Carnet de voyage

Demi-tour de Pologne à vélo

8 étapes
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Un demi-tour de Pologne à vélo sur 1500 km en solitaire. Le froid et la solitude risquent d'en être les principales thématiques. Amusez-vous bien !
Février 2021
20 jours
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Surprise ! Je remonte en selle pour la deuxième course.

 Atelier improvisé dans le salon

Sauf que cette fois, ça n'est pas pour 8 mois mais pour 20 petits jours maxi. Un modeste demi-tour de Pologne de 1500 km entre Kielce et Gdansk sur une route cyclable que l'on appelle ici la Green Velo Szlak de Pologne.

 Je vais suivre la ligne jaune en commençant à Kielce Jusqu'à Elblag, pour finir à Gdansk.


Vous allez me dire : "mais c'est pas un peu du masochisme de partir comme ça en plein hiver et en pleine pandémie ?!"

Et moi de vous répondre : "Peut-être bien. Mais c'est aussi du masochisme de s'enfermer chez soi pour faire plaisir à notre président. Je préfère vivre... en fait non... je préfère EXISTER !" (du latin exsistere : sortir de)

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Vous voulez savoir comment affronter la peur de partir, jetez un coup d'œil sur cet article : Comment vaincre la peur de tout plaquer et partir voyager ? (cyclovoyageur.com)

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Comme à mon habitude, je publierai un article quotidien (sous réserve de connexion internet), et je ne vous épargnerai aucun détail de mes joies, de mes souffrances, mes peurs, mes rencontres... Je serai aussi transparent que le lac Baïkal !

Dernière précision : Bien que mon objectif soit de traverser cette fameuse route de bout en bout, je n'exclus pas d'abandonner au beau milieu de la route.

Pourquoi ? Car je me prépare à ce que les conditions soient vraiment hostiles, et que je n'ai pas le meilleur matériel qui soit pour affronter des nuits à -20°. Et n'étant pas forcément suicidaire de nature, si je sens que ça n'est pas jouable, je prends le premier train pour Cracovie.

En fait, c'est ça : J'aborde cette petite aventure comme un test. Un test de résilience physique et psychologique, un test de survie parfois. Un test qui va peut-être se solder d'un échec honteux, qui sait. Vous serez les premiers à le savoir, rassurez-vous.

Préparation chirurgicale. Cette fois-ci, je veux rouler léger ! 

Le grand départ, c'est demain !

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Bon !

Honnêtement, ma journée n'a pas été très sportive.

Tristesse de voir mon fidèle vélo pendu par les pieds .. 

Ma mission était d'arriver à Kielce en train depuis Cracovie. Je crois avoir réussi ma mission.

Sur la route de Kielce 

Il m'a fallu tout de même sortir de la gare et rouler jusqu'à mon hébergement de ce soir, une demi-douzaine de kilomètres plus au sud.

6 km crevants qui m'ont offert un petit avant-goût de ce que me réserve la suite :

Des routes enneigées et l'obligation de mettre le pied à terre toutes les 3 minutes.

Une température négative qui a fait subir bien des supplices à la batterie de mon téléphone, et accessoirement GPS ! Plus précisément, j'ai perdu 30% de batterie en 15 minutes. Moi qui visais une autonomie de 4 jours maxi, même avec mes deux batteries externes, il va falloir réévaluer mes ambitions.

J'ai pu voir aussi que la stabilité et l'équilibre de mon vélo est très perfectible dans sa nouvelle configuration. J'ai voulu tester les sacoches uniquement à l'arrière pour gagner du poids, mais tout le poids étant mal réparti, ce pauvre vélo n'est pas si facilement maîtrisable. Alors sur la neige verglacée, je vous laisse deviner l'enfer.

Mais plus le choix. On va avancer comme ça, mon équilibre va s'habituer.

