Carnet de voyage

De Bangalore à Bombay

13 étapes
10 commentaires
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Là-bas les arbres poussent à l’état sauvage et produisent une laine qui laisse loin derrière elle, en qualité, celle des moutons, et que les Indiens utilisent pour se faire des vêtements. (Hérodote)
Février 2020
23 jours
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Après une escale d’une journée et deux nuits à Abu Dhabi pour visiter le Louvre qui n’était pas encore ouvert lors de notre premier passage dans l’Émirat il y a quatre ans, nous atterrissons à Bangalore, notre porte d’entrée en Inde. Rām, notre chauffeur, nous attend. Rām est un Goanais, d’une grande gentillesse, très prévenant et accommodant, conduisant certes à l’indienne, mais qui a levé le pied dès que nous lui avons signifié qu’on n’était pas pressé. Il nous conduira partout où nous voudrons, du sud au nord du Karnataka et nous le quitterons à Goa où il retrouvera sa famille.

Détail d'un globe terrestre vénitien de 1697 (Louvre Abu Dhabi) 

Il fait très chaud en cette fin d’après-midi, mais c’est justement ce que nous recherchons en hiver ! Il nous aura fallu près d’une heure et demie pour parcourir en voiture la trentaine de kilomètres qui séparent l’aéroport du centre de cette gigantesque agglomération, si bien que c’est à la nuit tombée que nous avons atteint notre hébergement, non sans nous être quelque peu égarés dans l’inextricable densité des rues du centre-ville. Circulation anarchique, encombrements, embouteillages, nous avons donc rapidement retrouvé la pagaille indienne ! Bienvenue en Inde !

Il faut dire qu’avec huit millions et demi d’habitants, Bangalore qui partage avec Chennai le quatrième rang des métropoles indiennes, a connu une croissance démographique considérable ces dernières décennies, laquelle va de pair avec une croissance économique en relation avec le développement des hautes technologies, ce qui lui vaut son surnom de « Silicon Valley indienne ». De ce fait, c’est peut-être la ville la moins « indienne » par son caractère quelque peu occidentalisé qui se voit par les bars branchés et les centres commerciaux à la mode entrevus le long du trajet.

Bienvenue en Inde ! 

Notre hébergement: Casa Cottage

Cette maison d'hôtes située au fin fond d’une calme ruelle dans un quartier animé du centre, bénéficie de bons retours, mais franchement à mon avis elle ne les mérite pas. Accueil minimaliste, absence d'eau chaude sous la douche, mauvaise literie, manque d'entretien général et les plantes du "jardin" font pitié. Mais le point noir est la sécurité: l'accès aux chambres par un escalier extérieur en colimaçon très étroit est très dangereux et, en cas d'incendie, il n'y a aucune échappatoire possible. Pas mécontents de n'y être restés qu'une nuit!

N’ayant pas été séduits par la capitale du Karnataka qui n’est plus la ville-jardin du temps du Raj britannique, nous donnons rendez-vous à notre chauffeur dès 8h30 le lendemain pour quitter au plus tôt cette métropole grouillante.

Pour faire provision de roupies à l'arrivée, il y a des ATM à l'extérieur de l'aéroport (porte 1).

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Nous partons en direction de l’ancienne capitale de l’État princier de Mysore, à plus de quatre heures de route, dont une heure pour sortir de Bangalore. Sur cet itinéraire très urbanisé, la circulation est intense, ralentie par des travaux pour la construction d’une nouvelle voie ferrée surélevée. Nous sommes dans la partie méridionale du plateau du Dekkan, à environ mille mètres d’altitude, un ensemble de vastes étendues mornes interrompues par quelques collines granitiques. Mais contrairement au nord du Karnataka, ici la campagne est relativement favorisée grâce à l’aménagement de nombreux tanks (réservoirs) qui permettent l’irrigation : coton, riz, canne à sucre. Ce qui nous a surpris au long de ce trajet, c’est le nombre d’églises et institutions chrétiennes qui partagent l’espace avec les temples hindouistes.


Srirangapatna

Peu avant Mysore, nous effectuons un arrêt à Srirangapatna, une ville fortifiée au passé tumultueux située sur une île de la Kaveri. Nous y resterons deux heures. Il ne subsiste pratiquement plus rien de la puissante forteresse, sinon les remparts et une porte. En revanche nous pouvons voir à l'extrémité d'une longue allée, le gopuram du temple Sri Ranganath (d’où le nom de la ville), un élément architectural emblématique du sud de l'Inde. De forme pyramidale et orné d'une profusion de sculptures et statues de divinités, c'est la porte d'enceinte du temple. La balade le long de cette allée où s’activent camelots, chalands et pèlerins, nous permet de retrouver la vie traditionnelle des Indiens : couleurs, senteurs, sonorités. Ça y est, nous sommes dans l’ambiance !

Le gopuram du temple de Sri Ranganath
Srirangapatna 

Srirangapatna fut la capitale du royaume du Mysore, fondé au XVIe siècle par la dynastie musulmane des Odeyâr après la chute de Vijayanâgar (Hampi). En réalité ce n’étaient que des roitelets sans véritable autorité, si bien qu’en 1766 un chef militaire, Haidar Alî, s’empara du pouvoir. Celui-ci et son fils Tipû Sâhib qui lui succéda sous le nom de Tipû Sultân, défièrent les Britanniques par une série de guerres jusqu’en 1799 (les guerres de Mysore). La France qui fut humiliée au traité de Paris (1766) par lequel elle perdit son premier empire colonial, notamment en Inde où elle ne conserva que les fameux cinq comptoirs (Pondichéry, Mahé, etc.), trouva une occasion de revanche en s’alliant aux sultans de Mysore pendant une période s'étendant du règne de Louis XV jusqu’à Bonaparte.

Les troupes françaises s’illustrèrent particulièrement en 1780 aux côtés de Tipû Sultân à la bataille de Pollilur (à l’ouest de Chennai), au cours de la deuxième guerre de Mysore. Ce fut la première grande victoire du sultan de Mysore contre les Anglais. Mais en 1799 la forteresse de Srirangapatna, assiégée par les Britanniques, tomba en leurs mains et fut rasée. Tipû Sultân fut tué au combat et la dynastie Odeyâr restaurée, mais sans autre pouvoir qu’honorifique.

La bataille de Popillur (palais d'été de Tipû Sultân) 

Allons admirer les peintures qui illustrent cette bataille de Pollilur sur les murs du palais d’été de Tipû Sultân (Dauriya Daulat Bargh), un élégant pavillon, situé au milieu d’un parc, à un jet de pierre à l’extérieur de la ville. Exécutées à l’époque de Tipû Sultân, ces œuvres ont été restaurées au XIXe siècle après leur effacement par les Anglais suite à leur victoire de 1799. L’état de conservation des éléments architecturaux en bois de teck est remarquable : piliers, arcs polylobés, balcons, plafonds, peints de motifs floraux multicolores. Une merveille! Dommage que l’entrée soit quelque un peu occultée par un aménagement contemporain malheureux.

Peinture murales du palais d'été: la bataille de Polillur  
La cavalerie du sultan
Palais d'un maharaja

Après un petit détour pour un bref regard à l’austère mausolée des sultans Haidar Ali et Tipû (Gumbaz-e-Shahi), nous reprenons la route vers Mysore où nous arrivons en début d’après-midi.

Le mausolée 

Notre hébergement à Mysore : Royal Orchid Metropole.


Situé sur un carrefour très fréquenté, l’hôtel n’est donc pas des plus calmes, surtout aux abords de la piscine dont nous ne profiterons pas. En revanche nous avons apprécié notre chambre donnant sur un joli jardin arboré. Nous allons déjeuner très tardivement dans le patio fleuri. Un moment de détente agréable, d’autant plus que le personnel est efficace et souriant.


Rām, notre chauffeur, nous propose une visite du marché, mais si cette ville est relativement verte et aérée, elle n’en reste pas moins très bruyante. Aussi préférons-nous un peu de repos avant de nous rendre en fin de journée au palais du Maharaja. En effet, c’est dimanche, le jour de la semaine où le palais est illuminé en soirée.

Le palais de Mysore

L’imposant palais de Mysore construit en 1912 est un sommet du kitsch. On se demande ce qui est passé par la tête des architectes qui ont conçu cette pâtisserie, hésitant entre les styles indo-musulman et gothico-victorien. Il y a foule pour assister aux illuminations : des familles, des enfants, des couples, des étudiants. Certains groupes sont assis sur le dallage de l’immense esplanade. Atmosphère bon enfant: le spectacle n’est pas que sur la façade de ce palais. Soudain, alors que lumière du jour décline rapidement, des exclamations surgissent de la foule : dômes, clochetons, fenêtres, tours, arcades, viennent de se parer de mille feux ! C’est féerique !

Le palais du maharaja 

C’est le lendemain que nous visiterons l’intérieur de ce palais. Nous devons laisser nos chaussures à la consigne (on se déchausse souvent en Inde). L’intérieur est une débauche de miroirs, mosaïques, verres colorés, dorures, plafonds d'acajou, portes d'argent massif, colonnes ouvragées. Il y a du monde, surtout des Indiens. Soudain, je me sens happé par une main qui me détourne énergiquement de ma contemplation : une tentative forcée pour un… selfie. Refus non moins énergique de ma part devant tant de désinvolture ! Ah la jeunesse ! En revanche, quand c’est demandé gentiment, pourquoi pas ? Par exemple avec cette sympathique famille, fière de nous présenter le petit héritier.

la salle des mariages princiers 
Durbar Hall


La salle des audiences d'apparat: le sommet du kitsch ! 

Impressions mitigées à la sortie de la visite : elle a beaucoup aimé ; lui, n’a pas été séduit par ce kitsch. En revanche, c’est un bonheur de voir ces saris multicolores déambuler dans les couloirs et les salles du palais et les sourires amicaux se multiplier à notre endroit !

Le temple de Somnathpur

A une trentaine de kilomètres à l’est de la ville, au bord de la Kaveri, se trouve un petit bijou de l’architecture indienne. C’est notre première rencontre avec l’art des Hoysala, une dynastie de rois bâtisseurs du Karnataka, qui ont régné du XIe au XIIIe siècles. Nous avons la chance d’y être en début de matinée et je ne me souviens pas y avoir rencontré plus de deux personnes. Donc nous avons ce temple pour nous seuls, dans un calme absolu, ce qui n’est pas anodin en Inde. Ce temple du XIIIe siècle, dédié à Vishnou, est sans doute un des plus accomplis de l’art des Hoysala : chacun des trois sanctuaires, construit sur un podium et surmonté d’une tour pyramidale (shikhara), a un plan en étoile qui offre une plus grande surface à l’abondant décor sculpté. On reste bouche bée devant la richesse et l’exubérance de celui-ci : éléphants, chevaux, scènes épiques, cavaliers, guerriers, animaux fantastiques, disposés en frises horizontales de bas en haut de l’édifice. Superbe !

Le temple de Somnathpur 

Chamundi Hill

Au retour vers Mysore, notre chauffeur tient à faire un détour par Chamundi Hill, une colline qui domine la ville, pour nous faire découvrir un temple. Pourquoi pas ! Il est vrai que Rām, comme la plupart des Indiens est très religieux. Au cours de nos conversations, dans un indo-anglais difficilement intelligible pour nos oreilles, il nous a demandé quelle religion nous pratiquons (c’est aussi une question posée pour la demande du visa). Ce serait évidemment complétement saugrenu d’être areligieux !

Grand contraste avec la visite de Somnathpur et retour à la réalité indienne : les dévots affluent en nombre au temple de Chamundi flanqué d’un haut gopura. Laissons Rām aller faire ses dévotions et allons plutôt faire un petit tour pour nous mêler aux visiteurs et chalands en goguette.

Le temple de Chamundi 
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Après moins de deux heures de route nous arrivons en milieu de matinée au bord de la rivière Kabini où se situe notre hébergement. Nous sommes aux confins méridionaux de l’État du Karnataka, là où la Kabini River forme une frontière naturelle avec le Kerala voisin, ainsi qu’un énorme réservoir artificiel, véritable paradis pour l’avifaune.

Notre hébergement : Red Earth Kabini

Nous sommes gentiment accueillis avec une boisson rafraichissante, suivie d'un petit briefing à la manière des lodges des réserves africaines, puis nous nous installons pour deux nuits dans notre confortable bungalow doté d’un patio avec jacuzzi, ce qui est appréciable par cette chaleur. Nous avons grandement apprécié notre séjour au calme dans la nature au bord du lac. Les bungalows se dispersent dans un vaste jardin tropical aménagé autour d’un étang. La piscine très grande et propre est une invitation à la baignade! Et le chant des oiseaux, quelle sérénité! Le restaurant, quant à lui, nous a réservé d’agréables moments culinaires et conviviaux.

Un seul regret: ne pas être restés plus longtemps ici.


Pour la découverte du Parc national de Nagarhole, nous avons réservé auprès de la réception un boat safari organisé par Jungle Lodges & Resorts. On nous a déconseillé celui du matin, aux aurores, à cause de la brume persistante sur la rivière. C’est donc en milieu d’après-midi, par une chaleur accablante, que notre chauffeur nous emmène en trois-quarts d’heure vers Kabini River Lodge situé également au bord du lac. Aurons-nous la chance d’apercevoir le seigneur de la jungle ?

Avec d’autres réserves naturelles contigües et transfrontalières, le Parc national de Nagarhole offre une continuité territoriale à la faune sauvage. Nagarhole est aussi une Tiger Reserve. Il faut cependant être très chanceux, car l’animal ne se laisse pas observer facilement. Mais si le fauve ne daigne pas montrer ses moustaches, quantité d’autres animaux peuvent être observés : éléphants, cerfs chital, cerfs sambar, gaurs indiens, phacochères, singes langur. Il y aurait même des ours, des léopards et des panthères noires. Mais alors il faut vraiment être au bon endroit et au bon moment, car ces derniers sont très timides. Bref, le bestiaire du Livre de la Jungle de Rudyard Kipling, Baloo, Baghera, Akela, Mor, les Bandar-log… et Shere Khan, le tueur d’hommes.


