Bon ben voilà, la semaine dernière était ma dernière semaine à New York avant je ne sais combien de temps.
Dimanche : travail. Besoin de boucler la première partie de mon mémoire, ce que j'ai réussi à faire. Puis lessive au laundromat du coin, où j'ai croisé mon coloc. En ce beau dimanche, une petite musique assez disney-esque se faisait entendre régulièrement. A la faveur d'une pause, je me demande sans trop y croire si ce ne serait pas un de ces camions de marchands de glace qu'on voit dans les films. Bingo. On l'entend toutes les heures au moins jusqu'à 21h. Je me dis que peut-être qu'avant mon départ dans deux mois et demie (lol) j'aurai l'occasion de prendre une glace au camion.
Mail de Columbia dimanche soir : un membre de l'université est suspecté d'avoir le coronavirus. Les cours de lundi et mardi sont annulés.
Lundi, 7h45. Mon amie Carla, que je n'ai pas vue depuis 7 ans, débarque du Canada pour passer trois jours à New York avant de rentrer chez elle en Allemagne. Je lui prépare des pancakes, puis nous allons à Columbia, puis Central Park, où nous nous promenons avant de nous poser sur des rochers au bord du lac et profiter du soleil printanier. On va manger avant de se promener du côté de Times Square et du east side. Le soir, nous rejoignons une amie de Carla au 55, un bar jazz à Greenwich village où nous allons écouter un concert de Mike Stern. C'est très chouette, le temps est doux. Après ça, nous allons bien sûr manger l'incontournable pizza new-yorkaise, avant de rentrer.
Le lendemain, j'ai du travail et rendez-vous avec une professeure de Columbia. Carla va au Met. Je la rejoins plus tard et nous allons ensemble au musée de la fondation Guggenheim, où l'on peut voir en ce moment une exposition sur la campagne. Elle est très, voire trop, riche, et on en ressort la tête pleine. A partir de mercredi, les cours se font par visioconférence (et ce, nous l'avons appris deux jours plus tard, jusqu'à la fin du semestre). On termine la soirée devant l'émission de télé-réalité Love is Blind (bah écoutez, c'est pas si mal).
Mercredi. Partiel en ligne. Urgh. Flemme. Mais bon, il faut bien le faire. Je rend un devoir plutôt bof. Carla est à Brooklyn. Elle rentre rassembler ses affaires pendant que j'assiste à mon premier cours par visioconférence (par un prof pas doué avec la technologie qui a réussi à se débrouiller). Carla part. Mon cours se termine. Je suis contente parce que le soir, je vais voir la comédie musicale Wicked au Gershwin theatre et que mon copain arrive dans deux jours. Je me rends au théâtre tôt, et j'en profite pour prendre un verre au bar entièrement aux couleurs (enfin, à LA couleur, verte) de Wicked. On me le donne dans un mug Wicked que je vais pouvoir garder en souvenir. Je me promène dans le théâtre, admire les objets exposés et les produits dérivés en vente. Les portes s'ouvrent. Je m'installe dans la salle et admire l'immense décor. Le spectacle est incroyable. Les chanteuses et chanteurs sont très bons, l'histoire touchante et drôle, et la première partie se termine sur une superbe version de Defying Gravity. Des distributeurs de gel hydroalcooliques sont, comme à l'entrée des bâtiments de Columbia, disposés à plusieurs endroits, rappel discret de la situation actuelle. A la fin du spectacle, je me promène dans Times Square et entre dans une bijouterie. Je me dis qu'à la fin de mon séjour, s'il me reste un peu de sous, je m'achèterai une belle bague que j'ai repérée afin d'avoir un beau souvenir de New York qui ne soit pas un t-shirt I <3 NY.
Puis je reçois un texto de Luc. Il n'est pas sûr de pouvoir venir, un décret de Trump interdit aux Européens de se rendre aux Etats-Unis à partir de vendredi, minuit. Son vol est avant, on espère qu'il pourra le prendre. Cela met un terme, hélas, à la magie de la soirée, et, je ne le sais pas encore, la magie de New York.
Jeudi. Journée moche. Je n'arrive pas à me concentrer sur mon cours d'italien, qui saute régulièrement à cause de la connection internet mauvaise ou trop sollicitée par les cours en ligne de mes colocataires et moi. Je me demande s'il est sage que Luc vienne. Je dois aller voir la Cenerentola au Met Opera le soir : je me demande s'il ne vaut mieux pas que je reste chez moi. Mon dilemme est vite tranché : la représentation est annulée.
Vendredi : les théâtres et musées ferment. Je vais attendre Luc à l'aéroport : il arrive. On fait le trajet d'une heure quinze en transports pour rentrer chez moi. Ceux-ci, comme l'aéroport, sont assez vides. On passe le reste de l'après midi chez moi, à définir ce qu'on a envie de faire pour les vacances.
