« Off the beaten
tracks »
La côte ouest de l'île du Sud regorge de richesses naturelles et de wilderness : forêts primaires, zones humides, plages interminables ourlées de dunes, faune marine, avifaune. Il y a aussi un patrimoine historique non négligeable, notamment les sites miniers. C'est un peu « l'âme » de la Nouvelle-Zélande, pionnière, rurale, sauvage. C'est aussi le plus vieux et le plus vaste domaine forestier du pays, couvrant tout l'espace côtier de Takaka à Haast. L’exploitation forestière y a été moins brutale qu'ailleurs et la biodiversité préservée presque partout.
C'est donc une Nouvelle-Zélande en marge des cartes postales, qui mérite que l'on s'y attarde. Évidemment il y a le prix à payer en raison des conditions climatiques qui y règnent, car c'est sans doute la région la plus humide du pays, après le Fiordland. Une tempête s'était abattue début février sur cette côte, provoquant inondations, glissements de terrain et routes coupées, ce qui avait bloqué des centaines de voyageurs.
Haast
Julius von Haast était un géologue prussien qui joua un rôle majeur dans l'étude géologique de la Nouvelle-Zélande au XIXe siècle. Il a donné son nom à un col, un fleuve côtier et un bourg rural. Ce dernier situé, à l'embouchure de l'Haast River sur la côte ouest n'offre pas grand intérêt, si ce n'est le « visitor center » du parc national qui mérite une halte, ne serait-ce que pour le petit sentier de découverte où j'ai pu observer quelques oiseaux, dont un petit fantail très joueur. En revanche la région de Haast située entre deux grands parcs nationaux, Mount Aspiring et Tai Putini ne manque pas de merveilles naturelles à découvrir.
Ship Creek
A vingt kilomètres au nord-est de Haast par la route SH6, nous atteignons le site sauvage de Ship Creek, composé de dunes et d'une lagune, côté océan, et d'une rare forêt primaire marécageuse, côté terre. C'est la Kahikatea Swamp Forest. Le Kahikatea (Dacrycarpus dacrydioides) est un conifère endémique de Nouvelle-Zélande, pouvant mesurer jusqu'à cinquante mètres de haut et un mètre de diamètre. On le rencontre dans les zones humides. Une courte balade d'une demi-heure sur un sentier en boucle bien balisé permet de s'enfoncer dans cette forêt enchanteresse, entre ces grands arbres et les marécages aux eaux fortement teintées par la décomposition végétale. Tranquillité assurée sur ce sentier. Rien de tel côté océan, où les dunes semblent avoir les suffrages des touristes ! Il est vrai que c'est à deux pas du parking. Aussi nous ne nous y attarderons pas, malgré la beauté du lieu.
Le lac Matheson
Petit détour par ce site très fréquenté à proximité de Fox Glacier, cette sorte de « Mer de Glace » et de « Chamonix » que l'industrie touristique néo-zélandaise s'est inventée et que nous éviterons. En théorie les Monts Cook et Tasman sont sensés se refléter dans ce lac, mais les nuages en ont décidé autrement.
Détour à
Okarito.
Okarito est un petit village historique, isolé et assoupi, situé au bord d'une plage sauvage et d'une lagune, l'Okarito Lagoon. C'est une réserve naturelle où des dizaines d'espèces d'oiseaux, notamment de très rares échassiers, ont élu domicile.
Nous quittons la SH6 pour prendre une étroite route sinueuse qui traverse la forêt. Celle-ci abrite le Kiwi d'Okarito (Apteryx rowi), une espèce menacée. Aussi des panneaux de signalisation nous invitent-ils à être vigilants. Nous longeons la rive sud de la lagune, passons devant l'Okarito Wharf (l'ancien quai), puis arrivons au village constitué de quelques maisons de bois alignées le long de l'unique rue, The Strand.