On nous fait embarquer à bord d’un bateau doté d’un puissant moteur et d’un abri pour se protéger des ardeurs du soleil. Six personnes montent à bord, dont un sympathique jeune couple de Bangalore en vacances, travaillant dans la High-Tech et accompagné de leur petite fille. Le bateau sera loin d’être complet, c’est donc dans un confort d’observation satisfaisant que nous effectuerons notre safari.

Notre guide s’avère d’emblée amical et jovial. Il semble très féru en matière environnementale car il n’est pas avare en explications. Mais il faut s’accrocher pour décoder son anglais à l’accent local, disons très prononcé! Notre batelier maîtrise parfaitement son embarcation pour nous permettre d’observer et photographier dans les meilleures conditions d’approche et de silence.

Beaucoup d’oiseaux sur ce vaste plan d’eau : cormorans, martins-pêcheurs, aigrettes, hérons et autres échassiers. Notre guide est très efficace pour débusquer les hôtes cachés des lieux, que ce soit sur la cime des arbres ou dans les flots : là-haut un balbuzard-pêcheur, là-bas deux loutres curieuses et joueuses. Mais leurs petites têtes qui sortent des flots sont bien loin ! Aussi je me contente d’observer ce petit monde aux jumelles, délaissant l’appareil photo qui de toute manière ne m’est pas très utile, puisque je ne dispose pas de focale assez longue. De même sur les rives, le bateau ne s’est pas approché suffisamment des hardes de cerfs : cerfs Chital tachetés en grand nombre, cerfs Sambar plus discrets.

En revanche le batelier a longuement arrêté le moteur à proximité du seul pachyderme jamais rencontré dans ce parc : une jeune femelle en train de se désaltérer au bord de la rivière.

Nouvel arrêt devant le magnifique spectacle de ce paon faisant la roue. Il n’est pas rare d’entendre des « Léon ! » dans la forêt, ces gallinacés étant très nombreux. On comprend que le paon soit un oiseau emblématique de l’iconographie indienne.

Ce Monsieur se met en scène devant son  public... 
... puis lui tourne le dos ! 
Le paon, oiseau national indien. Décor de la gare Chhatrapati Shivaji (ex Victoria Terminus) à Bombay.  

Le bateau s’enfonce vers l’amont de la rivière qui se rétrécit progessivement au milieu d’une forêt de plus en plus dense. Que se cache-t-il donc derrière cette épaisse végétation ?

Le guide semble voir vu quelque chose. Nous espérons avoir compris de quoi il s’agissait. Un tigre ?... Il fait signe au chauffeur d’un véhicule de safari stationné sur la berge, qu’il y aurait quelque chose à voir dans le coin. Le silence s’installe, ce qui n’est pas gagné en Inde, mais il est vrai que les trois Indiens à bord étaient très minoritaires... et discrets, une fois n’est pas coutume ! Nous attendons, attendons, le bateau fait des ronds dans l’eau, mais rien ! De guerre lasse notre guide donne le signal au batelier de faire demi-tour et de quitter le secteur.

Mais où se cache-t-il donc ? 

Notre navigation se poursuit d’une rive à l’autre du lac. Rien de bien nouveau à découvrir : cormorans, aigrettes, hérons et bien sûr l’oiseau national, le Peacocq.

Le jour commence à décliner, mais notre guide qui semble avoir une idée derrière la tête n’a pas vraiment envie de mettre fin à notre safari et décide alors de rebrousser chemin. Nous revoilà donc dans cette petite baie où nous avions vainement attendu quelque temps auparavant.

Subitement apparaît une masse fauve qui émerge des broussailles et que l’on a du mal à distinguer. C’est la bousculade à bord et l’embarcation a tendance à gîter sur bâbord... Mais qu’importe, nous avons nos gilets de sauvetage ! Le Tigre du Bengale (Panthera tigris tigris), puissant, majestueux est bien là, sous nos yeux ébahis ! Les APN et les Smartphones chauffent. Le silence n’est perturbé que par le crépitement du mode rafale des appareils reflex, dans la complète indifférence de l’animal qui approche de la rive et poursuit tranquillement son chemin. Débonnaire et placide, il nous laisse le contempler à loisir pendant de longues minutes.

Un dernier regard en notre direction qui semble dire : « mais qu’est-ce qu’ils ont à me reluquer ceux-là ? Ils veulent ma photo ? » Ben oui, mon gars (ou ma fille, je ne sais), c’est exactement cela !

Notre batelier fait redémarrer le moteur et nous suivons le félin quelque temps le long de la berge. Puis il disparaît dans la nature. Le soleil se couche. Il fait déjà nuit noire lorsque nous regagnons le lodge. Nous devons un grand merci à ce guide qui n’a pas hésité à prolonger notre safari d’une bonne heure pour nous faire plaisir !

Peut-être le guide avait-il donné rendez-vous à l’animal ou celui-ci était-il de mèche avec le batelier contre cent roupies de bakchich. Va savoir ! En tout cas ce fut une expérience que nous aurons fort peu de chance de renouveler !


Moins de chance le lendemain matin. Aux aurores nous partons de nouveau vers le Parc national de Nagarhole pour effectuer un « jungle safari ». Rām, à la demande de la direction du lodge, accepte de prendre en charge un voyageur non motorisé, les transports en commun étant absents.

Il fait encore nuit noire et il y a déjà beaucoup de monde en provenance des divers lodges des alentours. On nous entasse dans un vieux minibus ouvert : une vingtaine de personnes réparties sur cinq rangées de deux fois deux sièges de part et d’autre d’un couloir central. On fait mieux comme confort d’observation ! Le guide nous fait un rapide briefing en nous rappelant par trois fois que le SILENCE s’impose. C’est vrai que l’on est en Inde ! Mais là encore, les Indiens étaient très minoritaires et notre groupe était très silencieux. J’imagine qu’il faut éviter le week-end !

Il fait très froid et humide, un brouillard persistant enveloppe la forêt. La veste polaire s’impose ! Nous nous arrêtons devant une harde de cerfs chital, ceux qui sont tachetés et entrevus la veille au bord de la rivière. Mais l’obscurité et la brume ne permettent pas de faire de photos dans de bonnes conditions. Le guide ne semble pas très motivé et plus intéressé à tripoter son smartphone. Le paysage forestier est d’une tristesse à mourir. Il est vrai que c’est la saison sèche et que les arbres sont pour la plupart "déshabillés". Mais on voit aussi des dégradations d’origine humaine et quelques détritus çà et là (certes on est dans un parc national, mais on est en Inde, tout de même !).

Quelques paons, un aigle, à condition de faire des contorsions de sa place pour apercevoir une plume, des cerfs et encore des cerfs, un oiseau dont je n’ai pas compris le nom. Bref pas grand chose à voir, mais nous savions que rien n’est jamais assuré sur ce plan. Là n’est donc pas le problème de ce safari, car cerise sur le gâteau, alors que la lumière était meilleure, nous aurions pu faire des photos de ces cervidés en grand nombre, mais non, on se s’arrêtait pas et on roulait ! En revanche il y avait des arrêts là où il n’y avait rien à voir. Tout se passe en fait comme si l’on recherchait ce qui était censé faire plaisir aux touristes, à savoir tigres, léopards ou éléphants. Les autres animaux semblaient sans intérêt pour notre guide qui était beaucoup moins professionnel que celui de la veille.


Bilan. Un « safari » expédié en 2h30, une usine à touristes ! Il aurait mieux valu faire un safari privé dans un véhicule aménagé pour six personnes, mais j’étais mal renseigné. Tout le monde était très déçu et avait hâte que ça se termine. Et puis, zéro photo correcte ! Encore heureux que je n'aie pas eu à payer les droits pour les gros objectifs! !


Nous rentrons à Red Earth Kabini où nous regagnons notre bungalow. La presse locale anglophone est accrochée à notre porte. Délicate attention ! Tiens, tiens ! Que lis-je dans ce journal (daté du 5 février 2020) ? Que plusieurs cas de personnes infectées par le Covid-19 ont été recensés au Kerala voisin. Hum hum… Nous passerons l'après-midi au bord de la piscine.


Mon avis sur ces safaris

Pour qui n’a jamais fréquenté les parcs et réserves d’Afrique orientale et australe, on peut tenter l’expérience d’un safari dans un ou plusieurs parcs nationaux en Inde. Dans le cas contraire, la déception est assurée, à moins d'être à la recherche des espèces endémiques dont le Tigre du Bengale fait partie.

Bon à savoir: les transports en commun étant inexistants dans le secteur, il est recommandé de disposer d'une voiture.

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Rām éprouve quelque difficulté à trouver notre hôtel. Il se perd dans de petites rues et des impasses de la périphérie d’Hassan, une ville moyenne du Karnataka méridional. Cette ville n’a pas de charme particulier, mais c’est une bonne base pour visiter plusieurs chefs-d’œuvre majeurs de l’art raffiné des Hoysala à Belur et Halebid, ces deux localités étant situées à une trentaine de kilomètres au nord de la ville. Finalement, sur la route menant à Belur, nous ne pouvons rater le kitschissime portail de notre hôtel. A première vue cet établissement à l’air superbe ! Entrons et voyons cela…

Notre hébergement: Hoysala Village Resort

L'accueil fut on ne peut plus surréaliste. Après le collier de fleurs et la boisson offerts par un alignement de jeunes femmes en sari, puis le sâdhu d'opérette venu faire tinter sa clochette et sonner sa trompe dans nos oreilles, ce furent deux mots: « please wait » ! En effet le manager avait autre chose de plus urgent à faire que s'occuper de nous, à savoir s’adonner à ses dévotions devant le petit autel installé à l'accueil et encenser chaque objet, si bien que tout le monde se retrouvait enfumé!

La chambre qui nous fut attribuée ne correspondait absolument pas à celle qui avait été réservée: une chambre borgne, sombre, sinistre, sans aucun rangement. Nous avons donc exigé que l'on nous donne la chambre, bien mise en évidence par les photos alléchantes du site web et pour laquelle nous avions réservé, ce qui fut fait. Pour autant, celle-ci bien que plus agréable, était sale et dégradée. Côté jardin, les feuilles mortes envahissaient l’espace et les plantes étaient à plaindre. Côté piscine, lorsque l’on voit la couleur et la turbidité de l'eau, ça fait peur! Et tout cela pour un prix parisien!

Le restaurant quant à lui, sous forme de buffet, ne nous a pas non plus convaincus, et pour couronner le tout des groupes de touristes indiens se servant avec les doigts, ignorant les ustensiles prévus à cet effet ! Seule note positive : un personnel aux petits soins, excessivement gentil, dont un serveur qui nous a pris en sympathie en s’efforçant de s’adresser à nous en français.

Cette usine à touristes très mal gérée a sans doute connu des jours meilleurs. L'archétype de l'établissement qui valorise son site web par des photos trompeuses pour ne pas dire mensongères ! J'ai le sentiment qu'à Kabini River nous avions mangé notre pain blanc. Hélas nous avions réservé deux nuits ici !


« Hoy, Sala ! »

Cet ensemble sculpté gardant l’entrée du mandapa (salle hypostyle) du temple de Chennakeshava à Belur représente un personnage aux prises avec un fauve effrayant. C’est le roi Sala, le fondateur mythique de la dynastie, qui tua l’animal féroce qui terrorisait les ascètes jaïns. L’un d’eux aurait crié au roi: « Hoy, Sala !» (Frappe, Sala !), d’où viendrait selon la légende le nom de la dynastie.

Cette dynastie a régné du XIe au XIIIe siècles sur la plus grande partie du Karnataka. Durant ces trois siècles les Hoysala, bénéficiant de ressources considérables grâce à leurs conquêtes territoriales, se sont livrés à une véritable frénésie de constructions sur leur royaume. Pas moins de 650 temples datant de cette époque ont été recensés dans le Karnataka. Les artistes et artisans affluèrent de toute l’Inde du sud et nous ont laissé ces chefs-d’œuvre parmi les plus beaux que l’on peut voir un Inde. En tout cas nous eûmes un vrai un coup de cœur pour l’art des Hoysala. Nous restâmes plusieurs heures à contourner plusieurs fois ces temples, comme le faisaient en même temps les Indiens et surtout les Indiennes, contemplant chaque détail de cette impressionnante multitude de bas-reliefs et de sculptures, bien qu’en réalité ce fût impossible, tellement il y en a !

Partons à la découverte de ces joyaux de l'architecture et de la sculpture indiennes.

Le temple de Chennakeshava à Belur

Nous arrivons en vue du haut gopuram de couleur jaune qui annonce l’entrée du temple. Opération déchaussage à l’extérieur de l’enceinte, comme il se doit. Un grand nombre de chaussures sont déjà alignées en ce milieu d’après-midi ! Nous pénétrons dans le périmètre sacré en passant sous le gopuram.

Ce temple fut édifié au début du XIIe siècle, pour commémorer une victoire remportée sur les Chola, une dynastie régnante du Tamil Nadu. En somme, l’alliance classique du sabre et du goupillon ! On trouve ici toutes les caractéristiques de l’art des Hoysala : un plan en étoile sur un podium et un goût prononcé pour l’exubérance inouïe de l’ornementation, organisée en frises horizontales. L’édifice apparaît comme un véritable hymne à la sculpture où une foule de personnages et animaux sont parfois réduits aux dimensions de miniatures.

A la base se développe une longue frise d’éléphants caparaçonnés, tous dans des attitudes différentes.

Sous le toit, accrochées à la corniche, en haut de colonnes encastrées, de gracieuses danseuses au corps ondulant font la réputation de Belur. L'une d'entre elles contemple sa jeune beauté dans un miroir.

Frises sculptées en bas, murs ajourés en haut, les jalis  

Ce jeune flûtiste est sans doute une représentation de Krishna. C’est une sculpture emblématique du site.


Il y avait ce jour-là, une cérémonie dont je n’ai pas compris le sens. Si bien que les Indiens, très nombreux, pèlerins ou visiteurs en goguette, faisaient partie spectacle ! Les saris chatoyants des femmes déambulant autour du temple composent avec le décor sculpté un harmonieux tableau.


