Partir de chez soi pour parcourir 2000 kilomètres à pied en solo ou presque.
Du 4 avril au 19 juin 2022
11 semaines
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« Les seules pensées valables viennent en marchant » écrivait Nietzsche. Rousseau, lui, n’est pas le premier à établir un lien entre la marche et la bonne pensée ; Platon et Aristote philosophaient en marchant, ils sont tous d'illustres personnages à réfléchir à ce que marcher veut dire. Valeur romantique, valeur philosophique, valeur politique, valeur religieuse ou aucune valeur particulière la marche nous rend plus proches de la nature, de l’authentique ; quelques pas et elle nous fait tout de suite éprouver un bien-être, un pur sentiment de bonheur ; qui plus est, elle peut même nous rendre libres. Le marcheur connaît la liberté. Il peut choisir ses chemins, ses pensées seront stimulées, ses sens se maintiendront en éveil, ses ressentis adoucis et le corps suivra le même chemin. Plus celui-ci sera tortueux, plus l'éveil sera grand.

Marcher, faire une pause, manger, penser, observer, boire de l’eau d'un ruisseau bienvenu ou d'une fontaine jaillissante, la nature s'offre à nous pour notre pur plaisir. Il suffira de gouter ce qui se présente au passage.

L'ivresse des chemins ou ivresse du corps, tout se confond malgré la fatigue, la côte escarpée, le poids du sac, la pluie battante, le vent cinglant, la neige piquante. Une petite halte et l'esprit recharge en énergie le corps fourbu, fait disparaître la fatigue, chasse les douleurs, les ampoules, les courbatures, le poids du sac, un vrai petit miracle. Une brève halte et tout reprend, tout se remet en place, le corps à nouveau prêt peut repartir, boosté il consomme cette énergie venue de l'intérieur. Quelques minutes ont suffi. On marche vers quelque chose de nouveau, d'imaginaire, de fantasmé. Au bout d’un moment, on a le sentiment d’être parti pour toujours, plus rien ne nous arrête.

Pourquoi l’interrompre, pourquoi ne pas continuer ? Vers quoi ? Vers qui ? Vers où ? Je n'en sais rien. Je marche on verra bien.

On peut toujours faire moins... 

Depuis des semaines trottent dans ma tête des images du matériel à emporter. Au fil du temps j'ai testé différents produits, essayé des recommandations et même usé des accessoires avant de partir. Tout cela tient dans deux mètres carrés. Le dernier pesage ne dépasse pas huit kilos, je parle bien de ce que j'aurai sur le dos, pas les chaussures, pas les vêtements de marche portés sur moi, il faut rajouter un peu de bouffe et de l'eau, disons deux kilos supplémentaires.

Pour la bouffe, le minimum jusqu'à Le Puy puisque nous serons Guylaine et moi soit en gîte, soit en chambre d'hôtes soit à l'hôtel, le grand luxe. Après Le Puy, seul je poursuivrai. J'ai opté pour les nuits sous la tente voire à la belle étoile lorsque le temps le permettra, plus proche de la nature et des étoiles, moins à la merci des fanfares sonores des pèlerins endormis, plus loin des punaises de lit, une équipe à moi tout seul. J'aurai comme seul compagnon sonore le souffle de la nuit, comme horizon les ombres mouvantes de la forêt et les senteurs d'un printemps déjà installé.

Sur la photo il manque le téléphone (pas d'appareil photos, trop lourd), de l'argent, la VISA, le savon, la brosse à dents et quelques petits ustensiles, je compte bien me laver au fil des opportunités et de temps en temps loger dans le dur (logement jacquaire, couvent, monastère, hôtel) afin de redevenir présentable pour ne pas épouvanter les pèlerins ou pèlerines rencontrés lors d'une petite halte bien méritée ou par les lois du hasard, même si le hasard n'existe pas. Le chemin je l'ai découpé en plusieurs tronçons inégaux en longueur mais avec une certaine logique de progression.

J'intitulerai le parcours Pizay - Le Puy (185 km) Saison 1. Nous serons deux avec des étapes allant de 14,5 km à 27 kilomètres. Guylaine était partie il y a quelques années de Le Puy, ce périple lui permet de rajouter un tronçon à celui déjà réalisé. En juin, elle poursuivra son avancée vers Saint Jean Pied de Port pendant ce temps je foulerai les rues d'Oviedo en Espagne ou la campagne asturienne.

La Saison 2 de Le Puy jusqu'à Roncevaux (Via Podiensis -GR 65 - 782 km), partie française, fréquentée, classique, l'Aubrac magnifique, Conques légendaire. En fait je vais jusqu'à Roncevaux juste pour voir là où au retour d’une expédition contre les Maures d’Espagne, Charlemagne qui avait imprudemment divisé son armée dans le passage des Pyrénées, fut attaqué par les Basques, qui massacrèrent complètement son arrière-garde engagée dans la vallée de Roncevaux. En fait, arrivé à Saint Jean Pied de Port je ferai juste un aller-retour à Roncevaux (Roncesvalles), deux jours et trois mille sept cents mètres de dénivelés quand même !

La Saison 3 plus courte (86 km) partira de Saint Jean Pied de Port jusqu'à Irun (Espagne), peu fréquentée, pittoresque elle m'écartera progressivement de la horde de pèlerins du Camino Francès, je remonterai vers le nord-ouest pour rejoindre l'océan et son lot d'incertitudes climatiques.

La Saison 4, la plus longue (Camino del Norte - 812 km) m'amènera à Saint Jean de Compostelle (Santiago de Compostela). Je prévois averse, grêle, crachin, orage dans un paysage grandiose avec comme horizon à tribord le Golfe de Gascogne et les Asturies à bâbord. Le chemin suivra la côte très verte lavée par les averses fréquentes et quelquefois séchées par les vents frais du Golfe de Gascogne.

La Saison 5 achèvera mon périple de Santiago de Compostela jusqu'à Muxià (un peu après Cabo Fisterra) longue de 118 km, longe côte uniquement, le bout du bout de l'Espagne. Une tradition récente veut que, le soir venu, arrivé à ce cap, les pèlerins brûlent ou laissent en offrande leurs vêtements ou leurs chaussures. Je pense que je jetterai simplement un regard émerveillé sur le coucher du soleil flamboyant, je brûlerai d'envie de me reposer et je saluerai la providence de m'avoir permis d'être ici et maintenant sur ce lieu mythique.

La Saison 6, retour au bercail par les moyens les moins polluants possibles : bus et train, le temps de digérer ces quatre-vingt-deux jours de bouts de vie nomade et d'abandon à soi-même.

Jeudi 1er avril, départ vers 9 heures de Pizay. Ultreïa !

Je viens de quitter la salle télé, il faut se rendre à l'évidence ça démarre mal. J'ai écrit ce que vous venez de lire il y a quelques jours avant l'allocution de notre cher Président. J'ai parcouru les réseaux sociaux et particulièrement les groupes Compostelle et ils sont nombreux : il va falloir décaler. De combien de jours ? Trop tôt pour le dire.

Ce qui est certain, pas de départ pour le 1er avril de Pizay. Non ce n'est pas un poisson d'avril, c'est encore une mauvaise blague de ce satané virus qui nous a déjà fait le coup l'année dernière pour notre voyage en Chine qui s'est finalement terminé en Thaïlande.

Je vous salue toutes et tous en vous disant : "Ultreïa".

Ultreïa est une expression de joie du Moyen Âge, principalement liée au pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. La vraie interjection semble être « E ultreïa, E susseïa » qui signifie « Plus loin, allons! Plus haut, allons! ».

Bon je vous dis : "Salut et à plus !". C'est plus simple. Je publierai dans quelques jours mes intentions et le nouveau projet jacquaire un peu remanié. Je ne recule que pour mieux marcher.

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Demain c'est le grand jour, le départ tant attendu pour Compostelle depuis chez moi à Pizay. Les affaires de marche et de bivouac éparpillées sur le sol du bureau vont rejoindre le sac bien rangé en fonction de leur utilisation et de leur poids pour m'accompagner et me servir pendant plus de quatre-vingt jours et quatre-vingt nuits. Pas de grand changement par rapport à mes préparatifs de l'année dernière à la même période. J'ai failli abandonner la veste Goretex de montagne pour une veste de la même matière mais plus légère mais le temps a brusquement changé, je prends les deux.

Côté vêtements, le minimum, deux tee-shirts manches courtes, un tee-shirt manches longues en laine de Mérinos, un Damart, un pantalon léger transformable en short, deux sous-vêtements, trois paires de chaussettes en laine du même mouton, des gants, un bonnet chaud, une veste doudoune légère, une cape de pluie, un pantalon de pluie, des sandales de marche et mes chaussures basses de randonnée.

Côté habitat, j'ai opté pour la tente deux places Nordisk, cinq cents grammes avec tapis de sol, duvet en plumes d'oie de seulement quatre cents grammes, mon Dunlopilo gonflable deux cents grammes, la popote, deux bouteilles de gaz, briquet, couteau Opinel, panneau solaire, une batterie, de la pharmacie au minimum, des sacs étanches pour chaque type d'affaires, la Crédenciale, l'argent pour les donativo, le téléphone avec tous les documents, cartes et guides scannés, ma montre Garmin avec les étapes, les cartes de France et d'Espagne. Les Fleurs Du Mal de Baudelaire m'accompagneront tout le long en souvenir de cette belle soirée théâtrale en Ardèche ainsi je pourrais apprendre, réciter et déguster des poèmes de ce monsieur au spleen grave au lieu d'égrener des mantras ou des prières pèlerines.

Côté mental j'ai préparé tout ce paquetage sans trop me projeter, mon obsession le poids et l'utilité de chaque chose. Évidemment je laisse Guylaine et toute ma petite famille après le Puy en Velay, lieu de séparation après une dizaine de jours de marche pour poursuivre l'aventure en solo. Les vers de Baudelaire feront taire le spleen qui sera en moi et viendront je l'espère adoucir la brumaille qui aura envahi mon âme sur ces chemins sinueux.


Enfin côté santé, une douleur au pied droit s'est installée sans vergogne depuis une semaine m'interrogeant sur le sens à donner à cet élancement soudain. Massages quotidiens, anti-inflammatoires pendant sept jours et incantations magiques chaque fois que j'y pense auront raison de cette douleur métatarsienne subite. La douleur évaluée à trois sur une échelle de dix, devrait se tenir tranquille pendant les premiers jours de marche. Je verrai bien. Une petite voix douce dans ma tête me dit : "Inch'Allah Compostelle". Marchons.


Quand il faut y aller, faut y aller !
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Lundi 4 avril 2022

Départ à 9h00 - Arrivée à 16h30

Distance parcourue : 29 kilomètres

Temps : 7h30

Le soleil pointe ses premiers rayons matinaux sur notre maison encore couverte de gelée nocturne. Je referme la porte derrière moi, un dernier coup d'œil aux alentours et nous voilà partis pour ce périple jacquaire. Le temps frais et sec nous accompagnera toute la journée jusqu'à Lyon, la météo de la semaine sera plus mitigée d'après les prévisions annoncées hier au soir. Pour le premier jour nous évitons la dépression du week-end où le froid, la neige et le vent ont changé en moins de vingt-quatre heures le paysage pizolan.


Le Schtroumpf pèlerin et sa pèlerine

Nous faisons une variante dès le départ , nous prenons notre chemin habituel pour rejoindre Montluel, première étape de passage. Nous voulons éviter la trace officielle du chemin de Compostelle car elle passe par un vallon ombragé et certainement très boueux vu les conditions climatiques du week-end. Nous traversons un plateau agricole inondé de colza et de pesticides avant de descendre directement vers Dagneux puis Montluel. Le soleil nous réchauffe lentement mais nous gardons nos doudounes et nos gants pour se protéger d'un petit vent glacial.

Sur ce désert venté, nous croisons quelques marcheurs solitaires avec qui nous échangeons les premiers bonjours et salutations matinales.


Le plateau pizolan

Montluel, un lundi matin c'est le désert. Le bourg traversé rapidement s'éloigne lorsque nous prenons notre première montée vers un autre plateau ou plutôt un versant de plateau. Le chemin suit la vallée où coule le Rhône, long fleuve déjà tranquille pour arroser vingt kilomètres plus loin Lyon. Le sentier domine les villages de Beynost, de Miribel avec une vue panoramique sur les premiers faubourgs de la ville au club olympique.

Entre Montluel et Miribel
La Vierge du Mas Rillier
Entre Montluel et Miribel

Il est douze heures trente, nous décidons de déjeuner sur la place de la République à Miribel : un sandwich, un peu de fromage, un fruit sont vite avalés sous le regard bienfaiteur de la Vierge du Mas Rillier.

Plus connue sous le nom de "La Madone", elle est la fierté des habitants de Miribel.

Notre-Dame-du-Sacré-Coeur a été construite en 1938 sur les ruines du vieux château de Miribel. Une statue en hommage à la vierge Marie, à l'initiative du père Thomas, alors curé de la paroisse du Mas-Rillier.

Au début du XXème siècle, la Madone a été le lieu d'importants pèlerinages.

Avec ses 33 m de hauteur, cette statue monumentale offre une vue imprenable sur la plaine de l'Ain et est la plus haute statue religieuse de France...

Nous profitons de la civilisation pour aller prendre un café dans le seul bar ouvert du coin. Décidément le lundi c'est la dèche dans le coin.

A partir de là nous ne quitterons plus le chemin de halage du Rhône jusqu'à Lyon. Le sentier ne présente aucune difficulté mais dix kilomètres de ligne quasi droite c'est long et ennuyeux. Par contre sur le parcours quelques artistes armés d'aérosols de peinture ont illuminés les piles du pont de l'autoroute reliant Lyon à Paris.

Humour électoral
Humour plus complexe
Peintures rupestres

Enfin à Lyon ! Nous longeons les quais ensoleillés et noirs de monde, nos jambes commencent à se faire lourdes et douloureuses et nous avons hâte de rejoindre l'église de Saint Nizier dans la presqu'île pour faire tamponner nos crédenciales encore vierges.

Les quais de Lyon
Dernière ligne droite avant l'arrivée

Nous déposons nos sacs à dos dans la nef de l'église et sans tarder j'ouvre mon sac pour dénicher mon pass' pèlerin, récupère celui de Guylaine et me dirige vers le guichet religieux où deux laïques me questionnent sur notre aventure.

Nous sommes arrivés juste à temps car dix minutes plus tard l'église fermait ses portes. Pas eu le temps de se reposer un peu, qu'à cela ne tienne nous nous précipitons dans un café très bio proche de l'église.


Chocolat reposant

Nous nous délectons d'un chocolat crémeux assis sur des fauteuils douillets. Notre première journée s'achève chez Lucas à Villeurbanne où nous nous rendons en métro et tramway en pleine heure de pointe avec nos sacs encombrants et nos jambes fatiguées.

Demain l'étape de vingt kilomètres sera plus tranquille, nous traverserons Lyon en passant par Fourvière et nous serons hébergés par des hôtes jacquaires mais c'est une autre histoire.

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Date : mardi 5 avril 2022

Départ : 9h45 - Arrivée : 17h00

Distance : 23 kilomètres

Les matins demeurent une énigme pour moi, on ne sait jamais dans quel état on va se retrouver après une nuit de sommeil léger mais réparateur. Je trouve malgré tout le courage d'aller acheter des croissants et du pain frais pour le petit-déjeuner avec Guylaine et Lucas.

Vers huit heures quinze, Lucas nous quitte pour rejoindre la plus haute tour de Lyon et son bureau panoramique. Nous enfilons les dernières affaires dans les sacs direction le tramway puis le métro pour retrouver l'église Saint Nizier à Lyon.


Église Saint Nizier

La journée démarre sous la fraîcheur d'un petit vent et sous les nuages inoffensifs, il ne devrait pas pleuvoir même si la météo annonce quelques ondées locales.

Le chemin prend la direction des quais de Saône que nous suivons jusqu'au pont face au palais de justice où Klaus Barby y a été jugé et condamné il y a quelques années déjà.


Le long des quais de Saône

Nous traversons la passerelle et nous filons directement vers Saint Jean en passant par la cathédrale même si le chemin officiel n'y passe pas. De là, une rude montée vers Fourvière nous attend ainsi que les premières gouttes de sueur malgré une bise soutenue et vivifiante.

La passerelle sur la Saône

Nous nous dirigeons vers Fourvière sans y passer car le chemin n'y accède pas.

Ce début de randonnée nous fait découvrir un autre Lyon, celui des petits quartiers pentus, des escaliers à n'en plus finir, des mamies tirant leurs caddies et leur chien flairant les milles odeurs des trottoirs.

Cathédrale Saint Jean

Les rues laissent la place à d'autres rues et les immeubles au fil du temps deviennent de plus en plus rare. La ville de Lyon est maintenant derrière nous mais la campagne n'est pas encore tout à fait en place. Il nous reste encore du chemin à parcourir avant d'avoir des prés verdoyants ou des collines tapissées de pêchers et de pommiers en fleur.



Panorama sur Chaponost

C'est toujours un peu monotone lorsqu'on marche entre deux environnements : l'urbain et le rural. C'est un peu le cas de Chaponost, ce n'est pas une ville mais ce n'est pas non plus la campagne, c'est un gros bourg avec des commerces et des gens plutôt sympathiques car tous nous saluent et nous souhaitent un bon appétit. Il est treize heures trente, assis devant un Ehpad nous dégustons avec plaisir notre sandwich jambon, notre banane et un yaourt noix de coco. Nous avions tardé au maximum l'achat du déjeuner pour rester léger le plus longtemps possible.

La passerelle de Soucieu

Ça y est, c'est la campagne ou plutôt les monts du Lyonnais, les vergers nous entourent et s'étendent à perte de vue jusqu'aux collines encore enneigées par la mini tempête du week-end passé.

Demain nous devrions en traverser une orientée vers le sud-ouest. Donc avec un peu de chance nous devrions avoir peu de neige voire pas du tout.


C'est le printemps

Il est seize heures quarante-cinq, nous arrivons à Thurins. La distance du jour alors que plus courte que celle d'hier pèse plus sur mes jambes. Sans doute les dénivelés incessants en sont la cause, j'ai hâte d'arriver et Guylaine aussi.

Voilà il nous reste huit cents mètres à faire mais ils sont très raides. En effet notre hôte a sa maison en haut d'une colline avec une belle vue. Nous avons encore quelques réserves d'énergie pour nous hisser jusqu'au point final du jour.

Il est dix sept heures et cinq minutes nous sonnons, Nathalie vient nous accueillir.

Nous passons une soirée sympathique en compagnie de Nathalie et Daniel, hôtes jacquaires super accueillants qui nous ont apporté beaucoup d'informations intéressantes pour notre projet de chambres d'hôtes et de gîte jacquaire mode donativo.

