Un réveil tardif dans le ronronement du chauffage du gymnase. Il fait beau dehors. On est quelques un à avoir dormi là. Nous sortons à la recherche d'un café et d'un marchand de savon. On avait oublié le savon. L'un de nos colocataires du gymnase nous accompagne, il s'appelle Phillippe et il est Allemand. Nous nous installons sur une terrasse ensoleillée, commandons des cafés et entamons nos provisions en guise de petit déjeuner. Nous sommes rejoints par deux nouveaux amis : Nahuel et Lina. C'est fou comme on peut tomber instantanément en amitié avec quelqu'un. J'ai l'impression de les connaître depuis longtemps et qu'on s'était donné rendez-vous au festival après des années sans se voir. D'une manière complètement naturelle nous partageons nos victuailles avec les nouveaux venus. Au bout de quelques minutes nous sommes en train de taper en rythme sur la vaisselle comme des punks à chiens déchirés en fin de nuit blanche de fin de teuf tek. Le goût musical en plus. Les pauvres sont arrivés en stop depuis Tours, ils ont mis vingt-quatre heures à faire le trajet. Brrr.
Nous errons dans le village à la recherche d'un marchand de savon, et tombons par hasard sur un boeuf au soleil sur une terrasse de café. Il y a les mêmes nanas qu'hier soir, et je m'incruste avec beaucoup de plaisir. On discute bourrées, répertoire Morvandiau, collectages, revivalisme et anciens. J'apprends l'éxistence d'un vieux violoneux qui a l'époque menait un bal itinérant. Il montait son truc, et il jouait dans les bleds. Le bal avait une partie "trad" (du moins ce que nous appelons aujourd'hui trad) pour les anciens, et une partie musette animée par son frère à l'accordéon, pour les jeunes. Ce mélange a donné lieu à des compositions d'airs originaux, influencés par les deux répertoires. Ce n'est pas le répertoire préféré d'Aline, mais comme elle dit "ya ça". On est rejoints par deux jeunes violonistes très timides, qui proposent quelques airs chouettes que nous reprenons tous ensemble.
Après avoir enfin trouvé du savon, Rosie et moi partons au gymnase nous laver et faire une sieste. Je crois qu'elle n'est pas encore tout à fait remise de sa cuite de jeudi dernier. Brest...
Il y a un boeuf dans "la salle du bas", mais c'est assez douloureux à entendre, donc nous allons prendre notre service un peu en avance au bar de la salle du haut. Pierre Hervé, vigneron violoniste moustachu et bonhomme nous fait goûter son chardonnay. Ca c'est de l'accueil. Il ne se passe pas grand chose pendant ces deux heures car tout le monde est sur la place de la mairie, où il y a une distribution de vin chaud et où l'on joue du violon. Mais le chardonnay est bon, et Pierre est de bonne compagnie. On traine un peu pendant que les concerts commencent.
Les Kawa brothers sont un mélange de musique Indienne, Irlandaise, Africaine, Gnaoua (enfin ils ont un guembri quoi, ils font pas de la musique gnaoua avec) et un peu balkanique. Sur la route avec Rosie on jouait à imaginer les pires mélanges culinaires possibles avec seulement deux ingrédients : Glace à la vanille avec de la sauce piquante, des fraises en daube... Avec ce groupe, c'est comme si ils jouaient à ça mais avec tous les ingrédients à la fois. Du coup ça ne ressemble plus à rien, et je trouve ça dommage. Il y a ensuite un concert de musique Indienne avec Tabla chant et guitare basse. Là par contre ça marche beaucoup mieux, il y a vraiment eu rencontre entre les porteurs de culture.
La partie bal commence, et là c'est vraiment chouette. Il y a un duo violon-cornemuse superbe : Raibaud-Bibonne. Les deux musiciens sont parfaitement en phase l'un avec l'autre, les sons des deux instruments se marient à merveille, les arrangements sont uniquement basés sur la mélodie. Il n'y a pas d'accords, de deuxièmes voix, de fioritures inutiles. Tout est tourné vers la mélodie, le groove de la danse, l'unisson avec les danseurs et la texture du son. Comme du sirop énergisant qui coule directement dans notre gorge, un peu sucré mais juste acide comme il faut et pile à la bonne température pour que ce soit agréable.
Un autre duo accordéon-harmonica, sur le même principe. Ils sont bien les musiciens dans le coin ! Je retrouve mes habitudes de danseur de mazurkas et mon coeur s'enflamme trois cent quarante sept fois par minute pour des sourires, des bras, des yeux. Je me rappelle pourquoi j'avais cessé de danser il y a quelques années : ça fait trop mal. Je ne peux pas danser en armure. Mes pieds et mes mains deviennent des extensions de mon coeur, qui dès qu'il est effleuré par une main féminine, s'enflamme comme une écorce de bouleau dans la neige du Kamouraska. Heureusement Rosie est là pour me remettre dans la réalité et me dire de me calmer.
Vers quatre heures du matin le boeuf commence avec les violonistes qui sont là. Il y a Aline et ses deux amies, Perrine Bourel la fille la plus class du monde après Perrine Lagrue, un gars avec un violon piccolo qui joue tout à l'octave au dessus. Ca sort des airs superbes, avec des grooves d'alien pour mes oreilles formatées à l'hanter dro. Ils ont une manière de faire groover les valses qui me dépasse complètement. Une manière de décontraction tonique, comme un ressort mou qui rebondit toujours quand même en rythme. La fatigue aidant j'abandonne l'idée d'apprendre tout le répertoire du Morvan en une soirée, et nous rentrons avec Rosie nous coucher. Il est cinq heures, mon coeur de danseur s'apaise un peu, mes doigts de violoniste sont fatigués, mes idées de musicien-voyageur fleurissent.