Ce que je viens d'achever, c'est ce genre de voyage que l'on entreprend sans vraiment savoir pourquoi. On part car on sent qu'il faut y aller.
Mais ça n'est pas une fuite. D'ailleurs je n'ai rien à fuir, je suis très heureux de ma vie.
Non, ce serait plutôt une quête. Cette quête sans objet qui pousse l'explorateur à traverser une montagne pour découvrir ce qu'il y a de l'autre côté. Et la bonne nouvelle c'est que j'ai trouvé ce que j'étais venu chercher.
J'aurai vécu pendant cette petite semaine un grand concentré de tout. Une reproduction miniature des émotions apportées par mon premier grand voyage à vélo.
Qu'ai-je découvert alors, "de l'autre côté" ?
Ce sentiment de solitude si terrifiant
C'est sans doute stupide, mais j'avais envie de retrouver cette impression terrible de solitude extrême. Cette sensation qui prend aux tripes et qui noie toutes les perceptions sensorielles dans la peur de l'après. Peur de devoir se sortir seul des pièges de la route, peur de devoir prendre ses propres décisions, peur d'affronter seul l'inconnue et l'incertitude, peur de tout en fait. Cette peur-là je l'ai ressentie comme rarement sur les deux premiers jours de mon périple... et ensuite, peu à peu, le corps et l'esprit s'habituent. Ils se résignent. L'adaptation s'opère. Cette situation instable et anxiogène devient une réalité, point. La question n'est plus de la fuir mais de l'accepter, de la vivre pleinement, et finalement de la désirer.
Je l'ai haïe autant que je l'aie aimée cette insécurité solitaire permanente.
Cette peur de la nuit
Réapprendre à craindre la nuit. Pourquoi donc ? Pour savoir apprécier la chance immense que l'on a de jouir d'un toit et de quatre murs chauffés, protégé des prédateurs de tous types. Lors de ce cours périple, voir le soleil décliner et laisser l'obscurité prendre le relai pouvait être une vraie source d'angoisse. Même lorsque j'avais trouvé un lieu sûr, la vision de la nuit tombante provoquait en moi une peur irrationnelle. Comme quoi l'instinct peut très rapidement prendre le dessus sur l'homme moderne et éduqué. Cet ADN d'homme des cavernes, il est là, tapi dans l'ombre, prêt à ressurgir au moindre stimulus, au moindre signal qui dira "Attention, danger potentiel ! On passe en mode survie."
Une fois que le mode est enclenché, la nuit est une information, le vent est une information, les bruits d'animaux dans la forêt se font entendre bien plus distinctement qu'avant, on a faim tout le temps...
Bien sur, je ne me prends pas pour Mike Horn, ma petite aventure est bien maigre, mais j'ai trouvé ça très intéressant de sentir à nouveau mes propres perceptions basculer très brièvement du "coté sauvage de la force". Il faut le vivre pour le comprendre. S'affranchir de sa zone de confort, c'est aussi pour ça que je suis parti.
Cette joie immense de la rencontre bienveillante
Les rencontres magiques de la route, je n'en ai franchement pas vécu beaucoup ici. Je n'ai pas été beaucoup aidé par la pandémie, c'est vrai. Les gens étaient méfiants, et j'étais rarement le bienvenu.
En fait, j'ai vécu un moment. Un simple petit moment qui à lui seul justifiait tout ce voyage : ce déjeuner que j'ai passé au chaud chez les pompiers. Ils m'ont parlé, tenu compagnie, offert le café et des rations militaires. Ça n'a l'air de rien, et pourtant... Au moment de remonter sur mon vélo, ce sentiment si fort et si profond d'amour immense envers l'humanité (oui) est revenu m'envahir le corps tout entier. L'agapé avait pris possession de mon âme pour quelques minutes inoubliables. Mon Dieu, que ce sentiment m'avait manqué ! Je l'avais ressenti en Turquie, en Iran, au Tadjikistan, en Russie... et le revoilà, brut et sans fard.
À ce moment précis, j'avais compris pourquoi j'étais parti et ce que j'étais venu chercher. Tout était clair, limpide, évident.
Ces êtres enrichissants
Une dernière chose que j'étais parti chercher, ce sont ces rencontres passionnantes et singulières. Contrairement aux rencontres de la route qui sont le fruit du hasard, je parle ici des rencontres de locaux qui m'ont accueilli chez eux une ou deux nuits (Couchsurfing, Warmshowers...). Quelle scène plus favorable que celle-ci pour dépasser la rencontre superficielle citadine ? On passe vite le très stérile : "Et toi, tu fais quoi dans la vie ?".
Ici, l'idée n'est pas de s'afficher tel que l'on voudrait être vu. Ici l'idée est de se montrer en toute transparence chez des gens que l'on ne connaissait pas le matin même. Ils ne nous connaissent pas encore, ils ne jugent pas, affirment leurs propres valeurs, leurs propres personnalités, et se montrent eux-mêmes à nu. Pas besoin de masques, ils ne servent à rien. Alors la rencontre est si simple, et on les quitte comme on quitterait des amis proches !
Ces personnes si différentes nous offrent à voir un monde que l'on ne connaissait pas encore, sous un angle que l'on n'avait encore jamais envisagé. C'est passionnant ! On a la sensation ensuite qu'une partie de nous-même s'agrandit. Notre angle de perception du monde est passé de 90° à 180°.
Bien sur, chaque rencontre est différente, et certaines ne fonctionnent pas (pas de connexion, malaises, moments forcés...). Mais je crois pouvoir dire que j'ai toujours su tirer un enrichissement et une expérience de chacune de ces rencontres.
Voilà, vous savez et je sais maintenant pourquoi je suis parti braver le froid. Parfois, il suffit de quitter un moment sa zone de confort pour trouver ce que l'on cherche inconsciemment. C'est pourtant si simple. Simple et très difficile.
Mais ça vaut le coup, c'est toujours une fois rentré qu'on le comprend vraiment.