Carnet de voyage

Itinéraire de Vézelay à Jérusalem

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Dernière étape postée il y a 29 jours
Par JBM
Quoi : Un pèlerinage - Où : De Vézelay à Jérusalem - Comment : A pied - Pourquoi : Pour vivre une aventure à deux, un lâcher-prise, une quête spirituelle, des rencontres…
Février 2022
365 jours
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Jour 301 - Mardi 29 novembre

23h30 : Notre avion atterrit en Jordanie ! Cette arrivée tardive en pays inconnu nous pousse à passer la nuit dans l'aéroport d'Amman. Un peu déconcertés, nous demandons à un employé s'il est permis de dormir dans le hall des départs. Cela ne semble poser aucun problème. Nous étalons donc nos sacs de couchage sur le sol en espérant pouvoir dormir un peu. Depuis deux mois, l'appel à la prière de 6h30 ne nous surprend plus mais quelle ne fut pas la surprise de Jean-Baptiste en voyant soudainement une dizaine d'hommes agenouillés sur leurs tapis à deux pas de nous. Dieu merci, ils ne s'inclinent pas dans notre direction ! Et pendant ce temps, Marie dors encore.

Plus ou moins frais, nous découvrons sous la pluie la ville d'Amman. Dans l'immensité de la capitale, un large réseau d'églises s'offre à nous. Nous débutons notre demande d'hospitalité par l'église St Joseph. Si le complexe paroissial semble vaste et très bien entretenu, un paroissien nous informe pourtant qu'il n'est pas évident de recevoir l'hospitalité dans les églises d'Amman et qu'il est préférable de réserver un hôtel. Coupés dans notre élan, nous nous dirigeons cependant vers un restaurant rattaché à la paroisse pour tenter d'établir le lien avec un responsable. Là, nous rencontrons Nebil, il nous explique que le restaurant est tenu par des réfugiés irakiens qui fuient la guerre. Lui a quitté Bagdad depuis déjà bien longtemps. Nous sommes marqués par la gentillesse et l'accueil des jeunes chrétiens qui s'activent dans les cuisines. C'est un prêtre italien qui est venu spécialement à Amman pour mettre ce beau projet sur pied. Le voici qui arrive ! Nous nous présentons et lui exposons notre situation. Il nous comprend mais seul le curé pourra prendre la décision de nous héberger. Finalement, nous rencontrons le père Wisam. Dans son bureau, il commence par nous expliquer qu'il ne peut nous recevoir mais il prend le temps de nous indiquer d'autres lieux d'accueil. Au moment de partir, nous le saluons résignés et prêt à tenter notre chance ailleurs. Mais, alors que nous atteignons le portail, le père Wisam revient vers nous pour finalement nous proposer une chambre dans son presbytère. Nous sommes touché par l'humilité de ce prêtre qui a assumé le fait de revenir sur sa proposition en nous accueillant.

Ce genre d'accueil nous questionne sur notre démarche. En formulant notre demande d'hospitalité, nous cherchons bien sûr à laisser l'hôte libre d'accepter ou de refuser. Ensuite, ce que les gens décident de nous offrir ou pas ne nous appartient plus et nous nous laissons porter. Du mieux possible, nous essayons d'accepter la générosité des uns comme les refus des autres.

Philadelphia pour les romains, Rhabbat Ammon pour les biblistes, nous partons à découverte de la ville aux 7 collines qui compte aujourd'hui plus de 4 millions d'habitants. Dans un urbanisme démesuré, dépourvu de verdure et d'espaces publics qualitatifs, les immeubles, cossus ou modestes partagent cependant des dimensions et un style commun qui confèrent à la ville une certaine uniformité et une vraie identité architecturale. Sur leurs 3 ou 4 niveaux, ces petits immeubles, sont quasiment tous revêtus d'un habillage en pierre blanche aux textures plus ou moins brute de bossage ou de boucharde.

Pour accéder à la citadelle antique, il faut enchainer les montées et les descentes dans les quartiers vivants du centre, traverser les bazars bondés, emprunter les escaliers qui serpentent. Puis, progressivement en atteignant le sommet de la colline une vue panoramique s'offre sur cet amas urbain étendu à perte de vue.

Nous souhaitons achever cette belle journée par un dîner dans le restaurant de la paroisse. Cela nous permettra de soutenir cette belle initiative pour les irakiens. A notre retour, le visage du père Mario s'illumine quand nous lui confirmons que nous sommes bien accueillis dans la paroisse. Qu'il est beau de sentir les gens capables de se réjouir pour les autres. Au moment de payer, un jeune serveur nous informe que le repas nous est offert. Nous insistons, mais rien n'y fait. Il nous faut encore apprendre à recevoir et cette fois-ci de la part de personnes en situation de détresse. En remerciant le père Mario, nous lui confions que nous prierons pour lui jusqu'à Jérusalem. Avec son large sourire, et sa bonté qui illumine ses yeux, il répond à propos des jeunes irakiens: «C'est pour eux qu'il faudra prier !». Avant de repartir, nous visitons également l'atelier de couture tenu par les jeunes filles irakiennes. Avec leur statut de réfugiées, elles ne peuvent obtenir de vrais contrats de travail mais s'activent pour produire de beaux objets au sein du projet paroissial.

 Le restaurant paroissial, l'atelier de couture et le Souk Jara 

Le lendemain, il est temps de reprendre la route. Nous traversons la capitale et ses banlieues en direction du sud. Jusque là, toujours pas de nature. Il faudra attendre la fin de journée pour atteindre les premiers espaces non habités. Le centre Notre-Dame de la paix, qui nous a été recommandé sera notre objectif du jour. Une église et de grands bâtiments nichés au creux d'une petite vallée encore préservée constituent le décor de ce lieu qui nous réserve encore de belles rencontres. Pas besoin d'insister, le directeur de centre, le père Shawqi nous ouvre ses portes avec une grande simplicité. Il nous loge avec tout le confort rêvé.

L'ampleur des bâtiments nous intrigue et nous nous questionnons sur l'histoire et le rôle de ce centre. Finalement nous n'en savons pas grand chose si ce n'est qu'il y a quelques religieuses. Dans la soirée, nous rencontrons deux italiens qui séjournent ici. Pendant le diner que nous partageons avec eux, ils nous expliquent que le centre accueille des jeunes handicapés. Mauro et Guiseppe, médecins font tous les ans des séjours en Jordanie pour partager leurs connaissances avec les soignants locaux et faire de la sensibilisation dans les centres hospitaliers. Ils nous expliquent que "les jeunes souffrent de paralysie cérébrale infantile et que ce type de handicap génétique s'explique par un niveau élevé de consanguinité dans le pays. Les trois causes principales sont le manque d'éducation, le niveau de pauvreté et les mariages arrangés dans certaines familles qui fonctionnent encore en tribus."

Après la messe du matin célébrée par un ancien évêque, le gardien nous fait découvrir le centre avec les nombreux espaces destinés aux enfants (salles d'éveil, de cours, de consultation et même une piscine de rééducation). Nous assistons au début de la journée de classe : une musique endiablée donne le ton et nous regardons ces enfants handicapés arborer de larges sourires en dansant joyeusement. En à peine deux jours, nous sommes touchés de voir toutes ces initiatives sociales portées par l'Eglise au service des plus faibles. Comme cela a été le cas en France, nous apprenons que le gouvernement jordanien se repose encore beaucoup sur le clergé pour le développement de l'éducation et de la santé.

Jour 303 - Jeudi 1er décembre 

Jonchées de déchets et de charognes, les routes de campagne que nous empruntons témoignent de la pauvreté du pays. Certaines habitations se résument à une simple structure métallique recouverte de toile. Aux portes de Madaba, nous observons ici les femmes porter d'énormes sacs et là des enfants jouer au cerf-volant bricolés avec des sacs plastiques. Dans le centre, certaines rues de la vielle ville sont dédiées au tourisme avec leurs restaurants et leurs boutiques d'artisanat et de souvenirs. Emergent des habitations les minarets et les clochers vers lesquels nous nous dirigeons.

Si la présence humaine de Madaba est vieille de 4 millénaires, la ville est abandonnée à la suite d'un tremblement de terre au VIIIe siècle. C'est à la fin du XIXe siècle que des chrétiens, bédouins convertis, fuyant les persécutions de Kérak, se sédentarisent et réinvestissent la ville. D'importants vertiges antiques sont alors redécouverts comme la mosaïque de la Terre-Sainte qui fera la renommée de la cité.

Nous ne pouvions pas ne pas visiter l'église de la décollation de Saint-Jean-Baptiste située sur le point culminant du centre. Pendant que nous découvrons les restes byzantins enfouis dans la crypte de l'église, l'équipe paroissiale s'affaire de tous cotés : aujourd'hui, c'est la grande fête de l'illumination du sapin de Noël. Et on ne rigole pas avec ça ! Une semaine de festivité : un feu d'artifice, des discours, un marché de noël et même une fanfare impressionnante de scouts jouant de la cornemuse. Cette communauté a le sens de la fête ! Malgré l'agitation, le curé, le père Firas, sollicité de toute part, nous accueille au même titre que les officiels dans son presbytère pour la soirée. Le local qu'il nous avait proposé ne lui semblait pas assez bien alors il décide de nous réserver une chambre d'hôtel.

L'église catholique et son marché de noël, l'église Saint-Georges orthodoxe 

Le lendemain matin, nous profitions encore de Madaba car notre objectif du jour n'est qu'à une dizaine de kilomètres de là. En effet, c'est au bout du plateau qui domine la vallée du Jourdain que se situe le Mont Nébo. Dans le livre du Deutéronome, c'est le lieu où Moïse conduit le peuple hébreu. Cette étape revêt une symbolique particulière, car elle correspond au moment où Moïse et ses frères aperçoivent enfin la Terre promise par Dieu au bout de leurs 40 années d'exode dans le désert. Même s'il nous aura fallu moins de temps pour y arriver (merci Maps.me), nous partageons à notre tour la joie de voir enfin la Terre-Sainte après ces nombreux mois de marche ! Les étendues désertiques associées au relief abrupte font de ce paysage un spectacle grandiose apprécié par les jordaniens qui profitent du lieu pour leur pique-nique du vendredi (jour de repos).

Le frère Bernard, d'origine srilankaise, comme son nom ne l'indique pas, nous y attend. Nous l'avions rencontré la veille à la fête de la paroisse. Le supérieur franciscain nous offre une visite privée de son sanctuaire. Tous les ingrédients sont réunis pour en faire un lieu incroyable :

  • La position géographique avec un panorama exceptionnel sur la vallée du Jourdain
  • Une oliveraie en terrasse pour offrir une ombre généreuse et protéger du vent fort
  • Des vestiges archéologiques parfaitement mis en valeur
  • En contrebas, un petit couvent de charme profitant de la vue
  • Et enfin, une église contemporaine construite sur les bases de l'église primitive.

Cette dernière intervention architecturale offre un nouvel espace de culte au milieu des anciennes mosaïques et des colonnes byzantines. Encore un beau mariage entre l'architecture et l'archéologie !

Nous avions fait le choix de ne pas aller à Petra, la ville antique mythique symbole de la Jordanie, pour des raisons de distance et de timing. Cependant, la visite du Mont Nébo nous séduit et lorsque qu'en fin de journée les touristes sont reconduits vers la sortie, nous profitons encore du site et admirons le soleil se coucher sur la Terre Sainte. Le brouillard d'hiver qui opacifiait les montagnes disparait pour faire place aux lumières de Jéricho et de Jérusalem qui rayonnent dans la nuit tombée. Autour d'un repas partagé, nous découvrons la vie de ces frères franciscains qui ont la charge du site. En plus de leur vie de prière et communautaire ils ont pour mission d'accueillir les touristes et les groupes de pèlerins qui débarquent par centaine.

Jour 305 - Samedi 3 décembre

Aux premières lueurs du jour nous assistons aux laudes avec la communauté avant d'entamer la descente en direction du Jourdain. Nous faisons nos adieux et quittons la route principale pour suivre de petits sentiers qui dessinent des lignes claires sur ces terres arides de pierre et de poussière. Le silence du désert n'est interrompu que par le bruit du vent et celui des clochettes des troupeaux de chèvres. Quelques bédouins rejoignent leurs tentes implantées au milieu de rien. Discrètement nous passons non loin de l'une d'entre elle où gravitent brebis et boucs en liberté. Soudainement, deux femmes nous font signe avec insistance pour les rejoindre. Nous avions eu vent des attrape-touristes qui offrent aux occidentaux des séjours dans le désert. Alors, un peu méfiants, nous nous approchons et acceptons leur invitation à entrer sous leur tente. Le chef de famille, un vieil homme, nous invite à nous assoir sur ses coussins et demande aux femmes de nous servir du thé. Limités dans nos échanges, nous observons avec curiosité l'intérieur de cette modeste tente qui n'a rien de charmant : une simple bâche est fixée à une armature métallique et au sol un tapis recouvre le sol pierreux. Les nuées de mouches attirées par le troupeau ne perturbent pas nos hôtes et même le bébé dans les bras de sa mère nous regarde imperturbable. Nous devons décliner leur invitation à rester pour la nuit car il est encore trop tôt pour songer à trouver un toit ou une toile et le lit du Jourdain nous attend ! Ainsi, nous poursuivons notre marche entre ciel et terre et apercevons enfin la vallée verte du Jourdain.

Aux abords des villages les jeunes enfants qui gardent les moutons ou jouent au foot pieds nus stoppent leurs activités pour venir nous demander en tendant la main : "Money !". Le niveau de pauvreté se fait fortement sentir chez ces anciennes populations de bédouins. Un peu gênés, nous ne faisons que traverser ces villages et nous enfonçons entre les parcelles d'orangers et de bananiers qui occupent les rives de la rivière. Sur le chemin qui nous conduit au lieu du baptême du Christ, un exploitant agricole nous offre un sac rempli d'oranges. Sous le soleil et avec nos faibles provisions ces fruits offerts sont les bienvenus ! Arrivés en fin de journée nous tentons de rentrer sur le site du baptême mais le gardien nous refuse l'entrée à cause de l'heure tardive. Nous remettons la visite au lendemain et plantons notre tente sous un arbre qui, par son feuillage, nous cache de la vue des bergers.

À la première heure, nous nous présentons à l'entrée du site et découvrons avec déception que seules les visites guidées sont autorisées. Et pour cela nous devons rentrer dans une navette qui nous conduira jusqu'aux rives du Jourdain. La visite se résume malheureusement en une heure chronométrée incluant un passage obligatoire trop long à la boutique de souvenirs et un passage surveillé trop court sur les lieux saints. Difficile de se recueillir dans ce business religieux. Par comparaison, nous prenons conscience des avantages qu'offre le pèlerinage en autonomie où nous choisissons nous même les lieux, le rythme et les rencontres. En voyant les militaires jordanien sécuriser le site, nous comprenons mieux pourquoi celui-ci est gardé et qu'il n'aurait pas été prudent d'y passer la nuit. Malgré l'importance spirituelle de cet endroit nous repartons avec un sentiment de déception mais il ne faut pas nous en arrêter là car la journée ne fait que commencer et nous avons encore une frontière à traverser.

Après avoir longé une file interminable de camions, nous arrivons à un barrage douanier qui marque le début de la frontière. Pas de chance, l'agent nous refuse l'accès et nous demande de faire demi tour pour emprunter la voie réservée aux véhicules mais cela représente une bonne heure de marche. Heureusement, un camionneur puis un automobiliste nous proposent de profiter de leur véhicule pour faire le détour et revenir au point de passage autorisé. S'en suit alors une série de contrôles en tous genre. Perdus, ne comprenant rien, nous nous contentons de suivre le flot. Contrairement à ce que nous espérions, il n'est pas question de traverser la frontière à pied : dans notre naïveté, nous n'avions pas compris qu'il s'agissait d'une frontière hautement surveillée. Nous, faisons nos adieux à la Jordanie, passons le Jourdain à bord d'un bus obligatoire et sommes accueillis par un nouveau contrôle effectué cette fois-ci par les douaniers israéliens qui nous réservent quelques questions de formalité.

Cette dernière étape en Jordanie aura été une belle surprise : en plus de nous offrir une porte d'entrée privilégiée, en quelques jours nous avons pu vivre une série de rencontres qui se sont pleinement inscrit dans notre démarche de pèlerinage.

Bilan jordanien :

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Jour 293 - Lundi 21 novembre 

Le soleil se lève sur la Méditerranée. Encore endormis, nous montons sur le pont pour ne pas rater le spectacle. Les premiers rayons du soleil éclairent peu à peu la côte chypriote. Sans les trois heures de retard du ferry, la nuit aurait été plus courte et nous n'aurions pas pu profiter de cette vue.

En débarquant, nous avons la mauvaise surprise d'avoir un nouveau contrôle de police a passer. Décidément, depuis notre sortie de l'Europe on ne rigole pas avec la traversée des frontières et pourtant, nous sommes encore en territoire turc. Le contrôle passé, nous dépensons nos dernières lires turques pour savourer encore les bonnes spécialités. Quels aspects propres à la Turquie retrouverons nous ici ? Très vite, en traversant la ville et malgré les statues familières d'Atatürk et la langue, nous notons quelques différences : les voitures roulent à gauche, les prises électriques sont à l'anglaise, une partie de la population est immigrée chose rare sur le continent. On s'interroge alors sur l'histoire de cette île qui semble être marquée par de nombreuses influences étrangères.

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Une chaîne montagneuse barre l'horizon. Nous n'avons pas le choix, il faudra la franchir pour garder notre cap plein sud. Pour nous motiver, nous avons sur la route les vestiges d'une belle abbaye qui nous fait retrouver une architecture gothique plus familière.

Abbaye de la Belle Paix 

Dans ces petites montagnes, nous avons l'impression de retrouver les ambiances de nature sauvage qui nous avaient tant plu en Croatie. Ces derniers temps, la nature inoccupée par l'homme était chose rare. Alors, on savoure particulièrement le silence, la propreté et la beauté des lieux. En descendant sur le flanc de la montagne, nous découvrons un grand drapeau turco-chypriote peint à même le sol puis, quelques temps plus tard, un mémorial dédié aux victimes turques-chypriotes assassinées par leur voisins grecs. Le ton est donné, les deux populations historiquement présentes sur l'île se sont affrontées à maintes reprises.

Ce soir, notre objectif est de rejoindre la capitale Nicosie où un bon lit dans une pension miteuse nous attend pour récupérer de la mauvaise nuit en bateau. Le temps ne nous presse pas et notre parcours chypriote sera court alors, nous décidons de rester sur place le lendemain pour profiter du centre ville. L'ambiance nous séduit tout de suite. Les influences ottomanes puis britanniques ont marqué l'architecture donnant un résultat très hétéroclite. Nous naviguons d'un caravansérail ottoman à une église orthodoxe en passant par des ruelles bordées de façades 19ème. Le centre est vivant et mêle une foule cosmopolite. Loin des ruelles touristiques et des bars branchés, nous plongeons dans une autre réalité : les maisons à l'aspect plus simple sont entrecoupées par un mur grossièrement construit et surmonté de barbelés. Nous voilà devant la frontière séparant la Chypre du nord de celle du sud. Cela nous met face à l'histoire de l'île qui a vécu une guerre civile violente avant d'être séparée en deux. Aujourd'hui, la paix est revenue mais c'est au prix de ce mur de béton. Grec ou turc, l'histoire leur donne la légitimité pour revendiquer cette terre.

 Nicosie nord - République turque de Chypre du Nord

Le lendemain, nous entamons la journée en franchissant la frontière en plein centre ville. Le contraste est saisissant, en quelques minutes nous sommes passés de la culture turque à la culture grecque, la monnaie, le niveau de vie, la langue, tout change. Adieu les çai turcs, place aux cafés grecs. C'est fou de voir ce changement dans l'enceinte d'une même ville.

Nicosie sud - République de Chypre 

Nous nous éloignons peu à peu et découvrons l'arrière pays. Paysages de campagne, mais la nuit tombe vite et nous oblige à planter la tente de plus en plus tôt. Nous avons quand même eu le temps d'atteindre une petite chapelle orthodoxe que nous découvrirons demain. Nous réalisons au petit matin que nous avons un décalage horaire, encore une autre différence avec la partie turque. Quelques rayons timides tentent de percer la couche de nuage et nous en profitons pour explorer les ruines qui nous environnent et cette petite chapelle troglodyte aux fresques défraîchies creusée à même la belle falaise ocre qui domine le paysage. La journée passe vite et la pluie nous oblige à trouver refuge. Une éclaircie en fin de journée éclaire magnifiquement les petites collines sableuses et arides que nous traversons. Accompagnés d'un arc en ciel, nous apercevons Larnaca ville qui marquera la fin de notre marche à Chypre.

Il est 17h, la nuit tombe et les gros nuages qui rendaient si bien sur nos photos deviennent tout à coup moins amicaux quand ils déversent leurs gouttes de pluie. La banlieue pavillonnaire nous laisse peu de chance pour demander l'hospitalité. Après deux demandes infructueuses, nous profitons d'une accalmie pour planter la tente dans un parc attenant. Le lendemain, il faut attendre patiemment que la tente sèche aux premiers rayons du soleil. Une fois de plus, nous n'avons pas à regretter ce léger poids dans nos sacs qui nous assure une vraie sécurité.

Arrivés à Larnaca, nous avons deux objectifs: trouver une boulangerie et nous rendre à l'église catholique pour y demander l'hospitalité pour la nuit prochaine, l'un donnant le courage pour l'autre ! C'est la bonne surprise de Chypre : nous retrouvons l'église catholique formidable réseau qui nous avait manqué en Grèce et en Turquie autant pour l'aspect spirituel que pour les possibilités d'hébergements. C'est le père Andrew qui accepte de nous accueillir. Le logement est modeste, un auvent dans la cour de l'église et pas de douche mais nous y serons en sécurité et cela nous rend bien service en nous évitant de payer un hôtel au prix exorbitant sur cette côte touristique. La ville balnéaire est sans grand intérêt mais délestés de nos sacs nous en apprécions la découverte.

Nous sommes surpris par la présence de nombreux immigrés originaires d'Afrique ou des Philippines mais comprenons que Chypre étant membre de l'Union européenne, elle représente une porte d'entrée pour l'Europe qui semble plus accessible. Mais ce rêve est vite déçu : employés pour les travaux précaires, ces personnes subissent le racisme des locaux et ne peuvent obtenir les papiers tant espérés alors ils ne passent que quelques mois puis doivent rentrer dans leurs pays.

En fin de journée, nous nous joignons à la communauté locale pour la messe, c'est une bonne occasion de rencontre. Les fidèles tous étrangers (les chypriotes du sud de culture grecque vont à l'église orthodoxe bien sûr), nous saluent chaleureusement. Certains sont francophones et nous sommes heureux de pouvoir échanger plus aisément avec Marie-Thérèse originaire du Cameroun et Grégoire venant du Rwanda avec ses enfants. Avec les autres l'anglais est de mise. Nous qui nous désolions de ne pas avoir fait de rencontres sur notre route chypriote, en voilà plusieurs d'un coup : jackpot !

Jour 298 - Samedi 26 novembre 

Ca y est, nous avons enfin réservé nos billets d'avion pour rejoindre Amman en Jordanie. Nous partirons lundi mais l'aéroport est à Paphos de l'autre côté de l'île. Heureusement, les nombreux bus nous permettent de faire ce dernier trajet en accéléré. Au passage, nous avons même l'occasion de visiter un passionnant site archéologique néolithique pour changer des sites antiques ! La reconstitution de l'habitat grandeur nature plait autant à l'archéologue qu'à l'architecte. Dans ce contexte touristique, où chaque visiteur chercher à profiter pour soi-même des lieux, il est rare de faire de belles rencontres. Ce n'est pourtant pas la philosophie de David. Néozélandais, il parcourt le monde en solitaire et ne semble pas manquer une occasion de discuter avec les gens. Il nous aborde et s'en suivent alors de longs échanges...une belle rencontre imprévue.

Ce soir, nous tentons notre chance dans une école francophone tenue par des religieuses puis dans la paroisse de Limassol. Mais sans résultat, nous décidons de rejoindre directement Paphos, ville d'où nous prendrons l'avion pour la Jordanie. Pas de regrets, la ville balnéaire semble sans grand intérêt mais l'arrivée de nuit à Paphos nous oblige à prendre un petit hôtel. Le lendemain, nous assistons à la messe dominicale dans l'église Agia Kyriaki située sur les vestiges d'une église paléochrétienne.

La "nouvelle" église du XIIIe siècle est sertie par un magnifique parterre de mosaïques. Un peu plus loin, nous observons des visiteurs prenant la pause au coté du "pilier de Saint Paul". C'est ici que l'apôtre aurait été fouetté avant qu'il ne rencontre et ne convertisse le gouverneur Paulus grâce à son charisme et son esprit.

A la fin de la célébration, nous discutons avec le père Jim qui nous renseigne sur la réalité de sa paroisse et sur l'accueil des réfugiés qui peinent à trouver du travail. Ce sont les pères Ismaël originaire du Pérou et Fernando du Mexique qui ont la gentillesse de nous accueillir pour notre dernière nuit à Chypre. Nous savourons leur joie de vivre et leur dynamisme. Ces dernières rencontres clôturent en beauté notre passage dans ce pays.

Jour 300 - Lundi 28 novembre 

Notre attente avant le vol nous offre la possibilité de visiter Paphos et ses trésors enfouis. Si le site archéologique de Kato Paphos est impressionnant par ses mosaïques, les tombeaux des rois nous séduisent d'avantage. Sur les rivages de la Méditerranée, sont cachés les dernières demeures d'aristocrates chypriotes que le temps a enfoui ou érodé. Invisibles à hauteur d'œil, il faut descendre les marches taillées à même le roc pour admirer ces petits temples troglodytes. Les chambres funéraires les plus remarquables sont organisées autour d'un patio carré qui découpe une grande fenêtre sur le ciel bleu. En fin de journée, les lumières du soir pénètrent dans les grottes révélant ainsi les nuances dorées de la pierre.

À l'aéroport, un petit désagrément nous attend : un surcoût non négligeable des billets dû à la fermeture de l'enregistrement. Le "dernière minute" auquel nous nous sommes habitués jour après jour ne semble pas convenir aux compagnies aériennes ! Le problème résolu, nous traversons les portiques de sécurité et rejoignons la porte d'embarquement tout en réglant nos montres pour le prochain décalage horaire. Ne pouvant traverser la Syrie et le Liban, l'avion reste le seul moyen pour rejoindre le Moyen-Orient. Nous nous sentons comme téléportés d'un endroit à l'autre et cela nous retire la conscience des distances, des transitions terrestres, des frontières nationales et du lent rythme de la marche. Mais qu'importe, nous sommes tellement heureux de pouvoir poursuivre notre pèlerinage et de traverser la Jordanie qui sera notre porte d'entrée en Terre Promise !

Bilan chypriote :

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Publié le 30 décembre 2022

Jour 271 - Dimanche 30 octobre

Après Éphèse la côte devient très montagneuse alors, sans trop d'hésitation, et malgré les nombreux virages, nous suivons l'itinéraire que nous propose Maps.me plein est. Nous empruntons alors une longue vallée avec pour objectif : Pamukkale, site Unesco, de quoi nous motiver pour avancer ! Et ça marche, nous entamons cette nouvelle étape turque d'un bon pas. Encaissée entre deux montagnes, la route sans trottoir est trop fréquentée à notre goût et surtout sans aucune habitation pour demander l'hospitalité ou coin plat pour planter la tente. Nous désespérons mais il n'y a pas d'autre alternative alors il faut continuer. Soudain, nous apercevons une lumière qui éclaire la nuit tombante. C'est un restaurant de bord de route. Nous tentons notre chance et demandons au gérant d'y être hébergés. Il nous montre une grande salle au fond de laquelle sont entreposés des matelas sur une estrade recouverte de chaleureux tapis. Est-ce destiné aux routiers de passage ? Qu'importe cela fait notre bonheur pour ce soir !

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Sur les routes goudronnées, les réactions des automobilistes sont multiples : du petit coup de klaxon plus ou moins agréable aux grandes salutations à pleine voix. Mais souvent, ils n'hésitent pas à s'arrêter en pleine voie pour nous faire signer de monter dans leur véhicule comme si c'était la chose la plus évidente et parfois sans même nous demander notre avis. Avec le peu de vocabulaire turc que nous avons cela devient un vrai défi de leur expliquer que nous faisons volontairement le choix exclusif de la marche. Dans ce pays où la randonnée n'existe quasiment pas, les gens, en nous voyant marcher s'imaginent que nous avons un problème. On sent alors qu'ils ont le soucis des autres et que l'entraide est naturellement présente.