Ici, on est loin de la frénésie touristique de Franz Josef, pourtant à seulement une demi-heure de route ! On a du mal à imaginer que ce village somnolent fut autrefois le troisième port de la côte ouest ! Dans les années 1860, la population atteignait plus de mille-cinq-cents personnes, et la ruée vers l'or attirait encore davantage de monde dans les environs immédiats ! Durant cette période, le quai d'Okarito a vu débarquer en une seule journée plus de cinq-cents mineurs en provenance d’autres régions de Nouvelle-Zélande, d'Australie et du reste du monde. Il n'y avait pas moins d'une trentaine de magasins et d'hôtels le long de la rue principale et les propriétaires de bars faisaient de grosses affaires !
Mais dès le début des années 1880, à la fin de la ruée vers l'or, il y eut un reflux et la population se réduisit à une douzaine de familles. Aujourd'hui les habitants d'Okarito ont probablement le sentiment communautaire le plus développé de toute la côte ouest. En témoignent le nombre de baches, ces anciennes résidences familiales transformées en résidence secondaires par leurs propriétaires qui viennent de tout le pays y passer leurs vacances en été.
Le souci de restauration témoigne également de l'attachement de cette communauté à ses racines. Ainsi furent restaurés l'Okarito Wharf, l'ancienne école et le Donavan's Store, le plus ancien bâtiment commercial encore debout de la côte ouest. Celui-ci, initialement hôtel et bar à filles, fut reconverti en magasin dans les années 1890. Il accueille aujourd'hui une bibliothèque et diverses manifestations communautaires : prestations artistiques d'un musicien ou d'un poète, expositions (il y avait un banquet animé en ce dimanche).
Notre première journée se terminera par une agréable promenade sur la plage de galets par une chaude lumière de fin d'après-midi. A un jet de pierre, les plus hauts sommets enneigés de la chaîne des Alpes du Sud se profilent à l'horizon. Une vue exceptionnelle, alors que nous sommes au bord de la mer de Tasman. Mais nous sommes en Nouvelle-Zélande, le ciel est capricieux, il s'assombrit et de gros nuages noirs font disparaître la montagne.
En effet le lendemain, pour la randonnée prévue, ce sera à l'eau ! Et c'est le cas de le dire car ce jour-là, il était tombé des cordes ! Donc ni randonnée, ni excursion ornithologique sur la lagune et encore moins balade nocturne en forêt à la recherche des timides kiwis. Mais une journée consacrée à la lecture, réfugiés dans le confort de notre bungalow. A la fin de la journée une lueur rouge apparaît à travers la fenêtre. Je sors, le parapluie est devenu inutile. Et je ne suis pas le seul à prendre l'air ! Tout le village semble s'être réveillé et donné rendez-vous sur la plage pour admirer ce spectacle !
A Okarito, il n'y eut pas que la pluie !
Je suis en train de lire dans la salle commune de notre lodge. Mais qui donc remue aussi brutalement le banc sur lequel je suis tranquillement assis ? En fait, il n'y a personne ! Pendant ce temps-là Chantal se repose dans la chambre. Je la vois accourir en me disant que des objets (des cadres ou je ne sais quoi) sont tombés à terre sans qu'elle les ait touchés. Puis le couple californien avec qui nous partageons le lodge, arrive à son tour et me montre sur l'écran d'une tablette la page du site GeoNet où je lis ceci : "4,5 de magnitude sur l'échelle de Richter". Nous venons de vivre en direct notre premier séisme en terre néo-zélandaise ! Le foyer est peu profond (4 km) et peu éloigné (vers le Mont Cook). Chaque jour la Nouvelle-Zélande enregistre plusieurs séismes de différentes magnitudes et à différentes profondeurs, le pays se situant dans une des zones instables de la ceinture de feu du Pacifique. On se souvient du séisme de 2011 qui a dévasté Christchurch et qui fut le plus meurtrier depuis celui de Hawke's Bay en 1931.
