Invitation à de belles randonnées printanières lors d'un périple égéen dans des îles préservées du Dodécanèse méridional, de Nisyros, l'île-volcan à Karpathos, l'île oublié entre mer et montagnes.
Avril 2011
27 jours
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Kos, samedi 9 avril 2011, 7 heures du matin

Les premiers rayons de soleil illuminent le château des Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Le ferry de la compagnie Blue Star, qui assure depuis Le Pirée les liaisons entre les iles de l’archipel du Dodécanèse, est en vue et nous nous apprêtons à embarquer pour Nisyros, la deuxième île de notre périple égéen jusqu’à Karpathos, en passant par Tilos, Symi et Rhodes. Nous avons apprécié chacune de ces iles car elles sont toutes différentes. C'était au printemps et en cette saison les îles grecques regorgent de fleurs sauvages en tout lieu. Mais c'était aussi la basse saison touristique et beaucoup d'hôtels étaient fermés. Certains nous ont tout de même ouvert leur porte avant l'arrivée des premiers touristes à Pâques.

Kos: le château des Chevaliers flanqué de l'édifice italien de l'hôtel de police et le quai des ferries (au fond: la côte turque)

Toutes ces îles se prêtent parfaitement à la randonnée, notamment les plus grandes, Rhodes et Karpathos et il existe de nombreux sentiers plus ou moins bien balisés et entretenus. Nous avons marché dans trois d'entre elles : Nisyros, Tilos et Karpathos. Si depuis plusieurs années Karapthos est devenue une des destinations phares pour les amateurs de trekking, Nisyros et surtout Tilos sont restées à l'écart des grands flux touristiques, ce qui en fait tout leur intérêt.

Tous les marcheurs trouveront leur bonheur parmi des sentiers (μονοπάτι) adaptés à leur niveau, y compris avec des enfants. Ce qui fera la différence sera la longueur de l'itinéraire et les randonnées les plus longues seront évidemment réservées aux bons marcheurs. Du point de vue des dénivelés, ces îles étant montagneuses, on peut s'attendre à des dénivelés plus ou moins importants. Toutefois, le dénivelé positif maximum ne sera que de 700 mètres environ, au Profitis Ilias (698 m), sommet de l'île de Nisyros ou au Kali Limni, point culminant de Karpathos (1215 m) et deuxième sommet du Dodécanèse après le mont Atavyros à Rhodes, à un mètre près !

Des paysages spectaculaires se dévoilent sur les sentiers de Karpathos.
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Nisyros est une petite île volcanique, d'où sa configuration circulaire. Son attrait majeur est donc le volcan, situé à l'intérieur d'une grande caldeira au centre de l'île. Celui-ci est actif, comme en témoigne la présence de fumerolles s'échappant des tufs aux couleurs jaune, orange et jaune. En saison la plupart des visiteurs n'y passent que quelques heures, le temps d'une excursion à la journée au départ de Kos ou de Rhodes, se contentant d'aller sur le volcan. Mais en y restant quelques jours, cela permet de s'immerger dans l'ambiance « cycladique » de Mandraki, le chef-lieu de l'île et de profiter de la sérénité du lieu. Il est plaisant de flâner dans le dédale des ruelles escarpées bordées de maisons aux balcons colorés, de grimper jusqu’au monastère dominant la ville et de contempler le coucher du soleil.

Mandraki 





Le monastère Panagias Spilianis



Paléokastro

L'imposante acropole archaïque de Paleokastro domine Mandraki. Au sud du village, un sentier signalé « kastro » débute par une série de marches puis s'élève rapidement, enfoui entre des murets dans une dense végétation méditerranéenne. En quart d'heure nous arrivons devant les murs cyclopéens du kastro qui ont été restaurés récemment. De là nous bénéficions d'un magnifique panorama sur Mandraki et les îles voisines, Kos et Nisyros





Profitis Ilias.

Profitis Ilias (le prophète Élie) est un toponyme fréquent en Grèce pour les sommets. C’est le point culminant de l'île (698 m). Cependant il ne s'agit pas du volcan, mais du rebord occidental de la caldeira. Celle-ci s’est formée il y a environ 30 000 ans après de violentes éruptions, provoquant l’effondrement du volcan qui est donc aujourd’hui situé en contre-bas.

Partant de Mandraki, le sentier grimpe progressivement parmi les terrasses de cultures abandonnées et quelques ruines témoignant de la forte déprise rurale de cette partie du Dodécanèse. Après une heure de marche, nous atteignons le monastère d'Evangelistria, accessible également par la route. Nous poursuivons l’ascension par un bon sentier bien balisé qui continue à monter, parvenons à un replat verdoyant où se situe la chapelle Aghios Vassilios, aux traditionnelles couleurs grecques bleu et blanc. Encore une heure et demie d’effort par une pente bien marquée, avant d'apercevoir la chapelle de Profitis Ilias et d’atteindre le sommet d'où l'on jouit d'une vue panoramique imprenable sur la caldeira et les cratères du volcan.

Terrasse de culture abandonnées  


Ruines témoignant de la forte déprise rurale  


La petite chapelle Aghios Vassilios 


Le volcan vu de Profitis Ilias 

Nous redescendrons par un sentier alternatif en passant par le monastère de Nymphos. Les vues qui se développent sur le nord et l'ouest de l'île sont superbes.

Le volcan

Le dernier jour, nous prenons le même chemin que la randonnée précédente, jusqu'au monastère d'Evangelistria. Puis nous empruntons le sentier qui longe le rebord de la caldeira et mène en moins d'une heure au village d'Emborios. Tout le long du parcours se dévoilent de belles vues sur la mer Egée et l'île de Kos à gauche et sur le Profitis Ilias à droite. Nous rencontrons quelques chèvres parmi les oliveraies et terrasses abandonnées.

Panorama sur Mandraki et l'île de Kos 

Le village d'Emborios, perché sur le rebord de la caldeira est aujourd’hui quasi déserté. Il offre une magnifique vue sur le volcan et la mer. Au village, il nous a fallu demander notre chemin pour descendre au fond de la caldeira. En effet celui-ci était enfoui dans la végétation. Nous atteignons enfin la route qui mène au volcan dans une petite plaine boisée.

Le village perché d'Emborios au milieu des terrasses de culture abandonnées 


Le village endormi d'Emborios 


Subtiles nuances printanières dans la plaine boisée au fond de la caldeira 

La prudence s’impose pour évoluer autour des cratères du volcan, sur un sol instable et s’émerveiller devant les couleurs ocre, rouge, orange et jaune des roches volcaniques, d'où s'échappent quelques fumerolles. Deux heures seront nécessaires pour retourner à Mandraki par une piste carrossable sur le flanc ouest de l'île, en compagnie d'un chien affectueux qui nous suivra jusqu'au bout. En chemin nous apercevons l'île voisine de Tilos où nous irons le lendemain.





