Un voyage vers le centre france, et le festival du violon de Luzy, par un violoniste breton.
Du 14 au 18 février 2019
5 jours
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Flore, ma chère Flore. Je suis invité à danser au "Bal qui pique", à Melle en Vendée. Il y a là bas aux dires de Flore, une fille qui sera ravie de briser ma solitude amoureuse. Je clique sur le programme, puis la magie d'Internet faisant son traditionnel numéro de zapping, je tombe sur l'affiche du festival du violon de Luzy qui a lieu demain. Luzy ? C'est où ? Violon ? Festival ? Ni une ni deux, j'envoie un message à Rosie ma copine zébrée Brestoise sympathisante du festival de violons de Plounéour-Menez. Je sais que c'est une personne qui aime les aventures, et qu'elle a pourtant prévu de regarder le tournoi des six nations dans son bar préféré ce week-end. L'équipe de France de rugby ne fait pas le poids contre moi. Rosie abandonne l'idée de voir trois tonnes de muscles courir derrière une panse de brebis, et adopte celle de faire deux mille kilomètres pour écouter des crins de chevaux crisser sur des boyaux de chats.


Un petit coup de fil à l'organisateur, ils cherchent des bénévoles de dernière minute. Nous serons de service au bar demain soir. Le meilleur endroit pour rencontrer un festival.

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Je me réveille chez mes parents. J'ai du faire une petite cure de remise en forme après une période de travail très intense, à coups de baume au coeur et d'amour maternel. La maison de mes parents, c'est un endroit où l'on arrive avec un sac de linge sale et dont on repart avec un pique-nique "pour la route". Je roule sans histoire jusqu'à Rennes, y retrouve Rosie a Villejean. Rosie est ma grande amie violoniste Anglo-Brestoise, dont j'apprécie fortement la compagnie. Nous avons une relation purement amicale, c'est posé comme ça et c'est très bien. Ce ne sera pas un voyage amoureux, simplement un voyage musical.


Après quelques heures de conduite pendant lesquelles Rosie, hungover, dort, nous faisons une escale dans une aire de repos autoroutière. C'est les vacances et plein d'animations sont proposées. Nous descendons une piste de ski en réalité virtuelle, discutons avec un chauffeur de chasse-neige qui vient montrer son engin et recevons une proposition pour faire vérifier nos pneus. Je vole un kinder surprise, presque sans faire exprès, en rencontrant une maman et sa fille que j'avais connu lors d'un stage donné par Amari Famili il y a quelques années. Toutes les deux sont d'une beauté hypnotisante. Ce sera peut être un voyage amoureux finalement ? En tous cas mon coeur fonctionne bien.


Je me rends compte que j'ai une vision géographique de la France tout à fait basique. En gros tout ce qui est après Rennes, tout ce qui sort de la Bretagne, est en Terra Incognita. Nous arrivons donc à un moment, quelque part sur la route entre Rennes et Luzy, à l'auberge du cheval blanc. C'est le maximum de précision que je pourrai vous donner. On y rencontre Malika la patronne nouvellement installée, qui nous accueille dans cette vieille bâtisse très bien retapée et propre comme tout. Un couple de musiciens passe boire un café. Ils ont fait un concert ici la veille pour la saint Valentin. Lui aux synthétiseurs avec orchestrations automatiques, et elle au chant.


Le bâtiment dit-on, a hébergé des réunions clandestines de résistants pendant la guerre et revêt de ce fait un lustre héroïque, et mystérieux. De part son nom et sa situation juste au bord de la nationale dont le tracé rectiligne rappelle celui d'une voie romaine, je me dis que cet établissement a du être un relai de diligences ou une auberge pour voyageurs depuis bien avant les deux guerres. Elle a du voir passer des soldats portant toutes sortes d'uniformes, les pieds fatigués d'avoir marché sur cette longue route droite qui va de Rennes à Luzy.


