Y parvenir est déjà une aventure en soi. A l'écart du monde, cet archipel peu connu du grand public peut s'enorgueillir d'être l'un des derniers bastions évoquant l'authenticité des grands espaces.
Du 1 au 19 septembre 2023
19 jours
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Hébrides Extérieures. Ces deux seuls mots ont suffi à faire naître incompréhension et interrogations chez tous mes interlocuteurs circonspects. Pour l'amoureux d'aventures que je suis, voir leurs regards incongrus devenait le catalyseur de toute mon excitation et me confirmait bel et bien que je devais absolument fouler cette terre.

Un petit rappel d'abord. L'Ecosse continentale est bordée au Nord-Ouest par un archipel d'îles que l'on nomme les Hébrides Intérieures. Skye est la plus populaire d'entres elles et des milliers de courageux viennent affronter son climat capricieux, ou même faire son fameux Skye Trail (voir mon autre carnet d'aventures Trek sur l'Ile de Skye, et oui tous les moyens sont bons pour se faire un peu de pub). Plus loin encore et au-delà du détroit de Minch, des ferrys de la compagnie Caledonian MacBrayne font la liaison jusqu'à un second archipel de 70 îles, beaucoup moins connues des agences de voyages, immensément plus intimes. Ces petites gouttes granitiques gisant au milieu de l'Océan Atlantique sont les secrètes Hébrides Extérieures. C'est là-bas que je pars réaliser ma plus grande aventure : accomplir l'Hebridean Way, un trek de 300 kilomètres d'îles en îles, transformant du méridional en septentrional sous l'empire de mes pas.

Afin de donner ma petite contribution à la planète, je décidai de m'y rendre sans passer par la case avion. Dire que se rendre dans de pareils endroits par les seules voies terrestres et maritimes est déjà un voyage en soi est en tout en point un euphémisme ! Après deux trains dont l'Eurostar (une grande première), deux bus dont un la nuit, une grève nationale à Londres annulant de nombreux départs (une grande première aussi) et un ferry, je foulai finalement le petit caillou de Vatersay, au Sud des Hébrides Extérieures. Pendant ce périple de 3 jours on réfléchit. En évitant l'avion, je me suis reconnecté à une temporalité que l'Homme Nouveau a perdu. Tout va très vite dans nos société contemporaines. On ne voyage plus mais on collectionne des destinations. On ne découvre plus une culture mais on la consomme. Alors tels des boulimiques nous "dévorons" à toute vitesse nos voyages et recrachons nos souvenirs qui fuient notre mémoire, par manque d'immersion. Il me fallait éviter ce piège et prendre le temps. Cette indéfinissable sensation de me sentir au bout du monde était d'autant plus palpable tandis que je débarquai sur ma petite île. Aurai-je pu en dire autant si j'avais pris l'avion ?

La Caledonian MacBrayne fait la liaison vers les Hébrides Extérieures au départ d'Oban 
Après 5 heures de traversée, le château de Kisimul vous souhaite la bienvenue à Vatersay. 
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Vatersay.

Première île.

Kilomètre zéro.

Le lendemain, me voilà enfin en train de faire mes premiers pas sur la Hebridean Way. Objectif du jour : parcourir 3 îles, le tout en 22km et en ne faisant qu'une seule liaison par ferry. Sur les dix plus grandes îles des Hébrides Extérieures, je n'emprunterai que deux fois seulement le ferry afin de parachever ma campagne. Magie des Kelpies ou énième sorcellerie celtique ? Non, mais l'archipel a cette particularité d'avoir presque toutes ses îles reliées entre elles depuis 1999 par des ponts de pierre, "causeway" en anglais. Il me paraissait judicieux d'évoquer au lecteur cette spécificité au regard de la place que ces ponts de pierre ont joué dans l'histoire de l'archipel. J'y reviendrai plus bas.

Avec l'excitation des débuts, je parcourus aisément les premiers miles. Et après quelques minutes, je longeai déjà un premier site intéressant qui vaut le coup d'œil : un mémorial et les restes rouillés du Catalina, hydravion qui s'est écrasé en Mai 1944 ayant provoqué le décès de 3 membres d'équipage. Quelques mètres plus loin, un second monument commémore le naufrage de l'Annie Jane. Nous sommes en 1853 et ce navire transporte des émigrants au départ de Liverpool désireux de rejoindre le Québec. 350 d'entre eux sombrèrent dans les eaux glacées de l'océan. Ces tristes évènements ajoutent de la gravité dans une contrée déjà bien rude, reclue du reste du monde. Et je sens que ces îles ne sont pas seulement 'à l'Ouest de Toute Chose', elles sont définitivement 'en Dehors de Toute Chose'. D'ailleurs, en parcourant les pages de mon précieux almanach de la région, j'ai retenu une phrase : "If you come to the Outer Hebrides you will Experience Life on the Edge".

Ambiance austère à la vue de l'Epave du Catalina qui s'est écrasé durant un exercice pendant la Seconde Guerre Mondiale. 
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Une éclaircie rompt avec l'atmosphère lugubre des lieux. Et déjà une rencontre. Je comprendrai au fil des jours qui s'égrènent qu'elles seront rares. Il s'agit d'un groupe de trois gaillards, des germano-australiens qui comme moi ont soif d'aventure et que j'avais croisé dans le Caledonian MacBrayne. Tous trois ont un sac énorme qui dépasse en long et en large de leurs épaules et détail peu commun : marchent Convers aux pieds. Drôle de manière d'affronter la tourbe omniprésente des lieux.

" - Nous ne sommes là que pour 6 jours, me dit le plus calme d'entre eux alors qu'il profite du soleil sur son visage.

- Vous ne parcourrez pas les 10 îles ? demandais-je.

- Non, on n'a pas assez de temps et un ami à nous a loupé le ferry. On va l'attendre. "

Avant de renchérir :

" - Vous les français, vous semblez plus enclins au challenge que nous Anglo-saxons. Vous tenez à finir ce que vous avez initié. "

Ne sachant quoi répondre, j'apprendrai plus tard que leur aventure s'avèrera bien plus courte que la mienne, faute à un équipement trop lourd (je me rappelle les voir énumérer un stock sans fin de lyophilisés dans le bateau qui nous amena ici). Ah c'est certain ils vont pas crever la dalle..

Au bout de quelques minutes seulement, j'aperçois déjà le premier pont de pierre faisant la jonction entre l'île de Vatersay que je m'apprête à quitter et l'île de Barra, seconde du répertoire. En guise d'au revoir - ou de bienvenue, cela dépend du sens de marche - un message à destination des passants : deux grosses oies trépassées pendues par les pattes, becs ouverts et dont les traces de sang ornent le panneau sur lequel elles ont été attachées. Faut-il y voir un quelconque avertissement ? A moins que nous faisions face à quelque obscure tradition insulaire. Je ne m'attarde pas à questionner la vieille dame de l'unique maison du coin. Assise dans sa rocking-chair, sur le pas de la porte, elle observe tranquillement les rares passants. Je passe mon chemin et traverse le pont. Ambiance, ambiance.

