En quittant Ulan Bataar, nos esprits s’éveillent. Qui sont ces nomades que nous allons rencontrer ? Que sont ces plaines, ces steppes, ces montagnes, ce désert dont on nous a tant parlé ? Et puis le vide s’installe. Le vide tel qu’on l’avait imaginé. Le vide autour de nous. Le regard uniquement attiré par les quelques véhicules que nous croisons et qui s’éloignent lentement au loin. La Mongolie semble n’avoir alors que pour frontière l’horizon. Le vide sublime et fascinant. C’est déjà le désert.
Un désert de poussière et de rochers. Un désert de petites herbes sèches. Un désert si inhospitalier et à la fois riche de sa diversité. Du vide apparaît bientôt ces falaises blanches ici, rouge là-bas. Le désert semble en fait n’avoir pas bougé depuis des millénaires et on y verrait aisément les dinosaures venir s’y reposer. Des fossiles, des lézards étranges, rochers friables mais debout depuis tant de temps. Alors on grimpe, on passe entre les creux des falaises, on descend sur la roche et on prend le temps de respirer, au milieu d’une poussière naturelle, les vents qui soufflent et nous portent.
Alors le désert de Gobi n’a rien du Sahara et de ses collines de sable à perte de vue. Non. Et pourtant, entre une chaîne de montagnes qui se dessine au loin et la plaine sèche et terreuse où nous sommes, se dresse cette ligne de collines de sable là où on l’attendrait le moins. Désert imprévisible autant que contrasté. Et s’il faut parcourir des kilomètres en voiture pour atteindre ces lieux, nous n’avons qu’une hâte à chaque arrêt c’est de courir, courir, courir. Libérer ce besoin de vivre l’espace faute de pouvoir le maîtriser, le contenir. L’ascension de la plus haute dune donnera des larmes de sueur mais surtout un sentiment de plénitude et de sérénité qui en valait bien la peine.
Et quand on prend le temps d'observer le vide qui nous entoure, on trouve des nomades qui élèvent des troupeaux de chameaux pour traire le lait des chamelles et faire ces fromages que l’on connaît bien déjà. Ils en font aussi un alcool qu’ils appellent la vodka de chameau. D’après nos hôtes il faut en boire le double de ce que l’on boit de lait de chamelle pour digérer cet épais yaourt frais ! Bien qu’il ne soit pas aussi fort que la vodka Gengis Khan, la plus répandue dans le pays, c’est tout de même une tache rude que de respecter la tradition. Surtout lorsqu’on nous propose une balade à dos de chameaux branlants juste après. Mais les Mongols ne rigolent pas avec la fête et l’alcool. C’est une façon très prise au sérieux d’honorer son hôte. On le découvrira un peu mieux plus tard dans le voyage…
La faune de Mongolie c’est aussi les aigles, les gypaètes barbues, tous ces immenses rapaces qui ont fait de ce pays leur royaume. Ils ne craignent rien. Pas même le vrombissement de notre voiture. Ils peuplent tout le pays, du désert de Gobi aux montagnes du Haut Altaï. Pour le plus grand bonheur de nos yeux hagards et fascinés par ces oiseaux hors du commun ici si familiers.
Une légende est née du mystère de ces oiseaux: "Fille d’un riche et puissant seigneur de guerre Mongol des temps jadis, éprise d’un pauvre berger vivant aux portes du désert, la princesse ne pouvant obtenir l’approbation de son père qui la destinait à un tout autre mariage, préféra s’échapper et disparaître du monde des humains en se transformant en Yol…"
La nuit tombée, nous nous rendons chez des nomades vivant près de la Vallée de Yol. Yol signifie gypaètes barbus et la vallée en est peuplée. Les yourtes d’hôtes, ce sont des yourtes que des familles nomades possèdent en plus des leurs pour héberger les voyageurs de passage le temps d’une nuit. Le couvert nous est proposé et c’est l’occasion de partager un nouveau repas avec eux. On mettra de côté notre confort occidental pour se rendre aux toilettes qui ne sont rien d’autre qu’une cabane de bois dans laquelle est creusée en trou loin du camp ou pour se faire un brin de toilette avec ce lavabo posé là au milieu de nulle part.
Un peu plus loin sur la route nous trouvons le premier village depuis longtemps. Après cinq jours passés dans le désert, il semblerait que la civilisation refait surface. Mais la présence de cette banque à l’écriteau moderne nous rappelle le décalage entre cette ville pourtant centre de département et la capitale. Alors que dire avec nos villes occidentales. Le temple semble abandonné mais de temps à autres, des passants viennent tourner ces immenses cylindres pour faire une prière ou du moins avoir la conscience tranquille.
Nous quittons la ville pour retrouver une yourte pour la nuit. Un coucher de soleil de plus dans ce pays où ce spectacle est assurément l’un des plus beaux au monde. Et si demain soir et les soirs suivants on est sûr de revoir ce même spectacle, nous restons prostrés devant cette boule de feu qui à chaque minute passée donne de nouvelles couleurs au ciel jusqu’à ce que la dernière lueur du crépuscule s’en soit allée sur d’autres horizons. C’est seulement à ce moment-là qu’on réalise que le froid est tombé, hypnotisés par ce film long mais fascinant devant nous. La yourte devient alors un douillet cocon dans la nuit froide de cette fin d’été qui tire vite vers l'hiver.