Après un sandwich à l'omelette et un café, nous repartons vers notre but. Nous traversons des villages aux volets fermés, sous un ciel qui commence à rougir. Les paysages se vallonent, les rivières nous suivent, parallèles paresseuses, nous croisent en perpendiculaires fugaces et s'enfuient en méandres, comme des turbulences de nous avoir trop approchés. Je retrouve les sensations des vacances en voyages avec mes parents, dans le camping car familial. Nous nous arretions sur des places de villages anonymes, où les gens jouaient aux boules sous les platanes et où maman commandait un Perrier tranche. Cet air exotique et pourtant tellement "Français", avec les publicités peintes sur les pignons. On n'était déjà plus à la maison.


A notre arrivée à Luzy, il fait nuit. Nous rencontrons Gaelle, la cheffe des bénévoles qui nous emmène d'abord faire un petit boeuf pour commencer tranquillement le festival. Nous sommes surexcités, en plein effet cométéguédeur, on discute gastronomie, géographie, altitude (on est pile à la hauteur du point culminant de la Bretagne), tuiles rondes ou tuiles plates, terroirs Morvandais, et on joue des bourrées. La vie est plutôt belle. Nous passons notre soirée entre le bar où nous sommes bénévoles, et la salle de concert où jouent le cabaretele d'Amit Weisberger mon vieux brigand d'ami d'abord, puis le duo Mihai et ce violoniste roumain de Nantes dont j'oublie le nom, au cymbalum et au violon, avant de terminer par Bal'o Gadjo. Nous dansons sur ce dernier groupe qui propose des danses néo-folk classiques sur des musiques tournées vers les balkans fortement réarrangées et re-stylées. Les voix sont magnifiques, les danseuses aussi, et je danse une bourrée mémorable avec Amit.


S'ensuit un boeuf de violonistes dans le bar, je découvre les mélodies locales qui se ressemblent un peu toutes au premier abord. Puis quand l'accordéoniste laisse sa place, j'entends mieux les violons et la finesse mélodique qu'ils distillent. Tiens, il est quatre heures du matin. Le Gabriel qui nous avait promis le gite pour la nuit est visiblement trop saoul pour nous y emmener, mais il paraît qu'il y a un gymnase qui accueille ceux qui veulent y dormir. Nous finissons par le trouver, et posons nos sacs pour la nuit. On est bien, je sens que le festival sera beau.

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Un réveil tardif dans le ronronement du chauffage du gymnase. Il fait beau dehors. On est quelques un à avoir dormi là. Nous sortons à la recherche d'un café et d'un marchand de savon. On avait oublié le savon. L'un de nos colocataires du gymnase nous accompagne, il s'appelle Phillippe et il est Allemand. Nous nous installons sur une terrasse ensoleillée, commandons des cafés et entamons nos provisions en guise de petit déjeuner. Nous sommes rejoints par deux nouveaux amis : Nahuel et Lina. C'est fou comme on peut tomber instantanément en amitié avec quelqu'un. J'ai l'impression de les connaître depuis longtemps et qu'on s'était donné rendez-vous au festival après des années sans se voir. D'une manière complètement naturelle nous partageons nos victuailles avec les nouveaux venus. Au bout de quelques minutes nous sommes en train de taper en rythme sur la vaisselle comme des punks à chiens déchirés en fin de nuit blanche de fin de teuf tek. Le goût musical en plus. Les pauvres sont arrivés en stop depuis Tours, ils ont mis vingt-quatre heures à faire le trajet. Brrr.




Nous errons dans le village à la recherche d'un marchand de savon, et tombons par hasard sur un boeuf au soleil sur une terrasse de café. Il y a les mêmes nanas qu'hier soir, et je m'incruste avec beaucoup de plaisir. On discute bourrées, répertoire Morvandiau, collectages, revivalisme et anciens. J'apprends l'éxistence d'un vieux violoneux qui a l'époque menait un bal itinérant. Il montait son truc, et il jouait dans les bleds. Le bal avait une partie "trad" (du moins ce que nous appelons aujourd'hui trad) pour les anciens, et une partie musette animée par son frère à l'accordéon, pour les jeunes. Ce mélange a donné lieu à des compositions d'airs originaux, influencés par les deux répertoires. Ce n'est pas le répertoire préféré d'Aline, mais comme elle dit "ya ça". On est rejoints par deux jeunes violonistes très timides, qui proposent quelques airs chouettes que nous reprenons tous ensemble.