A Vatersay, les rares âmes qui y vivent ont leur façon bien à elles de vous souhaiter la bienvenue... 
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Ici, les ponts ont une histoire. Avant la construction depuis longtemps réclamée, les éleveurs devaient traverser avec leur bétail les 250 mètres qui les séparaient de l'île de Barra à la nage. En 1986, Bernie, un taureau ayant gagné de nombreux prix, se noie lors de la traversée. Cette tragédie poussa les autorités à prendre le taureau par les cornes et à accélérer la création d'une jonction entre Vatersay et Barra qui, après deux ans de construction et 3.7 millions de livres, s'acheva en 1991. Nul doute que sans ce pont, les Vatersay Boys, réputés dans le coin pour jouer leur musique traditionnelle avec passion, n'auraient pas pu jouer dans l'unique bar de Barra les week-ends.

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Île de Barra

Deuxième île de l'archipel.

Une île à nulle autre pareille. Et pour cause : c'est ici que se trouve un aéroport unique au monde, là où les avions atterrissent sur….. un banc de sable ! Tout comme la première, une petite poignée d'heures sera suffisante pour la traverser. Si proches et pourtant si différentes. 250 mètres les séparent. Si la minuscule Vatersay peut se targuer d'avoir de jolis petits bancs de sables, Barra, elle, me fait gravir le plus haut sommet de l'étape qui culmine à...…275 mètres sur les épaules du Beinn Tangabhal. La douce ascension a deux mérites : me mettre en chauffe pour les prochaines étapes, et m'avoir permis de croiser par chance des poneys sauvages des Hébrides. Trois majestueux équidés se nourrissant de l'herbe bien verte et grasse des lieux. On dit d'eux qu'ils sont peu farouches mais qu'il n'en reste qu'une poignée.

Des poneys des Hébrides, magnifiques dans leur robe blanche. 
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Je plisse les yeux pour repérer les discrets marqueurs de la Hebridean Way. Des plots de bois qui se confondent facilement avec les collines maronâtres. Quand ceux-ci n'ont pas été balayés par les vents. Je parviens néanmoins à trouver mon chemin et m'approche de l'autre versant de Beinn Tangabhal. " D'en haut " j'aperçois au loin une portion bitumée zigzaguant de cottages en cottages qui marque les derniers miles de cette étape.

 Vue sur la paisible bourgade d'Ardmhor

Ne me reste plus qu'à embarquer dans la dernière liaison de la journée pour rejoindre -35 minutes plus tard- une troisième île du nom d'Eriskay. Aussi petite que les deux précédentes.

22km, 1 journée, 3 îles, le compte est bon. Cette entrée en matière m'a offert un beau condensé des 278 kilomètres restants...

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Eriskay.

Troisième île.

22 kilomètres.

La première chose qui m'a frappé est l'accueil chaleureux des locaux. Avec un anglais digne de faire pâlir la gentry londonienne, une des habitantes me propose même 'a cup of tea'. Je repense aux deux oies suspendues par les pattes sur l'île de Vatersay et trouve le contraste saisissant au regard de l'accueil chaleureux qui m'est fait. Eriskay est une île qui n'a pas été épargnée par les mouvements de sa population. Au 19è siècle, de nombreux paysans des îles avoisinantes ont été forcés de quitter leurs terres durant la Highland Clearance. En résulta un exode vers Eriskay, peu densément peuplée et gonflant sa population de 80 à 500 habitants jusqu'au début du 20è siècle. Depuis lors, le manque de travail a poussé les jeunes - désireux d'avoir un avenir plus doré - à quitter l'île, qui ne recense désormais plus que 143 âmes.

Mais il ne faut pas chercher bien loin pour trouver de l'or. De l'or liquide pardi ! Alors que deux heures m'auront suffi pour traverser l'île, et que je me trouve sur la causeway, je croise un homme à la drôle d'allure, un crochet de pirate en lieu et place de la main droite et répondant au doux nom de Sandy. Je l'interpelle sur une histoire qui se murmure au coin de mes oreilles, et un mot qui ne cesse de revenir depuis que j'ai pénétré sur Eriskay : SS Politician.

Je ne me pas fais prier pour en savoir davantage et l'homme qui se trouve en face de moi ne tarda pas à me narrer les fantastiques et non moins réels évènements du 5 février 1941. C'est à cette date et à deux pas de l'endroit où nous échangeons, dans la baie d'Eriskay, qu'un cargo immatriculé SS Politician sombra. Le navire qui allait en direction de la Jamaïque transportait 260 000 bouteilles de whisky ! En pleine période de seconde guerre mondiale et où les locaux faisaient face à une pénurie de whisky, la providence frappa. Je vous laisse imaginer la suite... Et pourtant. La faramineuse commande à destination de Kingston n'avait pas encore été acquittée. De ce fait, Exisemen (des collecteurs de taxes sur la production de whisky) et autres contrôleurs de la Chambre des Commerces avaient interdit aux locaux de s'emparer du butin. Allez dire à un écossais de ne pas se servir. La nouvelle du naufrage s'était répandue aux quatre coins de l'archipel jusqu'à Lewis, tout au Nord, et les insulaires usèrent de stratagèmes toujours plus ingénieux pour dérober les bouteilles de whisky sans se faire prendre la main dans le sac. Sandy me raconte dans un anglais au fort accent gaélique que certains cachaient leur panacée sur la plage après l'avoir attachée à de la ficelle ; quand d'autres engloutissaient goulument leurs trouvailles avant le passage de la police locale lors de perquisitions. Durant des années, l'épave " abreuva " le voisinage de ce liquide mordoré et en 1987, Donald MacPhee, un local de l'île voisine de South Uist dénicha 8 bouteilles des fonds poisseux de l'épave engloutie. Il les revendit lors d'une vente aux enchères pour la modique somme de 4 000 livres sterling. Adjugé !

Aujourd'hui, l'épave du SS Politician dort tranquillement dans les eaux noires de la baie d'Eriskay, et d'aucun pense - Sandy lui en est certain - que sa juteuse cargaison dorée n'a pas fini d'épancher la soif des habitants de l'île d'Eriskay. C'est la tête pleine de nouvelles histoires à raconter que je remercie mon nouvel ami Capitaine Crochet. Ne me restait plus qu'à parcourir sur le pont de pierre les quelques mètres qui me séparaient de la quatrième île : South Uist.

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South Uist.

Quatrième île.

Celle-ci est bien plus grande que les trois précédentes. Et ce n'est pas les 34km de l'étape qui me feront mentir. Les quelques rares éclaircies de la veille ont muté en un ciel céruléen aujourd'hui. J'attaque en cette seconde journée la portion qui sera la plus plate du trek. Pour l'instant, du goudron sous mes pas mais très vite je tombe sur une intersection : le grand panneau bleu de droite me propose de continuer sur la route passant entre d'humble vallons ; tandis que le tout petit panneau (bleu lui aussi) me suggère de longer les dunes. Je prend la seconde option qui me fera longer la plage pendant les prochaines 6 heures.