Nous en profitons pour observer la diversité impressionnante des véhicules allant de la vieille Renault 12, aux tracteurs recouverts de leurs housses et protégés par un "Mashallah" brodé, quelques charrettes, des camions colorés, les motos aux sacoches en tissu et en ville les petits scooters électriques réservés chez nous aux personnes âgées mais ici largement utilisés par les jeunes.

Suivre la route en longeant la voie de chemin de fer, trouver des sentiers parallèles pour échapper aux vacarme et aux dangers de la circulation puis traverser les villes plus ou moins grandes mais toutes laides devient notre quotidien ces jours-ci. Au milieu de tout cela, nous profitons de petits épisodes joyeux : le franchissement de la barre des 5000 km et bien sûr les accueils chez les habitants. La nuit tombe plus vite et nous surprend souvent rendant les demandes d'hospitalité plus compliquées. Cela n'a pas empêché un soir Gülsüm et ses parents de nous laisser dormir dans la cour de leur maison familiale. Une telle demande les a certainement surpris d'où un petit temps de réflexion. Mais en entamant la conversation, peu à peu la glace s'est brisée. On fini même avec une dégustation de kaki séchés et un bon repas que le papa a été acheter spécialement pour nous !

Le lendemain, alors que nous approchons d'une ville, nous passons à côté d'une coopérative oléicole. Une femme occupée à vider la poubelle nous salue chaleureusement. Comme souvent en Turquie cela ne s'arrête pas là, des questions suivent bien vite. Nous avons appris à saisir les occasions comme celle-ci pour demander l'hospitalité. Fatma fait venir le responsable qui parle anglais, ils se concertent et visiblement on s'occupera de notre cas ! En attendant Fatma qui s'occupe du ménage et de la cuisine ici nous régale avec un dîner improvisé ! Nous rencontrons aussi la fille du responsable Zeynep qui, parlant anglais, sert de traductrice. L'ambiance est chaleureuse : on rigole, on papote et on prend une série de photos ensemble ! On leur demandait un endroit sûr alors, ils ont contacté leur ami policier qui nous emmène dans un restaurant où on nous prépare une chambre qui sert habituellement au serveur. C'est rustique mais tellement inespéré pour nous !

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La vallée s'élargit et offre plus d'espace aux grands vergers qui donnent au paysage des airs bucoliques. Nous apercevons maintenant régulièrement de grands réseaux de tuyauteries qui serpentent le long des chemins. L'odeur d'œuf pourri et la vapeur s'échappant des interstices nous indique qu'il s'agit d'usines géothermiques qui exploitent les sources chaudes de la région.

Loin des grands axes, nous traversons désormais de petits villages où nous observons les gestes de la vie quotidienne des habitants. Ici, sur la place du village en terre battue, de grandes bennes déchargent leur contenu. Ce sont des grenades qui sont ensuite pressées pour en récolter le jus. Plus loin, nous voyons des hangars immenses remplis de coton formant de grandes montagnes blanches. Mais ce que nous apprécions le plus ce sont les tableaux entraperçus le temps d'une foulée dans les cours des maisons : une femme et sa fille épépinant les grenades dans un grand récipient, un adolescent affalé dans un canapé, une femme courbée en deux balayant sa cour… Souvent ce sont des tableaux aux sujets féminins ! Les hommes eux sont plus aisément visibles attablés aux café et jouant au okey turc, ou au volant de leurs tracteurs occupés à leurs tâches agricoles.

Ce soir là, nous cherchons une fois de plus un lieu où dormir. Une première ville, trop grosse, ensuite des champs sans arbres puis enfin un petit village où un homme tente de nous aider en voulant nous indiquer la grande route plus directe pour rejoindre Pamukkale. Péniblement, nous lui faisons comprendre ce que nous cherchons et il finit par nous conduire au market de son village où le gérant accepte de nous installer dans la pièce attenante servant de réserve. Nous sommes environnés par les emballages, sans eau ni électricité et loin du confort mais nous nous sentons à l'abri.

Jour 277 - Samedi 5 novembre

A l'aube, alors que le soleil n'a pas encore réchauffé l'air ambiant, nous cheminons à travers les champs de coton en direction de la grande colline blanche de Pamukkale. Les remorques chargées des ramasseuses de coton parcourent la vallée pour entamer la journée de récolte. Soudain, un groupe de femmes, sac de toile à la taille nous fait signe nous invitant à les rejoindre. Elles nous montrent, grands sourires aux lèvres leur dur travail et semblent ravies de prendre la pose pour quelques photos. Les deux hommes qui eux supervisent les opérations se font plus discrets.

Après cet épisode, nous atteignons enfin Pamukkale. Notre arrivée en début de journée nous offre un temps précieux pour publier un nouvel article. Mais cette séance de travail qui mobilise tout notre après-midi, nous oblige à reporter au lendemain la visite du site. Pamukkale appelée Hiérapolis à l'Antiquité est implanté sur un plateau à mi-hauteur entre la vallée et les montagnes adjacentes. Sa position permet au visiteur de profiter d'un magnifique panorama. Le site est d'avantage connu pour ses étonnants bassins naturels qui recueillent les eaux chaudes des sources thermales aux nuances turquoises. Pourtant, le site archéologique est tout aussi impressionnant en particulier sa nécropole qui réunit tombes, tumuli, et sarcophages en tous genre. L'immensité du site nous permet de découvrir librement chacune de ces architectures funéraires que le temps a préservé. Le ciel obscurci par d'imposants nuages noirs ajoute une ambiance particulière à notre exploration. Nous profitons de ce cadre jusqu'au coucher de soleil avant d'aller planter la tente non loin de là.

Au matin, un étrange bruit nous réveille. En passant la tête à travers la toile de tente nous découvrons qu'il s'agit des bruleurs de montgolfières qui survolent à basse altitude le site de Pamukkale. Pas de chance, la brume du matin ne doit pas aider. Quant à nous, nous reprenons la marche en prenant désormais le cap plein sud, direction Antalya.

Ali et Selma, nous avaient parlé de Laodicée comme étant une des «sept église de l'Apocalypse» au même titre que Smyrne et Ephèse.

L'évangéliste Jean reçoit pour mission de retranscrire et d'envoyer son livre de l'Apocalypse aux sept communautés chrétiennes installées en Asie mineure. En 364 un concile se tient à Laodicée avec les évêques de la région. Ils statuent entre autre sur l'invocation des trois anges principaux, l'interdiction des pratiques magiques et l'observance du dimanche comme jour de repos.

Le décaissé que forme la petite route qui longe le site révèle déjà quantités de vestiges encore enfouis. Le chemin qui nous conduit à l'ancienne porte se transforme soudainement en une grande rue pavée, axe principal de la ville. De petites ruelles perpendiculaires desservent les nombreuses habitations bourgeoises dont certaines sont même dotées de chapelles privées.

L'édifice qui retient notre attention est la basilique. Datant du IVème siècle et fouillée en 2011, la restauration de ses ruines nous plonge dans ce que devait être ce lieu mystique. Nous retrouvons quelques éléments qui nous sont familiers comme le chœur, l'autel, la chair, le baptistère, etc. L'abri de fouille qui préserve les fresques et les mosaïques évoque quant à lui le volume global de l'antique édifice. L'équilibre est parfait entre restauration, mise en valeur des vestiges et architecture. En plus des habituels théâtres, agora, temples et bains publics, Laodicée est pourvue d'un cirque dont on peut encore deviner les contours. A quelques kilomètres de là, se situe Colosse, encore un nom relatif au Nouveau Testament. Nous passons à côté du site dont il ne reste apparemment plus grand chose.

Jour 280 - Mardi 8 novembre

Marie a prit l'habitude de retirer au couteau les épines qui se plantent régulièrement dans ses chaussures pour éviter qu'elles ne traversent ce qui lui reste de semelle. Un mauvais geste et soudain la lame de l'opinel entaille son pouce et l'ongle avec. Notre sparadrap peut enfin servir tout du moins jusqu'au prochain village où se trouve, par chance, un petit centre hospitalier. La blessée sympathise vite avec l'équipe de soignants qui sont trop heureux de s'occuper d'une touriste atypique.

Dans ce pays que nous apprenons à aimer, les journées de marche sont souvent l'occasion de belles rencontres : une discussion avec un homme le long d'une route, un déjeuner qui nous est offert dans un restaurant par Ibrahim un franco-turc, un vieux couple qui nous donnent des brioches et des noix sur le chemin, un patron qui nous offre encore du thé dans son bar. Ici, la solitude ne semble pas exister. Souvent, on nous offre des victuailles en fonction de l'agriculture locale et le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle est diversifiée: oliveraies au nord, puis rizières à Canakkale, pommes et noix dans la région d'Edremit, vergers d'agrumes et mandarines vers Ephèse, champs de fraises d'Aydin, le coton de Pamukkale, les kaki et raisins séchés de Denizli...

Attirail turc 

Après ces quelques étapes plus touristiques, nous étudions tant bien que mal sur l'écran de notre portable la suite de l'itinéraire. Nous constatons dépités que la chaîne de montagne que nous longions depuis plusieurs jours se dresse devant nous. Nous avons beau retourner le problème dans tout les sens pour trouver une alternative, nous devons nous rendre à l'évidence : ces montagnes, il faudra les traverser pour rejoindre Antalya. Nous nous préparons mentalement à affronter les rudes montées que nous nous étions pourtant jurés d'éviter mais finalement, cette dernière semaine de marche s'avère moins dure qu'il n'y paraissait. Après la plaine de Pamukkale, nous sommes même heureux d'observer les panoramas que nous offrent les hauteurs. Nous replongeons dans les ambiances très rurales : les troupeaux de moutons menés par les bergers en moto, les petits villages vivants, la nature aux belles couleurs automnales…

Malgré l'habitude, recevoir l'hospitalité n'est jamais une garantie alors la tente reste une bonne solution de replis surtout dans ces zones où les villes sont plus rares. A Bozkurt ce soir là nous tentons tout : market, habitants mais rien n'y fait ! Nous allons même jusqu'à demander à la police municipale qui n'hésite pas à nous escorter pour nous aider à trouver un hôtel. Mais, celui-ci est plein alors nous devons insister pour faire comprendre à nos gentils protecteurs que nous nous débrouillerons pour planter la tente à la sortie de la ville. En partant, ils nous mettent en garde contre les animaux sauvages ce qui nous amuse venant de policiers !

Au début de notre périple, le sentiment d'insécurité lié aux nuits sous tente impactait notre sommeil d'avantage que l'inconfort. Après plusieurs mois, ce sentiment s'estompe bien que nous soyons dans des contextes de moins en moins familiers. Progressivement, nous avons appris à faire confiance et à relativiser les bruits étranges qui surviennent dans la nuit.

Aujourd'hui nous ne regrettons plus notre itinéraire montagneux en découvrant au creux d'une vallée une immense étendue immaculée sertie au milieu des parois rocheuses. En nous approchant nous découvrons qu'il s'agit d'un immense lac asséché dont les boues argileuses ont formé cette croûte blanche qui donne au paysage cette allure si extraordinaire. D'après nos cartes, le lac semblait en eau mais nous profitons de l'aubaine pour le traverser à pied sec, sacré raccourci !

Le soir venu, nous avons plus de chance que la veille. Au village de Dereköy, nous profitons de refaire nos stocks de nourriture au market pour tenter une demande d'hospitalité. La gérante ne semble pas étonnée, d'autres baroudeurs ont déjà ouvert le chemin. Elle nous montre alors une pièce fraîchement construite par la commune sur la place du village. Parfait ! Nous nous estimons heureux car les nuits se font plus fraîches avec l'altitude. Nous déplions les tapis de sol quand elle revient nous chercher. Visiblement embêtée de nous laisser dormir dans une salle non chauffée elle a préparé une chambre dans leur maison familiale. Nous remballons tout et la suivons reconnaissants. Elle nous installe dans la petite salle qui sert de market : l'air est surchauffé par un poêle à bois autour duquel les clients n'hésitent pas à s'installer pour profiter d'un çai bouillant ou d'un brin de causette !

Nous nous laissons faire et bientôt nous nous retrouvons devant un grand plateau chargé de nourriture pour notre dîner. Limités par notre manque de vocabulaire, nous ne pouvons que remercier simplement. Une fois assurée que nous avons le ventre plein, elle nous conduit à notre chambre : la maison en terre crue est bien modeste mais pour nous cela paraît incroyable qu'on nous ouvre grand les portes, occasion inespérée pour observer la vie quotidienne de cette famille. Notre chambre bien chauffée au poêle ressemble à un nid douillet et nous nous affalons avec délice sur le matelas posé à même le sol irrégulier. De l'extérieur avec les habitants habillés comme vous et moi il est bien difficile d'imaginer qu'ils vivent si simplement. Au matin autour d'un thé nous constatons aussi le bonheur qui règne chez Emre et sa famille.

Jour  284 - Samedi 12 novembre

Encore un lac asséché, nous n'y croyons pas nos yeux. Loin des spots touristiques nous nous sentons privilégiés de découvrir ces paysages étonnants. Levés de bonne heure après une nuit confortable nous avançons d'un bon pas. L'heure du déjeuner approchant nous profitons de traverser un village pour nous mettre en quête d'un lieu où nous restaurer. Nous entrons dans le market d'Hakan qui doit avoir à peu près notre âge. Nous sympathisons en dégustant les panini qu'il vient de nous préparer. En apprenant que Marie est archéologue, il nous propose une visite des alentours qui regorgent apparemment de vestiges enfouis. Nous sommes partagés : la journée de marche est à peine entamée mais ce genre d'occasion est rare alors nous nous laissons embarquer à bord de son tracteur.

Brodant un peu il nous explique que ces lieux ont certainement vu passer César et Cléopâtre. Dubitatifs nous constatons par contre que les champs fourmillent de tessons de poteries anciennes. Ils nous raconte que des tombeaux enfouis ont été pillés ne laissant que des cratères entre les rochers. Passionné et heureux de nous partager les merveilles de ce petit coin de paradis, il prolonge la visite et nous emmène au bord du lac asséché de Yarisli : un cabanon de chasse au milieu d'un champ de joncs nous fait rêver mais il ne s'arrête pas là et nous fait escalader une falaise où se cache une riche tombe antique creusée à même la paroi. Notre tournée s'achève en contemplant le coucher de soleil qui nous laisse une impression inoubliable.

Dans les personnes que nous rencontrons il n'est pas si fréquent de réussir à créer un lien profond mais en Hakan nous avons l'impression de trouver immédiatement un ami. Revenu chez lui nous partageons le repas avec ses parents et ses amis et nous nous retrouvons finalement à dormir dans le salon de la grand-mère. La maison est rustique, en terre crue et attenante à la cour où sont parqués les moutons avec une salle de bain minimaliste mais, on s'y sent tout de suite bien installés confortablement au milieu des tapis colorés et dans la chaleur du poêle.

Nous quittons ce qui restera pour nous la vallée d'Hakan. La route est bordée d'impressionnantes carrières de pierre blanche qui sculptent dans la montagne leurs formes géométriques ressemblant de loin à de mystérieuses citadelles étincelantes. Les villages que nous traversons nous en apprennent plus sur l'architecture traditionnelle locale : soubassements de pierre laissant place aux briques de terre crue enduites à la chaux. Et depuis quelques jours, nous admirons certaines demeures qui arborent de belles fenêtres à encorbellement en bois qui leur donnent un charme particulier. Mais il nous semble que dès qu'ils en ont les moyens les habitants investissent pour bâtir une maison plus "moderne" en béton.

Autres éléments caractéristiques, les mosquées et les cimetières. Nous n'avons jamais osé franchir le seuil des mosquées mais c'est un lieu central du village où on est toujours assuré de trouver eau et toilettes. A l'heure de la prière, un haut parleur grésille en s'allumant pour faire entendre l'appel religieux. Nous nous amusons à comparer les prestations vocales des muézins et notons que bien souvent il ne s'agit que d'enregistrements mais l'effet reste impressionnant quand les chants se répondent d'un village à l'autre et emplisse toute la vallée de leurs échos. Quant aux cimetières, ils sont bien reconnaissables car on y plante de grands ifs qui forment une belle forêt abritant les tombes de leur ombre. De la simple pierre plantée à la verticale au caveau plus récent surmonté d'une plaque ouvragée nous voyons se dessiner dans ces lieux l'évolution des pratiques funéraires.

La fin d'après-midi approche, les rayons du soleil dorent le paysage lorsque nous entrons par un imposant portique dans le village de Kozluca. Bien rodés, nous nous dirigeons vers un groupe d'hommes sirotant leur thé qui nous avaient salué de loin. Il faut ignorer les rires qui accompagnent nos explications mais nous les sentons bienveillants et le processus mainte et mainte fois répété marche une fois de plus. C'est Hasan le plus âgée de la bande qui s'est tout de suite porté volontaire pour nous accueillir. Dans sa maison confortable, nous rencontrons sa femme qui elle peine à comprendre le fonctionnement du traducteur de nos téléphones seul moyen d'échanger avec eux. Mais Hasan lui est très à l'aise. Tandis que sa femme s'affaire discrètement pour nous préparer une chambre et un repas il s'installe avec nous au salon toujours surchauffé. Essayez de proposer votre aide à la maitresse de maison et vous comprendrez immédiatement sur son visage qu'il n'en est pas question ! S'ensuit alors une longue soirée où nous devons nous creuser la tête pour trouver des sujets de conversation, la télé toujours allumée nous aide un peu et surtout la bonté et la générosité de nos hôtes nous met à l'aise malgré la barrière de la langue. Ils sont à la retraite leur enfants habitent non loin de là et ils semblent mener une vie paisible.

Comme tout bons grand-parents, ils sont aux petits soins pour nous. Voyant les trous dans les chaussettes de Marie ils tiennent à nous donner une nouvelle paire tandis que Jean-Baptiste lui héritera d'un chapelet musulman. Nous reconnaissons désormais de loin le claquement caractéristique des perles lorsque les hommes égrènent ces petits chapelets en récitant dans leur tête la prière correspondante. Nous apprenons ainsi avec curiosité que ceux-ci ne sont pas seulement l'apanage des chrétiens. Le dîner typique à base de légumes et de pain plat est généreux. Notre hôtesse va et vient toute menue mais pleine d'énergie pour apporter les mets tout en réajustant d'un geste précis son voile qui dans le feu de l'action se défait. A la fin du repas, Hasan sourire aux lèvres déverse une quantité astronomique de ce qui semble être du gel hydroalcoolique sur nos mains. Nous comprendrons plus tard qu'il s'agit d'une sorte d'eau de Cologne utilisée traditionnellement pour honorer les invités.

Jour 286 - Lundi 14 novembre

Que les gens nous hébergent parce que nous leur demandons est une chose, mais qu'ils prennent l'initiative d'eux mêmes en est une autre. Ce sera la très bonne surprise de ce soir à Dağbeli. Nous traçons en direction du centre pour trouver un café dans lequel nous nous présenterons aux hommes du village en saluant sur le trajet les habitants étonnés. Au café, les hommes nous redirigent vers une salle de prière mais à ce moment-là, un scooter s'arrête à notre hauteur. Mehmet, le conducteur, se présente et nous finissons par reconnaître celui que nous avions salué un peu plus tôt dans la rue. Sans que nous ne lui expliquions quoi que ce soit, il a tout de suite compris notre situation et nos besoins en nous ouvrant sa maison pour la nuit. Avec son épouse Selma, ils ont parcouru l'Europe et savent ce que c'est que d'être en terre inconnue. Ils ont ainsi développé un véritable esprit d'entraide. Nous voyons et comprenons qu'il appartiennent à une classe plus aisée que celle des familles que nous avons rencontré jusqu'alors. Autour d'un délicieux repas, nous parlons de la situation du pays et d'Erdogan. Mais surtout, ce soir, nous parlons de ce qui nous relie : le voyage et la rencontre. La générosité de ce couple à notre égard ne s'arrête pas là : ils nous proposent de nous accueillir dans leur appartement d'Antalya lorsque nous y arriverons.

Cela nous démontre que pauvre ou riche, les turcs trouvent toujours un moyen de nous accueillir et l'absence de chambre d'amis n'est jamais un obstacle. Les salons aux larges canapés remplissent très bien cet office et quand ces derniers sont absents, on nous installe sur les chaleureux tapis qui recouvrent souvent le sol.

La route que nous empruntons nous mène dans une charmante foret où nous avons repérer un sentier loin de la grande route. Plus loin, entre deux reliefs montagneux qui dégage un accès naturel à la région d'Antalya, le pavage en pierres massives que nous foulons nous rappelle ceux des différentes voies romaines que nous avons emprunté depuis la Gaulle. Soudain, cette grande faille entre les flancs des collines associée au dénivelé négatif impressionnant nous fait entrevoir la vallée prochaine qui s'étend comme l'immensité de la mer. L'ancienne route de Doşeme Boğazi reliait les villes de Pamphylie et de Pisidie ​​dans les temps antiques. 2000 ans après sa construction, cette infrastructure de génie reçoit encore et encore les pas des marcheurs. Les bas-côtés sont jonchés de sarcophages pillés, de ruines de diverses constructions et de céramiques innombrables. Pas de guichet d'entrée, pas de panneaux d'informations, pas âme qui vive mais ce somptueux paysage est offert aux seuls marcheurs. Pendant que Marie immortalise sur son carnet les architectures du passé, Jean-Baptiste lui explore les vestiges peut-être à la recherche d'un trésor perdu.

Le temps passé à profiter de ce site archéologie nous empêche d'arriver au centre ville d'Antalya mais qu'importe, nous trouverons bien une âme charitable pour nous héberger en banlieue. Mehmet nous avait informé de la présence d'un barrage de gendarmerie à l'entrée de la ville dû à l'attentat survenu quelques jours auparavant à Istanbul. Cela ne manque pas, le gendarme armé jusqu'aux dents nous fait signe de le rejoindre mais nos passeports français le rassurent et nous permettent de poursuivre.

Nous poussons la marche jusqu'à la nuit tombée et pénétrons dans la grande agglomération. A cette heure tardive nous ne ferons pas nos difficiles : ce soir c'est un boulanger qui s'occupe de notre cas et nous propose de planter la tente dans son charmant parking entre les camionnettes. C'est ce que nous faisons en essayant de déblayer les déchets que les vieux lampadaires daignent éclairer. Pas sûr qu'en début de pèlerinage nous serions restés mais nous avons l'accord du patron, alors tout va bien.

Jour 288 - Mercredi 16 novembre

Un cours d'eau aménagé qui s'écoule entre les immeubles mène nos pas jusqu'à la mer. Sur les bancs publics et sous les arbres nous observons les petites scènes de vie paisibles qui contrastent avec l'agitation et le trafic des grandes artères. A travers les falaises du littoral, une brèche d'où s'infiltre une cascade nous fait voir l'horizon marin. C'est là que prend fin notre marche en Turquie !

Nous avons décidé de profiter de quelques jours sur place car le programme est chargé : visite de la ville et surtout organisation de la suite du trajet car nous devons prendre le bateau pour rejoindre Chypre. Nous réalisons à cette occasion combien marcher nous facilite la vie, certes cela prend du temps mais au moins nous n'avons pas à nous poser les questions pratiques d'horaire, d'argent… Entre deux temps de travail dans l'hôtel, nous visitons le petit centre historique en flânant dans les ruelles plus ou moins touristiques. L'ensemble est charmant, entre le vieux port et la muraille, les façades des maisons ont conservé un style hérité de l'empire ottoman. Bien qu'elles ne soient plus dédiées qu'aux touristes, cela a au moins l'avantage de conserver ce patrimoine. De l'autre côté des murs, nous découvrons la ville moderne et dynamique tout aussi intéressante mais moins belle. Et plus loin la cité Antique de Pergé adossée à une belle falaise dont les thermes, l'amphithéâtre et le cirque nous impressionnent particulièrement.

Nous avions gardé en tête la proposition de Mehmet et Selma de nous accueillir chez eux et décidons après un temps d'hésitation d'accepter afin de finir en beauté cette étape. Nous avons bien fait. Toujours aussi généreux, ils nous ouvrent grand leur portes et nous faisons la connaissance du reste de leur famille avec leurs enfants qui ont nos âges et leur petit fils. Ibrahim le fils parle anglais ce qui facilite les échanges. Nous en profitons pour en apprendre plus sur le pays et les coutumes lorsque Ibrahim nous décrit la cérémonie de son mariage. Cette dernière rencontre nous fait quitter à regret ce pays passionnant.

Nous découvrons déçu qu'aucun bateau ne relie Antalya à Chypre nous devrons donc rejoindre le port de Taşucu à une centaine de kilomètre de là. Mais cette fois-ci nous ferons le trajet en bus. La côté défile à toute allure et en voyant la beauté du paysage où s'alternent falaises déchiquetées, plage paisibles et champs de bananiers nous songeons qu'il aurait été intéressant de s'imprégner de ces panoramas plus longuement en marchant. Mais les mois ont bien défilé depuis notre départ et nous savons qu'il n'est plus temps d'ajouter des kilomètres au compteur.

Nous devons nous soumettre aux horaires des ferry et le nôtre ne part que le lendemain alors nous dégottons tant bien que mal un coin où planter la tente sur la plage. Une journée à tuer avant d'embarquer mais nous avons toujours un article du blog ou des dessins en retard pour mettre utilement ce temps à profit. Enfin, après une longue attente parqués dans une cour grillagée, nous pouvons mettre le pied sur le bateau et faire nos adieux à la Turquie.

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Bilan Turc :

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La petite parenthèse en France nous a laissé le temps de réfléchir à notre itinéraire en Turquie. Passerons-nous par Istanbul ? Ce nom mythique nous fait rêver mais quand nous nous penchons sur les cartes, nous réalisons le détour que cela représente. Nous tranchons et abandonnons Istanbul pour suivre la côte moins montagneuse.

Jour 247 - Jeudi 6 octobre

L'objectif est de rejoindre le poste frontière, lieu exact que nous avions atteint avant notre retour en France. Après notre atterrissage à Alexandroupoli, nous tentons de faire du stop mais optons finalement après une bonne heure d'attente pour le bus.

Premier poste grec franchis sans problème mais le policier nous explique qu'il est impossible de traverser à pied le pont qui enjambe le fleuve Maritsa, frontière naturelle entre les deux pays et zone militaire sous contrôle. Nous sommes donc bloqués pour à peine 300 m. Alors, nous reprenons patiemment notre quête d'un stop. Les voitures passent au compte goutte : rien. Enfin, l'une d'elle s'arrête, un couple russe a eu pitié de nous. La longue attente avant de passer le poste turc nous laisse le temps d'échanger. Artimo et Vica ont quitté la Russie à cause du contexte politique et errent sur les routes à la recherche d'un pays où s'implanter. Nous sommes touchés par leur gentillesse et leur courage. Ils nous déposent à Ipsala la première ville turque située juste de l'autre côté de la frontière. Les drapeaux rouges au croissant et à l'étoile sont partout. Aucun doute, les turcs manquent leur territoire.

Notre marche débute dans une ambiance étrange. La ville mêle des bâtiments flambant neufs et des lotissements qui semblent perdus aux milieu des champs qui s'étendent à perte de vue. Sous un beau soleil, nous avons une impression d'immensité en découvrant cette campagne désertique dont la monotonie est rompue par des colonies éparses. Dans les premiers villages nous avons l'impression de replonger dans les ambiances albanaises : les modestes maisons brinquebalantes et les chiens des rues pouilleux renforcent cet effet. Les habitants affairés nous regardent passer et nous dévisagent sans gêne. Nous ressentons alors une sensation d'inconfort due à l'inconnu.

Nous sommes heureux de reprendre le rythme de la marche. Cette fois, nous repartons pour terminer notre pèlerinage. D'un pas dynamique, nous entamons la Turquie qui représente encore un bon morceau.

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Nous enchaînons les nuits sous tente. Dans un premier temps, c'est plus simple. Nous tâtons le terrain avant d'oser faire notre demande d'hospitalité. Un stock de nourriture française nous permet d'avancer en autonomie. Nous explorons cette terre inconnue en nous posant les questions de base : où dormir, manger et boire ? Lors de ces premières journées nous sommes touchés par des gestes spontanés de la part des habitants. Ainsi un couple tenant un restaurant, à qui nous demandions seulement de l'eau nous fait assoir et nous sert un apéritif plantureux que nous savourons même si nous venions de déjeuner. À ce moment-là, nous apprenons notre premier mot turc : «teşekkür» / «Merci».

Au fur et à mesure des rencontres, nous captons quelques mots qui constituent un vocabulaire certes succinct mais utile tous les jours pour entrer en contact avec les gens. Les traducteurs de nos téléphones prennent le relai pour les discussions plus profondes.

Un autre jour, dans la rue, un homme nous adresse la parole, puis, voyant que nous ne comprenons pas, il parvient à nous souhaiter la bienvenue dans son pays : «Hoşgeldiniz». À travers ces démarches, nous sentons qu'ils ont à cœur de bien nous accueillir dans leur pays.