En attendant qu'on m'ouvre les portes du paradis 

Ce soir, je suis accueilli chez Alicja et son fils. Un foyer bien chaud que la magie de Couchsurfing a mis sur ma route, mais qu'il va falloir malheureusement quitter demain matin aux aurores pour se confronter pour de bon à la route !

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Au fait, vous n'êtes peut-être pas familiers au concept du Couchsurfing ou Warmshowers, dans ce cas, allez jeter un coup d'œil sur cet article, il vous dira tout : Duel d'hébergements gratuits : Couchsurfing ou Warmshowers ? (cyclovoyageur.com)

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Demain, je n'ai nulle part où aller. Le plan est donc de trouver une forêt sur ma route pour camper discrètement.

Je vous dirai tout demain soir... si ma forêt est équipée d'un réseau 4G, bien sûr !

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La première journée d'un voyage à vélo est toujours une mine d'informations précieuses. Elle permet de prendre la température pour la suite et comprendre immédiatement si l'on va abandonner dès le lendemain ou si ça s'annonce bien.

Dans mon cas, j'ai pu vérifier mes conditions physiques (non, je suis parti sans aucune préparation. C'est plus marrant).

Le résultat était : bien, mais pas top. Pourquoi ? Car mes fameuses douleurs de dos de l'hiver européen d'il y a 3 ans sont revenues, car la cuisse gauche commence à tirer et car mon entrejambe me brûle, comme au bon vieux temps.

On cherche la bonne position pour pédaler, celle qui ne sera pas douloureuse, alors on se met en danseuse, mais c'est la cuisse qui demande un temps mort. On se positionne un peu plus en avant sur la selle, mais c'est le coccyx qui se manifeste.

Et d'ailleurs c'est drôle, c'est le genre de désagréments que l'on oublie quand on rentre de voyage. Mais là c'est bon, ça m'est bien revenu en mémoire ! Merci, au revoir.

J'ai eu aussi la joie d'apprécier l'état de la route. Point capital. Alors ? Neige ou pas neige ?

C'est le genre de route qui fait regretter de ne pas être resté chez soi 
Explications en live ( oui, petite nouveauté de ce carnet de voyage : les vidéos !) 

Eh bien, grosse neige au début, accompagnée d'une petite déprime bien légitime, puis des routes plus dégagées sur la fin.

La neige fond, et ça c'est la très bonne nouvelle du jour... Enfin elle fond dans cette région, c'est déjà ça.

5 degrés de moins, c'était l'enfer sur terre. 

En définitive, même si les routes sont plutôt praticables ici, rien ne me garantit qu'elles le seront demain ou dans une semaine.

Au passage, un compagnon qui ne m'avait pas non plus manqué : le chien ! Se faire aboyer dessus, la première fois, c'est mignon... mais la 200e fois, ça devient lourdingue ! Surtout quand ils ne sont pas attachés et qu'ils vous ont catalogué comme proie. Heureusement, la route m'a enseigné quelques techniques plutôt efficaces : 4 techniques pour calmer les chiens agressifs ? - Cyclo Voyageur

Tout soutien moral ou spirituel est bon à prendre 
Un incroyable château abandonné. Le château de Kryztopor construit entre le 16 et 17e siècle, puis détruit par les Suédois.

Donc pour le moment, on avance, on voit ce qu'il se passe et on attend la suite ! Éternelles incertitudes du voyage à vélo, qui en font tout son charme et toute sa fièvre.

Parlant d'incertitude... Vous ne devinerez jamais où j'ai atterri ce soir ! J'avais prévu de camper en forêt. Je m'étais trouvé un coin sur la carte qui m'avait l'air parfait...

Ne jamais faire confiance à une carte.

La forêt était en réalité une butte enneigée que je n'aurais jamais pu escalader avec mon vélo. Le reste de la forêt était trop près de la route donc pas assez discrète pour le feu de camp. (Et franchement, pas de feu : pas de bivouac)

Je décide alors de continuer à rouler, mais la ville s'approche. J'arrive rapidement sur la place centrale, et voyant le soleil qui commence à décliner, je me résigne et demande à un passant d'une vingtaine d'années (ce jeune âge offre la garantie de se faire comprendre en anglais) où je peux trouver un hôtel pas trop onéreux.

