le mirador K’Illi K’Illi Aujourd’hui : grand beau sur la ville ! Mais la Cordillère Royale est en partie masquée par un voile nuageux. Les intempéries feront désormais partie des souvenirs oubliés et ceci jusqu'à la fin du voyage. Nous attendons notre guide qui doit nous rejoindre à l’hôtel. En effet, la journée sera entièrement consacrée à une visite guidée de la ville. Quand L’agence nous avait proposé cette formule, nous étions très réticents, mais elle a réussi à nous convaincre et a eu raison, car notre guide, une habitante d'El Alto, s’est avérée être non seulement une personne très sympathique et dévouée, mais aussi très passionnante et cultivée.
Elle a un peu de retard. Très confuse, elle se présente, dit se prénommer Eldy et nous prie de bien vouloir l'excuser. Elle nous explique que son trajet a été substantiellement rallongé par des embouteillages intempestifs dus à une manifestation des producteurs de quinoa. Eh oui, dans cette ville, non seulement la circulation est un problème, mais on amplifie celui-ci par des manifestations quasi quotidiennes. Eldy a appris le français principalement au contact des touristes, dit-elle, car elle n'a pu continuer de suivre les cours à l'Alliance française, c'est trop cher pour elle. Et c'est une performance, car elle se débrouille très bien dans notre langue. Elle nous a abondamment parlé de son pays, de son histoire, de ses problèmes sociaux, etc. Elle va donc nous faire découvrir les lieux incontournables, mais aussi d'autres plus secrets pendant toute cette journée
La Paz, la ville étagée.
La Paz ne fait pas partie des plus grandes agglomérations urbaines d'Amérique du Sud, loin s'en faut, dans un pays resté longtemps en marge de la transition urbaine. Avec moins de quatre millions d'habitants, l'aire urbaine de la capitale bolivienne arrive loin derrière des villes comme Sao Paulo (douze millions, d'habitants) ou Lima (neuf millions). Et encore, sur ces quelque quatre millions d'âmes, El Alto, qui connaît la plus forte croissance du pays, en compte près des trois-quarts, si bien que cette dernière est devenue la première ville de Bolivie, devant Santa Cruz et La Paz ! Cette croissance fulgurante lui a même permis dès 1988 de devenir une commune autonome. Quand on a vu sur l'altiplano combien les villages se sont dépeuplés et les maisons rurales abandonnées, on comprend l'explosion urbaine de La Paz-El Alto, alimentée par un exode rural massif d'origine indienne.
La ville part à l'assaut de la montagne La Paz est la capitale la plus haute du monde et son site est démesuré : un ravin profond et relativement étroit (la "cuenca"), dominé par l'Illimani (6 438 m) dans la Cordillère Royale. La configuration du relief impose donc un étagement vertical de la ville sur près de mille mètres de dénivelé. La capitale peut se résoudre en trois "étages" : en bas, au fond de la vallée et à 3 200 m d’altitude : les quartiers sud d’El Bajo; en haut, à 4 100 mètres sur l'altiplano, la commune d'El Alto, où se situe l'aéroport; entre les deux, l'étage intermédiaire vers 3 600 mètres: le cœur historique (et touristique) autour des places Murillo et San Francisco.
Le ravin de la "cuenca" enjambé par des ponts suspendus et le centre des affairesLa capitale d'un des pays les plus pauvres d'Amérique latine connaît une ségrégation socio-spatiale verticale sans doute unique au monde. Battue par les vents froids de l’altiplano, la commune aymara d'El Alto forme un ensemble de quartiers périphériques pauvres à l'habitat précaire en adobe ou en brique. En revanche les quartiers résidentiels aisés d'El Bajo, bien abrités des vents (et du soroche) aux jardins et parcs verdoyants, bénéficient d'un meilleur cadre de vie. On retrouve cette ségrégation au centre, avec les quartiers indiens à l'ouest et les quartiers créoles au sud et à l'est, la limite entre les deux étant matérialisée par l'axe médian de l'avenue dite du Prado (dont le nom change à plusieurs reprises).
La Paz, l'anti-urbanité
L'urbanisation galopante est mal maîtrisée. Notre guide nous a dit qu'il y a cinquante ans, les versants de la vallée étaient entièrement recouverts de forêts. On constate qu'aujourd'hui ceux-ci sont grignotés jusqu'en haut par une urbanisation sauvage et que les arbres ont quasiment disparu. Une urbanisation sans urbanisme en quelque sorte faite d’une multitude de maisons ou immeubles précaires en brique, d'où la couleur ocre-rouge dominante du paysage urbain. Notre guide nous a aussi expliqué le processus d'appropriation illégale des terrains notamment à El Alto, où l'espace disponible est plus important et où la propriété des terres est floue, car souvent d'usage collectif par les communautés paysannes (les ayllu). On édifie d'abord des murs pour cerner une parcelle et cela peut en rester là pour plusieurs années, jusqu'à ce que l'accédant à la propriété ait suffisamment de fonds pour acheter les matériaux de construction (il s'agit d'auto-construction). Ce décalage contribue à faire obstacle aux équipements en infrastructures et la borne fontaine reste encore souvent le seul point d'eau accessible, dans une rue restée en terre. Cela contribue aussi à la multiplication des litiges et des conflits parfois violents. Eldy nous a montré un mannequin pendu à l'entrée d'une maison : un avertissement sans frais et très clair aux éventuels intrus.
