Rejoindre Grenoble depuis Chambéry à pieds en traversant le Massif de la Chartreuse en ce week-end de Pentecôte fût ma première randonnée-bivouac en solitaire.
Mai 2020
3 jours
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Kilomètres jour : 25,71 ; D+ jour : 2036m

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Habitant à Grenoble, je décide de prendre un train direction Chambéry pour rentrer chez moi à pied en traversant le massif de la Chartreuse. Je me suis fixé un délais de trois jours mais randonner dans ce sens m'ôte toute contrainte liée aux horaires des transports, ce qui me permettra d'ajouter une journée de marche supplémentaire au besoin.

Je commence donc par prendre le train à la gare de Grenoble à 7h33 pour arriver à Chambéry à 8h18. De là je perds légèrement du temps pour quitter la ville car j'étais persuadé que le parc marquant le départ de la rando était derrière la préfecture. Devant celle-ci je me rend compte de mon erreur et fait demi tour pour trouver le parc Jean Jacques Rousseau situé à quelques centaines de mètres. La montée dans le parc est plus facile que prévu. Pour le moment je suis à l'ombre ce qui est agréable. Je traverse la départementale et m'arrête au lavoir pour boire. Puis je me retrouve très rapidement à la campagne. Pour le moment la marche oscille entre bitume et sentier roulant en campagne péri urbaine. J'arrive à la croix de la Coche à dix heures avec 8,67 kilomètres au compteur. J'en profite pour faire une pause goûter.

Croix de la Coche
Belvédère du Bec du Corbeau

Je continue dans les bois et fais un crochet au belvédère du Bec du Corbeau pour admirer la vue avant de me diriger vers la pointe de la Gorgeat avec pour objectif d'arriver à midi au niveau de l'antenne qui est sur le tunnel du pas de la fosse, là où se trouve le départ de parapente. Je l'atteins à 11h10. Je continue alors le chemin et jusqu'à la pointe de la Lentille. Pause déjeuner bien méritée après une bonne montée. À ce moment j'en suis à 13,65 kilomètres pour 1187 mètres de dénivelé positif. Le temps se couvre ce qui me donne froid. Le repas est composé d'une tasse de semoule avec un peu de sel, ce qui donnerait presque envie de sauter le repas.

L'itinéraire est agréable et assez varié. Dans l'ensemble on suit un chemin suffisamment large pour faire passer un 4x4. On est souvent à l'ombre dans une forêt. Un passage frôle une forêt de pin. L'odeur et le soleil tapant sur le dos me donne l'impression d'être dans le sud. J'arrive rapidement à la pointe de la Gorgeat qui est très fréquentée. Le chambérien qui a envie de nature sans trop se fouler à l'air d'apprécier ce coin. Je modifie légèrement mon itinéraire en passant au Mont Joigny. Le panorama est beau mais également très fréquenté.

Une forêt de pin bien odorante
Vue du Mont Joigny avec le sommet du Poney à gauche

J'atteins les Ravines à 14h15 avec trois cents mètres de dénivelés négatifs qui me font les cuisses pour reprendre le GR. La section est simple et roulante jusqu'au hameau de la Plagne. Seule la montée du Pommaret pour éviter de passer par Epernay était raide. Sur le sommet il faut couper à travers champ mais c'est suffisamment court pour ne pas se perdre. Au niveau du hameau des Pins j'ai rencontré des lyonnais qui font également la traversée. Ils ont commencé hier soir et font une pause au ruisseau pour se rafraîchir. Cependant ils ne font pas le même trajet que moi. Ils ont prévu de bivouaquer au Pas des Barres pour contourner les plateaux. Arrivé à la Plagne après avoir marcher sur le bitume depuis mon retour sur le GR je vois de nombreux groupes qui s'apprêtent à monter au col de l'Alpette avec du matériel de bivouac. Apparemment je vais pas être seul ce soir. Le temps est brûlant alors que l'après midi était nuageuse. J'espère qu'on va pas se prendre un orage. Selon la météo non mais on sait jamais.