Il m'annonce qu'à 2 km de là il y a un hôtel de route à côté d'une station Shell.

J'hésite, je regarde la carte en quête d'une autre forêt pas trop éloignée. Je ne vois que des champs...

Mon choix est fait, je ne camperai pas ce soir.

Je roule les 2 km, et loue une grande chambre avec douche chaude, wifi, pizzeria à proximité... Aaahh ! Quel Luxe !

Je retrouve le plaisir de la station service pour passer la nuit sans soucis, cet article en parle sur mon autre blog : Pourquoi camper près d'une station service ? - Cyclo Voyageur

Au moins je serai bien reposé pour affronter la journée de demain, qui s'annonce, elle aussi, assez sportive.

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Pendant que je vois écris ce petit épisode, je suis au coin du feu, entouré de neige et de forêt... Mais je vous en dirai plus à la fin !

Journée très intense qui a commencé en beauté avec une vilaine chute au kilomètre 23.

Lieu de la chute 

Parfois, des petits talus de neige fondue viennent se disperser sur la route. Celui-ci ne m'a pas loupé. Ma roue avant a perdu toute adhérence et m'a fait chuter lourdement sur le côté. Résultat : le cou un peu douloureux, mais surtout le genou gauche qui a pris un mauvais coup. En pédalant, la douleur s'estompe, mais dès que le genoux se refroidit, la douleur repart.

J'ai un mauvais pressentiment avec ça, mais les prochains jours nous en diront plus.

C'est moche, mais ça a été construit pour la fameuse Green Velo Szlak ,alors ça va.

Après une matinée déprimante avec de la pluie continue (Oui, on est passé au-dessus des 0°... Pas pour très longtemps hélas), je réalise que mes chaussures gore tex sensées être imperméables et respirantes, s'avèrent être ni l'un ni l'autre. J'ai eu les pieds trempés toute la matinée. Et par ce froid, j'avais bien la ferme intention de me réchauffer quelque part pour ma pause déjeuner.

Je passe alors devant une caserne de pompiers volontaires qui acceptent de me laisser m'abreuver dans une de leurs salles.

L'un d'eux, ayant l'air d'apprécier ma présence, me tiens compagnie et discute avec moi puis m'offre un café plus que bienvenu. L'un de ses collègues étant aussi militaire, m'offre deux rations de survie de l'armée polonaise. Il ne peut plus rien m'arriver.

Mon nouvel ami pompier bénévole 
Les deux rations militaires polonaises 

Cet épisode du déjeuner a été pour moi une révélation. Le bonheur si intense que j'ai ressenti ensuite sur la route m'a fait comprendre pourquoi je suis reparti. Et j'ai compris à quel point ces petites rencontres bienveillantes de la route m'avaient manquées.

Le corps et le cœur réchauffés, j'étais prêt à affronter le reste de la route avec un sacré second souffle !

La suite de la route 

Plus rien ne pouvait m'arrêter... Et comme le positif attire le positif, une belle brise favorable m'a accompagnée tout le reste de la route ! Autant vous dire que j'en ai profité, j'ai pu faire plus de 110 km. Je suis en avance sur mon planning finalement.

Mon but était alors de trouver le lieu parfait pour bivouaquer.

Explications en vidéo 

Je l'ai trouvé : il y a du bois pour le feu, de la neige pour l'eau, suffisamment proche d'un village pour avoir du réseau et pas d'animaux sauvages, suffisamment protège du vent... Tout y est.

Dans le même thème, j'ai écrit un article sur les moyens de survivre au camping hivernal sur mon autre blog : Les 6 techniques pour survivre au camping hivernal - Cyclo Voyageur

Même si le bois humide ne m'a pas rendu la tâche facile, le feu m'a permis de faire fondre de la neige pour prendre une "douche" chaude, tout nu sur la neige (oui oui !). Ce feu salvateur m'a fait manger chaud, m'a réchauffé toute la soirée, fait sécher mes vêtements et éclairé ! Multifonctions !

