Carnet de voyage

Trek dans les Highlands

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Ici je vous partage le récit de mon premier long trek en autonomie. Et quoi de mieux que les contrées brumeuses d'Écosse pour commencer !
Avril 2022
8 jours
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15H41. La journée est déjà bien entamée mais ça y est. Me voilà faisant les premiers pas d'une aventure qui s'annonce épique.

Déjà plusieurs semaines que je me prépare pour le West Highland Way, en Écosse, contrée mystique et terre de légendes. Le sentier, d'une longueur de 157km, part de Milngavie aux abords de Glasgow et montre son bout à Fort William, au pied du plus haut sommet du Royaume-Uni, Ben Nevis ! Allez, suivez-moi : je vous embarque dans mon premier trek longue distance.

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Top Départ ! Je quitte la mignonne petite bourgade de Milngavie et traverse la campagne du East Dunbartonshire. Je dois avouer que ces 19 premiers kilomètres sont peu physiques, ce qui me permet de prendre le temps d'ajuster les sangles de mon sac à la morphologie de mon dos. Au croisement de deux sentiers, mon regard se pose sur un écriteau en bois encourageant le randonneur : " Bravo, il ne vous reste plus que 152km! "

Après un premier bivouac venteux, je remercie ma tente trois saisons de ne pas m'avoir lâché. Cette seconde étape de mon périple me mène à l'une des innombrables merveilles du pays : Loch Lomond. Vaste il l'est. Profond encore plus. Ses 36 Km de long font de lui la plus grande surface d'eau douce du Royaume-Uni tandis que son point le plus abyssal se trouve à 190 mètres sous la surface. Mais ce Loch est réputé pour une toute autre affaire... Saviez-vous que la petite île de Inchconnachan abrite des wallabys ? Il y a 80 ans de cela, la Comtesse d'Arran s'est amourachée de ces marsupiaux et a exigé d'en rapporter depuis l'Australie ! Pas la peine de partir si loin pour voir des kangourous en liberté. Mais revenons à nos moutons. Cette seconde étape sur la rive du plus profond Loch d'Écosse sera longue. Et technique. Longue puisque j'arpenterai la rive Est du sombre loch pendant deux jours. Technique puisque la berge fourmille de traîtres racines prêtes à vous rompre chevilles et malléoles. Un moment d'égarement et l'aventure s'arrêterait.

Les berges glissantes du Loch Lomond enfin derrière moi, je décide de continuer ma route jusqu'au petit bourg de Tyndrum. Ici, je trouve tout le confort dont j'ai besoin après ces quatre premières journées de marche. Petit café et fish'n chips en bord de route, supermarché pour se ravitailler en matos. Je profite même du confort d'une micro-cabine pour la nuit. Mes pieds endoloris en avaient besoin.

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Sur la Rive Nord du Loch Lomond, une maison en ruine d'un temps oublié...
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Les muscles fatigués, je mets à profit de me trouver dans cette minuscule bourgade pour faire une pause dans mon périple. Après une bonne nuit de sommeil au chaud (quoique le confort fût spartiate), je décide de faire un petit détour par le Loch Awe, hors des sentiers battus du WHW. J'avais eu écho d'un château en ruine au bord de l'eau qu'il me fallait voir de mes propres yeux. Les lieux m'ont de suite saisi. Niché sur la rive Nord du plus long loch d'Ecosse, le Château de Kilchurn se dresse là, d'un délabrement majestueux, couronnée par les monts brumeux du comté D'Argyll and Bute. Edifié au milieu du 15e siècle, il appartenait au clan Campbell de Glenorchy.

Après avoir passé la journée à prendre des clichés de cette perle hantée, bivouaquer sur place sonna comme une évidence. La couleur châtaigne des sommets qui m'entourent magnifie cette vallée qui ne sait pas encore que nous sommes au printemps. Le gris argile du lac se mêle au gris ardoise du donjon créant une délicate union entre eau et pierre. Parachevant cette symphonie des gris, les nuages couleur platine s'amoncèlent sans pour autant mettre leur menace à exécution. Enfin, le doux clapotis de l'eau et les bêlements des moutons pour voisins finirent de me bercer en cette mélodieuse soirée d'Avril.

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N'ayez pas peur des fantômes..
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Après cette halte, je repris le sens de la marche. Direction Bridge of Orchy en cette cinquième journée où après une douzaine de kilomètres, je me rassasiai devant un bon Haggis fumé, le plat national des Scots.

