Au cas où vous l'ignoriez, Tallinn accueillit une partie des épreuves olympiques des JO d'été en 1980 (régates de voile), la ville hôte étant Moscou.
Il en reste aujourd'hui le Linnahall, sorte de pyramide maya-soviétique que l'on aperçoit dès la sortie du ferry en se dirigeant vers la vieille ville.
Notre destination est un peu plus au nord, entre le Linna Hall et le musée maritime.
Moins de 48h à Tallinn en plein hiver, et voilà que nous allons visiter une prison. Désaffectée, je vous rassure. C'est un tourisme un peu particulier, je vous l'accorde. Encore plus si je vous dis que nous sommes également allées voir un mémorial soviétique le lendemain... Ce n'est ni par plaisir morbide, ni pour des raisons familiales ou mémorielles. Simplement pour voir, sur place, les symboles de l'histoire tourmentée d'un pays. J'avoue, quitte à être là, on voulait toucher du doigt son passé soviétique. Un intérêt patrimonial aussi : au rythme des dégradations (naturelles et humaines), qui sait combien de temps ce bâtiment restera accessible ? (NB : lorsque j'écris cet article, 18 mois plus tard, en octobre 2017, le site est officiellement annoncé comme fermé).
On aurait pu visiter les musées historiques, mais lorsque j'ai découvert qu'une ancienne prison pouvait se visiter, je me suis dit que ce serait plus parlant. Et c'est le moins qu'on puisse dire.
Nous ne sommes manifestement pas les seuls touristes. Le lieu est ouvert en été mais, en hiver, se visite seulement en groupe d'au moins 8 personnes, avec inscription préalable (du moins en 2016 à l'époque). Nous sommes donc un petit groupe au lieu de rendez-vous : 2 Françaises, un couple norvégien, 3 Norvégiens, une Taiwanaise et un Finlandais. La guide est une chercheuse estonienne, qui retrace l'histoire de la prison et récolte des archives orales en interviewant anciens prisonniers et gardes.
En quelques mots, voici l'histoire de ce bâtiment (si j'ai bien compris son anglais au débit ultra rapide) :
- 1e moitié du XIXe siècle : construction par les Russes d'une forteresse pour défendre l'accès à la mer ;
- fin XIXe siècle : caserne russe ;
- 1920-début des années 2000 : prison sous différents régimes (droits communs, condamnés à mort, Juifs français déportés par le convoi du 15 mai 1944, prisonniers politiques du KGB...) ;
- 2007 : ouverture comme "parc culturel" (l'été !).
Ce qui donne aujourd'hui un "joyeux" mélange : sculpture contemporaine dans la cour d'entrée par des artistes invités, et graffitis "officiels" ; mobilier abandonné en l'état, pêle-mêle, dans les longs couloirs et les cellules décrépites, tags de plus ou moins bons goûts ; arbres qui reprennent leurs droits dans la "cour de promenade" (qui tiennent plus de cages en plein air).
Avant tout, Patarei reste une prison où des milliers de personnes ont été emprisonnées dans des conditions déplorables (ce n'était pas mieux pour les premiers soldats) : humidité, sur-peuplement, faim... (le nombre de prisonniers a dépassé les 4000, à plus de 40 dans des cellules prévues pour 20). Certains y étaient enfermé à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle. Au point où se briser le genou volontairement permettait de passer des "vacances" à l'infirmerie. Sans compter les exécutions.
Des fois, les détenus ont eu la possibilité de décorer leur cellule et les gardes les ont laissés faire.Une cellule à plus de 20, aux fenêtres bardées de bois pour ne pas pouvoir regarder dehors/ne pas être vus de l'extérieur (il ne faudrait pas que les prisonniers interrompent les épreuves de voile des JO de l'été 1980 !).
Être entassés les uns sur les autres, sans répit. L'heure de "promenade" n'en est pas une : dehors, à tourner en rond dans une cage avec ses compagnons de cellule, grillagée au dessus pour ne pas pouvoir passer des messages/objets aux autres, avec la sono à fond pour ne pas pouvoir communiquer.
Certains des artistes contemporains qui ont taggé les murs ont bien compris la dimension mémorielle et tragique de ce lieu et l'émotion qui s'en dégage aujourd'hui, cherchant à transmettre des messages pacifiques et/ou anti-totalitarismes. Contraste saisissant avec les tags anti-Obama et pro-Trump laissés par des "visiteurs" indélicats.
Difficile de croire que, l'été, le site abrite un bar, une plage et des concerts.
Finalement, nous passons l'après-midi à arpenter ces locaux labyrinthiques, parfois à la lueur de la lampe-torche de la guide. Nous n'aurons pas le temps d'aller visiter le musée maritime (Lennusadam seaplane Harbour), à peine plus loin (à ne pas confondre avec celui de la tour Margaret, dans le centre historique).
Des hangars militaires de 1911, reconvertis ; des hydravions, un sous-marin, tout ça raté à cause des horaires d'ouverture !
Tant pis, ce sera un prétexte pour revenir à Tallinn.
On rentre à pied au centre ville, en traversant le quartier de Kalamaja et ses vieilles maisons en bois en cours de réhabilitation ("boboification" ? gentrification).