Euphorbe 
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Livadia 


Tilos est une petite île du sud du Dodécanèse, située à l'écart des routes touristiques, à l’ouest de Rhodes. Sur cette île sont protégées des espèces rares ou endémiques, notamment l'Aigle de Bonelli, le Faucon Éléonore et le Cormoran de Méditerranée. D'ailleurs l'intégralité du territoire insulaire est classée en Zone de Protection Spéciale par l'Union européenne dans le cadre de « Natura 2000 ». Cependant nous n’avons vu aucun de ces oiseux durant notre séjour à Tilos, sinon sur la plaquette offerte par l'office du tourisme local.

Tilos qui ne compte que quelques centaines d'habitants, a subi un très fort exode rural comme en témoignent les villages à l'abandon, notamment Mikro Horio, au centre de l'île. Cette petite île pourrait être l'archétype de l'organisation de l'espace insulaire égéen avec trois lieux majeurs : skala, chora et kastro (voir la carte ci-dessous).

Le premier d'entre eux, situé en bordure de mer et au fond d’une baie, c'est le petit port de Livadia. On le désigne généralement par le terme de skala (l'échelle, l'escale).

Scala: le port de Livadia 

A l'intérieur de l'île et à flanc de montagne, autrefois à l’abri des incursions des pirates, Megalo Horio le chef-lieu ou chora, dominée par une forteresse construite au XVe siècle par les chevaliers de Saint Jean : c'est le kastro.

Chora: Megalo Horio, le chef-lieu, dominé par la forteresse des Chevaliers de Saint-Jean

Aujourd'hui la plupart des habitants ont déserté les villages de l'intérieur et 90% d'entre eux se concentrent à Livadia, de même que la quasi totalité des infrastructures hôtelières, tandis que Megalo Horio, qui a conservé les services municipaux et un petit musée, n'est plus qu'un minuscule chef-lieu de quelques dizaines d'habitants.

Tilos ne manque pas de belles plages ni de sites intéressants à explorer et malgré sa petite taille, elle offre un grand nombre de randonnées et promenades. On peut y apprécier son "authenticité" et son calme. La plage de Lethra, accessible par une belle piste littorale offre d'avantage d’intimité que la longue plage de la baie de Livadia. Elle est située sur la côte est et fait face à l’île de Symi et la presqu’île turque de Datça.

Les euphorbes illuminent la paysage 


Le sentier vers la plage de Lethra. A l'horizon, on distingue la presqu'île de Datça en Turquie. 


La flore sauvage méditerranéenne: cyclamens, arums et cistes 


Le village abandonné de Mikro Horio  et l'ancien chemin pavé pour y accéder

Megalo Horio et Kastro

Le premier bus du matin nous conduit en quelques minutes à Megalo Horio. Nous sommes parmi les navetteurs de Livadia qui ont leurs activités au chef-lieu : élèves, professeurs, personnel municipal, etc. Après nous être volontairement perdus dans les ruelles du village, et avoir admiré l’église de la Panaghia, nous entreprenons la rude grimpette d’une quarantaine de minutes vers le kastro, le fort des Chevaliers de Saint-Jean qui domine le village de Megalo Horio. En chemin nous passons parmi les ruines de l’ancien village byzantin. De la terrasse du fort, on bénéficie d’une magnifique vue sur le village, la plaine de Kambos, la baie d’Agios Antonios et l’île de Nisyros.

Megalo Horio 


Megalo Horio 


Megalo Horio 


Ruines byzantines au pied du Kastro 


La vue depuis le kastro sur la baie d’Agios Antonios et l’île de Nisyros.  

Le monastère Aghios Pandeleimon

Ce monastère situé dans la montagne au nord-ouest de l’île est le but d’une superbe randonnée de deux heures au départ de Megalo Horio. Chemin faisant, nous croisons un important troupeau de chèvres qui paissent tranquillement dans un pré fleuri. Les animaux sont superbes. Nous discutons avec le berger qui nous explique qu’il s’agit d’une race locale qu’il tente de réintroduire à Tilos. Par l’ancien sentier emprunté autrefois par les moines, nous prenons peu à peu de la hauteur, ce qui nous permet d’admirer le vaste panorama qui se dévoile sur la baie d’Agios Antonios, jusqu’à l’île voisine de Nisyros où nous étions les jours précédents. Nous passons le hameau abandonné de Paradisi, puis nous franchissons un col étroit, gardé par une chapelle en ruine, laquelle a conservé un linteau antique. Le sentier se rétrécit et se dégrade quelque peu, puis se transforme en un impressionnant escalier en pierre.

C’est alors qu’apparaît, niché à flanc de​​ montagne et dominant la mer, le monastère du XVe siècle de Saint Panteleimon. Un havre de fraicheur accueillant, à l’ombre de ses cyprès, dans cette montagne rude et austère. Le monastère est désormais inoccupé et ne s’anime que lors des fêtes. Pour le moment, seul le murmure de sa source d’eau fraiche donne quelque vie au lieu et nous nous emplissons quelque temps de la sérénité ambiante.

Le paisible monastère d'Agios Panteleimonas 

Les village abandonné de Ghera

Cet ancien village qui s’étage au-dessus de la mer est daté du XVe siècle. Il est constitué de maisons en partie restaurées ne comprenant qu’une seule pièce. Situé à l’extrémité orientale de Tilos, il est considéré comme une annexe d’été de Mikro Horio, l’autre village en ruines du centre de l’île. C’est le but d’une nouvelle randonnée par un sentier pavé, bien tracé et parallèle au littoral qui permet de bénéficier de jolies vues sur la baie de Livadia et sur les criques sauvages aux eaux turquoise et cristallines.

Livadia et la baie d'Agios Stephanos 


Une ancienne aire de battage des céréales et les ruines du village de Ghera



Chemin faisant, la vision de la chapelle d’Agios Ioannis se profilant devant les montagnes chauves et l’azur de la mer, ressemble à une véritable carte postale de l'île grecque.

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Lindos et son acropole 

Rhodes, 15 avril 2011, 9 heures

Le Sea Star, le catamaran communal de Tilos entre au port de Rhodes (*). En lieu et place du célèbre Colosse de l’Antiquité grecque, la sixième des Sept Merveilles du monde détruite par un séisme en 226 avant J.C., se dressent les sculptures en bronze d’un cerf et d’une biche, animaux emblématiques de la ville qui gardent l’entrée du port de Mandraki. Bientôt nous distinguons les murailles du palais des Grands Maîtres, puis les puissantes tours de la porte de la Marine (Thalassini Pili). Nous sommes attendus par le loueur de voiture qui nous a donné rendez-vous sur le quai pour nous livrer le véhicule réservé. Les formalités de la location ont été expédiées, réduites à leur plus simple expression et le contrat fut signé à toute vitesse sur le capot de la voiture ! Au retour il suffira de restituer la voiture sur le parking d’un hôtel et de laisser la clé à l’intérieur… Très cool les loueurs de voitures en Grèce !

(*) Cette navette qui assurait aux habitants et aux visiteurs de Tilos une liaison rapide avec Rhodes, mais qui devait être un gouffre financier pour la commune, n’existe plus aujourd’hui.