Au passage, si vous voulez savoir comment vous laver en toutes circonstances et en toute saison au cours d'un voyage à vélo, c'est par ici : Les secrets du cyclovoyageur pour se laver tous les jours pendant 8 mois ?

Fondage de glace  et chauffage d'eau pour la douche écolo
Je n'en dévoilerai pas plus, n'insistez pas.  

Maintenant j'ai peur d'aller affronter le froid de la tente et du sac de couchage !

Je vous dirai demain comment s'est passée la nuit.

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Journée ultra-intense. Je suis épuisé physiquement et mentalement. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.

Pour commencer, voici comment s'est passée la nuit sous la tente : mal.

J'ai eu froid toute la nuit, et même la position du fœtus n'y faisait rien. Résultat, je me suis levé avec très peu de sommeil à me mettre sous la dent.

Réveil très frais.  

Et pour que la journée commence en beauté, mes chaussures n'ont pas pu sécher à cause du gel. J'ai donc dû enfiler des chaussures glacées, et qui le sont restées toute la journée. Même chose pour les gants.

Au moins, il a fait beau  
Désolé pour la vidéo de travers. Impossible de la remettre droite. 

Maintenant la route : si j'ai eu la chance hier d'avoir un vent favorable, ça n'a pas été le cas aujourd'hui. Et un vent dans la figure quand il fait presque -10°, ça fouette bien ! J'ai été glacé par la route toute la journée, et chaque pause s'est soldée d'un dangereux refroidissement du corps. J'ai donc pris le moins de pauses possibles... rien d'autre à faire à part pédaler pour supporter le froid.

Rien qu'en photo, il fait froid ! 

Je n'ai pas non plus eu la chance de déjeuner au chaud comme hier. (Ce n'était pas faute d'avoir demandé). Autant vous dire que mon casse-croute a été vite expédié. 10 minutes et c'est reparti sur la route !

La pause déjeuner qui fait rêver  

Reparti, avec au passage deux genoux en rade ! Le gauche à cause de la chute du premier jour (il a bien enflé et hésite entre le rouge et le bleu) et sur le droit je trimballe ma fameuse tendinite qui m'a suivi pendant toute l'Europe lors de mon premier gros voyage à vélo.

Y'a comme un faux air de Sibérie, non ? 

Je vous ai dit que je serai transparent, et bien franchement, je me suis demandé toute la journée ce que je faisais là. C'est vrai que toutes les conditions ne sont pas réunies pour que j'aille très loin, mais je ferai un premier bilan à Chelm avec prise de décision. (J'y serai demain soir)

Maintenant, la suite de la journée.

J'évoluais cette après midi très en avance sur l'itinéraire et commençais à me dire : "ben autant continuer, comme ça toutes les bornes que je ferai maintenant, je n'aurai pas à les faire demain !"

Je vise donc une petite ville sur la carte, en me disant qu'il y aura forcément un hôtel ou une bonne âme pour m'offrir le logis pour la nuit (je n'avais franchement aucune envie de refaire tout de suite une deuxième nuit en forêt).

Il est 14h30 et j'entre plein d'optimisme dans cette ville. Je demande à l'épicerie, pas d'hôtel ici, et personne pour m'aider. Je demande dans la rue, on m'évite du regard, je demande dans un complexe culturel, rien non plus. Pourtant, je ne demandais pas la lune, juste une pièce chauffée, rien de plus !

Je demande de l'aide à une bonne dizaine de personnes, et on m'envoie dans la ville suivante, à deux kilomètres. J'y vais et c'est le même résultat partout. On m'explique que c'est le Covid, que les hôtels sont fermés et que les gens ont peur d'accueillir n'importe qui. (Ce que je comprends).

