Nombre de km : 90
Au revoir Compiègne Il est 8h06 du matin, je regarde Laurence me faire ses adieux derrière la barrière. Je suis déjà un peu triste et mélancolique, on s'attache vite aux enfants des autres ! Mais après quelques mètres de vélo mon regard change de direction et se tourne vers Paris, le Champs de Mars, mes amis... La nostalgie se transforme en joie et en énergie. C'est la dernière journée de route, celle où vont se marier harmonieusement toutes les pensées, les joies des 8 mois écoulés et les projets et espoirs de la vie qui m'attend. Quelles leçons tirer de ce voyage ? Il est évidemment trop tôt pour y penser, et je suis encore sur la route après tout... Il reste 90 km à parcourir et toute la banlieue nord à traverser, ma dernière aventure, ma dernière errance.
Première chose que je remarque au sud de Compiègne, c'est le style des maisons qui change, les vieilles pierres ont remplacé ces fameuses briques rouges qui ne me quittaient plus depuis la Silésie en Pologne.
Finies les briques, place à la pierre. La campagne à l'approche de Paris Alors que je quittais à peine Compiègne, je tombe sur un groupe de 10 cyclistes conduisant tous un bon vélo de course sans le moindre bagage, l'un d'eux est venu me parler et j'ai appris qu'ils allaient aussi à Paris après un trajet de 4 jours de Londres à Paris au profit d'une association caritative. Ce sont donc tous des anglais, le groupe entier est d'une bonne quarantaine de coureurs et c'est une sorte de voiture balais qui transporte leurs affaires, la nourriture et tout. Je m'attarde un peu sur eux car c'est un groupe qui va prendre le même itinéraire que moi et que je recroiserai à de nombreuses reprises. En voici un bel exemple : je roulais tranquillement quand un groupe de 5 cyclistes anglais me dépasse en me saluant, puis un autre cycliste, plus équipé (caméra au casque), l'air plus sportif, m'aborde et commence à rouler à mes côtés et me demandant si je suis ce fameux cycliste qui roule depuis 7 mois. Moi, étonné mais flatté, je dis oui, c'est alors qu'il me serre la main en me disant que c'est un honneur, que lui même n'a jamais fait une chose pareille et que c'est très inspirant pour lui de croiser des voyageurs comme moi. Encore plus flatté, je le remercie, et il retourne vers son groupe. Pendant plusieurs dizaines de kilomètres, je vais être amené à croiser un grand nombre de cyclistes de ce groupe qui vont me reconnaître, me saluer toujours et me parler parfois. Pour mieux vous expliquer la situation, je ne suis pas devenu par miracle une star chez nos amis outre-manche, il s'agit simplement (selon mon interprétation) du premier cycliste qui est venu me parler, et à qui j'ai expliqué mon parcours, qui a ébruité ma présence auprès des autres cycliste lord de l'une de leurs nombreuses pauses groupées.
J'ai essayé de prendre en photo certains de mes camarades anglais C'était ma foi fort agréable de les croiser par intermittence, j'avais l'impression de ne pas rouler tout seul, et parfois certains me donnaient quelques confiseries ou autre pâte énergétique.
Détail intéressant, le groupe n'était pas loin lorsque l'itinéraire a commencé à nous faire pénétrer dans certaines banlieues dites "chaudes", c'était l'occasion de vérifier par soi-même la température. Je roulais donc à proximité de cités peu engageantes quand je tombe sur deux cyclistes anglais du groupe, pied à terre, en train de soigner l'un des deux qui s'était écorché le coude et le genou en faisant une petite chute. Petit problème, il n'a pas choisi le meilleur endroit pour tomber car nous étions en face d'une belle barre d'immeubles accompagnée d'un petit groupe de jeunes qui commençaient à regarder dans notre direction avec un peu trop d'insistance à mon goût. Eux, naïvement, restaient sur place sans se soucier des alentours. Je me suis donc senti obligé de leur préciser discrètement : "that would be better if you don't stay here too long... This place is not the best". Ils ont compris, m'ont remercié de leur avoir parlé en anglais mais restaient pour se soigner. Je suis resté deux minutes avec eux et j'ai fini par partir, ils étaient aussi sur le départ. Rien ne s'est passé, mais je préférais prévenir que guérir, la faune qui nous observait n'avait pas l'air de vouloir nous offrir un thé chez eux, comme c'est pourtant l'usage dans leurs cultures d'origine lorsque l'on croise un étranger.
