Un finish en apothéose ! Dernière soirée surréaliste !
Nous faisons une pause à la superbe Maison Valier, une grande auberge, gite, restaurant, semble-t-il renommé, et nous prenons le temps d'une très longue discussion avec les gérants, adorables, sur la problématique de l'ours dans les Pyrénées, sujet qui nous interroge depuis notre passage à Melle. Chacune défendant son camp sans aucune concession : on est pour ou on est contre ! Et en bons urbains ignorants que nous sommes, nous avons un mal fou à nous forger une opinion et surtout à choisir un camp ! Nous abordons souvent le sujet, en toute simplicité, avec ceux que nous croisons et petit à petit, nous commençons à comprendre les paramètres de la problématique. La discussion avec ces commerçants et habitants de la vallée est particulièrement riche sur le sujet.
Nous sommes le 26 septembre et la rembauche approche à grands pas. On regarde la carte dans tous les sens, on calcule, on recalcule, on doute, on remet en cause nos analyses... on ne sait pas trop combien de temps il va nous falloir pour regagner la vallée, car il est difficile d'estimer le temps et les aléas pour rejoindre un coin de civilisation qui nous permette ensuite d'accéder facilement à une vallée munie de transports.
Nous entretenons nos hésitations au cours de la journée dans notre traversée des forêts domaniales de Biros puis de Bonac. Nous croisons pleins de cabanes toutes plus sympas les unes que les autres et nous passons notre journée à l'image de ce GR10, à monter et descendre entre 900 et 1900 m d'altitude.
A force d'analyse de la carte, des courbes, des dénivelés, des temps de marche... nous savons maintenant que pour rejoindre Tarascon (comme initialement prévu) il faut aller dans la vallée d'Auzat/Vicdessos et cela nécessiterait environ 50h pour y arriver, sans compter le temps entre Auzat et Tarascon soumis à l'incertitude du "stop" pour se rendre à la gare. En 4 jours, même si nos corps sont maintenant habitués aux efforts soutenus, l'ambition parait forte et les marges de manœuvre, bien faibles ! Alors c'est décidé... pour cette année, on en reste là !
Pour notre dernière nuit en montagne, nous faisons le choix de nous poser à la Cabane du Clot d'Eliet, une petite cabane toute mignonne au creux d'un joli vallon. C'est rigolo pour notre dernier soir de se retrouver ainsi tous les deux dans cet endroit enchanteur. Comme dans les fermes anciennes, la porte s'ouvre avec une partie haute et une partie basse, et nous découvrons l'intérieur de notre futur palace : une grande table, une cheminée, une "chambre" sous les toits où l'on accède grâce à l'échelle. Mais c'est le luxe !! Comme souvent, nous commençons par ranger et faire une peu de ménage dans notre logis d'un jour. Et soudainement une voix arrive de l'extérieure, avec un accent fort "ah mais y'a du monde !"
La cabane du Clot d'Eliet C'est un berger qui est descendu de la montagne en voyant une moitié de porte ouverte à la cabane. Et de nous expliquer que certains idiots, visiteurs de cabane, sortent en laissant les portes ouvertes, une vache y entre puis se retournant avec l'agilité d'un pachiderme dans un magasin de porcelaine, referme alors négligemment la porte d'un coup de fesses et s'y retrouve enfermée. "La dernière fois, une a crevé dedans et quand il faut te la sortir de là, c'est pas simple, alors maintenant quand je vois que c'est ouvert, je viens voir !" Tu m'étonnes !
La discussion avec lui est super agréable et il l'entretient, tranquillement appuyé sur son bâton. Nous lui demandons conseil quant à nos projets de retours en vallée, ce qui finit de nous convaincre que nous sommes au-dessus de la bonne vallée pour redescendre. Puis évidemment nous parlons à nouveau de l'ours et il nous donne pleins de détails que nous n'avions par perçus ou compris jusqu'alors. Alors oui en effet, l'ours est une composante de la montagne, qui a été réintégré là sans réelle concertation avec les éleveurs, mais était-elle réellement possible tant le débat oppose et tranche les opinions ? Et notre berger de convenir que le dialogue était alors fort difficile à établir entre ces camps clivants.
Alors oui c'est vrai, ceux qui perdent des bêtes peuvent se faire indemniser, mais ils ne peuvent l'être qu'en fournissant la preuve que l'attaque est bien attribuée à l'un des ursidés et ça... c'est pas simple ! Il faut trouver les stigmates, les carcasses, les traces de dents, les preuves ! Et, nous raconte-t-il, certes, le gros poilu ne ponctionne qu'une bête pour se nourrir, c'est la nature, mais le problème, c'est les 50 autres moutons qui ont eu peur et se sont jetés dans le vide ou ont perdu leur petit. Et ça... ça ne laisse pas de trace mais ça traumatise un troupeau. C'est vraiment super intéressant de discuter de ce sujet avec lui parce qu'il le fait avec beaucoup de calme, sans énervement. On comprend son avis ; il défend son troupeau, son travail et c'est légitime. C'est vraiment chouette de finir la journée sur ce genre de discussion sujette à toutes les oppositions, dans une calme et une sérénité, entre adultes qui partagent des avis.
Nous finissons par réaliser que nous n'avons plus vraiment d'avis sur le sujet. L'ours et le loup sont là. Les troupeaux, les éleveurs et les berges aussi. On peut tenter de refaire l'histoire, de jouer avec les dates pour savoir qui de l'un ou de l'autre était là le premier, qui a "dérangé" l'autre. On peut imaginer ces bêtes majestueuses dans les livres depuis le confort douillet de son sofa en tenant l'une d'elles en peluche dans ses bras et tenir nombre de discours sur l'environnement, la nature, les équilibres... On peut aussi imaginer la détresse, l'amertume et la colère de ceux qui sacrifient des heures, de la passion à s'occuper de troupeaux et de découvrir au petit matin une carcasse sanglante et le fruit du labeur dévoré. Bein oui... l'ours, ce n'est pas que Nicolas et Pimprenelle, Paddington, Petit Ours, ou la tendresse du Roi Iorek Byrnison lorsque Lyra s'endort doucement dans son pelage chaud (A la Croisée des Mondes) .