Je vois le temps passer et commence à désespérer. Moi qui avais déjà roulé plus que prévu, il va falloir que je reprenne la route sur 15 km supplémentaires pour atteindre la ville (de taille honorable) la plus proche.

Pauvre vélo à la recherche d'un toit pour passer la nuit 

J'y arrive épuisé. Et sur place, c'est le même baratin : tous les hôtels qu'on m'indique sont fermés. Jusqu'à ce que je tombe sur un hôtel ouvert ! Alléluia !

Oui, mais non. Covid oblige, on ne peut accepter que les clients professionnels. J'insiste. J'explique que j'ai une entreprise en France en tant qu'indépendant. On appelle le patron. Non, ça ne prend pas.

Il est 16h, le soleil décline, et le stress commence à sérieusement m'envahir. Dehors, le froid n'est pas négociable.

On vient alors avec une solution à l'accueil. L'hôtesse appelle une maison d'hôtes du coin. J'y vais. Personne n'est là. Je commence à me croire maudit. Retour à l'accueil. Nouveau coup de fil. J'y retourne. On m'ouvre enfin. Je paye les 50 zlotys. Je m'affale sur ma couche et pousse un gigantesque ouf de soulagement.

Cette sensation est indescriptible. Il faut l'avoir vécue une fois dans sa vie. Là, maintenant, le fait de pouvoir m'allonger sur ce lit est pour moi un plaisir inimaginable.

Repos total du corps et de l'esprit.

Mon palace ! 

Finalement j'ai tellement roulé sur les deux derniers jours qu'il ne me reste que 30 ou 40 km à faire demain pour rejoindre Chelm.

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Les enfants, l'heure est grave.

Réveil ce matin le corps envahi de grincements, de courbatures et de douleurs. Seuls les bras sont à peu près épargnés.

Heureusement que j'ai pris beaucoup d'avance ces deux derniers jours. Ça m'a permis de me contenter de 30 petits kilomètres ce matin pour rejoindre Klaudia et sa famille, qui m'accueillent par l'intermédiaire du site Warmshowers.

Si vous ne connaissez pas Warmshowers, je vous invite à lire cet article que j'ai écrit sur le sujet sur mon autre blog : https://cyclovoyageur.com/warmshowers/

Ils ont très gentiment accepté que je reste jusqu'à lundi matin, le temps de prendre une journée de repos bien méritée.

La route aujourd'hui 
L'arrivée à Chelm 

Je suis arrivé tôt, et j'ai déjà eu le temps de beaucoup réfléchir sur la suite de mon périple.

Maintenant, pour que vous saisissiez totalement le contexte, voici dans quel bourbier je me trouve, point par point :

- Le temps n'est pas près de s'améliorer. La météo prévoit sur ma route un gros épisode neigeux dans les prochains jours, suivi d'une nouvelle grosse vague de froid.

La météo, pendant la période où je prévoyait d'être aux alentours de Bialystok

- Deuxième chose, le Covid a rendu les gens très frileux avec les vagabonds de passage comme moi, donc pas d'hébergement possible chez l'habitant (ou très peu).

- Troisième chose, toujours à cause de ce sympathique Covid, les hôtels sont très majoritairement fermés. Par conséquent, il va falloir prévoir quelques nuits à la fraîche en forêt avec pour seule compagnie un sac de couchage inadapté et sans doute quelques loups affamés par cet hiver interminable. Je dramatise un peu, oui.

- Quatrième chose, mon corps n'est plus qu'un amas de chair sans consistance. Un bout de ferraille rouillée qui attend le coup de grâce. Depuis ma chute, le genou gauche ne s'est pas arrangé, bien au contraire. Le dos, le cou, les pieds... Bon je ne vais pas faire le tour des détails, mais ça grince de partout !

- Cinquième chose, je n'ai pas le matériel adéquat pour supporter ce froid. Ni les chaussures, ni les gants, ni le sac de couchage, ni la tente et ni le matelas gonflable (ça n'a pas l'air, mais c'est important de s'isoler du sol). La prochaine fois, je me réserverai 2000 € de budget pour le matériel et j'irai affronter la Sibérie avec grand plaisir !