Demain petit déjeuner à 7h00 et une autre journée de rencontres et de marche pèlerine.

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Date : mercredi 6 avril 2022

Heure départ : 8h15 - Arrivée : 14h45

Distance : 20 kilomètres

Arrivée à Saint Symphorien sur Coise (42)


Le lever démarre à six heures quarante-cinq car nos hôtes travaillent cela nous convient parfaitement car c'est plutôt dans nos habitudes de nous lever tôt.

Nous prenons le petit-déjeuner autour d'une table bien garnie et un feu de poêle projetant sur les murs une farandole de silhouettes féeriques, ce qui ajoute un charme supplémentaire à l'ambiance matutinale.

Évidemment nous échangeons encore quelques paroles et impressions entre deux tartines à la confiture de citron avant de se quitter et nous donner rendez-vous pour une prochaine fois.

Compostelle c'est cela, des rencontres vivifiantes, des échanges simples et des projections rassurantes.

Huit heures quinze nous quittons Nathalie pour affronter cette nouvelle étape, direction le mini supermarché local.

Nous étions bien entourés de livres

Aujourd'hui nous ne nous laisserons pas surprendre par le manque de ravitaillement de midi aussi nous faisons un petit passage par Vival. Pour notre déjeuner nous choisissons une salade de riz au thon, olives et citron, pour le dessert une banane. C'est bien suffisant. Hier nous avions abusés, pain, jambon, gâteau, bière, yaourt noix de coco. Bilan : après-midi ballonnés, digestion difficile, il faut marcher léger dans tous les sens du terme.

Nous quittons Thurins en prenant la direction de Rontalon en passant par les vergers fleuries, l'air y est frais mais agréable. L'odeur de pesticides ou autres phytosanitaires diaboliques empeste l'espace et ne nous rassure pas car en pleine montée nos poumons doivent absorber de grandes quantités d'air et d'oxygène pour compenser l'effort dû à la pente raide. Hier soir nous avons évoqué le sujet : peu de bio à Thurins. Quand verrons-nous les choses changer dans le bon sens ? Une des solutions c'est la prise de conscience du consommateur, il ne faut pas désespérer ça viendra un jour, peut-être ?

Les pêchers et abricotiers en fleurs colorent comme un tableau en pointillisme le paysage grisonnant de ce matin. La nature est belle même dans un décor faisant penser au Parlement de Londres dans le brouillard peint par Monet. En longeant ces fruitiers je constate qu'ils font tous une grimace avec leurs branches torturées, noueuses et rabaissées pour faciliter la cueillette ainsi faciliter le travail de l'homme. Nous plions la nature selon notre bon vouloir pour en faire notre serviteur docile. Jusqu'au jour où....?


Thurins au fond, les serviteurs devant

Chance, aujourd'hui nous aurons majoritairement des chemins bien larges et des paysages changeants, des vallons verdoyants et des restes d'inoffensifs névés de la tornade du week-end dernier. Nous grimpons tranquillement la colline pour changer de vallée. Notre guide nous fait découvrir que nous traversons la ligne de partage des eaux. Derrière nous c'est la méditerranée et devant nous c'est l'atlantique.

Noter la longueur de la barbe

La montée s'annonce longue car une suite de petits vallons s'enchaînent avant d'atteindre le point culminant vers 850 mètres d'altitude. Des restes de plaques de neige agonisent de-ci delà ce qui m'obligent à valser d'un côté de l'autre du sentier. J'ai opté pour la marche avec des sandales de randonnée d'où la contrainte de bien regarder où l'on met ses pieds.

Neiges presque éternelles

Mais ceci a aussi l'avantage de bien réfléchir avant de poser son pied à terre à chaque pas ; d'être en quelque sorte en pleine conscience de marche, plutôt que de rêvasser à des situations improbables sans se soucier du chemin. L'autre avantage est que les sandales me serrent moins le pied droit, diminuant la douleur métatarsienne bien installée depuis une semaine. Pour améliorer la situation algique Guylaine me suggère de bien inspirer et ensuite de bien expirer en se concentrant sur le point douloureux. Ça ne marche pas à tous les coups mais ça marche quand même.


Dernier panorama lyonnais

Le point culminant se franchi dans la fraîcheur, il n'est pas loin de midi et nous souhaitons trouver un coin abrité pour pique-niquer et profiter de ce paysage bucolique qui a chaviré dans l'élevage. Des vaches, des vaches et encore des vaches mais au moins elles ne sont pas phytosanisées, du moins nous le souhaitons pour elles et pour nous aussi. L'herbe encore un peu courte paraît très verte et très dense, les bovidés y paissent, toutes alignées au cordeau et dans le même sens. Entre parenthèse, nous n'avons toujours pas élucider ce mystère bovin : pourquoi les vaches paissent-elles souvent toutes dans le même sens ?

Des vallons et des vallons

Plus nous approchons de Saint Symphorien sur Coise plus le temps devient clair voire même un peu ensoleillé. Depuis notre départ lundi, pas de pluie, du soleil lundi, de la grisaille mardi et mi grisaille mi soleil aujourd'hui. Aurons-nous cette chance longtemps ?

Devant nous s'offre un panorama laiteux sur les monts du Forez et les collines à peine visibles de la Haute-Loire. Notre bourg d'étape du jour apparaît à l'avant-plan de ce paysage flouté à l'arrière plan par la brume humide d'une météo incertaine. Un soleil timide salue notre arrivée, il est quatorze heures quarante-cinq nous campons sur la place du marché de Saint Symphorien sur Coise à la recherche de la mairie. Ce soir nous logerons dans le gîte communal à dix euros par personne.

Saint Symphorien sur Coise est le village natal de la grand-mère de Lamartine, ce poète qui a écrit quelques vers sur la grotte de Saint-André de la Roche mon village d'enfance. Marie Gavault y est née en 1737, grand-mère et marraine d'Alphonse de Lamartine. Elle fut nommée préceptrice du jeune Louis Philippe, dernier roi des français en 1830.

Je continue de faire mon Stéphane Bern car j'ai l'envie de vous conter une curieuse coutume qui se déroulait dans ce village pour les fêtes de l'Ascension dans les années 1400. En effet, en 1408 la Charte signée par le Chapitre de Lyon accordait aux habitants du village d'élire un roi. Choisi parmi les jeunes hommes, celui-ci régnait durant trois jours depuis le jour de la fête de Saint Symphorien, le 22 août jusqu'à la Saint Barthélémy, le 24 août. Ce roi éphémère rendait la justice exceptée pour les crimes méritants des peines corporelles. Ce privilège a perduré jusqu'en 1667. On n'oserai pas instaurer une telle coutume de nos jours. Ils avaient bien du courage et surtout de la confiance envers la jeunesse.


Saint Symphorien sur Coise

Bon laissons les us et coutumes de côté, ce soir ça sera pizza commandée au bouiboui de la rue principale qui sera dégustée dans la salle réfectoire. On peut le dire nous sommes comme une reine et un roi dans ce gîte mais nous ne rendons pas la justice.

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Date : jeudi 7 avril 2022

Heure de départ : 8h45 Arrivée : 12h30

Distance : 16 kilomètres

Étape à Saint-Galmier (42)

L'étape du jour sera résolument courte, c'est un choix raisonné afin d'habituer le corps et l'esprit aux grandes distances sans le traumatiser dès les premiers jours.

La nuit dans le gîte communal a tenu sa promesse, elle fut reposante et réparatrice. Les salles bien chauffées ont requinqués nos corps attaqués par le vent de la veille et vu l'espace à disposition nous avons même pu entamer quelques postures de yoga pour redonner de l'élasticité à nos muscles sollicités par les 880 mètres de dénivelés positifs de la veille.

Petit-déjeuner au bar du coin où trois gais lurons d'un âge avancé partagent une bouteille de blanc en guise de café ou de remontant matinal.

A la sortie de Saint Sym.

Nous prenons notre temps pour déguster café, thé, pains au chocolat, croissants et jus d'orange car l'étape du jour devrait s'achever vers douze heures trente sans forcer. Huit heures quarante-cinq nous passons tout près de l'église située sur la colline la plus haute du bourg. Les bâtisseurs aimaient certainement rappeler la liaison incontestable de l’Église entre la terre et le ciel.

La campagne autour de nous, nous accueille au son des petits oiseaux curieux et du beuglement des vaches toutes aussi curieuses de notre passage. Jean Ferrât chantait "Que la montagne est belle ...", il aurait tout aussi bien pu chanter "Que la campagne est belle ...". L'harmonie des vallons parsemés de fermes massives me fait penser aux paysages peints par Bruegel mais sans la neige.

Douceur et harmonie
Effet du vent

Finalement nous empruntons de nombreux sentiers tapissés d'herbes grasses marqués par les passages fréquents des engins agricoles. A mi-chemin, nous approchons d'une ferme où un molosse très noir et très poilu aboie tout en se dirigeant vers nous à vive allure. La maîtresse du cerbère très sombre pense nous rassurer en nous lançant avec l'accent stéphanois aussi prononcé que son canidé est noir :

- Il n'est pas méchant, il est emmerdant !

Nous voilà absolument rassurés. En disant cela, je m'interrogeais immédiatement sur ce que pouvait bien faire un clébard aboyant et "emmerdant" à deux pèlerins inoffensifs prêts à prendre leurs jambes à leur cou pour échapper à un probable carnage. A l'appel de son maître, le bestiau s'en retourna dans son domaine en nous ignorant totalement. Merci Saint-Jacques !

Alignement de vaches

Après cet épisode canin, nous poursuivons notre chemin vers Saint-Galmier d'un pas rapide malgré le vent venant du sud nous obligeant à conserver la veste coupe-vent sur nous.

La belle saison se fait attendre, les vaches pour la plupart déjeunent encore à l'étable dans un alignement forcé. Nous passons, elles lèvent la tête puis reprennent leur mastication dans une indifférence totale.

Nous approchons de Saint-Galmier ville d'eau (Badoit) et d'argent car il y a un casino, il est douze heures trente nous sommes au pied de l'église dominant la cité.

Église de Saint-Galmier

Petit tour à la boulangerie, puis nous prenons notre déjeuner sur le parvis de l'église en compagnie de collégiens avalant leur sandwiches frites tout en échangeant sur les dernières péripéties du collège.

Le vent se maintient, nous nous faufilons dans l'église imposante pour y trouver un peu de réconfort car il est un peu tôt pour aller chez notre hôte du jour.

Sainte Cécile et Sainte Catherine
Saint-Jacques
Saint-Galmier
Le chœur de l'église

Petite visite des lieux pour nous réchauffer et nous cultiver religieusement sur les saints locaux.

Nous apprenons que Saint-Galmier était forgeron.

Saint Gulmier ou Baldomer, son nom serait une déformation du nom germanique Waldemar, latinisé en Baldomerus. Humble forgeron, il fut remarqué par l'abbé de Saint-Just de Lyon "comme de l'or caché sous la cendre". L'archevêque Gandésic l'ordonna sous-diacre et, après sa mort, les miracles fleurirent sur sa tombe.

Nous ne chercherons pas sa tombe aujourd'hui même s'il y fleurit des miracles sauf si nous avons l'idée de faire un tour au casino Partouche ce soir et d'espérer décrocher le gros lot. Mais je pense que Saint-Galmier le moine n'a pas ce miracle dans sa besace et mise à part des fleurs je ne vois pas ce qui peut bien fleurir sur une tombe. Et puis, le gros lot je l'ai déjà décroché : de pouvoir m'aventurer sur le chemin de Compostelle. Je n'ai pas de raisons secrètes ou intimes de mettre mes pas dans ceux de milliers de pèlerins. Sur le chemin, le temps prendra une autre dimension et c'est sans doute cette profondeur inexplorée qui me pousse à aller de l'avant. Enfin, pourquoi "faire" le chemin, tout bonnement parce qu'il existe.

Après avoir traînés un peu dans un bar de la ville à l'eau pétillante, nous sommes accueillis par Pascale dans sa maison toute en hauteur. L'accueil y est admirable, nous nous sentons chez nous immédiatement. Nous passons un bon moment en sa compagnie à bavarder sur nos vies et nos projets tout simplement.

Notre cocoonning

Pascale nous quitte vers dix-huit heures pour son cour de chant et elle ne reviendra que tard dans la soirée. Elle a préparé tout le repas, il ne reste qu'à enfourner le gratin, c'est cela aussi Compostelle.

Vers dix-huit trente nous pointons notre nez dehors, la pluie a cessé, le temps humide s'installe. Il nous faut visiter cette ville célèbre et pétillante comme son eau avant un éventuel déluge de pluie non gazeuse.

Après quelques explications données par notre hôte nous repérons les lieux pour repartir demain sans encombre. En nous promenant vers l'usine Badoit, nous découvrons que l'on peut se servir à volonté d'eau à la source même. Demain nos gourdes déborderont d'eau aux bulles naturelles qui mettront à l'évidence du pétillant dans notre journée marquée par une étape de vingt-quatre kilomètres. Vive Badoit !

L'usine
Badoit à volonté
La source Badoit 
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Date : 8 avril 2022

Départ : 8h30 - Arrivée : 15h30

Distance : 26.5 kilomètres

Étape à Saint-Georges Haute-Ville (42)

Aujourd'hui nous aborderons certainement l'étape la plus plate du périple. De Saint-Galmier à Saint-Georges Haute-Ville du plat, de la morne plaine entre les collines verdoyantes des monts du lyonnais et les collines fleuries des monts du Forez.

Nous abandonnons Pascale notre hôtesse jacquaire vers huit heures quinze après un petit-déjeuner correct. Nous sommes habitués depuis le départ aux pains au chocolat et croissants, ce matin c'était pain frais, c'est mieux pour la santé mais pas pour aborder la platitude du relief qui nous attend.

Petit tour à la boulangerie pour du pain au maïs, nos bâtons à chaque main pour un autre petit tour à la source Badoit.

Nous rencontrons un baldomérien curieux (habitant de Saint-Galmier) s'affairant à remplir ses bouteilles de ce champagne sans alcool. Vu notre accoutrement pesant sur le dos,il nous questionne sur notre étape du jour, d'où l'on vient, où l'on va et nous avoue son manque de courage pour entreprendre ce long pèlerinage.

A la sortie de Saint-Galmier

Nous laissons dès le départ le chemin officiel pour une variante depuis le kiosque de la source Badoit. Ce détour nous oblige à suivre la Coise, petite rivière paisible et silencieuse se jetant quelques kilomètres plus loin dans la Loire. Cette circonvolution nous détourne la traversée dans la zone industrielle de la ville à bulles pour emprunter une nature plus sauvage au bord de cet affluent pantouflard désormais troublé par un limon jaunâtre d'une origine inconnue.

La variante sous un ciel capricieux

Nous serpentons près d'un jardin partagé ou ouvrier, très bien agencé et déjà semé, puis d'une école de poneys déserte, nous contournons une station d'épuration nauséabonde et enfin nous traversons la Coise. Cette rivière a alimenté plus d'une cinquantaine de moulins jusqu'au début du XIX siècle, nous n'en verrons aucun sur notre parcours.

Plus de balisage par contre une forêt dense et une multitude de départ de sentiers non balisés s'offrent au choix du hasard. Comme nous nous sommes un peu éloignés de la trace officielle mon cadran de montre sur lequel le tracé s'inscrit n'affiche plus aucune information. Bref, on est paumé. Retour en arrière : beaucoup trop long. Il nous faut donc suivre mon instinct mais aujourd'hui mon instinct est en berne. Je repère le nord avec la boussole de ma montre pour pouvoir se diriger ensuite vers le sud-ouest car le chemin à suivre suit cette direction. La forêt bien boisée et impénétrable se transforme en labyrinthe diabolique, des chemins par-ci des chemins par-là, pas de coquille ou d'indications sommaires. Ma crainte dans ce type de situation est de tourner en rond. Finalement au hasard d'un carrefour une marque avec la coquille apparaît sur un arbre, puis une autre suivra puis une autre, le chemin de la variante est enfin balisé. Le tracé sur ma montre apparaît à nouveau, nous ne serons pas obligés d'utiliser nos fusée de détresse. Non c'est une blague je les ai oubliées ! (blague à nouveau).

Traversée de la Coise

La plaisanterie nous a coûté deux kilomètres de plus mais le décor fut sauvage et varié. Les variantes peuvent avoir de l'intérêt à condition que le balisage soit correct. Visiblement ce n'est pas le cas de celui-ci : dommage !

Devant cette platitude le sentier contourne les champs de blé encore jeune, les étendues de luzerne bien grasse ou les propriétés fermières en pleine activité.

Au détour d'un croisement une famille cochonou se délasse paisiblement sur un parterre terreux sans se soucier de notre passage.

Peggy et ses deux cochonnets
La Loire

La plaine nous semble interminable, derrière nous les monts du lyonnais s'éloignent trop lentement et devant nous les monts du Forez nous donnent l'impression de reculer. Nous franchissons le pont où coule sans remous la Loire, troisième fleuve franchi après la Saône et le Rhône il y a seulement quelques jours.

Un énorme nuage noir nous suit depuis ce matin mais pour l'instant il retient son éternuement. Le vent latéral violent sèche nos lèvres et nous oblige à maintenir une posture déséquilibrée accentuée par le poids et le volume des sacs à dos.

Un étang près de Saint-Romain le Puy

Onze heures trente dans le village de Craintilleux nous optons pour une pause déjeuner dans un bar où la gérante nous autorise gentiment à faire du hors sac pour nous. Nous consommons bien sûr quelques boissons, échangeons des mercis aux "bon appétit !" lancés par les piliers de comptoir. Les gens sont très gentils et serviables particulièrement avec nous. C'est cela aussi Compostelle.

Saint-Romain le Puy

Les kilomètres défilent, nous avançons en silence en lutte contre le vent, les collines des monts du Forez ne sont plus qu'à une portée de jambes. Nous sommes au vingt-quatrième kilomètres dans le centre de Saint-Romain le Puy. L'église prieurale est un des jalons de l'art roman forézien. Son architecture des environs de l'an mil est à la charnière de l'art carolingien et de l'art roman. Singulier et énigmatique, le prieuré couronne le sommet d'un cône basaltique de 80 mètres. Cet édifice domine la plaine et ses hommes par un panorama exceptionnel, il donne aussi cette impression vertigineuse de toucher le ciel dans la journée et probablement de caresser les étoiles la nuit.

Plat, plaine et platitude

Quinze heures trente, notre étape du jour est maintenant derrière nous. La secrétaire de mairie nous montre le gîte. Nous prenons nos aises, contents de laisser derrière nous l'uniformité du relief de la plaine du Forez et le vent desséchant. Nous sommes à moins de quatre-vingt kilomètres du Puy en Velay, demain nous grimperons les collines de la Haute-Loire nous pourrons voir ainsi cette plaine décrite par Émile Verhaeren :"C'est la plaine, la plaine blême, interminablement, toujours la même."

