Comment j’ai accepté la valise d’une inconnue à l’aéroport de Paris en partance pour la Havane… Les débuts de mon premier voyage vraiment seule…
Mai 2009
2 semaines
Partager ce carnet de voyage
1

Dans la file d’attente d'enregistrement des bagages, munie de ma petite valise de 15 kilos et de ma bouille de pigeon parisien, je suis une cible repérable à 100 km. Une jeune femme m’accoste pour me demander si je peux prendre l’un de ses bagages remplis de cadeaux pour sa famille. En tant que cubaine, elle est non seulement limitée en poids mais en plus elle risque de payer une taxe.

Au vu de sa désolation, difficile de rester insensible. Elle poursuit sa dramatique litanie, quasi sûre de ferrer le poisson que je suis : « 8 ans qu’elle n’était pas rentrée « au pays », il lui était impossible de se restreindre sur le nombre et la valeur des cadeaux, de décevoir sa famille, elle n’avait quasi pas mangé pour se payer son billet… ». La veille, j’avais pris quelques infos sur les forums dans la précipitation (je devais partir au Mexique mais j’ai dû changer de destination 2 jours avant...) et lu que des cubains demandaient souvent aux étrangers de passer des valises de cadeaux pour éviter qu’on leur confisque leurs bagages ou de payer une taxe. Ce n’était pas un pays touché par la drogue et la douane laisse passer les touristes mais contrôle les cubains qui reviennent.

Je me suis dit alors :

« Pas de risque de passer des choses illicites. Et si je peux aider une personne provenant d’un pays opprimé, frappé par l’embargo et l'injustice, pourquoi s’abstenir ?


Ça c’était pour le beau côté de la chose. Mais en réalité je culpabilisais surtout de passer pour une ingrate. Même si une petite voix intérieure me fredonnait : « N’accepte aucun bagage ou colis d’un tiers, quelqu’en soit le motif ». Bref, après quelques minutes d'hésitation, je finis par accepter de faire passer l’un de ses bagages pour le mien. Reconnaissante de mon geste, Yoani* me propose de me faire visiter la Havane à la « locale ». Je suis enchantée : rien ne pouvait autant me réjouir. Elle me présente son amie Marta, chanteuse cubaine.

2

On embarque et on s’assoit toutes les 3 ensembles. Le voyage fut presque une calamité.

Au départ, joyeux et très instructif, Yoani me parle d’elle et de son pays. Elle est prof de danse en France et a pu sortir du pays en épousant un français. Sinon les cubains ne sont pas autorisés à sortir de Cuba en 2009 à moins d’être artiste ou d’épouser un étranger (loi qui a changé en 2013). On glisse vers le débat politisé. Elle est à la fois très fière de Fidel Castro de ce qu’il a apporté à son peuple et de l’autre fatiguée de la situation du pays, de l’embargo imposé par les États-Unis qui les appauvrissent. Elle respecte Castro pour ce qu’il a fait, l’éducation, l’accès à la culture, la médecine gratuite, tout le monde a un logement et personne n’est dans la rue : – « Nous ne sommes pas confrontés aux problèmes de certains pays capitalistes (…) Mon peuple est plus cultivé. »

Elle est choquée de voir que les français payent leur entrée au musée et pense que l'entrée au Moulin Rouge devrait être gratuite. Marta et elle ont acheté 2 bouteilles de rhum qu’elles ne tardent pas à siffler. Arrive le discours enflammé sur Barack Obama qu’elle descend, Yoani s’emballe et se met à chanter à tue-tête créant un attroupement autour d’elle avec Marta qui la suit. C’était un moment assez unique de les écouter. Leur chant me donne des frissons. Puis le personnel naviguant s’agite, un steward vient leur demande de baisser d’un ton, elles gênent les passagers qui veulent dormir. Marta obtempère. Enivrée, Yoani le prend très mal et proteste : – « Toi t’es mon frère ! Un frère ! On a la même couleur et tu me dis de me taire ?! C’est inacceptable ! ». Elle crie ensuite sur les passagers qui sont des lâches qui la font taire alors qu’elle est dans son pays ! (dans les airs en fait…). Elle se sent opprimée, on lui refuse de s’exprimer, qu’elle vient de France, pays de la liberté d’expression, c’est un comble. Dans son pays, c’est aux autres de subir et de l’écouter. Son pays danse et chante tout le temps. Elle a payé son billet « comme un français », elle a les mêmes droits que les autres. Elle se met à hurler face à ceux qui l’empêche de chanter. Marta essaie de la calmer mais le ton monte.