 Des filets de pécheurs près de larges bancs de sables sur la côte Ouest de South Uist 

C'est sous un soleil de plomb que cette étape, au demeurant agréable, se transforme en un chemin de croix. A la recherche d'une parcelle ombragée où grignoter, la moindre éclat d'ombre est rare tant le soleil est à son zénith, sur un sentier où le dénivelé positif ne dépasse guère les 19 mètres. C'est dans un cimetière du Commonwealth que je trouverai finalement un peu de fraîcheur, adossé contre une ruine.

Le ventre bien garni de nouilles chinoises, je reprend ma tranquille marche. Les miles défilent et le paysage reste invariablement platonique. La Hebridean Way longe également un terrain de golf bien entretenu. La fatigue est encore loin, mais les heures s'égrènent et le décor qui reste inlassablement le même - avec les dunes à ma gauche et de vastes terrains aplatis sur ma droite - me donne l'impression d'une journée sans fin, où chaque mile s'étire en longueur. Unique soubresaut de la journée : la rencontre incongrue d'un motard qui s'éclate avec son bolide.

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Je quitte les dunes et vire à l'Est dans les landes agricoles. J'approche de Caisteal Ormacleit. En 1708, Allan Mac Donald, chef du clan Ranald y a élu domicile avec son épouse. Le somptueux château est vite devenu le QG du mouvement Jacobite. Malheureusement, Allan fut mortellement blessé lors de la bataille de Sheriffmuir le 13 Novembre 1715. On dit qu'un malheur n'arrive jamais seul. D'aucun diront que l'expression tire ses origines de cette funeste journée puisque le lendemain, un incendie brûla le château suite à un départ de feu dans les cuisines. On raconte que le château d'Ormacleit a été le dernier construit en Ecosse et probablement le moins longtemps occupé.

Caisteal Ormacleit, ou le dernier château d'Ecosse 

Les heures s'étirent. Malgré 30 kilomètres avalés en cette seule journée, je ne démord pas de l'objectif que je m'étais fixé au réveil : une chapelle pour y trouver refuge cette nuit. Le soleil de plomb se dérobe sur la ligne d'horizon de l'océan. Le vent se lève. C'est alors que j'aperçois la petite demeure nacrée surplombant fièrement les parcelles agricoles qui l'entourent. Je demande à un local qui promène son chien si je peux y passer la nuit. Il me répond : " Just go inside and someone will come " . L'endroit est ouvert et je m'installe entre les bancs. Personne n'est jamais venu.

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Sous le regard attentif de Dieu, je dors comme un loir. Et reprend ma route à l'aube. La dernière section du Nord de l'île apportera des paysages plus variés. Entre landes de bruyères, lochs et moutons, ma matinée m'offre un véritable condensé d'Ecosse, et les premiers miroitements d'exaltation. Je pénètre alors dans les marais de Loch Druidibeag, sous l'œil vigilant des trois plus hauts sommets de South Uist : Beinn Mhor (620m), Beinn Choradail (527m) et Hecla (606m). Parsemé d'anciennes citadelles déchues (Dun en celtique), ce bocage transporterait quiconque s'aventurerait dedans à l'époque des guerres claniques. Dans cette incroyable réserve naturelle où je ne croise personne, l'hilarité s'empare de moi et j'accède au Nirvana..

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Trouver son chemin n'est pas chose aisée dans les landes de bruyère de South Uist. S'en dépêtrer indemne : impossible.
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Sur l'île de South Uist, il y règne comme un parfum de guerre froide. En 1957, Deep Sea Range y est construite au Nord de l'île. Il s'agit d'un site géré par le ministère de la Défense pour tester des missiles à capacité nucléaire. L'opposition à ce projet de lancement a été ardemment contestée par les insulaires mais l'administration a fait fi de l'opinion locale. La zone militaire emploie aujourd'hui 230 personnes. Rockets à gogo !

C'est fort de cette ultime traversée dans les marécages de South Uist que je vois le prochain pont de pierre faisant la jonction avec l'île suivante : Benbecula.

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Benbecula

Cinquième île.

77 kilomètres.

Après m'être ravitaillé dans ce qui devait être à l'évidence l'une des deux (seules) épiceries du coin, j'en profite pour faire le plein d'interactions sociales avec la caissière à qui je demandais si la vie n'était pas trop difficile ici. Elle me répondit "qu'une fois qu'on s'est fait à l'austérité des lieux, on n'a plus envie de repartir". Je troquerai bien les klaxons de Nantes contre quelques grammes d'austérité..

Vous prendriez bien un peu de sérénité avec ce soupçon d'air frais ? 

C'est pensif - me demandant si les rares jeunes qui grandissent sur ces îlots de tourbes rêvent d'un ailleurs, fait de bars, de boîtes de nuit et tout ce qu'on peut trouver dans nos grandes cités de verres ; ou s'ils n'aspirent qu'à rentrer au bercail une fois partis - que j'emprunte un autre pont de pierre vers l'île de Benbecula. Bien que l'île ne soit pas très grande, c'est sur celle-ci que je passerai la nuit, la carte m'indiquant une fois de plus une petite chapelle pour y dormir. Mes yeux se perdent dans la tranquillité du bleu azuréen de la petite plage de Culla en fin de journée, dont la minuscule houle fait des va-et-vient, imperturbable. En quittant la côte, j'arrive à mon point de chute et ce qui devait être une chapelle n'est plus qu'un amas de ruines. Un fermier m'apprendra plus tard que cela fait belle lurette qu'il n'y a plus de chapelle ici. Tant pis, je dormirai dehors ce soir.

La zone est agricole, et chaque parcelle appartient à quelqu'un. Je suis accueilli avec bienveillance par Patrick, un irlandais accompagné de son Jack Russel qui m'autorise à poser la tente sur son terrain. J'avalai goulument la brique de cheddar que j'avais achetée plus tôt à l'épicerie puis en donnai une portion au petit chien qui ne manqua pas de s'étouffer. Note pour moi-même : ne pas donner à manger aux animaux de mes hôtes.

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Bien que peu vaste, l'île de Benbecula est marquée par le mont Ruabhal, qui avec ces quelques 124 mètres offre une vue panoramique époustouflante sur cette partie plate et marécageuse de la Hebridean Way. Rarement une ascension aussi courte me procura tant d'exaltation, rarement aurais-je peiné à me tenir droit tant le vent soufflait à son sommet.

Ruabhal, un modeste pic qui offre de nombreuses perspectives à 360° 

C'est rassasié par tant de majesté, tant et si bien qu'on puisse l'être, que j'entreprend la descente plein Nord. Le sentier s'apparentant à un isthme entre Loch Olabhat et Dubh Loch (le Loch noir), ce-dernier étant unique en son genre par la rareté du nom qu'il porte : c'est le seul dont le mot 'Loch' vient en second.

Voilà que j'aperçois un énième pont de pierre et que je quitte déjà Benbecula.

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North Uist.

Septième île. Déjà.

108 kilomètres.