Plaine quand tu nous tiens.

8

Date : samedi 9 avril 2022

Heure de départ : 8h00 -Arrivée : 14h15

Distance : 20 kilomètres

Étape : La Chapelle en Lafaye (42)

Sept heures, l'alarme résonne dans le dortoir improvisé de la veille. L'épicerie ouverte depuis six heures ce matin aligne ses pains au chocolat et ses tartes pralinées sur un comptoir déjà bien encombré. La petite cuisine du gîte recèle quelques petits trésors pour accommoder nos viennoiseries : du café, du thé et bien sûr tous les couverts. Huit heures départ, le temps très venteux d'hier a cédé son souffle pour une petite bise glaciale, le bleu couvre une grande partie de l'azur : une belle journée en perspective.

Peyrine de Saint-Georges
Le dortoir
Le gîte

Les jours se suivent et ne ressemblent pas car l'étape du jour diffère totalement de celle d'hier : vingt kilomètres de montée avec environ neuf cents mètres de dénivelé positif soit quatre pour cent de pente : tranquille !

Nous quittons le village en tournant le dos à la plaine morose traversée hier. Au loin se dessine avec une netteté toute relative la cité de Saint-Galmier et devant la plaine du Forez encore sous la brume matudinale.

Au fond Saint-Romain le Puy

Nous contournons une colline clairsemée d'arbustes en fleurs et d'oiseaux en quête de nourriture lorsque se présente droit devant nous la chapelle Marie-Madeleine dominant la vallée et le premier village en contrebas.

Chapelle Marie-Madeleine

Le chemin traverse de grandes prairies encore humides, sa pente douce nous permet de marcher et parler en même temps. La marche offre aussi ce plaisir de partager les idées et les projets tout en découvrant un paysage aux multiples facettes.

L'arrivée à Saint-Jean Soleymieux
Le pont romain
L'église de Saint-Jean
Le bar pause café

Il est dix heures trente une halte à Saint-Jean Soleymieux s'impose : ravitaillement, visite de la crypte de l'église et pause café dans l'unique bar du bourg encore désert ce samedi matin.

L'épicier nous conseille d'aller visiter la crypte de l'église dont les murs en pierre grise contrastent avec la magnificence des vitraux éclairés par l'astre solaire en pleine action. Après cette petite virée rapide et remplie de mystère nous pénétrons dans le seul bar local dont les occupants ont aussi leurs parts de mystère mais avec moins de magnificence. Derniers commerces et lieux de cohésion sociale subsistant dans les petits villages, les cafés et bistrots situés dans les zones rurales sont les plus affectés par cette tendance à la disparition. Voilà un beau projet présidentiel : ouvrons des bars, des bistrots, des troquets, des gargotes, des buvettes pour tisser des liens sociaux sans modération.

Une équipe des chemins de Compostelle

Nous poursuivons notre lente ascension après un café chaud et un thé bouillant pris dans ce bistroquet en voie de disparition lorsque au détour du chemin une équipe de l'association des chemins de Compostelle venait d'achever le remplacement d'une passerelle au-dessus d'un petit cours d'eau. Jacques, le responsable local nous propose de l'inaugurer et d'immortaliser cet instant par une photo. Nous prenons quelques instants pour échanger sur notre périple de marche, sur notre projet d'accueil jacquaire et notre plaisir de partager ces instants simples et conviviaux.

Avant d'arriver à Marols, village d'artistes

L'itinéraire traverse le village de Marols, petit bourg médiéval remplis d'artistes en tout genre.

Le village s'est développé au Moyen Âge grâce à la proximité de l'ancienne voie militaire romaine, la voie Bolène, qui reliait Lyon à Toulouse par Feurs.

Sculpteurs, peintres, soudeurs affichent leurs œuvres monumentales devant leurs demeures superbement entretenues. Nous n'irons pas jusqu'à pousser la porte de leur atelier, il est douze heures et notre objectif sera de trouver un coin abrité pour notre casse-croûte.

L'église Saint-Pierre
L'entrée du village
Il paraît que c'est une œuvre
La sortie du village
Marols, médiéval et artistique

Douze heures trente, en pleine forêt nous étalons sur un petit rocher bienvenu nos victuailles caloriques. Le temps semble passer d'un soleil jouant à cache-cache à un début de tempête de neige. Décidément les giboulées de mars s'étalent sur le mois d'avril.

Les vingt kilomètres nous ont paru relativement faciles car le chemin alterne de petites routes peu fréquentées, de sentiers larges aux pentes douces et de pistes forestières bien entretenues rendant la marche agréable et efficace.

Quatorze heures quinze, nous sommes accueillis sans le savoir par le maire du village de La Chapelle en Lafaye. Il nous conduit au gîte géré par la commune. Nous découvrons un lieu propre, agréable, bien agencé avec un accueil toujours aussi chaleureux et bienveillant. Le petit village gère aussi une épicerie associative où les portions sont individuelles plus pratiques pour un pèlerin soucieux du poids de son sac.

Une fois installés dans le gîte la neige refait son apparition en alternance avec le soleil. Aujourd'hui c'est vraiment du soleil et de la neige.

Depuis le gîte

Nous partageons le gîte avec Tobias et Christina de nationalité germanique en provenance de Dusseldorf. Ils ne font qu'une partie du camino depuis Montbrison jusqu'à Cahors. Nous passons la soirée ensemble en tentant de baragouiner un anglais approximatif sur des sujets inévitables comme Compostelle, sur nos objectifs respectifs, nos motivations religieuses ou pas, d'autres thèmes plus généraux et évidemment les élections présidentielles de demain. Dimanche l'étape sera courte et espérons ensoleillée.

9

Date : dimanche 10 avril 2022

Heure de départ : 8h10 - Arrivée : 15h10

Distance : 24.67 kilomètres

Étape à Theux (43)

La Haute-Loire sera le quatrième département du périple et non des moindres puisqu'il a le privilège d'être le lieu mythique du grand départ du chemin de Compostelle. La nuit dans le gîte de La Chapelle en Lafaye fut agitée à cause de la chaleur dégagée par les radiateurs que nous ne pouvions pas régler. Des panneaux sur tous les murs indiquait : "Pas toucher".

Petit-déjeuner pris avec nos portions achetées la veille à l'épicerie associative du village, nous laissons ce gîte malgré tout confortable pour une première montée au village de Montarcher distant d'un kilomètre.

Le froid vif, le thermomètre affiche moins trois degrés, pique nos joues encore rouge de l'ambiance suffocante du dortoir.

Le ciel lumineux s'étale devant nous à perte de vue faisant un beau contraste avec les forêts de sapins de la campagne forézienne. Le chemin saupoudré de la rosée encore gelée monte tranquillement vers l'église du premier village, Montarcher. Petit bourg du haut Forez médiéval, de caractère il perche à 1162 mètres. Super en été, gla-gla en hiver.

Montarcher

A partir de ce lieu haut perché nous ne ferons que descendre. D'abord sur une route goudronnée peu fréquentée puis sur des pistes forestières larges où s'étale de part et d'autre la campagne magnifiée par un soleil rayonnant et bienfaiteur. On peut dire que c'est le type de pistes idéales pour marcher et papoter en même temps. C'est aussi le type de pistes que l'on voit souvent sur les guides de Compostelle ou de randonnée où tout semble facile et où l'on voit des pèlerins de dos avec leur bardas pesant sur leurs épaules. J'aimerai bien les voir de face ces pèlerins pour m'assurer du caractère facile de ce type de sentier.

La descente vers Usson en Forez

La première halte se fera à Usson en Forez car aujourd'hui c'est le jour du marché, autant acheter local même si ce n'est pas forcément bio.

Onze heures trente, nous voilà dans le centre du village à faire nos emplettes et à chercher un lieu abrité et ensoleillé pour pique-niquer. En ce début de mois d'avril le marché est loin d'être pris d'assaut comme nous avions pu le constater l'été dernier lorsque nous avions profité de quelques jours de vacances champêtres dans la région.

Usson en Forez au fond

Douze heures, il nous tarde d'aller boire un café et un thé chaud au bistrot du marché bondé d'électeurs bavards et ambiancé par une musique assourdissante qui pourrait faire fuir n'importe quel pèlerin à condition qu'il ne soit pas au bout du rouleau. Tant pis pour le tam-tam fracassant nous boirons nos boissons chaudes comme si de rien n'était.

Douze heures trente-cinq nous quittons ce temple du bruit assommant et de l'agitation post-électorale pour retrouver en moins de quinze minutes l'atmosphère sereine et apaisante de la cambrousse forézienne. Après quelques pas il me vient la question du jour : "Et si au bout de quatre-vingt jours de marche je n'arrive plus à supporter aucun bruit.". Je serai bien embêté. Finalement est-ce vraiment bien sain de marcher ainsi ?

Tam-tam champêtre

Quatorze heures trente, après un épisode plat et champêtre en plein cagnard, nous entamons une descente vers Pontempeyrat. Ce village a une particularité singulière, il est à la fois à cheval sur deux départements Loire et Haute-Loire et deux régions Auvergne et Rhône-Alpes qui aujourd'hui n'en font plus qu'une. Pontempeyrat compte une douzaine d'habitants permanents côté Loire, le double côté Haute-Loire.

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué.

Nous faisons une halte sur la frontière Loire et Haute-Loire du village pour ne pas froisser les uns ou les autres et aussi pour appeler nos hôtes du jour : Rose et Gaby.

Après quelques explications au téléphone et une belle grimpette sur la colline au-dessus de ce village aux multiples facettes régionales nous apercevons la maison isolée et coquette des accueillants jacquaires.

Rose et Gaby, couple octogénaire super sympathique, ils nous reçoivent superbement. Je crois qu'on va être bien chez eux.

10

Date : lundi 11 avril 2022

Heure de départ : 8h15 -Arrivée : 15h30

Distance : 23 kilomètres

Étape à Le Cros (Haute-Loire)

Alors que les soirées électorales prennent en otage la plupart des citoyens, notre soirée avec Rose et Gaby fut un moment intense d'échanges et d'émotions. Nous avons évidemment jeter un œil à vingt heures sur les estimations diffusées à l'écran cathodique mais sans interrompre outre mesure nos conversations sur nos vies respectives.

Nous prenons le petit-déjeuner en compagnie de Rose déjà toute affairée pour nous préparer un petit-déjeuner copieux et varié. Gaby émerge quelques minutes plus tard lui aussi déjà bien alerte.

Le moment des adieux sera le moment fort du jour, nous promettons de venir les retrouver pour notre prochaine escapade dans le pays du festival country le plus populaire de France à Craponne sur Arzon à cinq kilomètres de Theux.

La scène Craponnaise fait figure de référence sur le plan culturel et musical et a reçu de nombreuses distinctions telles que celle de la Country Music Association ainsi que les honneurs du "Texas Music Department " par Rick Perry, Gouverneur du Texas.

Huit heures vingt, départ avec dans nos têtes les bons moments de cette rencontre que déjà nous devons courber l'échine à cause d'un vent froid et puissant.

Petit-déjeuner avec Rose et Gaby

De bourrasque en bourrasque nous avançons emmitouflés dans nos coupe-vent, la tête penchée dans nos pensées prêts à en découdre avec ce maudit vent de face.

Malgré cette tramontane forézienne nous avançons parfois le corps bien droit, parfois en titubant, nous sommes comme des pantins manipulés par un apprenti marionnettiste.

Forêt : danger avec le vent

Le paysage agité par Aquilon (dieu du vent romain) et masqué par nos capuches défile au rythme de l'effort supplémentaire que nous devons fournir. Aujourd'hui nous emprunterons la voie de César sur une grande partie de l'étape. L'autre appellation était La "Via Agrippa" appelé aussi "via Bolena" et parfois "chemin de César", qui partait de Lugdunum (Lyon) et se dirigeait, en traversant les départements du Rhône, de la Loire, de la Haute-Loire, de la Lozère et de l'Aveyron, sur Tolosa (Toulouse) et finissait à Bordeaux.

Des forêts, des pistes, encore des forêts, nous traversons très peu de villages aujourd'hui. Des hameaux inhabités rendent le décor moins monotone et nous permettent de lever la tête enfouie dans nos vestes, les yeux rivés sur la piste poussiéreuse. Nous ne croiserons aucun animal ou bestiau sauvage. Peut-être nous observent t'ils de loin ? Quelques oisillons curieux sur notre passage, un petit écureuil apeuré par nos mines de pèlerins dans le vent marqueront la journée très aérée.

Vers onze heures nous approchons sans y pénétrer le village de Chomelix, petit bourg traversé par la voie Bolena où quatre importants châteaux furent construits aux XI et XII siècles. Ils n'existent plus de nos jours.

Vers douze heures nous faisons une halte près d'un sous-bois légèrement abrité. La puissance du vent puise plus largement nos calories emmagasinées, assèche nos lèvres un peu endolories et n'hésite pas à nous projeter à terre à tout instant.

Aujourd'hui Eole en a décidé ainsi, la journée du 11 avril sera ventée ou ne sera pas.

Il est quinze heures passé, le gîte du hameau Le Cros n'est plus très loin. Encore un petit quart d'heure et nous serons enfin à l'abri de ce satané vent.

Douches, rangement, quelques postures de yoga à minima, blog, le temps s'écoule rapidement jusqu'au dîner de dix-neuf heures.

Nous dînons avec Rodolfo, italien sympathique et un peu mystérieux et son acolyte alsacien qui travaille pour une association handi-chiens. Notre conversation tourne immanquablement autour de nos randonnées respectives, sujets inépuisables et toujours passionnants.

Comme nous ils ont soufferts du vent de face aujourd'hui et de la tempête de neige de la semaine dernière.

En terminant ce petit écrit je m'aperçois que je n'ai pas beaucoup pris de photos aujourd'hui, trop occupé à batailler avec les éléments naturels. Demain l'étape de dix-huit kilomètres nous mènera au Puy en Velay étape ultime pour Guylaine et début du Compostelle mythique pour moi.

Standing modeste
11

Nous sommes chanceux, tout le dortoir pour nous deux, douches et toilettes privées, le grand luxe. Le grand dortoir compte pas moins d'une bonne dizaine de couchages, j'imagine lorsqu'il déborde de pèlerins dégoulinant de sueur charriant avec eux la flagrance de l'effort physique et mental, l'ambiance doit être différente.

Huit heures pétantes départ, le vent toujours au rendez-vous, nous prenons le chemin vers le Puy en Velay pour dix-huit kilomètres de campagne séchée par ce foutu vent du sud.


Le Cros

Nous avançons d'un bon pas, sans doute l'envie d'arriver est plus forte aujourd'hui car nous avons quelques emplettes à faire. Finalement cette première "saison" de Pizay à le Puy en Velay m'aura permis d'ajuster les éléments de mon sac. Je me débarrasse de mes chaussures fermées, les sandales me conviennent parfaitement car mon pied droit semble être moins souffrant. Je dois aussi acheter un pantalon hyper léger pour l'après étape, me procurer le "Miam-miam Dodo", guide indispensable des hébergements et ravitaillement le long du parcours.

La forêt après le Cros

Le sentier suit une vallée bordée de résineux. Les troncs des sapins découpés gisent ça et là témoins d'une grande activité de coupe qui défigure le paysage. Un mal sans doute nécessaire.

Ce matin au gîte Jean-Jacques l'alsacien et Rodolfo l'italien nous ont quitté juste au moment où nous démarrions notre petit-déjeuner. Nous les retrouvons à Saint-Paulien, petit bourg à cinq kilomètres du départ. Seul attrait de ce village son église imposante en plein dans un tournant de la départementale qui traverse le village.

Sa

Nous reprenons le sentier pèlerin avec ce satané vent tantôt de face tantôt latéral. Nous ne sommes pas bien à plaindre car partis lundi dernier nous n'avons pas eu une seule goutte de pluie.

Le camino traverse des prés balayés par les rafales de vent, nous voyons au loin une grande antenne qui doit certainement signifié que la ville du Puy en Velay se situe à proximité. Au loin se dessine aussi une énorme forteresse sur un piton rocheux dominant le village en contrebas et toute la plaine ventée. Au fur et à mesure, la forteresse devient plus réelle et surdimensionnée, nous allons nous en rendre compte car le chemin de Compostelle passe par cet édifice impressionnant. Il s'agit en fait du village de Polignac où se dresse la forteresse qui a inspiré et séduit de célèbres visiteurs : George Sand y situe l’action d’un de ses romans, le marquis de Villemer, et Prosper Mérimée, premier inspecteur des monuments historiques, le classe dés 1840.

Polignac et sa forteresse

Nous profitons de ce lieu par une petite pause boisson dans le café de la place principale du village où nos deux compères de la veille s'extrayaient de l'église. Nous échangeons quelques paroles avant de reprendre le chemin.

Il nous reste cinq kilomètres à parcourir, nous devrions être arrivés vers douze heures trente environ.

De Polignac, nous ne pouvons pas apercevoir la ville étape du jour, une colline très pentue se présente devant nous. Nos jambes bien rodées nous hissent sans trop d'effort au sommet de la colline où enfin nous apercevons la ville de la fin de la saison un qui je le rappelle pour ceux qui n'ont pas lu le premier blog va de Pizay à le Puy en Velay, la saison 2 du Puy à Saint-Jean Pied de Port, saison 3 de Saint-Jean à Hendaye, saison 4 de Hendaye à Saint-Jacques de Compostelle et saison 5 de Saint-Jacques à Cabo Fisterra et Muxia.

Le Puy en Velay

Douze heures quarante-cinq nous sommes attablés à la pizzeria proche de l'hôtel réservé dans le centre de la ville proche du chemin et de la gare.

Nous passerons l'après-midi à faire nos emplettes, faire faire le mythique tampon sur notre crédenciale, nous visiterons évidemment la cathédrale, le musée du camino. A dix-sept heures trente nous nous rendons à l'accueil pèlerin où un petit verre de sirop de verveine (obligatoire) ou du kir est servi aux futurs marcheurs jacquaires. Cette petite rencontre entre pèlerin permet aussi d'échanger et de faire connaissance et même d'esquisser quelques mots d'anglais pour aider les marcheurs étrangers en galère d'information.

Croix des pèlerins
Pèlerins en bois
La montée vers la cathédrale
Pèlerins en bois
Devant la cathédrale

Je laisse la main à Guylaine.

Bonsoir à toutes et tous et merci de nous avoir accompagnés ces quelques jours par votre lecture,vos commentaires ou vos pensées.

