Cette longue journée de marche s’annonce maussade. Nous empruntons la fameuse « Ruta de la Reconquista » par une ample vallée. En effet cette région qui correspond à l’ancien royaume des Asturies fut au VIIIe siècle un bastion de la chrétienté face aux musulmans et le point de départ de la Reconquête (bataille de Covadonga, 722).
Une belle rencontre : un couple d’énormes gypaètes barbus s’est posé sur le sentier à faible distance, à l’affût d’une proie. Nous les observons. Peut-être étaient-ils à la recherche d’un chevreau, voire d’un veau affaibli. Nous croisons en effet de nombreux troupeaux de vaches, bien encadrés par de robustes mâles (le lieu se nomme d’ailleurs Vega del Toro). Le massif est une région d’élevage, renommée pour ses fromages comme le Cabrales, lequel a l’aspect de notre Roquefort, mais l’aspect visuel seulement... Aussi traversons-nous des « invernales », ou « majadas » hameaux et bergeries où les troupeaux hivernent et où les fromages sont affinés.
Mais vers midi le temps se gâte pour monter au refuge d’Urriellu, situé à près de 2000 mètres et au-dessus duquel se dresse verticalement sur plus de 500 mètres l’énorme tour du Najanjo de Bulnes. Malheureusement, nous n’en verrons rien ce jour-là, pas plus que du paysage, tant le brouillard est dense et la pluie tenace. Il faut dire que les intempéries sont fréquentes dans cette région exposée aux perturbations en provenance directe du Golfe de Gascogne. Ceci dit, nous avons été relativement épargnés, car nous n’aurons véritablement subi le mauvais temps que ce jour-là. Malgré ce brouillard, j’ai quand même eu la chance d’apercevoir un couple d’isards à quelques dizaines de mètres du refuge.
Ce refuge est sans doute le plus populaire des Picos de Europa, ce qui en fait l’un des plus fréquentés par les grimpeurs espagnols qui se mesurent aux six-cents mètres de parois du Naranjo de Bulnes (ou Picu Urriellu en asturien), lesquelles avec offrent un grand nombre de voies d’escalade (première ascension en 1904). Nous avons pu le vérifier ce soir-là, car que de monde… et de bruit ! Le silence est requis à partir de… 23 heures, peut-on lire sur une affiche à l’entrée ! Heureusement que la finale Espagne/Italie de la coupe d’Europe était programmée pour le lendemain soir !