Un peu plus loin, alors que nous entrons dans la ville de Gelibolu, une famille nous invite à prendre le thé accompagné de délicieux gâteaux. Tous ces gestes de générosité nous encouragent et nous aident à prendre nos marques.

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D'Ipsala à Eceabat, la région d'Edirne nous offre des paysages arides de campagne quadrillée par les champs labourés aux nuances ocres. Pas de forêt en vue, sauf au sommet des monts alors, notre regard embrasse l'horizon que rien ne semble arrêter.

Ça et là, des villages se nichent au creux d'une colline. Pauvres mais vivants, nous imaginons le quotidien des habitants que l'on voit aller aux champs. Les femmes âgées, portent un foulard entourant leur visage et un pantalon large à fleur. Les hommes eux, sont en chemise et vieux pantalon de costume. Depuis l'Albanie, nous avons pris l'habitude de croiser la route de bergers menant leurs troupeaux à la recherche des rares brins d'herbe.

Ce jour là, en débouchant d'une forêt de pins, le chemin qui tranche net le couvert forestier nous donne à contempler en contrebas la plaine sur laquelle viennent mourir les vagues de la mer Egée. Encore un panorama à perte de vue. Nous devons suivre la courbe que forme cette avancée de mer pour rejoindre le bras de terre qui sépare la mer Egée du détroit des Dardanelles.

Nous découvrons avec joie que la Turquie nous réserve des chemins de terre idéals pour la marche. Ces derniers contrastent nettement avec les grands axes routiers en asphalte flambants neufs. Objectif du jour : la ville de Gelibolu. Une route de crête nous y conduit. L'après midi passe bien vite quand nous avons à contempler de part et d'autre les collines se jetant dans la mer.

Jour 253 - Mercredi 12 octobre

Il y a deux manières de traverser les Dardanelles : emprunter un pont réservé aux voitures ou prendre un bac reliant Eceabat à Çanakkale. Nous optons pour la deuxième qui nous fera profiter du défilé des porte-conteneurs et des pétroliers qui rejoignent Istanbul. La traversée nous offre également une vue imprenable sur les forteresses qui se dressent fièrement de part et d'autre du détroit.

Le bac nous dépose en plein coeur de ville. Jusque-là, les villes turques nous paraissaient sans grand intérêt. Mélange d'immeubles modernes et de rues rectilignes où seules les mosquées apportent une touche de charme. Mais à Çannakale, du moins dans le centre, nous sommes immédiatement happés par les ambiances de rue. Dans de petites ruelles étroites bordées par les façades hétéroclites, nous découvrons d'innombrables boutiques petites mais vendant chacune un produit spécifique. Les étalages montrent un large échantillon de la gastronomie locale. Par l'odeur alléchés, nous hésitons entre les petits pains briochés fourrés des boulangeries, les «pide» (pizza turque) et les «kebap». Nous nous installons finalement devant la porte d'un «döner» et dégustons cette spécialité bien meilleure qu'en France tout en profitant curieux du ballet des passants affairés.

Repus, nous prenons le temps de visiter le fort militaire beau vestige du passé. Nous découvrons la version turque de la bataille des Dardanelles durant la Première Guerre mondiale. Les prises de guerre (plaques de sous-marin français ou anglais) nous rappellent que nous étions alors ennemis. C'est aussi l'occasion pour nous d'en apprendre plus sur le héros national Mustafa Kemal dit «Atatürk». Depuis notre arrivée en Turquie nous voyons partout son visage sous forme de statue, d'affiche. Les voitures portent même fièrement sa signature. S'étant illustré lors des combats, cet homme de conviction au tempérament bien trempé a ensuite progressivement gravi les marches du pouvoir jusqu'à s'opposer au sultan encore en place. Ses méthodes plus ou moins autoritaires ont permis au pays de se moderniser et de devenir un régime démocratique. C'est passionnant pour nous de comprendre à travers quelques discussions combien sa vision a imprégné durablement le pays.

En cherchant des lieux d'intérêt sur notre itinéraire, un nom mythique retient notre attention : Troie. Le site se trouve à quelques kilomètres de là où nous nous trouvons. Alors, nous ferons le détour. Il faut engager l'ascension de la petite colline pour accéder à l'ancienne cité et admirer le point de vue qu'offre ce belvédère sur toute la vallée. Une fois passé le guichet, les panneaux d'information nous permettent de comprendre que les vestiges visibles correspondent à la superposition de neuf villes successives sur une période allant de -3000 av. J.-C. jusqu'au Vème siècle. Si Marie est soucieuse de ne pas manquer la moindre information qui puisse l'aider à comprendre toute la complexité du site archéologique, Jean-Baptiste se contente de faire quelques croquis pour saisir l'esthétique des ruines.

Sur ce site l'archéologue H.Schliemann, à la recherche de la ville mythique du récit d'Homère, engage une importante opération de fouille. Qu'importent les vestiges des phases plus récentes, il cherche à tout prix la cité troyenne. Il pense même trouver le trésor du roi Priam qu'il transfère clandestinement à la frontière grecque sans en parler aux autorités ottomanes. Malgré les critiques qu'il reçoit, il met en place sur sa fouille stratigraphies et photographies systématiques. Techniques novatrices pour l'époque.

Nous finissons la visite par le musée qui mérite que l'on s'y attarde aussi bien pour son incroyable collection que pour sa muséographie et son architecture contemporaine. En bref, une journée qui satisfait autant l'architecte que l'archéologue !

Ce matin là, on se lève avec la désagréable impression que la journée sera identique aux précédentes et ne se résumera qu'à deux choses : marcher puis planter la tente. Nous réalisons la place cruciale qu'a pris la demande d'hospitalité dans notre pèlerinage. Au delà des aspects pratiques (lit, douche, bon repas...), ces rencontres enrichissent profondément notre routine. Après une semaine à dormir sous la tente et à ne pas oser demander l'hospitalité, nous sentons qu'il est temps de prendre notre courage à deux mains. Nous rédigeons avec l'aide de Google, un petit texte en turc pour expliquer notre démarche et demander un lieu où dormir.

Forts de ces bonnes résolutions, nous arrivons dans un petit village de campagne. Quelques hommes attablés au café nous invitent à boire un «çay» (thé). Il est encore tôt mais nous saisissons l'occasion. Les hommes viennent tour à tour s'asseoir à notre table et nous devons à chaque fois recommencer les présentations en dépliant la carte avec le tracé de notre périple. Pensant leur montrer le mot expliquant notre démarche, Marie montre à la place un autre mot où nous avions ajouté une phrase pour demander l'hospitalité. Le gérant du bar, Erol, nous propose alors de nous héberger. Croyant à une attention spontanée de sa part nous n'osons pas refuser alors que la journée de marche est à peine entamée. Nous réaliserons seulement le lendemain que nous avions en réalité demandé l'hospitalité à 11h, malgré nous !

Nous le suivons donc jusqu'à une petite maison de terre crue blanchie à la chaux environnée d'une petite cour où se promènent librement les poules et les chèvres. C'est la maison de ses grands-parents où il nous laisse sa chambre. Sa grand-mère arrive quelques instants plus tard et s'affaire pour nous préparer le déjeuner. Il est impensable de l'aider alors, nous observons cette femme âgée et menue qui dans la cuisine encombrée (où le seul équipement moderne est la machine à laver) nous prépare un délicieux repas qu'elle apporte sur un grand plateau dans l'entrée qui fait aussi office de salon. Elle déplie sur le sol un grand tissu et pose le plateau au centre. Nous observons notre hôte et imitons ses gestes : nous nous asseyons en tailleur, rabattons un coin du tissu sur nos jambes et commençons à manger en piochant dans les différents bols avec un bout de pain les crudités, sauces et fromages faits maison. Nous découvrons la cuisine familiale turque qui n'a rien à voir avec les kebap ou les pide. Le dépaysement est complet et pourtant Erol sait nous mettre à l'aise avec sa gentillesse et ses nombreuses attentions. Cette première rencontre débloque quelque chose en nous, elle nous donne confiance pour oser aller d'avantage à la rencontre des turcs.

Plongés dans ces ambiances de campagne vallonnée, nous découvrons une des activités de saison : la récolte des olives. Bien sûr, depuis notre arrivée sur les rives méditerranéennes, nous parcourons souvent d'immenses oliveraies qui donnent aux paysages de beaux reflets verts argentés. L'oncle d'Erol nous avait expliqué qu'il fallait trois mois environ pour effectuer la récolte et nous comprenons pourquoi : tout se fait à la main. Par groupes de 10 ou en famille, on arrive en voiture ou en tracteur les femmes systématiquement à l'arrière avant de déployer de grandes bâches blanches au pieds des arbres pour ne pas perdre un fruit. S'ensuit alors un gaulage et ratissage méthodique de chaque branche pour en faire tomber les olives. On a même découvert l'outil spécialement dédié à cela : une fourche vibrante qui facilite la manoeuvre. La récolte plus précoce donnera les olives vertes puis quelques temps plus tard les olives devenues noires. Ensuite, les femmes prennent le relais. Après nettoyage, les olives sont fendues puis conservées dans de grands bocaux en plastique avec un mélange d'eau, de citron et de sel. Il suffit d'attendre quelques mois pour la dégustation.

Jour 258 - Lundi 17 octobre

Nous regagnons la côte à Küçükkuyu et le lendemain, lors d'une pause, nous apercevons deux marcheurs, chose rare dans ce pays. Nous nous saluons avec complicité et nous rendons vite compte qu'il s'agit d'autres pèlerins. Quel bonne surprise ! La discussion s'engage et nous échangeons nos expériences respectives avec beaucoup de joie : itinéraire, hébergement, rencontres, spiritualité, équipements... tout y passe !

Aurélie est française et Edu est espagnol. Ils sont partis de Jérusalem et marchent vers Saint Jacques de Compostelle. Nous partageons aussi biscuits et dattes que nous avons dans nos sacs. Le couple nous donne le contact d'un autre pèlerin : Alex qui nous a précédé jusqu'à Jérusalem. Grâce à ses conseils nous contournerons quelques jours plus tard une zone où lui s'est fait harcelé par des gens malintentionnés.

Nous parlons avec eux du «Jérusalem way». C'est une route de pèlerinage qui traverse l'Europe pour rejoindre la Terre Sainte. Nous apercevons régulièrement le balisage blanc et rouge de cet itinéraire depuis Amphipolis en Grèce. Si nous continuons à tracer notre propre route, nous sommes ravis de suivre de temps en temps ce chemin que bien d'autres avant nous ont emprunté.

Mireille, adorable pot de colle.

Dans l'agréable ville côtière de Küçükkuyu nous nous étonnons du contraste avec les ambiances de campagnes des derniers jours. Le mode de vie n'est pas si différent mais le décor change radicalement. Ici les immeubles remplacent les maisons. Bien alignés et entourés de jardins proprets le long de grandes promenades de bords de mer reflétant un niveau de vie plus élevé. Mais toujours ces mêmes chiens errants peut être un peu moins faméliques. L'un d'eux se prend d'affection pour nous. Nous n'avons pas su chasser ce bon labrador noir demandant nos caresses (et notre nourriture !). Rebaptisée Mireille par Jean-Baptiste censé avoir horreur des chiens, nous nous retrouvons avec cet affectueux problème sur les bras. Les villes s'enchaînent et Mireille nous suit fidèlement. Catastrophe, elle nous attire en plus les attaques des autres chiens défendant leur quartier. Nous ne savons plus que faire pour nous en débarrasser conscients qu'elle ne pourra nous accompagner indéfiniment. Nous avons tout essayé : la faire fuire, la mettre de l'autre côté d'un enclos, nous avions même pensé à l'attacher sur un lieu public mais rien n'y fait elle nous colle. La solution miracle est trouvée : à la prochaine ville un généreux vétérinaire accepte de la garder le temps qu'on s'éloigne. Cette compagnie à quatre pattes nous manquera !

Reboostés par la rencontre avec Erol, les demandes d'hospitalité se succèdent entre chaque journée de marche dans le golfe d'Edremit.

Dans sa dégaine de jardinier en short, tongs et tuyau d'arrosage à la main, rien ne laisse imaginer qu'Ismaël est officier militaire. Dans sa maison de vacances, il nous offre de quoi nous restaurer et nous initie à l'égrenage des grenades. Un militaire spécialiste des grenades ! Ismaël nous recommande la visite d'un villa romaine située non loin de là. Mosaïques, canalisations, bains, fresques, tout y est avec vue sur la mer. Les riches propriétaires romains savaient choisir leur emplacement.

Le soir suivant, dans un village balnéaire, déserté par les vacanciers, nous demandons si nous pouvons planter notre tente en sécurité sur le square qui borde la plage. Curieux comme nombre de ses compatriotes Gemil, intègre la discussion que nous avons initié auprès des habitants. Il ne lui aura pas fallu longtemps avant de revenir vers nous pour nous proposer de loger dans un appartement qu'il loue habituellement. Comme de coutume, notre hôte nous apporte un généreux dîner. Une bonne nuit de sommeil, un çay au petit déjeuner et c'est reparti.

On continue plein sud en longeant les plages vides et les villages quasi déserts. Ce soir, rebelote, le gérant de l'épicerie (Market) et le gérant du bar nous trouvent une chambre tout confort au dessus du café. Mieux qu'un hôtel car en prime nous faisions de belles rencontres. Ces hommes qui sont continuellement en contact avec les autres sont très souvent disposés à nous aider. Et la tente reste confinée au fond du sac !

En quittant la côte pour contourner la zone déconseillée par Alex, nous débouchons sur une vallée perdue où seules les abeilles viennent boire au mince filet d'eau laissé par un immense barrage. En aval, le village de Bahçeli sera notre point de chute pour la nuit. Nous tentons encore une fois le "deux en un" au market : courses du soir et demande d'accueil. Ça ne manque pas ! Ercan nous ouvre les portes de sa maison pour nous offrir une soirée inoubliable. Après nous avoir montré ses trésors archéologiques qu'il exhume sans scrupule avec son détecteur de métaux, nous revêtons des tenues traditionnelles décorées au crochet par sa femme. L'émerveillement de Marie pour la dextérité d'Ayça lui vaudra un beau cadeau : un foulard brodé des mains de la jeune femme.

Le ridicule ne tue pas !

Nous poursuivons notre route en alternant entre terre et mer. Mais la durée des jours raccourcissant, nous sommes parfois surpris par la tombée de la nuit qui rend la demande d'hospitalité plus complexe pour la simple et bonne raison que les gens sont à l'intérieur de leur habitation. Dès que le soleil se couche, l'air frais de la soirée ne tarde pas à nous saisir.

Ce soir, nous tentons de fuire l'impressionnante ville d'Aliağa où règne une odeur de mazout due aux raffineries portuaires qui de nuit ressemblent à une métropole dystopique illuminée. Nous campons dans une petite forêt sur ce qui semble être une ancienne décharge. Mais ce lieu a le mérite de nous isoler de l'agitation urbaine et nous troquons les lampadaires de la ville contre le ciel étoilé.

Cette journée nous réserve une surprise : alors que nous dépassons une petite ville triste et salle, un homme occupé à couper du bois s'interrompt brusquement pour nous saluer. Il paraît particulièrement heureux de nous voir et nous comprenons par ses gestes qu'il nous a aperçu lorsque nous marchions vers Çanakkale. Nous n'en revenons pas de cette coïncidence. Nous sommes émus : sa maison le long de la route ressemble à une cabane faite de bric et de broc. Lui et sa femme y vivent pauvrement au milieu des poules mais cela ne les empêche pas de nous accueillir pour le thé. Leurs bons sourires resteront un souvenir fort pour nous.

Aliağa n'était que le début, nous entamons une marche pénible le long des routes dans une grande vallée aride et industrielle où tout semble disparaître sous un brouillard jaunâtre de pollution.

Pour couronner le tout, nous nous faisons une fois de plus surprendre par la nuit à l'entrée de la ville de Menemen. Une ambiance de fête règne dans les rues mais pour nous qui sommes fatigués, cela accentue le stress de ne pas avoir de logement. Des gens nous abordent rigolant de nous voir marcher. Malgré tout, nous n'avons pas le choix, nous demandons à droite à gauche l'hospitalité jusqu'à un café où Mulsum fait office d'ange gardien. Contrairement aux autres il a immédiatement compris notre demande et nous emmène dans un local. Les drapeau, le grand bureau ainsi que ses explications nous font comprendre qu'il s'agit du local de son parti politique. La grande vitrine nous laisse peu d'intimité mais qu'importe, nous nous y sentons en sécurité. Le lendemain, autour d'un thé qu'il nous offre, nous échangeons et apprenons que nous nous trouvons dans le quartier gitan de la ville. Un ancêtre de Mulsum était venu d'Inde pour s'installer ici. Nous pouvons ajouter cet accueil à la liste des logements improbables de notre voyage !

Jour 265 - Lundi 24 octobre

Depuis ce matin nous progressons péniblement dans la banlieue d'Izmir qui n'en finit pas. Évidemment, les grands axes routiers, les zones commerciales mais aussi les résidences privées derrières leurs clôtures parsèment notre chemin et nous obligent à faire quelques fois des détours. Mais il faut bien tout cela pour la troisième ville du pays et ses 4 millions d'habitants. Pas de scrupule, ce soir nous avons réservé un logement. Aujourd'hui, c'est jour de fête !

Le lendemain nous arrivons dans le centre mais la préoccupation de notre hébergement nous contraint à reporter la découverte de Smyrne, nom de la ville antique. Nous avions repéré quantité d'églises dans lesquelles nous comptions aller mais pas de chance, elles sont toutes fermées. Leur présence s'explique par l'influence de l'Empire romain d'Orient, mais aussi par l'occupation grecque de la ville au lendemain de la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, la présence des chrétiens orthodoxes et catholiques est toujours forte. Il y a même une paroisse française vers laquelle nous nous dirigeons. Enfin, cette église semble ouverte mais au lieu d'un prêtre nous trouvons des ouvriers qui retapent les locaux paroissiaux. Ces derniers nous renvoient vers l'épicier du coin sans que l'on comprenne pourquoi. De fil en aiguille, nous sommes pris en charge par Jimmy, un paroissien. Visiblement ici tout le monde se connaît. Grâce à lui, nous contactons le curé, prêtre français avec lequel nous échangeons sur sa mission et la communauté chrétienne en Turquie. Le père Gabriel nous renvoie à son tour vers une famille française qui accepte de nous accueillir pour la nuit. Expatriés, Xavier, Aliénore et leurs 5 filles, nous hébergent dans leur belle maison. Autour d'un bon repas nous discutons de la vie en Turquie et en apprenons un peu plus sur l'histoire de cette ville. Étrange sensation que d'être replongés soudainement dans des discussions bien françaises.

Demain nous prendrons le temps de découvrir le centre par nous même armés de nos carnets de dessins. De la place Konak à l'agora romaine de Smyrne en passant par le bazar Kemeraltı et l'église Saint Polycarpe (encore fermée), nous sommes marqués par la diversité historique et religieuse d'Izmir.

Autre élément que nous percevons depuis notre arrivée c'est le contraste entre les villes et les villages. Si les zones rurales nous semblent encore très ancrées dans la tradition (mode de vie, tenues vestimentaires, petite agriculture paysanne...), les villes quant à elles (de l'Ouest tout au moins) tendent fortement vers la modernité et la culture occidentale. À plusieurs reprises les gens nous expliquent que la partie ouest du pays "regarde vers l'Europe".

Une après-midi n'a pas suffit pour sortir de la ville tentaculaire. Sans autre solution, nous nous rabattons sur un hôtel. Enfin, le lendemain en quittant la côte, nous retrouvons la campagne où il est bien plus agréable de marcher. Nous savons désormais comment procéder : aux alentours de 17h30 avant que la nuit ne tombe, nous nous arrêtons au village le plus proche, faisons quelques courses puis allons vers le café pour demander l'hospitalité. Après les allers-retours habituels des hommes qui curieux viennent discuter avec nous, ce soir là, l'un d'eux Ali nous propose de venir chez lui. Sa maison simple mais confortable sert encore de maison familiale. Ses filles de nos âges n'ont pas les moyens d'avoir leur propre logement. Après une première collation en attendant que sa femme rentre, on nous installe dans le salon où la télé reste perpétuellement allumée bien que personne ne la regarde mais c'est un incontournable ici. Vient le repas, délicieux ! Nous en profitons pour échanger avec l'une de leur fille qui a l'âge de Marie. Naïvement, nous lui disons que nous serions heureux de l'accueillir si elle veut venir en France. Mais nous comprenons bien vite que la situation économique actuelle en Turquie ne leur permet pas de voyager. Nous réalisons bien souvent la chance que nous avons d'avoir les moyens et la liberté de voyager durant un an.

Souvent, et c'est particulièrement le cas en Turquie, les gens nous demandent nos contacts Facebook ou Instagram. Ici non plus, les réseaux sociaux ne sont pas uniquement l'affaire des jeunes et des citadins. Nous devons leur expliquer que nous n'avons pas de comptes Facebook ou autres. Mais qu'à cela ne tienne, la plus jeune fille d'Ali ne s'empêche pas de poster une vidéo de nous tous sur "son Insta" !

Jour 270 - Samedi 29 octobre

Une nuit sous tente plus tard, nous voilà enfin aux portes d'Ephèse. Le père Gabriel a une fois de plus fait jouer ses contacts. C'est un vrai cadeau pour nous : nous sachant accueillis, nous avons la journée devant nous pour visiter ce site que Saint Paul a parcouru. En suivant l'itinéraire proposé par maps.me (l'application que nous utilisons pour nous guider), nous avons la surprise d'accéder au site par un sentier au creux des petites montagnes qui l'entourent. Arrivés au col, nous découvrons soudainement la belle plaine au fond de laquelle surgit le théâtre antique monumental. Adossé à une montagne l'emplacement de cet ancien port est idéal. Nous profitons le temps du déjeuné de ce panorama qui s'offre à nous seuls.

Nous avons bien fait car en arrivant à la billetterie, nous découvrons une longue file d'attente au milieu de nombreuses échoppes d'attrapes-touristes. Nous sommes mals tombés c'est le week-end de la fête nationale.

Malgré le bain de foule, les vestiges valent le détour : on a réellement l'impression de se promener dans une ville ancienne. Nous imaginons sans peine le faste de celle-ci : rues pavées de marbre, agora aux multiples colonnes, fontaines immenses... la vie devait être bien agréable dans la cité d'Ephesus. Nous sommes particulièrement marqués par l'impressionnante voie Arcadian bordée d'une colonnade qui du théâtre s'avance rectiligne en direction de la mer dont il ne reste qu'un marécage. Toute blanche sous le beau soleil elle suscite notre émerveillement. Cette cité issue comme tant d'autres des civilisations grecque, romaine puis byzantine était connue notamment pour sa bibliothèque dont il ne subsiste que l'élégante façade. La ville périclita lorsque l'accès direct à la mer qui faisait sa richesse s'ensabla la reléguant au fond de cette zone marécageuse.

En fin de journée, nous débarquons dans l'appartement de Selma, Ali et Harmonie et faisons la connaissance de cette famille turque. Avec tous les petits gestes d'accueil nous avons l'impression d'être des invités de marque. Nous questionnons Ali et Harmonie sur leur foi dans ce pays où les chrétiens sont ultra minoritaires.

Selma nous parle des livres qu'elle a écrit et nous en offre même deux exemplaires, en turc bien sûr. L'un deux évoque la ville de Laodicée, une des sept églises de l'Apocalypse qui semble être un lieu cher à la famille. Dans le salon, nos amis insistent pour que nous entonnions quelques chansons françaises. Nous nous prêtons au jeu mais heureusement la guitare de Selma couvrira les fausses notes !

Le lendemain qu'elle ne fut pas notre surprise en apprenant qu'ils prévoient d'aller à la messe célébrée ce dimanche à Selçuk. Notre première célébration depuis Thessalonique ! Dans le paisible quartiers historique, devant ce qui ressemble plus à une maison qu'à une église, nous sommes accueilli par Jerry le prêtre missionnaire venu d'Inde. En effet, le lieu de culte est joliment aménagé dans une petite pièce où nous grossissons à nous cinq les effectifs. En tout une quinzaine de fidèles pour qui il n'était pas question de manquer ce temps de prière. Très vivante, cette petite communauté turque nous fait imaginer ce que pouvait être les premières communauté chrétienne de l'antiquité. Après la messe vient le temps du catéchisme pour les enfants pendant que les plus grands se retrouvent en partageant thé et gâteaux dans le charmant petit jardin qui jouxte la maisonnette. Ce tableau ressemble à une joyeuse réunion de famille.

Le père Jerry a bien eu raison de nous inciter à visiter les vestiges de la basilique Saint Jean. Son positionnement en hauteur sur la colline d'Ayasoluk en fait un lieu majestueux. Les ruines de l'ancienne basilique se dressent et cadrent par ses colonnes et ses portes des bouts de paysages. La forteresses campée sur le sommet domine elle aussi toute la vallée protégée par son écrin montagneux.

La tradition chrétienne atteste que l'église primitive a été édifiée sur la tombe de Saint Jean. Fuyant les répressions contre les chrétiens en Palestine, il rejoint Ephèse avec Marie, la mère du Christ. Des fouilles archéologiques confirment la datation de la chambre funéraire de l'apôtre.

Et le clou de notre passage éphésien sera la maison de Marie. En haut d'une montagne dominant la ville de Selçuk, nous visitons ce lieu qui serait l'endroit où la Sainte Vierge aurait fini ses jours. Malgré les nombreux touristes, la petite chapelle est simple et belle. Éphèse aura été un étape spirituelle particulièrement marquante dans notre pèlerinage.

Nous trouvons un chemin qui nous permet de poursuivre notre marche dans le calme au coeur des montagnes achevant paisiblement cette belle journée.

KM
4347
KM
4347

Jour 195 - Lundi 15 août

Quelle joie, deux amies ont prévu de nous rejoindre. Place à l'organisation : il faut se coordonner pour arriver au même endroit au même moment. Cependant, on se rend compte après coup que notre estimation n'est pas bonne. Alors que faire pour occuper les dix jours de rab qui sont devant nous ? Au lieu de tracer notre itinéraire en ligne droite, nous suivons donc la péninsule d'Halkidiki, la Chalcidique, qui conduit aux plages tant appréciées par les thessalonissiens. Une longue promenade de bord de mer nous éloigne petit à petit de Thessalonique, ville hétéroclite que nous avons tant appréciée.

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Bien reposés, nous reprenons le mode du pèlerinage : marche et demande d'hospitalité. La première maison du village nous paraît bien trop soignée pour accepter d'héberger les deux marcheurs que nous sommes. Nos hôtes acceptent cependant que nous plantions notre tente sur leur pelouse impeccable. Ce nouvel accueil ne déroge pas au principe que nous avions déjà observé en Grèce. Aphrodite, la maman est aux petits soins. Après un délicieux repas, elle nous installe finalement dans une chambre. Ce soir, c'est la fête, pas besoin de déplier la tente.

Accepter d'accueillir de parfaits inconnus nécessite une certaine disposition du cœur. Ainsi, certains soirs, il nous faut persévérer jusqu'à trouver la bonne personne. Ici, on sent la générosité chez tous les membres de la famille.

Nous voilà sur la côte. Au lieu des ambiances paradisiaques aux petites maisons bleues et blanches que nous imaginions, nous arrivons au bord de grandes plages sans charme bordées de maisons en béton occupées par des vacanciers grecs, roumains, bulgares et ukrainiens. Deuxième déconvenue, nous enchaînons les échecs quand il s'agit de demander l'hospitalité. Est-ce le fait des vacances ? Quoiqu'il en soit, on nous renvoit à chaque fois en nous conseillant de planter la tente sur la plage. Ce soir là, nous nous réfugions dépités sous la tente entre deux rangées de vignes avant que l'averse arrive. Il semblerait que le contexte estivale de bord de mer soit moins propice à l'accueil.

Nous nous adaptons à une nouvelle formule détente à base de nuits sous tente, de douches de plage et de rafraîchissants cafés frappés aux terrasses des bars. Nous en profitons pour faire quelques croquis et recharger les téléphones. Le café frappé, boisson nationale, devient le breuvage du moment.

Ce rythme ralenti et la raréfaction des rencontres nous éloigne de ce qui donne habituellement du sens à notre pèlerinage. Néanmoins, les quelques rencontres que nous faisons prennent alors une valeur plus forte. Comme Orpheos, ce jeune homme qui passe son été à travailler. Il nous confie ses grands rêves professionnels en nous offrant de délicieuses gaufres.