Ce fut une belle semaine de marche, de rencontres, d'émotions et de vie proche de la nature. J ai bien sûr le cœur serré de laisser Elio poursuivre seul le chemin mais tellement contente pour lui qu'il puisse vivre cette expérience. Je suis heureuse de rentrer, de vous retrouver et de vivre mes quelques semaines de conclusion professionnelle, un peu moins fan des corvées comme la pelouse ou la déclaration d'impôts que je n ai pas l'habitude de me coltiner... Ce sera aussi une expérience nouvelle !

Début juin je reprendrai mon chemin en compagnie d' Alexia jusqu'à Roncevaux donc retour dans la réalité avant une nouvelle aventure.

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Date : mercredi 13 avril 2022

Heure départ : 9h15 - Arrivée : 15h15

Distance : 23.5 kilomètres

Étape à Saint-Privat d'Allier (Haute-Loire)

Six heures vingt mon téléphone alarme m'appelle déjà en diffusant Katmandou de Cat Stevens comme musique de fond mais aussitôt je stoppe cette belle chanson car la journée va être longue.

Nous quittons l'hôtel direction la cathédrale pour la mythique bénédiction des pèlerins. La messe se déroule dans une ambiance impressionnante de silence et de recueillement même si les va-et-vient des pèlerins ne perturbent en aucune façon l'évêque dans ses liturgies. La messe finie, la bénédiction de la cinquantaine de pèlerins du jour bat son plein lorsque les grilles du sol de la cathédrale s'ouvrent pour libérer les pèlerins vers Compostelle, nous descendons les marches du passage de l'antique sanctuaire.

La messe
Au départ, prêt, partez
La messe et les fameuses grilles au sol

Chacun s'en va avec un chapelet, une mini bible, un médaillon ou des intentions de prière écrites par un pèlerin. La cérémonie est bien rodée, tout le monde semble satisfait de ce cérémonial, les pèlerins sont bénis et le chemin peut démarrer. Même si l'on n'est pas pratiquant voire même pas croyant, cette célébration demeure un moment fort, intense et impressionnant pour ce départ mythique. Contrairement à la bénédiction du départ de Vézelay pour la voie d'Assises, au Puy en Velay l'évêque n'utilise pas le bénitier. Je suis parti sec comme un rameau accroché au mur depuis des lustres.

St Jacques le Majeur
Après la bénédiction
La trappe libératrice

Retour à l'hôtel, petit-déjeuner puis départ. Il est neuf heures vingt je quitte ému et attendri à la fois Guylaine. Nous nous promettons de ne pas nous retourner une fois séparés, j'avoue je me suis retourné une fois.

Bye-bye le Puy en Velay

Cette fois c'est bien le vrai départ, le panneau du Puy en Velay laisse déjà la place à un premier bourg. Je monte d'un pas lent la côte qui m'éloigne implacablement de cette première période de Pizay à Le Puy en Velay pour entrer dans cette deuxième longue période de plus de sept cents kilomètres jusqu'à Saint-Jean Pied de Port. Les quelques pèlerins partis en même temps que moi font une première pause pour reposer leur mollets déjà tiraillés par la pente raide.

Je n'avais pas fait un kilomètre que déjà j'avais un compagnon de voyage : Andréa. Il est hollandais et va aussi jusqu'à Saint-Jacques. Il ne parle pas français, il va falloir donc piocher dans mes souvenirs de la langue anglaise. Tout le long de cette première journée nous aurons des moments d'échanges et des moments de silence dans un profond respect mutuel.

Andréa et bibi

Ce chemin semble vraiment extraordinaire, un regard, trois mots et vous voilà avec un compagnon pèlerin pour la journée et peut-être sur plusieurs jours. Sur notre passage nous échangeons avec d'autres marcheurs jacquaires, français, un autre hollandais, c'est un véritable patchwork de nationalités.

Un peu avant Saint-Christophe

Nous marchons donc ensemble, nous avons la même allure, un fluide est passé entre nous.

Il est treize heures nous décidons de faire une pause à Montbonnet, juste avant de trouver un banc dans le village pour notre collation, nous croisons un très vieux monsieur du coin qui semble avoir très envie de nous aborder. Et pour cause, ce très très très vieux monsieur paraît totalement déprimé par tous les malheurs qu'il a eu dans sa vie. Il nous explique qu'il ne lui reste plus que son coq et son chien, plus de famille et qu'il souhaite être enterré là juste un peu plus loin (il me montre avec sa main toute noueuse), au pied de la croix jouxtant sa maison. Il prend sa tête dans ses mains et quelques larmes s'échappent. Il est aussi triste que les personnages du tableau de Millet, l'Angelus. Nous laissons ce monsieur tous deux émus, nous n'avons pas réussi à le réconforter. Quand c'est trop pesant dans la vie, c'est trop. Alors que je marche dans mon monde un peu irréel, cette rencontre me replonge totalement dans ce monde réel qui m'entoure. Les paysages magnifiques n'arrivent plus à cicatriser les blessures de ce papy. Il avait juste envie de parler, nous étions juste là pour l'écouter. C'est cela aussi Compostelle.

La campagne vers Saint-Christophe
Derrière moi
Montbonnet
Montbonnet

J'explique à Andréa l'échange que j'ai eu avec ce monsieur esseulé et déprimé, il était ému lui aussi.

Nous méritons bien une pause dans le village, de plus, le soleil semble pointer son nez pour notre grand bonheur.

Il nous reste sept kilomètres et demi jusqu'à Saint -Privat d'Allier, nous reprenons notre marche après une petite collation rapide.

Pas facile à porter

Quelques kilomètres avant la fin de l'étape, le village de Le Chier redonnera un peu d'amusement à notre avancée. Comment expliquer à un hollandais avec un anglais approximatif le sens au deuxième degré du nom de ce village : Le Chier.

Trois kilomètres et l'étape du jour touche à sa fin. Saint-Privat d'Allier se situe en contrebas d'une colline et sera visible qu'une fois arrivés.

Arrivée à l'étape
Le château
Le village

Je propose "To have à drink" à Andréa et ce sera du coca. Vu les conditions, l'endroit et la rencontre du jour je décide de passer la nuit dans le gîte Kompost'el du village. Pas de tente ce soir. Andréa fait de même, nous serons dans le même dortoir.

The dortoir

Nouilles chinoises, saucissons et mandarines je partage mon repas avec mon acolyte du pays des tulipes. Je fais la cuisine, il fait la vaisselle.

Après le dîner, il me prend l'envie de faire un tour dans ce premier village étape dominé par un château et une église romane du XII siècles construite en brèche volcanique rouge. Quelques postures de yoga m'ont redonnés du tonus, j'en profite ça ne sera peut-être pas tous les jours ainsi.

Vue du château
L'église
L'église
13

Date : jeudi 14 avril 2022

Heure de départ : 8h50 - Arrivée : 15h00

Distance : 19 kilomètres

Étape à Saugues (Haute-Loire)

La nuit s'est déroulée à merveille, j'ai dormi quasiment dix heures depuis l'extinction des feux hier au soir.

Sept heures quinze, debout et quasi prêt pour le petit-déjeuner pris au rez-de-chaussée du bar. Hier le gérant avait égaré le tampon, les quatre pèlerins moi compris étions avec notre crédenciale pour le tampon rédempteur.

Bonne ambiance au petit-déjeuner servi à la même table pour tous, nous nous connaissions de la veille. Andréa et moi nous passons pour beep-beep runner car les deux autres pèlerins attablés marchent seulement dix kilomètres par jour. Sur le chemin chacun adapte son rythme à son envie ou ses possibilités.

Petit-déjeuner à St Privat d'Allier

Huit heures cinquante, départ et ça démarre fort, pente raide qui s'adoucit après le premier kilomètre. L'étape du jour sera courte mais je pense plutôt sportive. Le sentier prend des allures de ballade champêtre tranquille dans un paysage encore embrouillé de bancs de brouillard sur les hauteurs. Déjà se dessine un relief escarpé où l'on peut apercevoir sans le moindre doute les coulées de laves témoignage implacable d'une région volcanique même si nous ne sommes qu'au début du Massif Central.

En peu de temps, après la dissipation de la brume matinale, apparaît, sur un beau rocher, Rochegude, petit hameau coiffé d'une superbe chapelle et des restes d'une tour médiévale totalement en ruine.

Rochegude
La Chapelle
La Chapelle
L'autel de la chapelle

Nous prenons le temps de grimper jusqu'à la chapelle et d'échanger avec un maçon habilitant une vieille ferme avec des pierres volcaniques locales, une pure merveille. Le hameau semble revivre car la plupart des bâtisses semblent totalement rénovées tout en conservant l'âme du lieu autrefois très peuplé. L'étymologie du lieu ne peut pas prêter à interprétation, celle de Rochegude est claire, elle correspond à la caractéristique du lieu (roche aiguë, pointue, acérée).

A partir de ce lieu rempli de beauté simple, nous entamons déjà la descente vers Monistrol d'Allier. Le chemin prend une allure de toboggan tellement la pente raide nous oblige à ressortir nos bâtons pour ne pas perdre l'équilibre

Un peu avant la descente vers Monistrol d'Allier

La journée s'annonce absolument parfaite pour une marche de dix-neuf kilomètres, petite fraîcheur le matin avec un réchauffement progressif au fil du temps. Le sous-bois nous protège des rayons lumineux déjà intenses du soleil. Onzième jours de marche sans une goutte de pluie.

Monistrol d'Allier

Les deux derniers kilomètres avant Monistrol d'Allier se font sur le bitume, d'un commun accord nous ferons une halte café dans ce lieu coincé au fond d'un vallon où coule paisiblement la rivière Allier. Le bar avec terrasse nous attend, café pour moi, café au lait pour Andréa, le gérant nous apporte deux grands verres d'eau fraîche et une tranche de pain spécial chacun avec des noisettes et des prunelles confites à l'intérieur et en plus avec le sourire.

Me voyant avec mes caligae spéciales randonnée, il veut absolument que j'essaie ses chaussures Noka spéciales randonnées aussi. Je m'exécute sans sourciller ce qui encourage le barman à vraiment vouloir que j'investisse dans ce type de chaussures en insistant sur le confort et la dynamique de ce matériel. Je pense qu'il avait pitié de moi mais je ne lâcherais pas mes sandales.

Nous quittons Monistrol d'Allier en passant sur un pont édifié par Monsieur Gustave Eiffel, rien que ça, ce qui nous permet de traverser l'Allier en aillant une vue superbe sur les feux côtés du petit bourg. En 1887, la société Eiffel obtient le marché pour la construction du pont sur l’Allier.

Le pont Eiffel à treillis métallique est finalement réalisé entre 1887-1888, soit juste après le Viaduc de Garabit et l'ossature de la Statue de la Liberté à New York.

Le pont Eiffel
Le pont Eiffel
Sortie de Monistrol d'Allier

C'est là que les choses se compliquent car d'après la géographie et la cartographie la montée après Monistrol paraît plutôt raide et prend pas moins de deux heures. En effet, le sentier suit d'abord la rivière puis la pente s'intensifie sensiblement nous faisant découvrir un paysage escarpé et coloré noyé dans une ambiance ensoleillée. Je profite de la troglodyte chapelle Sainte Madeleine pour faire une petite halte et contempler le paysage avant d'approcher cet édifice religieux construit dans un creux de rocher volcanique. Située au dessus de Monistrol-d'Allier, la chapelle troglodytique est une halte importante pour les "jacquaires". A proximité sont creusés dans le rocher des tombeaux sous enfeu, utilisés aux XIVème et XVIIème siècle.

Chapelle Sainte Madeleine

Au bout de deux heures nous arrivons à bout de cette montée somme toute très aérienne et à l'ombre. Nous devons chercher un endroit pour notre casse-croûte car il est déjà treize heures et le soleil cogne de toute ses forces.

Un peu avant la halte dans le hameau de le Vernet

Le Vernet à 1050 mètres d'altitude sera notre lieu de pause de treize heures. Deux tables de pique-nique, une fontaine avec de l'eau potable et un paysage grandiose, nous sommes contents d'avoir poursuivis notre effort jusque-là. Pendant notre arrêt, des pèlerins passent en groupe ou seul, chacun nous souhaitant un buon cammino

Il est 15 heures, petite boisson au bar, courses à l'épicerie locale puis le gîte communal super luxe et super bien équipé.

Soirée en compagnie de 16 jeunes lycéens bruyants mais sympathiques dans le réfectoire commun.

A vingt heures quarante-cinq, en route pour la procession des pénitents car nous sommes jeudi saint à Saugues c'est la tradition. Le 14 mai 1652, une Confrérie de Pénitents Blancs a été fondée à l'initiative de cinq habitants de Saugues, sous le couvert de Monseigneur de Marcillac, évêque de Mende.

Événement annuel à Saugues pour notre plus grand bonheur. La cérémonie démarre dans un église par un office composé de pénitents blancs et de pénitents rouges. Les rouges porteront la croix très lourde, parole d'un pénitent blanc avec qui j'ai échangé quelques mots pendant l'office. La procession fait le tour de la ville pour revenir au point de départ par contre tous les dix mètres les pénitent rouges font une génuflexion. Je préfère faire le cammino c'est moins pénible.

Les pénitents à Saugues

Soirée mémorable car la ville est en effervescence silencieuse et partout on peut entendre les chœurs chanter des louanges et des prières. Nous sommes transportés dans un passé lointain de légendes et de traditions où rodait la bête du Gévaudan car nous venons de pénétrer dans cette région légendaire. Demain nous serons sur nos gardes si nous la croisons mais il ne peut rien nous arriver nous sommes bénis depuis le départ.

Un pénitent
La sortie de l'église
La génuflexion
La messe
Un pénitent bien portant
L'église principale

Qui sait si demain nous affronterons la bêbête du Gévaudan ?

14

Date : vendredi 15 avril 2022

Heure de départ : 8h40 - Arrivée : 15h15

Distance : 24 kilomètres

Étape à La Roche (48) à 8 kilomètres de Saint-Alban de Limagnole (48)

Comme nuit j'ai déjà eu mieux. Bien que l'endroit dispose d'un grand confort, la nuit fut agitée. Est-ce la peur de rencontrer le grand méchant loup ou la bestiole du Gévaudan ?

Sept heures quinze petit-déjeuner dans une grande salle réfectoire en compagnie d'autres pèlerins et un bataillon de collégiens venus de nulle part.

Nous déjeunons avec Karl, hollandais de 72 ans parti seul du Puy en Velay jusqu'à Santiago. Aujourd'hui il faisait une étape de trente trois kilomètres car le guide Michelin l'avait écrit ainsi. Ce monsieur très sympathique transporte le courage et la ténacité en lui.

Karl et Andréa

Quelques petites emplettes dans le village pour la collation de treize heures et c'est parti dans le pays de la créature diabolique.

La journée risque d'être chaude autant partir avec un tee-shirt manches courtes direct, la casquette avec le rabat pare-soleil à l'arrière (merci les enfants), les lunettes de soleil à portée de main, première fois en douze jours que je porte cet équipement.

La sortie de la ville de Saugues se fait en cinq minutes que déjà l'on peut apercevoir les différentes églises où hier au soir la procession rassemblait des centaines de personnes venues dans quatre coins du secteur. Bien sûr des pèlerins comme nous se trouvaient là par chance pour y assister les yeux éblouis par le sacrifice des porteurs de la croix.

A la sortie de Saugues

Nous prenons d'abord une route en pente douce qui au fil de l'avancée se raidit fortement. Une fois sur le point le plus haut, un superbe chemin s'offre à nous rendant la marche plus agréable et plus facile pour des échanges sur nos impressions du moment.

Gertrude et Antoine

Nous n'avions pas fait un kilomètre sur cette piste faite pour le dialogue qu'Andréa rencontre deux autres collègues hollandais Gertrude et Antoine. Il doit se passer un truc en Hollande ces jours-ci, peut-être vous pourrez me renseigner vous lecteurs assidus qui n'êtes pas déconnecté de la vraie vie.

La Clauze

Le chemin navigue dans un paysage à la fois sauvage et cultivé, partout des tas de roches granitiques émergent au milieu des prairies où paissent les villages au couleurs locales.

Nous passons d'abord le village de La Clauze où se dresse une tour monumentale seul vestige de la période moyenâgeuse. A l'époque la seule activité locale était la taille de pierres de granit. Effectivement presque toutes les habitations ressemblent à des châteaux forts médiévaux, les coutumes sont tenaces.

Alternance de forêts et de prairies

Comme l'indiquait Miam-miam Dodo, le guide des gîtes du chemin, nous alternons entre de longues montées dans une forêts denses où les arbres paraissent atteindre le ciel et des prairies avec une herbe encore secouée par les caprices du temps hivernal qui ne voulait pas disparaître.

Sur des pistes larges et gravillonnées ainsi dessinées nos jambes ne souffrent pas des à-coups répercutés sur nos fragiles articulations par les évitements incessants que l'on doit anticiper dans des chemins étroits et caillouteux.

Il est presque treize heures nous sommes sur le plateau presque arrivés au point culminant du jour lorsque une table de pique-nique en pierre genre menhir couché se présente à nous. L'endroit idéal pour un casse-croûte car la vue sur la plaine s'étale quasiment à trois cent soixante degrés offrant un paysage sauvage, rude et venté. On peut facilement imaginer voir surgir la bête de quelque part de ce coin magnifique qui du reste s'appelle Le Sauvage. Facile, trop facile.

Le Sauvage
La petite maison dans la prairie

J'ai failli oublier de vous conter la rencontre insolite du jour juste avant notre collation. En effet, au détour du chemin un pèlerin de type asiatique, il est sud coréen, mange un sandwich énorme. Il semble fatigué, totalement exténué assis sur un billot de bois. Dans un langage de signes très approximatifs nous comprenons, enfin nous tentons de comprendre qu'il a sa tente avec lui et quand il en a marre il dort sans ce soucier si c'est le moment de dormir ou pas. Apparemment il ne parle ni anglais, ni français seulement coréen et il va à Santiago. Visiblement l'épreuve paraît rude pour lui, il fait le périple à minima. Souvent on double des pèlerins qui paraissent dans une situation de désespérés, on a envie de les prendre et de les accompagner mais raisonnablement c'est impossible.

Déjà je me pose la question sur le fait de faire ce bout de chemin avec Andréa absolument sympathique et bienveillant mais je suis loin des instants propices à la réflexion, à la méditation ou tout simplement à la contemplation, jalons d'un cheminement physique et intérieur recherchés. Je vais laisser venir les choses et de plus il me reste soixante-dix jours de marche.

Le Sauvage : la ferme
Le Sauvage
La Roche 

Un pas devant l'autre nous poursuivons notre étape, moins de quatre kilomètres nous séparent de l'arrivée du hameau La Roche où à part deux ou trois fermes rassemblées il n'y a rien.