Les Indiens aiment bien se faire photographier, surtout en notre compagnie!

Halebid

A moins de vingt kilomètres vers l’est se situe l’autre site incontournable de l’art des Hoysala, Halebid, ancienne capitale de la dynastie qui a conservé plusieurs temples d’un grand intérêt artistique. Nous y sommes arrivés de bon matin, si bien qu'il n’y avait pas encore grand monde.


Le temple de Hoysaleswara


C’est incontestablement le plus orné des nombreux édifices élevés sous la dynastie des Hoysala. Comme à Belur, sa construction date du début du XIIe siècle et dura une trentaine d’années. C’est l’époque de nos belles églises romanes, lesquelles sont a contrario très sobres.


Ici aussi, c’est une débauche de divinités, gracieuses jeunes filles, danseuses, animaux et scènes épiques dont l’animation et l’exubérance forment un contraste saisissant avec l’abstraction des deux lingams vénérés dans l’obscurité des sanctuaires jumeaux dotés chacun de son mandapa (salle hypostyle formant vestibule) et de son taureau Nandi.


Conversation. 
Nandi 
La bataille finale du Mahabharata 
Le mandapa 

A proximité deux autres temples méritent un petit détour

Le temple jaïn de Parshvanath et sa statue monumentale du 23e et avant-dernier patriarche, (le Tirthankara), coiffé d’un cobra et qui est sensé guider des hommes vers le salut. Tout un programme… Les colonnes ouvragées de stéatite noire offrent une étonnante particularité : elles sont musicales !

Le temple de Kedarshwara datant de la fin de la dynastie des Hoysala (XIIIe siècle) est marqué par moins de recherche artistique. Les colonnes sont cependant incroyables par leur originalité ! On remarque aussi un beau Shiva dansant.

Le temple de Doddagaddavali


Au retour vers Hassan et notre hôtel, nous effectuerons un petit détour dans une jolie campagne à l’écart de la route, pour découvrir en lisière d’un village un temple hoysala très peu visité.

On n’a pas de mal à se faire repérer dans ce petit bourg somnolent puisque la gardienne arrive déjà, clés en mains. Dédié à Vishnou et achevé au début du XIIe siècle, ce temple, contrairement aux autres, est très sobre, quasiment dépourvu de décoration. Le regard se porte immédiatement sur les élégants shikharas (tours pyramidales) qui surmontent les divers sanctuaires . On ne peut manquer de remarquer à l’intérieur ces deux hautes figures de monstres décharnés aux traits particulièrement repoussants.

Nous quittons les lieux en saluant l’emblème des Hoysala qui se dresse au-dessus du shikhara central : le roi Sala aux prises avec le fauve de la légende. « Hoy, Sala » ; « frappe Sala ».



Nous avons eu un vrai coup de cœur pour la finesse et l'exubérance des sculptures de Belur et Halebid, qui font partie de ce que l'on a vu de plus beau en Inde. Nous avons aussi apprécié l'ambiance bon enfant de ces sites, lieux de promenade et de prière pour les familles indiennes.

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Le trajet me paraissait fort long entre Hassan et Hampi. Aussi quand, en consultant blogs et carnets de voyages, j’ai découvert l’existence à mi-chemin du fort de Chitradurga, le choix d’y faire étape s’est imposé naturellement. Choix conforté par le fait que ce site est ignoré des guides et des touristes étrangers. Nous y arriverons à l’heure du déjeuner. Mais avant de rejoindre notre hébergement situé à l’écart, il nous a fallu traverser toute la ville dans la cohue qui fait, paraît-il le « charme » de l’Inde. Notre chauffeur doit se faufiler entre tuk-tuk, charrettes chargées, camionnettes bringuebalantes, animaux et piétons affairés. Mais il suffit d’ignorer les tas d’immondices ici et là et de focaliser son regard sur ce marché regorgeant de fruits et légumes et sur ces saris multicolores pour se persuader du charme d’incredible India !

Notre hébergement : KSTDC Mayura Durg : une agréable étape à Chitradurga

Cet établissement d’État bénéficie d’une situation idéale face au fort, à l’écart du tumulte de la ville. L’accueil est très sympathique. Pour un prix modéré nous obtenons une chambre très propre, d'un bon confort et dotée d’une petite terrasse privative. Il y a même le wifi dans la chambre et il fonctionne bien, une fois n’est pas coutume ! En revanche au restaurant il n’y a pas beaucoup de choix et le service est lent.

Le fort de Chitradurga


Après un peu de repos pendant les grosses chaleurs, nous partons à la découverte du fort durant les quelques heures restantes avant le coucher du soleil. Il faudrait davantage de temps pour parcourir en entier cet immense complexe fortifié, d’autant plus que les multiples montées et descentes peuvent rendre la visite assez éprouvante. D’où la nécessité d’éviter la chaleur du milieu de journée et de prévoir de l’eau. L’idéal eût été d’entreprendre cette visite tôt le matin à la fraîche. Un guide agréé peut être utile, mais nous déclinerons les propositions préférant flâner librement.


Le fort, entouré de hautes collines qui lui assurent une protection naturelle, s’intègre parfaitement à l’environnement constitué d’énormes rochers de granite, similaires à ceux de Hampi. Cela confère au site un charme indéniable. On ne compte pas moins de sept fortifications concentriques bâties entre ces rochers. Elles témoignent de la construction du fort par étapes successives entre les XIe-XIIIe siècles par les dynasties Chalukya et Hoysala et les XVe-XVIIIe siècles par les Nayak de Chitradurga, gouverneurs de l’empire de Vijayanagar (Hampi) qui, profitant du déclin de cet empire, ont proclamé leur indépendance et agrandi le fort.


Ce fort réputé inexpugnable fut pris d’assaut par Haidar Alî en 1779 avant que les Britanniques s’en emparent vingt ans plus tard, suite à la défaite de son fils Tipû Sultân. Plusieurs légendes sont attachées au fort de Chitradurga. Notamment celle d’Onake Obavva, une héroïne qui aurait combattu à elle seule les troupes de Haidar Alî. Ayant remarqué que les assiégeants essayaient d'entrer dans le fort par un trou dans le rempart, elle a utilisé un pilon (onake) pour tuer les soldats un par un en les frappant sur la tête. Un guide nous aurait probablement montré le trou en question. Le fort servit de décor à plusieurs productions cinématographiques à caractère historique tournées en kannada la langue du Karnataka.


Après avoir franchi plusieurs portes, la montée s’avère assez éprouvante. C’est le week-end, aussi y a-t-il beaucoup de monde, mais aucun étranger. On arrive à une plate-forme où de nombreuses familles indiennes sont en train de pique-niquer. De là nous bénéficions d'une vue imprenable sur la ville. On peut remarquer quelques intrépides grimper sur l'un des sommets granitiques très escarpés. Nous déambulons parmi les vestiges : de nombreux temples, une citadelle, un palais, un grand nombre de greniers circulaires ou rectangulaires pour stocker le grain, des magasins à munitions, des réservoirs d’eau alimentés par des sources, des puits.


Mais que voyons-nous soudain derrière les rochers ? Un gros panache de fumée, puis un gigantesque feu de broussailles qui semble s’approcher dangereusement, attisé par le vent. Mais tout le monde semble impassible. Aucune alarme. Rien. Apparemment ça semble habituel, mais ça a tout de même duré une bonne heure ! Incredible India !


Selfie ! Selfie !

Nous flânons d’un temple à l’autre, contemplons le paysage. La visite s’avère très plaisante. Enfin presque... Mon épouse ayant décidé de se reposer tranquillement, je continuais seul la visite jusqu’aux ruines du complexe palatial. A mon retour je l’ai retrouvée prostrée, en état de choc. Elle s’était fait littéralement agresser par une cinquantaine de jeunes, pour avoir refusé des photos demandées de manière insolente. Elle en avait été très perturbée. Les adultes étaient plutôt rigolards, jusqu'à ce qu'un gardien ne chasse ces morveux! Je crois que ces jeunes faisaient partie d’un voyage scolaire mal encadré. Si bien que par la suite, nous avons refusé fermement la plupart des selfies demandés, à quelques exceptions près (familles, jeunes filles polies...). Ce phénomène, nouveau il y a quelques années, était plutôt sympathique lors de nos précédents voyages dans en Inde. C'est devenu aujourd'hui une vraie plaie !


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Le temple de Virupaksha et la rivière Tungabhadrâs vu de la colline de Mathanga 

Ultime souvenir du royaume de Vijayanagar, Hampi présente un remarquable ensemble monumental rassemblant temples et palais qui s'élèvent au milieu de rochers de granite. C'est l'un des sites archéologiques les plus fascinants du pays. Mais c’est aussi l’un des plus fréquentés, ce qui n’est pas sans causer des dégâts. Nous y resterons quatre jours dont une journée de repos.

Notre hébergement : Hampi’s Boulders Resort

En fin de matinée nous arrivons à notre hôtel dissimulé dans la vallée de la Tungabhadrâ que l’on atteint au terme d’une petite route puis d’une piste au milieu des rizières. Le site est idyllique à souhait, au calme en pleine nature, au bord de la rivière, parmi une végétation luxuriante et les chaos de blocs granitiques qui font la beauté sauvage de la région. Les chambres sont dispersées dans des « cottages » qui s’intègrent parfaitement au paysage. Une piscine naturelle creusée dans la roche, sorte de vitrine de l’établissement, semble particulièrement accueillante par cette chaleur. On va vite déchanter...

Moins accueillante est la réception qui ne paye pas de mine et où le check-in fut on ne peut plus épique : aucune trace de notre réservation ! Finalement au milieu d’une paperasse indescriptible, on finit par la retrouver ! Le check-out sera du même acabit : on nous a confondus avec d’autres clients et fourni une facture erronée, griffonnée sur un bout de papier d’écolier. L’internet et l’ordinateur semblent des équipements incongrus ici.

Première déception. On nous attribue une chambre dite « Double cottage », une chambre sinistre, sombre, sale, avec terrasse partagée, vue sur un parking et dont l’accès était jonché de crottes de singe et de détritus. Loin des images que nous avions de l’établissement ! Nous avons donc exigé qu’on nous change de chambre dès le lendemain, et l’on nous a alors proposé une belle chambre lumineuse, dans le « Croc cottage » avec terrasse privée et une très belle vue sur la nature environnante et la rivière. Pour autant la propreté n’était pas au rendez-vous, loin de là !


La vue de notre terrasse !

D’ailleurs l’entretien général laisse à désirer et la prétention « écologique » de l’établissement est une blague quand on voit trainer çà et là des déchets divers et quand les abords ne sont pas nettoyés régulièrement. L’oisiveté et la léthargie semblent être la règle de la part d’un personnel très mal managé. La piscine, quant à elle, n’invite pas à la baignade tant l’eau est douteuse! Et il ne faut pas compter sur les cinq pauvres transats aux matelas défoncés pour se reposer ! Enfin la cuisine exclusivement indienne ne laissera pas un souvenir inoubliable, une cuisine abusivement épicée de la part d’un restaurant qui reçoit des touristes européens en grande majorité. Tout cela pour un prix abusif au regard des piètres prestations. Entre un propriétaire absentéiste et un manager incompétent, la gestion de cet établissement est fort peu professionnelle. Quel dommage dans un tel site !


Nous décidons donc de ne pas déjeuner sur place et demandons à Rām de nous conduire directement sur le site de Hampi. Il faut savoir que si ce resort est relativement proche à vol d’oiseau de l’ancienne cité de Vijayanagar (ou peut même apercevoir au loin le gopuram du temple de Virupaksha), il faut au moins une bonne heure de route pour la rejoindre en voiture. En effet, le site archéologique étant situé de l’autre côté de la rivière, il faut effectuer un long détour jusqu’à l’un des deux seuls ponts situés en amont ou en aval. Mais de mon point de vue, ce n’est pas un réel problème, tant les paysages sont photogéniques à souhait. En effet les ocres de ces chaos granitiques offrent au photographe un contraste saisissant avec le vert tendre des rizières. Et ce n’est pas le même paysage que l’on voit à l’aller et au retour, car les lumières sont différentes.

Ce n’est pas l’offre de restauration qui manque à Hampi, mais elle est très inégale. Rām nous emmène dans un restaurant de plein air très populaire, situé à l’écart : le Tamarin Tree. Ma foi, c’était un bon choix et nous y sommes retournés. La cuisine est locale, simple mais de qualité, le service, sous forme de buffet, est rapide et l’ambiance agréable. A noter : on peut se resservir et épicer ou non ses plats selon ses goûts.

Hampi côté face et côté pile

A l’instar de notre hébergement, Hampi montre un double visage.

Côté face.

Le site de Hampi est fabuleux et l'immense ensemble monumental vaut bien nos quatre jours passés sur place sans nous ennuyer. A lui seul le nom de Hampi fait rêver, et à juste titre. Les imposants vestiges de l’ancienne capitale de Vijayanagar qui s’étalent dans un des plus beaux décors naturels de l’Inde du sud, comptent parmi les hauts lieux mythiques de l’archéologie mondiale, tels que le Machu Picchu, Angkor, Ephèse ou l’Acropole d’Athènes. Une promenade vespérale sur les rives de la rivière Tungabadhra dont les méandres s’insinuent entre les blocs erratiques, est un enchantement. Les paysages époustouflants que l’on découvre du sommet d’une des collines (Hemakuta Hill, Mathanga Hill), valent bien des efforts pour y parvenir malgré la chaleur. Et que dire de l’art de Vijayanagar ? Un art accompli qui s’exprime dans un granite au grain fin (toutefois nous avons préféré les dentelles de pierre plus raffinées de l’art des Hoysala). Parmi les éléments architecturaux caractérisant le style de Vijayanagar, les yalis sont probablement les plus significatifs. Ce sont les sculptures des piliers représentant des chevaux ou des animaux fantastiques souvent montés par des cavaliers.


Le temple d’Achyuta Raya
La "chapelle" royale de Hazara Rama. Ses quatre colonnes  sont composées de trois cubes dont les faces s'ornent de bas-reliefs.
Cavalier ornant un yali du temple de Vitthala
Narasimha, l’homme-lion, avatar de Vishnou, la plus emblématique sculpture monolithique de Hampi 
A la base de Mahavanni dibba, haute plate-forme sur laquelle trônait le souverain, frises évoquant ses gloires militaires.