Halkidiki est surtout connue pour ses trois péninsules dont la dernière occupée par les monastères du Mont Athos est fameuse. Nous ne nous y rendons pas puisque le territoire est uniquement réservé aux hommes. Nous nous contenterons donc de la vue de cette montagne où vivent coupés du monde 2000 moines orthodoxes.

Jour 202 - Lundi 22 août

En remontant la péninsule par de basses montagnes, nous sommes soudainement envahis par des nuées de moucherons nous obligeant à agiter sans relâche branchages ou foulards.

Ce soir là, à la sortie d'un village, un homme nous fait de grandes salutations depuis son balcon. Trouvant cela bien sympathique, nous lui répondons. Nous comprenons plus tard qu'il avait confondu Jean-Baptiste avec un ami à lui. Peu importe, nous saisissons l'occasion pour demander l'hospitalité. Nous apprenons à le connaître autour d'un repas que nous partageons avec lui et son amie. Nous découvrons avec étonnement qu'il travaille ainsi que tous les autres hommes du village dans une mine d'or exploitée depuis l'Antiquité sous Alexandre le Grand.

Enfin la grande route linéaire que nous suivions entame un virage vers l'intérieur des terres. Soudain à un carrefour se dresse devant nous l'imposant lion en pierre qui semble nous indiquer le chemin vers le site archéologique d'Amphipolis. C'est un beau cadeau sur notre itinéraire : sans faire de détour nous pouvons visiter l'ancienne cité antique. Cela nous console d'avoir dû renoncer aux splendeurs du sud de la Grèce.

Peu de temps après, un peu essoufflés d'avoir gravis la côte, nous arrivons devant les grilles protégeant le site. Pas d'autres visiteurs à l'horizon. Le gardien vient vers nous et commence spontanément à nous expliquer l'histoire de ce lieu. Finalement, il nous emmène au quatres coins du site, nous ouvrant même les portes fermées pour nous offrir une véritable visite guidée. La chance nous a souri car nous découvrons qu'il est passionné par ce site qu'il protège.

Le cadre est grandiose : sur un plateau, nous dominons les alentours. A l'ouest, la vallée du Strymon qui se jette au loin dans la mer. Au nord, une grande plaine entourée par de petites montagnes et enfin à l'est une imposante barrière rocheuse d'où étaient extraits les minérais précieux, avantage stratégique convoité dès l'Antiquité. Nous imaginons facilement la richesse de cette cité fondée par les Athéniens en 437 av. J.-C. et conquise tour à tour par les Spartiates, Philippe II de Macédoine puis les Romains en 168 av. J.-C avant de devenir une ville chrétienne sous l'ère byzantine et d'être finalement abandonnée suite aux invasions barbares des IVème et VIème siècles. Les ruines sont parlantes : agora, basiliques aux belles mosaïques, gymnase, habitations aux fresques conservées depuis des siècles... Marie n'en crois pas ses yeux !

Les archéologues présents sur le site prouvent qu'il reste encore bien du travail avant d'en révéler toute la richesse. On distingue même au loin ce qui semble être une colline bien lisse au niveau d'un col. Découverte majeure en 2014, il s'agit d'un tombeau monumental recouvert par un tertre qui aurait peut-être été destiné à un dignitaire macédonien ou à un membre de la famille royale d'Alexandre le Grand. Loin d'Athènes et des foules de touristes, nous avons le privilège de découvrir ces vestiges magnifiques.

Nous mettons l'après midi à profit pour rejoindre le prochain village. Cette journée nous réserve encore une belle surprise : alors que nous nous installons tranquillement dans un restaurant de pide (kebab grec) en plein milieu du village, trois musiciens entament une mélodie au rythme des instruments traditionnels. Seuls étrangers au milieu de cette fête nous nous contentons d'observer heureux de découvrir les ambiances de ces villages si vivants.

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Après la chaleur de la journée, nous dégustons en cette fin d'après-midi, comme à notre nouvelle habitude, un bon café frappé. Nous entamons alors la discussion avec George un garçon de 12 ans qui ne cessait de nous regarder avec curiosité. Il parle parfaitement anglais chose rare ici. Après lui avoir expliqué notre périple nous en profitons pour lui demander où nous pourrions dormir. Tout heureux de nous aider, il nous emmène suivit de sa bande d'amis au stade qui domine le village. Nous nous retrouvons entourés de ces enfants à jouer les animateurs en leur expliquant comment monter notre tente. Le cortège joyeux nous suit et chacun cherche à nous aider pour trouver un endroit où manger. Nous sommes touchés par la spontanéité de ces enfants qui démontre que la générosité n'est pas seulement l'apanage des adultes !

Nous apprenons qu'il y a un monastère dans les montagnes, lieu de pèlerinage où nous pouvons apparemment demander l'hospitalité. Cela nécessite un détour et une bonne montée mais nous ne voulons pas rater cette occasion d'en apprendre plus sur les orthodoxes. Nous découvrons un lieu où défilent en continu des personnes de tous âges. Marqué par les incursions violentes de l'armée bulgare à deux reprises, il faut pénétrer dans l'enceinte du monastère pour en découvrir la beauté. L'église au centre d'une grande cour arbore de belles fresques protégées par une arcade périphérique tandis que l'intérieur est plongé dans la pénombre mystérieuse. Autour, les bâtiments blancs aux allures médiévales complète le décors où les religieuses tout de noir vêtues ne dénotent pas. Seuls éléments modernes : leurs baskets à la dernière mode qui dépassent de leur robes !

Après un temps de concertation, elles acceptent de nous accueillir pour la nuit et les repas. Quelques instants plus tard, nous nous retrouvons attablés aux côtés de quelques bénévoles qui aident les religieuses. Un couple âgé et deux sœurs entament volontiers la conversation avec nous. Nous sommes bouleversés quand nous apprenons que les premiers ont perdus un fils et les secondes leur grande sœur. Maria et Paraskevi parlent un bon anglais ce qui nous permet d'approfondir les échanges. Toute deux policières elles nous touchent par leur gentillesse et leur joie de vivre malgré l'épreuve qu'elles ont vécu. Coïncidence, elles habitent non loin du site de Philippi que nous comptons visiter prochainement. Nous échangeons nos numéros et nous donnons rendez-vous pour un café. Ce ne seront pas les religieuses avec lesquelles nous auront le plus échangé mais leur accueil nous a offert l'opportunité de ces belles rencontres !

Jour 209 - Lundi 29 août

L'étape de Thessalonique marquait déjà pour nous le premier jalon d'une route sur les traces de Saint Paul. Nous en avions profité pour lire l'épître que l'apôtre avait adressé à la communauté hellénistique. Nous voilà désormais sur une des nombreuses routes qu'il a emprunté pour répandre la foi chrétienne dans le bassin méditerranéen. Aujourd'hui nous arrivons à Philippi, cité fondée par le père d'Alexandre le Grand et qui porte son nom. Selon les écritures, c'est dans cette ville que l'apôtre a été emprisonné quelques temps avec un compagnon de route. Avant cela, il rencontre Sainte Lidye qui sera la première femme européenne à être baptisée.

Dans notre chemin de pèlerin, cette étape revêt un sens particulier. Nous, chrétiens français qui avançons vers Jérusalem, comme un retour à la source de notre foi, croisons de manière imprévue le chemin d'évangélisation de Saint Paul mais en sens inverse !

Le site archéologique de la cité antique est impressionnant par son envergure et ses vestiges. Du théâtre grec puis romain aux nombreuses basiliques tapissées d'incroyables mosaïques, en passant par le forum, nous parcourons ce lieu qui mérite bien quelques croquis ! Les ouvriers rebâtissant les ruines et l'étonnante préservation des vestiges nourrissent les jours suivants nos discussions quant aux différentes politiques de restauration du patrimoine.

Après la culture, place aux retrouvailles avec Maria et Paraskevi. De bons échanges s'ensuivent sur nos pays respectifs, sur leurs professions dans les centres de migrants et enfin sur nos manières de vivre notre foi. Durant plusieurs semaines nous avons observé la pratique et les rituels orthodoxes et malgré les apparentes différences entre nos deux confessions chrétiennes, nous réalisons à quel point notre foi intérieure et nos prières sont proches. Ce soir là, sur ce lieu chargée d'histoire, nous aurons expérimenté, à notre modeste mesure, l'unité des chrétiens.

La via Egnatia qui traverse les Balkans de l'Albanie à Byzance depuis le deuxième siècle avant notre ère reliait Amphipolis à Philippi et nous conduit désormais vers Kavala, anciennement Néapolis. A l'entrée de la ville, l'étonnante préservation du dallage romain nous fait voyager dans le temps. Nous mettons, à notre tour, nos pas dans ceux des marchands, des armées et des pèlerins qui, à travers les siècles, ont empruntés cette route qui mène vers l'Orient.

Nous retrouvons le jeune Georges qui habite ici. Tout fier, il nous présente à ses amis du quartier. Nous parcourons avec eux les ruelles et les parkings qui constituent leur terrain de jeux. Ils nous montrent aussi avec malice les vieilles dames qui ont l'habitude de les réprimander quand ils font trop de bruit.

La ville semble engloutie par les quartiers résidentiels qui dévalent des montagnes. Heureusement, le centre historique, accroché à sa colline, est protégé par son épaisse forteresse. Les anciennes habitations plus libres dans leurs couleurs, leurs formes et leurs implantations composent cependant un ensemble harmonieux et pittoresque. En quittant Kavala, nos yeux se lèvent pour admirer l'impressionnant aqueduc qui enjambe une bonne partie de la ville.

Jour 214 - Samedi 3 septembre

Nous reprenons la marche plein est sur une route linéaire et ennuyeuse, les montagnes à notre gauche et la mer à droite que nous distinguons à peine tellement le paysage est plat. Nous empruntons de grandes routes où s'alternent les villages sans charme dans lesquels nous pouvons néanmoins trouver facilement repos et nourriture. Il suffit souvent que nous nous arrêtions le temps d'une pause sur la place du village pour qu'un habitant vienne vers nous les bras chargés des produits de son jardin : raisins, melons, tomates... nos sacs s'alourdissent mais ces gestes spontanés nous touchent particulièrement.

Un soir, après avoir planté notre tente dans le parc public sur les conseils des villageois, nous nous attablons au café le plus proche pour dîner. Notre présence intrigue et nous sympathisons vite avec les deux gérantes. Après plusieurs années de travail en Allemagne, elles sont rentrées pour retrouver leur pays et ouvrir ce bar comme elles en rêvaient. Nombreux sont les grecs qui cherchent un avenir meilleur dans l'Ouest. Stupéfaites en apprenant que nous comptons dormir sous tente, elles nous proposent de leur plein gré, un appartement en travaux. Même s'il faut replier la tente, nous sommes trop heureux d'accepter cette généreuse proposition.

Ces jours-ci, nous notons avec surprise la présence de minarets dans le décor rural alors que nous étions habitués à ne voir que les dômes des églises orthodoxes. Pourquoi ce changement si soudain ?

Les nuits suivantes nous réservent aussi de belles surprises. À l'entrée d'un village, Georges et sa mère Maria nous ouvrent spontanément leur porte pour la nuit. Dans le potager minuscule mais abondant, George cueille pour nous tous les légumes qu'il peut trouver et va même jusqu'à nous offrir des graines de basilic à replanter en France !

Le lendemain, bien reposés, nous reprenons la route d'un bon pas quand un homme nous aborde dans un anglais impeccable. Quelques instants plus tard, nous nous retrouvons à papoter dans le jardin de cet ancien soldat américain marié à une grecque. Dans ces moments là, on apprend à abandonner les objectifs de progression pour faire primer la rencontre.

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La route amorce une longue descente nous offrant soudainement un magnifique panorama. Entre mer infinie et montagnes majestueuses, une grande plaine marécageuse s'étend à nos pieds. Nous empruntons la voie étroite qui, telle une digue, sépare les eaux. La lumière de fin de journée révèle la profondeur des couleurs, les nuances ocres des herbes sauvages et les reflets bleutés de l'eau. Les mouvements gracieux des flamands roses complètent ce tableau.

Plus loin, nous avons repéré un monastère où nous comptons demander l'hospitalité forts de notre dernière expérience. Le lieu est féerique : relié à la terre par une passerelle, le monastère semble flotter sur l'eau. Nos shorts de pèlerins ne passent pas le contrôle d'entrée. Il faut se rhabiller. Cela tombe bien, les moustiques arrivent !

Au bout de la passerelle, se dressent les bâtiments miniatures entourés de jolis jardins. Les moines s'affairent : l'un jardine, l'autre tient la caisse de la boutique, un autre encore sonne la cloche tandis que le dernier propose les traditionnels loukoums aux visiteurs. Sur un autre îlot, une chapelle abritant une icône miraculeuse cache dans sa pénombre de belles fresques représentant des popes aux grandes barbes solennelles. Malheureusement, nous devons nous contenter d'admirer ce sanctuaire paisible et enchanteur car les moines ne peuvent pas nous y accueillir. Plan B : nous déployons la tente.

Après ce paysage exceptionnel, nous retrouvons la monotonie de la rase campagne que vient égayer la découverte des cultures locales et des scènes de vie rurales.

Derrières les champs de coton et de tabac, nous retrouvons la mer et longeons une côte sauvage où s'alternent falaises aux tons rouges, vestiges archéologiques et oliveraies qui descendent en pentes douces vers de petites plages cachées. La route chaotique nous préserve du flot des voitures nous laissant le privilège d'explorer en silence ce lieu préservé.

Ce chemin débouche finalement sur une longue plage bordée de bungalows où s'attardent encore quelques vacanciers. L'un d'eux Christos nous hèle. L'après-midi de marche est loin d'être terminé et, alors que nous pensions poursuivre, il insiste pour nous accueillir. Un panneau accroché au grillage incite clairement le visiteur à s'arrêter, pas question de refuser ! En baraguouinant dans toutes les langues, Christos nous fait comprendre qu'il passe ici l'été à profiter du bord de mer et de la pêche avant de retourner en ville passer l'hiver. Nous découvrons curieux son mode de vie, l'aidons à trier sa récolte de coing avant de finir la soirée en dégustant une soupe de poisson qu'il a soigneusement préparé pour nous.

Le lendemain, nous enchainons avec une nouvelle rencontre inattendue : sur le bord de la route nous voyons trois camping-car immatriculés en France. L'occasion est trop belle, nous saluons les propriétaires qui nous invitent généreusement à boire un café. Quelle joie de pouvoir échanger en français sur nos pérégrinations respectives. Trois camping-car pour trois frère et leurs femmes qui rentrent d'un long périple sur la route de la soie qui les a mené jusqu'en Iran. Habitués des voyages, ils mettent à profit leur retraite pour réaliser ce rêve ; un exemple inspirant !

Jour 221 - Samedi 10 septembre

Enfin, nous atteignons Alexandroupoli dernière grande ville avant la frontière qui marque une étape pour nous. Mais la nuit tombe et il nous faut trouver un endroit où dormir. La plage n'est pas loin, nous tentons notre chance auprès d'un . Isaïe le gérant, fait preuve d'une grande générosité : il nous fait profiter des énormes matelas de transats et d'un repas. Nous ne pensions pas si bien nous en sortir dans ce contexte citadin. Le spectacle de la lune se reflétant sur le rivage de la mer Egée achève en beauté la soirée.

Une double déception nous attend à Alexandroupoli : premièrement la ville que nous pensions prendre le temps de visiter est sans intérêt (sauf son phare ) et deuxièmement, nous y avions repéré une église catholique que nous trouvons fermée. Dépités nous appelons tout de même le numéro indiqué mais qu'elle n'est pas notre surprise quand nous retombons sur un prêtre de la communauté lazariste de Thessalonique. Il nous explique alors qu'il n'y a quasiment aucun catholique ici ce qui explique le porte close et les messes épisodiques.

Nous nous rabattons sur un petit hôtel. Nous en profitons pour faire le compte. Il nous reste cinq jours avant le 15 où un vol nous ramène pour la seconde fois en France afin d'assister au mariage de proches amis. Nous imaginons mal nous tourner les pouces à Alexandroupolis alors nous décidons de mettre à profit ce temps pour marcher jusqu'à la frontière, ainsi, nous finirons la partie grecque du voyage.

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Nous rapprocher de la frontière soulève quelques peurs : les infos parlent des tensions entre la Grèce et la Turquie, des afflux de migrants... Nous ne savons pas à quoi nous attendre craignant d'être confrontés à ces réalités difficiles. Finalement, la route est paisible. Une seule fois, alors que nous marchons sur un chemin de campagne, deux jeunes hommes descendent de la ferme en surplomb armés d'une hache et nous interpellent en demandant : «Pakistan ?» Ils nous prennent visiblement pour des migrants. Ceux-ci ne sont clairement pas les bienvenus. Nous réalisons à quel point nous sommes privilégiés de pouvoir traverser les frontières sans problème, d'avoir eu le choix de marcher et que ce ne soit pas une obligation.

Les trois derniers jours de marche restent paisibles pour nous. Nous avons même la chance de faire de belles rencontres : le premier soir, nous demandons l'hospitalité dans un petit village pensant planter la tente mais Maria une habitante nous ouvre la salle des fêtes et nous apporte de la nourriture. C'est idéal, nous avons une salle pour nous seuls ! C'est l'occasion pour nous de rattraper dessins et articles en retard ! La pluie diluvienne qui se met à tomber en fin de soirée rend cet accueil d'autant plus providentiel.

Le jour suivant, nous arrivons sur les coups de midi dans le centre de Feres, une ville charmante. Nous nous installons à la terrasse d'un petit restaurant pour déjeuner. Quelques instant plus tard, un jeune homme s'approche de nous et nous salue en français. Incroyable, il a grandit en Belgique mais passe ses vacances en Grèce dans sa ville familiale à l'occasion de la commémoration de sa fondation. Grâce à lui, nous découvrons le nom des melons tête d'or qu'un homme nous a offert sur la route. Ensuite nous avons le droit à une explication historique : la présence des mosquées depuis la traversée du fleuve Mesta qui nous avait tant intrigués est dûe aux mélanges de population qui ont eus lieu suite au traité de Lausanne. En 1923 ce traité met fin aux génocides pontiques perpétrés par les ottomans contre les populations chrétiennes de Turquie. Dans ce contexte post première guerre mondiale, la seule solution consiste alors à déplacer les chrétiens orthodoxes turcs en Grèce et inversement les musulmans grecs en Turquie. Nous comprenons alors que le village où nous nous trouvons célèbre les 99 ans de sa fondation et Dimitri résume bien cette réalité en nous disant : «C'est la même population de part et d'autre de la frontière». D'ailleurs, George qui nous avait accueilli un peu plus tôt nous avait dit que sa famille était originaire de la région du Pont et qu'ils étaient venus là se réfugier suite aux persécutions.

Un jour plus tard, nous voilà arrivés devant le poste frontière apercevant au loin le drapeau rouge au croissant et à l'étoile. Nous en avons fini avec la partie grecque. Nous gardons la traversée de la frontière pour le dernier acte du pèlerinage. Demi-tour en stop cette fois-ci pour regagner l'aéroport et rentrer pour une deuxième parenthèse française.

Bilan grec :

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Jour 181 - Lundi 1er août

Huitième pays. Une fois de plus, le passage de la frontière à pied comporte un avantage : c'est le seul moment où nous pouvons doubler la file des voitures. Nos premiers pas en Grèce se font dans un paysage de basse montagne sans âme qui vive.

Alors que nous entrons dans un village, un troupeau nous barre la route. Les 5 molosses qui gardent les moutons nous font vite comprendre que nous sommes indésirables. Ils commencent par aboyer et bien vite ils se rapprochent en grognant et en montrant les crocs. Ne sachant pas comment réagir, nous tentons d'avancer mais l'un d'eux profite que nous ayons le dos tourné pour mordre le tapis de sol accroché au sac de Marie. Paniqués, nous sommes heureusement aidés par les vieux bergers qui nous escortent au bout de la route.

Nous apprenons vite à nous méfier des chiens de berger : toute trace de troupeau nous met en alerte. Armés d'un bâton et surveillant nos arrières nous nous défendons en sachant que l'aide des bergers est encore la meilleure solution.

Quelques kilomètres plus loin, une autre scène nous surprend. Une petite voiture s'arrête brusquement le long de la route. Plusieurs jeunes hommes en sortent précipitamment. À ce moment, le conducteur crie : «Go, go, fast !» tandis que les passagers s'éclipsent en courant dans la campagne. Interloqués, nous comprenons qu'il s'agit d'un passeur et d'immigrés clandestins qui tentent leur chance.

Pour clore cette entrée folklorique en territoire grec, nous bloquons notre unique carte bancaire par une mauvaise manipulation dans un distributeur. Nous pensons devoir nous résoudre à fonctionner sans argent quand le banquier nous informe qu'il faut commander une carte dans une banque partenaire inexistante en Grèce. Un petit coup de stress finalement résolut par une procédure à distance réactivant la dite carte sous 48h !

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Dès les premiers jours les rencontres que nous faisons nous enthousiasment et confirment une fois encore la valeur de l'hospitalité. S'il fallait en donner une particularité locale, nous dirions qu'ici elle se fait en crescendo. On commence en douceur, on se présente, on installe la tente dans le jardin de nos hôtes, on entame de bonnes discussions et pour finir on se retrouve à tous les coups à savourer les excellentes spécialités nationales. Voici quelques exemples représentatifs de ces délicieux accueils :

Jour 183 - Mercredi 3 août

Entre deux champs de maïs, un 4x4 s'arrête à notre hauteur et le conducteur nous interroge sur la raison de notre présence. Il nous met en garde contre les ours qui, à la nuit tombée, descendent des montagnes pour venir dévorer les épis. Suite à cela, il nous propose de nous accueillir chez lui, car nous y serons plus en sécurité. Arrivés, nous découvrons le cadre de vie de cette famille d'agriculteurs. Le contraste de niveau de vie est saisissant avec l'Albanie. Nous l'observons surtout à travers les tracteurs : ici modernes et dernier cri et en Albanie vieux et démodés. Pendant que le jeune Γιάννης (Yannis) nous montre avec fierté son incroyable collection de tracteurs miniatures, la maman quitte le potager et dresse une table rien que pour nous à côté de notre tente.

Au menu, délicieuse ratatouille, salade grecque et pour finir la soirée le maïs grillé du producteur. Avant d'aller dormir, Jean-Baptiste en bon fils d'agriculteur a l'honneur d'assister à un tour en 4x4 pour couper les départs d'irrigation des champs pendant que Marie et Yannis se prêtent à une séance de dessin.

Jour 184 - Jour 4 août

En rentrant dans le petit village de Galateia nous nous mettons à la recherche d'une épicerie afin de refaire nos stocks. Un vieux monsieur insiste pour que nous prenions un café avec lui. Installés à sa table, nous en profitons pour lui demander un lieu pour dormir. Tout d'abord il nous suggère le gymnase du village puis, siga-siga (petit à petit), il nous propose de dormir dans sa maison qui fait face au bar. Notre couchage assuré, nous profitons du reste de la soirée entourés des vieux habitués du café qui lancent une partie de carte. Le barman nous offre un dîner improvisé à base de féta, jambon et fruits de saison. Avant d'aller dormir, il nous donne la consigne de revenir demain matin avant notre départ afin de nous offrir encore un café.

Jour 185 - Vendredi 5 août

Ce soir, c'est dans le jardin de Virgina et son fils Sergio que nous avons trouvé refuge. Nous commençons par pousser la vieille voiture qui occupait le petit carré d'herbe qui nous est réservé. A peine la tente montée, de généreuses pita grecques entourées des légumes fraîchement cueillis du potager nous sont offerts. Les boîtes de thon et les sachets de pain de mie du fond du sac attendront bien un autre jour !

Souvent, des petits déjeuners viennent parfaire ces accueils. Ici, on sent qu'il n'est pas question de ne pas nourrir les deux marcheurs que nous sommes.

Nous découvrons les jours suivants les petits villages qui se succèdent. Ici, même dans des coins reculés, ils comportent toujours au moins un bar, lieux sacré où se réunissent les hommes autour d'un café frappé. En comparaison avec les villages que nous avons traversé en France, ceux-ci nous paraissent vivants et fourmillent de l'activité des habitants de tous âges sans aucune trace de touristes.

Les maisons de plein pied n'ont pas plus de caractère que dans les précédents pays des Balkans mais elles sont souvent entourées d'une terrasse périphérique et de jardins soignés qui leurs donnent un certain charme. Nous trouvons aussi à notre grand bonheur de petits parc où nous profitons souvent de l'ombre d'un kiosque en bois et de l'eau fraîche d'une fontaine.

Le nombre de chiens et chats errants nous surprend également. Faisant partie du décor, ils trouvent leur nourriture auprès d'une âme charitable ou dans les poubelles. A la nuit tombée, ils nous offrent souvent des concerts de hurlements qui troublent notre sommeil. Heureusement ils sont craintifs et pacifiques contrairement aux chiens de garde ou de berger !

Au rythme lent de la marche nous avons parfois la surprise de découvrir des paysages qui se distinguent par leur beauté et leur singularité. Ce matin là, à la sortie d'une petite vallée, les montagnes s'écartent soudain et laissent place à une vaste prairie à l'herbe rase toute en nuances ocres et vertes où paisse un troupeau. Un beau lac clos par un barrage nous offre une vue dégagée sur ce tableau enchanteur que nous immortalisons bien sûr en peinture.

Jour 187 - Dimanche 7 août

Nous redescendons progressivement et derrière nous les montagnes s'éloignent. Soulagement : nous ne craignons plus de rencontrer les féroces chiens de bergers à chaque tournant du chemin. Le terrain s'aplanit et laisse place à de grandes plaines couvertes des rangées alignées des nombreux vergers arrosés à grandes eaux. Jean-Baptiste est aux anges. Armé de son opinel, il s'arrête régulièrement pour ramasser ça et là pèches, poires ou pommes tombées des arbres. Nous dégustons parfois jusqu'à l'excès ces fruits providentiels.

Dans les petites villes en contrebas, nous assistons curieux au ballet des 4x4 qui enchaînent les allers-retours pour charger les cagettes de fruits récoltés à la main, en apporter des nouvelles et décharger le tout dans les entrepôts.

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Dans ces ambiances monotones nous voyons de loin arriver l'orage. Nous décidons de prendre notre courage à deux mains pour demander à dormir au sec dans la prochaine maison qui se présentera. Contre toute attente, nous avons beau demander presque chaque jour l'hospitalité, cela ne facilite en rien la démarche : nous devons toujours nous faire un peu violence pour oser le faire. Ici nous nous aidons d'un texte traduit en grec sur nos téléphones. Nous demandons habituellement à dormir sous tente dans le jardin. Mais ce soir là, les premières gouttes de pluie plaident en notre faveur et le couple retraité à qui nous demandons accepte après un temps d'hésitation de nous installer dans le salon.

Au début méfiants, nous sentons peu à peu la confiance s'installer au grès des échanges. Nous avons ainsi le droit à une bonne douche chaude et un bon repas. En tâtonnant dans un mélange d'anglais, d'allemand nous comprenons qu'un de leurs fils est mort d'un accident. Les larmes dans leurs yeux nous émeuvent et finissent de nous rapprocher. La tendresse et l'humour qui lie Dimita et Ephtimio nous touche particulièrement. Nous repartons revigoré après avoir soigneusement noté la recette des délicieuses pita au fromage que Dimita a cuisiné pour nous.

Jour 188 - Lundi 8 août

Ce soir là, on se met au défi de demander l'hospitalité dans l'église du village. La messe se termine dans la chapelle qui semble bien petite a côté du grand squelette en béton de la nouvelle église en construction. Andrea un paroissien nous autorise à planter notre tente dans le jardin attenant. Avec ses amis, ils nous préparent un bon café et nous apportent des pâtisseries.

Enfin, le pope orthodoxe arrive vers nous. La discussion s'engage. Il nous explique alors que la nouvelle église restera inachevée faute de moyen. Elle est loin d'être la seule dans ce cas. S'en suit un échange déroutant sur la question de la foi. Sotirios, le prêtre nous souhaite de trouver la Vérité par le baptême orthodoxe.

Ce premier échange avec un prêtre nous laisse songeur et nous donne envie de mieux comprendre cette autre confession chrétienne, en théorie proche de la nôtre mais bien différente dans la pratique.

La diversité religieuse n'est plus de mise : l'église orthodoxe clinquante ou modeste, trône au centre du village. En pénétrant dans la pénombre que seules illuminent les dorures des lustres, nous nous imprégnons des odeurs d'encens et de cierge qui donnent un sentiment de mystère et de sacré.