Quelques petits hameaux sur notre passage semblent totalement fermés témoins sans doute d'une saison qui n'a pas encore démarrée.

Ça y est, nous quittons la région Rhône-Alpes Auvergne pour l'Occitanie et de même nous quittons la Haute-Loire pour la Lozère. Beaucoup de changements en quelques mètres. J'ai mis six jours pour traverser la Haute-Loire, combien de jours je mettrais pour traverser la Lozère ?

J'avance, j'avance
Limite des deux départements
Limite de la région

Un dernier vestige avant la descente vers le gîte de ce soir qui sera à la ferme.

Chapelle de la Roche

Nous nous éloignons du chemin de Compostelle sur quatre cents mètres pour rejoindre l'auberge de Compostelle tenue par Françoise qui n'est pas là pour nous accueillir mais qui nous a invité à prendre possession des lieux.

Coin pique-nique sauvage

Lessives, étalement des affaires dans la chambre, tampon de la crédenciale et écriture du blog, la routine classique du pèlerin nous amène à dix-sept heures moment crucial du repas. Nadia, la remplaçante du gîte nous a préparé des pâtes à la bolognaise sauce industrielle, du pâté maison, de la fourme peut-être d'Ambert et une compote de pommes sans doute locale. Avec Andréa nous démarrons le repas sans attendre une famille randonneuse très prout-prout et un pèlerin cramé comme une crevette cuite. Presque en fin de repas, la famille toujours très prout-prout s'attable, se sert, mange, discute entre eux bref on n'existe pas. Andréa lance finalement dans son français approchant un "Bouon appetite", les prout-prout décroche un "Bon appétit" sorti au forceps.

Bonjour l'ambiance !

Ça nous change des autres soirées passées avec Guylaine ou les dernières avec monsieur Ikéa, oui Andréa travaille chez Ikéa depuis dix-huit années. J'en ai profité aujourd'hui pour lui dire que la qualité de l'étagère Billy avait bien baissé, il a admis qu'ils avaient diminué l'épaisseur. Grâce à ce périple et cet échange sur la Billy avec Andréa j'ai évité une faillite certaine de cette entreprise tentaculaire. C'est ça aussi Compostelle.

15

Date : samedi 16 avril 2022

Heure de départ : 8h07 - Arrivée : 15h10

Distance : 22 kilomètres

Étape à Amont Aubrac (48)

Un peu avant l'alarme de sept heures, je me lève pour scruter le paysage déjà un peu ensoleillé. La journée semble sous de bons hospices côté temps, il ne reste plus qu'à prendre le petit-déjeuner, ranger, faire le plein d'eau dans le camel-back et reprendre le chemin.

La chambre en vrac
Le gîte à la Roche

Le gîte excentré de quelques centaines de mètres du chemin s'efface rapidement car nous démarrons d'un bon pas malgré un petit vent frais finalement bienvenu.

Le chemin s'ouvre largement devant nous, un chemin avec des petits gravillons, bien large propice à l'échange qui nous permet de ne pas nous soucier du relief pour poser nos pieds encore un peu endormis. La pente douce alterne entre prairies clairsemées de bruyère et la forêt illuminée par le soleil naissant. Le paysage d'une douceur exquise réveille en moi une sensation de légèreté, le sentiment d'harmonie intense avec cette nature sauvage. Même les oiseaux semblent nous accueillir sans être effrayés par le bruit de nos bâtons ou la masse imposante de nos sacs.

Nature sauvage
La Lozère
Bruyères et ruisseaux

Dans ce lieu isolé, la couleur de la Roche n'est plus celle très sombre voire noire du pays de Velay. Ici la roche volcanique a cédé la place à un grès rouge bariolé de tâches jaunes, un peu comme si le grand peintre de la Vie avait voulu mettre un peu de couleur dans ce paysage rude et sauvage. La nature sait mettre de la couleur là où il en manque pour le plus grand bonheur des pèlerins de passage.

Sur le chemin

Nous passons d'un plateau à un autre et comme à chaque fois une belle descente permet de retrouver un ruisseau à l'allure tranquille ou un petit hameau restauré marqué par des petits ou des grands calvaires destinés à christianiser les lieux depuis le moyen-âge.

Dans les moments de silence ou de contemplation du paysage que nous avons en marchant, je me surprend à réfléchir en anglais. Non, je n'ai pas fait beaucoup de progrès mais on arrive à se comprendre et même à rire de nos blagues. J'ai même réussi à lui faire comprendre qu'il devait faire absolument une action auprès d'Ikéa car il y bosse depuis dix huit ans, pour cette satanée étagère Billy dont la qualité se dégrade d'année en année. Il suffirait d'utiliser comme moyen mnémotechnique de penser au célèbre film "Billy Elliot" des années 2000. Ok, c'est un peu tiré par les cheveux.

Saint-Alban su Limagnole
Bâtiment en grès rouge bariolé
L'église
Vitrail de l'église

Dix heures trente, l'arrivée sur Saint-Alban sur Limagnole se passe d'abord par la traversée de son centre hospitalier composé de bâtiments éparpillés sur un très grand espace. La petite ville se découvre juste en sortie de ce lieu fait de bâtiments robustes en pierre et de construction faisant penser au musée des Confluences à Lyon mais en plus sobre et moins artistique.

Nous poursuivons notre périple du jour en marquant de temps à autre des pauses pour observer les rapaces en quête d'un mulot ou d'un oiseau inconscient du danger imminent. En effet de nombreux rapaces tournoient profitant des courants ascendants du moment. Dommage que nous ne puissions pas profiter aussi de cette faculté de voler, seules nos jambes et notre tête nous élèvent vers des horizons futurs. D'après le guide c’est le vautour percnoptère qui est un rapace de taille moyenne avec une tête fine et une queue relativement courte. Ce sont des oiseaux migrateurs qui viennent d'Afrique dès le mois de Mars pour se reproduire en terres moins chaudes et arides. Les percnoptères sont des animaux qui ne tiennent pas en place, en fait ils sont un peu comme moi.

Arrivée à Saint-Alban sur Limagnole

Petit arrêt thé à Saint-Alban où je suis accosté par une mamie qui m'invite à visiter l'église et qui par la même occasion me raconte un bout de sa vie dans ce pays isolé et magnifique à la fois. Pour ceux qui recherchent le recueillement et la quête de soi, faire Compostelle oblige le pèlerin à faire des pauses fréquentes dans ses prospections intérieures car vous êtes souvent interpellé.

Quinze heures, Aumont Aubrac en vue, il nous faut rechercher un hébergement mais pause boisson sur la place du village avant.

Pour cette nuit, je ne réserve que le couchage, pas de demi-pension. Nous prendrons notre repas du soir en ville et pour le petit-déjeuner de demain matin je ferai de même. Les petits-déjeuners dans les gîtes sont trop copieux pour moi, et pour ce soir nous allons goûter l'aligot local.

Arrivée du jour

Après les rituels d'usage, nous voilà parti en quête d'un restaurant. Nous avions d'abord repéré une pizzeria sur la place avant l'envie d'aligot.

Nous nous installons à une table de la pizzeria lorsque le pizzaiolo d'un âge très avancé nous demande : "qu'est-ce que vous faites". Je lui rétorque avec toute la bienveillance d'un pèlerin qui marche depuis quinze jours : "On souhaiterait deux pizzas". Le monsieur d'un air très peu engageant nous indique qu'il ne sert pas à table bien que sa salle soit totalement vide. Sans vouloir le contrarier outre mesure, nous filons sans demander notre reste.

Aussitôt sortis, je suis abordé par une dame d'un certain âge aussi qui me demande si je peux lui acheter deux tickets de loto à gratter.

Enfin au restaurant, le gérant nous sert deux aligots avec saucisse avec une minuscule tranche de pain chacun. Évidemment les tranches de pain ne durent pas longtemps dans la panière surdimensionnée. Je redemande du pain. Rebelote, deux minuscules tranches. Déjà que l'aligot tenait dans un mini bocal, la saucisse j'ai dû la couper en rondelles de cinq millimètres pour que le plaisir dure plus longtemps et quant à la moutarde j'ai trempé deux morceaux de saucisse dans le petit godet et c'était fini de la moutarde.

A ce moment là je me suis dis, il se passe un truc inexplicable à Aumont Aubrac vu les trois situations vécues en moins de trente minutes mais l'aligot et la saucisses étaient bonnes, la moutarde je pense qu'elle datait du premier confinement.

Le gîte à Aumont Aubrac

Quelle journée ! Demain étape plus longue que d'habitude et surtout je sors enfin la tente car je passe la nuit sur le plateau d'Aubrac près d'une petite rivière. Je lâche un peu mon acolyte hollandais et donc je ne suis pas sûr d'avoir du réseau mais le blog sera expédié au plus tard le lendemain matin depuis Nasbinals. Donc ne lancer pas d'alerte enlèvement je serai juste, je l'espère, sur un plateau très sauvage dans un décor à la fois volcanique et granitique. Je croise les doigts.

16

Date : dimanche 17 avril 2022

Heure de départ : 8h20 - Arrivée : 14h00

Distance : 21 kilomètres

Étape à Puech del Pont 4 kilomètres avant Nasbinals

Aujourd'hui sera ma première nuit hors gîte et en pleine nature. L'Aubrac m'attend et je suis impatient de rencontrer cet espace désert propice aux vents et à la solitude.

Réveil à sept heures quinze comme d'habitude sauf qu'aujourd'hui le petit-déjeuner je le prends sur la place principale du village dans le bar où la veille déjà nous nous étions désaltérés. Je lâche pour quelques heures Andréa qui lui prend son petit-déjeuner au gîte. Café long, pains au chocolat, jus d'orange rien de tel pour démarrer cette journée fraîche en matinée mais totalement ensoleillée et sans aucun nuage.

Assez rapidement je quitte la route départementale pour prendre une large piste bordée de barbelés délimitant les pâturages vides pour l'instant. Le chemin agréable se dessine comme un long serpent sinueux qui permet doucement d'échauffer les muscles et d'ajuster sa respiration.

Le début du plateau d'Aubrac
De la bruyère et des forêts
Toute l'immensité du plateau

Aujourd'hui je démarre seul. Andréa devait me rejoindre à huit heures quinze sur la place du village où trône une bête du Gévaudan au-dessus de la fontaine, huit heures presque trente : personne.

Je me dis qu'il me rattrapera et par précaution je lui envoie un message. Le problème c'est que dans la journée je coupe la connexion pour économiser de la batterie spécialement aujourd'hui, jour de bivouac.

C'est vrai que j'ai du temps mais quand on se fixe une heure de départ c'est compliqué pour moi de différer sauf événement exceptionnel.

Petite cabane en ruine

J'avance d'un bon pas, aucune douleur aux jambes, ni aux pieds, nulle part, cela me paraît incroyable voilà seulement deux semaines écoulées et les bienfaits paraissent s'installer je l'espère durablement. Par contre j'en vois quelques uns qui ont l'air de drôlement souffrir. Enfin ce n'est pas drôle du tout mais je n'ai pas d'autre expression. Hier soir au restaurant entre deux rondelles très fines de saucisses, je jette un coup d'œil à mon voisin de table en direction des pieds, oui c'est un réflexe de pèlerin, on regarde d'abord les pieds c'est très instructif. Pour ce pauvre gars pas besoin de faire un dessin, plus de peau au talon de la grosseur de la tranche de pain que le gérant vient de me servir. Mais comment peut-il encore faire mille quatre cent cinquante kilomètres avec une pareille boucherie. Ce n'est plus un pèlerinage c'est un abattoir pour lui.

Bon, entre temps Andréa m'a rejoint et le voilà qui s'excuse de ne pas m'avoir rejoint. Je lui rétorque "Dont worry, be happy" pioché dans un titre de chanson, c'est à peu près la seule chanson en anglais que je comprends entièrement.

Tous les deux nous ajustons notre rythme afin de pouvoir échanger nos impressions sur ce paysage qui subitement devient un désert de bruyères espacés de murets centenaires construits par les bergers d'autrefois. La beauté du jour s'appelle Aubrac, des petites collines dessinées comme un puzzle s'étirent à perte de vue, la nature se réveille tardivement d'un hiver enneigé. Les seules fleurs nous faisant signe à cause d'un petit vent doux ce sont les jonquilles et quelques boutons d'or, la saison printanière n'a pas encore coloré cet espace ouvert à l'infini.

Andréa me fait un signe et me stoppe net, en effet un renard traverse la prairie à quelques dizaines de mètres de nous. L'animal stoppe net aussi, nous fixe et s'en va poursuivre sa course effrénée vers un quelque part inconnu. J'ai seulement eu le temps de bien observer sa tête toute ronde, de grands yeux perçants, un tronc d'un beau poil noir et marron et d'une belle queue digne du chapeau de David Crocket. C'est la première fois depuis deux semaines que j'aperçois d'assez près un animal sauvage sauf la bête du Gévaudan qui trotte dans mon imaginaire.

Petite rivière
Hercule est passé par là
Et par là aussi
Nature sauvage

La traversée se passe sous un soleil de plomb, mon bras gauche déjà un peu cramé me lance un petit peu. Demain je marcherai avec des manches longues quitte à avoir chaud. Déjà presque quinze kilomètres, nous faisons une pause dans un coin prévu pour les pèlerins, il faut savoir que quarante mille pèlerins traversent chaque année la région, les locaux se sont organisés pour que l'Aubrac ne devienne pas une poubelle à ciel ouvert. Je peux dire que pour l'instant le chemin est très propre, sur plus de trois cents kilomètres j'ai du voir moins de cinq masques à terre.

Petite rivière
Même chose
A 360°

Quatorze heures, nos chemins se séparent, je quitte Andréa car j'ai atteint mon objectif jour, Puech del Pont, ce n'est ni un hameau, ni un lieu-dit, c'est juste un bout de colline plus haute que les autres où en contrebas coule Le Bès petit ruisseau d'une eau jaunâtre. Je quitte le chemin pour une petite piste grimpante et en moins de dix minutes me voilà au sommet à une altitude de 1219 mètres. Sur mon chemin une source coule paisiblement, elle fera mon affaire pour mon repas de ce soir : nouilles chinoises bouillies à l'eau de l'Aubrac.

Quatorze heures quinze, je plante la tente, je fais un trois cent soixante degrés, tout est beau autour de moi. Maintenant l'Aubrac c'est chez moi.

Ma chambre et mon salon

Dix-neuf heures vingt, carottes râpées et nouilles chinoises, j'ai abusé sur la quantité, ça fera l'affaire des mulots ou des oiseaux.

J'attends patiemment l'heure où le soleil ira se coucher pour prendre quelques photos puis aller dormir. Le vent, pas très violent, m'oblige à porter la doudoune et à rechercher un coin abrité des rafales en provenance de l'ouest.

Au nord-ouest les montagnes du Cantal forment un plateau encore enneigé sur les sommets dépassant largement l'horizon du plateau de l'Aubrac. Les oiseaux piaillent encore autour de moi mais bientôt ils retrouveront leur nid jusqu'à demain, ils auront échappé aux vautours qui planent en permanence dans les parages.

Les montagnes du Cantal au fond

Depuis presque deux sur mon rocher, je contemple le soleil s'évanouir à l'ouest, le coucou chante encore et il me tarde de rejoindre mon nid. Pour demain la réservation du gîte vient de se faire donc tout baigne pour l'instant. Allez soleil couche toi !

17

Date : lundi de Pâques 18 avril 2022

Heure de départ : 7h15 - Arrivée : 14h30

Distance : 22 kilomètres

Étape à Saint Chély d'Aubrac (12)

Cette première nuit sous la tente fut finalement reposante car le vent a retenu sa respiration à mon grand désespoir car la toile dégouline de rosée. Lever à six heures quinze, rangement fastidieux à cause de l'herbe gelée et des rochers pas très lisses. En une heure tout est rangé lorsque un toutou vient me rendre visite. Mais d'où sort t'il celui-là ? Visiblement il n'est pas inquiétant, il se pointe devant moi, il attend en se lèchant les babines. Je sors de mon sac un peu de pain et même un petit morceau de Cantal. Il ne se fait pas prier pour avaler le tout sans dire merci. En fait, il paraît tellement content qu'il se roule à terre et reste les pattes à l'air. Bon, je me suis fait un copain animal.

Mon copain animal

Pendant mon temps de rangement, il m'observe gentiment en frétillant de tout son corps, visiblement il a besoin d'affection mais je n'ai ai pas trop le temps pour cela.

A 6h15 ce matin
A 6h16 ce matin
Face au soleil levant ce matin

Sept heures quinze, je redescend de ma petite colline hors chemin pour reprendre le cammino, le chien visiblement a quitté les lieux pour quémander de la pitance à d'autres adeptes du bivouac.

Quatre kilomètres me séparent de Nasbinals où je dois retrouver Andréa.

Huit heures dix, petit-déjeuner de l'Aubrac hyper copieux et pour seulement dix euros.

Petit-déjeuner de l'Aubrac

Andréa me rejoint, nous repartons pour Saint-Chely d'Aubrac qui se situe dans l'Aveyron.

Nous traversons encore quelques contrées désertiques avec un peu plus de forêts qu'hier, moins de sapins et plus de hêtres. Autrefois les hêtres envahissaient le plateau, ils ont disparus pour pouvoir faire des abris pour les bergers et parquer les moutons. Voilà comment on désertifie une région !

Large chemin
Toujours l'Aubrac
Les hêtres et une ancienne porcherie

Le paysage change très rapidement, le désert de l'Aubrac laisse la place à des vallées plus escarpées où de nombreuses essences rendent le décor plus varié.

Nous approchons de la Domerie, vaste hameau avec un ancien monastère fondée entre 1108 et 1125 par l'abbaye de Conques à l'initiative d'Adalard, grand personnage flamand, elle échappe rapidement au contrôle du monastère rouergat et devient au cours des siècles suivants un acteur politique et économique de premier plan dans la région. Outre sa fonction d'accueil des malades et des indigents, l'hôpital est une étape importante du cammino.

Nous y faisons une pause thé.

La Domerie 1
La Domerie 2
La Domerie 3
La Domerie

A partir de là le paysage change totalement, nous approchons de la vallée du Lot, le désert s'étiole, les vallons verdoyants et fleuris réapparaissent. Les grands espaces avec un chemin large laisse la place à un environnement plus escarpé avec un chemin caillouteux et très humide. Avec mes sandales je dois redoubler d'attention pour ne pas me retrouver les fesses à terre.

Nous avançons d'un bon pas, nous avons même un peu forcé la cadence pour échapper à un groupe important de pèlerins malgré le relief glissant et instable.

Saint-Chély n'est plus qu'à quelques kilomètres, nous faisons une pause déjeuner aussitôt rejoint par deux autres hollandais Karl et Marjolaine.

