Nombre de km : 80
Altitude actuelle : 1172 m
Autant le dire tout de suite, j'ai beaucoup de belle choses à raconter mais je suis actuellement dans un village, entouré d'une vingtaine de turcs âgés de 17 à 30 ans qui m'offrent tout avant même que j'aie à le demander et me posent chacun leur tour des milliers de questions. C'est donc assez difficile de me concentrer dans ces conditions mais je vais faire de mon mieux. Je reviendrai plus tard sur cet épisode.
Ce matin, le réveil a été compliqué car il a fallu sortir d'un sac de couchage bien chaud pour affronter un froid de montagne. Ensuite j'ai du réparer ma roue crevée, et j'ai pu attaquer la route dans de bonnes conditions... Pas le choix car une très grosse côte m'attendais dès le début, pas le temps de s'échauffer, et un col de 1850 m à escalader à 8h30 du matin, ça pique.
En haut de la côte, on peut commencer à s'amuser ! En revanche la suite a été beaucoup plus amusante, pendant à peu près 45 minutes, je n'ai cessé de descendre à des vitesses parfois vertigineuses, j'étais à plusieurs reprises proche de battre mon record d'hier (73km/h). J'ai regretté d'avoir laissé mes gants au fond de mon sac, mais pas question de s'arrêter pour y remédier. Tant pis, mes mains vont ressembler à des mains de berger afghan, brûlées par le vent et le soleil. Elles en prennent déjà le chemin en fait.
Avant la descente Après une pause déjeuner bien méritée... Ah pardon, on vient de me demander ce que je pense de Erdogan... Apparemment la réponse a plu, on m'a même serré la main chaleureusement...je suis à nouveau à vous. Après cette pause déjeuner bien méritée, disais-je, j'ai pu voir sur la carte des reliefs une nouvelle embûche de taille. J'étais descendu à moins de 1100 m mais il va falloir remonter à nouveau à près de 1500 m en pleine digestion. Soit. Je l'attaque plein de bonne volonté, mais m'arrête au début pour mettre de la musique rythmée dans mes oreilles pour m'aider dans la côte. Une technique qui a fait ses preuves. A ce moment là j'entends approcher un tracteur avec une remorque... Mmmh... La tentation est grande, je laisse mon pouce se tendre en l'air vers la route, puisqu'il en mourait d'envie. Mon visage se pare de son plus gentil sourire pour rassurer le brave paysan. Il s'arrête. Je n'y croyais même pas ! Je monte dans la remorque avec mon vélo et j'apprécie le paysage. Le plus incroyable c'est que la destination de ce monsieur était absolument au sommet de ce col de l'enfer ! Ensuite il n'y a plus qu'à se laisser descendre.
L'envoyé de mon ange gardien La descente a été un spectacle de toute beauté. J'ai encore atteint de telles vitesses que j'ai été obligé de doubler un camion par la file de gauche. Dangereux mais très amusant ! A un moment précis, alors que ma vitesse atteignait des sommets, la vue s'est complètement dégagée devant moi, me donnant véritablement l'impression de voler !
Les zones pas trop raides de la descente. Pour la suite, je vais passer directement à l'essentiel, ma recherche d'un endroit pour dormir. Ce sera long, la suite de la journée à été une succession de surprises. J'avance donc et découvre sur la route une belle station service, plutôt bien située avec un restaurant et une vue imprenable sur les montagnes. Mon intuition me dit fonce ! J'y vais, et pendant que je regarde la carte sur mon téléphone, l'un des employés de la station me propose spontanément de m'installer à l'intérieur avec lui et les autres pour prendre un thé. Évidemment j'accepte, le contexte est parfait pour leur annoncer mon plan pour ce soir. Je leur demande donc si il y a de la place pour poser ma tente et la réponse est négative. Après bien des difficultés de traductions j'ai fini par comprendre qu'il n'a pas trop le droit et que si il est contrôlé par les gendarmes il risque des problèmes, mais il me suggère de frapper à la porte d'un camp militaire à 10 minutes en vélo. Un peu déçu, mais finalement de plus en plus emballé par l'idée, je fonce chez les militaires. Ils me voient arriver de très loin, s'interrogent sur ma venue, demandent mon passeport, vérifient le contenu de mes sacs. (petite précision, ils sont en guerre ouverte en Syrie en ce moment alors c'est l'état d'urgence partout). Ils sont finalement bien sympathiques, m'offrent une cigarette que je fume par politesse (ici c'est comme ça), parlent au supérieur, puis au supérieur du supérieur, finalement ils me refusent l'entrée mais ont appelé pour moi un ancien militaire qui maintenant tient un petit café au bord de la route dans le village du coin, il y a de l'herbe, l'endroit est bon pour planter ma tente. On y va ensemble, lui en voiture, moi à vélo. Je découvre alors mon lieu de camp. Un bout d'herbe en face du trottoir et de la route, à peine une clôture. Mais ici c'est comme ça, tout le monde fait confiance en tout le monde, les vols n'existent apparemment pas.