Le palais des Grands Maîtres et la porte de la Marine. 

Bien que ce soit la plus grande île du Dodécanèse, nous ne resterons que cinq jours à Rhodes, dont une journée consacrée à une excursion sur l'île voisine de Symi. Donc pas de randonnée sur cette île pourtant bien pourvue en sentiers. En effet entre littoraux et montagnes qui donnent à l'île une allure de continent miniature, les beaux parcours pédestres ne manquent pas. Mais l'île regorge aussi de trésors antiques et médiévaux à découvrir. Rhodes, située à la confluence de l’Orient et de l’Occident est une terre chargée d’histoire. Sa position stratégique lui a valu des vagues successives d’envahisseurs : Mycéniens, Doriens, Romains, Byzantins, Arabes, Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean, Ottomans, Italiens. Chaque empire y a laissé un héritage prestigieux : cités doriennes de Lindos, Kamiros et Ialysos, monastères byzantins, ville médiévale fortifiée de Rhodes, mosquées et fontaines ottomanes. Ce sera donc un séjour résolument culturel ; les randonnées, nous les réserverons pour Karpathos.

Céramique d'époque mycénienne, armoiries de Pierre d'Aubusson, Grand Maître de l'Ordre de Saint-Jean et mosquée de Souleïman. 

Le Colosse de Rhodes était une statue géante d’Hélios, le dieu grec du soleil. Selon les Anciens, l’île de Rhodes était « plus belle que le soleil ». Elle fut donc dédiée à Hélios. Il est vrai que le soleil y brille environ 300 jours par an. Il faut alors croire que nous n'étions pas dans les 65 jours restants, puisqu'au cours de notre séjour dans le Dodécanèse, en avril, nous n'avions eu a à subir d’un seul épisode pluvieux. Voilà de quoi attirer les vacanciers en grand nombre ! La mise en tourisme de l’île eut lieu dès les années 1930. Ce sont les Italiens qui y ont aménagé une hôtellerie haut de gamme. Puis de nouveaux envahisseurs ont débarqué à Rhodes, venus principalement d’Europe du Nord par charters: Allemands, Britanniques, Scandinaves… Les rivages de Rhodes se sont donc ouverts au tourisme de masse, principalement sur les plages du nord de l'île.

Lindos

Après avoir pris possession de notre voiture, nous quittons la ville que nous visiterons plus tard et partons immédiatement pour un tour de l'île en deux jours. Les paysages sont prometteurs : littoraux où alternent rochers et plages de sable ou de galets, montagnes boisées, vallées profondes, oliveraies, vergers et cultures irriguées, tout cela coloré de tapis de fleurs en cette saison. Promesse non tenue (mais provisoirement) peu après avoir quitté la ville par la route qui longe le littoral oriental en direction du sud : nous vérifions immédiatement qu’ici, comme dans maints autres endroits en Grèce, le béton est roi ! Mais les plages sont désertes et la plupart des hôtels fermés. C'est à la fois l'avantage et l'inconvénient de venir dans les îles grecques hors saison. On ne s'attardera donc pas ici pour arriver rapidement à l'étape du jour : Lindos. Nous sommes émerveillés par la fabuleuse vue de l'acropole, perchée sur éperon aux parois escarpées (photo plus haut). C’est sans doute un des plus beaux sites de l’île, admiré chaque été par des foules de visiteurs venus du monde entier.

Fabuleux est également l’hôtel où nous nous installons: le Menlenos Art Boutique Hotel. C’est un hôtel de charme constitué d’un ensemble de maisonnettes blanchies à la chaux qui s’étagent au pied de l’acropole dans un luxuriant jardin. Ce complexe s'intègre parfaitement à l’architecture de la fin du XVIIe siècle de Lindos. Un véritable village dans le village. La décoration, d’un goût exquis, est un mélange des styles ottoman et rhodien avec céramiques, poteries, fontaines, fenêtres et boiseries finement sculptées, etc. Une particularité des intérieurs rhodiens : le lit de bois surélevé, accessible par deux marches. Et je ne parle pas de la vue imprenable et du délicieux dîner dans une salle de restaurant digne d’un comte des mille et une nuits.

Menelos Art Boutique Hotel

La visite matinale de Lindos et de son acropole fut des plus agréables en l’absence de l’affluence habituelle. Tout d’abord, nous nous enfonçons dans le dédale des étroites ruelles pavées et désertes (une fois n’est pas coutume), de ce village classé. Nous admirons les portails richement ouvragés des maisons des Capitaines marchands des XVIIe-XVIIIe siècles pour la plupart. Certaines ont été reconverties en maisons d’hôtes. Le singulier campanile de l’église byzantine de la Panagia se dresse au centre du village.


Lindos 

Nous entreprenons ensuite l’ascension de l’acropole par un chemin escarpé. Des millions de pieds de visiteurs ont poli les pavés et les marches qui y mènent, mais ce matin-là, nous ne fûmes accompagnés que par le chant des oiseux. Nous franchisons la première porte de la citadelle médiévale. En passant on peut voir un bas relief-relief d’époque hellénistique sculpté dans la paroi rocheuse, représentant la poupe d’une trière. Au XIVe siècle, les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean ont bâti ce château fort sur une acropole occupée dès l’époque mycénienne. L’Antiquité grecque croise donc ici l’Occident médiéval. Nous accédons à une série de terrasses où se trouvent les vestiges des propylées et du temple d’Athéna Lindia (4e siècle av. J.C.), mais on remarque surtout la stoá (portique) de vingt colonnes doriques dont certaines, tourisme oblige, ont été redressées. Du haut des remparts on domine un magnifique panorama sur la mer d'un côté, le village de l'autre.

L'ascension matinale et en toute quiétude de l'acropole de Lindos 
L'alignement des colonnes doriques de la la stoá  
Rencontre de l'Antiquité et du Moyen Âge sur l'acropole de Lindos 
Du haut des remparts, regards sur le village et sur la ravissante baie Agios Pavlos où l'apôtre Paul aurait débarqué

De monastères en châteaux

Nous poursuivons notre route en direction du sud. Dans cette partie de l’île, ignorée du tourisme mais d’une beauté austère, on retrouve une Grèce plus traditionnelle, on rencontre de paisibles villages, on traverse une nature plus sauvage et plus âpre.


Le village de Kritinía au pied du mont Atáviros 

A une vingtaine de kilomètre à l’est de Lindos, à l’intérieur des terres, le village d’Asklipio serait le lieu de naissance d’Asclépios, le dieu grec de la médecine (Esculape chez les Romains). Il y a longtemps que l'on ne vient plus ici en pèlerinage pour obtenir une guérison comme dans les temps anciens, mais pour le monastère de Kimíssis Theotókou (la Dormition de la Vierge), superbe basilique byzantine du XIe siècle avec des fresques du XVe siècle. Un pèlerin nous offre une carte postale représentant une de ces fresques, sur laquelle il a écrit une prière à la Vierge. Voudrait-il nous convertir ?... Plus au sud, par une route de montagne très sinueuse, nous grimpons jusqu’au monastère de Skiadi, situé dans un site majestueux et très isolé. Une chapelle du XIIIe siècle abrite une icône « miraculeuse » de la Vierge qui fait l’objet d’une panigiri (fête) chaque année.