Bon sur la photo, j'ai l'air de quelqu'un qui fait la gueule, en fait pas du tout, je merdouille avec mon téléphone pour bien cadrer. En fait, je suis concentré. Andréa me fait remarquer que sur la photo j'ai la même tête qu'un hollandais qui accueille un français. Ils ont de l'humour ces hollandais.

Déjeuner rapide, on repart. Sur le chemins un troupeau de vaches de l'Aubrac qui ne rechignent pas d'être prises en photo. Donc je prend des photos de ces belles créatures broutant paisiblement.


Les beautés de l'Aubrac

Quatorze heures trente, arrivée à l'étape du jour sous un beau soleil avec un bel accueil. Voir la photo ci-dessous.

Un pèlerin de Saint-Chély d'Aubrac

Petit tour au bar pour deux coca, gîte et rituels d'arrivée. On ne sait pas encore où sera le dîner. Je fais mes réservations pour les jours à venir car j'ai décidé de lâcher la tente : trop de contrainte.

Finalement, nous atterrissons dans un restaurant Best Western, l'autre restaurant plus modeste voulait nous faire poireauter pendant plus d'une heure car il avait un grand groupe. Effectivement deux pèlerins même affamés mangent moins que trente adolescents boutonneux en quête de sensations aubraquiennes (le mot n'existe pas).

Je n'ai pas visité Saint-Chély d'Aubrac par manque de temps : lessive, séchage de la tente, réservations pour les jours à venir. Pèlerin c'est un job à plein temps finalement.

Allez pour quelques mots sur le bled. La commune est située dans le nord-est du département de l'Aveyron. En occitan le nom de la commune est Sanch Èli d'Aubrac, en référence à saint Éloi (dont la statue est présente dans l'église). Cependant, à la suite d'une mauvaise interprétation du nom par des scribes, le ch a été transféré du premier au deuxième mot, nous donnant la forme française officielle aujourd'hui : Saint-Chély-d'Aubrac.

Enfin l'histoire de Adalard, revenant de Compostelle avec sa suite de trente chevaliers, traversait l'Aubrac et donc Saint-Chély, au crépuscule et cherchait sans doute un abri pour la nuit lorsqu'il avisa une grotte, cachée au plus profond des bois. Mais là, horreur ! les pèlerins y trouvèrent vingt à trente têtes de voyageurs assassinés. Ce ne pouvait être que des pèlerins de Compostelle ! Le Christ apparut alors et demanda à Adalard de fonder un hôpital en cet endroit dangereux. Adalard acheva son pèlerinage et revint, seul, obéir à l'ordre divin…

Bon finalement, je ne vais pas y rester trop longtemps dans ce pays.

Un peu avant Saint-Chély d'Aubrac
18

Date : 19 avril 2022

Heure de départ : 8h00 -Arrivée : 14h45

Distance : 22 5 kilomètres

Étape à Espalion (Aveyron)

Deux pains au chocolat avalés sur le pouce devant la boulangerie puis un café expresso bu dans le bar en face, ce matin le petit-déjeuner ressemble plus à un attroupement de pèlerins totalement désorganisé.

Il est presque huit heures, nous laissons le village de Saint-Chély d'Aubrac dans son sommeil pour prendre notre chemin quotidien. Rapidement le village se dessine derrière nous lorsque nous empruntons un sentier en lacets pour rejoindre une belle forêts déjà lumineuse par un soleil rayonnant.

La place de la mairie
La sortie du village
Saint-Chély d'Aubrac

Progressivement nous nous élevons portés par le chant matutinal des oiseaux. Les collines verdoyantes autour de nous dénotent totalement avec la bruyère encore maltraitée du plateau d'Aubrac. Ici le printemps s'est installé car l'air sent le parfums des herbes grasses, des fruitiers en fleurs et de temps à autre l'odeur caractéristique du lisier après l'épandage

La montée après le village
Sur la colline avant la descente
Une dernière remontée

Cela fait bientôt quatre que nous marchons et déjà le bourg de Saint-Come d'Olt se profile à l'horizon.

La montée depuis de le départ, la longue descente au fond d'une vallée humide puis à nouveau une belle remontée ont donné du tonus à nos jambes entraînées. Cela fait deux semaines et un jour, aucun muscle ni articulation ne souffrent pour l'instant. Il faut dire que je rythme ma cadence avec prudence et le port de sandales ne permet pas d'avoir une vitesse importante et c'est tant mieux.

Saint-Come d'Olt
Le Lot
L'église
Notre pique-nique
Et on repart

Saint-Come d'Olt, ce village garde un noyau ancien, dont les remparts, aujourd'hui intégrés aux habitations et cernés par un petit boulevard circulaire, ont conservé deux de leurs trois portes fortifiées, la porte Neuve et la porte Théron. Petit visite dans l'église, sobre, vitraux modernisés, seule une grande rosace en vitrail illumine l'entrée de l'église, je ne m'attarde pas.

Douze heures quarante, c'est reparti, je traverse le Lot pour emprunter une route goudronnée parallèle à la rivière sur presque deux kilomètres. Enfin le chemin redevient une sente étroite, remplies de cailloux avec une pente raide, voire même très raide. Heureusement l'ombre des arbres feuillus domine et m'aide à me hisser au sommet de la colline sans trop transpirer. En me retournant j'aperçois Saint-Come et de l'autre Espalion, huit kilomètres et quatre cents mètres les séparent et une belle suée aussi.

Espalion
La chapelle de Perse
La ville historique

Dans le gîte proche du Lot et bien centré dans la ville, je trie mes affaires à réexpédier, finalement je conserve la tente mais je vire les vêtements très chauds, la popote et les bouteilles de gaz soit presque deux kilos. Petit saut à la poste avec un accueil très sympathique de la postière mais treize euros quand même. Demain sur les vingt-sept kilomètres à réaliser je me rendrai mieux compte de l'allègement réalisé. Je garde la tente et le matelas car le parcours suit sur plusieurs jours le Lot et j'ai très envie de mettre ma tente près de cette eau paisible dans un camping, logement moins onéreux que les gîtes.

La gérante du gîte me fait part de ses inquiétudes car elle trouve que les prix des hébergeurs et des restaurateurs pratiquent des prix excessifs sur le cammino ce qui risque à terme de provoquer une baisse de fréquentation ou d'évoluer vers une autre forme de pèlerinage. Ce qui me paraît évident c'est qu'il y a de moins en moins l'esprit premier du pèlerinage. Le business est en train de dépecer la nature et le sens de ce chemin mythique, tout devient éloigné de l'esprit de partage et d'entraide chers aux jacquaires. Tout se perd mon pauvre pèlerin !

Musée du scaphandre à Espalion, curieux non !
19

Date : 20 avril 2022

Heure de départ : 7h30 - Arrivée : 14h45

Distance : 27.5 kilomètres

Étape à Golinhac (12) prononcer Golignac

Nous prenons le petit-déjeuner dans la salle où hier nous savourions la pizza emportée.

Nous sommes les premiers à déjeuner et les premiers à démarrer.

La journée doit être en principe pluvieuse, je prend mes précautions en transférant les affaires de pluie à portée de main. Nous venons juste suivre le Lot en sortie de ville que les premières gouttes s'annoncent. Visiblement il n'avait pas plu cette nuit. C'est la première journée très humide en dix-sept jours de marche, je n'ai pas à me plaindre.

Pluie et brouillard léger
Verrières
Eglise Saint-Pierre à Saint-Pierre
Un heure après Espalion

La pluie fine ressemble plus à du crachin mais il est préférable de se couvrir d'autant plus que mon sac n'est pas étanche une journée durant. Je couvre mon sac avec un sur-sac, j'enfile mon poncho tarp, c'est-à-dire qu'il se transformer en tente ou plutôt en abri moyennant quelque bout de corde que j'emporte toujours en randonnée. Pour l'instant je n'ai jamais testé le tarp depuis mon achat il y a plus de trois années mais sur un si long chemin ça peut servir.

Verrières

Pour l'instant nous ne faisons que suivre une large piste gravillonnée, et de temps à autre une route goudronnée à usage unique pour randonneurs et pèlerins. Le chemin serpente en suivant le Lot paisible où seuls quelques échassiers plongent en quête d'un poissons ou de vermisseaux troublent les grands moments de silence autour de nous. La seule musique d'une radio ambulante que nous ayons est celles des oiseaux qui ne cessent de chanter, de siffler. Comment se réadapter à la civilisation après de telles expériences ?

Sans commentaire

Estaing où l'histoire d'une illustre famille de seigneurs dont l'un d'eux s'illustra en sauvant la vie du roi Philippe-Auguste à Bouvines qui octroya alors au village le droit de porter sur ses armes les fleurs de lys royales. Tu parles d'une affaire !

Finalement, on ne fait que passer à Estaing sans y pénétrer, le chemin ne traverse pas le pont médiéval.

Nous poursuivons notre route toujours au bord du Lot jusqu'à ce que nous quittions cette rivière aux allures tranquilles pour nous diriger vers Montagut le bas puis Montagut le haut. Entre les deux, une heure de suée, de pluie avec une alternance d'éclaircies très brèves. Ça grimpe dur, sous le poncho tout est déjà humide de transpiration. Poncho additionné d'une montée égal cocktail assurée d'être aussi mouillé que si l'on avait rien mis sur soi mais sa protège le sac et les affaires.

Le barrage de Golinhac
La pêcheur sur le lac
Cerisier en fleurs
Fle
Maman et son petit

Cette montée n'en finit plus, en plus le bitume en final et lui non plus n'en finit pas, il pleut, il ne pleut plus, il pleut à nouveau. Le temps joue à cache-cache avec notre moral. J'enlève le poncho, je remet le poncho, on peut dire que ça occupe un temps instable et dire que dans le nord de la France le soleil domine.

Le barrage de Golinhac
André
Beau regard
De profil
Belle bête

Vers treize heures petite pause au milieu de nulle part, un petit coin aménagé tombe à pic. Nous avons de quoi nous asseoir près d'une source jaillissante et une mare à bestiaux. Cinq heures trente de marche presque sans arrêt hormis les prises de vue et les pipi stop, il était temps de s'arrêter un peu.

Pluie à nouveau, il faut repartir, il nous reste un peu moins de six kilomètres d'après le guide. C'est super, nous devrions arriver tôt pour une étape plus longue que d'habitude.

Oui, c'est moi

Les premiers toits d'un village apparaissent alors que nous marchons que depuis une heure après le petit en-cas de treize heures. Nous passons devant une épicerie sous une pluie tenace mais il ne fait pas froid alors que nous sommes aux alentours de 650 mètres d'altitude. Clocher en vue, un beau restaurant tout proche, je pénètre dans ce seul service ouvert pour me renseigner sur notre position. La serveuse me dit avec un bel accent du sud-ouest : "Vous êtes à Golinhac.".

Quatorze heures quarante-cinq, fin de l'étape, même heure d'arrivée qu'hier mais avec quatre kilomètres en plus et en partant une demie-heure plus tôt. Pas mal pour une journée pluvieuse.

Message sms de Nadine et Jean-Louis. Super de les retrouver dans leur région natale, heureux aussi de reparler avec des amis sans chercher mes mots pour exprimer quelque chose. Merci à vous deux d'être passés me voir et pour ce moment d'émotion.

Retrouvailles

Allez quelques mots sur Golinhac. Fondée par les Romains sur une voie de passage (Estrade). C'est un village dès le XI ième siècle avec des origines de l'époque carolingienne. Ce fut le site d'une viguerie, juridiction administrative médiévale. L'église préromane avec des annexes gothiques servait comme église fortifiée jusqu'au XVII ième siècle.

Dix-neuf heures, la salle du bar-restaurant domine la vallée et l'on peut apercevoir le chemin parcouru entre deux passages de nuages. Il ne pleut plus, notre point de vue élevé nous permet de voir les stratocumulus naviguer d'un point à un autre de la combe faisant sans cesse varier le décor.

Vers Massip près de Golinhac

C'était la première journée sous la pluie. Demain et les jours suivants le temps s'annonce pas terrible, ce qui ne va pas arranger le budget, la tente restera dans le sac.

20

Date : jeudi 21 avril 2022

Heure de départ : 7h50 - Arrivée : 13h50

Distance : 21 kilomètres

Étape à Conques

La nuit fut longue entre une heure du matin et quatre heures, un ronfleur perfectionné nous a déroulé toute son expertise et parcouru l'ensemble de la gamme des basses et hautes fréquences d'un concert infernal.

Mes bouchons d'oreilles étant de mauvaise qualité j'avais l'impression que le son que dis-je la cacophonie était amplifiée au lieu d'être au mieux atténuée voire inaudible. Ce chef d'orchestre dirigeait à lui tout seul, un ensemble musical qui allait du gémissement tenace à la déflagration violente en passant par un grognement absolument bestial.

Sept heures, alléluia c'est l'heure, je me lève, le bombardier vrombissant poursuit sa symphonie infernale malgré l'agitation causée par le rangement de nos sacs. Ni une ni deux, je range mes affaires, m'habille plus vite que le célèbre Arturo Brachetti, le roi transformiste qui en moins de quelques secondes est capable de changer de costume et de situation.

Après Golinhac
Nous dominons la vallée
Nuages et brouillard

Petit-déjeuner en compagnie d'André et d'autres pèlerins dans le bar du gîte où nous sommes très bien accueillis. Petit-déjeuner copieux, deux pèlerins me proposent de me donner leur yaourt respectif, j'accepte avec plaisir ce complément pour mon déjeuner du jour, très bon pour le transit vu les repas un peu chaotiques des derniers jours.

Petit passage de rivière
Espeyrac
Après Espeyrac

Sept heures cinquante, départ, traversée du village puis un chemin avec de belles ornières qui témoignent du passage des engins agricoles et des bouses preuves que les vaches ne savent pas se retenir. Pas de montée rude aujourd'hui, avec André nous nous élevons progressivement pour atteindre un plateau verdoyant. Le temps n'est pas au beau fixe mais tout à fait agréable pour marcher, pas de vent, ciel bas un peu gris, brouillard dissipé dans les collines avoisinantes et vaches paisibles broutant une herbe brillante de rosée matinale.

Nous marchons à une bonne allure. Cela fait presque trois semaines de crapahute sans interruption, les jambes sont quasi faites, mais je vais encore modérer mon allure jusqu'à Cahors, la semaine prochaine.

Petite halte thé bleu de Marco Polo à Sénergues, question de ne pas trop tirer sur la corde et de ménager nos carcasses, nous repartons d'un bon rythme constant. La météo demeure instable mais sans dégradation même si derrière nous d'épais nuages gris et menaçants tentent de nous saisir. Avec un peu de chance nous arriverons à Conques avant la pluie.

Église de Espeyrac
Les coquilles
Vitrail de Saint-Marcel
Église de Saint-Marcel à Saint-Marcel

Voilà, nous attaquons la descente vers Conques par un chemin étroit, glissant mais peu pentu. André a glissé une fois. Par chance et en appliquant la marche avec conscience je n'ai pas chuté, j'ai des sandales je dois donc redoubler de vigilance mais je ne suis pas à l'abri d'un relâchement inopiné dont la conséquence serait la glissade assurée.

Descente vers Conques

Treize heures cinquante, Conques s'offre à nous, ville médiévale mythique et d'une parfaite beauté. Peu de touristes en flâneries, peu de pèlerins désarticulés pour l'instant, nous savourons notre coca sur la terrasse du bar en face de l'église. Habituellement le prix de deux coca varie autour de quatre à cinq euros, ici c'est huit. Vivre le tourisme de masse.

Petite histoire locale d'une époque lointaine en relation avec Sainte-Foy patronne locale.

Deux récits du XIe siècle racontent qu'un moine de Conques, Aronisde (déjà le nom est louche) passa dix ans à Agen pour endormir la méfiance de la population et, un soir d'Épiphanie, ce moine turbulent vole les restes de sainte Foy, une martyre enfant, dans l’église Sainte-Foy d'Agen dont il avait la garde (pieux larcin connu sous l'appellation pudique de « translation furtive »). Quand on veut étouffer une affaire on lui colle des noms savants. Après un voyage miraculeux, ce moine fripouille ramène les reliques, le 14 janvier entre 866 et 887 (en fait ils en savent rien du tout), dans son abbaye de Conques où elles sont accueillies solennellement. Vers 900, l'ensemble du corps de Sainte Foy est placé dans une châsse. La partie la plus noble, le crâne, est logée dans une majesté. On peut le voir en visitant le musée mais il faut payer. Si j'ai bien saisi, il faut payer pour quelque chose qui a été volé. Je dis simplement qu'il faut foutre la paix aux morts.

Bibliothèque de l'abbaye où je suis peinard

Super bien accueilli dans l'abbaye, je prends possession de ma chambre seul comme un moine et peinard comme un prince. J'ai laissé Andréa dans le dortoir, il ira visiter le village plus tard et moi toujours aussi pépère et serein je déguste mon plaisir d'écrire dans un espace paisible rempli d'histoires monastiques et de légendes rocambolesques.

Ma piaule d'un jour

Partis visiter les lieux sacrés, André et moi flânons comme deux âmes en peine à la recherche du meilleur angle photographique qui nous oblige à nous contorsionner nous transformant en équilibriste jacquaire.

L'accueil des pèlerins
Derrière l'église
Saint Norbert
Je ne sais pas.
Conques
21

Date : vendredi 22 avril 2022

Heure de départ : 7h50 - Arrivée : 14h15

Distance : 21 kilomètres

Étape à Livinhac le Haut (12)

Je débarque à sept heures quinze dans le grand réfectoire de l'abbaye, la salle grouille de pèlerins paraissant déjà fatigués. En effet, la plupart ont dormi, enfin étaient couchés dans les dortoirs bondés compris entre dix et seize jacquaires. On pouvait reconnaitre facilement ceux des dortoirs dont les faciès parlaient d'eux-mêmes et ceux comme moi visage reposé prêts à en découdre avec l'étape suivante.

Sept heures quarante-cinq, départ, le temps semble stable, nous dévalons la rue de Conques jusqu'au pont romain au fond de la vallée.

Le pont romain

A partir de là, tout le bénéfice de la douche et du lavage des vêtements de marche fut perdu en moins de dix minutes car une sacrée grimpette nous attendait.

J'adaptais mon rythme pour perdre le moins d'eau possible et évidemment pour économiser les jambes bien reposées de la belle nuit passée.

Noailhac

Sur cette montée harassante nous rencontrons Karl et ses soixante seize années. André me demande si on peut faire la montée avec Karl car hier il a glissé dans la descente de Conques et il préfère ne pas être seul si ça lui arrivait aujourd'hui. C'est parfait, nous allons faire encore plus d'économie de nos jambes et le principal Karl semble totalement rassuré par notre présence.