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Mmhh..de la panse de moutons farcies !
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La panse pleine, je continue ma route. La motivation est toujours là, le moral aussi. Il va m'en falloir. Car je m'approche de l'étape la plus déboussolante du périple. C'est ainsi que bois et vallons laissent subitement place à une vastitude de marais et tourbières dans laquelle mes yeux ne savent plus où donner de la tête. Avec 130 Km² de landes marécageuses, Rannoch Moor peut se targuer d'être la plus grande étendue sauvage des îles britanniques ! Rannoch Moor c'est aussi la plus vaste zone blanche d'Europe : dans ce désert spongieux, pas la moindre habitation, pas de route, pas de Wifi sur des miles et des miles. En d'autre termes, pas d'humain. Passer les prochaines 24 heures dans cette lande désolée, dépeuplée, déconnectée m'intimide. Mais arpenter cet espace sauvage prodigue aussi à mon âme vagabonde la réjouissance de se camoufler d'un monde où disparaître des radars est devenu un luxe.


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 Rannoch Moor, plus vaste étendue sauvage d'Europe.
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Traverser cette contrée désolée m'a coupé le souffle. Comme un petit être perdu au milieu du temps suspendu, j'avance, j'avance, j'avance. Là où l'humain n'a jamais pu fixer ses propres règles, il m'arrive de croiser un autre voyageur errant sur ces plaines hostiles. Et malgré tout, la chance me sourit. Je parviens à dégotter un endroit sec pour monter la tente.

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Vue sur River Ba depuis Rannoch Moor Bridge. 
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Énième lever sous la tente. Je ne sais plus trop combien de jours de marche j'ai dans les pattes. 5 ou 6. A moins que ça soit 6 ou 7. Même rituel : thé, barre énergétique et paquetage du barda. Je me rend compte de la chance d'être là, au milieu de nulle part et chaque journée est plus fascinante que la précédente. La suite ne viendra pas démentir cette dynamique.

En matinée, je parviens à m'extraire de la tourbe gluante de Rannoch Moor. Mes chaussures, elles, n'ont pas eu cette chance. La tourbière a littéralement avalé mes deux semelles (que j'ai ramassées) ! Désormais je marche sur une fine couche de cuir qui sépare le derme de mes pieds de la croûte des Highlands.

Le Blackrock Cottage marque le retour à la civilisation. Ses murs épais et ses deux cheminées blanches contrastent avec son toit noir mais c'est bien le titan juste derrière la demeure qui captive le regard. Il est des merveilles de la nature qui désemparent l'Homme. Buachaille Etive Mor, littéralement le " Grand Berger d'Etive " est l'une de celles-ci. Cette montagne de forme pyramidale tranche avec l'horizon. Elle tranche aussi de par son allure. C'est simple : on la disposerait aux côtés de mille autres pics que l'on parviendrait aisément à la reconnaître. La montagne bergère marque ainsi l'entrée dans la mythique vallée de Glencoe.


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 Propriété du Ladie's Scottish Mountain Club, Blackrock Cottage marque mon entrée dans Glencoe.

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 Buachaille Etive Mor alias le berger de la montagne.
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La A82 serpente dans ce massif des Monts Grampians qui constitue la chaîne la plus élevées des îles Britanniques. Buachaille Etive Mor culmine à 1021 mètres d'altitude. Plus à l'Ouest, Beinn Fhada (931m), Gearr Aonach (692m) et Aonach Dubh (862m) forment les célèbres Three Sisters, carte postale des Highlands.

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Popularisée par un espion tout en séduction, la vallée de Glencoe est bien plus que le lieu de tournage de Skyfall, sorti dans les salles obscures en 2012. Le glen regorge d'endroits secrets. Au sommet des Three Sisters, montagnes iconiques de la région, se terre un plateau caché, perché entre les pics enneigés et à l'écart du tracé officiel du WHW. L'alcôve granitique sera ma prochaine halte pour la nuit. L'ascension n'est pas longue mais éprouvante. Au bout d'une heure, un énorme bloc me barre le chemin. Je finirai l'heure suivante en crapahutant, " scrambling " en anglais. Cette activité sportive est très populaire dans les massifs britanniques et je me réjouis de m'adonner à la discipline dans pareils lieux. Arrivé en haut, la Hidden Valley se présente comme un plateau cerné par une pléiade de ruisseaux coulant depuis les parois rocheuses de Gear Aonach et Beinn Fhada. Le spectacle est mystique dans cette vallée glaciaire qui aurait permis aux MacDonald de cacher le bétail volé. Je mesure la chance de pouvoir poser ma tente dans cette vallée secrète, mienne le temps d'une nuit. Le silence pour seul compagnon..

