement. Cette cité issue comme tant d'autres des civilisations grecque, romaine puis byzantine était connue notamment pour sa bibliothèque dont il ne subsiste que l'élégante façade. La ville périclita lorsque l'accès direct à la mer qui faisait sa richesse s'ensabla la reléguant au fond de cette zone marécageuse.
En fin de journée, nous débarquons dans l'appartement de Selma, Ali et Harmonie et faisons la connaissance de cette famille turque. Avec tous les petits gestes d'accueil nous avons l'impression d'être des invités de marque. Nous questionnons Ali et Harmonie sur leur foi dans ce pays où les chrétiens sont ultra minoritaires.
Selma nous parle des livres qu'elle a écrit et nous en offre même deux exemplaires, en turc bien sûr. L'un deux évoque la ville de Laodicée, une des sept églises de l'Apocalypse qui semble être un lieu cher à la famille. Dans le salon, nos amis insistent pour que nous entonnions quelques chansons françaises. Nous nous prêtons au jeu mais heureusement la guitare de Selma couvrira les fausses notes !
Le lendemain qu'elle ne fut pas notre surprise en apprenant qu'ils prévoient d'aller à la messe célébrée ce dimanche à Selçuk. Notre première célébration depuis Thessalonique ! Dans le paisible quartiers historique, devant ce qui ressemble plus à une maison qu'à une église, nous sommes accueilli par Jerry le prêtre missionnaire venu d'Inde. En effet, le lieu de culte est joliment aménagé dans une petite pièce où nous grossissons à nous cinq les effectifs. En tout une quinzaine de fidèles pour qui il n'était pas question de manquer ce temps de prière. Très vivante, cette petite communauté turque nous fait imaginer ce que pouvait être les premières communauté chrétienne de l'antiquité. Après la messe vient le temps du catéchisme pour les enfants pendant que les plus grands se retrouvent en partageant thé et gâteaux dans le charmant petit jardin qui jouxte la maisonnette. Ce tableau ressemble à une joyeuse réunion de famille.
Le père Jerry a bien eu raison de nous inciter à visiter les vestiges de la basilique Saint Jean. Son positionnement en hauteur sur la colline d'Ayasoluk en fait un lieu majestueux. Les ruines de l'ancienne basilique se dressent et cadrent par ses colonnes et ses portes des bouts de paysages. La forteresses campée sur le sommet domine elle aussi toute la vallée protégée par son écrin montagneux.
Et le clou de notre passage éphésien sera la maison de Marie. En haut d'une montagne dominant la ville de Selçuk, nous visitons ce lieu qui serait l'endroit où la Sainte Vierge aurait fini ses jours. Malgré les nombreux touristes, la petite chapelle est simple et belle. Éphèse aura été un étape spirituelle particulièrement marquante dans notre pèlerinage.
Nous trouvons un chemin qui nous permet de poursuivre notre marche dans le calme au coeur des montagnes achevant paisiblement cette belle journée.