J’avoue que je ne comprends pas trop et je me fais toute petite assise à côté d’elle car tout le monde nous regarde avec de gros yeux, moi y comprise. Je ne sais pas quoi faire. La discussion vire aux larmes et aux cris. Impuissante, Marta préfère quitter son siège. J’attends toute penaude que Yoani se calme. Elle a trop bu, elle prend tout à cœur et je prie pour que le rhum finisse par l’assoupir. J’essaie de lui faire entendre raison à ce moment-là, que ça n’a rien à voir avec sa nationalité, juste que les passagers aspirent à une certaine tranquillité. Mais même léthargique, elle me répond qu’elle a du mal à comprendre qu’on veuille la faire taire. Je découvre sa fragilité et Marta m’explique plus tard qu’elles se sont disputées car elles ne sont pas d’accord.

« On a 12 ans de différence. Les jeunes ne prennent pas les choses de la même façon à Cuba.», dit Marta


Exténuée, Yoani finit par s’endormir. Heureusement car je me demandais quand tout ce ramdam allait s’arrêter. 12 h de vol à ce régime est une torture…

Le comportement de Yoani, très sanguine et passionnée, m’ a un peu refroidi. Pourtant je sens beaucoup de générosité de sa part et l’envie de me faire découvrir son pays, sa culture et sa famille.

3

À l’aéroport de José Marti, je suis en train de remplir une fiche sanitaire, quand Yoani vient me chercher lors du check des bagages cabine.

J’ai un ordinateur portable dans ce sac que je veux donner à ma sœur, dis qu’il est à toi sinon je vais avoir des ennuis, me dit-elle en chuchotant.

Bref elle n’a pas le droit d'en posséder un et doit le déclarer.

La douanière me regarde et me demande si le sac de Yoani est à moi. Ma petite cubaine baisse les yeux. Je me sens vraiment dans une sale situation et c’est un coup bas de me faire ça. Elle aurait pu m’avertir au lieu de me mettre devant le fait accompli. C’est vraiment pas cool… putain… Bon c’est pas comme si je faisais quelque chose d’illégale dans une dictature, c’est juste un régime socialiste à parti unique. On connaît ça nous le socialisme…

– Il est à vous ce sac  ? Me répète la douanière en espagnol. – Oui, dis-je dépitée. Je me sens obligée de mentir ne voulant pas que Yoani ait des problèmes. – C’est vraiment à toi ? Insiste-t-elle – OuiVraiment ? La douanière me regarde sévèrement pas le moins du monde convaincue. Alors, elle fait passer le sac au scanner et me demande de décrire le contenu du sac de Yoani censé être le mien. Je réalise que si ce sac contient quelque chose d’illégal je suis dans la merde. Mais putain dans quelle galère je me suis fourrée… je ne me suis même pas renseignée sur les prisons cubaines. À ce stade, je n’ai plus le choix, je dois assumer mon mensonge. Mise à part le portable, je me souviens qu’elle avait apporté des crèmes, je dis des produits de toilette. Elle me fait ouvrir le sac et elle en sort des tee-shirts et une paire de lunettes. J’ai tout faux. Je tremble, je suis mal, je frôle la crise d’asthme mais je soutiens le regard de la douanière par pure fierté de merde. Elle m’assène que je suis une menteuse. Vénère, elle me confisque mon passeport. Et me dit de passer sur le côté pour être interrogée.Je me décompose…

La douanière me redemande pourquoi j’ai menti. Et me sermonne tout en proférant des menaces. Je lui répète inlassablement « No comprendo » . C’est le moment de jouer à la blonde qui ne comprend rien. Pas difficile. Je finis par lui demander « Que pasa ahora ? ». (que va-t-il se passer maintenant ? en frnaçais).Elle fait revenir Yoani et parle à sa collègue. Elles me redemandent pourquoi j’ai menti. Je finis par lâcher un « Es mi amiga » (c’est mon amie), d’un air abattu, espérant que la compassion l’adoucira peut être… je dis bien peut-être… Je me demande ce qui va m’arriver, si elle va me ficher ou me remettre dans l’avion de retour direct. Yoani risque de se faire confisquer son laptop. Ne pouvant rien tirer de moi lors de l’interrogatoire, ils finissent par me rendre mon passeport et me relâcher. Soulagement…