André et Karl
Les cloches sonnent

Premier village Noailhac, pas d'arrêt, trop tôt, nous poursuivons notre route. Aujourd'hui presque du bitume et un paysage inchangé sur une dizaine de kilomètres. Je ne vais pas dire que je m'ennuie mais presque. L'horizon demeure gris avec un brouillard lointain, en fait on ne voit pas grand chose mais il faut avancer malgré tout.

Sur le plateau

Un panneau indique que nous pouvons éviter la ville minière Decazeville mais les explications paraissent totalement incompréhensibles, nous poursuivons notre échappée un peu ennuyeuse aujourd'hui.

André semble fatigué car il me propose de déjeuner dans un endroit pas très sympathique mais où on peut s'asseoir. Intrigué par ce panneau d'information bizarres, je profite de la pause casse-croûte pour checker sur le guide. Damned, en fait c'est au panneau qu'il fallait prendre la variante. Du coup on va se taper la descente dans la ville sur six kilomètres puis une remontée sur trois kilomètres alors que la variante, plus courte permettait de rester sur les crêtes.

Decazeville

Nous traversons une toute petite partie de cette ville autrefois minière sans y trouver le moindre bar où fontaine. Aussitôt la montée reprend au milieu des lotissements en fleurs et bien ordonnés. Il est treize heures, le soleil refait son apparition beaucoup trop chaud pour la pente qui nous attend.

Plus que deux kilomètres mais maintenant en descente et dans le sous-bois, un bon finish pour une étape un peu monotone.

André poursuit sa route vers le centre ville de Livinhac le Haut à un kilomètre et moi je rejoins le camping à six cents mètres pour le bivouac du soir.


Livinhac le Haut

Camping cracra avec toilettes et douches acceptables, on ne peut pas toujours avoir la chambre monacale, c'est un pèlerinage et non pas des vacances de luxe. Un pèlerin ça doit pas forcément sentir bon, pas forcément dormir dans un lit confortable, pas forcément manger à sa faim et pas forcément avoir mal nulle part. Je rigole bien sûr mais ça existe quand même.

On avance, on avance

Soirée sympathique avec André et une pèlerine courageuse, mais il se fait tard, le camping est à deux kilomètres, je suis en ville et le temps menace.

22

Date : samedi 23 avril 2022

Heure de départ : 7h45 - Arrivée : 14h00

Distance : 24 kilomètres + 2 km depuis camping

Étape à Figeac (46)

Six heures quinze pétantes, ma montre sonne, enfin il est l'heure de plier le bardas. Finalement la pluie m'a fichu la paix toute la nuit même si la tente semble très humide et par voie de conséquence mon duvet en plumes d'oie aussi. Après une inspection plus minutieuse je m'en tire pas mal, l'humidité n'a pas fait de dégât. Comment fut la nuit ? Pas top, je me suis retourné autant qu'un moulin à vent dans les plaines de Hollande un jour de grand battage. En général, nuit agitée, journée embarrassée, autrement dit plus pénible et paraissant longue même si elle est courte.

La campagne après Livinhac le Haut

Six heures cinquante, je fiche le camp de ce lieu de villégiature que je déconseille totalement. Certes le camping Roquelongue affleure le Lot mais aussi la départementale donc cette nuit j'avais l'impression que les voitures vrombissantes allaient se précipiter sur mon couchage faisant de moi un pèlerin-hamburger. Entre deux "Hou hou hou" d'un hibou ou d'une chouette qui sans doute voulait revendiquer son territoire ou repousser un ennemi, je me retournais en espérant trouver un sommeil réparateur. Que nenni, oualou, que tchi, bref pas dormi.

Je rejoins André dans son gîte où un petit-déjeuner m'attend car réservé la veille. Pour cinq euros il ne faut pas s'en priver d'autant que dans le village tout est fermé à cette heure matutinale. Les services et autres boutiques livinhacoises ne sont pas matinales du tout. Dommage pour eux car les pèlerins sont nombreux au départ pour une nouvelle étape.

André et Karl
Le pèlerin passe et les vaches s'en moquent

La route sinueuse grimpe sans nous demander trop d'effort. En quelques minutes Livinhac le Haut disparaît pour laisser la place à un paysage toujours aussi verdoyant où les prairies forment un puzzle de couleurs allant du vert foncé d'une herbe bien grasse pour les vaches au marron terre de Sienne des rives labourées prêtes à donner le meilleur d'elles-mêmes.

Une heure après notre départ nous rejoignons Karl, marcheur au pas lent, un peu titubant mais infatigable. Ce monsieur de toujours soixante-douze ans marche près de dix heures par jour depuis Le Puy en Velay, bel exemple à la fois de courage et d'énergie débordante. Il nous avoue que le soir il est fatigué, tu m'étonnes !

Montredon
Après Montredon
Temps gris dans les causses du Guercy
Lac de Grévaudan

Nous traversons plusieurs petits hameaux, Montredon, Saint-Félix, Saint-Jean Mirabel, chacun ayant une mairie et une église sans services ni commerces. En marchant dans la France profonde j'ai le sentiment de marcher dans un véritable espace d'abandon de territoires qui mine la pérennité des campagnes. On se passera du thé ou du café à mi parcours. L'étape du jour alterne entre sentiers pierreux quelquefois carrément boueux et petites routes peu fréquentées par les automobiles. Le ciel colore l'espace d'un gris clair noyé dans des nuages gorgés d'eau prêts à vider leur trop plein. Sans être une grenouille ou un monsieur météo mais je pense que l'on va avoir droit à une douche écossaise ou plutôt quercinoise.

Avant la douche

Onze heures quarante-cinq, halte à Saint-Jean Mirabel près de l'église où des tables de pique-nique nous accueillent pour le casse dalle quotidien. Nous déjeunons en compagnie de Noémie rencontrée la veille et d'un pèlerin accompagné de son chien toujours prêt à quémander un quignon de pain ou des restes de gras de jambons crus.

Je profite de cette halte pour passer un petit coup de fil à ma maman et lui souhaiter un joyeux anniversaire. Ma maman me répond aussitôt : "quatre-vingt huit ans ça fait beaucoup." et de rajouter "mais j'y suis arrivée quand même."

Nous voilà repartis avec tout l'attirail de pluie car au loin l'horizon prend des couleurs très très menaçantes. Effectivement au moment d'entamer la descente sur Figeac, sur les quatre derniers kilomètres, une pluie soutenue prend le relais aux gouttes dispersées des dernières heures de marche.

Figeac sous la pluie, une température rafraîchie, nous nous dirigeons vers un bar pizzeria du centre historique. Entre temps le gîte a répondu qu'il pouvait nous accueillir en dortoir pour cette nuit. Nous pouvons boire nos boissons sereins mais humides.

Figeac sous la pluie
Figeac sous la pluie 

Nos boissons totalement bues, nous patientons sur la terrasse emmitouflés dans les doudounes, des trombes d'eau s'écrasent sur le trottoir totalement inondé. Il ne sert à rien d'attendre la fin du déluge la météo annonce une situation d'averses ininterrompues jusqu'à ce soir. Nous filons au gîte au moins nous serons au chaud.


Gîte à Figeac

Quatre pèlerines et nous deux dans le même dortoir, André me fait remarquer que cette mixité rapprochée est totalement impossible en Hollande. Que lui répondre ? Finalement je lui rétorque que les français sont tous des gentleman. Je n'ai pas trouvé d'autre argument. Je n'allais pas lui dire que les hommes français sont des ronchons qui ne savent pas se tenir. Ça ne fait que trois semaines que je marche je n'ai pas encore atteint la sagesse suprême. Désolé !

Soirée pizza dans le même bar de l'arrivée, coucher tôt, journée de demain longue, certainement pluvieuse et pour l'instant sans gîte. Youpi !

23

Date : dimanche 24 avril 2022

Heure de départ : 7h40 - Arrivée : 15h15

Distance : 30.5 kilomètres

Étape à Cajarc (46)

Je débarque le premier au petit-déjeuner, il est à peine sept heures, je m'installe vers la grande table commune, tout est prêt il n'y a plus qu'à se servir et appuyer sur le bouton de la machine à café.

Les nombreux pèlerins du gîte prennent place alors que je range déjà mes affaires encore humides dans mon sac, André semble quasi prêt aussi. Il ne nous reste qu'aller chercher du pain à la boulangerie d'en face et nous voilà partis pour l'étape destination Cajarc.

Figeac sous la pluie

La pluie n'a pas cessé depuis hier, harnachés comme des mulets nous laissons Figeac totalement détrempée derrière nous. D'abord nous traversons le pont où coule le Célé qui a franchement augmenté son débit et son niveau d'eau depuis hier. La route suit sur plus d'un kilomètre la voie ferrée lorsque un chemin herbacé assez raide nous oblige à temporiser la cadence. Nous nous élevons rapidement malgré les nuages bas, gris, chargés d'eau qui lâchent un crachin mêlé de gouttes de pluie sans interruption. Je pense que la journée n'aura pas d'autre scénario : pluie, crachin et vent.

Sur le plateau après Figeac

Trente minutes plus tard, nous sommes sur le plateau, une petite route sinueuse suit la colline dominant la vallée, elle paraît très roulante c'est-à-dire que l'on peut avaler des kilomètres sans trop se fatiguer même si de temps à autre une belle montée casse un peu le rythme soutenu. Le paysage autour de nous apparaît très flouté par le fin brouillard des jours de pluie. Dommage car je pense que la campagne autour de nous s'étale à perte de vue alternant de vallons aux bocages verdoyants et des forêts de chênes dont les jeunes feuilles apportent une touche bucolique au tableau campagnard.

Église de Faycelles

Pas vu beaucoup de pèlerins sur le parcours pour l'instant, certains s'arrêtent quelques kilomètres avant Cajarc, nous, on préfère aller dans cette petite bourgade mythique pour pouvoir trouver lundi matin de quoi faire notre pique-nique pour l'étape suivante.

En voilà que nous connaissons déjà, un monsieur au pas très rapide, minimum 5.5 à 6.5 kilomètres par heure avec son jeune chien et un couple déjà un peu ancien, des lèves-tôt que l'on rencontre presque tous les jours.

Le monsieur plus tout jeune avec son chien nous double comme un beep-beep runner en nous saluant alors que nous marchions à environ cinq kilomètres par heure, une vraie tornade. Le couple d'anciens font une pause, nous on avance en maintenant notre allure modérée mais sans relâchement. Nos yeux ne quittent pas le sentier, de toute façon tout est bouché autour de nous et puis des beaux paysages il y en aura d'autres à venir.

Pluvieux mais fleuri
Un cayrou

Sur notre passage de magnifiques cayrous témoignent d'un passé campagnard intenses. Suivant les régions elle portent des noms différents. Par exemple cabane dans la région niçoise, cadole en Saône-et-Loire, borie en Provence, la gariotte ou la cazelle lotoise. Une foison de noms mais l'usage est le même, édifice champêtre, bâti entièrement sans mortier, avec des pierres d'extraction locale et ayant servi d'abri temporaire ou saisonnier aux cultivateurs des xviiie et xixe siècles, à ses outils, ses animaux, sa récolte, dans une parcelle éloignée de son habitation permanente. Bref une résidence secondaire !

Dolmen

Puis c'est au tour d'un dolmen double planté là sur une colline témoin lui aussi d'une vie préhistorique certaine.

Sale temps pour le casse-croûte de douze heures mais nous n'avons pas choix, ça sera sous la pluie, au vent et debout, on est des pèlerins pas des touristes. Non ?

Nous n'avons toujours pas de point de couchage pour ce soir, mes coups de fils de ce matin ont tous échoué. On décide que l'on sera mieux à Cajarc pour chercher et trouver plutôt que là au milieu de nulle part au froid, au vent et dans une humidité qui remonte dans le dos. Gla-gla !

André sous pluie

Nous ne faiblissons pas, ce temps nous mine un peu le moral car un peu plus de trente kilomètres sous la pluie c'est long. Il nous faut avancer et surtout trouver un abri sympathique pour la nuit .

Une grotte préhistorique
Que d'eau, que d'eau !
Cajarc au loin

Enfin Cajarc apparaît en contrebas, encore un effort et nous y serons pour quinze heures quinze heures quinze au plus tard. Tiens, une grotte préhistorique sur notre passage, elle fera l'affaire si on ne trouve rien. Je rigole car l'eau ruisselle de toute part, apparemment ça à l'air d'être une source jaillissante.

Quinze heures quinze, attablés au bar, pas celui de Coluche, nous avons enfin un logement au camping dans un bungalow partagé avec une pèlerine Stéphanie. C'était le dernier logement disponible. Décidément la vie nous veut du bien.

Grand luxe, notre gîte

Activités de routine faites, direction le centre-ville de Cajarc. Ce soir le restaurant Chez Moulino demeure fermé et comme il y en a que deux nous pénétrons dans la salle de l'autre restaurant de la ville où braille la télévision. Les journalistes ne sachant que dire trente minutes avant le sort des deux prétendants nous abreuvent d'informations bidons alors que nous sommes affairés à découper presque religieusement notre big hamburger frites salades de Cajarc.

Chez Moulino de Coluche

J'ai tout de même immortalisé ce célèbre restaurant où Coluche était un habitué. Ce lieu lui a inspiré en 1975 son célèbre sketch «Le Schmilblick». Fermé depuis des mois, l'hôtel-restaurant Chez Moulino est en train d'ouvrir.

A Cajarc, Francoise Sagan y est née, Georges Pompidou y fut conseiller municipal et la proxénète Madame Claude y possédait une bergerie pour apparemment y faire reposer ses "brebis".

Sacré Cajarc quand même !

24

Date : lundi 25 avril 2022

Heure de départ : 8h20 - Arrivée : 15h10

Distance : 25 kilomètres

Étape à Varaire (46)

Le grand luxe c'est d'avoir sa chambre et de pouvoir étaler ses affaires sans se préoccuper de rien, l'espace nous appartient, le temps nous appartient, tout est plus simple.

Nous prenons notre petit-déjeuner dans la petite salle à manger du bungalow bien chauffé, encombré par les sacs et les quelques affaires éparpillées qui retrouveront bientôt l'emplacement prévu pour le confort du pèlerin.

Huit heures vingt, nous longeons la rivière sur quelques centaines de mètres avant de prendre un montée maçonnée très raide qui nous mène à une petite route très peu fréquentée. Aux alentours les nuages couvrent le ciel et un petit brouillard masque le décor campagnard. D'après la météo il ne devrait pas pleuvoir, peut-être même un peu de soleil.

En sortie de Cajarc
Le pont de Gaillac et le Lot
Gaillac
Le départ de Cajarc

La route fait un détour pour ensuite grimper vers un petit village où une halte s'impose lorsque une église isolée dévoile déjà un beau vitrail au-dessus de l'entrée. Nous pénétrons dans cette église en laissant nos bâtons de marche sur le parvis afin de se présenter sans armes devant le Grand Ordonnateur du lieu.

Vitrail de Gaillac
Vitrail de Gaillac
On the road again

Aujourd'hui l'étape ne sera que de vingt-cinq kilomètres avec peu de dénivelé, nous resterons sur le sommet des collines ou plutôt des causses c'est ainsi que se nomme le paysage traversé.

Causse vient de l'occitan cauce issu du latin caix : la chaux. Le causse ou les causses est un plateau karstique fortement érodé caractéristique des auréoles sédimentaires du sud et de l'ouest du Massif central français. Des prairies colorées de pissenlits en fleurs aux bosquets clairsemés, les causses présentent en ce moment un paysage plutôt verdoyant mais dans peu de temps le tableau sera beaucoup moins idyllique car ce plateau calcaire n'en demeure pas moins aride, creusé de profondes vallées offrant de maigres pâturages à moutons.

Au cas où on oublierait
Les causses
Sur la piste des étoiles

L'étape roulante d'aujourd'hui ne présente pas de difficultés particulières. On monte un peu, on descend un peu et l'on marche sur du plat longtemps, un peu sur la route, un peu sur les pistes, peu de villages, c'est cela les causses.

Limogne en Quercy se dresse sur une des collines du plateau calcaire que nous venons de traverser. Le bourg paraît important et cela tombe à pic, il est un peu plus de douze heures. Dans mon sac il me reste un peu de pain, un petit bout de Cantal un peu transpiré et deux carrés de chocolat. Dans le village, une voiture s'arrête devant moi et la passagère d'un âge avancé me demande si je cherche un endroit pour se restaurer ou acheter quelque chose. "Une épicerie me suffirait." je lui réponds en voyant bien autour de moi que tous les magasins paraissaient bel et bien fermés. "Ah mon pauvre randonneur aujourd'hui c'est lundi, tout est fermé ici." elle me répond d'un air embarrassé. Entre temps André a repéré un bar restaurant ouvert. "Pas de sandwich, seulement le plat du jour." me répond la serveuse. Nous nous contentons de deux thés verts. A côté de nous, des locaux sans doute, discutent sur les paroles de Jésus et autres philosophies religieuses, chacun prend la parole avec un ton grandiloquent, ils paraissent tous d'accord entre eux. En voilà un (Jésus) qui sait rassembler. Finalement nous déjeunerons sur la place du village avec d'autres pèlerins affamés non loin du concile philosophique toujours attablé le verre de bière à la main.

Murs en pierre sèche
Limogne
Bye-bye Limogne
Grande discussion sur Jésus

Il nous reste huit kilomètres à parcourir sous un soleil brûlant caché souvent par des passages de nuages non menaçants. La piste très agréable met en valeur le travail colossal des paysans pour la construction des murs en pierres sèches bordant le sentier ou les pâturages ce qui apporte un charme particulier au paysage.

Murs en pierres sèches
Un lac de pissenlits
Paysage bucolique
Les pierres sèches dans le Lot

Nous entendons le carillon du village de Varaire notre destination du jour. Le gîte immense sera pour nous seuls. Dans le village, l'épicerie ouvre à quinze heures trente, juste le temps de prendre une douche et de faire les formalités d'usage. Ce soir pasta bolognaise, avocat, yaourt et banane car demain trente-deux kilomètres roulants. Il faut recharger les muscles en sucre lent. En effet, ce matin, petit coup de mou, pas fatigué mais j'avais l'impression de ne pas avancer. En déroulant le film des derniers jours, je me rendais compte que j'avais peu mangé de sucre lent. Donc ce soir, cinq cents grammes de pâtes à deux. Ça devrait le faire.

Arrivée à Varaire
Paisible et joli
L'église de Varaire
Notre gîte

Demain Cahors, je vais encore me débarrasser de choses inutiles et embarrassantes. En fait je fais l'inverse des deux compères Nans et Muts de l'émission de télévision "Nus et culottés", ils partent nus et grâce à la générosité des gens ils réalisent leur périple finalement habillés. Moi, je ne sais pas encore comment je vais finir.