Curieusement, la religion est à la fois omniprésente dans le paysage où nous croisons régulièrement des petites chapelles dédiées à tel ou tel saint ou encore des églises miniatures abritant des icônes disposées le long des routes ou dans les jardins et pourtant, les églises nous paraissent bien dépeuplées. Espérant pouvoir participer aux messes dominicales (faute de messe catholique), nous sommes quelque peu désappointés quand nous découvrons que celles-ci durent 3 heures sans que l'assemblée ne participe tandis que le pope chante en continu en grec ancien.

Un dimanche, dormant près de l'église nous sommes ainsi réveillés aux aurores par la litanie des kyrie eleison que retransmet dans un désagréable grésillement un mégaphone. Nous n'avions pas imaginé que ce serait l'aspect le plus dépaysant pour nous dans ce pays.

Nous laissons la plaine agricole pour pénétrer dans la périphérie de Thessalonique, deuxième ville du pays. Quelques échangeurs autoroutiers plus loin, nous déjeunons dans une station service en compagnie du pompiste avant de poursuivre notre route dans les zones commerciales dépourvues de trottoirs.

Dans le centre ville, une cathédrale catholique nous attend mais nous n' imaginions pas que cette dernière, de taille plutôt modeste, se cacherait au creux d'un îlot d'immeubles la dépassant largement. Les portes du complexe paroissiale ne s'ouvriront qu'à l'heure de la messe ce qui nous laisse le temps de prendre un verre et de commencer la visite de la ville.

En entrant dans la crypte, Sœur Adriana, religieuse polonaise en vacances, nous aborde chaleureusement. A la fin de l'office, nous nous présentons aux prêtres. Le père Neftali nous demande dans quelle langue nous souhaitons échanger et quelle n'est pas notre surprise lorsqu'il continu la conversation dans un français impeccable. Ils nous expliquent que la paroisse est tenue par des prêtres lazaristes (Congrégation de la Mission fondée par St Vincent de Paul) formés en France. Nous sommes frappés par cette petite communauté qui réunit des prêtres des quatres coins du globe. Et la paroisse est elle aussi étonnante de diversité culturelle. Leur accueil pendant trois jours nous permet de nous reposer, de visiter cette ville étonnante et d'en apprendre un peu plus sur les relations entre orthodoxes et catholiques.

Le père Neftali se fait une joie de discuter longuement avec nous autour d'un repas sur le balcon de leur appartement qui domine une artère de la ville. Nous apprenons ainsi que la présence de catholique est tolérée et qu'ils doivent se faire discret. Mais nous constatons que cela n'empêche pas cette petite communauté d'être vivante.

Dévastée par un incendie en 1917, la ville a su néanmoins conserver d'incroyables vestiges romains, byzantins et ottomans. Nous explorons au fil des jours les quartiers tous différents les uns des autres. Sur plan quadrillé, le centre ville, impressionnant par l'envergure de ses immeubles est ponctué ici et là par d'incroyables vestiges antiques qui surgissent sans qu'on s'y attende au milieu des murs de béton. Nous flânons ensuite avec plaisir dans les anciens quartiers d'affaire au style art déco.

Et enfin, nous atteignons la vielle ville, perchée sur ses hauteurs et dominant la baie de Thessalonique. À l'inverse du centre, les petites ruelles sinueuses débouchent sur des belvédères ou des petits monastère cachés entre les maisons colorées. Ces dernières sont le plus souvent construites sur deux niveaux. A l'étage, les façades se déhanchent librement et s'avancent en porte à faux pour venir chercher la lumière et éventuellement une vue sur la mer.

Nous décidons de prolonger jusqu'au dimanche afin de profiter de notre dernière messe catholique dans le pays. Dans la cour intérieure qui sert de parvis, les rencontres se font facilement entre paroissiens et gens de passage. Un petit groupe cosmopolite se forme naturellement et accompagnés de Gabriel et Cecilia, de Josianne, de Flora, et de sœur Adriana nous décidons de prendre ensemble un café frappé avant de se dire au revoir. L'étape à Thessalonique s'achève ainsi sur une note joyeuse qui nous l'énergie pour repartir.

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Publié le 3 septembre 2022

Jour 164 - Vendredi 15 juillet

Notre entrée en territoire albanais se fait sous les rayons du soleil couchant dans une charmante campagne verdoyante et vivante au pied d'une petite chaîne montagneuse. Devant les modestes maisons entourées de jardins et de potagers, se jouent de multiples saynètes de la vie rurale qui semblent tout droit sorties du passé. Au premier regard, cela nous apparaît comme un tableau paisible et idyllique.

Au bord du chemin, un couple âgé bat vigoureusement à la fourche un tas de paille. Ils nous font signe d'approcher, nous saluent et nous montrent le résultat de leurs efforts : ils séparent ainsi les graines de haricots de leurs gousses. Après une bonne poignée de main en guise d'au-revoir nous les quittons touchés par leur spontanéité. C'est un exemple parmi d'autres que l'on reçoit comme autant de gestes d'accueils dans ce nouveau pays. Cela vient contredire les échos défavorables entendus sur l'Albanie : on nous avait conseillé de passer par la côte plus touristique donc plus sûre.

Pour notre deuxième jour, l'objectif est d'atteindre Shkodër. De grandes artères bruyantes, sales et fréquentées par tous types de véhicules conduisent au petit centre ville. Là se trouvent de petites rues piétonnes ombragées, bordées de multiples commerces et dominées par les grands édifices religieux. Certaines habitations plus anciennes, donnent un peu de cachet à la vieille ville qui s'éveille en fin de journée, à l'heure où les températures redeviennent raisonnables. Dans le fleuve voisins, pourtant beau, flottent les déchets et les chiens errants crasseux sillonnent les rues avec leurs airs abattus. Dans ce pays hors UE, nous commençons par changer nos euros du Monténégro et récupérons une liasse de Leks albanais.

Au milieu de ce décor hétéroclite, la cathédrale paraît clinquante et proprette. Sur le parvis, le père Vlas nous ouvre les portes de sa paroisse. Il a fait des bâtiments attenants un lieu d'accueil dont nous profitons. La grande place s'anime des jeux des enfants et des discussions des vieilles dames assises sur les bancs.

Dans un anglais hésitant, le prêtre nous raconte des bribes de son enfance sous le régime communiste. Sa famille, chrétienne devait pratiquer sa foi en secret. La dureté du régime dans ce pays l'isolait complètement et lui, avec son regard d'enfant, rêvait d'aller dans les pays voisins de Yougoslavie qui paraissaient plus libres. Dernier régime stalinien d'Europe, les frontières ne s'ouvrent qu'en 1991. Nous comprenons mieux les difficultés économiques et politiques de ce pays qui doit se relever de la dictature destructrice.

Nous avons rendez-vous ici avec Thomas et Florence, un couple d'amis venu partager notre pèlerinage le temps d'une semaine. Les retrouvailles dans ce contexte improbable se font dans la joie et nous sommes tous les quatre enthousiastes à l'idée de partager ce temps ensemble. Nos amis à peine arrivés, nous reprenons la marche et décidons de rejoindre le littoral, direction plein sud. Après un pique-nique inaugural sur l'ancienne citadelle de Shkodër, c'est dans une campagne loin des circuits touristiques que nous entamons la route. Les villages se suivent tandis qu'alternent minarets et clochers. Et pourtant, il nous est impossible de distinguer un chrétien d'un musulman. Un seul peuple mais trois religions qui semblent cohabiter paisiblement.

C'est en fin de journée, après une bonne mise en jambe pour nos amis, que des villageois nous abordent intrigués de nous voir traverser leur quartier. Pour nous comprendre les plus âgés appellent les plus jeunes bien plus à l'aise en anglais. Nous rencontrons ainsi Redi, un jeune garçon de 12 ans. En plein été, un peu désœuvré, il semble ravi d'échanger avec nous. Sa maturité nous marque. Il nous partage son rêve de devenir cuisinier. Nous lui faisons part de la raison de notre présence. Intéressé, il nous demande si notre choix de la marche a été contraint par des raisons financières. Grâce à cette rencontre, nous dormons ce soir dans l'ancien oratoire du village aujourd'hui abandonné mais néanmoins occupé par quelques moustiques. La côte est proche mais il faudra attendre le lendemain avant de pouvoir contempler l'Adriatique.

Jour 168 - Mardi 19 juillet

Nos efforts sont récompensés car c'est une magnifique plage sauvage qui s'offre à nous. Le sable étendu sur l'immensité s'amoncelle ensuite pour former de grandes dunes verticales où dépassent les roches teintées de variations ocres. Le spectacle nous enchante mais il n'aura pas fallu longtemps pour voir arriver les premières infrastructures balnéaires. A l'heure où le soleil frappe intensément, nous décidons de nous arrêter dans le premier bar venu. Une pause qui nous permettra de croquer le beau paysage, de nous restaurer et de discuter avec les autres clients.

Elson, le gérant du petit établissement nous livre son témoignage. Il nous explique la situation économique de son pays, les exigences pour les gens qui souhaitent travailler honnêtement, l'avenir incertain et la corruption présente en politique mais aussi dans tous les échelons de la société. Nous lui partageons notre étonnement face à la quantité impressionnante de grosses voitures rutilantes qui dénotent dans le cadre modeste de ce pays. A notre interrogation, il nous répond : «If you don't have a big car, you're nobody». Autre marqueur de l'image que renvoie la voiture : le foisonnement des stations de lavage utilisées en moyenne trois fois par semaine.

Après la marche à deux et celle à trois avec Fabienne, nous expérimentons la marche à quatre. Nous retrouvons un nouvel espace de discussion différent et très enrichissant. Si en temps normal notre marche est l'occasion de confronter nos deux points de vue, nous savourons ces jours-ci la confrontation de nos expériences de jeunes couples. Partager et échanger sur de nombreux sujets qui nous rejoignent est un réel plaisir mais également la possibilité pour nous de renforcer des liens d'amitié en vivant de beaux moments communs. Leur présence apporte beaucoup de joie et donne un nouvel élan à notre marche. En duo, nous avons trouvé un équilibre mais nous sentons que les rencontres ou la venue d'amis nous apporte une ouverture bénéfique.

Nous faisons autant de belles rencontres à 4 qu'à 2 et n'avons pas plus de difficultés à trouver des logements; c'est la bonne suprise de cette semaine. Que ce soit les religieuses de Shengin, Redi, le père Admir, Carmela ou les gens rencontrés sur la route, nous découvrons à travers eux les réalités religieuses, économiques et sociales de ce pays.

Thomas et Florence s'adaptent parfaitement aux situations et facilitent même les échanges par leur spontanéité et leur gentillesse. Les moustiques nous mènent la vie dure et réduisent les nuits de sommeil. La chaleur parfois accablante nous ralentie mais nous trouvons des consolations en profitant des prix avantageux pour nous offrir restaurants et glaces si nécessaire !

Laissons maintenant Thomas et Florence vous partager leur ressenti de la semaine :

L'Albanie en bonne compagnie.

L'Albanie est un pays très sympathique et chaleureux. L'hospitalité des Albanais se mesure à la température de leurs contrées, et croyez-nous, on est loin du pôle Nord ! Ici, ce n'est pas la fonte des glaces mais l'abondance des verres d'eau proposés par les locaux, ou encore la délicieuse consommation de cornets ou bac (de glace).

Pastèques sur pastèques, nous avons écumé les routes au milieu de longues et riches discussions, avant de découvrir notre logis d'un soir : salle (dés)affectée, église et assimilés, chambre familiale.

La destination de JBM en étonnait plus d'un, surtout en apprenant qu'ils faisaient "tutto a piedi" (tout à pied). Déçus que l'on n'accepte pas leur "makina" (voiture), ils se rattrapaient en nous offrant toutes sorte de choses : melon, crème de café, jusqu'aux fantas exotic livrés directement aux pèlerins !

Nous recommandons l'agence de voyage JBM. Note : 4,98/5.

Nos au revoir le long d'une route nous laissent émus et heureux de ce temps privilégié que nos amis nous ont offert en venant nous rejoindre.

Il nous reste quelques kilomètres pour rejoindre Tirana la capitale. Nous traversons les différents quartiers de la ville : de l'extérieur la pauvreté est saisissante. Les maisons faites de bric et de broc longent une rivière immonde et les odeurs rendent la traversée pénible. Puis, au fur et à mesure, les immeubles apparaissent d'abord simple puis de plus en plus sophistiqués jusqu'au centre ville qui centralise la richesse économique et culturelle. En à peine une heure nous voilà passés du bidonville au quartiers chics.

Sur notre route, une église attire notre regard, nous tentons notre chance. Don Michele prêtre salésien nous accueille après la messe. Cet octogénaire force l'admiration. Derrière son pas rendu hésitant par l'âge, se cache une énergie étonnante qui semble venir de la foi profonde qui l'anime. Il a mis sa vie au service de la mission inspirée de Don Bosco pour monter une école avec ses confrères et offrir aux jeunes albanais la chance d'une meilleur éducation.

Quelques croquis plus tard, nous reprenons la route. Deux itinéraires s'offrent à nous : l'un vers le sud passant par deux jolies villes anciennes et l'autre vers l'est passant par un beau lac. C'est celui ci que nous retenons car plus direct.

Ce choix peut sembler anodin mais il a marqué un tournant dans notre périple. Si vous revenez au tracé d'origine de notre itinéraire, vous constaterez que nous avions prévu de faire un beau décroché vers le sud de la Grèce. La raison ? Les sites antiques bien sûr !

Nous voilà, ce jour là, avec un bien grand dilemme. Choisir de garder cette idée ou changer notre itinéraire pour aller au plus direct. Arrivés à la moitié du pèlerinage, nous réalisons deux choses :

1) Nous voulons avancer vers Jérusalem le but du voyage.

2) L'expérience des derniers mois nous a appris que le sens du projet n'était pas dans l'accumulation de visites touristiques mais dans les rencontres que permettent la demande l'hospitalité et le rythme lent de la marche.

Nous avons l'impression d'épurer, de recentrer notre démarche vers l'essentiel.

La décision semble finalement facile et naturelle à prendre : les sites grecs attendront une autre occasion, nous apprenons à nous réjouir de ce qui se présente sur notre chemin.

Jour 174 - lundi 25 juillet

Nous pénétrons dans l'ancienne cité fortifiée d'Elbasan où se dressent clochers et minarets. Ces flèches qui émergent de l'horizon urbain sont concurrencées par celles des monuments de l'ancien régime communiste. A chaque période son édifice. En bordure de l'un de ces derniers, se trouve l'église paroissiale. Nous discutons longuement avec Yannis, un paroissien en attendant l'arrivée de don Guiseppe, curé italien envoyé en mission en Albanie. Celui-ci nous réserve un très bel accueil si bien que nous décidons de mettre en pratique le verset de St Luc : «Quand vous serez reçus dans une maison, restez-y».

Quelle joie de rester deux nuits sur place pour reprendre quelques forces et profiter de bons échanges lors des repas généreusement préparés par don Guiseppe.

Il nous explique qu'il y a quelques années, se trouvait juste a côté de l'église un poste de mitrailleuse où les militaires s'amusait à tirer sur l'édifice dans une logique d'intimidation. Le clocher ainsi que les vitraux en ont gardé quelques marques. Un gardien accompagné de son chien assure encore la sécurité du complexe paroissial. Il témoigne des troubles qu'a enduré la ville au sortir de la guerre.

Alors que le régime communiste a imposé durant de longues années sa politique athéiste, nous apprenons qu'aujourd'hui un véritable dialogue interreligieux s'est mit en place notamment dans cette ville d'Elbasan.

Notre hôte nous explique encore que la répartition du catholicisme dans le pays est très inégale : Le nord regroupe 5 diocèses avec une communauté traditionnelle installée qui malheureusement ne voit pas toujours d'un très bon œil l'arrivée de nouveaux convertis. Le sud, quant à lui délaissé, reste une véritable terre de mission.

Si ces questions religieuses et historiques restent sensibles dans un contexte politique compliqué et critiqué, il est beau de voir des personnes comme don Guiseppe s'engager pour la construction d'une société unie.

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Notre escale à Elbasan nous a permis de découvrir un raccourci le long d'une ancienne voie ferrée. Quel beau cadeau : au lieu d'une route trop fréquentée, nous suivons cette voie plane et rectiligne. Elle surplombe une grande rivière qui sillonne la vallée et nous conduira jusqu'au lac d'Ohrid. Nous devons adapter notre cadence de marche au rythme des traverses de bois qui soutiennent les rails.

En fin de journée, à la sortie d'un tunnel, nous entendons une voix nous héler. En contrebas, un couple traverse la rivière et nous fait signe. Tout d'abord incertains de bien comprendre leur appel, nous finissons finalement par les rejoindre. Ismet et sa jeune femme nous invitent à traverser vers l'autre rive et à les suivre jusqu'à leur maison nichée dans les bois et entourée par un beau potager. Le décor charmant ne cache pas la simplicité de l'habitation où cohabitent trois générations. Nous sommes traités en invités de marque. Installés dans leur salon, nous nous laissons servir tout en essayant d'échanger avec Ismet par le biais du traducteur de nos téléphones. Nous comprenons qu'il était clair pour eux dès le début de nous accueillir. La soirée s'allonge et on nous sert un bon repas où la viande nous est réservée.

C'est la première fois depuis le début du voyage que nous n'avons pas à demander l'hospitalité par nous même et elle nous est en plus offerte de manière inconditionnelle. Leur mode de vie semble bien éloigné de nos standards de pays développés mais laisse pourtant la part belle à l'accueil.

Ismet et sa femme, jeunes parents d'un petit garçon nous touchent par leur gentillesse. La soirée se conclue avec la transformation des deux canapés en lits. La maison n'a que trois pièces ; alors, nous partageons le salon avec le grand-père tandis que le reste de la famille occupe une autre chambre. Une petite terrasse relie les deux pièces et fait office de cuisine et de buanderie. Nous assistons aux rituels de cette maisonnée avec curiosité.

Au matin, derniers réveillés, on se lave sommairement le visage au tuyau d'arrosage qui sert de salle de bain et de lave vaisselle. Nous avons droit ensuite au café turc que prépare cérémonieusement le grand-père. On sent que c'est une affaire d'homme.

En guise d'au-revoir vient la séance photo. Puis, le jeune couple insiste pour nous servir de guide jusqu'au pont qui nous permet de regagner l'autre rive à pieds secs. Nous partageons un dernier café dans le bar qui borde notre route avant de se quitter. Nous gardons un souvenir ému de cette rencontre où nous avons tant reçu et avec une si grande simplicité.

Jour 179 - samedi 30 juillet

Nous serions bien restés chez le vieux couple qui nous a gentiment proposé un café mais il nous faut quitter le lac d'Ohrid pour avancer et rejoindre la dernière vallée albanaise. Dans une vaste plaine ceinturée de montagnes majestueuses, nous déambulons à travers les petites parcelles agricoles et les modestes villages ruraux.

La famille, propriétaire du terrain dans lequel nous nous sommes installés pour notre pause déjeuner, ne vient pas à notre rencontre pour nous expulser mais pour nous offrir à leur tour un bon café turc. Encore une bonne occasion de découvrir la vie d'une famille qui, elle, a du déménager à l'étranger pour offrir à leurs deux enfants un meilleur avenir. Nous les laissons avec un peu plus de caféine dans le sang ainsi qu'un sac remplit des fruits du verger.

En fin de journée, nous entrons dans ce qui ressemble d'avantage à une maison qu'à une épicerie pour acheter de quoi manger. L'absence de pain sur les rayonnages n'empêche pas Klajdi de partager de son propre pain et d'y ajouter des légumes du potager de ses parents. À cela, Donika, la mère nous propose de nous cuisiner un burek spécialité locale. Grâce à cette générosité, notre demande d'hospitalité se fait d'autant plus facilement. Accueillis comme si nous étions attendus, tout s'organise autour de nous pour notre plus grand confort : préparation de la chambre, douche, machine à laver. Au fond du jardin, une petite colonne de fumée sort d'un abri de parpaings et de tôle. C'est dans cette minuscule remise que notre burek cuit sous son couvercle de fonte entouré de braises incandescentes.

Pendant ce temps Jean-Baptiste discute avec Klajdi pour en apprendre un peu plus sur leur famille. En apprenant que son frère est tatoueur à Tiranë, je lui demande :

JB : « Do you have tatoos like your brother ?

Klajdi : - No, I'm muslim.

JB : - I understand and I'm catholic

Klajdi : No problem, peace. »

Après l'excellent dîner, la discussion se poursuit avec les parents sour un magnifique ciel étoilé. En un geste affectueux, Donika prend la main de Marie pendant que Xhemil, le père sert généreusement à Jean-Baptiste de son raki maison (eau de vie à base de raisin). Cette nouvelle rencontre forte et authentique vient renforcer notre affection pour ce pays et ses habitants sincèrement heureux de nous offrir de leur temps et de leur attention.

Le lendemain frais et sentant bon la lessive, nous sommes d'attaque pour marcher en direction de Billisht la dernière ville albanaise de notre parcours. Sur la route nous sommes surpris par les questions des gens que nous croisons : les uns nous demandent si nous avons des papiers et les autres miment le geste d'un captif. Nous comprenons finalement qu'ils nous prennent pour des migrants. Ils sont apparemment habitués à en voir traverser la région pour tenter leur chance dans les pays de l'UE.

Nous avalons les derniers kilomètres le long d'une grande route passante mais motivés en sachant que dans cette ville, il y a un couvent catholique où nous pourrons demander à être accueillis. Pour autant, rien n'est gagné. Les soeurs franciscaines ont déjà ouvert leurs portes à d'autres pèlerins. Elles acceptent finalement et nous avons en plus la bonne surprise de pouvoir participer à la messe du soir. Dans le sud du pays, les prêtres sont rares et doivent faire plusieurs kilomètres pour célébrer les messes dominicales.

Nous retrouvons les 4 sœurs autour du repas qu'elle tiennent à nous offrir. Cette petite communauté est vivifiante: elles vivent ensemble dans un contexte où la religion est anecdotique mais avec courage et joie elle œuvrent à se rendre disponible pour les habitants de cette ville reculée. Le repas est fini depuis longtemps mais la discussion elle continue : elles nous posent de nombreuses questions sur notre démarche et quand nous leur partageons notre expérience de la demande d'hospitalité, elles nous encouragent. Quelques instant plus tard nous apprenons qu'elles même vivent de la Providence. Nous expérimentons cette démarche seulement pour un an tandis qu'elles font ce choix radical pour toute une vie !

Elles nous racontent comment elles ont fait le choix d'une vie religieuse. Aucun des témoignage ne se ressemble. C'est émouvant de voir à quel point cette vocation est un appel qui est venue les rejoindre chacune très personnellement. L'une d'elles résume cela très bien en nous disant : «J'avais le choix entre différentes perles mais comme dans la parabole de Jésus, pour moi, la plus belle était cette vie de religieuse et j'ai choisi de tout quitter pour garder cette perle là.»

C'est une étape riche pour nous et nous nous sentons chanceux de pouvoir échanger en profondeur sur la foi qui nous lie dans cette région où les catholiques sont minoritaires.

En plus des sœurs de Sengjin et des prêtres, nous découvrons une nouvelle figure de missionnaire à travers elles. Leur point commun ? Ils sont tous italiens. Les liens entre les deux pays séparés seulement par l'Adriatique se sont tissés à la sortie de la période communiste. Le pays exsangue nécessitait en premier lieu une aide humanitaire qu'on apporté ces congrégations religieuses. Comme nous l'explique Anna jeune volontaire qui a vécu une année de mission avec ces religieuses, les albanais voient en eux des personnes qui ont les moyens de les aider. En parallèle, les missions avaient aussi pour but de rechristianiser cette terre où le communisme avait tout mis en oeuvre pour détruire la religion. Encore une fois, Anna qui parle français nous permet de mieux saisir l'impact de cette dictature : les années communistes ont touché deux générations et cela a suffit pour impacter durablement les esprits et couper cette population de la spiritualité. Les albanais peinent parfois à comprendre pourquoi ces religieuses donnent tant pour les aider et gratuitement. Anna a été frappée par leur esprit de défiance où ils n'osent pas dire ce qu'ils pensent. Encore une fois le communisme y est pour quelque chose. Dans leur propres familles, les albanais pouvaient être espionnés et on ne pouvait se fier à personne. Cette réalité invisible pour nous qui ne sommes que de passage est impressionnante et nous permet de réaliser à quel point cette idéologie a été destructrice.

Nous voilà prêt à passer une nouvelle frontière. L'Albanie, pays que nous appréhendions de traverser, a finalement été celui qui nous a le plus touché jusqu'à maintenant. Deux choses nous ont marqué : la pauvreté et l'ouverture des gens. Nous ne comptons plus les gestes amicaux et hospitaliers que nous avons eu sur la route : les automobilistes qui nous proposent de nous prendre en voiture et à qui nous devons expliquer que nous préférons marcher, ceux qui nous offrent de l'eau fraîche, un café, des légumes de leur potager... Parmi toute ces attentions voici quelques exemples représentatifs :

Un jour alors que nous marchons avec Thomas et Florence le long d'une départementale, un vendeur de pastèque nous aborde. Agacé par son insistance, nous lui expliquons que nous ne voulons pas acheter de pastèque. Mais il répond : «It is free» et nous offre une pastèque. Nous sommes d'autant plus touchés par ce geste quand nous apprenons en discutant avec Leon qu'il doit cumuler deux emplois pour vivre correctement.

Un autre jour, épuisés par la journée de marche, nous devons nous résoudre à demander l'hospitalité dans un restaurant. Cassey nous accueille. La vingtaine, cette jeune fille n'hésite pas à accepter et s'empresse de nous montrer un endroit où planter notre tente.

Une autre fois encore, alors que nous déjeunons dans un bistro, nous échangeons quelques mots avec notre voisin. Avant de partir, il nous offre deux boissons fraîches comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.

Enfin, alors que nous traversons un village, un homme nous questionne puis nous invite à boire chez lui. En plus d'un verre d'eau fraîche, nous repartirons finalement avec un lot de beignets et des légumes de son jardin.

Ce qui nous impressionne dans ces moments, c'est que ces choses nous sont offertes simplement et gratuitement sans que nous ne les demandions. L'Albanie restera pour nous un exemple édifiant de générosité désintéressée alors même que le contexte économique est difficile.

Notre bilan albanais :

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Jour 158 - samedi 9 juillet - Sutorina

Il suffit d'une frontière pour nous faire ressentir le changement entre pays : nous retrouvons l'incertitude de l'hébergement dès notre entrée au Monténégro. Ce soir là personne ne nous attend. On renoue très vite avec le sentiment d'inconfort. En cette fin de journée, nous prenons notre courage à deux mains pour demander l'hospitalité. Échec, nous nous enfonçons dans la montagne pour planter la tente dans un bois discret.

Le lendemain, la découverte de la baie de Kotor nous console. De plus, les températures ont baissé rendant la marche beaucoup plus agréable.

Nous faisons ce détour car nous avons rendez-vous : La sœur de Marie, Solène et son mari Étienne avaient visité ce lieu quelques années auparavant. Ils nous proposent de nous faire cadeau d'un dîner dans un restaurant qu'ils nous recommandent.

Nous découvrons avec émerveillement les montagnes aux pentes vertigineuses qui se jettent dans la mer. Face au détroit de la baie de Kotor, le cadre exceptionnel est complété par la présence de deux églises posées comme par miracle au milieu de l'eau.

La petite route que nous empruntons le long du rivage offre de magnifiques panoramas et révèle, au gré de ses tournants, de petits villages où nous remarquons les plus anciennes demeures en pierre blanche. Devant ces belles bâtisses, souvent abandonnées, sont aménagés de modestes pontons où se prélassent les vacanciers.

L'arrivée successive de deux paquebots aux silhouettes démesurées génère un mélange de désenchantement et de fascination. Dans l'ancienne cité médiévale de Kotor, nous nous mêlons au flot des touristes fraîchement débarqués de ces monstres des mers.

Ce soir là, nous avons réservé notre logement : par moments, c'est bien agréable de quitter l'exigence de la demande d'hospitalité.

La leçon des montagnes croates est retenue, désormais nous traçons notre itinéraire en évitant les dénivelés trop importants. L'absence de relief devient un critère de choix pour notre progression. Là est pour nous la différence entre une randonnée et un pèlerinage. Si le randonneur privilégie les beaux paysages, les deux pèlerins que nous sommes, tendus vers l'objectif final de Jérusalem, optent pour une route plus efficace quitte, quelques fois, à renoncer aux sentiers piétons biens plus engageants. Ce jour-là, par exemple, pour éviter l'ascension d'une montagne, nous empruntons une route et un long tunnel fortement fréquentés par les automobilistes.

Avec le défilé des voitures, nous nous amusons à identifier la provence des vacanciers en observant les plaques d'immatriculation. Dans ce pays on trouve beaucoup de serbes, de russes et d'ukrainiens. Nous réalisons alors que ces nationalités n'étaient pas présentes en Croatie. Dans ces pays pourtant voisins, les guerres d'hier influencent encore la destination des vacanciers d'aujourd'hui.