L'église byzantine d'Asklipio et le monastère de Skiadi

La route redescend sur l’autre versant, vers la côte occidentale. Au loin se profile la silhouette d’une forteresse perchée sur un piton rocheux, émergeant d’une forêt de pins émeraude, face au bleu de la mer Egée. C’est le château de Monolithos, un toponyme qui sied bien à ce nid d’aigle inexpugnable, érigé au XVe siècle par le Chevaliers de Saint-Jean pour surveiller la partie méridionale de la côte orientale quand l’île subissait les assauts des Ottomans. Bien que d’apparence inaccessible, nous pouvons y grimper par des marches à partir du parking situé en contrebas. Évidemment, en haut la vue est comme le château… imprenable !

Le château de Monolithos 

Un autre château attend notre visite plus au nord. Au milieu d’une nature exubérante, une belle route se faufile entre le littoral et les flancs du mont Atáviros, le point culminant de l’île (1 215 m) et atteint le village endormi de Kritinía aux maisons blanches, d’aspect cycladique. A proximité, on découvre les ruines du château de Kastéllos au sommet d’un éperon rocheux. Quelques restaurations ont permis de mettre en valeur les blasons des Grands Maîtres de l’Ordre de Saint-Jean (oui, encore eux !) qui ont bâti ce château. Vue époustouflante sur la côte rocheuse battue par les vents et l’île voisine de Halki.


Les ruines du château de Kastellos et la vue sur l'île de Halki

Le mont Profitis Ilias

Nous décidons de quitter le littoral pour parcourir les routes sur les hauteurs du centre de l’île avant de revenir à Rhodes-ville. A la différence du mont Atáviros qui peut être le but d’une randonnée de sept heures aller-retour depuis le village d’Embónas, on peut se rendre en voiture au mont Profitis Ilias, beaucoup plus bas (798 m). Nous traversons une magnifique pinède; gageons qu'elle ne soit pas détruite par un prochain été caniculaire... À mesure que nous prenons de l’altitude, nous profitons de vues superbes sur l’île. Au sommet, les tristes bâtiments d’une station d’altitude abandonnée témoignent de l’occupation italienne jusqu’en 1944 (il y a même une villa Mussolini !). Beaucoup plus charmante est la petite église d’Agios Nikolaos Fountoukli (Saint-Nicolas-des-Noisettes), située à quelques kilomètres de là, dans un site bucolique. De vénérables oliviers, une fontaine et des jeux pour enfants donnent une ambiance de fraîcheur et de détente. L’intérieur de l’église est remarquable par la qualité de ses fresques du XIVe siècle.

La jolie petite église byzantine d'Agios Nikólaos Foundoukli 

De retour à Rhodes, nous nous installons dans un hôtel aménagé dans une vieille demeure au cœur de la ville médiévale que nous visiterons après une escapade d'une journée dans l'île voisine de Symi.

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Rhodes,17 avril 2011.

En début de matinée nous embarquons à bord d'un catamaran pour une excursion d'une journée sur l'île de Symi, une petite île pittoresque et charmante, mais très touristique. En effet il y a du monde ce jour-là ! L’atmosphère est bien différente de la tranquillité de Tilos ou du sud de Rhodes. On peut apercevoir les côtes toutes proches de la Turquie, Symi étant comme enserrée entre les pinces de crabe que semblent former les péninsules turques de Datça et Daraçya.

Nous accostons sur le quai du grand monastère de Panormitis, niché au fond d’une petite baie au sud de l’île. Il est dédié à Saint Michel, le saint patron de Symi et le protecteur des marins. L’icône « miraculeuse » de l’archange fait l’objet du plus important pèlerinage du Dodécanèse et en ce dimanche, nombreux étaient les pèlerins, même si ce n’était un jour de fête. Les immenses bâtiments ne sont pas très anciens (XVIIIe siècle) et assez sobres, à l’exception de l’élégant campanile richement orné et des jolis pavements de galets noirs et blancs aux motifs géométriques que l'on rencontre souvent dans le Dodécanèse. Nous disposons de deux heures, le temps d’une visite de l’église et du petit musée d’objets liturgiques, suivie d’une courte balade de l’autre côté de la baie, avant de regagner notre catamaran et de poursuivre notre « croisière ».


Le monastère de Panormitis  



Une demi-heure plus tard, notre bateau, après avoir contourné de dernier cap de l’île, se glisse lentement dans les eaux calmes de la baie de Symi. Un spectacle de toute beauté s’offre à nous sur la ville symiote, disposée en amphithéâtre autour de la baie. Une ville multicolore dont les maisons aux tons pastel, du jaune à l’orange en passant par le rose, voire le bleu, s’étagent à flanc de colline. Une vision singulière dans l’archipel égéen où c’est plutôt le blanc qui domine. Une ville élégante par l’architecture néoclassique du XIXe des demeures de capitaines : des cubes de deux ou trois étages, surmontés d’un fronton triangulaire orné d'un œil-de-bœuf et coiffés d'un toit à deux pans de tuiles rouges. Une ville harmonieuse où pas une seule construction moderne disgracieuse ne vient défigurer ce patrimoine protégé.

Les anciennes demeures néoclassiques de Symi s'étagent à flanc de colline

La ville se dédouble en deux quartiers : Gialos, la ville basse et portuaire et Horio, la ville haute et quartier le plus ancien, autrefois à l’abri des incursions de la piraterie. Une série d’escaliers de marbre, Kali Strata (« le bon chemin »), relie ces deux parties de la ville. Nous débarquons à Gialos pour quatre heures de découverte de la ville, ce qui s’avérera amplement suffisant.

Gialos et Horio 

Gialos est un quartier très animé où se concentrent les hôtels, les restaurants, les bars, les boutiques où l’on propose au touriste de passage des éponges naturelles ou des bateaux miniatures, rappelant les activités qui firent la prospérité de la ville avant bien l’arrivée tourisme. En effet la spécialité de Symi fut la construction navale fortement appréciée des Ottomans, ce qui assura à l’île quelques privilèges. Aujourd’hui on voit encore quelques coques de navires qui rouillent sur les quais, mais on remarque surtout la présence des bateaux de plaisance. Il y a même quelques yachts qui révèlent le pouvoir d'attraction que ce petit bijou du Dodécanèse exerce sur les « people » : monde du spectacle, de la politique, artistes, écrivains (Jean d’Ormesson, amoureux de cette île, lui a consacré quelques pages dans l'un de ses romans). En revanche, ce jour-là, pas de navire de croisière déchargeant sa cargaison de touristes pressés. Et pourtant, que de monde ! Nous avons eu du mal à trouver une table dans un restaurant pour le déjeuner. Je n'ai plus de souvenir particulier de ce dernier, sinon un service très lent, mais ce fut très probablement une cuisine quelconque, comme dans tous les lieux hyper-touristiques.

