Vendredi 18 mai :
Nombre de km : 93
Le départ de ce matin a été marqué par la tentative d'arnaque du propriétaire des cabanes en location. Il s'est mis en tête de me demander 300.000 rials alors je nous nous étions mis d'accord la veille pour 30.000. Face à mon aplomb et ma certitude que je ne payerai pas cette somme il s'est rétracté, a fait semblant de me faire une fleur et est revenu sur le prix de base. Il a juste tenté le coup, à la recherche du doute dans mes yeux qui lui offriraient une belle fenêtre de tir pour s'y engouffrer et ne plus la lâcher. Je ne lui ai pas fait ce plaisir. Ici c'est comme ça, on tente des prix énormes, si ça marche tant mieux, si ça ne marche pas tant pis, c'est oublié deux minutes après. Ce n'est pas du vol, c'est le marché, en profitant légèrement de la méconnaissance du touriste pour ce marché.
Je suis parti sur la route, sans rancune, pour y rencontrer à tour de bras d'autres sortes de serpents... Des serpents écrasés qui jonchaient le bord de la route, sans doute écrasés pendant la nuit. Le tout premier fait un certain effet, mais ça devient rapidement d'une froide banalité.
L'une des missions de ma matinée sur la route était de trouver une boutique de téléphonie mobile pour régler une énième fois mon problème d'internet. Je l'ai trouvé, ai rajouté du crédit, internet marche, on se dit d'un espoir naïf que cette fois c'est la bonne...
J'ai fait une grosse erreur à l'heure du déjeuner, ne voyant pas beaucoup de restaurants ouverts à cause du ramadan, je me suis précipité dans le premier venu des que la faim s'est fait sentir. C'était une sorte de fast food aux tarifs exorbitants pour l'Iran qui m'a pris 2 jours de budget. Je me suis juré de pique-niquer tous les jours jusqu'à l'Azerbaïdjan !
Pendant cette pause déjeuner, alors que je voulais profiter de cet internet enfin retrouvé, une surprise qui n'en était pas une m'attendait : plus d'internet ! "Jamais je ne pourrai publier cet article !" me disais-je.
J'écourte ma pause déjeuner à la recherche d'une nouvelle agence de téléphonie, persévérant, mais sentant la frustration et le découragement s'installer peu à peu. Il me fallait absolument avoir internet avant ce soir pour contacter mon hôte pour la soirée, je n'avais pas son adresse exacte. Ne trouvant pas de boutiques, je finis par m'arrêter et demander au hasard à un brave homme de l'aide. Ce qui va se passer me donnera pour le reste de la journée une énergie physique et psychologique étonnante. Ne parlant pas l'anglais mais tenant à m'aider, cet homme arrête tous les gens qu'il trouve à la recherche d'une personnes comprenant l'anglais. Il finit par demander aux occupants d'une voiture se garant devant nous, par chance les deux jeunes de la banquette arrière répondaient à ce critère. Ils se sont impliqués pendant, 10 minutes pour m'aider, m'ont fait recharger à nouveau ma carte, ont ajouté des codes incompréhensibles sur mon téléphone, et finalement ont sauvé mon internet. Le plus drôle c'est qu'un attroupement s'est formé autour de nous, de gens voulant aider, curieux de voir un français en vrai. J'ai fini par partir en remerciant tout le monde, puis au bout de 5 minutes cette même voiture avec les jeunes et leurs parents s'est mise à mon côté pour m'arrêter. Ils voulaient m'inviter à déjeuner chez eux, hélas je leur ai dit que mon estomac était déjà plein, il m'ont alors proposé de visiter la montagne avec eux pour la journée. Je leur ai dit que si je n'avais pas un engagement avec un hôte ce soir, je serai resté volontiers avec eux, d'autant que leur voiture SUV dernier cri me laissait présager qu'ils n'en auraient pas pour mon argent !
