Il y a foule dans le catamaran de Seajets qui nous propulse vers Naxos, la plus grande île des Cyclades. Cependant contrairement à notre traversée précédente, il ne s’agit pas de nationaux en vacances pascales, mais de touristes étrangers, dont beaucoup originaires d’Amérique du nord. Un petit nombre débarque à Naxos, pour les autres, direction Santorin, évidemment ! Tant mieux pour nous !
Sur le quai, nous sommes attendus par un chauffeur de taxi que la direction de notre hôtel a réservé pour nous. Une attention à notre égard que nous avons appréciée et qui ne sera par la dernière. Cet hôtel familial est établi sur un éperon dominant la mer, à l’écart du bourg de Chóra (photo ci-contre). Il doit son nom à l’ancienne cité mycénienne de Grotta.
« Bienvenue ! Avez-vous fait bon voyage ? » C’est par ces mots que nous sommes accueillis par Marina, notre hôtesse, parfaitement francophone. Des mots assortis de larges sourires et rehaussés de beaucoup d’humour. C’est un peu comme si elle retrouvait de vieux amis qu’elle n’avait pas vus depuis longtemps. Marina nous indique, carte à l’appui, les mille et une curiosités de son île. Elle nous parle entre autres d’un « village de marbre ».
Après une boisson de bienvenue, nous sommes conduits à notre chambre, au premier étage. Une grande chambre, très agréable et dotée d’un balcon. Et quelle vue ! Une vue à 180 degrés sur les maisons blanches de Chora qui plongent vers la mer, sur l’îlot de Palatia et sa fameuse "Portara", et en arrière-plan la silhouette de l’île voisine de Paros. Un panorama sans cesse renouvelé au fil des jours et des caprices de la météo, dont on ne se lassera pas durant une semaine (photos d'introduction et ci-dessous).
L'îlot de Palatia et Paros à l'arrière-plan. On distingue les frêles silhouettes des visiteurs venus admirer le coucher de soleilΧώρα, Chóra
Comme à Mykonos et Patmos, Chóra désigne le chef lieu de Naxos.
Par un sentier en pente douce nous descendons en direction du port en quelques minutes. Chemin faisant, un petit détour par la cathédrale orthodoxe permet de découvrir, face à cette dernière, les anciennes fondations de la cité mycénienne (XIIIe – XIe siècles av. J.C.). Cependant des travaux archéologiques ont conduit à la découverte de vestiges encore plus anciens datés du début de la période du Cycladique ancien I (3 200-2 800 avant notre ère), dite « Grotta-Pélos ». Quoiqu’il en soit, ces fragments de murs, aussi anciens soient-ils, ne parlent guère à des béotiens comme nous.
La cathédrale orthodoxe À proximité du port des ferries, une digue conduit à l'îlot de Palatia, où se dresse la monumentale porte de marbre du temple d’Apollon (Portara), érigé à l’époque archaïque (VIe siècle av. J.C.), mais resté inachevé. C’est peut-être le lieu le plus emblématique de l’île. Ce colossal vestige semble monter la garde devant la chóra de Naxos. C’est l’endroit idéal pour contempler la ville blanche dominée par son kastro.
La Portara
Chóra vue de l'îlot de ParaliaNous ne nous attarderons pas sur le front de mer communément appelé « Paralia », assez quelconque avec son alignement interminable de tavernes, pour pénétrer directement dans la vieille ville et monter jusqu’au kastro, l’ancienne citadelle vénitienne en cours de restauration. Comme toujours dans les Cyclades, le charme opère : c’est un dédale de ruelles, d’escaliers, de passages voûtés, d’arrière-cours plus ou moins secrètes. Des demeures vénitiennes montrent de splendides linteaux de marbre, sculptés de délicats motifs. Certaines ont été rénovées et aménagées en maisons d’hôtes. Bien sûr il y a ici et là des boutiques dédiées au tourisme, une galerie d'artiste dans quelque recoin, ainsi que plusieurs restaurants. C’est d’ailleurs dans l’un de ces derniers, le Metaxi Mas, que nous aurons la meilleure expérience culinaire à Naxos, dans un charmant cadre rustique et avec des produits typiquement naxiotes. Rien à voir avec les médiocres cartes proposées sur la Paralia !