Outre la pauvreté et l'urbanisation anarchique, l'autre problème de cette ville, est l'étranglement de la circulation urbaine et, si les quartiers d'El Bajo sont bien reliés au centre par des voies rapides, ce n'est pas le cas en ce qui concerne El Alto, où il n'est pas rare que les habitants soient occupés par trois heures de trajet quotidien ou plus. En effet les femmes d'El Alto sont partagées entre leur lieu de vie et leur lieu de travail dans le secteur informel commercial du centre, notamment les fameux marchés "colorés" que nous visiterons ou comme domestiques dans les beaux quartiers d'El Bajo. Même problème pour les hommes qui vont travailler sur les chantiers des beaux quartiers du sud ou du centre des affaires.
Embouteillage sur l'avenue du Prado au centre de la ville. La solution a été trouvée dans la création d'un réseau de transports en commun original qui tend à se développer ailleurs dans le monde : le téléphérique. Après tout, c'est logique dans une ville "étagée" ! Le projet, confié à une entreprise autrichienne, est mené à un rythme soutenu et les trois premières lignes (rouge, jaune, verte, les couleurs de la Bolivie) totalisant dix kilomètres ont été mises en service en 2014. Depuis notre voyage cette année-là, le réseau s’est étendu à sept lignes supplémentaires faisant de La Paz la ville au réseau de téléphérique urbain le plus long, le plus fréquenté et le plus élevé au monde. Cela octroie un gain de temps considérable aux navetteurs et un gain d’espace, puisque l’emprise au sol est très faible. Eldy habitant au fin fond d’El Alto, n’aura donc plus à passer plus d’une heure dans plusieurs modes de transport avant de rejoindre ses clients au centre historique.
Les marchés colorés de La Paz.
Pour commencer cette belle journée, le début de matinée est consacré à une balade dans marchés animés proches du centre et en premier lieu le curieux Mercado de Hecheria (marché aux sorcières), à deux pas de notre hôtel. Ce sont, entre des boutiques d'artisanat pour touristes, des étals offrant au chaland des remèdes traditionnels comme les plantes médicinales, des ingrédients plus ou moins étranges, tels que des fœtus de lamas destinés à se protéger des mauvais esprits, ou encore des offrandes à Pachamama sous forme d'objets divers.
Nous parcourons ensuite plusieurs marchés plus classiques de fruits, légumes et fleurs, tenus essentiellement par des femmes, coiffées de leur chapeau traditionnel. Celles-ci ont un souvent visage triste, voire dur, et semblent résignées, attitude parfois mal interprétée par les visiteurs étrangers que nous sommes. J'ai même entendu dire de la part de touristes que les Boliviens seraient désagréables. C'est oublier que ces gens ont une vie extrêmement difficile, qu'ils sont pauvres et que leur pays a connu des années sombres.
À bord d’un véhicule affrété par l’agence, nous descendons dans la zone sud par une voie rapide. Nous vérifions instantanément la configuration étagée de la ville en perdant rapidement de l'altitude (500 mètres). En même temps la température augmente de plusieurs degrés, non seulement à cause du gradient thermique vertical, classique en montagne, mais aussi parce que le fond de vallée est abrité des vents en provenance de la Cordillère Royale. Le paysage urbain change progressivement : après les tours du centre des affaires, viennent les quartiers pavillonnaires des classes moyennes, puis les villas luxueuses et les ambassades.
Nous rencontrons Ramon Tito, un sculpteur et aquarelliste paceño, dont l´atelier est situé dans la bien nommée Avenida del Esculptor. Cet artiste travaille surtout la pierre qu'il va chercher dans les montagnes environnantes. La région de La Paz en regorge, au-delà de la Valle de las Animas (la vallée des Esprits) dans des lieux secrets que connaît le sculpteur : basalte, marbre, grès, albâtre, granite, etc. Il réalise ensuite, selon la forme et la texture de la pierre qu'il a trouvée, des œuvres qui portent en elles l’identité bolivienne.
Eldy nous propose ensuite une balade dans la Vallée de la Lune. Le site est un peu touristique, il y a de nombreux visiteurs boliviens et sud-américains. Plutôt qu'une vallée, c'est un ensemble de cheminées de fées et de ravines formées dans des poudingues. Il fait très chaud et par bonheur il existe sur place une fontaine d'eau potable. Le site peut constituer un but de balade agréable, mais l'intérêt reste limité et nous n'y sommes restés moins d'une heure. On peut donc le contourner.
Nous reprenons la voiture et remontons en direction du centre en passant par le mirador K’Illi K’Illi (du nom d'un oiseau andin endémique) qui offre de superbes perspectives sur la ville et le majestueux Illimani qui la domine.
Autour de la Plaza Murillo se trouvent plusieurs monuments coloniaux du centre historique, notamment la cathédrale, relativement récente (XIXe siècle) et le palais présidentiel.
La plaza Murillo. Remarquer la disposition du cadran de l'horloge du palais présidentiel... La Calle Apolinar Jaen est une jolie petite rue piétonne, pavée et bordée de maisons coloniales bien restaurées. Un lieu de calme en pleine agitation urbaine. La croix verte qui orne une des façades était supposée éloigner les fantômes qui dérangeaient les habitants, lesquels prétendaient entendre la nuit des carrosses tirés par des chevaux.
Calle Apolinar Jaen Nous prenons la ligne « rouge » du téléphérique urbain jusqu'à la station supérieure d'El Alto d'où l'on a une vue grandiose sur une partie de la ville avec la Cordillère Royale en toile de fond. Au retour, nous nous arrêterons à la station intermédiaire pour nous rendre à pied à notre hôtel, en passant par la calle de Los Andes, une rue est spécialisée dans la confection, la location et la vente de costumes pour les multiples occasions de fiestas : carnaval, fêtes religieuses, fêtes familiales, fêtes rituelles préhispaniques, etc.
Ce fut une journée bien remplie et il faut bien admettre que sans guide et sans moyen de transport particulier, nous n'en aurions pas vu autant, sans parler des commentaires très riches d'Eldy.