Fort heureusement, le passage à l’heure hivernale nous permet de bénéficier d’une nuit correcte malgré un réveil à 4 h pour prendre un bus privé juste devant notre hôtel dès 5 h. A cette heure, les sportifs en tenue croisent des monstres et autres morts-vivants, fêtards d’Halloween, un peu grisés changeant de night-clubs… Les autres coureurs devront faire la queue devant Grand Central Terminal (la gare centrale) d’où une noria de plus d’un millier de bus publics les ramassent pour les acheminer jusqu’à Staten Island. Merci l’AFCF pour ce petit plus !
Depuis les attentats de Boston, la sécurité et les contrôles sur l’aire de départ the Start Village se sont extrêmement renforcés, comme l’entrée d’un vaste aéroport mais à l’air libre. Les sacs à dos sont interdits, même les plus petits de type Camel-Back avec poche à eau. Les ceintures ventrales ne doivent permettre de transporter que des tubes, barres de céréales ou des mini-gourdes visibles de l’extérieur, et les seuls sacs autorisés sont ceux remis par l’organisation : transparents. Malgré tout, le flot incessant des 55 000 partants se dirige lentement vers les entrées.
Nous sommes équipés de nos veilles « bananes » ventrales et au passage des portiques de sécurité, du contrôle des sacs puis de la fouille manuelle par des rangées de policiers, nos cœurs battent la même chamade que dans la célèbre séquence de Midnight Express…
Et si on ne pouvait pas prendre le départ, si on était arrêtés arbitrairement, envoyés vers un poste de contrôle (comme cela m’est arrivé en 2011 à Istanbul)… A cet instant très matinal, Turquie… Kafka… NYPD…. tout se mélange dans mon esprit.
Mais, ouf !… nous sommes passés.
Dans cet immense campement mi- réfugiés mi- Woodstock, en contrebas du pont Verrazano, à l’heure où la nuit commence déjà à lutter avec le matin, chacun commence à s’installer parterre, se blottir dans la paille étalée sur le sol et s’emmitoufler pour se protéger d’une petite brise marine et des 8°C.
Heureusement, on n’a pas la pluie !
Pendant que des journalistes TV et Radio réalisent des reportages et interviews, que des hélicos retransmettent mondialement en direct des vues aériennes, et que des sponsors nous distribuent des gadgets publicitaires (dont des bonnets polaires bienvenus !)…
… les coureurs, eux, finissent leur petit déjeuner ou préparent leur ravitaillement de course, pansent préventivement leurs pieds ou massent déjà leurs muscles, prennent des photos souvenir de groupe ou tout simplement se reposent et… attendent longtemps.
Cette longue attente est éprouvante : un peu plus que notre temps total d’effort en course pour nous, près du double pour d’autres plus rapides ! Rançon du succès et contrepartie d’une organisation irréprochable. Alors, patience… on ne se fatigue pas à repérer les lieux… on essaye de ne pas trop se refroidir. On jalouse un peu nos voisins, un couple de jeunes mexicains, camouflés jusqu’aux oreilles dans deux couvertures de survie jetables, en forme de sac de couchage : pratique et efficace ! (à retenir pour une prochaine fois…).
Nous, avec nos trois couches de vieux vêtements surmontées d’un imperméable jetable jaune fluo (et rapidement déchiré), nous ressemblons plus à des S.D.F. qu’à des sportifs, mais mieux lotis que certains rapidement frigorifiés…
Avant de monter dans le bus, nous n’avons pas pris de vrai petit déjeuner ni à l’hôtel ni même aux shops ouverts aux alentours. Nous avons simplement « grignoté » : yaourt, biscuit, fruit et… de l’eau.
A présent, sur les conseils de Marie, trois heures avant le départ pour bien digérer, on reprend en complément quelques barres de céréales, du concentré de fruits, une pomme, de l’eau… mais pas de café. Le stand des boissons chaudes est trop loin, pour bouger.
Le seul mouvement que nous nous autorisons, à tour de rôle pour conserver notre petite place, un peu abritée du vent, est un aller-retour… vers les toilettes.
Même si elles se sont nettement améliorées (et devenues chimiques) et considérablement multipliées en vingt ans, la file d’attente n’a pas diminué pour autant… avec près de cinq heures d’attente dans ce vaste enclos, même les moins angoissés devront y passer avant le départ, surtout qu’un haut-parleur ânonne régulièrement qu’uriner sur le parcours hors dispositifs serait… disqualificatif !
A bon entendeur, salut !
Pour endiguer un si grand nombre de personnes, croissant d’année en année, l’organisation a depuis quelques temps déjà prévu trois tracés de différentes couleurs, empruntant chacun des axes parallèles sur les cinq premiers kilomètres. Chaque coureur s’est vu attribué, au hasard, une couleur chacune correspondant à sa zone de départ du Village : bleue, orange ou verte. Nous sommes verts. La couleur fétiche de Marie !
Chaque couleur se répartit en corrals ou sas de départ, nous sommes dans le sas A, dans les premiers, jusqu’à F pour les derniers… Mais, depuis seulement deux ou trois ans, malgré cette répartition, l’organisation doit diviser le flot en quatre vagues de départs successifs à une vingtaine de minutes d’écart. Nous, nous sommes dans la quatrième et dernière vague, qui partira à 11 h. Ça c’est moins top pour nous…
Malgré tout, chaque coureur dispose dans son dossard d’une puce électronique qui enregistre son temps réel et personnel de départ, d’arrivée et intermédiaires. En 1995, époque où tous les coureurs partaient en même temps, et je souviens avoir mis plus de sept minutes à piétiner avant de franchir la ligne… de départ, avec seulement 32 000 partants.
Tout évolue… et aujourd’hui grâce à Internet, l’organisation met à la disposition des accompagnateurs, familles et amis non coureurs une application de traçage qui indique, sur ordinateur ou smartphone, le suivi d’un maximum de dix coureurs simultanément pendant toute la course, sur une carte précise au mètre près. Marie ne souhaitant pas s’imposer cette pression psychologique supplémentaire ne l’a dit à personne et m’a interdit de dévoiler cette possibilité. On apprendra plus tard que notre fille Lauriane et notre « mentor » Daniel, l’ont découverte par eux même et nous ont suivi pas à pas, en temps réel !