En ce chaud mois de Septembre, je constate que même à ces hautes latitudes, l'été indien demeure. Aucun nuage à l'horizon pour atténuer le poids écrasant du soleil. Alors que la matinée a été riche en émotions avec l'ascension du Ruabhal, mes premiers pas sur North Uist se font dans la fatigue. A la recherche d'un site ombragé où manger, c'est dans les ruines médiévales de Teampull Na Trionaid que je jetai mon dévolu. Stèles moyenâgeuses recouvertes de mousses, mauvaises herbes poussant sur les murs délabrés. Pas un chat ne rôde dans cet antique monastère datant du 13è siècle, si ce n'est quelques moutons impassibles devant ma venue. Moines et philosophes venaient s'instruire dans ce couvent augustin qui préfigure comme étant la première université d'Ecosse.

Des lectures récentes m'ont également appris que le monastère fut détruit lors de la bataille qui opposa le clan des MacLeods aux MacDonalds en 1601. Le site, élégamment surnommé 'The Ditch of Blood' fut le témoin du massacre des MacLeods. La sanglante confrontation est aussi renommée pour être la dernière à utiliser arcs et flèches.

Ironiquement, c'est au sein de ce haut lieu d'érudition que je fis malencontreusement preuve de la plus grande des stupidités : sans réfléchir, harassé par cette canicule, je disposai ma gamelle en plastique sur le réchaud qui la fit fondre instantanément ! Il était déjà trop tard quand je constatai que le plastique faisait corps avec le mécanisme de cuisson. En colère contre moi-même, je devais me résoudre à continuer l'aventure à manger des noodles froides.

A moitié repu, pleinement frustré, je quittai ce lieu chargé d'histoire et repris le chemin, toujours sous la punition du soleil. Je déambulai dans une région semi-aride, vidée de tout substrat humain, qui me faisait penser à l'Arizona ou à quelque autre contrée farwestienne tant la végétation rougeoyait sous le poids écrasant de Dieu Soleil. La faune locale est pourtant bien présente pour me rappeler que la vie n'a pas dit son dernier mot dans cette lande de bruyères sèche, dans laquelle je surprenais plusieurs couples de lagopèdes, ces petites oies sauvages qui se reposent à même le sentier. Avec leur plumage qui se fond parfaitement dans la palette chromatique de ces landes, les volatiles attendent la dernière seconde avant de prendre leur envol sous mes pieds, et de me surprendre à leur tour.

Le paysage défile et devient de moins en moins aride, de plus en plus humide avec sa constellation de lochs autour de moi. Le sentier demeure aisé et je ne tarde pas à me retrouver au milieu de Pobull Fhinn, un gigantesque cercle de pierre. Disposés avec une parcimonie mathématique, les monolithes se dressent fièrement autour de moi comme si un titan d'antan avait fait glisser son compas sur les lieux.

Vieux de 2 000 ans, les monolithes de Pobull Fhinn avec en arrière plan, Eaval, le plus haut sommet de North Uist
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Le crépuscule approchant, j'hésitai un temps sur la fin de cette étape. Devrais-je bivouaquer dans les bois un peu plus haut ? Ou devrais-je regagner la route jusqu'au petit port de Lochmaddy ? Dégoulinant de sueur, je ne pus me résoudre à dormir en l'état - une toilette de chat n'aurait pas suffi - et optai pour la seconde solution. Je rattrapai ainsi la A867 et calculai qu'il me restait suffisamment de temps pour franchir les 8km qui me séparent de la ville portuaire. Je n'allais pas être déçu du spectacle qui se jouerait devant moi...

Longer la A867 au crépuscule est une expérience unique, intime. A cette heure-ci les voitures se font rares sur ce long filament qui traverse le glen (vallée en gaélique). A mesure que le soleil se meurt, les sommets à droite et à ma gauche se parent d'une robe couleur iridescente. Le contraste du bleu céleste, du rose à l'épreuve de l'horizon et du dorée granitique des montagnes est féerique pour la rétine. A l'écart de la route, de lointains monticules de tourbes coupées par la main de l'homme. Intrigué au début, je ne tarderai pas à deviner que ces 'cubes de landes' serviront de combustibles, étape nécessaire au maltage de whiskys tourbés. Décidemment, cette route est un vrai concentré d'Ecosse !

La nuit tombe. J'aperçois enfin les premières traces de civilisation urbaine. Ma laine mérinos me colle à la peau, et les premiers degrés de fraîcheur n'y changeront rien, je suis toujours aussi moite de la tête aux pieds. Et pour couronner le tout, les midges, ces petits moucherons vampiriques qui sortent par milliers en quête de sang ne tardent pas à sentir mon odeur. Coiffé d'une moustiquaire, je cherche désespérément un abri. Dans cette région abondante en lochs, les midges sont reines !

C'est auprès d'un jeune couple que je trouve mon salut. Les deux amoureux acceptent de me laisser l'usufruit de leur baignoire. Aaaaaah !! Enlever la crasse accumulée me fait un bien fou. Après avoir échangé quelques mots autour d'un verre, je les remercie puis gagne le centre ville de Lochmaddy. Logiquement, pas un endroit où poser la tente dans cet environnement urbain ; et pas la moindre chambre de disponible dans le seul hôtel du coin. Après une certaine errance, c'est auprès d'un docker ivre que je trouve mon second salut, me chuchotant que les containers près du port sont ouverts et que certains ne sont pas occupés. A l'intérieur de ces micro-chambres de tôles, un lit et de la lumière. L'homme ivre me chuchota un ultime conseil : partir dès l'aube avant l'arrivée de son patron. A peine eus-je le temps de le remercier qu'il s'en alla. Je le laissai à son hilarité dans l'ombre de cette fiévreuse nuit d'été.

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C'est à pas de velours que je quittai les docks de Lochmaddy. Après un pantagruélique petit-déjeuner à l'auberge de la ville, j'entamai mes derniers miles sur North Uist, dans une landes parsemée de lochs et modestes pics rondelets. Loch an Armuinn, Loch an Dùin, Dùn an Sticer : autant de noms dont l'évocation rappelle l'œuvre de Tolkien. J'avais lu quelque part que le célèbre écrivain anglais avait parcouru le Royaume-Uni en quête d'inspiration. Et j'aime à croire que le père du Silmarillion et du Seigneur des Anneaux ait traversé jadis ces contrées... C'est tel un semi-homme de la Comté que je gravis sans peine l'humble Ben Mhor. Du haut de ses 190 mètres, j'ai une vue plongeante sur les ultimes miles qui me séparent du prochain pont de pierre et de l'île suivante : Berneray.

Vue depuis Ben Mhor : on distingue le pont de pierre qui relie North Uist à la minuscule île de Berneray, au Nord. 
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Berneray.

Huitième île.

141 kilomètres.

On dit de Berneray qu'elle est un joyau dans l'océan. Bien que petite, l'île peut se targuer d'avoir de très belles plages dont une de 5km sur sa côte Ouest. A l'Est, un tranquille petit port de pêche et sa douche à pièce. C'est aussi de là qu'accoste tous les jours le Caledonian MacBrayne qui fait la navette entre l'île de Berneray et l'île de Lewis and Harris. Ce qui fait de Berneray le spot idéal pour faire une halte dans ce trek.