Côté pile.

Mais il y a le revers de la médaille, ce que l’on ne voit pas, ce que ne montrent pas les galeries de photos que l’on consulte avant de préparer son voyage.

La déroute militaire de 1565 a livré l’ancienne capitale au pillage, puis elle fut oubliée et abandonnée. Aujourd'hui ce n’est plus qu’un village dédié aux touristes, connu sous le nom de Hampi Bazaar, situé à deux pas du temple de Virupaksha et où l’ambiance serait « authentique ». Or en 2017 les autorités avaient pris la sage décision de fermer Hampi Bazaar. Imaginons des restos, des maisons d'hôtes ou des boutiques sur les sites mégalithiques de Carnac classés par l'UNESCO ! Mais que les amateurs "d’authenticité" se réjouissent, nous avons pu observer que Hampi Bazaar est toujours là et bien là, avec ses guesthouses, ses boutiques, ses restos ! Les autorités ont donc dû reculer, semble-il. Et comme il se doit en Inde, le lieu est encore plus authentique, car on peut voir la face cachée de ce « village », à savoir un ÉNORME tas d’ordures au bord de la rivière. D’ailleurs, en dehors des périmètres archéologiques protégés, Hampi est une gigantesque poubelle à ciel ouvert. La Voie aux portiques, longue avenue reliant le temple de Virupaksha à une monumentale statue de Nandi à l’est, autrefois grande allée processionnelle et commerciale, est jonchée de détritus. Les anciens entrepôts et boutiques qui tiennent encore debout servent aujourd’hui de dépotoirs. Et puis à l’entrée de cette avenue, sorte de « Champs Élysées » de l’ancienne capitale, trône une inélégante structure métallique en forme de tour qui abrite un char cérémoniel. Sans parler des visiteuses occidentales que l’on peut parfois croiser, déambulant dans le temple, le short moulant au ras des fesses.

Les très nombreux visiteurs qu'ils soient indiens, occidentaux ou autres contribuent à la pollution des lieux et à la décharge sauvage au bord de la rivière, classée réserve naturelle. En effet nombreux sont les visiteurs qui séjournent dans les guesthouses de Hampi Bazar. Or s'agissant d'un aménagement illégal, rien n'a été prévu en termes de viabilisation et d'évacuation des déchets et je n'ai aucun doute malheureusement sur la destination des eaux usées...

Ah, j’oubliais de préciser que Hampi Bazaar est situé au cœur d’un site inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO !

Le temple de Virupaksha

Après le déjeuner, nous commencerons notre visite par le temple de Virupaksha. Mais pour en avoir une belle vue, prenons d’abord de la hauteur et grimpons sur la colline de Hematuka où sur un affleurement de granite se dispersent plusieurs temples très anciens.



Sur la colline de Hematuka 


Un petit détour s’impose par la consigne à chaussures, puisque le temple de Virupaksha est un lieu de culte très fréquenté qui, de l’aurore au couchant, fait toujours l’objet d’un pèlerinage. Pendant l’opération déchaussage, questions traditionnelles posées fièrement par une gamine et soufflée par le père : « wherrre are you frrrrom ? what is yourrr name ? »


Ce fut le temple principal de Vijayanagar, où les rois plaçaient leur pouvoir sous la protection de Shiva. Pour l’essentiel c’est un édifice du XVIe siècle. Les pèlerins passent d’abord sous l’imposant gopuram pour parvenir dans une première cour au centre de laquelle se trouve un petit Nandi très sollicité. Quelques personnes s’activent autour d’une borne fontaine, sous l’œil impavide d’un buffle. C’est dimanche, il y a foule. N’étant pas des pèlerins, nous devons nous acquitter d’un droit d’entrée et de photo, pour accéder à la seconde cour où se trouve le sanctuaire. Hum ! Hum ! « Please our receipt ! » Un oubli ? C’est de mauvaise grâce que nos reçus nous sont donnés…


Nous sommes en admirations devant les yalis finement sculptés du mandapa, et tous différents. Il en est de même de la colonnade qui entoure cette cour. En levant les yeux on peut remarque une scène un peu particulière…



Nous ne pourrons aller plus loin, puisque le sanctuaire est inaccessible aux non-hindous. En revanche, un second gopuram marque le passage vers le bassin sacré du temple.


Dans un des recoins du temple, une offrande permet au pèlerin de se faire bénir par l’éléphant Lakshmi par un amical petit coup de trompe sur la tête. C’est un signe de porte-bonheur. Les enfants sont ravis.


Sur la rive de la Tungabhadra

Nous entreprenons ensuite une agréable balade le long de la rive de la Tungabhadra, sous la douce lumière de fin d’après-midi. La rivière se fraie un passage entre de fantastiques éboulis de rochers qui prennent des couleurs mordorées. Alors que la rivière amorce une large courbe, nous arrivons au Chakra Tirtha, un ensemble de ghâts taillés dans la roche. La roche est elle-même sculptée d’une série de lingams. De curieuses barques circulaires en osier font la joie de familles ou de couples qui voguent sur la rivière. Au loin, sur l’autre rive, on distingue les ruines de temples. En fait il vaut mieux porter son regard vers le lointain, plutôt que sur quelques détails peu reluisants …


En poursuivant notre chemin vers l’est, nous pourrions atteindre en une vingtaine de minutes le fameux temple de Vitthala. Mais il est déjà tard, nous effectuerons donc cette visite demain. Aussi faisons-nous demi-tour et retrouvons notre chauffeur qui nous attend sur le vaste parking situé près de la Voie aux portiques.

Au retour, une fête locale bloque la circulation, car il y a foule autour d’un imposant char processionnel richement décoré. C’est aussi cela l’Inde : les célébrations, les festivités, les pèlerinages.


Le temple de Vitthala

Une longue allée conduit à l’entrée de l’un des plus beaux monuments de Hampi : le temple de Vitthala. Un service de navette électrique assure la liaison. Mais ce matin une cohue attend déjà et, la notion de file indienne n’étant pas… indienne, nous préférons nous rendre à pied au temple, d’autant plus qu’il y a d’autres monuments à voir en chemin. Parmi ceux-ci, un petit temple et un bassin sacré.

Le petit mandapa de Gejalama et bassin sacré du temple de Pushkarani 

Nous approchons du gopuram du temple. Après nous être acquittés du droit d’entrée au tarif « préférentiel » réservé aux étrangers, ce qui nous honore de contribuer généreusement à l’entretien des lieux (il est vrai qu’il n’y a rien à dire sur ce plan), nous pénétrons dans l’enceinte sacrée. Nous ne sommes pas les seuls à admirer la pièce maîtresse de la cour. En effet un groupe de visiteurs indiens, coiffés d’une casquette rouge, s’agglutine fébrilement autour du ratha, le célèbre char de pierre tiré par des éléphants. C’est un des monuments emblématiques de Hampi qui figure d’ailleurs sur le billet de 50 roupies.

Le maha mandapa, la salle hypostyle qui précède le sanctuaire est un sommet de l’art de Vijayanagar, où les sculpteurs ont donné le meilleur de leur savoir-faire. De la base du podium au plafond, en passant par les piliers, c’est une profusion de sculptures très ouvragées. A la base court une frise mettant en scène des chevaux et leurs palefreniers, tandis que sur les yalis s’adossent des cavaliers. Ce mandapa est aussi appelé le « hall aux piliers musicaux », car chacune des sept colonnettes qui composent les piliers émet un son différent lorsqu’elle est frappée.

Le billet combiné permet l’accès au temple de Vitthala et au complexe royal (enclos du Zenana, étables des éléphants) dans la même journée.

Le complexe royal.

Nous quittons le périmètre sacré pour l’ancienne ville royale située à l’écart, plus au sud. C’est un espace assez vaste où les sites sont assez dispersés les uns des autres. Aussi étions-nous heureux d’avoir une voiture à disposition.

Nous pénétrons d’abord dans l’enclos de Zenana : c’était l’espace des palais ; on peut encore voir le mur d’enceinte et les tours de guet bien conservés qui protégeaient le harem royal. Le plus bel édifice encore debout à l’intérieur du périmètre est le gracieux Lotus Mahal aux élégantes arcades polylobées soutenues par de massifs piliers, surmonté de structures pyramidales évoquant les shikara des temples.

Le Lotus Mahal 

Franchissant le mur d’enceinte par une porte, nous atteignons une vaste pelouse où se reposent quelques familles à l’ombre de grands arbres. Au fond de cette esplanade, s’allonge un immense édifice bien préservé aux allures de palais : ce sont les étables des éléphants. Comme leurs maîtres, ces pachydermes étaient traités royalement !

Les étables des éléphants 

Se balader tranquillement dans ces lieux très fleuris et bien entretenus fut un réel plaisir et, une fois n’est pas coutume, aucun déchet traînant à terre ! C’est à souligner !

Nous poursuivons notre visite par le musée lapidaire, puis d’autres monuments épars, mais afin de ne pas rendre indigeste la lecture de ce récit, je m’abstiendrai d’en faire l’énumération !


Balades sur les collines de Hampi.

Au matin du troisième jour, nous avons décidé de prendre de la hauteur. D’abord en faisant la brève ascension de la colline peu visitée de Malayavanta. On y vient surtout pour assister au coucher du soleil. La veille, sur la route du retour, Rām nous avait proposé de monter sur la colline du temple du dieu-singe Hanuman, située pratiquement en face du temple de Vitthala, mais de l’autre côté de la rivière. Cependant en fin de journée, bien fatigués de nos visites, la vue de ces 575 marches ne nous a pas enthousiasmés outre mesure ! Cette petite colline constituée d’un amas de gros blocs de granite sera donc une belle alternative. Nous grimpons par une faille jusqu’au sommet couronné par les ruines d’un temple dédié à Rama (un clin d’œil à notre chauffeur !), le septième avatar de Vishnou. D’ailleurs c’est une flèche décochée par Lakshma, le frère de Rama, qui aurait creusé la faille. On s’en serait bien douté, évidemment! Nous remarquons au passage des encoches taillées dans la roche, sans doute en vue de son extraction. D’en haut nous bénéficions de belles vues sur les amoncellements de roches de Hampi et sur le temple de Malayavanta situé en contrebas. Ces ruines et ce paysage ont semblé suffisamment romantiques à un jeune couple en train de poser pour leurs photos de mariage !


En haut à gauche: la colline de Hanuman ; en bas à droite: le temple de Malayavanta.

Le temple d’Achyuta Raya et la colline de Mathanga

Du parking nous empruntons la Voie aux portiques sur toute sa longueur jusqu’au Nandi monumental qui regarde le gopuram du temple de son maître Shiva. Nous gravissons alors une série de marches qui nous conduisent sur un sentier, lequel s’insinue entre les chaos de roches jusqu’à un petit col. A partir de là apparaissent en contrebas les ruines du temple d’Achyuta Raya, du nom du roi qui en ordonna la construction au XVIe siècle. Il est situé dans un site est superbe, isolé et sauvage, blotti entre deux collines, avec une cocoteraie en toile de fond. Une atmosphère de sérénité hors du temps.

Par un sentier très escarpé nous grimpons sur la colline de Mathanga au pied de laquelle le temple est situé. A mesure que nous prenons de la hauteur la vue sur les ruines, les rochers, les cocotiers et au loin la rivière, devient de plus en plus éblouissante. Toutefois nous renoncerons à l’escalade terminale jusqu’au sommet, la fin du parcours étant très peu sécurisée, et sur ces rochers, il y a du gaz !

Par le même sentier nous redescendons vers le temple, puis nous empruntons la longue allée qui relie celui-ci à la rivière que nous suivrons un moment avant de rejoindre le parking.

Avec cette belle balade en boucle d’environ deux heures, ce fut Hampi « côté face » ! Ce site enchanteur est à mon avis le plus beau de l’ancienne capitale.

A gauche: la Voie aux portiques; à droite: le temple d’Achyuta Raya,  
Le temple d’Achyuta Raya vu de la colline de Mathanga

Randonnée matinale à Hampi's Boulders

Pour le dernier jour à Hampi, nous décidons de rester à Hampi’s Boulders pour profiter de ce site merveilleux et nous reposer. Aussi donnons-nous congé à notre chauffeur pour la journée, malgré son insistance pour nous conduire quelque part. Donc pour lui ce sera une journée de repos bien méritée, d’autant plus que nous avons une longue route à faire le lendemain vers l’extrême nord du Kanataka. Il dispose d’ailleurs d’un logement sur place, ce qui apparemment semble exceptionnel au Karnataka. À l’exception de Red Earth Kabini, ce fut le seul établissement à fournir un logement pour les chauffeurs. Quand il n’y a pas cette possibilité, le forfait journalier de location de voiture avec chauffeur prévoit le gîte et le couvert pour ce dernier. C’est ce que m’avait confirmé l’agence. Or nous avons pu constater à plusieurs reprises que Rām dormait dans sa voiture sur les parkings des l’hôtels. Est-ce par mesure d’économie ? Sans doute. Lors de notre circuit au Rajasthan, notre chauffeur avait été partout logé par les établissements hôteliers.

Hampi’s Boulders propose des petites randonnées pédestres aux abords de la rivière. Le problème est qu’il n’y a aucune indication, ni balisage et le personnel ne semblait pas très informé.

Nous avons donc dû faire une recherche d’itinéraire pour trouver le départ du sentier vers le belvédère promis. Il a fallu se faufiler dans des passages très étroits entre de gros rochers. Puis une escalade facile grâce à des marches taillées dans la roche nous a permis de nous hisser sur une petite plate-forme aménagée. De là, vue imprenable sur les rizières en contrebas. Nous ne sommes pas les seuls visiteurs du lieu, mais ceux-là n’ont eu aucun mal à trouver leur chemin !


La Tungabhadra, entre rapides et rochers.