La kastro de Naxos vu du port de pêche
Tout en haut de la citadelle, sur une placette, se dresse la cathédrale catholique. À proximité, le musée byzantin installé dans une des tours de la citadelle, est fermé pour cause de travaux de restauration. En revanche, ne manquons pas le musée archéologique, hébergé dans une école de jésuites du XVIIe siècle. Níkos Kazantzákis, l’auteur crétois du roman Zorba le Grec, réfugié à Naxos à la fin des années 1890, y reçut un enseignement en français (une vieille carte scolaire de France de Vidal de la Blache et restée accrochée à un mur). La muséographie est plutôt désuète et les objets mal mis en valeur dans des vitrines hors d’âge, mais il y a de très belles pièces : poteries mycéniennes, fibules en or et surtout une riche collection de figurines en marbre du Cycladique ancien, généralement identifiées comme des idoles.
La cathédrale catholique
Idoles cycladiques et cruche mycénienne à motifs marinsLe duché de Naxos
Mais pourquoi une citadelle vénitienne et une cathédrale catholique à Naxos ? Reportons-nous à la quatrième croisade. Initialement destinée à la reconquête des lieux saints sous domination musulmane, elle fut détournée par la République de Venise vers Constantinople, laquelle fut prise et mise à sac en 1204, aboutissant à la dislocation de l’Empire byzantin et son dépeçage par les croisés. Sur la partie continentale s’installa l’Empire latin de Constantinople et dans les îles Venise accrût son empire maritime et commercial. Dans ce partage, Marco Sanudo, un riche aventurier vénitien neveu du doge, obtint après l’avoir conquise, l’île de Naxos et créa un duché qui s’étendait sur la quasi totalité de l'archipel des Cyclades. Le duc entreprit alors d’édifier une citadelle dans sa nouvelle capitale où il accueillit les Vénitiens catholiques, reléguant les Grecs orthodoxes et les Juifs dans des quartiers de la ville basse. Il distribua des seigneuries à ses vassaux. Ces derniers érigèrent des tours fortifiées à la fois pour affirmer leur puissance et se protéger des assauts extérieurs. Ces tours massives et crénelées, percées de petites fenêtres, marquent encore aujourd’hui le paysage un peu partout sur l’île.
Les tours vénitiennes de Naxos: Le kouros de marbre d'Apóllonas
Ce matin, c’est Despina qui nous gratifie de sa bonne humeur et d’un grand bonjour dès qu’elle nous voit entrer dans la salle du petit-déjeuner. Le buffet est fabuleux ! C'est le « Mama's breakfast ». Tout, absolument tout est fait maison. Du sucré, du salé, gâteaux et tartes de toutes sortes, feuilletés au fromage ou aux épinards, tourtes, omelette de pommes de terre de Naxos garnie d'origan frais de montagne et j’en oublie. Un morceau d’anthologie de la cuisine locale. Sans parler des délicieuses confitures et marmelades de tomate, d'abricot ou de figue, des fruits frais et secs, des olives… Le problème de ce buffet, c’est de choisir ! Tout cela en profitant d'une vue imprenable ! Dommage que nous n’ayons pu profiter des talents de la cuisinière au dîner, car le restaurant n’est ouvert qu’en haute saison.
La Fiat Panda réservée auprès d’une agence locale vient de nous être livrée à l’hôtel. Cette petite voiture qui semble très populaire auprès des touristes, aura correctement assuré le service durant toute la semaine, en sillonnant en tous sens les routes sinueuses de cette grande île.
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En un peu plus d’une heure, une belle route littorale conduit à l’extrême nord de l’île, jusqu’au village reculé d’Apóllonas, qui s’est mué en une paisible station balnéaire avec son front de mer bordé de quelques tavernes. Depuis la route sur les hauteurs, la vue est magnifique. Les euphorbes en tenue de printemps illuminent la garrigue.
la petite station balnéaire d'Apóllonas et ses tavernes;
Apóllonas
Peu avant le village, un panneau en bord de route indique un sentier qui mène à une antique carrière de marbre au milieu de laquelle repose un kouros allongé d'où il a été extrait. Un kouros désigne une statue de jeune homme durant la période archaïque de la sculpture grecque, laquelle s’étend du dernier quart du VIIe et le début du Ve siècle av. J.C. Représenté nu, debout, il se tient droit, le pied gauche légèrement en avant. Il était généralement associé à un monument funéraire. Celui d’Apóllonas mesure dix mètres de long, il est daté du VIe siècle avant J.C., mais il est resté inachevé, peut-être à cause d’une malfaçon.
