« Rappelle-toi Barbara, il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là. Et tu marchais souriante, épanouie, ravie, ruisselante sous la pluie. Rappelle-toi Barbara, il pleuvait sans cesse sur Brest. Et je t’ai croisé rue de Siam, tu souriais et moi je souriais de même. Rappelle-toi Barbara, toi que je ne connaissais pas, toi qui ne me connaissait pas. Rappelle-toi. Rappelle-toi quand même ce jour-là. N’oublie pas. Un homme sous un porche s’abritait et il a crié ton nom : « Barbara ». Et tu as couru vers lui sous la pluie, ruisselante, ravie, épanouie. Et tu t’es jetée dans ces bras. Rappelle-toi cela Barbara. Et ne m’en veux pas si je te tutoie, je dis « tu » à tout ce que j’aime. Même si je ne les ai vu qu’une seule fois. Je dis « tu » à tous ceux qui s’aiment. Même si je ne les connais pas. Rappelle-toi Barbara. N’oublie pas. Cette pluie sage et heureuse sur ton visage heureux, sur cette ville heureuse. Cette pluie sur la mer, sur l’arsenal, sur le bateau d’Ouessan.
Oh Barbara, quelle connerie la guerre. Qu’es-tu devenue maintenant sous cette pluie de feu, d’acier, de sang. Et celui qui te serrait dans ses bras amoureusement est-il mort ? Disparu ? Ou bien encore vivant. Oh Barbara, il pleut sans cesse sur Brest comme il pleuvait avant mais ce n’est plus pareil et tout abîmé. C’est une pluie de deuil, terrible et désolée. Ce n’est même plus l’orage de fer, d’acier, de sang. Tout simplement des nuages qui crèvent comme des chiens, des chiens qui disparaissent au fil de l’eau et vont pourrir au loin, Au loin, très loin de Brest dont il ne reste rien. » Jacques Prévert, Paroles, 1946
Rien, il ne reste rien.
Rien des rues bruyantes où l’on célébrait le retour des marins. Rien des enfants qui couraient sur le port agité par un commerce florissant. Rien de ce que les hommes avaient soigneusement bâti. Rien de cette ville construite par les siècles. Une nouvelle histoire était à écrire à partir de ce rien. Alors dans la précipitation, dans le béton, dans des lignes droites, une ville fantôme a été construite. Des parcs, un port de plaisance, des allées lumineuses, il fallait bien que cette ville soit habitée.
Alors du vieux Brest, des murs qui portaient la mémoire il ne reste rien. Rien ? Rien que cette rue sans toits aux murs éventrés. Comme un îlot de mémoire debout malgré la violence d’une guerre qui voulait tirer un trait sur le passé. Une Histoire qui se reconstruit là. A partir de là. Du neuf mêlé à l’ancien. Du neuf qui imite l’inachevé, la construction permanente. Du neuf qui crée de nouveaux espaces pour réinventer la ville. Pour donner à ses enfants, sinon la mémoire, l’espoir.
R E C O N S T R U I R E