Après le déjeuner nous gravissons les marches de Kali Srata pour arpenter le quartier tranquille de Horio, loin de la foule, jusqu’aux anciens moulins qui dominent la ville. À mesure que nous prenons de la hauteur, les points de vue sur la baie et la ville basse se renouvellent, dans un décor de cyprès, de bougainvilliers, de jasmins, de figuiers. Sur une placette un Symiote médite, assis près d’un pin tourmenté. Un spécialiste de l’art du bonsaï parlerait du style « lettré » à propos de cet arbre. Tiens ! Changement de décor : au détour d’une rue, que voit-on ? Des maisons déglinguées, des herbes folles et une décharge sauvage…


Cierges de Pâques fantaisistes, sculpture insolite et...  l'envers du décor! 


Méditation 

Nous nous devons bientôt redescendre vers le port car notre bateau ne nous attendra pas pour nous ramener à Rhodes en fin d’après-midi.

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La rue des Chevaliers dans la vieille ville de Rhodes 

Ce sont les Hospitaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem qui, du XIVe au début du XVIe siècle, donnèrent à la vieille ville de Rhodes sa physionomie actuelle, la transformant en place-forte et en bâtissant de remarquables édifices. Selon l’UNESCO, qui l’inscrivit dès 1988 sur la Liste du Patrimoine mondial, « la haute-ville est l'un des plus beaux ensembles urbains de la période gothique, avec le palais des Grands Maîtres, l'Hôpital et la rue des Chevaliers. »

Nous avons aimé flâner et nous perdre dans les ruelles pavées etsur les remparts de cette cité médiévale, humer l’air marin du port de Mandraki et visiter les musées. Deux journées nous auront été nécessaires en voir l'essentiel, cependant nous avons délaissé la ville moderne à la pointe nord de l'île, de moindre intérêt. Nous logions dans un hôtel de charme aménagé dans une ancienne demeure du quartier dit des Chevaliers (le Collachium). Nous étions donc au cœur de la vielle ville, à pied d’œuvre pour déambuler dans la rue des Chevaliers (odos Ippoton) située à quelques pas de notre hébergement, qui est sans doute l’artère la plus fréquentée par les touristes. Mais ce matin-là, il n’y avait quasiment personne !

La rue des Chevaliers. A droite, la façade de l'auberge de France 

Le Collachium est la partie de la ville de Rhodes autrefois réservée aux frères hospitaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem (ce terme s’appliquait aussi à d’autres villes de l’Ordre comme La Valette ou Kos). C’est ici que l’on rencontre les bâtisses les plus prestigieuses, à commencer par le palais des Grands Maîtres. Dans la rue des Chevaliers, qui reprend le tracé en pente douce d’une voie antique, se succèdent les austères façades gothiques des « auberges » des différentes « langues », autrement dit des nationalités de l’Ordre : Italie, Provence, Auvergne, Angleterre, Espagne… L’auberge de France qui abrite une annexe du consulat est peut-être la plus belle de toutes, avec ses gargouilles et les armoiries d’un des grands maîtres de l’Ordre, Émery d’Amboise qui a donné son nom à l'une des portes fortifiées.

L'architecture gothique des bâtisses du Collachium 

En bas de la rue, la puissante architecture à arcades de l’Hôpital des Chevaliers, érigé au XVe siècle, ne passe pas inaperçue. Il fut transformé en arsenal sous l’occupation turque et héberge aujourd’hui le Musée archéologique, que nous visiterons le lendemain. Puis nous accédons à la ravissante, petite place Arguyrokástrou, très photographiée, où trône une fontaine byzantine. Là se trouve l’auberge d’Auvergne qui se distingue par sa loggia et ses créneaux.

L'hôpital des Chevaliers 
L'auberge d'Auvergne, place Arguyrokástrou 

Changement d’ambiance dans le quartier turc avec ses mosquées, ses fontaines, son hammam et quelques maisons ottomanes aux balcons de bois typiques qui ont survécu aux destructions sous l’occupation italienne. Les Turcs s’y installèrent après la conquête de Rhodes en 1522. Il est beaucoup plus animé et coloré, notamment dans la rue Sokrátous (Socrate), sorte de grand bazar rhodien dominé par le minaret et le dôme de la mosquée de Souleïman à l’extrémité de la rue. La place Ippokrátous (Hippocrate) avec sa magnifique fontaine de style hybride (byzantine et ottomane) où viennent s’abreuver les pigeons semble être le lieu central de la vieille ville. Tout autour, restaurants et échoppes attirent du monde et participent de l’animation. J’imagine la densité de la foule ici en haute saison. Mais il suffit de s’éloigner pour s’enfoncer dans les venelles adjacentes, barrées d’arches et de passages étroits, pour retrouver le calme.

L'héritage ottoman: fontaine, mosquée et bazar 

Blotti à l’extrémité sud-est de la cité, à l’abri des remparts et à l’écart de l’agitation urbaine et touristique, la Juderia, le quartier juif, semble tombé en léthargie. Il faut rappeler que ce quartier comptait avant la seconde guerre mondiale quelque 4 000 habitants et plusieurs synagogues. Près de deux milliers de Juifs furent raflés et déportés à Auschwitz en 1944. Leur mémoire est honorée dans le petit Musée juif de la synagogue que nous avons visité. On y voit des documents et des photographies montrant la vie quotidienne dans la Juderia au début du XXe siècle. Autre témoignage émouvant de la présence passée de cette communauté : la synagogue Kahal Shalom, la plus ancienne du pays (XVIe siècle) qui a été restaurée à l’aide de fonds donnés par les Juifs rhodiens expatriés. Nous avons eu plaisir à musarder au hasard des ruelles de ce quartier au charme oriental.

Le quartier juif 

Nous terminerons la journée par un tour des remparts et une balade vers le port. Le tour des remparts c’est vite dit ! En fait nous n’en n’avons parcouru qu’un petit tronçon en accès libre, car les horaires d’ouverture très limités et compliqués du chemin de ronde étaient incompatibles avec nos deux journées de visites. Les remparts qui cernent la vieille ville, ponctués de nombreuses tours massives et de portes fortifiées représentent le somptueux héritage laissé par des chevaliers de Saint-Jean. Ils ont remplacé au début du XIVe siècle l’enceinte byzantine. On est en présence d’une architecture militaire médiévale aboutie : barbacanes, courtines, bastions en éperon, mâchicoulis, larges douves et murailles de 12 mètres d’épaisseur. Chaque tour correspondait à un « boulevard » c'est-à-dire une section de rempart défendue par une nationalité (une "langue") de l’Ordre. On peut voir les armoiries en marbre blanc des grands maîtres successifs qui ont édifié ces tours.

Les remparts et la vue sur le môle du port de Mandraki avec ses moulins et la tour Saint-Nicolas.