Une série de passerelles de bambou surplombant les rochers et les multiples bras de la rivière permet d’accéder à une île. L’érosion a créé des formes tourmentées dans ces chaos de blocs : marmites de géants, alvéoles que les géomorphologues nomment taffoni. Un sentier grimpe sur une colline parmi une végétation dense. Au milieu de nulle part apparaît une construction biscornue digne d’un conte de fée ou du roman de Tolkien. Il s’agit d’un restaurant de notre hôtel complètement à l’abandon qui a dû connaître des jours meilleurs. Peut-être n’a-t-il jamais été ouvert étant donné la difficulté d’accès ? L’architecte a très audacieusement mobilisé les reliefs du roc pour aménager diverses salles, un bar et même une piscine. Nous parvenons à la terrasse sommitale par un dédale de souterrains et d’escaliers. La récompense, bien sûr, c’est une vue à couper le souffle !

Bilan de notre séjour à Hampi

Finalement la pièce sera tombée du côté face ! Malgré les désagréments soulignés, le site ne mérite pas un détour, il vaut le voyage tant par la splendeur de ses paysages que par la richesse de son patrimoine historique ! Ces ruines, ces monuments prestigieux dans ce fabuleux décor, quelles merveilles ! Une saturation de temples ? Même pas ! Hampi est certes très fréquenté, mais le site est si vaste que la masse des visiteurs est diluée dans l’espace, sauf à de rares endroits comme le temple de Virupaksha ou au restaurant à l’heure du déjeuner. Par exemple nous n’avions pas croisé grand monde dans le temple d’Achyuta Raya et sur la colline de Mathanga. Sur ce plan, Hampi n’est ni Angkor, ni Florence ! En définitive, Hampi sera sûrement un des sommets de notre voyage en Inde du sud.

Dernier lever de soleil depuis notre "cottage" 
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Au premier abord, Bijapur est une ville hideuse, crasseuse et infernale ! Mais cette ancienne capitale d’un sultanat du Deccan recèle quelques pépites. En effet cette ville compte de très nombreux édifices hérités d’une dynastie musulmane : mosquées, mausolées, palais, restes d’une citadelle et de fortifications. Nous sommes dans l’Inde musulmane, les femmes revêtant le niqab ne sont pas rares.


Le monument phare de la ville, pour lequel nous avons fait ce détour, est le Gol Gumbaz, le mausolée du sultan Muhammad Adil Shah, construit au XVIIe siècle. Il est surtout connu pour la prouesse architecturale que constitue son énorme coupole de près de 1 700 m2, qui serait la deuxième au monde après Saint-Pierre de Rome ! Celle-ci doit sa popularité à l’acoustique exceptionnelle à l’intérieur qui permet d’entendre un chuchotement de part et d’autre d’une diagonale. J’ai bien dit un chuchotement. Mais comme les Indiens ne font pas les choses à moitié, c’est par des vociférations qu’ils testent la qualité (si je puis dire) de l’acoustique. Et comme les visiteurs indiens viennent généralement en nombre, je vous laisse imaginer ! Nous avons donc fui sans même chercher à monter sur la terrasse sommitale ! Il faut se déchausser pour pénétrer dans ce lieu spirituel, mais on peut y brailler ! Repose en paix Muhammad… Euh…


Incredible India!

Le Gol Gumbaz, mausolée du sultan Muhammad Adil Shah (VIIe siècle)

Rien de tel à la Grande Mosquée (Jami Masjid) où l’imam fut heureux de nous accueillir dans l’immense salle de prières aux massifs piliers, et fier de nous montrer le magnifique mihrab orné de dorures et de motifs floraux.

Nous avons bien aimé également Ibrahim Rauza, le mausolée du sultan Ibrahim II Adil Shah (rauza = mausolée). C’est à nos yeux le plus élégant des monuments de Bijapur, élevé au milieu d’un jardin clos d’une enceinte. Et, une fois n’est pas coutume, c’était calme en cette fin de journée! Les calligraphies soignées et les fenêtres de pierre sont remarquables.

Nous regagnons notre hôtel, Palette Resort, en fin de journée. Moderne et tout neuf, cet établissement fut une bonne surprise, à l'écart de l'agitation de la ville, donc au calme. La chambre propre, spacieuse, lumineuse, parfaitement équipée répond aux exigences de clients recherchant le confort. Le jardin très fleuri et très bien entretenu fut un enchantement. Le restaurant est un plaisir et le personnel est aux petits soins. Ce fut le meilleur hôtel de tout notre séjour au Karnataka (après Kabini River) ! Un seul regret : ne pas avoir eu le temps de profiter de la magnifique piscine d'une propreté exemplaire, au cours de notre court séjour à Bijapur.

Scènes de rue à Bijapur 
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Nous sommes ici au cœur du Deccan dans des paysages marqués par la sécheresse. Encore une ancienne capitale ! Badami fut celle de la dynastie des Chalukya (VIe – VIIe siècles) qui domina tout le sud de l’Inde. C’est de nos jours une bourgade poussiéreuse et peu avenante aux allures de village.

Nous nous installons à notre hôtel pour deux nuits, le KSTDC Hotel Mayura Chalukya. C’est un établissement d’État, comme celui où nous avions dormi une semaine plus tôt à Chitradurga. Devant le peu d’offre d’hébergements convenables à Badami, c’est celui qui garantissait le meilleur rapport qualité/prix. L'hôtel est au calme, à l'écart de la circulation infernale de la ville, ce qui garantit le repos. Mieux vaut séjourner ici que dans le soi-disant meilleur hôtel de la ville, deux à trois fois plus cher, à savoir le Krishna Heritage où nous avons déjeuné par deux fois et où l'entretien des lieux ne semblait pas reluisant.

Après un peu de repos pendant les fortes chaleurs, partons à la découverte des joyaux de la ville qui se répartissent autour d’un lac artificiel entouré de collines de grès rouge.

Au sud quatre grottes excavées dans les parois de grès multicolores, reliées entre elles par des escaliers, se succèdent à flanc de rocher. Datées du VIe siècle pour les trois premières et du VIIe siècle pour la dernière, elles abritent des sanctuaires. Ces grottes sont autant une prouesse technique que des chefs-d’œuvre artistiques : colonnes, pilastres, hauts-reliefs et plafonds finement ouvragés. À mesure que nous prenons de la hauteur, les vues qui se dévoilent sur le lac et sa couronne de collines sont de plus en plus belles.


Les plafonds sont richement ornés: le svastika hindou et un naga enroulé sur lui-même.

Un gardien. A ses pieds un curieux haut-relief où un éléphant et un taureau se partagent la même tête. Parvenez-vous à déchiffrer cette illusion optique ?

L’œuvre maîtresse de la troisième grotte : Narashima, l’homme-lion, quatrième avatar de Vishnou qui parvint à tuer le démon pourtant réputé invincible.

De l’autre côté du lac, au nord, un fort domine la ville. Il n’en reste que des vestiges, mais la brève ascension par un sentier qui se faufile entre les parois rocheuses permet de bénéficier de vues sur le lac et la ville. Mais attention une armée de petits garnements poilus très agressifs monte la garde !

Le point d’orgue de cette journée, fut la balade avant le coucher de soleil le long des ghâts, jusqu’aux temples de Bhutanatha. Leurs reflets rougeoyant dans les eaux du lac sont un enchantement ! Une image emblématique de Badami.

Aux environs de Badami

Le deuxième jour fut consacré à la découverte de deux autres capitales royales des Chalukya, situées à moins d’une heure de route de Badami : Pattadakal et Aihole. C’était le début du week-end et, contrairement à nos appréhensions il n’y avait pas foule, ni demandes de selfies. Ouf ! Ces deux sites distants d’une quinzaine de km l’un de l’autre sont remarquablement bien entretenus et fleuris. Ce sont de véritables parcs où il est agréable de se balader tranquillement entre les temples. Enfin, « tranquillement », pas tout à fait. Certes nous n’avons pas eu à subir de harcèlement pour des photos, mais des agressions tout de même de la part d’une bande de petits voyous très agiles qui griment sur tous les tempes et n’apprécient guère les visiteurs sur ce qu’ils considèrent comme leur territoire. Finalement ces Bandar-Log sans foi ni loi du Livre de la Jungle seront chassés par un gardien.


Pattadakal

C’est à Pattadakal que les rois étaient intronisés, ce qui lui valut à cette l’ancienne capitale royale l’édification au VIIIe siècle d’une série de temples somptueux. Les deux styles principaux de l’architecture chalukya se côtoient : le style dravidien de l’Inde du Sud, surmonté du vimana, tour-sanctuaire à étages de forme pyramidale et le style nagara de l’Inde du Nord, de plan carré et caractérisé par le shikara (tour pyramidale) strié verticalement et aux arêtes curvilignes. On est donc ici en présence d’un véritable musée à ciel ouvert de l’architecture religieuse indienne. C’est la raison pour laquelle l’UNESCO a classé cet ensemble de temples sur la liste du Patrimoine mondial.

Un petit temple de style nagara 


Voici un bel ensemble où se côtoient les deux styles: le temple de Mallikajurna de style dravidien et à côté, temple de Kashivishvanatha de style nagara avec son shikara strié verticalement et richement ouvragé:


A gauche: le temple de Mallikajurna de style dravidien; à droite: le temple de Kashivishvanatha de style nagara 


Le temple de Galanatha de style nagara avec son élégant shikara richement ouvragé de motifs superposés en bandes horizontales et coiffé d’un amalaka (coussinet à côtes) surmonté du pot de pierre.



Le temple de Sagameswara (à l’arrière-plan à droite), de style dravidien reconnaissable à sa tour pyramidale à trois étages coiffée d’un dôme de base carrée et son pot de pierre.



Le plus beau des monuments de Pattadakal est incontestablement le temple dravidien de Virupaksha. C’est aussi le plus vaste et le plus accompli. Nous sommes accueillis par un colossal Nandi de pierre noire abrité sous un petit pavillon. Il fait toujours l’objet d’une vénération. Sur le pourtour extérieur du mandapa, se succèdent entre des fenêtres finement ouvragées, d’indéniables chefs d’œuvre de la sculpture chalukya où Shiva tient une grande place.


De part et d’autre d’une fenêtre ciselée : Shiva et Parvati et Shiva dansant sur un démon.



Entrons à l’intérieur du mandapa. Il est soutenu par dix-huit piliers aux faces ornées de bas-reliefs aux minutieuses scènes historiées empruntées aux deux grandes épopées du brahmanisme. Sur l’un d’entre eux, une scène du Mahabharata, relatant le combat des Kauvaras contre les Pandavas. On y voit le terrible Bhima, l’un des frères Pandavas, allongé sur un lit de flèches. Pendant le combat, son corps avait été percé de tant de flèches qu'elles l'ont soutenu au-dessus du sol quand il est tombé !


L'intérieur du mandapa. A droite: scène du Mahabharata 


Juste à côté le temple de Mallikujarna, de style dravidien lui aussi, est en quelque sorte le petit frère de Virupaksha.



Dans la plupart des temples du site, on rencontre des couples d’amoureux (mithuna)



Aihole.

En arrivant dans ce village poussiéreux et misérable, nous sommes surpris par le grand nombre de vestiges très anciens dispersés dans tout le village, bien au-delà des murailles ceinturant le parc archéologique, et habités par des familles. Quand la pauvreté croise la sauvegarde du patrimoine historique. Deux nécessités peu compatibles : celle d’avoir un toit et celle de la protection de sites historiques. Choix sans doute difficile pour les décideurs.

C’est dans cette ancienne capitale des Chalukyas que furent érigés les premiers temple de pierre en Inde, dès le Ve siècle, le plus ancien encore debout étant daté de 634. Le temple de Durga est le plus emblématique du site. Il est daté du VIIe siècle. Contrairement à ce que laisserait supposé son nom, il est dédié, non pas à la déesse Durga, mais à Vishnou. Un bas-relief qui ornait un des plafonds du sanctuaire et représentant la divinité en train de dormir est conservé au musée Chhatrapati de Bombay. L’originalité de cet édifice est sa construction selon un plan absidial qui évoque une chapelle bouddhique (ou chaitya). Il est surmonté d’un shikara typique du style nagara. Tout autour du sanctuaire on découvre, entre des fenêtres ouvragées, une bonne partie du panthéon indien.


Le sommeil de Vishnu (musée de Bombay) 

Mahakuta.

Au retour nous effectuons un petit détour par ce site proche de Badami, souvent ignoré des visiteurs étrangers pour voir (encore !) d’autres temples de l’époque des Chalukya. Cependant l’indigestion nous guette… Entre les deux temples principaux qui font toujours l’objet d’un culte, se trouve un bassin sacré dans lequel, ce jour-là, une multitude de jeunes se livraient aux joies de la baignade. Mais à l’exception de quelques téméraires jeunes filles tout habillées, il y avait surtout des garçons, évidemment !

9

Plus de six heures de route nous attendent ce matin pour rejoindre Goa en direction de l’ouest et de l’océan. Nous allons donc quitter l’État du Karnataka. À mesure que nous roulons vers l’ouest, le paysage devient progressivement moins aride, plus riant et même bocager. Nous assistons à quelques scènes rurales, comme ces attelages de buffles aux cornes colorées de rouge.

En fin de matinée nous arrivons à Belgaum (Belgavi), la dernière ville du Karnataka, située sur les contreforts des Ghâts occidentaux. Ses cinq cents ou six cent mille âmes, ne la classe qu’au rang des villes moyennes en Inde. Pourtant elle a un certain dynamisme, ayant été promue seconde capitale du Karnataka, avec un parlement tout neuf, et élue récemment parmi les vingt « smart cities » (villes connectées) du pays. Nous traversons la ville, quand soudain un coup de sifflet est adressé à notre chauffeur de la part d’un policier qui fait stopper le véhicule. Il a fière allure dans son uniforme tout neuf et rutilant (j’ai remarqué qu’un peu partout dans le monde, les policiers étaient toujours très bien équipés), mais pour cet individu la courtoisie ne se semble pas avoir été érigée en art de vivre (ça aussi je l’ai souvent observé, du moins dans les États dits policiers). Notre chauffeur doit montrer un tas de papiers, soutient qu’il est en règle, etc. Les palabres n’en finissent pas. Prise de renseignements divers, relevé de l’immatriculation, coup d’œil méfiant aux passagers. Enfin nous repartons. En fait, le flic avait remarqué que le véhicule est immatriculé à Goa et selon Rām, ces tracasseries sont habituelles dans cette ville située aux confins de trois États et où la corruption n’est pas loin. L’Inde est une république fédérale où chaque État semble jaloux de ses prérogatives. Imaginons cela en Allemagne fédérale ou dans la Confédération helvétique.