Durant la montée je sympathise avec un couple dont l'homme monte en tongs. Il a l'habitude, ce qui ne lui pose pas de problème mais une femme qu'on croise lui fait une réflexion et apparemment ce n'est pas la seule. Arrivé au refuge à 17h30 je me retrouve au paradis. Enfin un endroit où l'on peut regarder partout autour de soi sans voir de constructions humaines. On se sent perdu au milieu de nulle part. J'avance un peu dans la prairie pour bivouaquer seul car des tentes sont déjà montées et d'autres ne vont pas tarder d'arriver. Or je voulais un peu de tranquillité. J'ai même hésité à aller au chalet de l'Alpe qui est à une heure de marche d'après un panneau directionnel mais à vouloir trop en faire on finit bien souvent par le regretter. L'air est froid. Je décide de monter ma tente pour me mettre au chaud à l'intérieur. À 19h20 j'ai finis de manger. Je termine la journée en lisant un bouquin de Sylvain Tesson. Quelques crampes apparaissent au mollet gauche, signe que j'ai suffisamment forcé pour aujourd'hui. Je me couche vers 21 heures pour essayer de partir tôt demain.

Le col de l'Alpette et son habert
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Kilomètres jour : 25,77km ; D+ jour : 1294m / Total : 53,48km ; 3330mD+

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Le réveil était programmé à cinq heures. J'avoue l'avoir fait par réflexe du randonneur car le moment venu je me suis dit que j'avais la journée entière pour marcher alors qu'elle fait partie des plus longues de l'année. Je me lève à sept heures. Je découvre un léger givre sur la toile et l'air est toujours frais malgré les rayons du soleil déjà sortis. Je décide de lever le camp et commencer à marcher avant de prendre le petit déjeuner pour optimiser les pauses de la journée et me réchauffer. Il me faut quarante minutes pour ranger le matériel car j'ai perdu l'habitude de ranger mon sac et l'optimisation du rangement me prend un certain temps. Je perds encore davantage de temps en me trompant de chemin car je pensais que le sentier qui passe devant le refuge est un crochet pour l'atteindre alors qu'il s'agit de deux chemins distincts. Je fais rapidement demi-tour et me lance sur le bon tracé. J'atteins très vite l'intersection avec le sommet du Pinet. Je fais le crochet car la journée étant principalement sur le plateau, donc avec un faible dénivelé, je pense pouvoir emmagasiné facilement la longueur de l'étape. La montée se passe bien mais je m'arrête sur la route pour prendre mon petit déjeuner car trois cents mètres de bon matin à jeun suffit à me fatiguer les cuisses et les mollets.

Le col de l'Alpette de grand matin avec le Granier (au centre) et le Pinet (à droite)

Le repas se résume en une portion de muesli lyophilisé que je mange froid. Je trouve pas ça bon du tout. J'ai envie d'arrêter de manger après quelques bouchées mais la conscience de ma consommation calorifique me pousse à le finir. Pour moi l'autonomie alimentaire apporte la satisfaction d'être indépendant mais me détruit moralement. L'expression "quand l'appétit va tout va" est bien réelle. Je suis donc conscient de me sous-alimenter mais pour trois jours la perte de poids devrait encore être acceptable pour terminer le parcours. De toute façon je compenserais lors de mon retour. En approchant du sommet j'aperçois des tentes. Le lieu de bivouac est sympa. Il y a moins de monde qu'à l'Alpette et la vue est dégagée sur la vallée. En revanche la prise au vent doit être importante. D'en haut la vue est magnifique. Je me rends compte du dénivelé fait hier, qui me paraît important, alors qu'il n'en représente pas la totalité.

La croix du sommet du Pinet

Revenu au lieu de l'intersection avec le GR, je continue sur les plateaux. J'avance moins vite que ce que je pensais car le sol est assez technique. Beaucoup de rochers avec des trous au milieu comme ceux que l'on voit au sommet du Charmant Som. Cette perte de vitesse sera également partagée par un trailer rencontré lors de ma pause déjeuner. Je passe le Pas de l'Echelle avant midi. Ici la source est tari. Heureusement j'ai encore suffisamment d'eau pour continuer. Je suis le sud en attendant une éclaircie pour manger afin d'en profiter pour faire sécher ma toile de tente. Je m'arrête pour la pause déjeuner à côté d'une source au niveau de l'Alpette des Dames, à deux pas du Pas de la Mort. J'ai à la fois de l'eau pour me ravitailler et le soleil pour faire sécher ma toile de tente et le tapis de sol mouillés par la rosée. Ce point d'eau est un lieu de rencontre car je passe tout le repas avec un coureur venu de Bourg-Saint-Maurice et un couple de randonneurs qui marche dans le sens opposé. J'en profite pour leur demander si je vais réussir à atteindre la Dent de Crolles dans la journée car la distance me paraît encore grande. Ils m'assurent pouvoir l'atteindre en deux heures.

