5h du mat', les yeux s'ouvrent. Il fait encore nuit. Sortir du lit, pousser les volets (je les ferme car sinon les chauve souris viennent faire la nouba), s'émerveiller des étoiles fixes dans le ciel (pas celles en mouvement inutile de SpaceX). Descendre avec vigilance l'escalier casse-gueule de cette maison de poupée. Se diriger vers la cafetière comme un automate. Premier café sur la terrasse légèrement éclairée par les leds neuves de l'éclairage communal. Et la question indispensable de chaque matin depuis toujours : comment remplir cette journée pour en profiter au maximum ? Aller rouler avant qu'il ne fasse trop chaud ? Bof, pas trop l'goût. Petit déj: œufs au plat, fromage du pays, purée de sésame, pain du village, du concentré d'énergie.
Second café.
Remonter l'escalier, allumer le PC. Réponse aux mails professionnels, c'est vite fait en ce moment, c'est la période calme. Puis on se balade sur internet, veille commerciale pour rester au contact, puis errance sur Facebook où curiosité pro et perso se mêlent.
Un épisode de Télé Livradois Forez Reportage me fait découvrir les Pierres Folles de Fournols. Il faut aller voir ça. Maintenant.
Préparation du vélo et du bonhomme rapide, et c'est parti pour la descente fraîche par le bois du Pirou. Les roues arrivent dans la plaine, le soleil cogne déjà. Zut j'ai oublié de me oindre de crème solaire, je vais encore avoir les mollets tout rouges comme un bon chtimi perdu au Grau du roi.
Traversée d'Ambert, il est environ 8h30. Les travailleurs et leurs enfants se rendent à leur tâches imposées dans leurs petits corbillards en métal, outils de déplacement indispensables ici pour appliquer sa condition d'esclave du gagne pain indispensable. Les contraintes horaires qui fixent les règles, empêchent de prendre le temps d'apprécier le temps qui passe. Richesse de la vie sociale ou liberté solitaire, difficile équilibre. Rien n'est parfait, l'essentiel sera de ne rien regretter. Je pense à Benoît, ce copain du collège qui me disait déjà qu'on se préparait à une vie de merde : aller au boulot, aller au magasin, payer les crédits. Je ne sais pas ce qu'il fait de sa vie Benoît...
J'espère qu'il n'a pas lâché l'affaire, Benoît.
Parce qu'il ne faut rien lâcher, jusqu'au bout. Même si la ligne d'arrivée est loin, faut tout mettre maintenant, pour ne rien regretter. Ça chauffe... Puisqu'on est désormais à l'étape Foutus pour foutus, profitons-en ! Mais profitons-en sans abîmer, du moins en abîmant le moins possible. En respectant. Une jouissance non égoïste, en pensant aux suivants, aux enfants, même si on a décidé de ne pas être parent.
Il faut aller voir ces Pierres. Il faut aller les voir Maintenant.
Parsemés le long de la route, les ânes de l'association ADADA qui récupère des ânes abîmés par la vie. Le Livradois est un joli refuge pour les âmes et les ânes abîmés.
Les jambes ont envie d'appuyer sur les pédales ce matin, même si les muscles ne sont pas au top du top, c'est pas pire. J'avais perdu la motiv' depuis la fin de la Via Piodiensis. L'entrée dans l'été, la seule saison que je n'aime pas. Je me suis forcé à aller à Paris-Brest-Paris, sans envie. Bon il n'y a rien à regretter, toute expérience est bonne à prendre, et puis ce n'est qu'un tour de vélo, pas d'enjeux. J'ai un projet en tête pour finir la saison sur un truc qui me correspond mieux. J'attends qu'il fasse moins chaud. Le faire et en parler seulement après, ça évitera de passer pour un naze. On s'en fout d'abandonner un truc de vélo, mais ce n'est jamais agréable de devoir expliquer. Et surtout de recevoir ces mots prononcés, certes de bonne intention, genre "un abandon c'est courageux", "tu as surtout appris", "tu seras plus fort pour la prochaine", bref des mots qu'on pourrait trouver dans un bouquin de développement personnel à 2 balles sur Amazon, vides de sens.