Après avoir enfin trouvé du savon, Rosie et moi partons au gymnase nous laver et faire une sieste. Je crois qu'elle n'est pas encore tout à fait remise de sa cuite de jeudi dernier. Brest...


Il y a un boeuf dans "la salle du bas", mais c'est assez douloureux à entendre, donc nous allons prendre notre service un peu en avance au bar de la salle du haut. Pierre Hervé, vigneron violoniste moustachu et bonhomme nous fait goûter son chardonnay. Ca c'est de l'accueil. Il ne se passe pas grand chose pendant ces deux heures car tout le monde est sur la place de la mairie, où il y a une distribution de vin chaud et où l'on joue du violon. Mais le chardonnay est bon, et Pierre est de bonne compagnie. On traine un peu pendant que les concerts commencent.


Les Kawa brothers sont un mélange de musique Indienne, Irlandaise, Africaine, Gnaoua (enfin ils ont un guembri quoi, ils font pas de la musique gnaoua avec) et un peu balkanique. Sur la route avec Rosie on jouait à imaginer les pires mélanges culinaires possibles avec seulement deux ingrédients : Glace à la vanille avec de la sauce piquante, des fraises en daube... Avec ce groupe, c'est comme si ils jouaient à ça mais avec tous les ingrédients à la fois. Du coup ça ne ressemble plus à rien, et je trouve ça dommage. Il y a ensuite un concert de musique Indienne avec Tabla chant et guitare basse. Là par contre ça marche beaucoup mieux, il y a vraiment eu rencontre entre les porteurs de culture.


La partie bal commence, et là c'est vraiment chouette. Il y a un duo violon-cornemuse superbe : Raibaud-Bibonne. Les deux musiciens sont parfaitement en phase l'un avec l'autre, les sons des deux instruments se marient à merveille, les arrangements sont uniquement basés sur la mélodie. Il n'y a pas d'accords, de deuxièmes voix, de fioritures inutiles. Tout est tourné vers la mélodie, le groove de la danse, l'unisson avec les danseurs et la texture du son. Comme du sirop énergisant qui coule directement dans notre gorge, un peu sucré mais juste acide comme il faut et pile à la bonne température pour que ce soit agréable.


Un autre duo accordéon-harmonica, sur le même principe. Ils sont bien les musiciens dans le coin ! Je retrouve mes habitudes de danseur de mazurkas et mon coeur s'enflamme trois cent quarante sept fois par minute pour des sourires, des bras, des yeux. Je me rappelle pourquoi j'avais cessé de danser il y a quelques années : ça fait trop mal. Je ne peux pas danser en armure. Mes pieds et mes mains deviennent des extensions de mon coeur, qui dès qu'il est effleuré par une main féminine, s'enflamme comme une écorce de bouleau dans la neige du Kamouraska. Heureusement Rosie est là pour me remettre dans la réalité et me dire de me calmer.


Vers quatre heures du matin le boeuf commence avec les violonistes qui sont là. Il y a Aline et ses deux amies, Perrine Bourel la fille la plus class du monde après Perrine Lagrue, un gars avec un violon piccolo qui joue tout à l'octave au dessus. Ca sort des airs superbes, avec des grooves d'alien pour mes oreilles formatées à l'hanter dro. Ils ont une manière de faire groover les valses qui me dépasse complètement. Une manière de décontraction tonique, comme un ressort mou qui rebondit toujours quand même en rythme. La fatigue aidant j'abandonne l'idée d'apprendre tout le répertoire du Morvan en une soirée, et nous rentrons avec Rosie nous coucher. Il est cinq heures, mon coeur de danseur s'apaise un peu, mes doigts de violoniste sont fatigués, mes idées de musicien-voyageur fleurissent.

