Rhodes, 15 avril 2011, 9 heures
Le Sea Star, le catamaran communal de Tilos entre au port de Rhodes (*). En lieu et place du célèbre Colosse de l’Antiquité grecque, la sixième des Sept Merveilles du monde détruite par un séisme en 226 avant J.C., se dressent les sculptures en bronze d’un cerf et d’une biche, animaux emblématiques de la ville qui gardent l’entrée du port de Mandraki. Bientôt nous distinguons les murailles du palais des Grands Maîtres, puis les puissantes tours de la porte de la Marine (Thalassini Pili). Nous sommes attendus par le loueur de voiture qui nous a donné rendez-vous sur le quai pour nous livrer le véhicule réservé. Les formalités de la location ont été expédiées, réduites à leur plus simple expression et le contrat fut signé à toute vitesse sur le capot de la voiture ! Au retour il suffira de restituer la voiture sur le parking d’un hôtel et de laisser la clé à l’intérieur… Très cool les loueurs de voitures en Grèce !
(*) Cette navette qui assurait aux habitants et aux visiteurs de Tilos une liaison rapide avec Rhodes, mais qui devait être un gouffre financier pour la commune, n’existe plus aujourd’hui.
Bien que ce soit la plus grande île du Dodécanèse, nous ne resterons que cinq jours à Rhodes, dont une journée consacrée à une excursion sur l'île voisine de Symi. Donc pas de randonnée sur cette île pourtant bien pourvue en sentiers. En effet entre littoraux et montagnes qui donnent à l'île une allure de continent miniature, les beaux parcours pédestres ne manquent pas. Mais l'île regorge aussi de trésors antiques et médiévaux à découvrir. Rhodes, située à la confluence de l’Orient et de l’Occident est une terre chargée d’histoire. Sa position stratégique lui a valu des vagues successives d’envahisseurs : Mycéniens, Doriens, Romains, Byzantins, Arabes, Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean, Ottomans, Italiens. Chaque empire y a laissé un héritage prestigieux : cités doriennes de Lindos, Kamiros et Ialysos, monastères byzantins, ville médiévale fortifiée de Rhodes, mosquées et fontaines ottomanes. Ce sera donc un séjour résolument culturel ; les randonnées, nous les réserverons pour Karpathos.
Le Colosse de Rhodes était une statue géante d’Hélios, le dieu grec du soleil. Selon les Anciens, l’île de Rhodes était « plus belle que le soleil ». Elle fut donc dédiée à Hélios. Il est vrai que le soleil y brille environ 300 jours par an. Il faut alors croire que nous n'étions pas dans les 65 jours restants, puisqu'au cours de notre séjour dans le Dodécanèse, en avril, nous n'avions eu a à subir d’un seul épisode pluvieux. Voilà de quoi attirer les vacanciers en grand nombre ! La mise en tourisme de l’île eut lieu dès les années 1930. Ce sont les Italiens qui y ont aménagé une hôtellerie haut de gamme. Puis de nouveaux envahisseurs ont débarqué à Rhodes, venus principalement d’Europe du Nord par charters: Allemands, Britanniques, Scandinaves… Les rivages de Rhodes se sont donc ouverts au tourisme de masse, principalement sur les plages du nord de l'île.
Lindos
Après avoir pris possession de notre voiture, nous quittons la ville que nous visiterons plus tard et partons immédiatement pour un tour de l'île en deux jours. Les paysages sont prometteurs : littoraux où alternent rochers et plages de sable ou de galets, montagnes boisées, vallées profondes, oliveraies, vergers et cultures irriguées, tout cela coloré de tapis de fleurs en cette saison. Promesse non tenue (mais provisoirement) peu après avoir quitté la ville par la route qui longe le littoral oriental en direction du sud : nous vérifions immédiatement qu’ici, comme dans maints autres endroits en Grèce, le béton est roi ! Mais les plages sont désertes et la plupart des hôtels fermés. C'est à la fois l'avantage et l'inconvénient de venir dans les îles grecques hors saison. On ne s'attardera donc pas ici pour arriver rapidement à l'étape du jour : Lindos. Nous sommes émerveillés par la fabuleuse vue de l'acropole, perchée sur éperon aux parois escarpées (photo plus haut). C’est sans doute un des plus beaux sites de l’île, admiré chaque été par des foules de visiteurs venus du monde entier.
Fabuleux est également l’hôtel où nous nous installons: le Menlenos Art Boutique Hotel. C’est un hôtel de charme constitué d’un ensemble de maisonnettes blanchies à la chaux qui s’étagent au pied de l’acropole dans un luxuriant jardin. Ce complexe s'intègre parfaitement à l’architecture de la fin du XVIIe siècle de Lindos. Un véritable village dans le village. La décoration, d’un goût exquis, est un mélange des styles ottoman et rhodien avec céramiques, poteries, fontaines, fenêtres et boiseries finement sculptées, etc. Une particularité des intérieurs rhodiens : le lit de bois surélevé, accessible par deux marches. Et je ne parle pas de la vue imprenable et du délicieux dîner dans une salle de restaurant digne d’un comte des mille et une nuits.