 Le plateau de Chartreuse

S'ensuit la forêt de l'Aulp du Seuil puis le plateau défile au Sud dans une cuvette avec l'horizon coupé par le Dôme de Bellefont. Plus je m'en approche et plus je me demande comment je vais réussir à passer car vue d'en bas je me demande comment un sentier à bien pu être tracé là dedans. Ce dôme représente deux cents mètres de dénivelés à franchir pour en descendre trois cents de l'autre côté et les remonter jusqu'au Trou du Glaz. Finalement c'est plus fatiguant que ce que je croyais. Cela ne m'empêche pas une fois au col de Bellecombe d'hésiter à faire le sommet du Dôme sur la gauche mais je le fais pas car je risque de manquer de temps pour faire la Dent de Crolles. En remontant vers le Trou du Glaz je sympathise avec un gars et je retrouve le groupe de lyonnais déjà rencontré la veille avant d'arriver au hameau de la Plagne. Ensemble on voit des chamois et des vautours. Je ne savais pas que ces derniers venaient dans ce massif, j'ai toujours pris les rapaces pour des buses variables. Le groupe de randonneurs ne tardent pas à me semer. Moralement c'est pas cool mais faut faire avec. Ils sont bien chargés, un de leur collègue à abandonner à cause d'une méchante cuite prise à la Chartreuse la veille mais eux continue d'avancer sereinement.

 Chamois aperçus en arrivant vers la Dent de Crolles

Finalement je descends par le Trou du Glaz sans faire le crochet à la croix de la Dent de Crolles car je suis déjà bien fatigué. Je déteste cette descente. Au cours des siècles les souliers ont poli la roche qui est devenue très glissantes. Tellement glissante que je jette mes bâtons pour me sécuriser avec mes mains mais l'un des bâtons rebondi pour se poser dans une pente raide à ras la falaise. J'hésite à le récupérer mais j'ai peur de glisser et de sauter la falaise. En prenant mon temps je finis par atteindre le col du Coq avec mon unique bâton. Je rencontre deux randonneurs sur une table de pique nique qui m'offrent une bière. En discutant j'apprends qu'ils travaillent dans les réseaux d'eau et me confirment que je fais bien de traiter l'eau à la microfiltration car la Chartreuse étant très calcaire l'eau s'infiltre sans se filtrer. La nature nous porte à croire qu'elle dépollue mais en réalité on ne prends jamais suffisamment de précautions. Je termine la journée sur le parking au dessous du col à proximité des fourgons aménagés.

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Kilomètres jour : 28,69km ; D+ jour : 983m / Total : 82,17km ; 4313mD+

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Je me lève à six heures dans l'espoir d'arriver assez tôt au Sappey-en-Chartreuse afin de déjeuner dans une boulangerie. Le muesli a trop mauvais goût pour que j'en prenne une nouvelle ration. Je quitte le col du Coq quarante minutes plus tard pour la même raison que la veille. Le Sappey est plus difficile à atteindre que ce que je croyais. Pour atteindre le col de l'Emeindras la montée est raide ce qui me fatigue mais dans l'ensemble le sentier est roulant. Arrivé au hameau des Jaillères je vois un bassin qui n'est pas référencé sur la carte IGN. Je me risque d'appuyer sur le robinet pour voir s'il est encore alimenté. L'eau coule. Je met deux litres dans ma poche à eau en prenant soin de la faire transiter par ma gourde filtrante et je remplis cette dernière après avoir bu un bon coup pour tenir la journée. En moins de dix minutes j'atteins le centre du Sappey mais il n'y a pas de boulangerie et la supérette est fermée en ce lundi de Pentecôte.