Jour 160 - lundi 11 juillet

En arrivant à Budva, il faut encore faire quelques kilomètres le long des grands boulevards de la ville moderne pour atteindre le tout petit centre historique qui, enclos dans ses fortifications, s'avance dans la mer. Ici encore, le charme de la vielle ville ne devient qu'un décor théâtral sans âme pour les touristes. Dans ce contexte, parviendrons nous à trouver quelqu'un pour nous accueillir ?

Les monténégrins et les croates partageant la même langue, la lettre de recommandation de don Marko peut encore nous être utile. Nous n'avons qu'une carte à jouer dans la seule église catholique de la ville.

De prime abord, le visage fermé de don Philip ne laisse rien augurer de bon. Mais au fur et à mesure de l'échange, il devient chaleureux et avec humour, il nous fait visiter l'ancien palais épiscopal, incroyable demeure historique en plein centre, qui deviendra notre logis pour la nuit.

En rejoignant la côte, nous replongeons dans les ambiances balnéaires où se succèdent plages et criques rocheuses. Nous observons selon les cas une alternance contrastée de population. Certaines plages dotées d'infrastructures clinquantes sont occupées par une population plus aisée, souvent étrangère, alors que les plages populaires, plus modestes, semblent regrouper les locaux.

En fin de journée, nous échouons à plusieurs reprises dans notre demande d'hospitalité allant même jusqu'à demander dans un monastère orthodoxe perché sur son éperon rocheux. Ce dernier refus nous oblige à aller plus loin et nous fait découvrir une belle vallée descendant doucement vers la mer. Fatigués, nous finissons par obtenir de planter notre tente dans un jardin familial entre les ruches et les abricotiers dont nous dégustons les fruits sous les dernières lueurs soir.

Jour 162 - mercredi 13 juillet

Bar, la dernière grande ville le long de la côte est étonnante de contrastes. Les grands édifices religieux qui se concurrencent par le faste tape à l'oeil de leur architecte dénotent avec les rues tristes et négligées. Dans la vieille ville de Staribar, le chant du muezzin finit de nous dépayser.

Alors que nous peinons dans la montée, une dame âgée qui arrose sa cour à grandes eaux, nous propose de remplir nos gourdes. Ces dernières déjà pleines ne doivent pas nous empêcher d'entrer en relation avec elle. Et puis nous ne sommes pas contre le bon café qui suivra. Grâce à elle nous trouvons un espace où planter la tente. Bien installés, nous revenons chez elle pour faire cuire nos pâtes. Nous nous retrouvons finalement à sa table, elle a complété notre simple repas et c'est devant la télé en commentant l'inauguration de la nouvelle autoroute reliant le Monténégro à la Serbie que s'achève notre dernière soirée. Dans nos langues bien différentes, avec le soutien de Google translate, nous discutions tant bien que mal, et pourtant nous saisissons l'essentiel.

Les derniers kilomètres qui nous séparent de la frontière sont un avant goût des ambiances albanaises : les petits villages où nous intriguons les habitants sont désormais dominés par les minarets des mosquées. Motivés nous avalons les derniers kilomètres et décidons de pousser au delà de la frontière malgré nos pieds douloureux. Comme récompense, nous nous offrons un motel planté sur la longue route au milieu de nul part.

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Publié le 26 juillet 2022

Régulièrement, nous recevons des messages de la part d'Ivan Dominik le dominicain de Rijeka ou de Marko le prêtre de Zadar. Ils se préoccupent de notre avancée et nous proposent leur aide pour trouver des logements. Grâce à eux, une chaîne amicale s'est constituée dans le seul but de nous aider.

Comme vous le savez, tout a commencé par la rencontre avec Ivan Dominik et depuis, sans même que nous n'ayons à le demander, les gens que nous rencontrons cherchent dans leurs carnets d'adresses l'ami qui pourra nous accueillir dans la ville suivante. Avec le recul, nous réalisons que nous pouvons construire un arbre généalogique pour retracer cette chaîne. Voilà le résultat :

La Croatie devient grâce à cela une terre bénie où nous expérimentons une autre forme d'accueil. Si la France a été le pays de l'hospitalité spontanée, l'Italie celui de l'hospitalité des prêtres, la Croatie devient pour nous le pays où nous n'avons même plus à demander l'hospitalité. Elle nous est offerte et nous nous sentons véritablement attendus par ces personnes alors que nous ne sommes que des inconnus. Il suffit d'une recommandation amicale pour nous ouvrir ces portes. À chaque fois nous profitons d'une formule tout confort : dîner, chambre préparée, petit déjeuner et parfois même provisions pour le déjeuner du lendemain !

Nous nous habituons presque à ce luxe. Imaginez, savoir chaque soir où nous dormons, savoir que nous aurons l'occasion de rencontrer des gens du pays, d'échanger avec eux, de nous reposer...

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Dès notre arrivée en Croatie, les premières personnes que nous rencontrons nous parlent et nous incitent à nous rendre à Medjugorje, lieu de pèlerinage situé en Bosnie-Herzégovine, cher aux croyants du pays. Cela ne représente pas un gros détour mais là n'est pas la question. Quel sens donner à cette étape ? Le souvenir d'Assise que nous n'avons pas réussi à vivre comme une étape spirituelle nous pousse à réfléchir. Or, Janja qui nous accueille un soir, nous confie une prière à déposer dans le sanctuaire. Voila un petit coup de pouce qui nous aide à confirmer notre choix d'aller découvrir par nous même ce lieu.


Jour 146 - lundi 27 juin

Nous partons la fleur au fusil en direction de la frontière avec la Bosnie-Herzégovine en pensant la traverser aussi aisément que les précédentes. Nous omettons deux légers détails : ce pays ne fait pas partie de l'Union européenne et notre statut d'étrangers nous oblige à passer par la frontière internationale.

A quelques mètres du poste, un automobiliste s'arrête à notre hauteur pour nous expliquer que nous ne pouvons pas passer ce poste frontière réservé aux locaux. Notre méfiance du début disparaît lorsqu'il nous explique qu'il est fermier et douanier à mi-temps et qu'il nous propose de nous conduire au poste international situé à quelques kilomètres plus au nord.

Bringuebalés dans sa camionnette, nous entendons notre téléphone sonner. C'est Marija notre hôtesse de Medjugorje, une amie d'Ivan Dominik. Elle a accepté de nous accueillir et veut savoir quand nous arriverons. Quand elle apprend que nous pensons dormir sous la tente cette nuit, sa réaction est immédiate : « What !!! No, no, I come to take you to my house. » Trop heureux de profiter d'un bon lit au lieu de la tente, nous acceptons en nous assurant qu'elle accepte de nous redéposer au même endroit le lendemain pour que nous terminions la route à pied.

Après une bonne nuit de sommeil, nous reprenons la marche. Au détour d'un sentier, nous débouchons sur une rivière à l'eau cristalline entourée par de belles constructions de pierres et de bois. La présence de cette rivière est une belle surprise après l'aridité de la côte croate. Le propriétaire s'avance vers nous et nous réalisons que ce lieu est privé. Au lieu de nous chasser, il nous invite à visiter son domaine et à profiter de la rivière. Le temps caniculaire ne nous fait pas hésiter longtemps. Nous plongeons avec délice dans l'eau rafraîchissante et profitons de l'occasion pour échanger avec lui. Il nous explique qu'à la suite d'une épreuve personnelle, il a décidé de s'investir pour bâtir ce lieu. La beauté des bâtiments contraste avec les habitations en béton de Croatie et de Bosnie-Herzégovine bien souvent inachevées et sans charme. Heureusement, à cette saison, les maisons se parent de verdure. Les treilles de vignes ou de kiwi couvrent de leur ombre généreuse les grandes terrasses où trône souvent un impressionnant barbecue. Nous nous attarderions bien dans ces oasis pleines de vie au lieu de peiner sous les rayons du soleil.

L'accueil inconditionnel de Marija nous donne la possibilité de profiter pleinement de cette étape à Medjugorje. Comme beaucoup de gens ici, elle tient une maison d'accueil de pèlerins. Nous choisissons de rester une journée complète sur place afin de prendre le temps de découvrir en profondeur ce sanctuaire où auraient eu lieu des apparitions de la sainte Vierge en 1981 en pleine période communiste.

En arrivant dans un lieu de pèlerinage, on peut être facilement dérouté par le mélange de piété et d'affluence touristique comme nous l'avions perçu à Assise. Ici, nous souhaitons d'abord comprendre l'histoire des apparitions ainsi que le contexte du pays. La chance nous sourit : après la messe française de 7h du matin nous allons à la rencontre du prêtre. Frère Boris, nous embarque pour un petit déjeuner impromptu. Ce frère franciscain originaire de Bosnie-Herzégovine et exilé en France durant la période communiste prend le temps de répondre à toutes nos questions. Pouvoir échanger en français nous permet d'approcher la complexité d'une histoire encore vive dans les mémoires. Il nous dresse le tableau des dominations étrangères successives: ottomane, autrichienne, et plus récemment communiste. Le pays porte les stigmates du passé : séparé entre deux cultures, le sud reste majoritairement catholique et d'influence croate tandis que le nord est tourné vers la Serbie avec un gouvernement musulman. Les habitants de Medjugorje nous précisent d'ailleurs avec insistance qu'ils sont d'Herzégovine et non pas de Bosnie.

Le père Boris nous raconte aussi la période communiste durant laquelle ont eu lieu les premières apparitions. Celles-ci ne sont actuellement pas reconnues officiellement par l'Eglise mais nous sommes frappés par le courage des prêtres et des croyants de l'époque qui ont dû défendre leur foi face aux menaces des autorités. Dans un monastère franciscain, les photos de moines morts à cause de leur religion témoignent de la dureté de ce régime.

Nous sommes touchés par ce lieu qui a su rester simple et paisible malgré sa forte fréquentation. Le pèlerin y reste libre de croire ou non aux apparitions, d'avoir ou non des gestes de piété. L'essentiel pour nous est d'y voir un beau lieu de prière qui aide de nombreuses personnes sur leur chemin de foi.

Nous reprenons la route en suivant les maillons de la chaîne amicale. Marija qui a tout de la coach sportive cache derrière des airs bouguons un grand cœur. Elle nous envoie vers Daniela son amie qui peine à parler anglais. Cela ne l'empêche pas de nous accueillir. Soucieuse de nous mettre à l'aise elle invite de ses amis ravis d'échanger avec nous en anglais.

Elle prend ensuite le relais d'Ivan Dominik et de Marija et fait tout pour nous trouver les prochains points de chute. Nous sommes bouleversés lorsqu'elle nous confie un jour, par message, qu'elle a traversé de nombreuses épreuves. Par des rencontres et grâce à sa foi elle a su les surmonter et aujourd'hui, elle redonne ce qu'elle a reçu en nous offrant son soutien.

Ces rencontres sont de vraies leçons de générosité et d'ouverture aux autres que nous souhaitons garder en exemple.

Les jours s'enchaînent rapidement et les rencontres aussi. C'est un exercice étonnant pour nous de découvrir ces nouveaux visages le temps d'une soirée. Nous devons apprendre à simplifier nos manières pour dépasser la formalité des premiers échanges. Les choses se déroulent très simplement, parfois le courant passe directement et cela conduit à des échanges profonds et d'autres fois nous partageons juste un moment joyeux et agréable.

• Jour 144 : Sur le pas de la porte du couvent franciscain de Makarska, nous rencontrons la femme de ménage, Magdalena. Elle ne parle pas un mot d'anglais. Heureusement, nous avons notre botte secrète : une lettre de recommandation rédigée en croate par le père Marko. Les frères ne pouvant pas nous accueillir, elle nous invite à dormir chez elle. En arrivant, son mari Jozo nous sert une bonne plâtrée de cassoulet... à 16 h ! Le principe cassoulet est né :

Principe cassoulet : Principe selon lequel deux pèlerins en vadrouille doivent accepter simplement ce qui leur est offert et ce quelles que soient leurs envies. Il se pourrait que cela réserve une belle rencontre !

• Jour 150 : A Neum, Ana et Pero nous accueillent avec une belle simplicité, leur fille aînée Barbara, plus à l'aise en anglais fait l'intermédiaire.

• Jour 151 : Grâce à Toni, cultivateur de lavande, nous découvrons la jolie ville de Ston aux murailles vertigineuses. Il pousse la générosité jusqu'à nous offrir un restaurant où nous dégustons les spécialités locales : huîtres et gâteau de pâte à la cannelle. Rescapé d'un accident de voiture, il a approfondi sa foi et est heureux d'en témoigner.

• Jour 154 : Frère Anto, un dominicain, grand ami de Marko, nous ouvre bien des portes à Dubrovnik. A ses côtes, la visite de la vieille ville trop touristique devient plus authentique. Il déplore le fait que le tourisme cherche d'avantage à montrer les lieux de tournage de la série Game of Thrones au détriment des cicatrices laissées par le siège de 1991-1992 par l'armée populaire yougoslave (serbes et monténégrins) dans le contexte de la prise d'indépendance de la Croatie au sein de l'ex-Yougoslavie.

• Jour 155 : Ce soir là, à Mlini, nous avons l'impression de retrouver des amis. Avec Yvan et Marija, jeunes parents de deux enfants adorables, nous échangeons en profondeur sur leur quotidien et leurs choix de vie.

• Jour 156 : A Mocici, chez Cvjetko et sa femme, la soirée se finit au son du piano et de la mandola. Leur deux filles adoptées nous touchent par leurs gestes tendres et spontanés. Au moment de partir, leur mère, les larmes au yeux, confie à notre prière les difficultés de santé de leur fille aînée Marija.

• Jour 157 : A quelques kilomètres de la frontière, c'est le père Tiho qui nous accueille dans son presbytère qu'il reconstruit de ses mains. Sa joie communicative sera notre dernière impression de la Croatie !

Notre premier bilan des Balkans :

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2667
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Publié le 5 juillet 2022

Jour 119 - Mardi 31 mai

Vingt-quatre heures plus tard, le flixbus nous redépose à Trieste comme si nous n'en n'étions jamais partis.

Arriverons-nous à reprendre le rythme de la marche ? A cette interrogation, s'en rajoute d'autres d'ordre pratique : La nouvelle carte achetée à Paris nous permettra-t'elle de nous passer de GPS ? Nos pieds se feront-il aux nouvelles chaussures que nous avons troquées contre nos anciennes paires déjà usées ?

Nous laissons de côté ces questions et reprenons notre route après un plein de course et en rajoutant un litre d'eau à chacun des sacs. Nous nous enfonçons dans les montagnes où les habitations se font très rates. Abreuvoirs, puits, sources... chaque point d'eau devient alors précieux.

Au bout de quelques kilomètres, nous franchissons déjà la frontière slovène matérialisée par une simple borne. Nous traversons ce pays en prenant la voie la plus directe qui suit la crête de ces basses montagnes. Quelle joie de reprendre la marche dans dans ces paysages qui contrastent avec nos derniers kilomètres italiens.

En suivant un sentier boueux, nous voyons de larges traces imprimées dans la terre. Ours ou pas, on ne fait pas les fiers en poursuivant notre chemin, jusqu'à ce que les empreintes disparaissent. Enfin, une trouée dans la forêt nous permet d'apercevoir les côtes croate.

Jour 121 - Jeudi 2 juin

Après trois jours à crapahuter dans la forêt on s'autorise un premier BnB qui nous permet de faire le point et de nous rendre présentables avant d'entrer dans la grande ville. L'arrivée dans ce nouveau pays suscite en premier lieu de l'appréhension. On prend donc le temps de s'informer sur les aspects pratiques de ce pays où nous ne connaissons ni la langue ni la monnaie nationale.

Le premier plein de courses constitue le crash-test qui nous permet de nous familiariser avec la conversion monétaire et les produits locaux. Il faut donc apprendre à convertir les euros en kuna et à éviter les frais de change exorbitants. Et qui dit nouveau pays dit nouvelles habitudes alimentaires. Les salades mozza, tomates, gorgonzola et mortadelle laissent place aux salades en conserve et aux sachets de pâtes déshydratés. Cette nouvelle «gastronomie» plus adaptée à la randonnée a l'avantage d'être plus légère et compacte ce qui nous permet d'augmenter notre autonomie en nourriture.

Bons élèves, nous planchons même sur un vocabulaire de base que nous abandonnons vite en découvrant que les croates parlent un anglais bien meilleur que le nôtre.

Nous sommes parés pour aller à la découverte de ce pays qui nous fera explorer l'autre rive de l'Adriatique. Après notre long détour plein nord à travers le golf de Venise, nous prenons le cap sud-est qui nous fera progresser efficacement en direction de Jérusalem.

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Notre premier aperçu des villes croates est assez décevant. Une usine à moitié désaffectée en bord de mer constitue notre porte d'entrée à Rijeka première grande ville du littoral.

Le centre nous console par son architecture et son ambiance festive. Mais l'heure n'est plus à la contemplation, il est grand temps de nous mettre en quête d'un logement pour la nuit.

Nous avions repéré un couvent dominicain. Nous y débutons nos prospections. Pas de religieux en vue mais deux hommes qui discutent devant la porte. L'un d'eux, Ivan, avec beaucoup de bienveillance, nous conseille d'attendre la fin de la messe pour réitérer notre demande auprès du prieur. Au lieu de découvrir un vieil homme à la longue barbe blanche, nous sommes surpris en voyant un trentenaire à la dégaine de jeune branché. Ivan Dominik accepte de nous accueillir mais nous devrons attendre son retour à 23h. Qu'à cela ne tienne, un hébergement assuré cela ne se refuse pas !

Malgré l'heure tardive, on se retrouve attablés dans sa cuisine à papoter avec lui et un couple d'étudiants qu'il nous fait rencontrer (Ante et Kristina). L'échange se fait en anglais et même si le vocabulaire manque parfois, cela ne nous empêche pas de savourer ce moment.

Nous l'avions déjà pressenti en Italie mais dans ce nouveau pays, nous réalisons que la première rencontre est clé. Elle devient un point de référence qui nous aide à poursuivre la demande d'hospitalité si enrichissante dans notre démarche.

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Ivan Dominik a tout prévu pour nous. Après notre premier petit déjeuner typique à base de produits laitiers et de charcuterie, il nous accompagne jusqu'à un sanctuaire marial perché sur les hauteurs de la ville.

Arrivés en haut, alors que nous reprenons notre souffle, il sort de son sac à dos une camera et nous propose sans détour de réaliser une vidéo ensemble. Après une courte présentation, il nous fait réciter le «Je vous salue Marie» en français puis plus péniblement en croate.


Quelques jours plus tard, il nous envoie la vidéo publié sur les réseaux sociaux et nous annonce tout content qu'elle a atteint plus de 300 000 vues. Le chiffre ne nous parle pas mais nous découvrons à cette occasion qu'il est un véritable influenceur dans la sphère chrétienne du pays. Ayant vécu une conversion forte qui l'a mené à sa vocation de prêtre dominicain, il utilise ces médias pour témoigner de sa foi auprès des jeunes.


Jour 123 - Samedi 4 juin

En plus de nous avoir hébergé, Ivan Dominik cherche dans ses contacts des personnes pour nous héberger sur la route. Il nous donne une adresse et le lendemain au détour d'une petite route de campagne serpentant au pied des montagnes, nous découvrons une splendide forteresse médiévale juchée sur une colline dressée au milieu de la vallée. Nous vérifions plusieurs fois l'adresse mais pas de doute, c'est bien là que nous avons rendez-vous. Pero nous attend devant la porte d'une grande maison jouxtant le château. En échange de l'entretien du bâtiment appartenant aux scouts et de l'accueil des groupes, il y habite avec sa famille. Notre hôte tient plus du biker que du boy-scout avec sa crête et son look de rocker.

Le soir venu, réunis autour du dîner familial, Pero passionné de randonnées se penche avec nous sur les cartes régionales. L'échange avec lui confirme notre envie de nous aventurer dans le Velebit, la chaîne de montagne qui nous surplombe appartenant aux alpes dinariques. Nous bénéficions de ses conseils : itinéraires, refuges, points d'eau tout y passe. Comme pour une initiation, il nous remet finalement une corde pour puiser l'eau dans les puits en cas de besoin. Les montagnes calcaires ne retiennent pas l'eau et pour certains habitants éloignés des villes, l'eau n'est accessible que grâce aux citernes qui recueille la pluie ou sont remplies par les pompiers.

Au petit matin, il nous fait découvrir le château, dont ne subsistent que les murs, et le point de vue sur la vallée majestueuse de Vinodol que nous suivrons aujourd'hui. Le règne de la famille des Frankopan y laissa une empreinte durable avec l'édification sur les hauteurs d'une succession de sites défensifs capables de communiquer en cas d'attaque par le biais de grands feux.

Nous atteignons en fin de journée le dernier maillon de cette chaîne, Gradina Ledenice. Après une dernière montée, nous plantons la tente au milieu des ruines de l'ancienne citadelle. Du haut de ce promontoire, nous admirons les nombreuses îles qui émergent de l'Adriatique. La lumière du soleil couchant s'attarde sur la mer avant de laisser place à un magnifique ciel étoilé.

La Croatie étant malheureusement dépourvue de sentier côtier, nous décidons de suivre les conseils de Pero et de nous aventurer sur les sentiers de montagne pour éviter la grande départementale.

Jour 126 - Mardi 7 juin

On monte directement de 0 à 1600 m en direction du parc national Sjeverni Velebit. Nous pensons planter la tente en cours d'ascension mais nous savons qu'au sommet se trouve un gîte de montagne, et cela suffit comme motivation pour atteindre notre objectif.

Le refuge, niché au creux d'un col offre une vue imprenable sur les montagnes environnantes et le littoral. Ce spectacle récompense nos efforts. Ivan, le discret gardien des lieux, qui est comme par hasard un ami de Pero, accepte de nous accueillir en dernière minute. Au cours de la soirée, il nous montre quelques-unes de ses photos des alentours où l'on voit loups gris, serpents venimeux et ours bruns. Mais heureusement ceux-ci se font discrets.

Au matin, il faut rassembler notre courage pour affronter une pluie continue. A sa manière, et en guise d'au-revoir, Ivan nous tend des barres chocolatées. Cette petite attention, parmi les autres, nous réchauffe le cœur.

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Nous découvrons le «Premužićeva staza», voie mythique, dont un ingénieur a eu l'intuition en se basant sur le savoir-faire des paysans locaux. Un parfait agencement des pierres déjoue les accidents du terrain en offrant un chemin aplani. Sous un épais brouillard, nous progressons entre les formations rocheuses aux silhouettes mystérieuses sur lesquelles l'eau a sculpté de multiples sillons verticaux tels des drapés de pierre.

Nous partageons le chemin avec les autres randonneurs dans ce parc qui a l'avantage d'offrir de nombreux refuges. Nous visons la cabane non gardée d'Ogradenica. C'est toujours un pari : sera-t-elle ouverte, fermée ou bien occupée par d'autres randonneurs ? Les nuages enfin dissipés, nous découvrons notre refuge minimaliste fait de tôles métalliques solidement arrimée à la roche et faisant face au grand paysage.

Jour 128 - Jeudi 9 juin

Ces trois jours en hauteur ont raison de nos provisions. Il nous faut renouveler les stocks en descendant dans la petite ville de Karlobag avant de repartir.

Ce soir là, nous comptons sur la présence d'un petit monastère auprès duquel nous essuyons un refus. Ce refus et la pluie nous conduisent vers la solution de simplicité qui s'appelle Booking.com. Heureusement la cote Croate regorge d'«apartman» qui constituent le gagne pain ou un bon complément pour de très nombreux locaux. Peu chers et disponibles en dernière minute, ils sont une bonne solution de replis.

Forts de notre bonne première expérience dans le Velebit, nous repartons dès le lendemain et remontons ce que nous avons descendu la veille. Mais la grande facilité du «Premužićeva staza» est trompeuse. Les sentiers que nous parcourons nous le font vite ressentir. Cette fois ci, les obstacles ne peuvent être contournés : nous passons notre temps à monter et descendre. De plus, nous faisons les frais d'une spécialité locale : la Bura, un vent particulièrement violent qui fait passer le mistral pour une brise légère. Et quand le vent s'arrête, les sous-bois nous obligent à traverser des nuées de moucherons qui se collent à nos peaux en sueur.

Nous avons la joie de découvrir deux refuges, petits chef-d'oeuvres d'architecture contemporaine adaptés aux contraintes de la montagne. Sous ces difficiles conditions climatiques, le confort est salutaire. Jean-Baptiste avait au préalable repérer ces refuges mais pour Marie, la surprise est totale.

Jour 131 - Dimanche 12 juin

Nous pesons le pour et le contre : restons-nous sur ces sentiers menants de vallées marquées par les murets des anciens pâturages jusqu'au crêtes rocailleuses offrants de splendides panoramas ? Ou regagnons-nous le littoral pour économiser nos forces et progresser plus efficacement ? Après six jours dans les hauteurs nous tranchons ; Il est temps de redescendre.

Un sms, reçu il y a quelques jours, confirme notre choix. Un certain Marko, prêtre nous écrit en français :

Après avoir testé la demande d'hospitalité, les refuges et les «apartman» et même si Zadar n'est pas exactement sur notre route, qu'importe, nous n'hésitons pas à accepter cette invitation tombée du ciel !

Le père Marko va même jusqu'à planifier pour nous les étapes qui précédent et qui suivent notre escale à Zadar. Pendant cinq jours, nous nous laissons guider de Starigrad à Biograd où nous sommes accueillis tour à tour par Janja, la paroisse d'Islam Latinski, les parents de Marko à Zadar et pour finir, dans son presbytère sur l'île d'Ugljan.

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Dès la première rencontre, Marko nous met à l'aise. Est-ce dû à son caractère sociable, sa gentillesse ou parce qu'il a le même âge que Jean-Baptiste ? Il suffit de peu de temps pour nous donner l'impression de retrouver un bon ami. Pour nous, il se fait guide touristique, professeur d'histoire, chef cuisinier et hôte de qualité. Un jour en soutane et chasuble ornée pour la fête Dieu, l'autre en maillot de bain pour une baignade, nous apprenons à connaître ce jeune prêtre engagé, fier de son pays et heureux de mettre son dynamisme au service de ses paroisses rurales.

Jour 136 - Vendredi 7 juin

Après avoir marché deux jours sur son île parallèle à la côte, nous regagnons la terre ferme pour poursuivre notre chemin.

Longer le littoral en ce début d'été est salutaire. Sous le soleil de plomb, le vent, les pauses plus fréquentes et le déjeuner à l'ombre des pins où nous nous autorisons une baignade rendent la marche plus supportable.

On comprend la haute fréquentation touristique en provenance d'Europe centrale en voyant la beauté de ces côtes où les rochers plongent dans une eau cristalline.

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On a tout de suite été séduits par la beauté de la nature. Mais, certaines villes, préservées des destructions des guerres récentes, réservent de jolies surprises architecturales en leurs centres :

Zadar, le musée à ciel ouvert, Sibenik, aux hautes maisons agrippées à la colline, Trogir la charmante cité portuaire et enfin Split, la citadelle au palais antique.

 Zadar
 Sibenik

Toutes différentes, elles ont cependant en commun la simplicité de leurs façades aux blocs de pierre carrés étincelants de blancheur qui contrastent avec les persiennes vertes rappelant leurs voisines italiennes. Nous constatons pourtant que le tourisme vide ces centres historiques de la population locale reléguée dans les maisons neuves en béton des périphéries.

 Trogir
 Split

Ne réussissant pas systématiquement à être accueillis, nous apprécions d'autant plus les étapes où nous recevons l'hospitalité comme à Trogir où le père dominicain à la fin de sa célébration nous installe chez lui en montrant une bonne humeur communicative. Mais, à Sibenik, nous essuyons plusieurs refus qu'un généreux paroissien compense en nous offrant de quoi nous loger.

Jour 140 - Mardi 21 juin

Nous arrivons à Split à mi-parcours du pays. Nous attendions cette étape avec impatience car Ante, le jeune étudiant rencontré à Rijeka, a demandé à sa tante de nous accueillir chez elle deux soirs durant.

Nous rencontrons une femme douce et avenante qui a préparé pour nous un studio, remplis de petites attentions. Comprenant que le logement est habituellement en location nous sommes d'autant plus reconnaissant de ce cadeau. Après trois semaines de marche, cette pause est bienvenue. Nous la mettons a profit pour partager un repas avec cette famille, visiter le centre historique, dessiner et appeler nos proches.

Nous avons désormais pris nos marques dans ce pays dont nous découvrons les richesses culturelles et naturelles mais également marqué par un passé douloureux.