La visite matinale de Lindos et de son acropole fut des plus agréables en l’absence de l’affluence habituelle. Tout d’abord, nous nous enfonçons dans le dédale des étroites ruelles pavées et désertes (une fois n’est pas coutume), de ce village classé. Nous admirons les portails richement ouvragés des maisons des Capitaines marchands des XVIIe-XVIIIe siècles pour la plupart. Certaines ont été reconverties en maisons d’hôtes. Le singulier campanile de l’église byzantine de la Panagia se dresse au centre du village.
Nous entreprenons ensuite l’ascension de l’acropole par un chemin escarpé. Des millions de pieds de visiteurs ont poli les pavés et les marches qui y mènent, mais ce matin-là, nous ne fûmes accompagnés que par le chant des oiseux. Nous franchisons la première porte de la citadelle médiévale. En passant on peut voir un bas relief-relief d’époque hellénistique sculpté dans la paroi rocheuse, représentant la poupe d’une trière. Au XIVe siècle, les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean ont bâti ce château fort sur une acropole occupée dès l’époque mycénienne. L’Antiquité grecque croise donc ici l’Occident médiéval. Nous accédons à une série de terrasses où se trouvent les vestiges des propylées et du temple d’Athéna Lindia (4e siècle av. J.C.), mais on remarque surtout la stoá (portique) de vingt colonnes doriques dont certaines, tourisme oblige, ont été redressées. Du haut des remparts on domine un magnifique panorama sur la mer d'un côté, le village de l'autre.
De monastères en châteaux
Nous poursuivons notre route en direction du sud. Dans cette partie de l’île, ignorée du tourisme mais d’une beauté austère, on retrouve une Grèce plus traditionnelle, on rencontre de paisibles villages, on traverse une nature plus sauvage et plus âpre.
A une vingtaine de kilomètre à l’est de Lindos, à l’intérieur des terres, le village d’Asklipio serait le lieu de naissance d’Asclépios, le dieu grec de la médecine (Esculape chez les Romains). Il y a longtemps que l'on ne vient plus ici en pèlerinage pour obtenir une guérison comme dans les temps anciens, mais pour le monastère de Kimíssis Theotókou (la Dormition de la Vierge), superbe basilique byzantine du XIe siècle avec des fresques du XVe siècle. Un pèlerin nous offre une carte postale représentant une de ces fresques, sur laquelle il a écrit une prière à la Vierge. Voudrait-il nous convertir ?... Plus au sud, par une route de montagne très sinueuse, nous grimpons jusqu’au monastère de Skiadi, situé dans un site majestueux et très isolé. Une chapelle du XIIIe siècle abrite une icône « miraculeuse » de la Vierge qui fait l’objet d’une panigiri (fête) chaque année.
La route redescend sur l’autre versant, vers la côte occidentale. Au loin se profile la silhouette d’une forteresse perchée sur un piton rocheux, émergeant d’une forêt de pins émeraude, face au bleu de la mer Egée. C’est le château de Monolithos, un toponyme qui sied bien à ce nid d’aigle inexpugnable, érigé au XVe siècle par le Chevaliers de Saint-Jean pour surveiller la partie méridionale de la côte orientale quand l’île subissait les assauts des Ottomans. Bien que d’apparence inaccessible, nous pouvons y grimper par des marches à partir du parking situé en contrebas. Évidemment, en haut la vue est comme le château… imprenable !
Un autre château attend notre visite plus au nord. Au milieu d’une nature exubérante, une belle route se faufile entre le littoral et les flancs du mont Atáviros, le point culminant de l’île (1 215 m) et atteint le village endormi de Kritinía aux maisons blanches, d’aspect cycladique. A proximité, on découvre les ruines du château de Kastéllos au sommet d’un éperon rocheux. Quelques restaurations ont permis de mettre en valeur les blasons des Grands Maîtres de l’Ordre de Saint-Jean (oui, encore eux !) qui ont bâti ce château. Vue époustouflante sur la côte rocheuse battue par les vents et l’île voisine de Halki.
Le mont Profitis Ilias
Nous décidons de quitter le littoral pour parcourir les routes sur les hauteurs du centre de l’île avant de revenir à Rhodes-ville. A la différence du mont Atáviros qui peut être le but d’une randonnée de sept heures aller-retour depuis le village d’Embónas, on peut se rendre en voiture au mont Profitis Ilias, beaucoup plus bas (798 m). Nous traversons une magnifique pinède; gageons qu'elle ne soit pas détruite par un prochain été caniculaire... À mesure que nous prenons de l’altitude, nous profitons de vues superbes sur l’île. Au sommet, les tristes bâtiments d’une station d’altitude abandonnée témoignent de l’occupation italienne jusqu’en 1944 (il y a même une villa Mussolini !). Beaucoup plus charmante est la petite église d’Agios Nikolaos Fountoukli (Saint-Nicolas-des-Noisettes), située à quelques kilomètres de là, dans un site bucolique. De vénérables oliviers, une fontaine et des jeux pour enfants donnent une ambiance de fraîcheur et de détente. L’intérieur de l’église est remarquable par la qualité de ses fresques du XIVe siècle.
De retour à Rhodes, nous nous installons dans un hôtel aménagé dans une vieille demeure au cœur de la ville médiévale que nous visiterons après une escapade d'une journée dans l'île voisine de Symi.