Le cœur rechargé à bloc avec la certitude que plus je vais vers les autres, plus j'y gagne, j'ai retrouvé une énergie physique que je ne soupçonnait même pas. Je me répétait cette phrase qui prenait plus de sens que jamais : "la solution, c'est les autres. Ils ne sont pas des dangers potentiels, ils sont des chances, des grâces potentielles"
Je suis arrivé à Tonekabon très en avance. J'avais deux ou trois bonnes heures pour me poser sur la plage, me détendre un peu, manger un melon et terminer l'article avec ma nouvelle connexion internet. J'y ai rencontré une iranienne très entreprenante qui m'a fait plusieurs fois d'étonnants compliment sur mon nez, en me demandant si j'ai fait mon opération en France. Surpris par cette question, je lui ai dit que la chirurgie esthétique n'est pas aussi banale en France qu'en Iran, elle m'a ensuite expliqué qu'elle a fait refaire son nez, que les nez iraniens ne sont pas beau comme les nez français... Je ne savais pas quoi répondre à cela. Son anglais était trop faible pour comprendre ce que j'avais envie de lui dire, mais comme j'ai envie de le dire à quelqu'un ce sera pour vous. "les nez européens ne sont pas plus beaux que les nez iraniens, ils sont juste différents. Vos références, vos canons de beautés sont bases sur des critères occidentaux, européens. Ça n'a pas de sens, vous êtes qui vous êtes et vous êtes beaux. Votre nez est peut être plus volontaire, moins fin que le nôtre, mais il vous donne votre singularité, votre distinction et votre richesse. Quelle pauvreté de vouloir ressembler à des européens pour au final ressembler à tout le monde puisque maintenant une minorité des iraniennes n'a pas recours aux artifices de la chirurgie esthétique."
Voici dans des mots moins édulcorés ce que je lui aurais dit. Mais quand les critères de beauté sont ancrés dans la tête des gens il faut bien du temps pour les changer.
En me dirigeant tranquillement vers la maison de mon hôte, je vois sur le chemin un autre voyageur à vélo, je m'approche, on se parle un peu, c'est un marseillais de 35 ans répondant au prénom de François. Il est au début d'un tour du monde de 5 ans ! Et le hasard fait qu'il dors chez le même hôte ce soir. Nous l'attendons donc ensemble, et au cours de la discussion découvrons que nous visons tous les deux Bakou pour prendre le ferry vers le Kazakhstan. Seul petit problème, il prends beaucoup plus son temps que moi. Nous allons tout de même faire de la route ensemble et voir comment ça se passe, si on peut s'adapter l'un à l'autre.
Après avoir accepté un sac rempli de gâteaux de la part d'un passant qui promenait son chien (ça ne nous étonne plus), la maman de Farzaneh nous a ouvert la porte. Nous découvrons avec surprise que notre hôte est en fait une fille.
Après une grosse journée au soleil, je ne me sentais pas au meilleur de ma forme pour repartir sur la route dès le lendemain. Nous avons donc décidé de rester une nuit de plus chez elle pour nous reposer aujourd'hui entre de bonnes mains.
Samedi 19 mai :
Aujourd'hui fut typiquement une journée repos comme on les aime tant. Juste besoin de se reposer entre les mains bienveillantes de nos hôtes, manger ce qu'on nous donne à manger, s'asseoir sur le canapé en attendant le thé et les nombreuses sucreries et douceurs en tout genre, se laisser emmener en voiture dans des endroits splendide, apprécier le moment, leur montrer, sourire, échanger, être soi même, ne pas aider (ils ne nous laissent pas faire) et attendre qu'ils voient par eux même ce dont on a besoin avant même que l'on ne s'en aperçoive nous même. C'est devenu une agréable habitude dans ces contrées lointaines. On n'est même plus mal à l'aise quand tout le monde s'agite autour de nous pour satisfaire nos besoins et que notre seule obligation en retour est d'être détendu et d'apprécier le moment.
Plus concrètement, après un excellent déjeuner, après avoir dévoré des gâteaux et englouti des litres de thé, puis fait une bonne sieste bien méritée après tous ces efforts, ils nous ont conduit dans la forêt au début de la montagne, un endroit magnifique et apaisant.
Ce qui est unique dans cette zone géographique c'est que l'on est pris en sandwich entre des hautes montagnes enneigées et la mer Caspienne. Pour illustrer ça plus explicitement, de la salle à manger de chez nos amis, si l'on regarde à la fenêtre arrière on distingue largement les sommets enneigés, et sans bouger de sa chaise, juste en se retournant, on voit par la fenêtre opposée la mer Caspienne. Je crois que je n'avais jamais vu ça dans une maison.
Nous avons eu l'honneur de boire de la vodka avec le maître de maison, et avons même trinqué en plein pendant le chant de l'appel à la prière du muezzin, ce qui a eu le chic de faire bien rire nos hôtes. Demain nous ferons la route ensemble avec François, je pense que nous allons bivouaquer sur la route, ou pas. Surprise.