- Sixième chose, je crois que j'ai déjà trouvé ce que j'étais venu chercher. Mais ça, j'en parlerai mieux sur l'article qui viendra clôturer cette aventure avortée... Avec le recul nécessaire.

Oui, avortée. Vous avez bien compris. Je n'irai pas plus loin dans cet enfer blanc. Je savais que ça allait être difficile, mais je n'imaginais pas que ça serait dans de telles proportions ! En fait, personne ne fait ça. Les polonais que je croise me disent : "you are hardcore", "you are just crazy"... Ils ne comprennent pas et ils ne sont pas les seuls.

Bref, me voilà à nu devant vous. J'ai honte, mais c'est ainsi : je rentre à la maison.

Je retourne à Cracovie, pour y apprécier plus que jamais ce confort moderne, ces radiateurs électriques et ce four à micro-ondes.

Mais attention ! Je n'ai pas dit mon dernier mot : je n'ai pas l'intention de prendre directement un train pour Cracovie, ce serait trop simple.

Le plan est donc le suivant : partir lundi matin pour Lublin (80 km) et tirer ma révérence sous une tempête de neige de l'enfer ! L'idée est de finir en beauté, et je vous le dois bien. Je vous avais promis 20 jours de récit, vous avez bien mérité une compensation, une petite sucrerie !

(Enfin si jamais les conditions sont vraiment dangereuses, je prendrai le train. Je ne vais pas risquer ma peau pour vous divertir !)

Les prévisions météo pour les deux prochains jours. Les barres blanches représentent les chutes de neige

Je resterai alors 2 nuits à Lublin pour visiter et je rentrerai mercredi en train à Cracovie.

Je vous donne donc rendez-vous lundi soir, avec je l'espère, une dernière étape qui aura du panache !

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Tout d'abord, désolé pour ce long silence. Je sais que certaines personnes se sont inquiétées. (Pas toutes, j'ai les noms !) En fait j'ai été pris dans un tourbillon de rencontres qui a freiné ma dynamique de conteur solitaire.

Mais c'est réparé. Me revoilà, et vous allez tout savoir de mes deux dernières journées.

Je vous avais laissés en pleine ébullition, perdus, sans savoir si j'avais pu arriver à Lublin et dans quel état ! Rassurez-vous, je vais bien. Voilà ce qui s'est passé le matin du départ.

Mon plan était le suivant : j'attends de voir comment est la météo, je teste la route, et si elle est impraticable, je rebrousse chemin et je prends un train comme tout le monde.

Un premier bilan. 

La météo m'avait promis une belle tempête de neige. Elle ne m'a déçue : en partant, il m'a fallu 10 minutes pour traverser les simples 500 mètres qui me séparaient de la route principale. Rien à faire. Une neige poudreuse à souhaits qui donnait l'impression de pédaler sur une dune de sable.

Tiens, ça me rappelle des souvenirs : 9. Overdose de Neige à vélo (Ingostadt / ALLEMAGNE) - Cyclo Voyageur

La route jusqu'à la gare de Chelm 

Embourbements, pertes d'équilibre, froid extrême (à cause du vent). Ma vitesse moyenne ne devait pas dépasser les 4 km/h, ce qui est moins qu'un marcheur moyen. Sachant que j'avais 80 km à faire, le calcul est vite fait. J'ai fait demi-tour, franchi pendant 1h30 les 5 km qui me séparaient de la gare centrale, et j'ai pris le train pour Lublin.

La route inhospitalière qui m'attendait... un peu trop blanc à mon gout

À la sortie du train, 4 km m'attendaient pour arriver au chaud chez mes hôtes. Franchement, j'ai beau avoir pris le train, c'était déjà une sacrée aventure de faire ces 10 km de pôle nord ! Imaginez-vous pousser un vélo chargé de bagages sur une neige poudreuse profonde de 30 cm... Pas le plus pratique. Le vélo se transforme en un boulet insupportable !