Je ne crois pas que c'est en voulant faire plaisir aux gens qu'on les aide. On le fait, certes, parce qu'on les aime, mais on se fait surtout plaisir à soi-même, plaisir oblatif autocentré. On ne le fait pas vraiment pour eux. Si on veut les aider il faut leur dire la vérité, ça peut être très rude parfois, mais c'est comme ça qu'ils avancent. Enfin, c'est ce que je crois. Pas sûr.
Et pourtant, c'est difficile de reprocher à quelqu'un d'agir par amour, compliquée cette histoire. Genre de position qui peut créer des incompréhensions.
Dur ce sentiment d'être incompris parfois. Un con prit.
C'est comme la sensibilité à la nécessaire écologie (écologie : "prendre soin de la maison") que l'on a, pour certains, depuis des lustres, et qui est découverte aujourd'hui, bien que trop tard, par beaucoup.
Alors on observe leur chemin, leur prise de conscience qui crée de la peur, la phase de compréhension des difficultés à venir qui fait mal. C'est beaucoup plus facile pour ceux qui ont la conscience de ces enjeux depuis longtemps. Ils ont accepté la situation et sont en mode "Foutus pour Foutus, pas de place au pessimisme qui gèle l'action". Se mettre en mouvement, agir comme on peut pour garder l'énergie, la tête hors de l'eau pour profiter au maximum de l'oxygène qu'il reste.
"Foutus pour foutus, au moins on aura essayé". Bel épitaphe, belle raison de continuer à construire, agir, se concentrer sur le positif, tenter d'essaimer à son petit niveau.
Les Pierres Folles sont faciles à trouver, posées tranquillement dans une clairière lumineuse. Le panneau touristique qui émet des hypothèses, mais surtout qui explique grosso modo qu'on ne sait rien sur ces pierres, comme devant tous les mégalithes que je visite 😀 . Et pourquoi vouloir expliquer ? Posons nos cerveaux et recevons simplement leur énergie, apprécions leur beauté.
Une cupule de taille remarquable, attise le questionnement, quand même...
Rejoindre la route, suivre l'itinéraire. Les maisons de pierres sont belles, les forêts protectrices de peaux blanches, les prés et les vaches allongées apaisants. Cette région est gaie. On a parfois l'impression, au détour d'un hameau, que le temps s'y est arrêté il y a quelques dizaines d'années. Ne pas sombrer dans la nostalgie, mais conserver la valeur de savoir apprécier les choses simples essentielles. "La tradition sans modernité est stérile, la modernité sans tradition est aveugle."
Descente super agréable, avec les Monts du Forez en toile de fond, les couleurs de la Montagne de Monthiallier incroyables en toute saison. Traversée d'Ambert un peu avant midi, je croise Laurent, on échange quelques mots. A peine plus de 2 ans que je vis ici et je croise quasiment toujours quelqu'un que je connais à la bourgade. Et après les gens des villes pensent qu'on se morfond dans nos solitudes et notre ennui rural...
Remontée sur le Massif du Forez, direction Valcivières. Valcivières, que je ne connaissais quasiment pas avant d'y acheter la maison. C'est essentiellement le nom de ce village sur la carte, qui me parlait depuis des années, qui m'a attiré précisément ici. Mais on achète pas une maison sur un nom... Bah si. Se laisser guider par les vibrations, les émotions, les emballements du cœur, par l'inexplicable que l'on comprend après. Bonne pioche sur ce coup-là.
Appuyer sur les pédales dans la montée, emballement explicable du cœur.
"
Mon cœur
Mon cœur
Mon cœur
Ces jeunes déjà fatigués
Par les coups qui te détraquent
Pas une fois, elle t'a quitté
Cette foutue envie de te battre
Fais sauter le moniteur
Mon cœur
Un, deux, trois, je te crois
Quand tu portes à bout de bras
Ta force et ta foi
Alors que tout autour de toi
S'écroule et se crache
Ce pourquoi l'on vivait"
Izia, Mon coeur.
Cette région est gaie et c'est pour ça que j'ai voulu y revenir, pour y vivre la joie et rencontrer des âmes en quête de joie. C'est du boulot la joie, ça demande des efforts la joie, c'est pas toujours facile à partager la joie.
Mais à quoi bon faire autre chose qu'essayer ?
Les Pierres Folles y arrivent bien depuis des millénaires...