Difficile d'imaginer que la chaussée qui relie North Uist à Berneray ne fut construite qu'en 1999. 
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A nouvelle étape, nouvelle anecdote. Et Berneray ne déroge pas à la règle. Si l'îlot se fait petit, ses résidents sont tout le contraire, littéralement. Deux personnages ayant habité l'île sont devenus célèbres au-delà de cette terre insulaire. D'abords, Donald Ruadh MacLeod qui fut le géniteur de 29 enfants issus de trois mariages. Assurément, l'homme ne manquait pas d'endurance puisque 7 d'entre eux sont nés lors de son dernier mariage, alors âgé de 75 printemps. La seconde grande figure locale - et c'est peu dire - se nomme Angus Mor MacAskill qui était célèbre pour sa taille. Avec ses 2.36 mètres, il pesait 193kg. Clairement, Il y a quelque chose de différent dans l'air pur des Hébrides !

Sound of Harris, le bras qui sépare Berneray de Lewis and Harris est une mer traîtresse. Avec un nombre déraisonnable de récifs, une profondeur qui varie subitement et une marée que même les marins sont incapables de prédire, il n'est pas rare que le ferry soit en retard. Aux caprices de l'océan s'ajoute la panne moteurs. Cette-dernière aura raison de la navette qui ne viendra pas ce soir.

J'accepte mon infortune et me prépare à bivouaquer sur ce caillou.

15h05. J'avais du temps plus qu'il n'en fallait pour explorer l'île. Deux options s'offraient dès lors à moi : direction Ouest et sa plage de sable fin, direction Est vers le port de pêche. J'optai pour ce second choix - la douche publique dans les parages et l'idée d'un décrassage faisant pencher la balance en sa faveur.


Une douche à la frontière du monde.

Nasses à poissons, cordages torsadés minutieusement enroulés, petits chalutiers endormis. Je ne tardai pas à dégotter ce pittoresque port de pêche en contrebas de la route. Dans un coin du minuscule quai en rectangle, la fameuse douche à pièce.

S'il y a un moment que je garde précieusement dans mon tiroir à souvenirs, c'est bien celui-ci. La marche itinérante à ce pouvoir secret de sublimer le quotidien. Dès lors, le geste le plus anodin - celui qu'on fait tous les jours - revêt ce caractère si magique tant le lieu dans lequel il prend place est incongru. Je me délestai de tout mon attirail, et comme dans une salle d'arcades, j'insérai le shilling salvateur..

Drôle d'endroit pour prendre une douche 
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Frais comme un gardon, je profitai encore un peu de la plénitude des lieux. Ici, pas un bruit. Sound of Harris est exceptionnellement paisible aujourd'hui. Mes sens sont en éveil. L'iode pénètre mes narines, ma rétine enregistre le reflet des altocumulus roses dans l'eau figée de la criée. J'enregistre ce moment avant de regagner les prairies à la recherche d'un endroit où planter mes sardines.

La vaste plaine qui s'étend à perte de vue, plus au centre de l'île, fera parfaitement l'affaire pour ce soir. Blotti dans ma tente tunnel, j'observai, de l'autre côté du tissu, le millier de midges à la recherche du moindre interstice.

Tôt ou tard, ces buveurs de sang abandonneront.

Quant au ferry, mieux vaut tard que jamais.

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Région méridionale de l'Île de Lewis and Harris.

Neuvième et dernière île.

141 km.

Une dizaine d'âmes, tout au plus, attend calmement l'arrivée matinale du ferry qui doit m'emmener en direction de l'île de Lewis and Harris, ultime grain de ce chapelet granitique que sont les Hébrides Extérieures. La panne de la veille, les mesquins récifs et l'humeur sans cesse changeante du détroit de Sound of Harris n'ont pas eu raison de la mécanique bien huilée de la Caledonian MacBrayne. Hommage à son équipage !


Le ferry ferma sa grande gueule de fer sur les quelques camping-cars et entama sa course d'où il venait. Inépuisable, robuste, le mastodonte d'acier est aussi un compagnon loyal et sait quand il nous faut éviter la Mer. Le ferry se révèle être bien plus qu'un moyen de locomotion, c'est l'antichambre de mes pensées. Ce lieu en perpétuel mouvement où le temps y est suspendu. Ce lieu où se juxtaposent sérénité de l'esprit et exaltation de mon cogito. Dans le ventre du géant, je me laisse voguer, il connaît le chemin. Dans le ventre du géant, je me projette sur la terre à venir, la mer infinie, bref je philosophe. L'hublot de l'avion m'a fait comprendre à quel point nous sommes minuscules ; le pont du ferry m'a fait comprendre à quel point ce monde est vaste. Hommage aux ferrys !

 Rivages de la tranquille bourgade de Leverburgh, autrefois bien plus dynamique..
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Arrivé par le Sud, le ferry me vomit sur une friche post-industrielle qui témoigne de la vigueur passée de Leverburgh. Cette région du South Harris fût achetée en 1919 par William Lever, magnat de l'industrie de la pêche qui avait vu l'énorme potentiel de la bourgade du coin : Obbe, à qui il donna son nom. Le boom économique fut aussi spectaculaire que sa chute soudaine après la mort de l'homme d'affaire ! Des 300 employés travaillant sur les docks, il ne reste plus personne. Des 50 chalutiers, trônent de rares bicoques en état de rouille avancée. Des 500 000 livres injectés de sa poche, plus rien. Je remarque un food-truck qui s'est installé dans cette zone industrielle. Lui aussi a fermé. Petits commerçants ou chefs d'entreprise, je commence à croire qu'il ne fait pas bon faire affaire ici et prend la direction des marais...

16km. 4 heures. Tout me porte à croire qu'il s'agit de l'étape la plus courte de ce long périple. "Une broutille ! " me dis-je, comparé aux 35km journaliers de ce début d'aventure. En vérité, cette étape s'avèrera être la plus épuisante, mettant mon moral à rude épreuve. Je quitte un chemin de gravier pour m'enfoncer dans la vallée marécageuse de Horsa-cleit - les maisons ronronnantes de Leverbugh se transformant peu à peu en d'indicibles petits points noirs dans mon dos à mesure que je progresse. Je me rappelle l'ivresse ressentie à l'idée de me retrouver seul dans cette étendue marronâtre de tourbes. Et marcher sur un sentier qui n'en était plus un - englouti, absorbé par la lande spongieuse - n'émoussa pas mon plaisir. Tourbe, grisaille et isolement suffisent à mon bonheur.

Dans ce no man's land , l'homme n'est que de passage.
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Les marais ont ceci de fascinant d'être un repoussoir pour l'Homme. Difficile de s'établir et bâtir sur pareille topologie.Dans une nature toujours plus grignotée par l'anthropocène, ces terres font figure d'irréductibles devant la voracité du monde moderne.Je suis tout de suite tombé en amour pour ces landes de tourbes et de bruyère où la densité des peuples est proche du néant.

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15h00. C'est la plage et la pluie qui m'accueillent une fois sorti du marais. Le changement de décor est frappant mais je peine à me saisir de l'essence des lieux. Je suis inquiet : le brouillard tombe et à en croire la carte, il me faut passer un col de montagne avant de parachever cette étape. Je décidai de snober la balade de bord de mer, et de ne pas trop m'attarder sur l'élégante architecture de style géorgien de la Scarista House - crânant avec allure face au front de mer - et m'engage en direction des collines. Le brouillard devint purée de pois et les collines revêtirent leur habit de montagne à mesure que je prenais de la hauteur. Les moutons, que la pluie ne semblaient pas perturber le moins du monde continuaient de mastiquer l'herbe grasse tout en fuyant ma présence. J'enjambe les vestiges d'un mur de pierre en serpentin qui s'étend à perte de vue d'un côté comme de l'autre. Autrefois, il marquait la limite entre pâturages et flancs de coteau.