Nous passons devant les remparts décrépis du fort édifié au XIIIe siècle qui joua un rôle stratégique pendant le Raj britannique du fait de sa positon frontalière avec Goa. Gandhi y fut retenu prisonnier dans les années 1920 pendant son combat pour l’indépendance. C’est aujourd’hui une importante garnison militaire.

Parvenant dans les quartiers de la périphérie, Rām nous demande un bref arrêt pour prendre livraison d’un matelas commandé à un fabricant, qu’il arrime comme il peut au-dessus de la voiture. Cela nous permet de nous dégourdir les jambes et de prendre le pouls de cette banlieue poussiéreuse, crasseuse et anarchique, animée par un grand marché et une importante mosquée. Une Inde loin des circuits touristiques.

Nous reprenons la route, à l’assaut les Ghâts occidentaux. Le paysage devient verdoyant, cette chaîne de montagnes anciennes étant très arrosée pendant la mousson. Cette route de montagne tournicote au sein d’un massif forestier de plus en plus dense. En réalité, cette montagne qui s’apparente aux Vosges n’est qu’une ride, puisque dans cette région les sommets n’atteignent pas 1 200 mètres. Voici la frontière entre les deux États. Tiens ! Encore des contrôles, mais dans l’autre sens cette fois-ci. Il y aurait des trafics de contrebande. La route descend en direction de l’océan. C’est alors que l'ambiance change radicalement : l'ocre du Deccan fait place aux verts paysages tropicaux, piquetés de blanc par un semis d’églises baroques. Nous sommes dans une Inde différente, dans l’espace culturel lusitanien hérité de 450 ans de présence coloniale portugaise, jusqu’à ce que Delhi ordonne en 1961 une offensive militaire pour y mettent fin. Les temples et les mosquées se font plus discrets, même si les chrétiens ne représentent plus que 30 % de la population. Survivance de quelques patronymes comme De Souza ou Bragança, cuisine goanaise où se croisent l’inspiration portugaise (le chouriço notamment) et les épices indiennes, survivance du dialecte goanais (le konkani) avec des emprunts au portugais, azulejos de Panajim , anciennes maisons coloniales, palais défraîchis.

En milieu d’après-midi, après avoir rapidement déjeuné dans une gargote de montagne et avoir affronté quelques embouteillages dans la frénésie dominicale des stations balnéaires, nous arrivons enfin à notre hébergement à Candolim. Nous prenons donc congé de Rām, le remercions et le gratifions de son pourboire bien mérité. Il va pouvoir retrouver sa famille, puisqu’il est Goanais.

Notre hébergement : 1265 Crescent Villa

Nous sommes accueillis chaleureusement et de manière personnelle par le propriétaire qui, d’après quelques photos souvenirs, semble avoir reçu des hôtes illustres. C’est une maison d’hôtes de charme dans un jardin tropical très bien entretenu, au calme, à l'écart de l'effervescence de Candolim, mais à moins de dix minutes à pied des plages. Ici le bon goût est au rendez-vous : cette villa est une véritable galerie d'art, puisque le maître des lieux est un collectionneur averti. La chambre très confortable et spacieuse, dispose de tout l'équipement souhaitable. Nous avons aussi apprécié la belle piscine, plus grande qu'elle n'apparaît sur les photos et régulièrement nettoyée. Et ce ne sont pas les restaurants qui manquent dans le quartier. Nous avons pris nos habitudes au restaurant de l’hôtel Yu situé à deux pas de là, où la qualité de la cuisine et du service étaient irréprochables.

Nous y resterons trois nuits. Nous avons donc devant nous deux journées entières pour la visite des sites majeurs, quelques balades le long de la grande plage et le farniente au bord de la piscine.



Old Goa et Panajim

Pour la visite d'Old Goa et de Panajim, notre hôte nous recommande un chauffeur indépendant, sérieux et sympathique qui travaille souvent pour les clients de la villa. Il s’appelle aussi Rām, c’est un prénom indien courant. Une grosse matinée suffira pour ces visites.

L'ancienne capitale des Indes portugaises Velha Goa (Old Goa) qui compta jusqu’à 200 000 habitants fut une rivale de Lisbonne. La découverte de ses églises et couvents inscrits au patrimoine mondial par l’UNESCO, fut l'occasion d'évoquer l'histoire de cette « Nouvelle Rome », ainsi que celle de l'évangélisation en Asie, notamment par la Compagnie de Jésus menée par Saint François Xavier dont le tombeau se situe dans la basilique du Bom Jesus. Une atmosphère qui nous est relativement familière pour nous Européens, mais qui pour la foule des visiteurs indiens doit être plus ou moins un dépaysement.

La façade de latérite rouge de la basilique du Bom Jesus contraste avec la blancheur des édifices religieux qui se profilent tout autour derrière les palmiers. Edifiée à la fin du XVIe siècle, elle fut conçue à la manière d’un retable de la Renaissance, un peu sur le modèle de l’église du Gesù à Rome, édifice emblématique de l’art jésuite.


Il y a du monde dans l’unique nef pour admirer la chaire et l’immense retable, hymne à la gloire des jésuites, puis dans le bras droit du transept, le tombeau de Saint François Xavier. Le sarcophage d’argent repose sur un piédestal de marbre réalisé dans un atelier florentin à la fin du XVIIe siècle. Il est l’objet d’un pèlerinage.

La cathédrale Sainte-Catherine (la ) est le plus grand édifice religieux de Goa avec sa haute façade baroque à laquelle manque une tour abattue par la foudre. Ici aussi profusion de dorures aussi bien pour le retable du maître-autel que dans les chapelles latérales, comme celle-ci avec son gigantesque ostensoir pyramidal comme il en existe dans les églises portugaises.

Un peu à l’écart, nous découvrons la majestueuse église Saint-Cajetan. Construite par des moines d’une congrégation italienne fondée par Saint Gaétan de Thiène, sa façade néoclassique et son plan en croix grecque surmonté d’une coupole s’inspirent de Saint-Pierre de Rome. Le bois de teck brut des retables et de la chaire parfaitement rénovés, donne une touche de sobriété à cette belle église.

La richesse de ce patrimoine religieux ne doit faire oublier l’impitoyable dureté de la conquête par Afonso de Albuquerque, o Terribil (« le Terrible ») au nom de la Croix et encore moins celle des missionnaires dans cette évangélisation forcenée. C’est une religion de fer qui fut imposé: interdiction des cultes hindous, destruction des temples avec les pierres desquels furent construits églises et monastères. Saint François Xavier demande même la mise en place de l’Inquisition qui installe ses sinistres tribunaux dès 1560. Chaque année des centaines de procès étaient instruits, soldés par des autodafés publics et leurs terribles bûchers.

Rām nous conduit ensuite à Panajim. La route longe le large estuaire de la Mandovi sur lequel s’ouvrent de belles vues. Cette modeste capitale de l’État de Goa construite sur une colline qui domine l’estuaire ne manque pas de charme, du moins si l’on s’en tient au périmètre historique. En particulier dans le secteur de Fontainhas, le quartier le plus pittoresque qui ne manque pas de rappeler le Portugal avec se rues pavées, ses maisons à vérandas ou à balcons, décorées d’azulejos. On rencontre même le coq portugais! Certaines ont été reconverties en maisons d’hôtes. Mais rappelons que nous ne sommes pas au Portugal : trottoirs défoncés, rues jonchées de déchets, circulation anarchique, etc.


Au sommet de la colline et au-dessus d’un escalier monumental se dresse l’église de l’Immaculée-Conception. Immaculée est la blancheur éclatante de sa façade de Renaissance qui se détache du bleu du ciel. Nous n’en verrons pas l’intérieur, puisque c’était déjà l’heure de la fermeture de la mi-journée comme en témoigne la sortie des classes.

Nous terminerons cette matinée en déjeunant dans un restaurant recommandé par notre hôte : le Mum’s kitchen (la « cuisine de Maman »). Il est situé au sud de Panajim sur la route de Miramar. Nous donnons rendez-vous à Rām une heure plus tard pour le retour vers Candolim. Mauvais plan ! Le restaurant était complet et il nous a fallu attendre un peu, puis le service s’est avéré fort lent ! En revanche ce fut un bon choix quant à la qualité gastronomique: une cuisine goanaise revisitée et raffinée à base de fruits de mer et de poisson.

Goa, mérite-t-il le détour ?

Goa, on aime ou on déteste. En vérité en moins de trois jours, nous n’avons pas eu le temps de détester. Il est vrai qu’on y vient de partout dans le monde pour ses plages, ses bars, ses boîtes de nuit, pour y faire la fête et qu’il y a du monde. C’est une destination phare en Inde, si bien que les prix sont bien plus élevés qu’ailleurs dans ce pays. La rue principale de Candolim est entièrement dédiée au tourisme de masse avec son alignement d’hôtels, de restaurants, de bars, de boutiques pour touristes. L’immense plage, par ailleurs plutôt propre, est elle aussi bordée de bars et de restaurants. Si l’on n’est pas amateur de musique techno ou si l’on recherche la tranquillité, ce n’est peut-être pas le meilleur endroit pour un séjour à Goa. Mais dans notre joli petit refuge au bord de la piscine, au milieu de la végétation tropicale, nous étions bien et au calme. Quant à la plage, une balade en tout début de matinée, quand les vacanciers ne sont pas réveillés et qu’elle n’est fréquentée que par quelques joggeurs matinaux, c’était un plaisir.


Et puis la visite d’Old Goa, si l’on s’intéresse un tant soit peu à l’histoire et au patrimoine, vaut à elle seule le détour. Cependant je n’en dirais pas autant de Panajim. Donc pour un court séjour, Goa ne nous a pas déplu.


10

C’est par la voie aérienne que nous poursuivrons et terminerons notre voyage vers le nord, au Mahārāshtra. Bien sûr il n’y a pas de vol direct, il faut faire escale à Bombay. Le hic est que celle-ci sera de sept heures!

Longue escale à l'aéroport international Chhatrapati Shivaji

Après une heure de vol, à l’approche de Bombay, nous découvrons l’hallucinante banlieue de la capitale économique de l’Inde qui s’étire infiniment telle une marée urbaine. Un patchwork urbain se dévoile où l’on peut distinguer de plus en plus nettement les différents quartiers et les contrastes saisissants entre les grands ensembles, les banlieues aérée et les slums très denses coincés entre voies rapides et voies ferrées et même au ras de la piste d’atterrissage !

Sept heures, c’est long ! Mais c’est aussi trop court pour espérer faire quoique ce soit dans cette gigantesque métropole aux embouteillages monstrueux. Or, pour rejoindre depuis l’aéroport le quartier de Colaba à l’extrême sud de la presqu’île, il faut compter une à deux heures de trajet en fonction du trafic. Nous resterons donc une quasi-journée en transit à l’aéroport et la visite de Bombay sera reportée au retour d’Aurangabad. En définitive nous ne verrons pas le temps passer, entre lecture, shopping pour les cadeaux aux enfants (il n’y avait pas grand chose d’intéressant au Karnataka), déjeuner et déambulations dans cette immense aérogare à l’architecture futuriste où l’on peut même contempler une étonnante installation artistique. Dès le début de l’après-midi, nous nous rendons dans la salle d’embarquement.

Arrivée à Aurangabad

Un chauffeur de notre hôtel très courtois vient nous prendre en charge à l’aéroport d’Aurangabad. Au premier abord cette grande ville industrielle d’un million et demi d’habitants, connue entre autres pour ses activités textiles, nous paraît assez aérée mais poussiéreuse. La ville a conservé une partie de son héritage musulman comme la pâle copie du Taj Mahal, le Bibi-Ka-Maqbara, mausolée commandé en 1660 par l'Empereur moghol Aurangzeb à la mémoire de sa première épouse. Considéré comme un symbole de la fidélité conjugale, il a en effet une ressemblance frappante avec son modèle d’Agra, le mausolée de la mère d'Aurangzeb, Mumtaz Mahal.

Bibi-Ka-Maqbara, pâle réplique du Taj Mahal, 

Mais l’intérêt principal d’Aurangabad réside dans ses grottes bouddhiques ainsi que celles des environs à Ellora et, un peu plus loin, Ajanta que nous irons découvrir les jours suivants.

Nous sommes de retour dans la zone sèche du plateau de Deccan, au centre du Mahārāshtra. Contrairement au sud granitique, cette partie du Deccan est d’origine volcanique, constituée d’immenses empilements de nappes basaltiques datant du crétacé, que les géographes désignent par le vocable de trapp (= escalier en suédois), l’érosion différentielle ayant sculpté dans les couches hétérogènes une série de marches d’escalier et de canyons. Ce sont dans les parois basaltiques de ces trapps qu’ont été excavées les fameuses grottes.

Nous arrivons à l’hôtel Vivanta où nous nous installons pour trois nuits.

Waouh ! Quel magnifique hôtel ! Il est situé dans un endroit calme, à l'écart de la ville, au cœur d'un vaste jardin tropical fleuri. Un hôtel de chaîne, luxueux sans être tapageur, bâti et décoré dans le style indo-musulman. Le personnel est on ne peut plus charmant et serviable. Un service parfait ! La très grande piscine, peu profonde, est une invitation à la détente. Une adresse qui contraste fortement avec les hôtels du Karnataka, la meilleure du voyage (avec le Trident à Bombay) ! Le soir, dans le jardin, il y a deux formules pour le dîner : le barbecue ou le buffet. Nous avons préféré ce dernier, moins lourd et moins épicé que le barbecue. En fin de soirée, nous avons pu apprécier le spectacle de danses marathi. Un service de voiture avec chauffeur pour visiter les grottes est disponible à la réception. Là aussi, un service irréprochable à tous points de vue.