En route pour Westport
En Nouvelle-Zélande l'humeur du ciel étant très changeante, une journée ne ressemble pas nécessairement à la suivante, car quittant Okarito, nous avons droit au retour du grand beau et cela va durer de manière quasi continuelle toute la semaine ! Nous longeons la côte ouest en direction du nord. Bref arrêt à Hokitika, capitale du pounamu (néphrite), le jade néo-zélandais, taillé et sculpté par les artisans locaux. Les Maoris qui l'avaient découverte, donnèrent à l'île du Sud le nom de Te Wai Pounamu, « La rivière des pierres vertes ». D'ailleurs on désigne aussi l'île du Sud sous le nom d'île de Jade.
Nous passons devant Seddon House, un élégant bâtiment néoclassique de brique et de pierre, ancien palais de justice aujourd’hui classé. Devant la façade se dresse la statue de Richard Seddon, coiffée irrespectueusement. Richard Seddon fut une sorte de Jules Frerry néo-zélandais, un homme d’État de premier plan qui fut premier ministre de 1893 à sa mort en 1906. Sous son gouvernement, la Nouvelle-Zélande se dota dès 1898 d'un système de pensions et de sécurité sociale, et fut le premier pays à accorder le droit de vote aux femmes, y compris aux femmes maori (1893). Comme Jules Ferry, ce fut aussi un fervent partisan de l’expansion de l’Empire colonial, notamment dans le Pacifique (annexion des îles Cook et Niue).
Après Greymouth, modeste "capitale" (10 000 habitants) de cette région sous-peuplée, se succèdent de somptueux panoramas côtiers sous un ciel méditerranéen : plages sauvages, îlots rocheux, falaises, en particuliers les fameux Pancakes Rocks à Punkaiki, où nous retrouvons la foule des visiteurs de toutes nationalités, notamment des groupes chinois. C’est une curiosité géologique de la côte ouest : ces empilements de "crêpes" sont dus à l'érosion différentielle des roches de calcaire dolomitique par les vagues et les eaux de pluie.
Arrivés à Westport, principal port de la côte ouest, nous faisons une agréable petite randonnée côtière jusqu'au cap Foulwind pour observer une colonie d'otaries.
Westport est une petite ville située sur l'estuaire du fleuve Buller. C'est un carrefour routier qui permet de se rendre vers le nord et l'est de l'île de Jade par la vallée du Buller. Mais nous préférons d'abord faire étape ici durant deux jours dans un B&B tenu par Sue, une hôtesse très sympathique et prévenante, qui a le souci du bien-être de ses hôtes. Sa maison est accueillante et son jardin est magnifique. Le petit-déjeuner pris dans la salle à manger est un moment privilégié, non seulement pour sa qualité, mais aussi pour les échanges avec Sue sur nos pays respectifs. Elle affiche une carte du monde où sont épinglés les pays d'origine de ses hôtes. La France, qu'elle a déjà visitée, y est bien représentée.
Le riche patrimoine naturel et historique de région de Westport mérite que l'on s'y attarde. Nous allons donc continuer notre exploration de la côte ouest, plus au nord, dans des terres très peu peuplées, au-delà de Kamarea. La route SH67 est assez longue (120 km) et une journée entière nous aura été nécessaire pour effectuer cette excursion en aller et retour depuis Westport. Malgré cela, nous avons apprécié ce détour, car les paysages sont variés, les sites intéressants et les visiteurs rares. Une atmosphère de bout du monde.
Détour par l'ancienne cité minière de Denniston.
Au village de Waimangaro, à une quinzaine de kilomètres de Westport, nous bifurquons vers l'intérieur des terres par une route en lacets qui gravit une pente très escarpée jusqu'à l'ancienne cité minière de Denniston, située sur un plateau qui domine de 600 mètres l'étroite plaine côtière. C'est aujourd'hui une ville fantôme que l'on peut visiter librement. Mais dans les premières décennies du XXe siècle, il y avait ici jusqu'à 1 500 habitants au service de ces mines de charbon.