17h00. Un balisage semi-archaïque des bornes de repérage et le crépuscule approchant ne tardèrent pas à me rendre nerveux. Dans cet univers de quartz et de feldspath alcalin, il m'est difficile de me situer sur la carte. J'avance dans la précipitation, dans l'espoir de trouver refuge avant la nuit. Impossible de bivouaquer sur ce terrain rocailleux.

19h00. Je ne sais plus où je suis. Déjà deux heures que j'étais censé arriver. Serais-je aller trop loin ? L'étape devait être courte, elle devient interminable. Et ce ciel qui n'en finit pas de me déverser ses larmes. Je me sens poisseux et commence à ressentir l'humidité dans ma chair. On a beau prévoir le plus technique des matos, les sous couches les plus respirantes ou encore le plus imperméables des coupe-vent, quand le ciel s'acharne sur vous six heures d'affilée on finit toujours pas se transformer en éponge.

21h00. AAAaaaaaAAAAAAh ! Je ne pus m'empêcher de crier ma détresse lorsque je réalisai avoir été trop loin. Devant moi s'étendent vallons à perte de vue et nulle trace du camping de Horgabost censé marquer la fin de cet enfer. Je décidai de regagner la route en contrebas, que je devine en filigrane depuis les hauteurs. Si ma progression est peu orthodoxe, elle a le mérite d'être sans détour et réalisable dans ce décor de basse montagne.

22h00. Je crois. Le va-et-vient de la marée m'accompagne alors que je regagne le goudron. Le camping de Horgabost apparaît finalement au détour d'un virage. Les propriétaires des lieux peuvent se frotter les mains : avec la plage de Luskentyre récemment élue "plus belle plage du Royaume-Uni" par un célèbre blog de voyage, ils bénéficient d'une voisine fort profitable à leur commerce. Exténué, je fais fi du panneau à l'entrée exhortant les nouveaux arrivants à se présenter à la réception et me glisse entre les caravanes agglutinées à la recherche d'un carré d'herbe, à bout de force.


La vue sur les collines bleutées de Harris par delà la plage de Sheilebost mérite bien qu'on s'y attarde un peu.. 
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156 km.

Je quitte les dunes couleur nacre de la côte Est et emprunte désormais la Coffin Route, littéralement la "route des cercueils". Cette voie fait écho à une période sombre de l'histoire écossaise durant laquelle ont eu lieu les Clearances du 19e siècle. La route traverse d'Est en Ouest le sud de Harris. D'une mer à l'autre, il y a 200 ans, les petits exploitants terriens ont été tragiquement expulsés de leurs fermes par les grands exploitants fonciers avec l'aide des autorités à l'aube de l'avènement de l'élevage extensif du mouton, bien plus lucratif. Ces fermiers n'avaient dès lors d'autre choix que de s'établir sur la partie Ouest de Harris et ne retournaient chez eux qu'à leur mort, leur cercueil transporté sur ce qu'on appelle aujourd'hui la Coffin Route. Ceux qui refusaient de quitter la région étaient évincés vers les zones les plus stériles afin de laisser les riches pâturages à ces nouveaux exploitants. Comme si la vie n'était pas assez compliquée dans cette région froide et austère, ces-derniers s'assuraient que les évincés ne puissent revenir dans leur ancienne maison en brulant les charpentes.

La Coffin Route m'amène en moins de temps qu'il faut pour le dire sur la côte orientale de Harris. La région est formée de plusieurs baies laissant apparaître myriades de timides péninsules ayant attiré artisans et artistes en quête d'inspiration. Ma route à travers les collines et les averses se poursuivra jusqu'à Tarbert "isthme" en gaélique, qui en plus d'être la seconde ville de l'île (on parle de 503 habitants), me servira de pied à terre ces deux prochains jours. C'est dans ce hameau que la distillerie Isle of Harris a décidé de prendre racine pour créer de l'emploi dans un bassin où les perspectives de travail ont longtemps été incertaines.

 Importante pourvoyeuse de Gin, la distillerie Isle of Harris commercialisera fin 2023 son propre whisky
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Les deux visages de Lewis and Harris

Bien qu'il s'agisse d'une seule et même île, Lewis et Harris jouissent d'un fort contraste. Avec une industrie tournée sur l'élevage de poissons, ses fabriques à tweed et son secteur de constructions navales, l'économie de Lewis (au Nord) est beaucoup moins dépendante du tourisme que sa sœur Harris (au Sud). En dehors de sa " capitale " Stornoway, nombreux sont les Lewisians à avoir plusieurs casquettes, et ceux qui travaillent à la ferme tout en ayant d'autres activités traditionnelles telles que la pêche ou le tissage sont encore légions ici. Beaucoup ont vu leurs parents ou leurs grand-parents souffrir des aléas économiques de leur filière respective, qu'il s'agisse de l'industrie de pêche au hareng ou du secteur de transformation d'algues en produits chimiques. Forts de cet héritage, nos camarades de Lewis sont particulièrement débrouillards aujourd'hui. Avec une population à forte majorité presbytérienne, la pratique du Sabbat chrétien est encore strictement respecté. Le dimanche est voué au culte de Dieu et vous ne trouverez aucun magasin ouvert ce jour-ci. Pour la petite histoire, il m'a été rapporté que regarder la télé ou même étendre son linge le Dimanche n'était pas de convenance dans le coin. C'est dire l'omniprésence de leur dévotion sur ce petit bout de terre. Les Lewisians savent quand même faire la fête, et bien que le Sabbat chrétien soit la règle d'or, les Vendredi et Samedi soirs à Stornoway sont aussi bruyants que dans n'importe qu'elle autre ville.


Harris, elle, est marquée par sa chaîne montagneuse. Jadis, les montagnes formaient une barrière substantielle entre Lewis et Harris, et le meilleur moyen de se rendre d'un côté comme de l'autre était par la mer. C'est aussi là que se trouve le Clisham (An Cliseam en gaélique), qui avec ses 799 mètres est le point culminant des Hébrides Extérieures. Bien qu'il s'agisse donc d'une seule et même île, nos amis écossais n'ont de cesse d'évoquer 'Isle of Lewis' et 'Isle of Harris' tant la différence géographique entre les régions est vertigineuse.

Vue sur le gargantuesque Loch Seaforth. Oh comme j'aurai tant aimé l'admirer par jour de tempête.

Mais la division n'est pas seulement topologique : jusqu'en 1974, chacune des deux régions avait leur propre gouvernement local, avec Lewis faisant partie intégrante du Comté de Ross and Cromarty. Harris, elle, étant affiliée au Comté d'Inverness. Désormais, le Nord et le Sud parlent d'une seule et même voix sous la bannière du Western Isles Council.