Les grottes d’Ajanta

Le lendemain, en tout début de matinée, Ibrahim notre très sympathique chauffeur, vient nous prendre en charge à l’entrée de l’hôtel. Il nous faudra près de trois heures pour parcourir la centaine de kilomètres qui séparent Aurangabad d’Ajanta. En effet cette « route » est un immense chantier de 100 km. Sur plusieurs tronçons défoncés, on roule au pas sur une sorte de piste, car selon la méthode des travaux publics indiens, plutôt que de rénover une route par tranches, on commence par tout démolir ! La vie dans les villageois doit être très pénible, car on n’a pas hésité à creuser une tranchée béante en plein milieu des villages et on a même mutilé des maisons. Tout cela rend encore plus désolés les paysages du Deccan brûlés par la sécheresse.

Ibrahim nous dépose au « Upper View Point » d’où se dévoile une vue spectaculaire sur une une gorge en amphithéâtre qui s’inscrit dans un méandre de la rivière et où se dissimulent une trentaine de grottes creusées à flanc de falaise. Ouah ! On imagine la surprise et l’émotion de John Smith quant un jour d’avril 1819, cet officier britannique découvrit par hasard ce site enfoui sous la jungle au cours d’une partie de chasse au tigre. Mais ce doit être plus beau quand le paysage reverdit pendant la mousson !

Nous rencontrons un jeune qui se présente comme « guide » pour nous conduire au fond de la gorge. A priori nous n’avons pas besoin de guide car le sentier est facile et évident. Mais nous acceptons son service. Il nous fait faire un petit détour vers une cascade… quasiment à sec évidemment en cette saison. Au passage il nous fait remarquer des filons de serpentine verte. Le plateau du Deccan regorge de minéraux de toutes sortes, dont la vente aux touristes est une activité majeure ici. D’ailleurs notre guide nous apprend que son frère, ou je ne sais plus qui, tient une échoppe. Comme par hasard…

Nous descendons ensuite jusqu’à « Middle view point » pour des vues différentes sur les grottes. Une passerelle conduit enfin à un guichet d'entrée secondaire au niveau de la grotte n°9. Ce fut courte balade mais agréable ! Voulant prendre congé de notre guide et le gratifier d’un pourboire, il refuse, affirmant que nous nous reverrons en fin de visite. Bien sûr…

Au sommet de l'art bouddhique

Les grottes d’Ajanta doivent leur notoriété à la profusion de leurs peintures rupestres, parmi les plus belles de l’art bouddhique, ce qui leur a valu leur inscription en 1983 sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO.

Elles ont été excavées en deux phases, la première débutant vers le deuxième siècle avant notre ère et la seconde durant dans une brève période, sous la dynastie des Vakataka, de 460 à 480 selon Walter Spink, le spécialiste américain de l’art bouddhique en Inde. Une description par un voyageur chinois au VIIe siècle et des graffitis médiévaux suggèrent que les grottes d'Ajanta étaient connues et peut-être utilisées par la suite. Elles seront mentionnées une dernière fois par un fonctionnaire de l’époque moghole au début du XVIIe siècle, puis tomberont dans l’oubli. La « découverte » de John Smith ne fut donc qu’une redécouverte, d’autant plus que ces grottes étaient bien connues des villageois.

L’excavation à flanc de paroi s’est faite d’abord par le haut en creusant une sorte de tunnel, puis en l‘élargissant vers le bas et sur les côtés, comme en témoignent certaines grottes inachevées. L’excavation des roches et la réalisation des sculptures (piliers, chapiteaux, plafonds, statues du Bouddha) ont probablement été exécutées simultanément.


L'entrée vers la grotte n°16 gardée par deux éléphants 

Il y a deux types de grottes: Les vihara (monastères) et les chaitya (sanctuaires).

Les premières sont les plus nombreuses. De plan carré et symétrique, avec un péristyle et de petites cellules tout autour, elles ont été exécutés pour la plupart dans la seconde période. Au fond a été aménagé un sanctuaire où trône une grande statue du Bouddha.

Le vestibule du vihara (grotte n°4) 
Bouddhas (grottes n° 4 et 16 et 17 ) 

Les chaitya, au nombre de cinq, sont plus spectaculaires par leur plan « basilical » à abside, leur plafond voûté et leurs rangées symétriques de colonnes. Dans l’abside est érigé un stupa derrière lequel se trouve un déambulatoire. Il y a souvent un porche ou une véranda en façade.


La façade, la nef, le stupa, la corniche et les chapiteaux particulièrement ouvragés ciselés d'un chaitya  (grotte n°26)
L'un des plus purs chaitya de l'art bouddhique (grotte n°19) 

Quant aux peintures rupestres, chefs d’œuvre de l’art bouddhique, ce sont les plus anciennes qui subsistent en Inde. Elles ont été réalisées selon la technique de la fresque sèche, c'est-à-dire sur un enduit de plâtre sec. Malheureusement la mauvaise gestion précoce du site ouvert aux visites depuis un siècle et l’affluence grandissante des visiteurs ont accéléré leur détérioration. Pour réduire l'encombrement, il fut question il y a plusieurs années, d'ajouter au centre des visiteurs situé à l'entrée, des fac-similés (comme à Lascaux) des grottes les plus significatives, ce qui permettrait aux visiteurs d’avoir un meilleure lecture de ces fresques faiblement éclairées in situ. Mais nous n’avons vu rien de tel.

Ces figures du Bouddha sur les colonnes octogonales et les voûtes d'un chaitya sont assez bien conservées (grotte n°10) 

Les scènes peintes racontent principalement les naissances antérieures et les renaissances du Bouddha, selon les contes dits de Jataka. Un thème dépeignant le Bouddha sur le point de renoncer à la vie royale n’est pas rare. Contrairement à de nombreuses peintures murales indiennes, les compositions ne sont pas disposées en bandes horizontales, mais se déploient dans toutes les directions à partir d'une seule figure ou d'un groupe central. La sensualité et l’exaltation de la beauté du corps ne sont pas absentes, ce qui a scandalisé les premiers observateurs occidentaux ! Les plafonds sont également peints de délicieux motifs géométriques, floraux ou d’oiseaux.

Les plus beaux ensembles de fresques se trouvent dans les grottes n° 1, 2 et 17. Toutes trois sont des vihara. En outre nous avons beaucoup apprécié des grottes n° 19 et 26 qui sont des chaitya.


Le Bodhisattva Padmapani tenant une fleur de lotus, est considéré comme le chef-d’œuvre d’Ajanta (grotte n°1) 
La profusion et et la délicatesse des fresques font de la grotte n°2, le "clou" d'une visite à Ajanta.  
Les fresques très élaborées qui ornent la grotte n°17 sont les mieux conservées du site

Après quatre heures de visite, nous avons retrouvé notre chauffeur au parking situé à quelques kilomètres en contrebas du site, auquel on se rend par une navette vétuste et bringuebalante. Évidemment notre « guide » nous y attendait et évidemment il nous a invités à visiter son échoppe remplie de minéraux de toutes sortes. Son visage exprima la déception quand l’affaire se solda uniquement par un (bon) pourboire. Il y avait du monde ce jour-là et pourtant ce n’était pas un week-end. Mais en semaine, il faut aussi compter sur les groupes scolaires de plus en plus nombreux et plus ou moins disciplinés selon l’encadrement. Or les lieux étant par définition exigus, les conditions de visite n’étaient pas optimales.

Un groupe de joyeuses écolières très disciplinées 

Le site d'Ajanta est fermé le lundi

Les grottes d'Ellora

Le lendemain matin notre chauffeur nous emmène à Ellora, beaucoup plus proche, puisqu'à moins de trente kilomètres d'Aurangabad. Les trente quatre grottes sont classées par l’UNESCO au Patrimoine mondial. Le site est beaucoup moins spectaculaire qu’à Ajanta : une falaise basaltique longue de deux kilomètres au bord d’un ravin envahi de broussailles (et de déchets).

Par rapport à Ajanta, les grottes d’Ellora présentent plusieurs différences, ce qui fait que les visites des deux sites sont complémentaires. D’abord les trois religions du sous-continent indien sont représentées: le bouddhisme, le brahmanisme et le jaïnisme, ce qui traduit un esprit de coexistence et de tolérance religieuse.

Ensuite, elles sont plus récentes, leur excavation s’étant déroulée en trois phases du VIe au XIIe siècle. Les grottes bouddhiques sont les plus anciennes et les grottes jaïnes les plus récentes. Ainsi Ellora nous offre un panorama de l’histoire de la civilisation de l’Inde ancienne, notamment le retour de l‘hindouisme au VIIe siècle.

Sur le plan artistique enfin, elles sont davantage réputées par leurs sculptures que par les peintures rupestres très peu présentes, sinon dans les grottes jaïnes.


Parmi les œuvres du groupe bouddhique, la grotte n°10 dite "grotte du charpentier", est particulièrement remarquable. C’est un chaitya dédié à Vishvakarma, l’architecte de l’univers. En lieu et place du stupa se tient un grand Bouddha en position d’enseignement des cinq Principes du bouddhisme.

Le fleuron d’Ellora est le temple brahmanique de Kailasha (grotte n°16) daté du VIIIe siècle. Il vaut à lui seul l'excursion par ses proportions, la prouesse de son architecture et la richesse de son décor sculpté. Il est taillé dans un seul bloc de rocher et c’est la plus grande structure monolithique au monde ! Cela nous a un peu rappelé les églises monolithiques taillées dans le tuf de Lalibela en Éthiopie, mais en beaucoup plus gigantesque. On a du mal à imaginer le travail colossal pour déblayer les centaines de milliers de tonnes de gravats. Au-dessus de l’espace circumambulatoire, le surplomb de rocher sans aucun pilier est particulièrement impressionnant d’audace. La vue d’en haut est encore plus spectaculaire. On y parvient par un petit sentier qui grimpe sur la colline le long du temple.



Selon la tradition brahmanique, le temple est une réplique du Mont Kailash, sommet himalayen où réside Shiva, et montagne sacrée pour les trois religions. Le mont est symbolisé par une haute tour pyramidale (vimara) qui surmonte le sanctuaire, comme dans les temples du sud de l'Inde. A la base ont été sculptés des éléphants qui semblent porter la structure. Le temple est orné d’une multitude de compositions sculpturales selon le répertoire classique hindou. Cependant à mon avis elles ne surpassent pas la qualité de l’art des Hoysala.


Le pinacle du vimara 

En sortant du temple de Kailasha, nous poursuivons notre visite par le chemin bien aménagé le long de la falaise, vers d’autres grottes hindoues dominant une sorte de marigot peu séduisant. Mais la chaleur et la lassitude nous gagnent. Nous commençons à être saturés de temples. Aussi les grottes jaïnes passeront-elles « à la trappe » ! En cause sans doute aussi les conditions de visite assez pénibles. Ce jour-là (un jour de semaine), il y avait foule, notamment des groupes d’étudiants très bruyants et quémandeurs de… selfies ! Il semblerait que pour cette jeunesse, ces chefs-d’œuvre ne soient qu’un décor pour se mettre en scène !

Par ailleurs nous avons trouvé le site assez sale et entretenu à l’indienne. Certes il y a ce beau parterre fleuri à l’entrée du site. Mais nous avons pu voir aussi le gardien d’un temple balayer consciencieusement le lieu, mettre les ordures dans un seau, puis sans vergogne, balancer le tout dans le ravin en contrebas !

En définitive nous avons préféré Ajanta à Ellora, à la fois pour la beauté du site et la qualité des peintures rupestres.


Le site d’Ellora est fermé le mardi


Nous retrouvons Rām qui nous attend sur le parking et nous conduit au fort de Daulatabad situé à mi-chemin entre Ellora et Aurangabad. Un peu d’architecture militaire, voilà de quoi nous changer de l’architecture religieuse ! Au XIVe siècle, le sultan de Delhi voulut faire de l’ancienne Devagiri sa seconde capitale sous le nom de Daulatabad, à cause de sa situation centrale dans le sultanat. Cependant le projet a lamentablement échoué.

Le fort est perché sur une butte de deux cents mètres de hauteur. Mais la forte chaleur nous dissuadera de grimper jusqu’en haut. Nous nous contenterons d’une agréable promenade dans la partie basse à l’intérieur de la première enceinte. Après une série de portes et de fortifications, on peut voir un impressionnant minaret rouge brique, le Chand Minar. Tiens ! Encore un temple ! J’ai parlé trop vite…


A la sortie du fort, se tient un petit marché. Nous nous laissons tenter par quelques fruits tropicaux.

Nous retournons à Aurangabad où Ibrahim nous offre un tour de ville. Rien de bien exaltant à vrai dire. C’est aussi l’occasion de visiter un des nombreux ateliers de tissage de l’himroo, une étoffe de soie et de coton, parfois rehaussée de fils d’or, qui fait la réputation d’Aurangabad depuis sept siècles. On nous montre d’anciens métiers à tisser. Les motifs géométriques ou floraux aux couleurs variées sont séduisants. L’occasion de faire quelques achats et de papoter à bâtons rompus avec notre vendeur à propos du temps qu’il fait chez nous, du réchauffement climatique, etc.

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Bombay doit son nom aux Portugais qui l’avaient baptisée Bom Bahia au XVIe siècle, la « bonne baie ». Depuis 1995, le gouvernement du Maharashtra a voulu effacer l’empreinte du colonialisme britannique en renommant la ville Mumbai, un toponyme construit de manière alambiquée à partir de la contraction du nom d’une déesse locale soi-disant vénérée dans le passé et du suffixe -ai, la « mère » en marathi. Pourtant c’est bel et bien le code « BOM » qui est inscrit sur les étiquettes de nos bagages que nous réceptionnons sur le tapis de l’aéroport. De la même manière la célèbre gare Victoria Terminus s’appelle désormais Chhatrapi Shivaji terminus que les Mumbaikar continuent toutefois d’appeler par son abréviation anglaise « VT » ! Le Prince of Wales Museum quant à lui s’est muté en (respirons un bon coup) Chhatrapati Shivaji Maharaj Vastu Sangrahalaya (OUF!). « Merci d’avoir fait court » dit de Guide du Routard ! Mais probablement ces changements toponymiques sont-ils censés aller dans le sens de l’authenticité...