4

Réveillés bien tard dans le gymnase et son chauffage bourdonnant. Rosie est un petit peu malade, elle a eu froid toute la nuit. Elle me dit que sa voix s'en va, et effectivement elle sonne comme un t-rex. En trainassant vers le centre ville en compagnie de Philippe, nous croisons Nina qui nous accompagne dans les petites ruelles. La vie coule doucement et nous nous baladons tranquillement au soleil.


Pendant que les stagiaires du festival se préparent dans la grande salle, nous boeuffons paisiblement au soleil avec un anglais nommé Ritchie qui joue du ukulélé, un banjoïste, un joueur de violon-trompette (le même qui avait le violon piccolo), Nina et moi pendant que Rosie s'allonge à l'ombre. On joue des grands classiques du bluegrass (O susanna, flop eared mule etc...) tranquillement et assez mal. Une petite synergie se crée quand même avec Nina et on s'amuse à faire des twin fiddle façon Steve Reich.


Au moment de ranger les clous j'aperçois la tête d'une contrebasse là haut, derrière le muret du parking. J'y fonce, et nous jouons quelques morceaux de jazz manouche avec les élèves luthiers de Mirecourt venus exposer leurs instruments pendant le festival. Il fait beau, nous sommes paresseux, tout va bien.


Les élèves des stages de violon du festival jouent dans la grande salle les morceaux qu'ils ont appris, devant parents et amis patients et pleins d'empathie. Visiblement les niveaux des stagiaires sont très hétéroclites et certains se sentent frustrés de ne pas avoir pu avancer autant qu'ils l'auraient voulu. C'est un peu pour ça que je ne me suis pas inscrits aux stages. Ca et mon compte en banque au bord de l'arrêt cardiaque.


La bande de violons du Morvan, les organisateurs de tout ça, clôturent le festival par quelques airs. Nous dansons joyeusement les dernières bourrées, valses, mazurkas, cercles et autres rondos, avant de dire au revoir à tout le monde : Pierre, Aline, Benoit, Philippe, Gaelle, Ritchie, les élèves luthiers, les ecossais, et tous les autres.


Nous avons réussi à trouver une maison accueillante pour passer la nuit plus confortablement qu'au gymnase, et en compagnie de Nina, Nahuel, Camille et Marine nous nous retrouvons à éplucher des légumes dans la cuisine d'Hélène. Une soupe et quelques bières plus tard nous boeuffons gaiement dans le salon à trois violons et un alto avant d'aller se coucher.

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Journée route ! Après avoir chargé la voiture au maximum, nous partons à cinq dans ma polo en direction d'un petit village tout proche : Poil. On rit pendant toute la route à l'idée de se prendre en photo à Poil, de boire un café à Poil, de voir des gens à Poil etc... Une fois arrivés nous nous prenons en photo devant le panneau d'entrée du village, en solo, à deux, à trois. J'ai rarement rarement autant ri que ce matin là. Nous passons devant l'auberge de Poil pour pouvoir dire qu'on a bu un café à Poil, mais c'est fermé et nous continuons notre chemin.



Rosie et moi, à Poil

La route est longue, mais l'équipée est surexcitée et pleine d'entrain. Nous nous passons les pires morceaux de musique que nous connaissons. Constipation Blues de Screamin' Jay Hawkins est un monument de gêne. L'hymne de la campagne de Jacques Chirac pour les éléctions municipales de Paris est merveilleux. Je fais découvrir "There's a cat licking your birthday cake" à mes passagers, et la chanson a un franc succès.


De longues conversations et quelques arrêts pipi plus tard nous arrivons à Tours où nous faisons escale autour d'un verre chez Marine, avant de repartir vers Morlaix en duo avec Rosie. Notre entrain s'estompe avec la fatigue, et nous ne sommes pas fachés d'arriver chez moi aux alentours de minuit. Nous nous écroulons avidement sur nos lits.


Le lendemain je dépose Rosie sur une bretelle de la quatre voies vers Brest, elle rentre chez elle en stop et je me retrouve seul chez moi, avec une lessive à lancer et de la vaisselle à faire.