Comparée à Lewis, Harris a beaucoup moins de tout ! Elle a une plus petite population, atteignant tout juste les 2,000 habitants. Rien à voir avec les 18,000 habitants sur Lewis. L'agriculture, la pêche et le tourisme ont fait de Harris une région beaucoup moins industrialisée que sa voisine. En somme, elle est plus sauvage et le rapport au temps qui passe n'est pas le même. Je me rappelle encore cette citation inscrite dans le carbone de l'horloge d'un café où je trouvai repos : 'Harris, where time stand still..'

On dit aussi que le Gaélique parlé sur Harris serait plus rythmée que sur Lewis. Mais gare à ne pas les opposer : si Harris jouit de ses montagnes et d'un grand nombre de plages, Lewis peut s'enorgueillir d'un récit préhistorique et de diverses attractions touristiques.

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Région septentrionale de l'Île de Lewis and Harris.

233 Km.

J'entame enfin le dernier acte de cette odyssée. Et quoi de mieux que se faufiler de nouveau dans mon biotope de prédilection qui n'est autre que la tourbière. Par chance, il n'a pas plut la veille et la lande mi sèche, mi humide m'apporte son lot de fraîcheur tout en maintenant mes pieds au sec. La carte topographique m'annonce le programme du jour qui consiste à baguenauder à travers la tourbe en matinée jusqu'au hameau d'Achamore. Le sentier boueux laissera ensuite place à une longue portion de route non sans intérêt jusqu'à Stornoway, capitale de l'archipel.

Pour l'heure, je me sens bien. Les éléments sont de mon côté et le panorama à 360° que m'offre cette immense plaine jaune moutarde est époustouflant. Dans mon dos se dessinent les montagnes aplaties du Sud-Est de Lewis. Devant, au loin, le minuscule village d'Achamore. Et au milieu de cet océan de bruyère, je comprend pourquoi Achamore signifie 'le grand pré' en gaélique.

Il y a comme un air de Montana dans cette vaste plaine.
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Après ce condensé de grands espaces, je rejoins finalement le village d'Achamore dont la ressemblance avec un simple carrefour est à s'y méprendre. Une douzaine de maisons et un abribus suffisent à qualifier le vide carrefour de village. Ici les dimensions ne sont pas les mêmes que dans nos bourgades continentales. Ici on réfléchit à taille humaine. Dans ce pays connu pour avoir plus de moutons que d'hommes et femmes, les hameaux sont villes, les minuscules ports de pêche des hubs et le service public une merveille d'administration qui n'oublie personne tant la densité de population y est faible. En témoigne ce Van officiant comme transport public qui s'arrête devant moi alors que je buvais un coup sous l'abribus.

" Je continue à pied, merci " dis-je à son chauffeur.

Sans crier gare, voilà que le bitume se substitue à la gadoue sous la semelle alors que j'emprunte la A858 jusqu'à Stornoway. Sur ces 11Km à sens unique qui me relient à Stornoway, rares sont les automobilistes, et l'impression de grands espaces y est toujours vivace. Cette dernière portion avant la capitale n'est pas dénuée d'intérêt puisque les premiers shielings apparaissent ici et là à mesure que j'avance. Il était de tradition que femmes et enfants déplacent leur bétail durant l'été dans cette lande afin de laisser leur principal pâturage le temps de repousser. Je comprends dès lors la mesure de cet espace qui me transporte deux générations plus tôt. Ces abris spartiates sont peu à peu devenus des cabanes permettant à leur propriétaire de quitter le relatif tumulte de Stornoway et de profiter d'une retraite à l'écart de la ville.

Avec leur façades colorées, les shielings amènent du charme à une lande parfois désolée.
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Des éoliennes guettent mon arrivée et témoignent des premières traces de civilisation moderne. Les grandes asperges d'acier me surplombent de leur pales condescendantes dans un doux bruit sourd. Sur cette route que les bâtisseurs mirent 20 ans à bitumer, la lande tourbée a su se montrer tenace et fidèle à sa réputation d'être ce repoussoir à l'Homme que j'affectionne tant ! Malgré tout, l'homme a su s'acclimater par son génie et je n'ai plus qu'a suivre ses traces. Voilà qu'après les hélices, j'aperçois un amas de gigantesques paraboles au loin, relayant certainement les ondes TV aux habitants de la capitale. Ici, plus besoin de carte, suivez les indices qu'égrène comme des miettes le monde moderne dans le paysage. Sauf que les miettes de pain sont à Hänsel et Gretel ce qu'antennes et éoliennes sont à moi. Sauf que ma maison de pain d'épice ne sera pas un maléfice mais bien le Château de Lews marquant mon arrivée à Stornoway.

Lews Castle, ma maison de pain d'épice à moi, porte d'entrée de Stornoway.
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Stornoway, capitale des Hébrides Extérieures, berceau du Black Pudding !

247 Km.

Le premier visuel que j'ai de Stornoway est son port de pêche. Et quel choc ce fût pour ma rétine ! La ville ne mérite pas d'être connue. Laissez-la tranquille, n'en faite pas de reportages à la télévision ! Ne la documentez pas dans les magazines des salles d'attente. Laissez-là à l'écart des projecteurs car c'est de cette discrétion que la capitale tire tout son charme. C'est en quittant les jardins royaux du Château de Lews que je me retrouve nez à nez avec un panorama sur la criée de Stornoway. Jamais je ne me serais douté tomber sur pareille cité. Et ne l'avoir jamais entraperçue auparavant donne à la ville ce cachet abracadabrantesque qu'on ressent en découvrant quelque citadelle cachée, loin du regard étranger et à l'écart de tous.

Pour moi cette première vision sur la ville est un Momentum ; pour la ville, une invitation à la découvrir.

Fondée au IXe siècle par les Vikings, Stornoway signifie "baie de navigation" en vieux norrois. 

Avec 9,000 habitants au compteur, la cité portuaire à plus d'un tour dans son sac. La magie opère rapidement au cœur de ses ruelles pavées et pour celles et ceux friands de s'essayer à la gastronomie locale, allez jeter un œil en direction du Crown Inn. Le pub y sert quotidiennement de purs produits du terroir et parmi ceux-ci la fierté locale : le boudin noir (leur Black Pudding Burger est un cadeau du ciel ! ).

C'est le Heb Hostel que je choisis comme QG pour les deux prochains jours. L'auberge aux murs roses à le triple avantage d'être située en plein centre-ville, de demander une somme modique pour ses lits et de me permettre de reprendre des forces en vue de l'ultime étape de mon périple. Je profitai de ce city-break pour découvrir la ville, ses pubs et son phare péninsulaire : Arnish Point.

Si la cité viking marque pour beaucoup le clap de fin de l'Hebridean Way, elle est aussi le dernier point de ravitaillement pour une minorité de trekkeurs jusqu'au-boutiste désireux d'atteindre Butt of Lewis, 50 kilomètres plus au Nord, et marquant ainsi le réel terminus géographique du parcours.

Après c'est l'Océan.

Comme un cygne blanc, le phare d'Arnish Point veille sur les marins. 