Notre dernière journée en Inde sera consacrée à cette métropole bouillonnante, ce qui est très peu de temps, convenons-en. Aussi se limitera-t-on aux quartiers du « centre » entre Colaba et Kala Ghoda. Pas si centraux en réalité, puisque situés l’extrémité méridionale de la presqu’île. Pour gagner du temps et nous simplifier les visites, nous optons pour un véhicule avec chauffeur réservé à la réception de notre hôtel. Ayant fait le choix d’un hôtel situé à proximité de l’aéroport, nous sommes de facto éloignés du centre d’une vingtaine de kilomètres. Cette immense aire urbaine de vingt ou vingt-cinq millions d’habitants, qui fait partie des dix agglomérations les plus peuplées au monde, s’étire sur quarante kilomètres du nord au sud, entre Vasai Creek et l’extrémité de la presqu’île. Si l’on regarde une carte ou une image satellite on remarque que le plan de la ville est en forme d’entonnoir et évidemment les centaines de milliers de travailleurs se retrouvent chaque jour piégés comme dans une souricière.

Rien de tel pour nous ce jour-là, puisque c’est dimanche et que la circulation est fluide. Nous nous dirigeons vers l’ouest, dans le quartier de Bandra qui jouxte la mer d’Oman, puis nous nous engageons rapidement sur le pont autoroutier ouvert en 2010, le Bandra-Worli Sea Link, qui il relie ces deux quartiers. C’est un pont à haubans à huit voies de 5,6 km de long qui enjambe la baie de Mahim. La traversée est spectaculaire entre la mer d’Oman à l’ouest et la baie à l’est, avec une vue sur la skyline de Bombay en arrière-plan.

Notre itinéraire longe ensuite la mer d’Oman où, posée sur un îlot relié à la ville par une digue, apparaît bientôt la blanche mosquée Haji Ali Dargah, lieu de pèlerinage vers le tombeau d’un riche marchand soufi. Laissant le quartier huppé de Malabar Hill sur la droite nous arrivons sur Marine Drive, sorte de "Croisette" indienne qui longe la baie (mais il faudra que les rédacteurs du GdR me disent où ils ont vu des cocotiers !). C’est la promenade favorite des citadins. Cette avenue aboutit à Nariman Point. Nous sommes ici au cœur du quartier des affaires de Bombay. Notre chauffeur nous propose un arrêt pour la vue. En fait une brume de chaleur envahit la baie et les gabions qui endiguent le littoral n’ont rien de bien de bien séduisants. Mais le quartier est vert et aéré, animé par quelques joggeurs du dimanche qui n’ont pas peur de la pollution.

Après moins d’une heure de route nous arrivons au Maidan (plaine), grande coulée verte au cœur de la ville, sorte de Champs de Mars de Bombay, terrain privilégié des joueurs de cricket et des manifestants de tous poils. C’est d’ici que nous débutons notre balade.

Découverte de la Bombay victorienne

S’il est aisé de tirer un trait de plume sur les noms de lieu, il serait impensable de raser des monuments sous prétexte qu’ils sont l’héritage de la colonisation britannique. Pourtant ce sont bien ces monuments de l’époque victorienne qui constituent le patrimoine du centre de Bombay et qui en font son intérêt. C’est ce que nous allons découvrir.

Contrairement à Delhi au passé ancien et prestigieux, le site de Bombay n’était au XVIIe siècle qu’un chapelet d’îles marécageuses et insalubres quand il fut acquis par la Compagnie des Indes britanniques. Il n’a fallu que trois siècles de développement pour transformer ce site en une grande ville dynamique. Le tournant eut lieu en 1860 quand le nouveau gouverneur britannique, Sir Batle Frere décide de donner un nouveau visage à la ville qu’il juge indigne de la Couronne britannique. Il veut en faire un nouveau Londres. Nous sommes à l’époque victorienne quand le style en vigueur en Angleterre était le néogothique. Ainsi les architectes comme Frederick William Stevens, le plus prolifique d’entre eux, vont réaliser un ensemble monumental où se mêlent les styles d’inspirations néogothique et indienne, un style « moghol-victorien » en quelque sorte. Un ensemble assez hétéroclite, voire kitsch de dômes, clochetons, tourelles, escaliers en hors d’œuvre, baies géminées, rosaces, où les fenêtres gothiques des palais vénitiens croisent les dômes du Taj Mahal et du Gol Gumbaz de Bijapur.

Le long du Maidan s’alignent plusieurs monuments intéressants comme l’université et la High Court de Bombay, immense forteresse néogothique de basalte.


La High Court 
L'University Library au pur style gothique vénitien avec son escalier en hors d’œuvre était en travaux de restauration.  



L’ancienne chapelle néogothique de l’université. 

La David Sassoon Library s’inspire librement du style gothique vénitien. Sir David Sassoon était un juif sépharade de Bagdad qui avait fait fortune comme banquier et marchand de tapis. Il a généreusement contribué au développement de Bombay en la dotant de plusieurs monuments. Elle est située juste à côté d’Elphinstone College qui en impose avec sa façade néogothique et ses trois tours.

A gauche: David Sassoon Library; à droite: Elphinstone College

En face, tentons de traverser l’avenue très encombrée et allons visiter la Jahangir Art Gallery, qui accueille des expositions d’artistes contemporains indiens ou internationaux. Parmi les nombreuses galeries nous avons surtout remarqué une série d’aquarelles très expressives sur Bombay d’un jeune artiste local de renommée internationale, Ananta Mandal. Ses œuvres sont surtout connues pour ses paysages urbains.

A deux pas de là se trouve le Chhatrapatietc. Museum (ex Prince of Wales Museum). A l’intérieur d’un vaste parc bien entretenu, face à la Wellington Fountain (tiens ! Le nom n’a pas été changé !), cerné d’avenues assourdissantes, le musée fut édifié en 1905 pour honorer la visite du Prince de Galles, le futur roi George V. Il fut érigé en symbole de la puissance anglaise sur les Indes. L’architecte, George Wittet, a pris le parti d’un style résolument indo-musulman avec et ses fenêtres ouvragées qui évoquent les palais du Rajasthan et son dôme qui nous a rappelé celui du Gom Gumbaz de Bijapur.


Dans la galerie des sculptures, nous remarquons plusieurs pièces provenant de temples du Karnataka comme ce bas relief en grès du VIIe siècle du temple de Durga à Aihole représentant le couple Uma-Maheshvara (Shiva et Parvati).

Une figure classique en Inde du Sud : Nataraja, « le roi de la danse » qui représente Shiva dansant. Il est à la fois le dieu créateur et le dieu destructeur. Il a quatre bras. La création est symbolisée par le tambour qu’il tient d’une de ses mains. La flamme qu’il tient d’une autre main symbolise la destruction. Sa deuxième main droite est un geste de protection. Sa main gauche inférieure montre sa jambe levée symbolisant l'espoir de libération. De sa deuxième jambe il écrase le nain Apasmāra qui représente l’ignorance.

Au premier étage nous admirons une belle collection de miniatures, notamment de la période moghole. Le musée n’est pas très grand, la visite fut assez rapide.

A la sortie du musée, l’animation bat son plein. Les trottoirs sont occupés par des camelots et les chalands s’affairent. Dernière occasion pour nous de nous remplir les yeux de beaux saris multicolores. Quelques artistes de rue exposent leurs œuvres : miniatures, dessins, aquarelles, etc. L’un d’eux attire notre attention car il réalise de remarquables copies de motifs ethniques des tribus d’Orissa (Odisha) que nous avions pu voir il y a quelques années lors d’une exposition à Bhubaneshwar. Nous sommes heureux (et lui aussi !) d’en faire une acquisition.


Gateway of India, est le monument le plus emblématique de Bombay, envahi par la foule, sans doute indifférente à la visite de George V en 1911, lequel fut le premier roi anglais à fouler le sol indien, évènement que commémore cette porte ouverte sur la mer. Elle fut achevée en 1924 par l’architecte du musée dans le style gujarati. Si les Indiens lui ont conservé son nom, c’est peut-être pour signifier de manière ironique que c’est aussi par là que les Anglais ont été mis… à la porte !


Le quartier de Colaba où nous sommes est noir de monde, la circulation est infernale et plus ou moins anarchique. Il y a des barrières partout limitant les déplacements piétonniers. Aussi il est difficile de prendre suffisamment de recul pour admirer la somptueuse façade mêlant l’exubérance orientale et le style victorien de l’hôtel Taj Mahal, l’un des fleurons de l’hôtellerie indienne.


Mais le monument phare de Bombay est incontestablement l’ancienne gare Victoria devenue Chhatrapi Shivaji Terminus et inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Un enchevêtrement de tourelles, dômes, clochetons, galeries, arcades, un salmigondis de palais moghol et de cathédrale gothique. La tour centrale est à s’y méprendre, avec ses gâbles, pinacles, gargouilles, ses hautes fenêtres avec leurs remplages et vitraux et son dôme surmonté d’une statue colossale, non pas de la Vierge, mais d’une allégorie du progrès. Et pourtant c’est bien d’une gare qu’il s’agit ! Une extravagante fantaisie où le kitsch est à son comble.


Les passagers qui, par dizaines de milliers sortent quotidiennement de cette gare, ne voient probablement plus le Municipal Corporation Building (l’hôtel de ville) qui se dresse devant eux face à la gare dans un style néogothique plus « sévère ».


Nous n’aurons eu qu’un aperçu de ce patrimoine victorien. Certes nous avons vu les monuments les plus significatifs, mais il y en a bien d’autres à Bombay. Ainsi nous avons manqué le Western Railways Headquarters (ex Churchgate Terminus), une sorte de pièce montée, véritable repère géographique de la ville. En fait ce n’est pas nous qui l’avons manqué, mais notre chauffeur. Celui-ci était fort peu coopératif et ne comprenait pas ce que l’on désirait, d’autant plus que son anglais était déficient. Il avait tendance à vouloir nous faire un circuit bien dans les clous touristiques. S’il ne tenait qu’à lui, nous nous serions probablement contentés de Gateway of India, du musée et de la gare ! Par ailleurs certains bâtiments ne sont pas accessibles ni même approchables comme la High Court gardée par des militaires en armes qui nous ont invités aimablement, mais fermement à passer notre chemin.


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Notre voyage en Inde ce fut ceci :

Mais ce fut aussi cela:

L’Inde agit à la fois comme repoussoir et aimant. Il faut croire que la fonction aimant ait été la plus forte jusqu'à présent. Et c’est tant mieux, car nous avons pu découvrir une partie de l’Inde du Sud et des joyaux parmi lesquels plusieurs sont inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Sur le podium, nous placerons Hampi, les grottes d’Ajanta et les temples de Belur et Halebid, chefs d’œuvre de l’art des Hoysala, pour lesquels nous avons eu un vrai coup de cœur. Sans oublier le petit coucou à Shere Khan dans le Parc national de Nagarhole !


Ce fut notre quatrième voyage en Inde, si je compte un trekking au Ladakh (mais est-ce encore l’Inde ?). Pour autant, il n'y aura pas de cinquième voyage dans ce pays, d’autant plus que nous n’avons plus vingt ans depuis longtemps et qu’avec cette pandémie l’avenir semble brumeux. Il est vrai que les Indiens sont d'une manière générale des gens plutôt charmants et accueillants qui lient facilement conversation et se laissent volontiers photographier. Peut-être trop comme le montre le phénomène pesant des selfies ? A cet égard il n’est pas rare d’avoir affaire à une jeunesse, masculine notamment, de plus en plus effrontée, comme en témoigne l’incident malheureux de Chitradurga.


Si ce pays-continent regorge de richesses architecturales, archéologiques et artistiques pour lesquelles plusieurs réincarnations ne suffiraient pas, nous avions trop vite oublié à quel point le pays est une immense poubelle à ciel ouvert, un pays bruyant et de plus en plus bordélique (sans guillemets), où les motos sont devenues envahissantes ! Et ça ne s'arrange pas ! Or avec l'âge, nous recherchons de plus en plus des destinations hivernales au soleil et reposantes, ce qui est loin d'être le cas en Inde !


Incredible India !


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Nous voici à l'aéroport international Chhatrapati Shivaji. Mais au fait qui est ce Chhatrapati Shivaji qui a donné son nom à une gare, un musée et donc à l’aéroport de Bombay ? Il a aussi sa statue équestre face à la Porte de l’Inde. Shivaji Bhonsle était un chef militaire, fondateur de l’Empire marathe après de durs combats contre les Moghols et les Adil Shah de Bijapur. En 1674 il se fit couronner roi et reçut le titre de Chhatrapati (= Empereur).

Mais revenons à l’aéroport. Nous sommes arrivés aux contrôles de sécurité et il y a foule. Si l’aéroport est ultramoderne, l’organisation reste à l’indienne ! Une pagaille indescriptible ! Ce sont des militaires en treillis qui sont chargés des contrôles de sécurité. Mais si les militaires savent sans doute manier un fusil, pour ce qui est de leur tâche ici, c’est de l’incompétence doublée d’inefficacité. Comme ailleurs, on place ses effets personnels sur un tapis roulant. Mais ici il faut faire une queue interminable pour un contrôle corporel poussé, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Mais en Inde la notion de file indienne n’est pas… indienne. C’est à touche-touche ! L’un contre l’autre ! Quelques Asiatiques portant un masque nous rappellent qu’une épidémie a quitté son foyer. Pendant ce temps-là nos affaires disparaissent et vont s’accumuler n’importe comment au bout du tapis. On en a même vu tomber par terre, ce qui a été signalé aux militaires qui n’en avaient cure ! Pendant quelques minutes, mon épouse n’avait plus trace de son passeport. Grand moment d’angoisse… Apparemment cette pagaille est habituelle si j’en crois un voyageur accoutumé des aéroports indiens.

Incredible India !

Trois semaines après notre retour, nous étions confinés. Des dizaines de milliers de voyageurs étaient bloqués un peu partout dans le monde et attendaient un hypothétique vol pour être rapatriés. Nous avons eu chaud ! Ce fut notre ultime voyage avant longtemps.