Nous vivons nos derniers jours sur la côte pacifique en attendant l'arrivée de mon père. Antofagasta a beau être la seconde ville du pays, elle n'en égale en rien la richesse culturelle et architecturale de Santiago. Pourtant, cette ville possède une Histoire tumultueuse et pleine de rebondissements qui lui a donné toute son importance par le passé. L'unique port du désert d'Atacama, anciennement Bolivien, a longtemps fait la convoitise des chiliens, sans vraiment appartenir à un pays plutôt qu'un autre. En effet, c'était à l'époque la seule porte d'accès maritime aux richesses souterraines de ce territoire, exploitées par les chiliens mais appartenant aux boliviens.
L'arrivée de papa marque le début de gros changements pour nous. Nous quittons l'océan pour plusieurs semaines, nous terminons notre séjour au Chili et passerons bientôt dans de "tous petits" pays (bien que Pérou et Bolivie fassent chacun deux à trois fois la taille de la France). Mais surtout, nous allons nous sédentariser dans la même ville pendant DIX JOURS, dormir dans un lit, avoir une douche quotidienne, une cuisine équipée... San Pedro de Atacama, ne nous déçoit pas!
La traversée du désert qui sépare la côte des hauts sommets de la cordillère dure trois bonnes heures, mais les paysages sont si changeant d'un kilomètre à l'autre que nous ne voyons pas le temps passer. L'arrivée à San Pedro est elle-même magique, la route serpente entre les dunes et roches rouges-orangées dans une descente vers la vallée où nous attend un oasis de verdure. Ce spectacle époustouflant donne le ton des prochains jours, nous allons être subjugués par les beautés du désert à chaque instant.
Petit bémol, qui n'en fut pas vraiment un finalement, Atacama subit au mois de février la colère de l'hiver altiplanique. L'humidité accumulée de l'autre côté de la chaine de volcans, donc en Bolivie, parvient à passer au Chili pour venir se déverser sur la région. Il ne pleut à San Pedro que dix jours par an, et cinq d'entre eux se sont passés juste avant notre arrivée. Nous apprenons rapidement que les orages ont provoqué de nombreux dégâts sur les sites touristiques alentours et que beaucoup ont dû être fermés. En aventuriers que nous sommes, nous ne cédons pas à la panique et savons que nous trouverons toujours de quoi émerveiller nos pupilles et combler notre curiosité. La ville elle même est un centre d’intérêt, point stratégique pour accéder aux dizaines de sites touristiques, elle rassemble des centaines de voyageurs de tous les pays du monde dans une ambiance détendue et sans chichis. Nous y prenons vite nos aises et nos habitudes avec pour mission d'y faire découvrir à papa toute les spécialités culinaires chiliennes. En contrepartie de quoi nous avons le bonheur de déguster chaque matin une VRAIE baguette française de la boulangerie Franchuteria, un nouveau lieu improbable que nous n'oublierons pas de sitôt! Nous vivons donc au rythme des Empanadas (de Lama!), des Pastel de Choclo, des Mote con Huesillos, des Mille Hojas de Dulce de Leche, des bières et du Pisco Sour... Et partons digérer tout cela dans les découvertes géographiques, géologiques et magiques!
Dix jours à passer à San Pedro, nous avions envie de connaître un peu mieux son histoire, ses coutumes, ses habitants… Avant d’accueillir des milliers de touristes, cette ville a été la source de nombreuses convoitises aux temps des conquistadors. Le sol de la région regorge de minerais, salpêtre, lithium... même de métaux précieux. Le peuple originaire de San Pedro, les Likan Antai, ont subi de nombreuses invasions, un certain ressentiment persiste encore à l’encontre des Chiliens et étrangers venant s’installer en ville. Nous autres touristes sommes cependant extrêmement bien accueillis, car source principale des revenus de la ville. Chaque site touristique est géré par une communauté de San Pedro (une sorte de circonscription) et les revenus générés par les droits d’entrée servent à faire vivre cette communauté, entretien des chaussées, des canaux d’irrigation… Ces communautés existent depuis des milliers d’années et font partie des coutumes ancestrales dont les Likan Antai ne se sont pas séparées. On retrouve un certain mélange pré/post conquistadors dans beaucoup de choses à San Pedro, les mythes et légendes récités en secret par les chamans n’ont jamais été oubliés malgré l’imposante et imposée évangélisation catholique. Il n’y a aujourd’hui plus de chaman à San Pedro et on ne parle plus, ou presque, la langue originelle (les colons ont coupé la langue de tous les rebelles refusant d’apprendre l'espagnol). Pourtant, la ville tout entière semble vivre dans l’aura mystique du volcan Likan Cabur qui, du haut de ses 5600m, s’impose dans notre regard où que l’on se trouve.
À San Pedro se rassemblent des dizaines d'agences, proposant toutes les mêmes excursions, vers les mêmes sites et aux mêmes prix... Mais c'était sans compter sur l'esprit d'aventure de notre petit groupe. C'est donc à bord de notre Skoda Fabia d'un vert rutilant que nous partons à l'assaut des routes du désert.