Le kouros d'Apóllonas Tristement abandonné, le kouros d’Apollonas est pourtant le témoin d’une époque où selon Hérodote, Naxos « surpassait toutes les autres îles en prospérité ». C’est l’époque archaïque des historiens (VIIIe – Ve siècles av. J.C.), quand Naxos, grâce à sa flotte, étendait sa puissance jusqu'en Sicile (il existe encore une ville de Naxos au sud de Messine), quand elle exprimait sa splendeur à Délos avec la construction de la terrasse des lions, et à Delphes avec le Sphinx des Naxiens (une réplique fait face à la mer à Chóra - photo ci-contre). C’était l’âge d’or de Naxos. Cette prospérité, elle la doit à la fertilité de ses plaines agricoles et à une ressource minérale majeure: le marbre.
Il existe deux autres kouroi de marbre à Naxos, entre les villages de Mélanes et de Kinidaros, dans la partie centrale de l’île. Ils sont mutilés, ce qui explique également leur abandon dans la carrière où ils ont commencé d’être sculptés (ci-contre: le kouros de Flério). Les carrières de marbre abondaient à Naxos dans l’Antiquité. Si le marbre de Paros était connu pour sa finesse et sa pureté (nombre d’œuvres magistrales comme la célèbre Vénus de Milo sont en marbre de Paros), celui de Naxos, très résistant et cristallin bénéficiait de gisements plus importants. En effet cette roche métamorphique est omniprésente sur la plus grande partie de l’île, notamment à l’est. Le mont Zas (ou Zeus), le point culminant des Cyclades (1 004 m) est une montagne de marbre. Cette roche fournit les pierres de construction et le pavage des villages. D'ailleurs le marbre est encore exploité aujourd'hui: de loin on peut apercevoir la blancheur des carrières de Kinidaros, au centre de l’île.
Le marbre est omniprésent à Naxos.
Le temple de marbre
Le temple de Déméter Dès l’époque archaïque les Grecs se mettaient sous la protection de Déméter, la déesse de l'agriculture et des moissons afin d’obtenir des récoltes abondantes. C’est pour lui vouer un culte que fut édifié le premier temple en marbre de l'île, vers 530 avant notre ère. Il est situé dans la vallée verdoyante de Sangri, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Naxos-Chóra. Pour l’atteindre, plutôt que la voiture, rien de mieux qu’une petite randonnée dans cette vallée depuis le village endormi d’Ano Sangri. Le ciel est couvert et un vent particulièrement fort s’est mis à souffler. Pour autant la balade sera agréable, sur un sentier balisé, entre oliviers et prairies égayées de fleurs sauvages en abondance. Au loin sur une colline, on aperçoit les ruines solitaires qui se distinguent dans le paysage par leur blancheur.
Le temple a été en partie reconstruit (d’où la blancheur du marbre) et ses abords joliment aménagés. De style dorique, il servit de modèle au Parthénon d’Athènes. Les colonnes reposent sur un socle, ce qui n’est pas habituel pour un temple dorique. Nous y venons à la bonne saison, puisque Déméter était également associée au retour de la végétation au printemps. Entre les VIe et VIIIe siècles il fut transformé en église puis en basilique dont on peut voir les vestiges dans le petit musée adjacent, ainsi que les frontons d'origine et autres produits des découvertes archéologiques sur le site.
Dans un cadre solitaire, le temple dorique de Déméter, en partie reconstruit , fut transformé en basilique à l'époque byzantine
Une des nombreuses petites églises byzantines isolées de la vallée de Sangri
Le village de marbre
Avant le tropisme littoral lié au tourisme balnéaire, les Naxiens furent d’abord et avant tout des terriens. À cela plusieurs raisons : la taille de l’île, la présence de belles plaines fertiles, l’abondance de l’eau provenant de la montagne et le repli des habitants vers l’intérieur des terres à cause de l’insécurité survenant de la mer. Ainsi le bassin verdoyant de la Tragea, au cœur de l’île, fut le lieu de refuge des Naxiens pendant les siècles troublés. Un grand nombre de villages s’y sont développés ainsi que dans les montagnes alentour. Églises et monastères se sont multipliés, ce qui valut à la région le surnom de « Petite Mystra ». Marina nous avait parlé de plusieurs villages bien préservés à voir, dont le « village de marbre » dans la montagne. C’est parti ! En route pour Chalki.