 Emeindras de dessus devant Chamechaude

Attristé j'entreprends l'ascension du Fort-Saint-Eynard avec beaucoup de difficulté. La montée est exposée au soleil et je fais bon nombre de pause dans les coins à l'ombre. Je grignote légèrement à chacune des pauses pour ne pas tomber en hypoglycémie car je suis toujours à jeun. Je préfère brûler mes réserves en ce dernier jour plutôt que de manger du lyophilisé. Je finis par atteindre la crête, maintenant il reste que du plat et de la descente ce qui est plus simple mais la pratique est moins belle que la théorie. Mon genou gauche se met à me faire terriblement mal au point d'hésiter à abandonner au niveau du fort. Mon objectif étant de rentrer à pied chez moi je continue tout de même jusqu'au col de Vence. La descente est longue. Je prends presque plus de temps à faire des pauses qu'à marcher. Je ralentie la cadence et marche plus lentement. Je me mets très vite à marcher sans plier le genou gauche.

Vue sur Grenoble depuis le Fort-Saint-Eynard 

J'arrive au col de Vence à 13h30 en me disant qu'il est encore trop tôt dans la journée pour abandonner et qu'au pire des cas il est possible de monter à la Bastille en voiture pour venir me chercher si ça devient trop dur. La montée en direction du croisement avec le sommet du mont Rachais est pénible. J'essaye de tendre le genou gauche au maximum et de marcher très lentement en me servant de mon bâton pour alléger au maximum le poids sur ma jambe gauche. Une femme me rattrape et on discute un moment avant qu'elle reprenne son rythme. Elle me propose un doliprane mais je le refuse car je doute de son efficacité. Le temps s'obscurcit, ma faible vitesse rend le Mont Rachais inatteignable, moralement ça devient de plus en plus dur. Je trouve la force d'avancer en me disant que la douleur disparaît alors que les souvenirs restent.

Mont Rachais atteint, il reste officiellement que de la descente mais elle reste éprouvante jusqu'à la Bastille. Notamment lors des passages sur les pierres où il est difficile de ne pas plier le genou. En y allant doucement ça ce fait quand même. Après avoir rejoins le large sentier entre le Mont Jallat et la Bastille je croise mon frère qui est venu à ma rencontre. Il m'a vu arriver grâce à la localisation LiveTrack de Garmin qui permet aux proches de voir en temps réel notre localisation. On termine le trajet ensemble jusqu'à mon domicile où j'arrive tant bien que mal à 17h20. Je clôture, par purisme, ces trois journées de marche en montant les trois étages par l'escalier avant de m'effondrer sur mon canapé.

 La tour Perret au parc Paul Mistral de Grenoble marque la fin du parcours
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Traverser la Chartreuse à pieds était un projet de longue date. Il est réalisable en trois jours mais les journées de marche sont soutenues. Les découper en quatre étapes auraient sans doute évité ma blessure au genou. Le bilan s'élève à 24 heures et 55 minutes de marche pour couvrir 82,17 kilomètres. Le dénivelé positif est de 4313 mètres et le négatif de 4740 mètres. L'altitude est comprise entre 331 et 1978 mètres.

Cette traversée n'est pas compliquée en terme d'orientation car il suffit de suivre le GR96 qui est bien balisé mais par moment la carte IGN rend bien service. Il est possible de s'en détourner par moment pour faire quelques sommets comme le Mont Joigny, le Granier, le Pinet, le Dôme et le Piton de Bellefont, la croix de la Dent de Crolles et le Mont Rachais.

Le plateau de Chartreuse offre un paysage agréable et dépaysant. Ne les connaissant pas ça m'a permis de découvrir davantage le massif et notamment la partie nord. La bordure de Chambéry est également agréable à randonner. Le troisième jour à été le moins intéressant pour moi. Non seulement à cause de mon genou mais aussi parce que je connaissais déjà le chemin.

Malgré la douleur je ne regrette pas cette randonnée. C'est une bonne initiation au trek pour tester le matériel emporté et sa condition physique car ce n'est pas long mais. C'est également un bon moyen de décrocher du quotidien quand on a pas le temps de partir longtemps et qu'on doit se contenter d'un weekend de trois jours.

Pour conclure ça me conforte dans mon désir de découvrir plus profondément les massifs entourant Grenoble en faisant le tour du Vercors (GTV) depuis chez moi et la bien célèbre traversée de Belledonne via le GR738.