Une dizaine de kilomètres seulement auront suffit pour nous plonger dans un décor de film. La vallée de la Lune est une vraie merveille de la nature. Nichée entre deux chaines de la cordillère des Andes, elle nous révèle le pouvoir de l'eau, du vent et des volcans sur notre environnement. Entre grottes creusées par les courants disparus depuis bien longtemps, les couches géologiques aux multiples couleurs et les dunes de sable, cette première sortie nous aura totalement éblouis.
Un peu plus loin, un peu plus dingue. Nous partons pour le désert de sel d’Atacama et ses lacs salés dans lesquels plusieurs espèces de flamants roses ont élu domicile. A perte de vue des croutes de sel recouvrent le sol, la sensation sous nos pieds ressemble étrangement à celle vécue lorsque nous marchions sur le glacier. Nous sommes de part et d'autre entourés de volcans et de chaines de montagnes culminants à plus de 5000m. Au cœur de ce désert se trouve un lac d’une eau turquoise dans lequel les flamants roses se régalent de crevettes, planctons et autres algues. Encore une fois… Un contraste brutal avec ce que nous avons pu admirer la veille. L’orage a provoqué quelques légers débordements des rivières alentours, et les dizaines de minibus passés après nous sur la route ont bien creusé et labouré les zones immergées… Tant et si bien qu'au retour, notre super voiture verte, après avoir tenté un magnifique plongeon canard, a dû se faire tracter par un gentil minibus chilien… Elle fait vraiment tout pour se faire remarquer cette Skoda !
Il faut noter que San Pedro s'élève à plus de 2500m d'altitude et que toutes les excursions nous font prendre de la hauteur. Pour vous faire une idée, les stations de ski de France ne dépassent pas les 2000m, et notre top sommet le Mont Blanc est à 4810m. Nous avons de la chance d'avoir avec nous un super guide touristique, prévenant et préventif! Super papa a tout organisé pour que chaque jour, nous gagnons progressivement en altitude. Ainsi notre acclimatation devrait se passer sans soucis, nous serons à la fin du séjour de vrais alpinistes aptes à escalader un volcan de plus de 5000m!
Notre première sortie considérée comme en "très haute altitude" nous conduit aux lacs altiplaniques. Miscanti et Miniques se trouvent à plus de 4000m, et nous y ressentons bien vite les effets du manque d'oxygène et d'une pression atmosphérique plus basse. Premiers mots de tête et essoufflement au moindre mouvement ne se font pas attendre lorsque nous nous y trouvons. Les oreilles qui se bouchent et les tympans douloureux sont d'autres petits désagréments que nous vivons à la descente. Heureusement, une charmante petite cantine de village nous attend sur le chemin du retour. Un restaurant dans son jus: service chilien, cuisine chilienne, toilettes... très chiliennes!
Reprenons un peu de souffle à une altitude raisonnable. Et profitons des activités accessibles... de nombreux sites étant toujours fermés à cause des fortes pluies de la semaine passée. Nous partons au petit matin, selon Guilhem, pour une belle randonnée dans le désert et une ancienne forteresse Atacamène. Pour rendre l'expérience plus typique, nous avons eu le plaisir de partager la matinée entière avec deux des millions de chiens errants du pays. Nous avons donc le plaisir de vous présenter Georges et Maurice, nos compagnons d'un jour.
Avec le soleil de ces derniers jours, les sites que nous souhaitions découvrir rouvrent petit à petit et nous saisissons l'occasion pour partir une journée entière à la découverte du Salar de Tara et des hauteurs altiplaniques. Petit groupe de huit, nous sommes pris en charge dès six heures du matin par notre guide aux petits soins. La pause petit déj est l'occasion d'admirer sous un nouvel angle notre Likan Cabur adoré. Nous faisons aussi connaissance avec les lamas, d'autres cousins du guanaco et de la vicuna. Lorsque nous quittons la route pour les pistes du désert, nous comprenons bien vite que notre petite Skoda n'aurait pas fait le poids dans un tel décor. Chaque fois que nous tournons le regard vers la fenêtre du van, nous découvrons de nouveaux paysages. La journée nous aura apporté à chaque instant son lot de surprises... Jusqu'aux derniers kilomètres où nous nous sommes même retrouvés dans une tempête de neige!
Deuxième expédition irréalisable en Skoda mais attendue par nous trois comme le Messie... Les Geysers de Tatio! Après un léger moment de flottement pour sélectionner l'agence avec laquelle nous partirons (mauvaise expérience avec la stratégie de vente de Lokaventura, agence tenue par des Français qui a une excellente réputation...mais qui ne nous a pas vraiment branché), nous avons le plaisir de nous lever à 5h du matin pour nous rendre avant le lever du soleil sur le site des geysers. Aux premières lueurs du jour, après une heure trente de route cahotique et tortueuse, nous atteignons notre but. La magie de l'instant vaut largement le réveil difficile. Dans la fumée des geysers nous distinguons à peine les montagnes qui nous entourent. La terre fume, entre en ébullition... quel contraste avec le froid qu'il fait dehors!