En arrivant dans la plaine de la Traghea, la campagne devient riante, couverte de vergers et d’oliveraies. Chalki fut la chóra de Naxos et son centre économique jusqu’à la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui c’est un village quelque peu léthargique, mais qui ne manque pas de charme avec ses anciennes demeures néoclassiques et ses petites places ombragées de platanes où se cachent encore des kafeneia rétro et quelques boutiques. Derrière l’église se dressent les murailles massives d’une tour vénitienne du XVIIe siècle. Dans la rue principale, en haut du village, passant devant l’atelier d’un sculpteur sur marbre, je ne résisterai à l’acquisition d’une tête d’idole cycladique. Les objets exposés sont en effet de très belle facture et n’ont rien à envier aux productions en série proposées au chaland dans les boutiques de Naxos-Chóra.
Paysage bucolique de la Tragea. Petite place sous la glycine à ChalkiNous quittons Chalki en direction de l’est. Au détour d’un virage, se dévoile la pyramide des maisons blanches de Filoti blotties au pied de la montagne, au-delà des oliveraies. C’est le plus gros village de l’île. La route le traverse longuement de part en part. Un immense platane étale ses branches au-dessus de la place centrale, procurant une ombre providentielle aux terrasses des tavernes tout autour. Un tableau typiquement grec.
Le gros village de Filoti La route grimpe en lacets dans la montagne, procurant de belles vues plongeantes sur Filoti. Nous laissons sur la droite la petite route qui mène au village de Danakos et le monastère de Fotodotis que nous verrons un autre jour. Au delà d’un col, la route redescend en direction du village d’Apiranthos qui s’adosse à la montagne.
Filoti et ApitanthosC’est le fameux village de marbre, réputé le plus beau de Naxos. Il fut fondé aux XVIIe et XVIIIe siècles par des réfugiés crétois. Avant d’y pénétrer, il faut laisser son véhicule sur un parking à l’entrée. Nous pouvons constater la justesse du surnom d’Apiranthos car le marbre y est omniprésent : pavements, escaliers, murs et balcons des maisons, iconostase de l’église de la Panagia. Flâner dans rue principale ombragée et bordée de kafeneia animés ou se perdre dans les ruelles pavées et les passages voûtés est un enchantement.
Un attroupement a lieu sur le parvis de la Panagia. Celui-ci est décoré de ballons roses et blancs. Il y a aussi un étal de friandises et de paquets-cadeaux. Une jolie chouette qui se présente comme « Sophia », attend les fidèles à l'entrée de l'église, laquelle est bondée. Que se passe-t-il ? Qui est Sophia ? Renseignements pris auprès d'un groupe de jeunes : c’est le baptême d'une petite Sophia et la communauté villageoise est venue célébrer l’événement.
Nous avons découvert, au fond de la rue pavée principale, une petite taverne qui propose une cuisine locale simple et savoureuse à base de produits locaux, comme la chèvre aux pommes de terre de Naxos.
En poursuivant la route vers le nord, le vieux village de Koronos mérite le détour, d’autant plus que les vues qui se développent le long du trajet sont magnifiques. Accroché à la montagne, autour de vergers en terrasses, il semble assoupi. C’était autrefois un lieu d’extraction de l’émeri, un abrasif qui était utilisé pour polir le marbre.
Koronos °°°°°°°°°°°°°°°°°°°
De retour à l'hôtel, une surprise nous attend dans notre chambre : une bouteille de vin de Naxos, d’une belle couleur cuivrée. Elle est accompagnée d’un petit mot ! C’est une gentille attention de plus à notre égard de la part de la famille Lianos qui exploite aussi un vignoble. Il est vrai que Naxos est l’île de Dionysos. Le dieu y aurait planté ses premiers plants de vignes, après avoir recueilli Ariane abandonnée par Thésée.
Randonnée bucolique dans la
Tragéa
Naxos est un paradis pour la randonneuse et le randonneur, les sentiers balisés ne manquent pas. Marina nous a prêté une carte topographique à l'échelle 1/40 000. Parmi les itinéraires indiqués sur cette carte, la randonnée en boucle de huit kilomètres entre les villages de Chalki et Moni est la plus populaire et ne présente aucune difficulté. Elle permet d’explorer en profondeur la campagne de la Tragéa entre les oliviers, les cyprès et les chênes verts et de découvrir nombre d’églises et chapelles byzantines (malheureusement toutes fermées en cette saison). C’est l’itinéraire n°5 (en jaune) de l’extrait de carte ci-dessous, mais le balisage rouge et blanc porte le n°4 et 4a avec la variante par les églises Taxiarhis Rahis et Agios Isidoros.