4

J’attends « mes 2 » bagages, Yoani me rejoint. Elle me dit de faire comme si sa valise était la mienne. Je les prends et les pose sur un chariot et m’en vais tranquillement. Les cubains doivent montrer leur passeport pour sortir, pas moi. Et là je me retourne et je vois qu’on refuse à Yoani de sortir. Je me demande si on a attendu que je parte pour la retenir…

Je repère Marta et lui demande si elle peut récupérer la valise. Elle me dit non mais me dit de la suivre pour me présenter rapidement la mère de Yoani. Mais l'omniprésence des militaires armés sur chaque mètre carré de l’aéroport m'en dissuade : je ne peux pas remettre la valise sous leurs yeux, c’est trop risqué. Déjà que je venais de me faire arrêter une première fois, je ne suis pas sûre qu’ils apprécient les récidivistes. (putain, putain, putain… je suis dans la merde). Je dis alors à Marta de ne pas me quitter des yeux, l’échange doit se faire discrètement à l’abri des regards. Je m’éloigne et multiplie les allers-retour, histoire de montrer que je suis paumée, à la recherche du bon bus pour la Havane. Un vrai casse-tête. J’ai l’impression d’être dans un film d’espionnage avec en prime des hommes en uniforme et armés jusqu’aux dents postés à chaque mètre pour me faire flipper. Cette valise est un vrai boulet… J’ai beau tourner en rond, il y a toujours un militaire dans mon champ de vision. Je transpire, l’adrénaline monte… Finalement, aidée par la nuit qui tombe, l’arrière d’un bus m’offre un angle mort. J’abandonne la valise, vérifiant que personne ne m’ait vu, si ce n'est la mère de Marta.Et à ce stade, vu les risques, je commence à m'en balancer du sort de la valise.

Je monte vite dans mon bus, fatiguée mais non sans une certaine anxiété. Instinctivement, je me laisse glisser sur mon siège comme pour me cacher. Le film dans ma tête se poursuit quand le bus démarre voyant défiler pour la première fois dans la nuit les « vieilles américaines » et des inscriptions vantant les bienfaits de la Révolution et de la patrie.Sauvée...

Je suis vraiment sur une autre galaxie. J’ai le cœur qui bat en me remémorant mes 2 dernières heures et ce que je venais de réaliser. Ai-je été inconsciente, téméraire, bienfaisante ? Je suis un peu larguée…

Arrivée à l’hôtel, les lumières ne fonctionnent pas, je ne peux pas ouvrir les fenêtres : elles sont ornées de barreaux verticaux. Je me sens en prison...

La vue entre 2 persiennes... 

Je n’arrive pas à dormir, j’ai mal au crâne et 2 points rouges clignotent au-dessus de mon lit. J’essaye de l’éteindre mais y à rien à faire. Clim, caméra, truc à incendie ? Je ne sais pas ce que c’est.

Le lendemain, j’essaie de joindre Yoani. N’ayant pas de réponse, j’essaie de joindre Marta. Sans succès. Elles ont aussi mon numéro. Yoani m’a promis qu’on sortirait ensemble, qu’elle me ferait découvrir son pays autrement qu'en mode touriste. Mais je n’ai plus jamais eu de news… elles se sont volatilisées.

Je me suis sentie comme le dindon de la farce. Une bonne leçon pour une occidentale pensant qu'on pouvait se lier d'amitié ou du moins faire naître des affinité aussi facilement.« Déception, amertume, désillusion, bernée » sont les sentiments que j’éprouve quand je repense à cette histoire…

Quant à Marta, je l’ai aperçue dans l’avion de retour en France. Elle a baissé les yeux en m'apercevant et je ne l'ai plus revue lors du vol…


————————————————

* Yoani : le prénom a été changé

5
Callejon de hamel Cette ruelle surréaliste abrite des œuvres de street art, remplie de peintures et fresques murales en tout genr...
Édifices en état de délabrement…
Cette photo ne faisait pas partie de mes préférées à l’époque. Mais en revoyant mes photos, j’ai eu un coup de cœur pour celle-ci...