La route à Lublin 

Je suis donc arrivé chez Michal et Magdalena (le prénom de mon père et de ma grand-mère en polonais, marrant). Un couple très sympathique originaire de Lublin qui sont très investis dans la vie sociale et culturelle de leur ville, son histoire, sa communauté, etc. J'ai énormément appris à leur contact. Encore une de ces rencontres très enrichissantes qui ouvrent nos horizons et élargissent notre regard sur le monde.

La vue depuis chez eux 

Magdalena, qui en plus de ses nombreuses activités organise des visites guidées des endroits méconnus de la ville (lieux désaffectés, quartiers des années 50, architecture singulière...), m'a emmené faire une petite balade culturelle dans la neige et les constructions staliniennes.

Michal m'a emmené dans un musée qui rassemblait les pancartes des manifestations récentes contre l'interdiction totale de l'IVG 

Le lendemain (hier), j'ai eu l'opportunité de suivre Michal dans le centre-ville de Lublin. Superbe, mais mort. Puis je l'ai accompagné dans l'une de ses actions quotidiennes qui consistait à récupérer de la nourriture auprès de boulangerie ou autres pour la redistribuer aux pauvres.

Lublin sous la neige 
Mon beau vélo  

Le reste du temps, je l'ai passé chez eux à parler de tous les sujets imaginables.

Et là, me voilà dans ce train qui va m'emmener à Cracovie.

Mon coeur est confus. Partagé entre cette déception de ne pas avoir été au bout de mon challenge, et la joie immense de retrouver ma Justyna qui m'attend certainement avec un bon thé chaud !

Merci de m'avoir suivi et encouragé sur ces quelques jours, vraiment. C'était précieux pour moi dans certains moments de grande solitude.

À très vite pour le dernier article. Celui du bilan.

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Ce que je viens d'achever, c'est ce genre de voyage que l'on entreprend sans vraiment savoir pourquoi. On part car on sent qu'il faut y aller.

Mais ça n'est pas une fuite. D'ailleurs je n'ai rien à fuir, je suis très heureux de ma vie.

Non, ce serait plutôt une quête. Cette quête sans objet qui pousse l'explorateur à traverser une montagne pour découvrir ce qu'il y a de l'autre côté. Et la bonne nouvelle c'est que j'ai trouvé ce que j'étais venu chercher.

J'aurai vécu pendant cette petite semaine un grand concentré de tout. Une reproduction miniature des émotions apportées par mon premier grand voyage à vélo.

Qu'ai-je découvert alors, "de l'autre côté" ?

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Ce sentiment de solitude si terrifiant

C'est sans doute stupide, mais j'avais envie de retrouver cette impression terrible de solitude extrême. Cette sensation qui prend aux tripes et qui noie toutes les perceptions sensorielles dans la peur de l'après. Peur de devoir se sortir seul des pièges de la route, peur de devoir prendre ses propres décisions, peur d'affronter seul l'inconnue et l'incertitude, peur de tout en fait. Cette peur-là je l'ai ressentie comme rarement sur les deux premiers jours de mon périple... et ensuite, peu à peu, le corps et l'esprit s'habituent. Ils se résignent. L'adaptation s'opère. Cette situation instable et anxiogène devient une réalité, point. La question n'est plus de la fuir mais de l'accepter, de la vivre pleinement, et finalement de la désirer.

Je l'ai haïe autant que je l'aie aimée cette insécurité solitaire permanente.

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Cette peur de la nuit

Réapprendre à craindre la nuit. Pourquoi donc ? Pour savoir apprécier la chance immense que l'on a de jouir d'un toit et de quatre murs chauffés, protégé des prédateurs de tous types. Lors de ce cours périple, voir le soleil décliner et laisser l'obscurité prendre le relai pouvait être une vraie source d'angoisse. Même lorsque j'avais trouvé un lieu sûr, la vision de la nuit tombante provoquait en moi une peur irrationnelle. Comme quoi l'instinct peut très rapidement prendre le dessus sur l'homme moderne et éduqué. Cet ADN d'homme des cavernes, il est là, tapi dans l'ombre, prêt à ressurgir au moindre stimulus, au moindre signal qui dira "Attention, danger potentiel ! On passe en mode survie."