En jaune: les itinéraires balisés. D = départ; A = arrivée
La double abside de l'église byzantine Taxiarhis Rahis du XIIe siècle, récemment restaurée
La Panagia Rachidotisa et la Panagia Drosiani, la plus ancienne de Naxos qui remonte au VIIe siècle
En vue du village de Moni entouré de terrasses de cultures
Dans les ruelles désertes de Moni
Un hôtel fantôme
Ce matin, jetant un regard par la fenêtre à notre « baromètre », je vois une mer agitée, un ciel bas de plafond et Paros à peine visible. La randonnée prévue risque donc d’être mouillée. Par conséquent pourquoi ne pas solliciter notre voiture pour une escapade vers les plages ? Idée saugrenue a priori par ce temps ! Évidemment ce n’est pas pour une hypothétique baignade, mais une simple découverte de ces plages qui seront inévitablement désertes. Celles-ci se concentrent au sud-ouest de l’île.
Nous traversons d’abord une opulente plaine agricole avant de parvenir à la longue plage de Plaka qu’une piste sablonneuse permet de longer en voiture. Bien sûr ce littoral est très urbanisé, l’architecture y est uniforme et sans cachet, le béton est roi. Nous faisons quelques pas sur la plage, mais il se met à pleuvoir. Il n'y a pas un chat à 500 mètre à la ronde ! Ou plutôt si, il n’y a que des chats qui ont élu domicile dans une décharge sauvage... Face à la plage de Glyfada, le paysage se dégrade. Des cubes de béton abandonnés depuis longtemps regardent tristement la mer. La crise de la dette publique de 2008 a dû passer par là.
Une plage déserte ? Pas vraiment au vu des multiples traces de pas...
Plus au sud, voici la plage d’Alyko. L’endroit semble être idyllique ! Des petites criques s’insèrent entre les rochers. Même par ce temps maussade, l’eau est limpide et d’un joli ton turquoise. Oui, mais voilà… Le promontoire qui surplombe ce site merveilleux est entièrement occupé par une énorme structure architecturale en béton à l’abandon et en ruines. Ce devait être un hôtel censé accueillir un millier de chambres, toutes avec vue sur la mer. Un projet pharaonique totalement démesuré qui a gâché ce site exceptionnel. Aujourd’hui ce béton délabré sert de support au « street art », l’art urbain en bon français, où le fantastique le dispute au surréalisme. Mais il faut prendre garde où l’on met les pieds car les dalles sont trouées ici et là.
Y aurait-il à Naxos, depuis l’époque archaïque, une malédiction des projets surdimensionnés et abandonnés : le temple d’Apollon, les kouroï et cet hôtel fantôme ?
Un bout du monde
Vue sur la baie de Kalanthos à l'extrême sud de Naxos et, en arrière-plan, les îles d'Iraklia et Ios. Aujourd’hui nous allons explorer la partie sud-est de l’île. La journée s’annonce belle avec le retour du soleil, malgré la persistance d’un vent soutenu. La route de la plaine de la Tragea nous est bien connue maintenant. Trois kilomètres après la sortie de Filoti, à l’embranchement vers le village de Danakos, les épingles à cheveux d’une petite route très pentue mettent à rude épreuve la Fiat Panda. Un arrêt-photo s’impose pour la vue sur la montagne de marbre du prophète Élie et son église. Nous parvenons à un petit col situé au pied du mont Zeus dont le sommet est enveloppé de nuages. Cela n’a pas découragé quelques randonneurs de partir à l’assaut du point culminant des Cyclades. Pour la vue sur l’ensemble de l’archipel, ce n’est pas gagné… et puis il y a ce vent ! Dans ces conditions, une brève randonnée débonnaire dans un cadre champêtre jusqu’au monastère de Fotodotis est préférable.
La montagne de marbre du prophète Élie et son église
Paysage printanier au pied du mont Zas La tour massive du monastère apparaît, solitaire, dans un site arboré magnifique. Un vénérable platane accueille le visiteur dans la cour de ce qui ressemble davantage à une forteresse qu’un monastère. Le nom complet de celui-ci est Fotodotis Chritos, ce qui signifie « Christ donne la lumière ». Selon la tradition c’est une princesse byzantine rescapée d’un naufrage qui l’aurait fondé au VIe siècle, ce qui en ferait le plus ancien monastère de Naxos, mais son aspect actuel date de l’époque de sa reconstruction au XVIIe siècle, signe que les menaces venues de la mer n’avaient toujours pas disparu. Une dame présente ce jour-là pour entretenir les lieux nous permet gentiment de pénétrer à l’intérieur de l’église et d’admirer l’iconostase de marbre.