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The Three Sisters, et au sommet la Hidden Valley, le temps d'un bivouac. 
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La vallée de Glencoe est devenue tristement célèbre pour avoir été le théâtre du massacre des MacDonald. Guillaume d'Orange, nouvellement Roi, exige le serment de tous les chefs de clans écossais avant le 1er janvier 1692. Suite à une série d'incompréhensions, Alasdair Maclain, chef du clan des MacDonald lui prêta serment le 6 janvier. Trop tard pour les autorités qui y virent l'opportunité d'en faire un exemple. Dans la matinée du 13 février 1692, 38 hommes seront tués sur ordre de John Dalrymple. Femmes et enfants qui tentèrent de fuir seront vite rattrapés et laissés pour morts dans le froid de Glencoe. Sanglant.

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Achnambeithach Cottage est sans nul doute la cabane la plus photographiée d'Ecosse. 
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Encore une nuit venteuse. Mais la tente tunnel a tenu. Les rituels du matin reprennent. Thé bouillant, barres de céréales. On plie le barda. Un dernier regard posé sur cette lost valley puis je retourne " à la civilisation."

Dernière ligne droite et comme un ultime défi : The devil's staircase. Cet escalier au dénivelé infernal qu'empruntent aujourd'hui les randonneurs était utilisé autrefois par les paysans qui passaient d'une vallée à l'autre pour commercer et surtout rejoindre le débit de boissons. Nombre d'entre eux peinaient à retrouver leur chemin après une nuit de beuverie..!

De l'autre côté du col, les vallons se parent d'une belle robe mordorée que l'averse du matin fait scintiller. Je profite des fraîches flaques pour y plonger ma gourde filtrante et faire le plein en eau. En contrebas, le charmant bourg de Kinlochleven a tout d'un havre de paix. Coincé sous les contreforts du massif des Mamores, ancré à l'extrémité du Loch Leven, le village ressemble à ces endroits du bout du monde que l'on n'a pas envie de quitter. C'est aussi ici que trônait la plus grande fonderie d'Europe construite en 1904. Les amateurs d'escalade, eux, viennent également s'exercer dans des conditions très réalistes au sein du centre Ice Factor.

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Cascade dissimulée de Grey Mare's Tail, près de Kinlochleven. Never stop exploring.
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Les derniers miles me feront traverser une nouvelle lande désolée sur une ancienne route militaire. La route a été construite pendant les rébellions jacobites. Ici, pas de distraction humaine. Dans ces espaces austères, mon esprit se perd et trouve une certaine quiétude. Le sentier est plat et facile. Mes pas me mènent devant une dernière chaumière en ruine, énième effigie d'une époque révolue, figée dans le passé. Je me pose longuement pour écouter le murmure des Highlands. Je sais que l'épopée touche à sa fin. Puis je trace ma route sous le ciel voilé.

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 Dernière ligne droite pittoresque à souhait !
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À portée de vue, Ben Nevis, le plus haut sommet du Royaume-Uni culmine à 1345m d'altitude. C'est aussi le signal de mon arrivée prochaine. Un écriteau qui m'indique Fort William puis les ultimes mètres sous une éclaircie. Dans les faubourgs de la ville, un jeune homme en kilt recouvert de l'audacieux tartan écossais entonne le pibroch, la célèbre sonate baroque tout droit sortie des entrailles de son imposante cornemuse. Quelle célébration ! , me dis-je.


Kilomètre 157.

I made it ! Le fameux West Highland Way est dans la poche. Bien plus qu'un sentier de longue distance, le WHW restera pour moi ce trek qui en appelle d'autres. Ce trek a haute valeur initiatique qui aura appuyé sur le bouton " marche " de la machine à explorer. Terry Pratchett a écrit " qu'on n'a jamais vraiment voyagé tant qu'on n'est pas rentré chez soi. " J'ajouterai qu'on ne connaît jamais vraiment un pays tant qu'on y a pas marché.

Vous savez quoi ? Je vais en profiter pour goûter un ou deux whisky avant de rentrer.

Sláinte !

Neyl