Le lendemain matin nous allons enfin pouvoir découvrir la pièce maîtresse de Rhodes, situé à deux pas de notre hôtel, le palais des Grands Maîtres qui était fermé la veille. Il aurait été édifié sur le site d’un ancien temple dédié à Hélios. Vu de l’extérieur, avec ses deux tours massives et ses hautes murailles, il s’apparente d’avantage à une place-forte qu’à un palais. Détruit en 1856 par l’explosion d’une poudrière, il fut reconstruit par les Italiens pour en faire une résidence pour le roi Victor-Emmanuel III. La rénovation s’acheva en 1939 dans un style grandiloquent, plus conforme au faste du régime fasciste (Mussolini y a séjourné) qu’à l’architecture gothique provençale du début du XIVe siècle, quand en 1320, le grand maître Hélion de Villeneuve décide d'y installer le siège de l’Ordre. Quoi qu’il en soit la grande cour carrée à arcades, ornée de statues romaines et les vastes salles salles d’apparat aux sols recouverts de magnifiques mosaïques romaines rapportées de Kos, méritent de s’y attarder.

L'enceinte du palais des Grands Maîtres  aux allures de forteresse 
La cour carrée à arcades du palais des Grands Maîtres, dallée de marbre et ornée de statues romaines  
Mosaïques romaines (palais des Grands Maîtres)

Nous terminerons notre séjour à Rhodes par la visite de son Musée archéologique, hébergé dans l’ancien Hôpital des Chevaliers dont nous n’avions vu que la puissante architecture de la façade. A l’intérieur nous découvrons une cour centrale entourée d’arcades massives sur deux niveaux. Un lion de marbre d’époque hellénistique semble monter la garde devant un hall voûté sur croisées d’ogives. Des boulets empilés indiquent que cet ancien hôpital a servi d’arsenal. Un grand escalier permet d’accéder à une vaste salle constituée de deux nefs séparées par des piliers où étaient accueillis les malades et les blessés.

Aujourd’hui le musée héberge une collection d’objets de l’époque mycénienne à l'époque romaine. Certains proviennent des fouilles effectuées sur l’île pendant l’occupation italienne, en particulier une belle série de stèles funéraires de tombes de Kámiros et Iálissos. Mais c’est la délicate Aphrodite de Rhodes qui attire tous les regards. Cette statue de marbre découverte au fond de la mer et datée du 1er siècle av. J.C. représente la déesse agenouillée en train de se coiffer. Nous y verrons aussi des mosaïques romaines, des céramiques et d’autres statues de marbre.

Le lion de marbre devant le hall voûté de la cour carrée  de l'Hôpital des Chevaliers


Aphrodite se coiffant; céramique d'époque mycénienne; stèle funéraire de Kámiros: l'adieu de Krito à sa mère Timárista.
Bellérophon chevauchant Pégase et se préparant à frapper Chimère; Centaure revenant de chasse (mosaïques romaines) 


Le palais des Grands Maîtres et le musée archéologique sont fermés le lundi, sauf en haute saison.


La tour Saint-Nicolas 
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Le site grandiose d'Olymbos 


Karpathos est la deuxième île du Dodécanèse par sa superficie, mais pas par le nombre d’habitants, car elle est relativement peu peuplée par rapport à des îles comme Kos ou Kalymnos. C’est une longue échine montagneuse, lieu de naissance des Titans, qui s’étire sur cinquante kilomètres du nord au sud et qui plonge directement dans la mer. Son faible peuplement (quelque 6 000 habitants) s’explique par la forte émigration qui eut lieu au cours du siècle dernier, notamment vers les États-Unis et l’Australie. Mais la distribution de la population est inégale, entre le nord quasi désertique et sauvage et le sud plus peuplé, où plusieurs gros villages assoupis se blottissent dans la montagne. C'est également au sud que se situe le chef-lieu Pigadia (ou Karpathos). Son passé est beaucoup moins prestigieux que celui de ses voisines, la Crète et Rhodes; aussi les émouvants vestiges paléochrétiens du Ve siècle de la petite basilique Agia Sophia que l'on peut voir à l'extrême sud de l'île, sont-ils l'exception.

Mosaïques de la basilique Agia Sophia (Ve siècle) près d'Arkassa au sud de Karpathos  


Pigadia, le modeste chef lieu de Karpathos (2 000 habitants) est l'un des deux ports qui relient l'île à Rhodes et à la Crète


Pigadia et son port de pêche 


 Villages au sud de Karpathos : Menetés, Aperi, Arkassa



Paysage printanier au sud de Karpathos 




L'adieu au migrant  lors de son départ vers le Nouveau Monde; vieille malle d'un émigré rentré au pays (port de Diafani).

Éloignée en périphérie de la mer Égée, entre Rhodes et la Crète, cette île est longtemps restée en marge de l'activité touristique, ce qui lui a valu d’être une destination dite « hors sentiers battus », prisée par les amateurs de trekking. Ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui, car c’est justement cette réputation qui désormais attire de plus en plus de touristes en quête de tranquillité et « d’authenticité ». D’autre part de nombreux migrants revenus au pays après avoir fait fortune ont investi dans les infrastructures touristiques près de plages sublimes, en particulier au sud. L’île n’est donc plus si « oubliée » que cela, car si Karpathos conserve un fort caractère avec des traditions vivaces, une nature sauvage et préservée, c’est surtout vrai au nord, à Olymbos, un gros village accroché à flanc de montagne, dans un site spectaculaire.

Comme souvent dans les îles, le choix de ce site isolé et escarpé était destiné à se protéger des raids des pirates. L'isolement a ainsi contribué à préserver dans ce village une culture et des traditions originales, comme le dialecte local d'origine dorienne ou le costume aux somptueuses broderies encore porté par les femmes les plus âgées, mais que l'on verra surtout lors des fêtes, notamment à Pâques. Il n'est donc pas étonnant qu'Olymbos attire de nombreux touristes en été et lors des fêtes.

Le village d'Olymbos accroché à la crête du Mont Profitis Ilias


Olymbos, un village aux maisons étagées et aux venelles étroites


Olymbos: l'église Aghia Anna, 


Olymbos: portes sculptées de motifs floraux et de l'aigle bicéphale de l’Église orthodoxe grecque  


Olymbos dominé par ses nombreux moulins 





Avant l'émigration massive au siècle dernier, Olymbos était un centre agricole important dont témoignent les nombreux moulins 

On peut considérer que la pointe nord de Karpathos constitue une sorte d’île dans l’île, du fait de son relatif isolement à cause du relief. Le moyen le plus efficace pour relier cette région à Pigadia fut, dans un passé relativement récent, le cabotage vers le petit port de Diafani, jusqu’à ce que la très mauvaise piste qui reliait Spoa à Olymbos fut remplacée par une route asphaltée jusqu’à Diafani. Un peu plus d’une heure suffit désormais pour parvenir à Olymbos depuis Pigadia, par cette route de montagne spectaculaire et escarpée, alors qu’il y a une quinzaine d’années, c’était encore une vraie expédition. Cette route est superbe et dispense des panoramas de toute beauté sur la côte, en particulier sur le tronçon Apéri-Spoa. La plage d'Apella nichée au fond d'une crique mérite le détour. En chemin on peut contempler les fresques d'époque byzantine de la petite église rupestre d'Agios Loukas.