Samedi : les bibliothèques ferment. On ne sait pas trop si Luc va pouvoir rentrer à la date prévue. Pour se détendre un peu et profiter du beau temps, on passe l'après-midi à Central Park, où une amie finit par nous rejoindre. Nous marchons en tout 4-5h dans le parc, avant de rentrer tranquillement. Les nouvelles de France ne sont pas rassurantes. Un de mes camarades français de Columbia a déjà prévu de rentrer en France.
Dimanche. Les nouvelles sont mauvaises et la rumeur d'un confinement de 45 jours sous 48h en France semblent très crédibles. Ma mère me dit qu'il serait temps de songer à rentrer en France rapidement si l'on ne veut pas rester coincés à New York. Je ne sais pas trop quoi faire. Je n'ai pas envie de rentrer, Luc non plus, mais je ne me vois pas passer le confinement à deux dans cette petite chambre. Depuis jeudi, le stress rappelle à mon souvenir mon asthme : je respire assez mal. A la laverie, une télé passe les infos. A New York, pour plusieurs millions d'habitants, il n'y a que 3000 lits en réanimation, et 80% sont déjà occupés. Je n'arrive pas à avoir un rdv au Medical Center de Columbia pour obtenir de la ventoline. Je ne sais absolument pas quoi faire. Je ne dors pas beaucoup cette nuit là, je regarde les vols vers la France sans trop y croire.
Lundi. Il faut se décider vite, il y a de moins en moins de vols. Je décide de rentrer. Réveillés à 7h, on trouve un avion à 17h30. On le prend. La veille, on avait déjà acheté une valise en plus et j'avais vidé mes placards. Je dis au revoir à mes colocataires et leur laisse bien entendu les 50 dollars de courses que j'avais faites le vendredi. On va a l'aéroport, assez vide. On regarde en salle d'embarquement le discours de Macron. Confinement dès le lendemain à partir de midi. On ne sera pas encore chez nous... j'ai un train le mercredi matin mais Maman arrive à me trouver un vol le lendemain à 15h. Dans l'avion, un Anglais tousse sans protéger sa bouche : la dame qui le lui fait remarquer se prend un "It's a fake virus. It's people like you that create panic". Sympa. L'avion est rempli de Français qui ont écourté leurs vacances ou séjour d'études pour rentrer se confiner.
Mardi. On arrive à 5h du matin. Dix heures avant mon vol et le train de Luc. On ne dort pas. On joue aux cartes dans un coin désert de l'aéroport. On se lave les mains. On essaie de s'arranger pour mes valises. On ne trouve que des chips et des petits écoliers dans un Relay vidé de ses salades et sandwichs (le reste des commerces de l'aéroport est fermé). Il est temps de se dire au revoir, trois jours après s'être retrouvés alors que nous devions nous voir 14 jours. En salle d'embarquement, je suis très nerveuse. Je ne sais pas si j'ai fait le bon choix. Je pense à mon amie Claire, encore à New Haven. Puis dans l'avion, je craque. Je suis extrêmement déçue d'avoir suspendu (je n'ai pas envie de dire mis fin) à mon séjour. C'était mon rêve depuis trois ans de faire ce semestre à New York. Même si presque tout le monde m'a conseillé de rentrer, je me demande si je n'ai pas fait une connerie : je ne pourrai pas retourner aux Etats-Unis avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
J'arrive enfin à Toulouse, ma mère vient me chercher. Pas d'embrassades, pas de contacts physiques ni avec elle, ni avec mon frère. En rentrant, je prends une double douche et désinfecte chargeurs, ordinateur, téléphone, casque, lunettes. D'autres de mes camarades sont rentrés, et sont, comme moi, un peu en petit morceaux (pour reprendre la formulation de mon amie Clara). Je suis contente d'être en famille pour ce confinement et cette crise, mais je rage d'avoir dû interrompre le seul séjour à l'étranger de toutes mes études, ainsi que mes cours au Stella Adler Studio (ceux-ci sont suspendus jusqu'à mi-avril, même si je doute qu'ils reprennent à ce moment là). Mais je sais qu'avec mon asthme et ma couverture santé pas incroyable aux Etats-Unis, je suis mieux ici.
Je prends quelques jours de pause avant de reprendre le travail sur mon mémoire : ma soutenance sera en septembre pour me laisser le temps de réunir des documents et, je le souhaite ardemment, retourner à New York d'ici là pour consulter des ouvrages et archives (et faire tout ce que j'avais prévu de faire là bas).
J'espère sincèrement pouvoir reprendre ce carnet d'ici quelques semaines. Quand j'en aurai le courage je ferai un tri dans mes dernières photos de New York et je les mettrai ici. Je mesure la chance que j'ai d'être avec ma mère et Joseph dans un appartement nous permettant d'avoir une chambre chacun et un escalier extérieur où on peut prendre le soleil. J'espère que vous vous porterez toutes et tous bien et que nous sortirons de tout cela assez vite. Je vous embrasse !
Esther