Une fois que le mode est enclenché, la nuit est une information, le vent est une information, les bruits d'animaux dans la forêt se font entendre bien plus distinctement qu'avant, on a faim tout le temps...

Bien sur, je ne me prends pas pour Mike Horn, ma petite aventure est bien maigre, mais j'ai trouvé ça très intéressant de sentir à nouveau mes propres perceptions basculer très brièvement du "coté sauvage de la force". Il faut le vivre pour le comprendre. S'affranchir de sa zone de confort, c'est aussi pour ça que je suis parti.

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Cette joie immense de la rencontre bienveillante

Les rencontres magiques de la route, je n'en ai franchement pas vécu beaucoup ici. Je n'ai pas été beaucoup aidé par la pandémie, c'est vrai. Les gens étaient méfiants, et j'étais rarement le bienvenu.

En fait, j'ai vécu un moment. Un simple petit moment qui à lui seul justifiait tout ce voyage : ce déjeuner que j'ai passé au chaud chez les pompiers. Ils m'ont parlé, tenu compagnie, offert le café et des rations militaires. Ça n'a l'air de rien, et pourtant... Au moment de remonter sur mon vélo, ce sentiment si fort et si profond d'amour immense envers l'humanité (oui) est revenu m'envahir le corps tout entier. L'agapé avait pris possession de mon âme pour quelques minutes inoubliables. Mon Dieu, que ce sentiment m'avait manqué ! Je l'avais ressenti en Turquie, en Iran, au Tadjikistan, en Russie... et le revoilà, brut et sans fard.

À ce moment précis, j'avais compris pourquoi j'étais parti et ce que j'étais venu chercher. Tout était clair, limpide, évident.

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Ces êtres enrichissants

Une dernière chose que j'étais parti chercher, ce sont ces rencontres passionnantes et singulières. Contrairement aux rencontres de la route qui sont le fruit du hasard, je parle ici des rencontres de locaux qui m'ont accueilli chez eux une ou deux nuits (Couchsurfing, Warmshowers...). Quelle scène plus favorable que celle-ci pour dépasser la rencontre superficielle citadine ? On passe vite le très stérile : "Et toi, tu fais quoi dans la vie ?".

Ici, l'idée n'est pas de s'afficher tel que l'on voudrait être vu. Ici l'idée est de se montrer en toute transparence chez des gens que l'on ne connaissait pas le matin même. Ils ne nous connaissent pas encore, ils ne jugent pas, affirment leurs propres valeurs, leurs propres personnalités, et se montrent eux-mêmes à nu. Pas besoin de masques, ils ne servent à rien. Alors la rencontre est si simple, et on les quitte comme on quitterait des amis proches !

Ces personnes si différentes nous offrent à voir un monde que l'on ne connaissait pas encore, sous un angle que l'on n'avait encore jamais envisagé. C'est passionnant ! On a la sensation ensuite qu'une partie de nous-même s'agrandit. Notre angle de perception du monde est passé de 90° à 180°.

Bien sur, chaque rencontre est différente, et certaines ne fonctionnent pas (pas de connexion, malaises, moments forcés...). Mais je crois pouvoir dire que j'ai toujours su tirer un enrichissement et une expérience de chacune de ces rencontres.

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Voilà, vous savez et je sais maintenant pourquoi je suis parti braver le froid. Parfois, il suffit de quitter un moment sa zone de confort pour trouver ce que l'on cherche inconsciemment. C'est pourtant si simple. Simple et très difficile.

Mais ça vaut le coup, c'est toujours une fois rentré qu'on le comprend vraiment.