Quand on observe le ciel à 60 ou 70 km de Paris, il y a un chose qui marque le regard et finalement donne la direction de Paris, c'est le voile de pollution qui stagne au dessus de la capitale. Comme un léger nuage marron tout fin qui trahit la gravité de l'état de l'air que l'on respire toute la journée. Je ne me laisse tout de même pas intimider et je continue à avancer. A une trentaine de km je commençais déjà à distinguer Montmartre et la Tour Eiffel. J'avance de villes en villes, je traverse Villiers le Bel, Sarcelles, Stains, Saint Denis, Aubervilliers... Et finalement j'entre dans Paris.
On distingue la tour Eiffel sur la photo, à droite du château d'eau. Pause sandwich au bord de la route à 3 km de Villiers le Bel Le début de la "banlieue" J'avais tant imaginé ce moment, tant fantasmé cette émotion que je ressentirai en entrant dans la capitale, en retrouvant les rues, les odeurs, les gens, les bruits de la ville... Mes sens étaient pourtant grands ouverts, j'étais à l'affût de tout ce qui m'entourait, à la recherche de cette émotion unique, mais elle n'est pas venue. Comme si j'étais revenu à la maison après une petite semaine de vacances. Tout est à sa place, je suis parti, et je suis revenu, la boucle est bouclée et le livre est fermé, voilà. Comme si le temps ne faisait rien à l'affaire. Le suis parti et je suis revenu, c'est tout. Le voyage, pourtant encore officiellement en cours jusqu'à mon arrivée sur le Champs de Mars commençait à faire partie du passé, et moi je viens de me reconnecter avec le présent, avec la vie réelle. Comme si ces longs mois à l'aventure, à l'étranger n'étaient plus qu'un souvenir abstrait... Étrange sensation. Mais je m'attarderai plus tard sur le bilan de ce voyage. (le prochain article)
J'accelère un peu le temps et je passe devant l'opéra Garnier, je descends l'avenue de l'Opera, passe sous le porche du Louvre et je me retrouve avec une nuée de touristes au milieu de la cour du Louvre. Je prends mon vélo en photo, je sais que ça lui fait plaisir. Je remonte les quais jusqu'à la Tour Eiffel, réponds à quelques messages me demandant où j'en suis... Mes amis sont déjà sur place. Je passe à côté de la Tour Eiffel et découvre qu'on ne peut plus passer sous la tour sans prendre un ticket. Ils ont installé des vitres géantes tout autour de la Tour, sans doute une mesure anti-terroriste, dommage. Je remonte le Champs de Mars jusqu'au mur de la Paix, je les cherche des yeux et je vois au loin mon cousin qui hurle "le voilà" et qui me montre du doigt. Je ne peux plus faire marche arrière, j'avance dans leur direction sur le gazon, l'air fier et valeureux, il commencent à entonner mon nom, en brandissant un panneau de bienvenue et un drapeau français. J'avais l'impression d'être un coureur cycliste à l'arrivée du Tour de France, j'ai donc joué le jeu et suis passé à côté d'eux comme un cycliste passerait la ligne d'arrivée. Après avoir mis pied à terre, j'étais tellement heureux de revoir tous ces visages familiers entremêlés, que j'ai même oublié de leur dire bonjour. Revoir tout le monde était un véritable plaisir et j'ai eu l'impression étrange de ne jamais être parti.
L'arrivée à Paris Je suis ensuite remonté sur mon vélo pour les derniers kilomètres en direction de la rue Bayen dans le 17e arrondissement, chez mon père. Les 5 vraies dernières bornes de ce voyage. Je suis arrivé en bas de l'immeuble avec mon vélo chargé comme une mule et j'ai croisé un voisin qui m'a tout de suite parlé par curiosité pour mon vélo si rempli et était étonné d'apprendre que j'arrivais tout juste de mon voyage, je venais de faire le dernier coup de pédale et je m'apprêtais à franchir le seuil de la maison. Cet homme avec qui j'ai parlé trois minutes aura été ma toute dernière rencontre du voyage. Cette rencontre m'a rappelé à quel point le vélo de voyage était un puissant vecteur de rencontre, que les gens nous parlent plus facilement et spontanément, l'angle d'approche étant évidemment mon vélo et le supposé voyage qui va avec. Les questions étant souvent : "vous en avez un beau vélo, c'est un vélo de randonnée ?", et surtout "vous allez où comme ça ? ", " vous venez d'où ? "... Dans toutes les langues, les questions restent les mêmes.
Bref, je monte l'escalier avec mon vélo, les affaires dans l'ascenseur, j'atteins le deuxième étage, je mets la clé dans la porte, j'entre, je ferme la porte... C'est fini.