Puis le berger retourna à ses activités et nous aux nôtres. Lui son troupeau, et nous à ramasser du bois dans les environs avec la ferme intention de se faire un chouette petit feu en cette fin septembre où les nuits sont bien plus fraiches. Nous commençons à nous installer tranquillement, décidés à transformer nos stocks de bouffe en grand festin du dernier soir, quand soudain... la porte s'ouvre dans un grand fracas qui nous fait sursauter.
"Oh punaiz, con, mais y'a du monde !", nous débite d'un trait notre visiteur du soir avé un accccccennnt de Toulouuuuzzzz à couper au couteau, con... Vous l'avez bien en tête l'accent là ? Oui ? Parce qu'à partir de là, c'est comme ça, non stop jusqu'au lendemain, c'est le show, on ne contrôle plus rien, et c'est du grand délire !!! "Ah beh je vais chercher du bois pour mettre dans le feu", et v'la notre compagnon de cabane parti en quête de combustible pendant que nous essayons de rassembler notre campement, histoire de lui laisser un petit coin tranquille. Oui, on prend vite nos aises après un mois de rando en mode roots ! Finie la soirée en amoureux, faut redevenir un peu civilisés et partager l'espace !
Revoilà notre ami avec 3 bouts de branches de genévrier totalement vertes (euh... ça va fumer ça, non ?!!) et la mine réjouie de celui qui a découvert le Graal : "oh punaizzz j'ai trouvé des champi !". On imagine déjà la poêlée de cèpes et... nous découvrons que notre énergumène secoue fièrement un bocal empli d'exemplaires à longue tige et chapeau pointu typique du Psylocybe, cher à Billy Ze Kick et Les Gamins En Folie ! "Ma copine elle connait pas, elle va être contente que je lui en rapporte".
Le mec parle tout le temps (si si, plus que FX... c'est possible !!!). Et le voilà parti à nous narrer ses aventures, en prenant à peine le temps de respirer entre chaque phrase. "Eh oui, c'est que je suis monté pour aller à la pêche, parce que je pêche, et je pêche à la mouche, et je fais moi-même mes mouches" et c'est parti pour la démo de toutes les mouches fabriquées et comment il s'y prend et les couleurs, et les plumeaux, les trucs, les astuces... Et il sort des trucs de son sac de baroudeur tantôt pour illustrer son propos, tantôt pour se préparer ce qui ressemble à son futur diner et qui nous laisse... totalement sur le cul !... Il est 22h, le mec nous parle de la nature, des grands espaces, et il se fait en fait un petit déj' avec du lait chocolat dégueu, de la brioche de grande surface et des Miel CradPops de chez CornFlakes Company !!! Il est totalement... décalé et part en live !!!
Le voilà parti à sortir feuilles à rouler, tabac "et ça vous dérange pas ?"... de toute façon on n'a pas le temps de répondre qu'il est déjà en train d'attaquer un joli collage à 3 feuilles (que les amateurs savent reconnaitre et qui ne laisse que peu de doutes sur les intentions du fumeur ! 😉). Nous assistons donc à une démo de roulage de spliff en règle tout en tenant la conversation et on vous jure que tout est vrai !, "eh beh oui, c’est que je bossais pas ce WE, alors comme ma copine elle connait pas, je me suis dit, je vais aller lui chercher des champignons hallucinogènes, mais j'emmène quand même la cane à pêche au cas où, alors hop, j'ai débauché, j'ai attrapé mon sac au vol, j'ai sauté dans mes godasses et je suis monté et me voilà."
Il vient d'allumer son calumet et pompe dessus comme un bronchiteux chronique sur sa pompe à oxygène, faisant rougeoyer la braise, et déversant dans la pièce les douces effluves de Jeanne la Marie. C'est de la bonne... ça se sent !!! Puis soudainement, il nous tend la bâton de paix en cadeau de partage des nouveaux amis qu'il vient de se découvrir à travers nous, sauf que... "euuh désolé, on fume pas !" Un grand blanc s'installe, que notre nouvel ami - qui semble ne pas les aimer beaucoup - s'empresse de combler : "Ah ouais ? Naaaaaan, c'est pas possible ??? Ah beh je pensais... ", découvrant, apparemment à sa plus grande stupeur, que ah bon, il y en a qui ne fument pas, mais comment c'est possible ??? et de conclure "ah m... va falloir que je fume tout alors !?"...
... ce que donc... il fit !
Sauf que se taper tout seul une cigarette de joie prévue pour 3... ça fatigue !!! Et après, on vous le confirme... il était bien bien fatigué !!! Après moult palabre, le sommeil gagnant et les esprits s'embrumant, il est convenu de rejoindre le... dortoir ! Nous grimpons l'échelle et chacun se trouve un petit coin quand soudainement...
... "oh merd... je me suis trompé de sacdecouchage (oui oui vu comment il prononce, ça a l'air d'être en un seul mot !), j'ai pris celui qui ferme pas... put... je vais me geler les c...!" C'est sur cette dernière crise de rire que tout le monde se laisse envahir, qui dans les bras de Morphée et qui dans les limbes du Dieu Ganja ! Quelle journée !!! Mais ça... c'est sans compter sur lendemain !!!