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C'est non sans un pincement au cœur que je quitte les ruelles pavées de Stornoway la bien-aimée. Je pris tout de même soin d'emporter avec moi deux fioles de whisky après un bref passage dans la maison à whisky du coin. La première pour oublier le confort perdu de la cité viking ; la seconde pour fêter la fin de mon périple d'ici deux jours. Si j'y parviens..

Les miles défilent à vive allure. Stornoway n'est plus mais le goudron continue de faire son chemin le long de la côté Est. La randonnée se façonne en balade semi-urbaine sous le regard de modernes demeures qui se font de plus en plus distantes à mesures que je gagne le Nord. Je ne prend pas beaucoup de plaisir à parcourir ces 23 miles. La somptueuse vue dégagée sur les chaînes de montagnes du Sutherland par delà le détroit du Minch me rappelle pourtant que je suis dans un pays à couper le souffle.

De clinquant, New Tolsta n'en a que le nom. Les cottages sont entretenus, pourtant on ne ressent aucune présence à l'intérieur. Un bus fait la liaison au quotidien avec Stornoway, pourtant les herbes hautes ont élu domicile dans l'unique abribus des lieux. Il y a ce je-ne-sais-quoi de post-apocalyptique dans ce village avant la fin. Enfin, c'est par delà la bourgade que s'arrête le bitume et que le sauvage reprend ses droits. Je me demande à quoi pouvait bien ressembler Tolsta avant d'être 'New'.

Las Vegas et New Tolsta ont un point commun : ce sont deux extrêmes ! 'The Sin City' comme si poétiquement surnommé a accueilli plus de 40 millions de touristes en 2023. Les rues de notre petit village écossais sont quant à elles aussi vides que ses habitations. Peut-être tout le monde est-il parti jouer aux cartes à Vegas ? Ma carte à moi, elle, n'a pas de Valet ni de Roi. Non, avec elle je garde le Cap. Si Las Vegas avec ses casinos rutilants, ses fontaines artificielles et ses hôtels viciés est le totem de la vanité, on trouverait à son antipode New Tolsta, icône sévère d'une vie ascétique.

Il manquait une touche de je-ne-sais-quoi à ce récit en Écosse.
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275 Km.

La der des ders. Pieds et chevilles subissent un changement radical dans la topologie du terrain. On rentre dans le dur de cette ultime étape de 25 kilomètres. Comme pour me rappeler à l'âpreté des lieux, j'emprunte The Bridge to Nowhere qui est tout ce qu'il reste du projet abandonné de Lord Leverhulme aspirant à une route jusqu'à Port Nis au Nord.

Et ce pont na pas usurpé sa réputation ! Dire qu'il ne mène à rien est un euphémisme tant il ouvre à une landes marécageuses où il m'est impossible d'éviter de larges mares. Deux choses me soustraient à l'inquiétude. D'une part je m'étais préparé à l'éventualité d'avoir les pieds trempés sur cette ultime portion. D'autre part, l'orientation sera limpide en suivant les falaises à ma droite et je me rend vite compte que marcher non loin du vide me préserve de la lande noyée.

C'est là où le précipice atteint les 61 mètres de haut que la légende naît. L'histoire raconte qu'un chef de clan a ordonné à l'un de ses sujets, Nicolson, de se castrer après avoir commis un odieux crime. En proie au désespoir, Nicolson kidnappa l'unique fils du chef et offrit de se rendre à la condition que son chef se castre également. Le chef s'exécuta douloureusement. C'est sur ses falaises où je me trouve que Nicolson se jeta par la suite avec l'enfant en criant : ' Je n'aurai pas d'héritier et il n'aura plus d'héritier !'

Comme une guide, la côte m'aide à ne pas perdre le Nord. 

Je dois me rabattre dans les terres et quitter les falaises qui me guidaient jusqu'à présent si je veux atteindre Butt of Lewis et son phare, ultime spot et ultime stop de mon aventure. Pour le moment, le terrain est engagé et accidenté. Ravines creusées par les dizaines de torrents qui peuplent la lande me barrent la route et j'erre à plusieurs reprises, configurant avec mes synapses la meilleure façon de disposer de ces obstacles sans me retrouver trempé jusqu'au os. Si la plupart des passages de rivières semblent à première vue alambiqués -faute à un fort courant- un brin d'observation et quelques acrobaties me permettent de m'en tirer sans trop de bobo.

Voilà que la pluie fait son entrée en scène. Comme une amie, elle s'invite à la fête. Elle sait que chaque pas est comme à une page qui se tourne dans ce dernier chapitre sur ces côtes déchirées par l'océan. Elle est la bienvenue. Je n'ai jamais été fervent admirateur du soleil. Il me brûle, m'aveugle, m'assoiffe. Contrairement à lui, la pluie ajoute un supplément d'âme à mes aventures. Elle me calme, m'apaise et apporte tout juste ce qu'il faut de dose mélodramatique sur les clichés que je capture lors de mes itinérances. Il n'y a pas bruit plus réconfortant que le clapotis des pleurs du ciel sur ma veste. Hommage à la pluie !

Il n'empêche que j'ai besoin de reprendre un second souffle. Les ruines d'Edgemoor Hall seront un bon abri contre le vent. Perchée la haut sur la falaise, la chapelle fut érigée en lieu de culte vers 1900 pour les fermiers du coin. Il est dit que les psaumes chantés et les vibratos de l'harmonium étaient entendus par-delà la lande. Et pendant des années, les chalutiers accostaient pour participer aux célébrations dominicales.

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Les ruines d'Edgemoor Hall perchées sur la falaise de Filiscleitir, vestiges de traditions désormais révolues. 
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Bien que ces ruines subliment ces falaises d'une gloire d'antan, la zone jouissait aussi d'un rôle plus terre à terre auprès des villageois. Filiscleitir était utilisé comme àiridhean - où femmes et enfants déplaçaient leur troupeau durant l'été afin que les bêtes bénéficient d'une herbe plus grasse. Cela donnait aussi à la lande proche de leur ferme le temps de se régénérer. L'àiridhean était aussi un lieu traditionnel pour le flirt, entraînant de nombreux mariages entre les habitants de Ness et de Tolsta ! So romantic !

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Butt of Lewis.

300 Km.

APOGAEUM.

Du haut de ses 32 mètres, je l'aperçois enfin !! Le phare de Butt of Lewis, point le plus au Nord des Hébrides Extérieures. Enivré par l'adrénaline qui me monte au cortex, je lâche un cri de démon à mon arrivée sur la zone la plus venteuse du Royaume-Uni. Aujourd'hui, le sommet de l'édifice orange n'est pas seulement une lanterne pour le marin, il est le pinacle d'une odyssée débutée il y a 300 kilomètres. Je suis soulagé, ivre de joie, excité, fier. Je me sens vivant. Avec ce sentiment d'avoir accompli quelque chose de phénoménal !

Le phare de Butt of Lewis signe la fin d'une aventure épique ! 


Le sentiment d'avoir parcouru une terre de long en large dont la plupart des gens n'ont jamais entendu parler me donne l'exquise sensation de faire partie d'un club secret.

" Intimes Hébrides " ou " le Club des Contrées Passées Sous Silence ".

Voilà comment on le nommerait.


FIN.