Apella 

On l’aura compris, il faut donc privilégier le Nord au cours d’un séjour à Karpathos. On peut y faire de superbes randonnées, loin de la civilisation. Un séjour à Diafani est agréable, base idéale pour de nombreuses possibilités de randonnées ou excursions, préférable à mes yeux à Olymbos, car il y a un meilleur choix d’hébergements et on bénéficie du bord de la mer. Nous y sommes restés une semaine sur un total de douze jours à Karpathos.


Diafani au soleil couchant 


A Diafani  comme à Olymbos, les escaliers sont nombreux.


Le port de Diafani 


Le ferry relie Diafani à Rhodes et aux autres îles du Dodécanèse, ainsi qu'à la Crète. 

Je vais nuancer un peu le portrait idyllique que l’on peut faire de Karpathos. Le village d'Olymbos commence à perdre de son authenticité et à se « disneylandiser ». Les boutiques à touristes sont plus nombreuses que les épiceries locales et les panonceaux « Visa welcome » se multiplient. Nous fûmes très déçus par les fêtes de Pâques à Olymbos. La fameuse procession du mardi de Pâques se résumait au pope, aux porte-étendards et porte-icônes, et ... à une nuée de zooms !! Quelques femmes avaient revêtu leur costume traditionnel pour la circonstance, mais très peu en définitive. Ceci dit le site grandiose d'Olymbos reste somptueux. Une nature préservée avons-nous dit ? Il faut mettre des bémols et des bécarres à cette assertion. Les plages soi-disant sublimes, ne sont pas toujours propres, loin s’en faut. Les décharges sauvages se multiplient et la nature sert parfois de dépotoir. Nous avons vu par exemple près de Mesohori, des électriciens remplacer des poteaux électriques en bois par des neufs en béton, et balancer sans vergogne les vieux poteaux avec leurs céramiques, dans le ravin !

Circuler à Karpathos

Il existe des lignes de bus un peu partout dans l’île, surtout au sud, mais nous ne les avons pas utilisées. Le taxi reste assez cher. Alors pourquoi ne pas louer un véhicule ? Ce n’est pas très cher. C’est ce que nous avions fait et je recommande vivement l'agence Lefkos rent a car. On vient vous livrer et reprendre le véhicule à l'aéroport et Maria, la très sympathique patronne, parle couramment le français. Le rapport qualité-prix est imbattable (hors saison il est vrai). Un 4X4 ne sera utile que si l’on désire rejoindre les plages isolées du nord.

Mais n'est-ce pas à pied qu’il convient de découvrir les paysages grandioses de Karpathos ? Cette île est un paradis pour la randonnée.

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Il existe de nombreux sentiers (μονοπάτι - monopati) à Karpathos, en général bien balisés. Le balisage consiste en panneaux directionnels aux points stratégiques, avec le numéro de la randonnée(OΛ au nord, KA au sud) et en marques de peinture rouges ou noires. Il y a parfois des cairns qu’il faut surveiller, car il arrive que le sentier se perde parmi la végétation inextricable et que l’on doive prendre du temps à rechercher l’itinéraire. Ne pas oublier d’emporter de l’eau en quantité suffisante, surtout en plein été, car les possibilités de se ravitailler en chemin sont rares.


Balade vers la plage de Papa Mina

Au sud de Diafani, la jolie petite plage de galets de Papa Mina est accessible en véhicule 4x4 par une piste, mais elle peut être le but d'une agréable balade de mise en jambes au début d'un séjour à Diafani. La piste suit le littoral, domine les falaises schisteuses et passe entre les oliveraies tapissées de fleurs sauvages (4 km ; 1 heure).


Convovulus, glaïeuls de Byzance, orchis et oliviers 


D'Avlona à Vroukoundas

(OΛ9; 8 km; 3 h A/R)

Le hameau d’Avlona, situé dans un poljé fertile est une ancienne dépendance agricole d’Olymbos, dont les maisons sont encore en partie occupées pendant les travaux des champs. C'est le départ de notre randonnée. D’Avlona, un bon sentier, descend tranquillement entre des murets de pierres sèches dans un paysage minéral, coloré en ce mois d’avril, par les euphorbes. A la sortie du hameau une taverne sous une treille accueillante, permet de se désaltérer et de déguster des mézés.

Le polje d'Avlona, est toujours cultivé 



En une heure et demie environ, nous arrivons au site antique de Vroukoundas, situé sur un cap dominant la mer, au nord-est de l’île. C’est l’ancienne cité dorienne de Vrikous, où l’on peut encore voir les vestiges d’une nécropole, de murs cyclopéens et même du port immergé. Ne pas manquer de descendre dans la chapelle souterraine de Saint-Jean datant du Ve siècle (prévoir une lampe de poche).


Le site antique de Vroukoundas 


La boucle Diafani - Tristomo – Avlona – Diafani

C’est sans doute la plus belle randonnée de toute l’île, mais aussi la plus longue et la plus sportive. Nous l’avons raccourcie d’une heure en partant de la plage de Vananda (Vananda Paralia), à 2 km au nord de Diafani, laquelle n’était accessible qu’en véhicule 4x4 par une piste littorale.

De Diafani à Tristomo (OΛ11 ; 10,5 km ; 4 heures)

Le sentier se faufile et grimpe vers le nord dans les falaises abruptes de la côte orientale, et l’on aperçoit Diafani s’éloigner peu à peu. Les paysages côtiers sont splendides et sauvages et le vent marin adoucit la température, rendant la marche agréable. Au bout d’une heure environ, nous escaladons un vieil escalier de pierre étrangement nommé ξυλόσκαλάv (Xiloskala, = escalier en bois!). Par la suite, le paysage s’adoucit progressivement avant d’atteindre le golfe de Tristomo (les « trois bouches »), aux eaux d’un bleu intense. C’est certainement, avec l'île adjacente de Saria, le lieu le plus sauvage et le plus isolé de toute l’île, le plus abandonné également : deux habitants, en tout et pour tout, un couple qui nous a salués au passage. C’est aussi un lieu de toute beauté invitant à une pause pique-nique ou à la baignade, mais il y avait bien trop de vent !

Diafani. La plage de Vananda, départ de la randonnée, se situe tout au fond à droite de l'image


A mesure que nous grimpons au-dessus des falaises, le village de Diafani s'éloigne. On aperçoit à droite, le Mont Profitis Ilias. 


On s'accroche à la vie comme on peut! 


Un poljé abandonné 


La descente vers la baie de Tristomo  

Tristomo: un bout du monde

De Tristomo à Avlona (OL5 ; 8,5 km ; 3h30)

La baie de Tristomo et l'île de Saria en arrière-plan. Au premier plan à droite, remarquer le balisage (point rouge). 