KM
2327
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Publié le 28 juin 2022

La langue de terre qui ferme la lagune sur laquelle nous débarquons, nous fait vite oublier le faste de Venise qui dénote avec les longues plages monotones, identiques de part et d'autre de la lagune. La découverte de la «Sérénissime» nous apparaît désormais comme une parenthèse enchantée.

Jour 98 - Mardi 10 mai

Il est 18h30, dans la ville balnéaire de Lido di Jesolo, les cloches annoncent la messe du soir à laquelle nous assistons. A la fin de l'office, nous demandons encore une fois l'hospitalité. A notre petit discours habituel, le prêtre ne réagit pas et garde un visage fermé. Pensant que nous le dérangeons, nous nous préparons à poursuivre notre route. Après un instant de réflexion, don Lucio sort son téléphone et échange quelques mots avec son interlocuteur. Sans explications, il écrit une adresse sur un papier qu'il nous tend. Nous comprenons qu'il nous conseille de nous rendre dans cet hôtel. Perplexes, nous repartons ne sachant pas très bien s'il s'agit d'un refus ou s'il a mal compris notre demande. Nous décidons quand même d'aller à cette adresse qui est sur notre chemin, espérant y obtenir plus d'informations. Sur place, le propriétaire nous explique que le prêtre, son ami, a souhaité nous offrir la nuit. N'ayant pas compris l'intention de don Lucio, nous sommes d'autant plus gênés d'accepter ce cadeau. Nous décidons alors de lui exprimer notre reconnaissance dans une lettre. Encore une fois, nous sommes surpris par la générosité des gens à notre égard.

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Pour aller au plus direct, nous devons contourner les lagunes de Marano et de Grado. Nous nous enfonçons dans les terres et composons notre itinéraire entre chemins de terre et routes goudronnées passants au milieu des bois, des champs et des petites villes de campagne sous un fort soleil, prémices de l'été.

Après avoir bénéficié de l'accueil de nombreux prêtres, dans cette campagne où ils se font plus rares, c'est au tour des paroissiennes de prendre le relais. Nous rencontrons ainsi Anabella dans la jolie petite ville de Caorle, Mikaela et Marie-Thérèse à Lugunana puis Marisa à Pieris avec qui nous avons de beaux échanges. En toute confiance, elles prennent la responsabilité de nous ouvrir les portes des locaux paroissiaux nous assurant à chaque fois une nuit en sécurité.

Une autre étape nous permet de rencontrer Don Elia ancien prêtre au Congo qui nous embarque dans ses souvenirs missionnaires. Il sort même fièrement d'un tiroir une photo preuve de sa prise d'otage où on le voit aux côtés de ses ravisseurs.»

Jour 103 - dimanche  15 mai

Nous hâtons le pas. Il nous faut arriver avant le 17 mai à Trieste car nous avons fait le choix d'interrompre notre périple le temps d'assister au mariage de proches amis en France. Nous devons nous plier une troisième fois à l'exercice d'un impératif temps. Le Flixbus ne nous attendra pas ! À quelques kilomètres de Trieste, soulagés d'être dans les temps, nous nous autorisons une première baignade ainsi qu'une bonne sieste.

Après une nuit sous tente, nous entrons dans la dernière ville italienne. Une baignade plus tard, où l'enjeu est d'éviter les méduses, nous nous mettons en quête d'un logement pour la nuit. Après deux refus, on nous renvoie vers un oratorio (patronage) où un frère franciscain accepte enfin de nous héberger.

Partis tôt du local où nous avons dormis, nous nous installons au bord du Canale Grande pour siroter un café en profitant des ambiances matinales de cette ville dont l'architecture préfigure celle de l'Europe centrale.

Ensuite, tout s'enchaîne : les courses, le bus et le long voyage de 16h. Étonnante sensation en reprenant en sens inverse et bien plus vite notre itinéraire parcouru ces derniers mois.

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Nous vous laissons avec cette croustillante description de Trieste par Chateaubriand dans son «Itinéraire de Paris à Jérusalem» :

«J'arrivai avant le lever du jour en terre ferme, et je pris un chariot de poste pour me conduire à Trieste. Je ne me détournai point de mon chemin pour voir Aquilée; je ne fus point tenté de visiter la brèche par où des Goths et des Huns pénétrèrent dans la patrie d'Horace et de Virgile, ni de chercher les traces de ces armées qui exécutaient la vengeance de Dieu. J'entrai à Trieste le 29 à midi. Cette ville, régulièrement bâtie, est située sous un assez beau ciel, au pied d'une chaîne de montagnes stériles : elle ne possède aucun monument. Le dernier souffle de l'Italie vient expirer sur ce rivage où la barbarie commence.»

Notre bilan italien en dessins :

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2002
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Publié le 19 juin 2022

Jour 89 - Dimanche 1er Mai

De multiples canaux séparés par des digues nous offrent de jolis sentiers le long desquels s'alignent des cahutes de pêcheurs juchées sur pilotis et allongeant sur la rivière leurs larges filets. Les locaux profitent du week-end pour activer l'étrange mécanisme permettant de remonter les filets remplis de la pêche du jour. Le charme de ces bâtisses nous fait rêver: nous y poserions bien nos sacs le temps d'une nuit. Mais, l'objectif est de rejoindre Ravenne où nous attend Fabienne, la marraine de Marie, quitte à rajouter quelques kilomètres au compteur de la journée.

Pour la première fois depuis le début du voyage, nous avons expérimenté la marche avec une contrainte de temps à respecter. Les étapes s'organisent selon cet impératif et cela change notre manière d'appréhender les journées. Habituellement, nous n'avons pas la nécessité d'anticiper les points d'étapes, ni de nous fixer d'objectifs journaliers. Heureusement, les derniers mois de marche nous ont bien entraîné et nous avançons à un rythme suffisant pour ne pas faire attendre Fabienne. On réalise que nous avons, en temps normal, le luxe de nous passer d'agenda.

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Au bout de 37 km, on entre enfin dans Ravenne par les incontournables zones résidentielles et commerciales. Bien fatigués, nous remettons au lendemain la visite du centre. Fabienne nous a généreusement réservé une place dans son B&B. Nous goûtons les retrouvailles tout en profitant du confort.

Fabienne, que cette ville faisait rêver depuis longtemps a pris le temps de préparer le terrain. Elle nous guide le lendemain à travers les églises et les mausolées, exceptionnels édifices de cette cité. Les rues du centre historique sont déjà charmantes mais, grâce à ses conseils, nous découvrons le véritable trésor qui réside au cœur de ces antiques monuments.

Nous franchissons les portes passant de la lumière aveuglante de l'extérieure à l'obscurité, et soudain, nous sommes éblouis par les milles couleurs et le scintillement des grandes mosaïques de style byzantin qui ornent les murs, les voûtes et les coupoles.

En fin de journée, confortablement installés dans la cour ombragée du gîte, nous prenons conscience que sans la présence de Fabienne, nous serions passés à côté de ces merveilles.

Jours 91 à 95 - du mardi 3 au samedi 7 mai 

Les jours suivants sont l'occasion pour nous d'expérimenter la marche à trois. C'est une autre réalité qui bouscule notre mode de couple et nous apprend à fonctionner autrement. Un nouvel équilibre s'installe progressivement et de nouveaux espaces de discussions s'ouvrent alors.

Mais, recevrons-nous le même accueil à trois ? De Casalborsetti à Chioggia en passant par Commacchio, Goro et Porto Viro, on relève le défi. Fabienne n'en revient pas, les prêtres nous accueillent toujours avec autant de bienveillance ou presque :

Pour Don Thomasio, la confiance n'est pas immédiate. En arrivant dans la jolie ville de Chioggia, le nombre d'églises est de bonne augure. Mais, le premier refus ne tarde pas alors, la persévérance s'impose. Un couple nous aide à trouver un autre prêtre installé dans un café. Le premier contact n'est pas aussi chaleureux qu'on peut l'espérer : nous répondons à ses interrogations, mais cela ne semble pas suffir. Après tout, comment faire confiance à trois inconnus, trois étrangers qui ne parlent pas la langue ? N'est-ce pas la réaction normale ? Nous discutons de cela avec don Thomasio, et petit à petit, par nos échanges, il finit par nous ouvrir sa porte. À l'intérieur, nous rencontrons Luigi, directeur d'un centre d'hébergement pour jeunes en difficulté. C'est lui qui trouve finalement la solution : nous dormirons dans l'appartement de ces jeunes absents durant le week-end.

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A Commacchio le jeune prêtre don Jiuliano a lui fait immédiatement preuve d'une immense gentillesse. Dans son presbytère, on profite aussi bien d'une douche et de l'hébergement que d'un bon petit déjeuner préparé par ses soins. Moitié suisse par sa mère, il parle français et cela facilite grandement les échanges. Mais son caractère sociable et généreux y est aussi pour quelque chose ! A son contact, nous découvrons les réalités de sa mission, les difficultés pour un jeune curé nouvellement arrivé dans une paroisse de s'adapter aux personnes et aux habitudes locales mais il témoigne aussi de la beauté de son engagement et de sa foi.

Au long de cette semaine chaque accueil de la part des prêtres est différent. Neutre, bienveillant, chaleureux ou méfiant cela constitue un panel représentatif de l'expérience italienne pour Fabienne.

Professeur de langues passionnée et photographe, elle nous impressionne par son sens de l'aventure. Son goût pour les voyages authentiques à l'étranger lui permet d'accepter sans problème les exigences de la marche et de l'hospitalité. On se retrouve ainsi, tous les trois, à dormir par terre dans les salles de catéchisme avec un simple lavabo en guise de douche.

La semaine passe rapidement mais chaque journée est différente. Une fois c'est la pluie, les ampoules et un pont traversé périlleusement qui font baisser notre moral mais d'autres fois, la traversée d'un bel espace naturel forêt ou bord de mer, nous donne au contraire la force d'avancer.


Nous laissons la plume à Fabienne pour vous donner ses impressions :

Arrivée à Venise en crescendo

Atteindre Venise en longeant le delta du Pô, les marais, rencontrer des daims dans la forêt, c'est voyager en crescendo jusqu'à la grande Venise. Cette marche entre terre et mer permet de découvrir la petite Venise, Comacchio, si jolie avec son pont sculpté au-dessus des canaux qui s'entrecroisent. L'étape suivante, Chioggia, pourrait se nommer la moyenne Venise, par sa taille, nettement supérieure à celle de Comacchio. Subordonnée à la ville-musée par la lagune, Chioggia plonge davantage dans l'ambiance de Venise. De là, on sent déjà l'atmosphère de la ville aux gondoles. Unique, Venise se découvre pourtant à l'infini : ses innombrables ruelles et canaux lui confèrent de multiples visages. On voudrait y rester longtemps pour savourer tous ses secrets, tous ses ponts, ses fières demeures. La ville où le temps semble s'être arrêté attire sans cesse, et toujours avec un regard neuf.


Jour 96 - dimanche 8 mai

Chioggia, Venise est proche, mais après une semaine de marche assez intensive pour arriver à temps, les ampoules deviennent un véritable calvaire pour Fabienne. Alors, nous imaginons une astuce : nous les pèlerins, pour ne pas dévier du cadre choisi, prendrons les bacs reliant les îles de la lagune entre elles et marcherons ainsi jusqu'à Venise tandis que Fabienne nous rejoindra pour les derniers kilomètres avant la Sérénissime.

L'arrivée par bateau nous plonge progressivement dans ce décor magique. Mais, la réalité nous rattrape : nous ne savons pas où nous dormirons ce soir.

Deux couvents, deux options. Nous tentons en premier lieu le couvent dominicain qu'un frère français ami de Jean-Baptiste nous avait recommandé. Bingo ! La petite communauté accepte sans difficulté de nous accueillir. En plein cœur de Venise nous profitons d'un logement avec lits et douche cette fois-ci. Une vraie récompense qui vient clore en beauté la semaine.

La bonne surprise est la gentillesse des frères qui nous invitent même à leur table. On découvre cette véritable famille où l'humour est omniprésent. Autour de la table s'élabore un plan : le frère Adriano et le frère Stefano vénitien d'origine nous proposent une excursion nocturne pour découvrir la Venise secrète. Nous sommes vite perdus dans le labyrinthe des ruelles mais eux, en guides assurés, n'hésitent pas une seconde et nous font voyager à travers le temps et les légendes de la cité. Les monuments emblématiques sont laissés de côté au profit d'un graffiti sur le montant d'une porte, d'un bas relief derrière une gouttière, d'une peinture murale en faveur de la république... Avec eux, l'Histoire devient une succession d'anecdotes croustillantes.

Les dominicains acceptent de nous accueillir une nuit supplémentaire. Luxe de pouvoir ainsi nous reposer et flâner dans la ville. Sur le quai de la gare, nous faisons nos adieux à Fabienne heureux d'avoir partagé ces moments avec elle.

Venise nous réserve une autre surprise : nous avons rendez-vous ce midi avec Nicolas un cousin de Marie et Sarah son amie. Par le plus grand des hasards, ils sont présent à Venise en même temps que nous. Une occasion familiale à ne pas rater !

Le lendemain, le frère Michele, prieur du couvent, donne une dernière note chaleureuse à ce séjour vénitien inoubliable. On reprend une dernière fois le bac pour rejoindre la terre ferme. Comme dans un rêve, le rythme du bateau nous éloigne peu à peu faisant disparaître au loin les contours de cette ville merveilleuse.

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1770

Notre passage en Italie aurait pu se résumer en une traversée d'ouest en est dans la plaine du Pô. Au lieu de cela, nous avions fait le choix théorique de passer par Assise. Dans la pratique, cela représente un décroché de 500 km supplémentaires en direction du sud. Heureusement, ce détour n'était pas insensé. Il constitue une étape spirituelle importante sur notre itinéraire de pèlerinage avec l'avantage de nous faire découvrir d'autres régions italiennes et d'éviter la plaine du Pô réputée morne et industrialisée. Mais nous n'y sommes pas encore.

Jour 79 - Jeudi 21 avril 

En quittant la Toscane, nous constatons combien cette région est préservée. L'Ombrie, dans laquelle nous entrons aujourd'hui, ne nous réserve pas des ambiances aussi idylliques. Nous traversons une campagne assez ordinaire et la pluie achève de rendre la journée monotone. Les chaussures prennent franchement l'eau alors nous allons au plus court vers le premier clocher visible. Sur le parvis, nous apercevons un groupe scout à qui nous nous adressons pour demander où se trouve la «parrocchia» comme à notre habitude. Les responsables nous entourent et au lieu de recevoir la réponse attendue, Carla, nous propose de nous héberger chez elle. Ils changent alors le programme de la réunion et nous invitent à y participer.

On nous fait de la place dans le cercle et, assis sur des rondins, nous nous prêtons au jeu pour répondre aux questions des jeunes scouts à propos de notre périple. L'échange est facilité par Piergiorgio, l'un des chefs, qui se fait interprète. Pragmatiques et percutantes, les questions fusent. Nous prenons plaisir à y répondre et à voir la spontanéité des réactions. Nous enchaînons avec des chants de leur répertoire qu'ils entonnent énergiquement sur l'air d'une guitare. La réunion se termine en beauté par une partie endiablée du jeu de la tomate (qui ne se traduit pas du tout de la même manière en italien !). Après la «photo souvenir», Carla, la cheftaine, quitte la réunion plus tôt que prévu pour nous accompagner chez elle où nous nous sentons accueillis comme des amis. Elle s'empresse de préparer le dîner et nous propose même de faire une lessive. Nos vêtements en avaient bien besoin !

Quelques instants plus tard, nous nous retrouvons attablés avec elle, Guiseppe son mari et leurs enfants des mêmes âges que nous. Entre anglais et italien, nous parvenons à nous comprendre tout en dégustant un délicieux repas. Nous commençons bien sûr avec les pasta. Mais, attention, ici elles font seulement office d'entrée. Nous partageons et rions de bon cœur. C'est une première pour nous d'être accueillis par une famille du pays. Piergiorgio et son fils nous rejoignent pour le digestif, la discussion continue, c'est l'occasion pour nous d'en apprendre un peu plus sur la vie à l'italienne. Et finalement, un bon lit nous attend pour clôturer cette belle soirée.

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Le lendemain, nous reprenons la route plate et monotone. Depuis que nous avons quitté la via Francigena, nous suivons une autre voie de pèlerinage : «le chemin d'Assise», lui aussi bien balisé. Enfin, nous distinguons les montagnes sur le fond desquelles se détache une ville blanche immaculée ; Assise. La longue route bordée de pavillons met à l'épreuve notre patience mais nous parvenons progressivement à distinguer les contours des bâtisses aux arches de style antique qui donnent une impression de cité intemporelle.

Quelques jours auparavant, Jean-Baptiste avait échangé des messages avec Pierre un ami. En apprenant que nous approchions d'Assise, celui-ci nous propose, en habitué de cette ville, de faire jouer ses contacts pour nous trouver un hébergement. En parallèle, Maude, la sœur de Marie, nous avait elle aussi donné ses bonnes adresses. De fil en aiguille, nous arrivons à nous loger moyennant une participation, au pied de la ville dans le vieux monastère de San Masseo réinvesti par la «Communauté monastiques de Bose». Bonne pioche, c'est un havre de paix où l'architecture conjugue parfaitement patrimoine roman et rénovation contemporaine.

Nous profitons d'une journée de pause que nous mettons à profit pour explorer la cité. Nous sommes impressionnés par ce lieu qui concentre un nombre étonnant de couvents. Cela est dû à la présence des trois grandes figures chrétiennes que sont : Saint François, Sainte Claire et le bienheureux Carlo Acutis. Le faste de la basilique Saint-François, bâtie sur trois étages et ornée des grandes fresques de Giotto contraste avec le monastère San Damiano, où vécu Sainte Claire, qui a su garder la simplicité des origines. L'affluence touristique ne facilite pas le recueillement dans ces sanctuaires. Nous préférons donc flâner et nous plonger dans le décor qui a vu grandir ces saints.

Jour 82 - Dimanche 24 avril

Fin du détour italien, aujourd'hui on reprend le cap plein nord pour rejoindre l'Adriatique.

Au creux des montagnes, nous empruntons désormais le «chemin de Saint-François», itinéraire que le moine a parcouru au cours de sa vie. En avançant, les villages se font de plus en plus rare et le ciel s'assombrit. La pluie finie par nous rattraper et nous oblige à chercher un refuge quel qu'il soit. Nous nous pensons sauvé en apercevant des personnes sur le pas d'une maison. Seulement, celle-ci ne leur appartient pas. Sous les trombes d'eaux nous devons donc nous empresser de planter la tente. La seule chose que nous obtenons, c'est de faire cuire notre plat de pâtes. Nous ne sommes pas au sec mais nous avons le plaisir d'un repas chaud. Avant de nous glisser sous la toile de tente, nous recevons de la part de ces personnes des «gâteaux de St François». Un petit bonus bienvenu qui fini de nous réconforter. Ce soir là, une simple toile imperméable suffit à nous procurer le sentiment d'un véritable refuge contre les intempéries. 1,5 kg c'est finalement peu à porter pour se sentir en sécurité !

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Cela n'était pas calculé mais la route la plus directe, véritable brèche dans ces montagnes, nous fait passer par les deux charmantes villes de Gubbio et Urbino. Dans la première, nous n'oublierons pas les discussions avec un autre couple de marcheurs qui profitent comme nous de l'hospitalité d'un couvent franciscain. Et dans la seconde, nous n'oublierons pas non plus l'aide du sacristain du "duomo" (cathédrale) et de Roberto un paroissien qui se sont démenés pour nous trouver un toit.

Les hauteurs sont derrières nous et nous débouchons en début de soirée sur la petite ville de Cagli moins charmante que ses voisines mais où nous recevons un accueil exceptionnel chez don Diego. Ce jeune prêtre récemment nommé curé, nous ouvre la porte de son presbytère. Nous sommes ébahis en découvrant un vieux palais qui servait autrefois à l'évêque. Lui, met toute son énergie à rafraîchir ce lieu pour y accueillir les jeunes de la paroisse et en faire profiter au plus grand nombre.

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Quelques jours plus tard, quand nous rejoignons la plaine, ce sont les paroissiennes de la ville de Morciano di Romagna qui se mobilisent jusqu'à ce qu'on trouve à nous loger chez le curé. Permission d'utiliser la cuisine : ce soir c'est nous qui préparons le dîner pour notre hôte. Au menu : mariage d'une cuisine française avec des produits italiens. Qu'importe le résultat, nous passons un très bon moment.

Don Sanzio anime la soirée à lui tout seul : avec sa stature imposante et sa voix de stentor c'est un incroyable personnage de théâtre avec qui nous rions franchement en tentant de nous comprendre dans un mélange de gestes et de paroles peu académique mais efficaces !

Il nous dresse un portrait caricatural des régions voisines et nous présente, en bon chauvin, sa région comme étant la plus belle d'Italie. Nous verrons bien, les jours suivants, en traversant l'Emilia-Romagna qui nous conduira jusqu'au delta du Pô.

Un soir, alors que nous sommes confortablement accueillis chez trois prêtres qui partagent avec nous leur repas et font l'effort de parler français, un autre pèlerin frappe à la porte. Notre premier sentiment est de nous sentir "dépossédés" d'une certaine exclusivité, comme si cela rendait notre aventure banale. Mais bien vite, en apprenant à le connaître, nous nous laissons toucher par sa démarche de pèlerinage où il compte sur la seule la générosité des gens pour manger et dormir, sans autre sécurité. Sebastian nous impressionne par sa confiance, sa gentillesse désarmante et son courage qui lui font supporter sans colère les réactions hostiles que lui valent sa dégaine de jeune vagabond. A côté de lui, nous avons presque l'impression d'être des touristes !

Jour 87 - Vendredi 29 avril

Enfin, nous atteignons la côte est du pays dans la région de Rimini. Bien différentes de celles de la Ligurie, les plages immenses s'étendent à perte de vue. Elles sont bordées par d'innombrables "bagni". Ce sont de petits établissements balnéaires plus ou moins soignés. La densité des rangées de parasols et de transats traduit la forte attractivité estivale. Sans connaître le statut privé où public des ces installations qui se succèdent sur des kilomètres, nous ne savons plus s'il est encore permis de marcher librement sur le sable qui pourtant soulage nos pieds. Les séries d'hôtels, eux aussi dénués de charme, constituent la seule composante de l'urbanisme de ces communes. Heureusement, les rares ponts qui enjambent les fleuves nous donnent l'occasion de quitter les plages linéaires pour nous faire entrer dans quelques petites villes où nous découvrons des ambiances de vieux ports de pêche comme à Cesenatico ou à Cervia. Sans reliefs pour nous distraire, le temps semble s'écouler plus lentement mais bientôt, nous arriverons à Ravenne et partagerons, pendant une semaine, la route avec une troisième personne...

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Jour 67 - Samedi 9 avril - Carrare

Sans transition, les portes de la Toscane s'ouvrent sur une architecture faite de briques et de marbre. Les enduits liguriens colorés sont tombés et dévoilent la beauté brute de ces matériaux qui, par leur appareillage, forment des décors subtiles. Nous sommes émerveillés par ces constructions romanes aux formes sobres et aux teintes ocres.

Ici, le marbre est omniprésent. De la montagne où il est extrait, on le retrouve étincelant dans les galets des rivières, en blocs massifs dans les ateliers de découpe ou bien immaculé sur les places publiques sous forme de sculptures. A Carrare, même les bordures des trottoirs sont en marbre !

A ce moment-là, nous commençons aussi à suivre un petit personnage jaune : c'est le pèlerin qui balise les chemins de la Via Francigena qui mènent à Rome. Facilité d'une voie où nous n'avons qu'à mettre nos pas dans ceux des pèlerins qui nous précèdent. Ce tracé, modernisé sur une application, nous fait progresser dix jours durant, en nous soulageant du poids des cartes et des études d'itinéraires.

Sur ce tronçon, un nouveau type d'hébergement s'offre à nous : les accueils de pèlerins. Nous en testons un dans la ville de Sarzana. Un lit, une douche, de l'eau chaude, c'est royal ! Ce confort a pourtant un prix : entre quinze et vingt euros par personne. En temps normal, cela nous paraîtrait plus que raisonnable mais nous réalisons que notre budget ne tiendra pas cette cadence pendant un an. Nous trouvons donc une astuce : éviter les villes-étapes de pèlerins afin de pouvoir continuer à demander l'hospitalité sans être renvoyés systématiquement vers les hébergements payants. Ces derniers restent, en cas de nécessité, une bonne roue de secours.

En partant nous avons fait le choix, alors théorique, de demander l'hospitalité. Aujourd'hui, nous expérimentons la différence entre une nuit où il suffit de payer pour obtenir un toit et celles où nous recevons gratuitement l'hébergement. Au delà des questions financières, nous comprenons que c'est un axe essentiel dans notre périple qui nous donne la chance de créer un lien fort avec nos hôtes.


Jour 79 - Mardi 12 avril - Fucecchio

En arrivant dans la ville en fin de journée, nous visons l'église paroissiale, associée à un couvent. Avec ce duo gagnant, nous pensons être tirés d'affaire. Notre tentative échoue : ni le prêtre, ni les sœurs ne peuvent nous accueillir malgré leurs efforts et leur bienveillance. Le découragement s'installe au fur et à mesure que la soirée avance. Heureusement, il reste une église où nous retentons notre chance. Don Giorgio, prêtre d'origine polonaise nous fait comprendre à son tour qu'il n'a pas de place pour nous accueillir. A cet instant, une dame présente dans l' assemblée s'avance et nous propose une chambre dans son gite de pèlerins. Cet opportunisme nous rend mal à l'aise mais don Giorgio, comprend parfaitement notre situation. Il prend les devants et insiste pour nous offrir la nuit dans ce gite ainsi qu'une pizza. Gênés, nous hésitons à accepter mais il nous dit simplement : «Considérez que c'est comme si je vous accueillais chez moi !» Nous avons appris à demander simplement mais il nous faut aussi apprendre à recevoir avec cette même simplicité ce qui nous est offert.

A l'inverse, quelques jours après, il nous suffit d'entrer dans la belle ville de Buenconvento, de demander la « casa del parroco », pour recevoir comme une évidence un accueil inconditionnel chez un prêtre roumain. D'une fouille en Roumaine, Marie avait gardé en mémoire quelques mots. L'échange se poursuit avec don Cristian, trop heureux de parler de son pays natal. Ce prêtre a quitté définitivement son pays fécond en vocations pour servir, par sa mission, un diocèse qui manquait de prêtres. N'ayant pas beaucoup de temps pour nous documenter sur l'histoire des villes que nous traversons, nous étions heureux d'en savoir un peu plus grâce à lui sur les traditions de cette ancienne ville médiévale qui organise chaque année, depuis des siècles, une reconstitution grandeur nature de la Passion.

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A travers la Toscane, nous nous laissons guider sur ce magnifique tronçon de la via Francigena. Imaginez un long chemin de terre blanche que chaque voiture en passant soulève en nuages de poussière et des collines verdoyantes à perte de vue coiffées ça et là de citadelles millénaires. Le pèlerin sillonne cette route serpentant entre les monts qui offrent, le long de leurs crêtes, des panoramas sur cette campagne étonnamment préservée.

Chaque cité nous révèle, une fois ses portes franchies, le secret de son architecture qui fait son identité. Les matériaux sont les mêmes, mais pas une ne se ressemble. Il serait fastidieux de vous en faire une description exhaustive. Voici donc un diaporama représentatif :

J69-11/04 : Lucca, ville dynamique que nous découvrons dans une ambiance estivale.
J72-14/04: San Gimignano, la forteresse austère aux 13 tours envahie par une nuée de touristes.
 J73-15/04: Monteriggioni, le village charmant aux allures de grande citadelle.
J74-16/04: Sienne, impressionnante de richesses architecturales et culturelles.

La veille de Pâques coïncide avec notre arrivée à Sienne, ville emblématique de la Toscane. C'est en son cœur, dans un monastère que nous vivons la célébration de la vigile pascale. En reprenant la route le lendemain, en ce jour de fête, nous ressentons particulièrement l'éloignement avec nos proches. Nous profitons malgré tout des dernières ambiances toscanes sous un beau soleil avant de quitter la via Francigena pour rejoindre Assise.

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Jour 55 - Lundi 28 mars - Ospedaletti

Ça y est, nous avons franchi la frontière, la France est derrière nous, il nous faut maintenant appréhender cet autre pays qu'est l'Italie. Notre première impression est celle de devoir tout recommencer à zéro : nous devons apprendre la langue, réapprendre à nous débrouiller pour demander l'hospitalité, découvrir les produits italiens pour nous nourrir. La seule chose qui ne change pas c'est la marche ! C'est étonnant de constater combien on se sent vite étranger même dans ce pays voisins que nous avions pourtant déjà visité.