Papa nous fait alors une magnifique démonstration d'espagnol lors de sa confrontation avec notre guide Tony, qui tente de nous presser pour enchaîner au plus vite. Mais même Tony ne réussira pas à entacher notre émerveillement face au spectacle du soleil qui pointe enfin le bout de son nez au dessus des monts enneigés. En bons élèves, nous sommes ensuite les premiers à remonter dans le bus à chaque arrêt. Tony aura même appris une nouvelle phrase de français au moment de se quitter "Sans rancunes" .
Notre petite Skoda Verde a commencé à nous manquer... Nous sommes donc partis vers de nouvelles aventures avec elle. En route pour la vallée de l'Arcoiris (arc-en-ciel), nous nous arrêtons dans un ancien village Atacamène où des superbes pétroglyphes ont su être bien conservés. Les dessins de singes présents aux côtés des lamas ne sont absolument pas réalistes, il est clair qu'il n'y en a jamais eu dans le désert d'Atacama. Nous avons découvert quelques jours plus tard que ce sont les Incas, en arrivant du Pérou et de la Bolivie, qui ont appris aux Hommes du désert à dessiner ces animaux. Quelques kilomètres plus loin sur la route, nous constatons que l'eau du rio est toujours hors de son lit... Et que nous traverserons difficilement ce passage à gué. Ceci étant sans compter sur la témérité (ou l'obstination) de super Papa! Vaille que vaille, il tente le passage... Et réussi un superbe nouveau plongeon canard! Cette fois ci la seule puissance de nos bras musclés aura permis de sortir la Skoda Verde de sa baignade... Nous prenons alors la route pour un village perdu dans la montagne, au moins sur les hauteurs l'eau ne monte pas!
Nous avions bien compris que Papa avait fortement envie de se baigner. C'est pourquoi nous lui avons proposé une alternative... qui garderait la Skoda Verde au sec. Les lacs de Tebenquiche sont perdus au cœur du Salar d'Atacama et leur eau, plus salée que n'importe quelle mer, permet de flotter comme si nous étions des astronautes dans l'espace. L'expérience est tellement surprenante! On se meut difficilement dans cette eau "lourde" et l'équilibration est très compliquée. Une fois les propriétés de cette eau comprises et maîtrisées il y a vraiment moyen de s'amuser... et de créer le plus impressionnant des galas de natation synchronisée! En revanche notre peau ne nous remercie pas vraiment de cette expérience, la douche est indispensable pour tenter de faire partir l'épaisse couche de sel qui recouvre chaque parcelle de notre corps.
Pour notre dernier coucher de soleil sur le désert d'Atacama nous partons pour la Vallee de la Muerte. Voisine de la Vallée de la Lune, elle a été rebaptisée suite aux mauvaises prononciations des touristes. Son nom d'origine étant Vallee de Marte ou Vallée de Mars. C'est d'ailleurs dans ses dunes et sur ses roches qu'a été testé le robot de la NASA parti il y a quelques années sur la planète rouge. Durant la journée c'est un super spot pour s'essayer au sandboard, mais aux dernières lueurs du jour, les roches rouges et les dunes prennent des teintes incroyables.
Nous finissons notre séjour sur une note scientifique et culturelle. À quelques kilomètres de San Pedro se trouve le plus large radiotélescope du monde. Mais qu'est-ce que c'est ? Hé bien il s'agit d'un télescope qui capte des ondes de lumière invisibles à l’œil nu. Difficile de se représenter ce que cela signifie "en vrai". En simplifiant au maximum les explications, disons que ALMA permet d'observer des choses dans le ciel que nous ne pouvons voir avec les télescopes optiques. La beauté de ce projet se trouve selon moi dans le projet en lui-même. En effet, trois organismes mondiaux, l'Amérique du Nord, l'Europe et le Japon, on su regrouper leurs connaissances et compétences pour travailler d'un seul corps et créer cette chose gigantesque.
San Pedro a fini par toucher à sa fin... Papa est reparti la tête pleine de souvenirs et la valise pleine de Dulce de Leche! Nous avons surkiffé nos vacances dans les vacances. Notre hôtesse Carolina, qui passait ses journées à chanter; la femme de ménage de l'hôtel et sa petite fille toujours à gazouiller dans sa poussette (merci à elles deux pour l'achat de nos vélos); les maisons d'Adobe renforcées en bouteilles en verre; les tours for tips sous l'orage; les cours de sport gratuits au gymnase; et surtout... Oui surtout... Le majestueux Likan Cabur, présent à chaque instant de notre séjour.
Durs au-revoir à ce stade du voyage... À papa et au Chili... Le début d'une nouvelle étape ! À très vite en Bolivie!