Le chemin en partie pavé est bien tracé et remonte sur le plateau. Nombreux sont les vestiges d'une présence humaine ancienne avant la grande hémorragie démographique : ruines de maisons et de chapelles, aires de battage abandonnées, murets de pierres sèches. La nature printanière est sur son trente-et-un : orchidées sauvages ; arums ; glaïeuls de Byzance ; faux lis… Le jaune éclatant des genêts et des euphorbes vient illuminer ce paysage minéral de lapiaz. Nous traversons un poljé anciennement cultivé et gagnons Avlona.

Tristomo ou "triste hameau" 

Fleurs sauvages: Orchis, Arum et Glaïeul  de Byzance 

Faux Lys 

Le poljé de Cordea, une autre dépendance agricole d'Olymbos 

D’Avlona à Diafani, par la plage de Vananta (OΛ10 ; 4 km ; 1h30)

Après avoir traversé Avlona, nous empruntons au sud-est du hameau, un sentier bien marqué qui permet de basculer sur l'autre versant pour gagner la plage de Vananda à travers une forêt de pins. Nous reprenons alors notre véhicule pour Diafani.

Avlona 

Le Mont Profitis Ilias - 719 m (OΛ5)

(+ 500 m – 500 m ; 3 h A/R)

Le village d'Olymbos est adossé au Mont Profotis Ilias. Comme à Rhodes, ce n'est pas le plus haut somment de l'île, largement dépassé par le Mont Kali Limni (1 215 m). Cependant cette courte ascension fut pour nous une alternative à celle de ce dernier, car le temps étant devenu pluvieux, nous n’avions pu l'entreprendre. Le sentier part du sud du village et s’élève rapidement. Du sommet, une vue se développe à 360° sur Olymbos et tout le nord de l'île. En revanche un fort vent s'était levé et avait rendu la progression difficile.

A la sortie d'Olymbos 

Vue plongeante sur Olymbos 

La boucle Olymbos - Pei – Olymbos (OL2)

(10 km ; + 500 m ; - 500 m ; 5 heures)

Voici encore une très belle randonnée et des paysages époustouflants. A partir de l'église d'Olymbos, on traverse tout le village, plein sud et on suit un splendide chemin en balcon qui domine la côte ouest. Le parcours très aérien, descend jusqu'à la baie d'Eugonymus (qui signifie fertile), puis remonte vers Pei à travers les pinèdes. Tout le long de cet itinéraire, terrasses abandonnées, habitations en ruine et vestiges byzantins se succèdent. Par endroits, le sentier se perd dans les broussailles et le balisage disparaît. Depuis Pei, le retour vers Olymbos s'effectue par un tronçon de l’itinéraire le plus populaire de la moitié nord de l’île de Spoa à Olymbos.

Le chemin en balcon sur la côte occidentale 


De Lefkos à Mesohori

Mesohorio, le « village du milieu » est à mi-distance entre le nord et le sud de l’île. C'est le but d'une randonnée facile en trois heures au départ du village de Lefkos qui domine une petite station balnéaire isolée et paradisiaque.

Le parcours, par un vieux sentier muletier surplombant le littoral, ne présente pas de difficulté, si ce n'est parfois la nécessité de rechercher l’itinéraire. Ce sentier, parfois entrecoupé de marches d’escaliers, grimpe sur le plateau parmi les anciennes terrasses de cultures et les oliveraies et offre des vues panoramiques. Malheureusement il y a quelques années un incendie a ravagé certaines parties des forêts de pin. La première fois que j’ai observé un incendie en Grèce ce fut en 1988 sur l’île de Thasos. Aujourd’hui les incendies sont devenus récurrents chaque été et de plus en plus dramatiques. Les sécheresses sévères dues au réchauffement climatique ne sont pas seules en cause. Le manque d’entretien des forêts et les aménagements anarchiques le sont tout autant.

A Lefkos les eaux limpides et turquoise sont une invitation à la baignade. 



Le passé et le présent: une ancienne aire de battage et un paysage défiguré par un incendie de forêt 

Nous sommes bientôt en vue de Mesohori que nous atteignons après une ultime grimpette car ce village est un belvédère sur la mer Égée. Un dédale de ruelles, d’escaliers et de maisons blanchies à la chaux lui donne un aspect « cycladique ». Ajoutons à cela des jardins irrigués et un grand verger en terrasses. On nous a fait goûter des citrons : un délice. Voilà de vraies raisons pour nous attarder ici.

Mesohori 
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Ce périple dans le Dodécanèse fut mon septième voyage en Grèce, le premier remontant à…. 1967 ! Et évidemment depuis un demi-siècle, ce pays a énormément changé, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c'est sans doute une nette amélioration des conditions de vie des Grecs (encore que cela ait été remis en cause par la crise de 2008). Le pire, ce sont des paysages défigurés par des aménagements anarchiques et les agressions environnementales comme les décharges sauvages qui prolifèrent un peu partout, y compris sur l’île de Tilos, pourtant intégralement classée réserve « Natura 2000 » ! Ce qui n'a pas changé en revanche c'est l'accueil du "xénou", de l'étranger, toujours aussi chaleureux, au moins dans les régions épargnées par le tourisme de masse.

Le verso de la carte postale... 

Nombreux sont les voyageurs à la recherche de l’île perdue, de l’île paradisiaque. Ce fut sans doute possible dans un passé plus ou moins lointain, mais cela relève désormais du mythe. En effet les hôtels et les "rooms to let " poussent partout comme des champignons, sans parler des boîtes de nuit comme à Kos ou à Rhodes ! C'est un avis très personnel, mais pour moi le charme des îles grecques n'opère plus autant que par le passé. Et à cet égard Tilos, Nisyros et le nord de Karpathos, feraient peut-être exception, en tout cas hors saison. Et en avril, les tapis de fleurs sauvages, quel régal ! De quoi être tenté par un huitième voyage en Grèce, au printemps: je suis d'ailleurs en train de rêver de Patmos et d'une île restée en marge des routes touristiques et propice aux randonnées, Icaria.

« Au matin, par un ciel dégagé de nuages, les premières îles se levèrent : vers le nord, la crête d’Icaria, mauve sur la mer violette ; devant, Patmos, presque au ras des flots et vers le sud, tout juste visibles, les deux rochers de Lévitha et de Kynaros. L’Égée est si riche en îles que jamais l’horizon n’y est nu. Toujours, on distingue un îlot, une île basse ou haute sur l’eau, reconnaissable à ses croupes claires. Je ne connais rien de plus merveilleux que cet éveil, cette montée des îles à l’aube, dans le temps clair, sur la mer gorgée de "moutons", de crêtes blanches, d'écume rose. »


Jacques Lacarrière, L’été grec, Plon 1975

Paysages printaniers de Karpathos, ou le recto de la carte postale ! 

γάτες

La race féline est omniprésente en Grèce. Elle est plutôt vagabonde et a tendance à proliférer.

Chats amoureux 
Chats bagarreurs, rôdeurs, rêveurs, flâneurs, randonneurs, hédonistes, pieux...

Ils sont partout, même en trompe-l’œil !