La première rencontre que nous faisons, c'est Fausto. Amateur de randonnée à la retraite, il nous aborde en voyant nos dégaines de pèlerins. Ses bases de français, bien meilleures que nos baraguinages italiens, nous permettent d'échanger un peu. Nous le retrouvons en fin de journée et terminons la route ensemble. Comprenant que nous n'avons que notre tente pour logement, il nous propose son garage comme abri de fortune. Quel soulagement de pouvoir dormir en sécurité.

La Via Aurelia, qui nous conduira jusqu'en Toscane, est une départementale ponctuée par un enchaînement de petites villes qui occupent les baies que nous découvrons à chaque passage de cap. Les villas comme les immeubles revêtent des peintures murales colorées dignes des plus beaux décors de théâtre : frises, encadrement de fenêtre, pierres d'angle, corniches, bas-relief, etc. tout est peint. Mêmes les effets d'ombre portées sont fidèlement représentés.

Cette route au nom poétique ne l'est plus du tout quand il s'agit de marcher des semaines entières sur le bitume. Nos pieds ont du mal à supporter ce régime. Heureusement, le paysage est charmant et nous constatons que cette route plate et directe nous permet de progresser efficacement sur notre itinéraire. Nous poursuivons notre chemin en sachant que l'alternative serait de passer par les montagnes où nous avancerions bien moins vite. Nous épions donc la moindre parcelle enherbée où marcher pour soulager nos pieds.

Le lendemain, nous croisons la route d'Albert, un autrichien en chemin vers Saint Jacques de Compostelle. Nous découvrons la joie de pouvoir échanger avec un autre pèlerin. Avant de repartir, avec son enthousiasme débordant, il nous recommande une paroisse par laquelle il est passé en disant : «Recco is called the place. Don Matteo, you have to visit.»

Quelques jours plus tard, nous apercevons à plusieurs reprises un homme poussant un chariot et avançant dans la même direction que nous. C'est Richard, qui lui marche avec son chien jusqu'à Rome.

A travers ces rencontres, nous comprenons que chaque pèlerin part avec ses propres motivations et ses propres critères. Cette diversité est belle et enrichissante.

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Dans cette région, entre mer et montagne, nous réalisons qu'il est plus difficile de planter la tente. En effet, les espaces urbanisés se succèdent et les pentes sont raides. Alors, nous devons demander systématiquement l'hospitalité. L'apprentissage de quelques rudiments d'italien devient d'autant plus nécessaire.

Nous apprenons vite à frapper aux portes des presbytères : seuls lieux où nous pouvons directement entrer en contact avec quelqu'un pour demander l'hospitalité. Nous constatons la différence avec la France où ils nous fallait prévoir en avance l'itinéraire afin de trouver l'unique presbytère occupé à des lieux à la ronde. Ici, nous savons que dans chaque ville il y a au moins un prêtre habitant sur place.

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Jour 61 - Dimanche 3 avril - Recco

Nous avions gardé en tête le conseil d'Albert et, en arrivant à Recco, nous nous dirigeons directement vers l'église espérant y trouver ce fameux Don Matteo et avoir une chance d'être hébergés.

A peine débarqués sur le parvis, nous apercevons la silhouette d'un prêtre. Bingo ! C'est bien Don Matteo qui comprend tout de suite notre situation. Il s'affaire immédiatement, nous apporte un goûter en nous expliquant, dans un mélange anglo-italien, que nous pouvons dormir dans une salle de cathé et qu'une certaine Rosetta viendra nous préparer le dîner. Nous savourons avec délice nos premières pasta italiennes. Il nous offre même une crédencial, véritable passeport du pèlerin, qui nous ouvrira bien des portes.

Depuis notre arrivée dans ce pays, nous désespérions de retrouver les beaux échanges que nous avions expérimenté le mois dernier du fait de la barrière de la langue. Cette soirée nous a detrompé : nous avons appris à les connaître, lui pèlerin dans l'âme et elle, veuve qui donne de son temps sans compter. Nous avons peine à croire à un accueil aussi généreux.

Décidément cette ville nous aura réservé bien des surprises car le lendemain nous sommes invités par des paroissiens, Cristina et Vittorio. Ils ont à cœur de nous faire goûter les spécialités italiennes comme la divine focaccia au fromage de Recco ! En plus de nous régaler, ils nous font rire en nous montrant les tours de magie qu'ils sortent à toutes occasions.

Nous vous racontons cet accueil en tant qu'exemple, mais bien d'autres personnes nous ont offert l'hospitalité : les Clarisses dans leur monastère à Imperia, des Salésiens dans le gymnase de leur école à Alassio, un frère Capucin dans son couvent à Gênes, Don Jacopo à Rapallo, sans parler de Don Mauro à Riva Trigoso qui nous offre en plus notre première pizza italienne !

Jour 65 - Jeudi 7 avril - Corniglia

Étape incontournable de la Ligurie dont tout le monde nous parle, le Cinque Terre nous surprend non pas par son décor magnifique mais par son affluence touristique. Celle-ci est telle qu'en voulant emprunter le sentier du littoral (moins ardu), nous buttons devant le guichet d'un péage piéton. Incroyable ! Nous paierons donc pour marcher et transpirer sur ces sentiers escarpés qui relient les 5 villages.

Les deux nuits sous tente, elles gratuites, nous consolent en nous offrant des panoramas exceptionnels sous le soleil couchant. Nous vous conseillons tout de même cette escapade haute en couleur, charmante et très représentative des ambiances du littoral ligurien.

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Publié le 4 avril 2022

Dimanche 20 mars - Jour 47

Nous poursuivons notre chemin avec, en ligne de mire, un nouvel objectif : retrouver le parrain de Jean-Baptiste qui est prêtre à Lorgues. Sensibles à l'accueil très généreux qu'il nous réserve, nous profitons pleinement de cette étape en partageant de bonnes discussions autour d'un délicieux repas et d'une bonne bouteille. Nous savons que les nuits suivantes sous la tente seront forcément un peu plus rudes.

Sur notre route, entre vignobles et oliveraies se cache la célèbre Abbaye du Thoronet. Nous ne pouvons pas ne pas visiter ce chef-d'œuvre de l'art cistercien. L'église abbatiale, les jardins, la salle capitulaire, le cellier, le bâtiment des convers, etc., tout suscite notre émerveillement. Dénuées de toute décoration, de toute peinture, les pierres brutes expriment toute leur beauté dans des jeux de lumières que l'on ne retrouve que dans l'architecture romane.

Un midi nous entendons une voix connue nous héler : c'est Jacques un pèlerin expérimenté que nous avions rencontré quelques jours avant. Lui et sa femme sillonnent depuis leur retraite les chemins de Compostelle en long, en large et en travers. Leur camping-car est garé quelques mètres plus loin. C'est tout naturellement qu'ils nous invitent à partager leur repas. Nous nous retrouvons donc attablés dans cet espace minuscule. Nous découvrons ce couple joyeux, spontané avec qui nous échangeons sans voir le temps passer. Yvette, quelque peut «sorcière» comme dirait son mari, nous apprend à cueillir les asperges sauvages qui foisonnent dans ces terres arides. Nous repartirons même avec un bocal de câpres de boutons de pissenlits au vinaigre, fameuse recette que nous vous conseillons ! Qu'importe le poids du pot de verre, nous ne refusons pas ce cadeau qui assaisonnera nos prochains sandwichs.

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Le surlendemain, ce n'est pas le parfum des fleurs qui nous fait quitter les sentiers de randonnée pour monter vers Grasse mais la perspective d'une nuit chez les parents de Vianney, un ami de Jean-Baptiste. Un accueil inconditionnel nous attend encore avec le pack complet : douche/dîner/lit/lessive/petit-dej sans oublier les bons échanges. Ce soir là, nous faisons également la belle rencontre de Danielle, qui nous raconte son histoire émouvante.

A partir de ce soir là, une chaîne amicale se met en place et nous permet d'assurer certaines nuits sur le dernier tronçon français. Quel réconfort de savoir que nous sommes attendus !

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Jeudi 24 mars - Jour 51

Après une nouvelle journée de marche, nous faisons notre calcul kilométrique quotidien et réalisons que nous franchirons demain matin la barre des 1000 km. Le lendemain, c'est dans la petite vallée de la Bargue en direction de Biot que nous marquons ce seuil symbolique. Malgré la satisfaction, la route nous paraît encore bien longue jusqu'à Jérusalem !

Quelques kilomètres plus loin, nous apercevons enfin la Méditerranée. Aujourd'hui, chose exceptionnelle et demain habituelle ; elle nous guidera dès lors jusqu'en Terre Sainte.

Autre maillon de cette chaîne, Catherine et Philippe, nous ouvrent les portes de leur charmante maison niçoise où ils cultivent ensemble un art de vivre dont ils nous font profiter. Nous repartons même avec des délicieuses oranges de leur jardin ! Nice nous étonne par son style riche et coloré et son paysage contrasté entre mer et montagnes.

Enfin, nous arrivons en vue de la dernière ville française avant le passage de la frontière. Menton nous plaît immédiatement : au bord de l'eau, adossé à la montagne, le centre historique est dépaysant. Ses rues multicolores grimpent jusqu'aux villas élégamment ornées de frises ou jusqu'aux cimetières dominants la mer.

L'autre belle surprise de cette ville est la rencontre avec Francette, amie de nos précédents hôtes, qui nous accueille à bras ouverts. La chaîne amicale se poursuit !

Accueil chez Francette - Dernier véritable petit déjeuner français 

Cette mentonnaise pure souche est à l'image de sa ville : chaleureuse et joyeuse ! Nous sommes chouchoutés au point de jouer les prolongations en restant une nuit de plus, le temps de profiter de la ville, de nous reposer et de mettre à jour carnets de dessins et blog tout en préparant la suite de la marche en Italie.

Le lendemain, nous voilà frais et dispos pour passer la frontière. Nous attendions ce moment avec impatience en sachant que cela marquerait la fin de notre marche en territoire connu. Le passage en lui-même ne pose aucun problème, mais nous appréhendons l'arrivée dans ce pays pourtant voisin où nous devrons reprendre nos marques.

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Publié le 27 mars 2022

Samedi 5 mars - Jour 32

Une fois les dernières neiges traversées, nous entamons une lente descente dans les monts d'Ardèche. Afin de ménager nos efforts, nous composons notre itinéraire en alternant les petites routes, les anciennes voies romaines et les sentiers de muletiers qui ont la bonne idée de suivre les courbes de niveau topographiques. Ces courbes, nous les retrouvons concrètement dans les faïsses. Construits par des générations de paysans, ces murets en gradins, plantés de châtaigniers et adossés aux montagnes façonnent encore aujourd'hui le paysage.

La saison elle aussi évolue soudainement : le climat hivernal laisse place aux toutes premières ambiances printanières. L'air se charge du parfum des mimosas en fleur que nous respirons en manches courtes. Bien que les nuits sous tente restent fraîches, nous sentons les beaux jours arriver et le Midi approcher.

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Depuis le départ nous avions pour objectif de traverser les fameuses gorges de l'Ardèche mais avant d'y parvenir nous découvrons que ce fleuve a également creusé son lit au milieu des roches volcaniques de Jaujac. Au détour d'une route nous observons ces étonnantes sculptures en facettes polygonales appelées orgues basaltiques.

Quelques jours plus tard, nous arrivons aux portes de l'Ardèche qui nous conduiront vers la vallée du Rhône. C'est par une fin d'après-midi ensoleillée que nous pénétrons entre les murailles vertigineuses qui se dressent de part et d'autre de la rivière. Nous décidons d'emprunter le chemin en contrebas des gorges pour apprécier de plus près ce monument que le temps a creusé.

Nous espérions passer la nuit au sec dans un refuge troglodyte repéré sur le chemin. Manque de chance, les portes sont cadenassées. Notre bivouac sera donc un peu plus loin.

Peu après, la falaise stoppe net le sentier et le sens du balisage nous fait comprendre que nous devons traverser la rivière à gué pour aller sur l'autre rive et poursuivre notre chemin. Encouragés par les derniers rayons du soleil, nous nous déchaussons, et engageons la traversée. À cette saison, l'eau qui descend des monts d'Ardèche est bien fraîche. A mi-parcours, l'eau commence à gagner la hauteur de nos sacs. Vite, nous devons mettre en sécurité portables et appareil photo, la panique n'est pas loin ! Heureusement, à l'aide de bâtons, nous gardons un équilibre précaire malgré les galets glissants. Enfin de l'autre côté, nous changeons nos vêtements et repartons aussitôt pour ne pas nous refroidir. La carte en papier qui était restée dans la poche du pantalon de Jean-Baptiste n'aura pas survécu à cette mésaventure ! Quelques méandres plus loin, nous plantons la tente sur une petite plage de sable où le soleil projette encore pour quelques minutes ses rayons sur le haut de la falaise avant de laisser place au ciel étoilé. Dans ce lieu habituellement très touristique, ce spectacle s'offre à nous seuls.

Jeudi 10 Mars - Jour 37

La traversée du Rhône à Avignon marque un changement de cap : nous prendrons désormais la direction plein est vers la frontière italienne. Nous plongeons dans un décor provençal avec ses vignobles, ses oliveraies et ses bouquets d'herbes aromatiques qui embaument l'air. Les mas et bastides colorés aux toits couverts de tuiles romaines ornés par les génoises en encorbellement dominent désormais l'architecture locale.

Pour que ce charmant tableau soit réaliste, il faut cependant y intégrer les nombreux axes routiers, les zones pavillonnaires et commerciales. La densité de population en recherche de soleil se fait fortement sentir dans cette région. Cela transforme nos passages dans les périphéries des grandes villes en véritables calvaires où nous peinons à trouver notre place en tant que piétons dans ce cadre pensé exclusivement pour la voiture.

Notre périple s'enrichit encore par les rencontres que nous faisons en demandant l'hospitalité. Elles dessinent une fresque toujours plus diversifiée :

Nous sommes accueillis par un diacre et sa famille pour un déjeuner dominical à Largentière, un belge attiré par le climat du sud, une ancienne collègue de travail à Avignon, une famille nombreuse à Salon de Provence, d'anciens voisins expatriés, un foyer étudiant à Aix-en-Provence... Connaissances ou pas, l'hospitalité que nous recevons d'eux nous touche toujours autant et à aucun moment le covid n'y fait obstacle.

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Mercredi 16 mars - Jour 43

Après deux jours ressourçants à Aix, nous attaquons l'ascension de la montagne Sainte Victoire. Jean-Baptiste avait repéré un refuge au sommet. Au creux d'une brèche cet ancien hermitage entièrement restauré par une association locale traduit le courage de ceux qui l'ont autrefois érigé. Nous arrivons bien avant le coucher du soleil mais la beauté du site nous encourage à nous y établir pour la nuit. Heureux de profiter de ce lieu en exclusivité, nous nous installons et sortons notre matériel de dessin. Quelques instants après, nous voyons débouler trois jeunes du coin que nous observons d'un oeil méfiants, jaloux de notre propriété d'un jour. Nous découvrons dépités qu'ils ont aussi l'intention de dormir là. Nous nous efforçons donc d'entamer la conversation et passons finalement une excellente soirée à discuter ensemble au coin du feu. Cette rencontre nous assurera même la nuit suivante à Saint Maximin-la-Sainte-Baume chez Étienne (l'un des randonneurs), sa compagne et leur fille. Nous sommes très touchés par leur générosité et leur simplicité marquantes chez un couple de notre génération.

La prochaine étape nous réserve une belle surprise : nous apprenons que des amis prévoient de venir à Cotignac pour la St Joseph depuis Paris et Toulon. Trop heureux de profiter de cette occasion nous n'hésitons pas à changer notre programme pour faire le détour. La joie de revoir des têtes connues se conjugue à la découverte de ce lieu spirituel. Après la célébration officielle, nous allons saluer l'évêque, ami de nos parents, qui nous surprend en nous invitant à profiter du buffet réservé aux célébrants et aux organisateurs. Après le spirituel nous revenons à des occupations plus temporelles : la journée s'achève sur la victoire française au Tournoi des six nations en rugby que nous fêtons avec nos amis ; Cocorico !!

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546

Nous quittons les territoires connus de l'Allier pour explorer, toujours plus haut, les reliefs du Puy-de-Dôme dans le parc régional du Livradois-Forez.

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Initialement, nous avions décidé d'éviter le chemin le plus direct passant par les Alpes pour choisir un itinéraire sensé nous éviter les inconvénients de la neige. C'était sans compter les sommets auvergnats à plus de 1000 m, forcément enneigés à cette saison !

Nous slalomons entre les stations de ski et grimpons insouciants et confiants dans nos chaussures Gore-Tex. Mais la neige, même glacée, a vite raison de la soi-disant imperméabilité des dites chaussures ! Avec les pieds mouillés, les premières ampoules ne tardent pas à arriver. Du Montoncel au col du Béal, la mésaventure se répète. Ces petits aléas sont autant d'occasions pour apprendre à se soutenir mutuellement ce qui n'est pas toujours évident quand on a le moral dans les chaussettes !

 Le Montoncel et le col du Béal

Dormir sous tente en hiver était pour nous un pari. Le sac de couchage, le tapis de sol et la tente assurent l'isolation nécessaire mais seulement jusqu'à une certaine température.

En effet, après avoir traversé le col du Béal, ne trouvant pas mieux, nous dressons la tente sous l'appentis d'un buron isolé.


Au réveil, en essayant d'enfiler nos chaussettes durcies par le gel, nous regrettons de ne pas avoir installé le double-toit qui nous aurait protégé du vent glacial. Leçon retenue : aux prochaines températures trop négatives, nous demanderons l'hospitalité !

Heureusement, nous sommes attendus le jour suivant à Ambert par la mère d'une religieuse de Vézelay. Étape providentielle qui nous fait quitter les hauteurs trop enneigées et profiter d'un accueil inconditionnel. Toutes ses attentions nous comblent au point de nous permettre de passer la nuit suivante chez un de ses amis prêtre.

En pèlerins néophytes, nous pensions trouver au moment voulu et sans efforts des messes sur notre route. Mais notre itinérance en territoire rural nous pousse vite à adopter une autre méthode plus connectée !

Chaque dimanche, nous devons viser un village important avec en prime un presbytère où demander le gîte pour la nuit. En frappant, nous espérons au mieux étendre nos duvets sur le sol d'une salle paroissiale. Chaque accueil nous a detrompé, que ce soit chez le père Philippe à St Romain, le père Georges à Yssingeaux ou le père Augustin à Largentière, nous recevons bien plus que ce que nous demandons. Nous sommes heureux de ces occasions d'échanges qui nous font découvrir la mission de ces prêtres et la beauté de ces communautés locales.

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Le long des chemins, nous nous efforçons d'observer les composantes naturelles ou architecturales des paysages que nous traversons. Les transitions sont parfois marquantes comme ce jour où les maisons en granit gris ou rose laissèrent soudainement place à une pierre noire. Nous avons finalement la solution de cette énigme en discutant avec un habitant qui nous explique que nous nous trouvons au pied d'un ancien volcan. Cette pierre basaltique marquera désormais le paysage jusqu'en Ardèche.

Du massif du Meygal au mont Mézenc, notre dernière journée en Auvergne nous offre des paysages de plateaux sous un ciel sombre où les derniers rayons du soleil inondent les plaines et nous offrent des jeux de lumière à couper le souffle. Les nuages menaçants et le vent froid nous ramènent vite à la réalité, nous devons trouver un refuge pour la nuit.

Une fois la chose décidée, il faut passer à l'action mais les habitations se raréfient à l'approche des monts. Une première ferme peu engageante nous encourage à continuer. Nous apercevons à l'orée d'un bois un chalet. Didier, occupé à bricoler nous accueille et nous laisse sans hésiter les clés de sa maison en travaux. Comble du luxe, il y a un poêle devant lequel nous nous réchauffons avec délice.

Toujours en direction du sud, nous quittons les derniers sommets enneigés, et longeons la ligne de partage des eaux Loire-Méditerranée jusqu'aux sources de la Loire. Enfin les monts d'Ardèche succèdent à ceux du pays des Sucs.

 Ambiances d'Auvergne
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322

Rien de tel qu'une journée entière sous la pluie et le vent pour savourer le réconfort d'un accueil familial et amical. Après une première semaine de mise en jambe, nous effectuons un léger décroché vers l'est pour rejoindre l'autunois. Nous repartons 3 jours plus tard heureux d'avoir retrouvé des têtes connues et requinqués par les bonnes discussions, les bons repas et les douches chaudes.

Après une nouvelle nuit sous tente, l'ascension du mont Beuvray nous fait vite ressentir les courbatures habituelles. Nous ne restons pas longtemps à admirer la vue depuis l'ancien oppidum car nous savons qu'un lit chaud nous attend chez la famille de Marie à Magny ; dernière étape dans le Morvan.

Nous reprenons le rythme désormais habituel de la marche. Après avoir traversé les 4 départements bourguignons, nous franchissons la Loire qui marque notre arrivée en Auvergne. La marche est plus aisée car le relief s'adoucit. Cependant, les cités pavillonnaires et le bitume des départementales nous font vite regretter le charme des collines et des vallons.

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La tente augmente le poids des sacs mais réduit les contraintes liées à l'hébergement : elle offre le grand avantage de nous libérer du soucis de la recherche d'un lieu sécurisé. Ainsi, nous partons le matin sans savoir où nous dormirons le soir même.

Nous ne regrettons pas ce choix qui nous pousse à vivre l'aventure d'une nuit sous tente ou celle de l'hospitalité. Nous n'hésitons plus à frapper aux portes et nous nous retrouvons dans les lieux les plus divers comme un gîte de pèlerin à Issy-l'Évêque, un presbytère à Bourbon-Lancy, une ferme au Puy Saint-Ambroise, une caravane à Montcombroux-les-Mines et même une salle communale à Droiturier ! Nous goûtons cette générosité providentielle si bien traduite par Brassens dans sa chanson «l'Auvergnat».

 Chez Hortense.

Lundi 14 Février :

Ce matin, les prévisions météo annoncent une pluie continue. Sous la tente nous hésitons à sortir mais finalement l'envie d'avancer l'emporte. Fin de la matinée, l'averse s'intensifie, le vent se lève, nous sommes trempés et le moral baisse. Alors, nous décidons de frapper à la prochaine porte.

Hortense, une jeune lycéenne, nous accueille à bras ouvert dans la maison de ses parents. Nous nous retrouvons quelque instants plus tard attablés dans une cuisine chaleureuse à déguster les produits de la ferme tandis que nos affaires sèchent. Sa gentillesse, si naturelle, nous touche particulièrement.

C'est lors des jours pluvieux, quand la marche se fait dure, que les accueils paraissent d'autant plus providentiels.


Dans les discussions avec nos hôtes et en traversant les villages, nous sommes marqués par ces campagnes qui peinent à se renouveler. Les habitants nous expriment la tristesse qu'ils ont en voyant cet appauvrissement au regard de ce qu'ils ont connu dans leur jeunesse.

Et pourtant, nos goûts d'architecte et d'archéologue nous font apprécier la richesse du patrimoine naturel et bâtit de ces territoires.

Extraits des carnets de croquis. 

Le GR 3 succède au GR 13 et nous conduit à travers l'Auvergne et son paysage de campagne sculpté dans le granit rose par les nombreuses rivières. Après 15 jours de marche et plus de 300 km parcourus, nous profitons une nouvelle fois d'une étape familiale ressourçante au Mayet-de-Montagne ; occasion parfaite pour faire une lessive et vous donner ces quelques nouvelles !

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Mercredi 2 Février : Premier jour de marche.

On ne réalise toujours pas que cela sera notre quotidien pendant un an. On a seulement l'impression de partir pour une balade ! La petite bruine qui accompagne cette journée et la première nuit sous tente nous plongent tout de même dans l'aventure.

On sent qu'il va nous falloir du temps pour trouver notre rythme : que ce soit pour la marche, la prière, l'approvisionnement en nourriture ou pour demander l'hospitalité. Nous devons choisir comment structurer ce temps qui s'offre à nous.

Déjà les muscles se font sentir. Forcément les mois très calmes qui ont précédés le départ n'ont pas été particulièrement physiques. On choisit donc de prendre le temps, de ne pas nous donner d'objectif de kilométrage.

Nous qui pensions faire aisément 25 km par jours, nous voilà obligés de revoir nos prévisions à la baisse. On espère qu'avec l'habitude nous améliorerons nos performances !

Durant ces premiers jours, nous profitons du paysage bucolique du Morvan. Les petites vallées traversées pas la Cure s'enchainent en passant de forêts en bocages. Nous nous croyons retournés aux temps médiévaux en découvrant au fin fond d'une vallée un moulin ou un château.

La deuxième nuit que nous passons à l'abbaye de la Pierre-qui-Vire, cachée au fond d'une forêt, comme coupée du monde, nous plonge dans une ambiance mystique. Les sentiers sont parsemés de ces découvertes inattendues.

L'abbaye de la Pierre-qui-Vire 

Le temps est un jour pluvieux, un jour ensoleillé mais tout le temps froid ! La réputation du Morvan se vérifie. Heureusement en marchant nos corps se réchauffent vite et nous devons apprendre à jongler avec les couches d'habits pour les adapter selon l'effort.

Jusqu'à maintenant nous avons alterné sans le vouloir les nuits sous tente et les nuits chez l'habitant qui nous offrent le grand réconfort d'être au sec et de profiter d'une douche chaude !

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Ce samedi a été particulier, non pas pour les kilomètres parcourus, mais car nous avons fait notre première rencontre marquante :


Nous marchions d'un pas décidé sous un beau soleil, quand, à l'entrée d'un village, nous croisons Paul qui nous salue et avec qui nous échangeons quelques mots. Cherchant une messe pour le dimanche, nous lui demandons si par hasard il pouvait nous indiquer où en trouver une. Quelle n'a pas été notre surprise quand il nous a proposé de venir chez lui et sa femme Micheline prendre un café en attendant son ami prêtre Geoffroy qui venait justement célébrer la messe. Nous acceptons trop heureux de profiter de l'occasion.

Finalement en plus d'une messe nous sommes restés déjeuner, accueillis avec une grande générosité par ce couple et leurs amis. Nous repartons après des discussions enrichissantes avec les pieds secs, le ventre plein et l'envie de poursuivre notre route sans hésiter à frapper aux portes pour susciter de nouvelles rencontres.

Père Geoffroy-Paul et Micheline-Catarina 

Il n' est pas si évident de concrétiser les objectifs du pèlerinage et encore moins quand il s'agit d'aller frapper à la porte d'inconnus pour demander l'hospitalité. Nous mettons en application le soir même ces bonnes résolutions et nous voici bien au chaud dans la maison chaleureuse de Lancelot, Armelle et leurs enfants qui nous offrent un lit comme si c'était la chose la plus naturelle du monde !

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Publié le 7 février 2022

Vézelay, 7h du matin, il fait encore nuit, les cloches qui sonnent l'office des laudes nous appellent à entrer dans la basilique. Après avoir traversé le narthex, nous avançons dans la nef romane pour nous diriger vers la chapelle où la communauté des Fraternités Monastiques de Jérusalem est déjà rassemblée pour la prière. À la fin de l'office, la bénédiction des pèlerins nous est donnée : moment solennel qui marque le départ de notre pèlerinage. Nous pouvons enfin nous mettre en route.

 L'itinéraire de Vézelay à Jérusalem

Il nous faut tout de même vous présenter l'itinéraire envisagé.

Avertissement : Ceci n'est qu'un aperçu. Le trajet peut être soumis aux imprévus, aux aléas climatiques et sanitaires ou même à nos envies !

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Publié le 1er février 2022

Fin octobre 2021, nous quittons travails et logement parisiens pour nous retrouver... en Essonne ! Il s'agissait bien d'un faux départ car nous ne sommes partis pour Vézelay, point initial du périple, qu'aujourd'hui. 3 mois de retard ? Tel Numerobis l'architecte égyptien, Jean-Baptiste a dû peaufiner un chantier.

Nous nous sommes donc retrouvés avec ces quelques mois supplémentaires qui auraient dû nous permettre de préparer d'autant mieux le voyage. Et pourtant, nous ne nous y sommes vraiment mis qu'en voyant la date fatidique approcher. Nous voilà donc début janvier à courir du Vieux Campeur à Decathlon en passant par internet pour réunir le matériel. Une seule exigence : la légèreté ! Voilà le résultat :

11 kg - 45L - été comme hiver
Sac: 11 Kg - 45L - été comme hiver 

Ce temps d'attente indéterminé était un entre-deux peu confortable mais cela a été aussi l'occasion de profiter de temps familiaux et amicaux précieux. Avec ce retard imprévu, on se rend compte que l'exercice de lâcher-prise a commencé bien avant le «vrai» départ.