Une atmosphère de mélancolie se dégage de ces friches industrielles où les témoins rouillés de ce passé minier se dispersent tristement au sein de la végétation qui a repris ses droits depuis la fermeture définitive du site en 1967.
Nous emprunterons le sentier de découverte en boucle qui nous permet en une heure de parcourir les différentes parties de la cité minière jusqu'à la star des lieux : la Denniston Incline, surnommée la huitième merveille du monde par les autochtones, un ingénieux système inauguré en 1880 pour faire descendre vers la plaine, sur une pente très raide, les wagonnets chargés chacun de douze tonnes de charbon. Une opération périlleuse qui nécessitait un solide système de freinage. Nombreuses furent les victimes qui périrent écrasées suite à un accident technique.
Devant l'ancienne école, un mineur retraité, lui-même fils de mineur, commente les panneaux explicatifs accompagnés d'anciennes photographies à une jeune visiteuse chinoise. En réponse aux questions pertinentes de cette dernière sur les conditions de travail de l'époque, il affirme qu'en cas d'accident aucune indemnité n'était prévue. Même en cas de décès accidentel d'un mineur, sa veuve ne recevait rien de la compagnie dit-il ! Dans un pays qui fut le premier à donner le droit de vote aux femmes et qui fut une sorte de laboratoire du monde sur le plan économique et social sous le gouvernement Seddon, il est surprenant et choquant d'entendre ce témoignage !
Oparara Basin
Nous reprenons la route, toujours vers le nord et traversons encore d'anciennes villes charbonnières qui ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes. Puis la route quitte le littoral, car à cet endroit la montagne se « jette » littéralement dans la mer de Tasman. La plaine littorale a donc disparu, remplacée par de hautes falaises escarpées. Ainsi doit-on négocier dans la montagne quantité de virages à la queue leu leu. Au moment d'aborder l'une de ces épingles à cheveux, surprise ! Je vois un panneau de limitation de vitesse à... 100 km/h ! (*) Quand je disais qu'ils ont le l'humour ces Kiwis !
Le paysage devient plus sauvage avec les ingrédients habituels : végétation dense, fougères arborescentes, arbres aux troncs moussus. Puis la route redescend vers Karamea un village léthargique et hors du temps, au milieu de vertes prairies. Nous poursuivons toujours plus au nord, la route devient une piste, longe de vastes plages solitaires et se termine en cul de sac dans un terrain de camping situé à l'embouchure d'un fleuve côtier. Nous sommes à Kohaihai, en limite de l'immense parc national de Kahurangi qui s'étend jusqu'à la Golden Bay. Au-delà, c'est à pied qu'il faudrait poursuivre, par le Healphy Track qui rejoint Collingwood sur la Golden Bay, une grande randonnée de 78 km en cinq jours. Évidemment, ce n'est pas prévu au programme ! Nous avons donc manqué la bifurcation vers Oparara Basin ! Il nous faut donc faire demi-tour.
(*) La règle qui s'applique partout dans le pays, c'est une vitesse limitée à 100 km/h.
La McCallums Mill Road est une piste de gravier de quinze kilomètres qui grimpe à travers la forêt d'Oparara Basin. Nous entreprenons une petite randonnée par un sentier bien tracé et balisé qui pénètre dans une sombre forêt de hêtres, très humide et très dense. Fougères et mousses en abondance, un univers sauvage rempli de quelque mystère. Un petit fantail espiègle et très vif déploie l’éventail de sa queue, sans doute pour justifier son nom anglais, mais le coquin se dépêche bien vite de la reployer dès que je suis prêt à le prendre en photo ! Nous arrivons enfin à Moria Arch, une voûte de calcaire traversée par une rivière aux couleurs rougeâtres surnaturelles, point d'orgue de cette très belle excursion dans ces confins de la West Coast.