C'est alors que je commence à sympathiser avec les adolescents qui travaillent au café pour ce monsieur. Un peu timides au début, ils prennent vite leurs aises et l'un d'eux me propose de prendre ma douche chez sa maman. Je dis non, il insiste, j'accepte. On traverse tout les 4 le village, en passant par des coins qui semblent très pauvre mais les gens ont l'air pourtant tellement heureux ! On arrive chez sa maman, un vielle maison traditionnelle où l'on s'assied par terre pour boire le thé.
En haut à droite c'est la vue depuis leur fenêtre, normal. La maman et la maison. C'est beau. Je ne peux pas entrer dans les détails mais ces gens m'ont donné tellement de choses, et toujours spontanément, c'est gênant parfois, on n'a rien à leur donner en guise de remerciement, juste de l'argent, mais ils sont bien trop fiers pour accepter le moindre centime.
Après ce moment inattendu, on retourne ensemble au café, où j'y avais laissé mon vélo et toutes mes affaires sans la moindre surveillance, aux vues de tous. Rien n'a bougé, je ne devrais plus en être étonné. On se pose à l'intérieur et petit à petit de plus en plus d'hommes entrent dans la pièce, certains viennent 5 minutes et repartent, tout le monde me salue. C'est comme si tout le monde était au courant de ma venue et voulait voir l'attraction. A certains moments on était 15 ou 20 hommes, pas une femme. Ca rigole, chacun me pose des questions, veut rire avec moi, évidement il n'y en a pas un qui parle anglais. Pendant ce temps on me sert sans me demander, de quoi manger, de quoi boire, puis du thé et des gâteaux. J'ai appris plus tard au moment où tout le monde payait en partant que tout était gratuit pour moi. J'en ai tellement pris l'habitude que c'est devenu normal maintenant. Ça va me faire bizarre en rentrant à Paris quand le serveur me demandera de payer l'addition, et même pas avec le sourire.
Mais retournons un peu en arrière dans la salle remplie d'hommes. A un moment donné, un homme entre dans la pièce, en voyant tout le monde se lever pour le saluer, le comprends que ce n'est pas n'importe qui. Je pense à un notable du coin, le maire... Non, on est dans un village au milieu de la Turquie, c'est un religieux. Les autres lui explique que je suis français et en voyage à vélo, l'homme me salue, la main sur le cœur avec la même bienveillance que le ferait un prêtre bien de chez nous. Il me dit des paroles qui semblent se référer à Allah. Après quelques discussions, je me rend vite compte que l'homme n'est pas venu voir le match de ligue des champions. Il ouvre son livre écrit à la main et commence à chanter une prière en arabe. Alors à ce moment là, je vois la moitié des regards se poser sur moi, tous les petits curieux qui veulent voir comment je réagis, si j'ai l'air de trouver ça bizarre ou d'apprécier... Cette pression additionnée au caractère inattendu de la scène m'a donné envie de laisser échapper un fou rire. Dieu soit loué, j'ai réussi à le contenir, sinon je ne serai sans doute plus là pour vous raconter tout ça. Mais j'ai pris définitivement le dessus sur ce besoin nerveux de rire au bout de 20 secondes. Après je suis entré dans un mode de contemplation et d'analyse. C'est passionnant de voir l'imam après avoir prié, parler à ces jeunes de la vie, de la morale, etc. J'aurais pu voir la même situation en France avec un prêtre, et il est fort probable que le fond et même la forme de son discours soient similaires.
Après cette prière collective, une fois que le prêtre... Pardon l'imam est parti, tout le monde s'est relâché et a recommencé à fumer, rire et parler fort. J'étais toujours au centre des attentions. L'un d'eux en apprenant que j'étais graphiste m'a demandé de le dessiner, je l'ai fait. Il était ravi.
Je suis au milieu, je commence à me fondre dans le paysage. Une précision intéressante, le garçon qui est à ma gauche sur la photo... Enfin à droite de moi quand on regarde la photo, c'est un vétéran de l'armée qui a du arrêter car il a perdu une jambe en marchant sur une mine. Il faisait la guerre contre les Kurdes du PKK et c'est fait prendre par la mine aux alentours de Bitlis en zone kurde de Turquie (proche de ma route d'ailleurs). Il était sniper et me montrait fièrement ses photos de militaire et m'a même montré une vidéo (âmes sensibles s'abstenir) sur laquelle on le voit exécuter sommairement deux femmes combattantes du PKK. Il était fier de me montrer cette vidéo. Il est considéré comme un héros national car il a été gravement blessé au combat et avait longtemps combattu pour son pays. Il y a sur la photo 3 anciens militaires. Il ne faut pas oublier que la Turquie a une vraie culture de la guerre et les turcs partagent une grande fierté pour leur armée et ses conquêtes passées. Le gouvernement a d'ailleurs tendance, ces temps-ci, à glorifier ce passé conquérant et regarde l'Empire ottoman d'un œil un peu trop nostalgique...
Pour terminer sur une note d'espoir, demain je vise Malatya et j'ai déjà trouvé un endroit où dormir. Les détails demain soir.