Le monastère de Fotodotis De retour à la voiture, nous redescendons vers Filoti. Immédiatement à l’entrée du village, un panneau à un embranchement sur la gauche indique « Cheimaro Tower / Kalantos Beach ». C’est le départ de la plus fabuleuse route de montagne de Naxos. Sur les 23 kilomètres d’une bonne route asphaltée (sauf un très court tronçon) on ne croisera que des chèvres et des moutons, à l’exception d’un seul véhicule (dont le conducteur nous croyant égarés, nous demandera si nous avions besoin d’aide !). A mesure que les lacets s’enchaînent, les vues sont plus spectaculaires les unes que les autres. Arrivés au col où se trouve une petite chapelle, on a l’impression que l’on va s’envoler dans le vide ! A mi parcours on peut voir la tour ronde de Cheimarros d’époque hellénistique, construite en marbre aux IVe-IIIe siècles av. J.C. et récemment restaurée. En descendant vers le sud se dévoilent des échappées sur les îles voisines : Iraklia, Schinoussa et Ios. La plage sauvage et déserte de Kalados et le minuscule port attenant apparaissent comme un bout du monde.
La tour Cheimarros très restaurée, d'époque hellénistique
Kalados, un "bout du monde" Randonnée dans la vallée de Potomia
Le toponyme grec « Potamia » évoque des rivières, des eaux courantes. En effet dans cette vallée luxuriante, jalonnée de sources, l’eau est abondante. Une quinzaine de moulins à eau destinés à production de l’huile d’olive ont été aménagés au cours des siècles. Trois villages se succèdent reliés entre eux par de nombreux sentiers : Kato, Mesi et Ano Potamia. Ce sera un merveilleux terrain de randonnée pour notre dernière journée à Naxos. Une randonnée en aller et retour que nous prolongerons en direction de Chalki jusqu’à Tsikalario, dans un univers totalement différent.
Les sentiers de la vallée de Potamia Pour nous rendre à l’église byzantine Agios Mamas il nous faut d’abord traverser Kato Potamia, le village inférieur (kato) et prendre un étroit sentier entre les oliveraies et les champs cultivés, jusqu’à la rivière. La vision de cette église parmi les fleurs sauvages est enchanteresse. En partie en ruine, elle est une des plus anciennes de Naxos (IXe-XIe siècles). Elle est dédiée à saint Mammès, un jeune martyr chrétien originaire de Cappadoce et patron des bergers.
Nous reprenons le même chemin et retournons vers Kato Potomia, qui étage ses maisons d’une blancheur éclatante. À la bifurcation entre les deux sentiers, nous optons pour celui qui descend vers la fraîcheur de la vallée. Le sentier se faufile le long d’un ruisseau canalisé que de vielles passerelles de pierre enjambent de temps à autre, entre anciens moulins à eau, mini-cascades et jardins secrets.
L'eau est abondante au fond de la vallée (bief d'un moulin)
Au-delà d’Ano Potomia, le village supérieur (ano), que nous traversons par quelques volées d’escaliers, le paysage devient radicalement différent. Aux vergers, oliveraies et vignes, succède un paysage ouvert, rocailleux et désolé. Le marbre a laissé place ici à des chaos de blocs granitiques. Après un petite chapelle byzantine, le sentier monte fortement en direction d’Apano Kastro, un nid d’aigle en ruine, témoignage des temps d’insécurité à l’époque médiévale. Nous le contournons par le nord, puis redescendons en direction de Chalki que nous apercevons au loin.
Pause pique-nique devant une minuscule chapelle byzantine
Apano Kastro
C'est devant la petite église byzantine toute blanche de Tsikalario que s'achève notre itinéraire, mais pas notre randonnée puisqu'il nous faut prendre le chemin du retour. Toutefois avec une variante entre Ano Potomia et Kato Potomia, car nous emprunterons le sentier supérieur, plus direct.
Au revoir Naxos
Après quelques effusions nous prenons congé de nos hôtes. Dernière attention de leur part: ils nous ont gracieusement réservé un taxi pour rejoindre le port. S'il y avait un bilan à faire au terme cette semaine de séjour à Naxos, ce serait très simple: notre seul regret est d’avoir dû quitter cette île et l’hôtel Grotta !