L'œil
25

Date : mardi 26 avril 2022

Heure de départ : 7h20 - Arrivée : 15h00

Distance : 32 kilomètres

Étape à Cahors (46)

Nous prenons seuls le petit-déjeuner dans une annexe du gîte, il est sept heures et nous nous préparons à partir, l'étape du jour sera longue et en principe sous le soleil.

Sept heures vingt départ, nous rejoignons le GR65 sur trois cents mètres, en moins de dix minutes un large chemin agréable se présente, nous ne le quitterons plus sur une bonne quinzaine de kilomètres.

Après Varaire
Soleil levant

Pour le départ j'ai gardé la veste Goretex sur moi, le ciel totalement dégagé occupe toute la surface céleste, l'air vif saisi un peu les doigts engourdis du matin mais tout cela est supportable. A la première petite montée je quitterai la veste même si aujourd'hui il y a très peu de dénivelé sur tout le long du parcours.

C'est donc dans la fraîcheur que nous traversons les causses du Quercy, la végétation naissante exhale déjà de bon matin des senteurs printanières. Des effluves de lilas sauvages viennent me rappeler que c'est aussi le printemps à Pizay, de jeunes acacias répandent aussi leur bouquet floral pour donner une subtile émanation et apporter une touche raffinée au mélange. Tout sent bon dans ce paysage brillant et très coloré. Comme le terrain s'y prête nous avançons à une bonne allure sans trop puiser dans nos réserves.

Église de Bach

La veille nous avions ingurgités quasi deux cents cinquante grammes de pâtes avec des lardons et sauce bolognaise chacun, il faut bien cela pour les trente-deux kilomètres du jour même si le chemin ne présente aucune difficulté. En effet, cette piste gravillonnée large serpente dans les causses, ce paysage aujourd'hui vert contrastera bientôt avec la future métamorphose aride. Contrairement à l'Aubrac ici l'eau s'infiltre facilement dans les couches calcaires, c'est la raison pour laquelle le long du chemin de nombreux puits profonds complètent le décor de caillasses et de petits arbustes.

Les causses

Nous sommes silencieux ce matin, nous réservons notre salive en prévision de la chaleur qui va se faire sentir dans quelques heures.

Depuis un moment déjà j'entends un bruit bizarre provenant de mon sac ou à proximité. Ce bruit semble être comme un glouglou ou comme des tirs mais très éloignés, je n'arrive pas à identifier exactement l'origine. Le bruit s'amplifie, ce n'est pas mon sac c'est bien aux alentours voire même aux alentours très lointains. En fait c'est le camp militaire du Larzac qui nous bassine depuis ce matin. Nous entendons finalement des tirs répétés toutes les dix secondes et cela pendant au moins deux heures de marche. C'est le Centre d'Entraînement de l'Infanterie au Tir Opérationnel qui tambourine depuis ce matin, il est situé à plus cent cinquante kilomètres de nous et nous l'entendons parfaitement.

Splach dans l'eau !

Chemin faisant, une petite rivière nous barre la piste, un joli pont de pierres permet de passer aisément ce petit ruisseau rafraîchissant lorsque voulant faire un beau cliché à partir du pont en pierres, voilà que je perds l'équilibre et me retrouve cinquante centimètres plus bas les deux pieds dans l'eau. Depuis ce matin j'avais fait très attention pour ne pas me tremper les chaussettes dans la rosée et là en deux secondes chaussettes et sandales trempées. Au moins mes pieds ne chaufferont pas et vu la température tout cela va vite sécher.

La salamandre

Les pieds au frais, je poursuis mon chemin avec le tapage du camp militaire en fond sonore. Aujourd'hui c'est une petite salamandre immobile sur le sentier qui vient donner un côté sauvage à notre étape sympathique mais un peu monotone. La petite bête par ruse reste immobile ce qui nous permet de la prendre en photo sans difficulté.

Il est onze heures trente, partis depuis sept heures vingt, une pause sera la bienvenue surtout que le soleil prend des tournures de canicule sans un brin d'air.

Passé l'autoroute, il nous reste environ dix kilomètres à réaliser mais maintenant sur un chemin très caillouteux où par expérience il faut être très vigilant. Distance parcourue plus un peu de fatigue c'est le cocktail avec les cailloux en plus pour glisser ou se tordre un cheville. Nous sommes prudents, nous ralentissons un peu l'allure pour assurer une arrivée à Cahors sans dommage collatéral.

La cathédrale Saint-Etienne
Sur le pont Louis Philippe
Le gîte

Il est quinze heures nous arrivons à Cahors accueillis juste après le passage du pont Louis-Philippe par des membres d'une association jacquaire qui invitent les pèlerins à boire et à se reposer. Super accueil ! Merci la ville de Cahors.

Après un petit thé dans un bar, nous rejoignons notre gîte où un bel accueil nous attendait aussi. Décidément Cahors sait recevoir les pèlerins après une longue journée de marche sous un soleil radieux.

Depuis notre chambre
En route pour le gîte
La piaule

Repas pris dans la cuisine du gîte avec pâtes ( 500 grammes à deux), carottes râpées, compote et pomme pour pouvoir avaler les trente deux prochains kilomètres.

Passeggiata dans Cahors pour faire descendre tout cela et pour vous donner un aperçu de la ville.

C'était une journée ordinaire de marche sans péripéties juste des tirs d'artillerie, une salamandre et une glissade dans l'eau gelée. Rien d'extraordinaire.

La rue Daurade
Une porte de la cathédrale
La cathédrale observée
La porte nord
La cathédrale Saint-Etienne
La cathédrale
Un immeuble fer à repasser
Le Lot
La vieille ville
26

Date : 27 avril 2022

Heure de départ : 7h20 -Arrivée : 16h20

Distance : 32 kilomètres

Étape à Montcuq (46)

Il est six heures trente et nous nous agitons déjà. Nous sommes les premiers au petit-déjeuner presque comme d'habitude pour être prêts à décoller à sept heures vingt.

Aujourd'hui il faut être en forme car à nouveau trente deux kilomètres nous attendent, d'après la carte ça à l'air moins roulant.

Nous traversons la ville d'est en ouest en passant par la cathédrale malheureusement fermée. Devant le parvis les marchands ambulants s'agitent pour fignoler leurs étalages de légumes bien alignés, de fruits débordants de couleurs, c'est jour de marché à Cahors.

Jour de marché à Cahors

Le chemin de Compostelle passe par le pont Valandre d'une belle architecture enjambant le Lot aujourd'hui encore d'une couleur marron aux tourbillons impressionnants.

Le pont Valandre
S'il vous reste des jambes
Coquille Compostelle
Le pont

Aussitôt le pont traversé, un montée super raide nous permet de découvrir l'autre face de Cahors. Assez rapidement finalement le sentier reprend un pente raisonnable au milieu des pins et des bosquets qui dominent la ville.

Nous sommes à nouveau sur le plateau à la même altitude qu'hier mais sur le versant opposé.

Comme cela fait plusieurs jours que nous marchons sur de longues étapes aujourd'hui nous sommes d'accord pour ralentir la cadence et faire plus de pauses.

Il cammino

Pour l'instant nous sommes toujours sur une petite route départementale très fréquentée, nous devons redoubler de prudence car les automobilistes ne prêtent guère attention aux pèlerins attentifs au moindre bruit mécanique.

Cette route n'en finit plus, il faut être sur ses gardes constamment pour ne pas finir comme un moustique sur un pare-brise.

Enfin du chemin, du vrai, celui qu'on aime fouler en baillant aux corneilles même s'il n'y a pas de corneilles dans le secteur.

De vastes prairies
Le Quercy blanc
Lascabanes au fond

Je sens que la journée va être difficile, beaucoup de montées, beaucoup de descentes, peu de plat finalement et trente-deux kilomètres à se taper. Je suis scrupuleusement les étapes du guide, je les trouve inégales car elles ne respectent pas le ratio dénivelé distance. Il faudrait revoir cela tous les jours mais j'ai la flemme. Hier c'était trente-deux kilomètres très roulant aujourd'hui même distance mais c'est les montagnes russes, enfin pas russes, un autre pays.

Nous faisons une halte thés, banane et compote à Labastide-Marnhac, petit bourg ancien bien restauré avec un beau château sur une colline.

Château de Labastide-Marnhac

La chaleur se fait ressentir tôt dans la matinée, j'ai presque rempli mon camel-back soit environ deux litres en prévision d'une transpiration certaine le long de l'étape.

Trois heures de marche, première pause, nous marchons deux heures trente supplémentaires pour la deuxième pause, il nous reste encore environ quatorze kilomètres à faire. Les jambes font bien, les pieds commencent à me dire : "c'est quand la troisième pause ?". On vient à peine d'en faire un peu plus que la moitié. Ça va être dur.

Et ça monte, et ça descend, heureusement que le paysage vaut le détour. C'est le Quercy blanc autrefois remarquable par ses murets et ses caselles, il commence à l'ouest de Cahors située au sud du département du Lot.

Qui dit blanc, dit chaud avec le soleil et c'est le cas. Chaud, chaud aujourd'hui. J'imagine l'Espagne. Aie aie aie !

Ça grimpe !
Enfin de l'eau
Pas farouche

Un dernier panneau indique Montcuq à 2.3 kilomètres, nous ne sommes pas loin de l'arrivée. Les pieds me demandent à chaque instant de m'arrêter mais on est proche, nous approchons du final de ce jour. Nous marchons, nous marchons et nous marchons encore. 2.3 kilomètres mon cul ! Ça fait plus d'une demi-heure que l'on marche à bonne allure et toujours pas de village. Bon, je ne vais pas redire le nom du village ça serait abuser.

Plus que quelques dizaines de mètres, le village est là devant moi. Je profite pour sortir mon téléphone et faire la photo d'arrivée. Tout en marchant vers cette arrivée tant attendue, je suis affairé à dégainer mon appareil, je ne regarde plus le chemin. Je sens que je marche sur quelque chose de mou.

C'est bien ma chance, la seule crotte de chien de tout le Quercy elle est pour moi. Je ne ferai aucun jeux de mots sur cet épisode.

Montcuq je m'en souviendrais.

L'église
La rue principale
Le vitrail et ce n'est pas le seul
Des colombages
Notre dortoir

Dix-neuf heures, nous sommes prêts pour aller dîner en ville. Ce soir pas envie de cuisiner, une pizza fera l'affaire.

Rassemblés devant le pizzeria truck, le pizzaiolo me lance : "Pas avant vingt heures !". Malgré mon mensonge, je lui ai dit qu'on avait fait quarante kilomètres à pied aujourd'hui et on était affamé, il me répond : "Ah bon, on a beaucoup de travail.".

Bref comme dirait Coluche : "Circulez, y a rien à voir.". En le remerciant du bout des lèvres, nous sommes partis questionner le seul restaurant ouvert sur la place principale sur une éventuelle possibilité de manger quelque chose.

Hamburger frites pour André, poulet frites pour moi, nous avons enfin réussi à nous rassasier. En fin de repas, le restaurateur me demande si on est des marcheurs. Comme si ça ne se voyait pas avec nos gueules fatiguées, nos habits dépareillés et notre allure traînante et patibulaire. "Dommage j'avais pas le temps ce soir mais j'aime bien discuter avec les marcheurs, ils ont pleins d'histoires à raconter." me dit l'aubergiste rougeot et très affairé presque navré. Tu parles, il avait trois tables à servir dont la nôtre et il était débordé.

Effectivement des histoires j'en avais plein à raconter mais c'était sur Montcuq. Je pense qu'il n'aurait pas apprécié.

Montcuq je m'en souviendrais, le gargotier lui m'aura oublié illico.

27

Date : 28 avril 2022

Heure de départ : 8h20 -Arrivée : 12h15

Distance : 14 5 kilomètres

Étape à Lauzerte (82)

Nous quittons le Lot pour le Tarn et Garonne, un département de plus à mon actif.

Le petit-déjeuner se prend dans la grande salle du gîte. Ce matin toute sera fait avec lenteur, c'est la journée repos donc lever plus tard, sept heures trente et petit-déjeuner vers huit heures.

A huit heures vingt, nous déambulons dans les rues de Montcuq avant de démarrer notre courte étape.

Après le traité de Meaux en 1229, le roi de France fit abattre les murs de la ville et le château, dont il ne reste que le donjon, gardé afin de prévenir d'éventuelles attaques ennemies. En effet, le donjon, point stratégique, offre un panorama intéressant sur la vallée de la Barguelonne de par sa hauteur.

Assez vu Montcuq, on reprend la marche par une petite montée en sous-bois jusque sur un plateau panoramique.

Bye-bye
Depuis le plateau
Belle vallée du Quercy blanc
Paysage bucolique

Le gardien du gîte m'a indiqué que nous traverserions de beaux paysages verdoyants aujourd'hui . En effet, sur le plateau le décor paysager nous transmet cette sérénité et cette harmonie propres aux campagnes où les paysans sans se concerter peignent au quotidien un tableau naturel digne des grands maîtres de la peinture.

Halte pèlerine
Rouillac
Maman et son bébé
Miam-miam

La journée sera courte, je profite de chaque instant pour bien ressentir cette verdure, pour me remplir les poumons d'un air sain, pour libérer l'esprit des petits tracas d'hier. Il est bon d'avoir du temps devant soi, de mettre un pied devant l'autre et de découvrir la prochaine scène d'un film authentique sur l'écran de la nature.

Peinture et paysage
Sérénité
Vagues naturelles

Quatorze kilomètres c'est court, très court aussi vers dix heures une petite pause nous permet de perdre un peu de temps, luxe suprême. D'autant plus que nous rencontrons d'autres pèlerins déjà connus sur le chemin. Deuxième petit-déjeuner sur l'herbe et moi assis sur un tronc couché là juste pour bibi.

Deuxième petit-déjeuner
Trois marcheurs rapides avec nous

Petites discussions sur les bobos du jour, l'étape du jour, les petites histoires de la veille. Je me suis bien gardé de raconter mes petits déboires de la veille. On a sa fierté aussi même pèlerin.

Le chemin traverse des paysages tous plus beaux les uns que les autres que je peux apprécier car il n'y a aucun effort à faire aujourd'hui. C'est vraiment un jour relax.

Un peu d'eau fraîche
Dernière descente avant Lauzerte

Il est midi, Lauzerte apparaît sur sa colline dominant toutes les vallées alentours. Superbe village haut perché au-dessus des vallées et des collines du Quercy Blanc, cette bastide créée au XIIème siècle par le Comte de Toulouse est située sur la « via Podiensis » notre chemin. Du passé historique et religieux subsistent de nombreux témoignages que je m'en vais visiter et je vous raconterai plus tard.

Arrivés au gîte à 12h15, nous ressortons notre pique-nique, Madame Lulu L'Abeiile, gérante, arrivé presque en même temps que nous.

Elle vient d'acheter deux matelas neufs et me demande de l'aider à les installer dans la chambre prévue qui finalement sera la notre. Ce soir matelas neuf !

Une fois le rituel passé, petit tour dans la cité médiévale, le temps s'y prête et il n'est que quatorze heures.

Le haut de Lauzerte
Église Saint Barthélémy

Je déambule dans les rues désertes du village à l'allure abandonnée, quelques boutiques à touristes presque toutes fermées et un bar ouvert sur la place du château avec une musique de ACDC à fond les manettes. Adieu sérénité, recueil sur soi, je tourne les talons pour me réfugier dans l'église Saint-Barthélémy. Là, un organiste barbu répète une partition plutôt moderne que religieuse faisant écho avec l'immensité de l'édifice. Je m'assois quelques instants vers l'instrument tubulaire, tout ouïe, seul spectateur d'un mini concert retentissant. Ce n'est qu'au XI ième siècle que cet instrument à vent fait son apparition dans le monde religieux et avant de fonctionner avec de l'air pour émettre des sons, il fonctionnait avec de l'eau et accompagnait le combat des gladiateurs.

Concert solo

Je dois acheter de quoi faire la cuisine pour ce soir et les casse-croûtes pour demain, pour cela il faut redescendre en bas du village à l'Intermarché local, aucun service dans le village.

Retour au gîte où Lulu nous a préparé des crêpes et des boissons chaudes pour les six pèlerins que nous sommes, un couple d'allemands, un couple de français et nous deux.

Tea time

Pour finir, le village de Lauzerte doit son nom d'un des noms occitans du sainfoin, la lauserta qui sert de fourrage. Une légende locale veut que le nom dérive du lézard, qui figure sur les armoiries de la ville, mais c'est une fausse interprétation : il symbolise l’oisiveté des sénéchaux au xviie siècle officiers de justice au service du roi.

Mettre sur l'armoirie de la ville le symbole du farniente c'est très fort. Je me demande comment devait être rendue la justice en ces temps reculés.

28

Date : 29 avril 2022

Heure de départ : 7h45 - Arrivée : 15h00

Distance : 30.5 kilomètres

Étape à Moissac (82)

D'après la météo il fera chaud l'après-midi, je me mets dans une tenue légère dès le départ. La brume rend le paysage flou sur l'horizon, la température et l'humidité de l'air ne posent aucun problème ce matin, les conditions de marche semblent idéales.

Construction bizarre

Nous quittons le gîte en compagnie d'un couple de pèlerins de Munster, ensemble nous échangeons sur l'étape du jour et le temps qu'il va faire. C'est sûr que les discussions avec les jacquaires tournent toujours autour des mêmes sujets, les mêmes questions, les mêmes réponses. Que dire d'autres, on ne s'étend pas sur sa vie privée, son passé et pour l'avenir on a tous le même : Santiago de Compostelle.

Hier le paysage offrait des nuances de couleurs et des tracés rappelant un peu le pittoresque de la Toscane. Aujourd'hui nous passons d'une vallée à l'autre en grimpant des collines en sous-bois sans grand intérêt. Je me dis que pour les photos je risque d'être sur ma faim aujourd'hui.


Saint Sernin des Bois
Labourage
Une vallée

Nous avançons un temps suffisamment long sur le bord aménagé de la route de la deuxième vallée empruntée ce matin. Cette portion paraît interminable, ligne droite avec de temps en temps un espèce de marécage qu'il faut traverser. Avec mes sandales je dois faire des acrobaties pour conserver mes chaussettes propres et ne pas m'enfoncer. Évidemment, en m'appuyant plus sur mon pied droit, la chaussure s'enfonce plus que nécessaire. Chaussettes et chaussures passeront au lavage en arrivant à Moissac, la routine du pèlerin.

A Durfort la Capelette petite halte boisson et casse-croûte. Le gérant m'apostrophe : "Tout va bien, car je voyage beaucoup !". Que répondre à cette question, il va poser la même question aux pèlerins attablés non loin de nous. Peut-être a-t-il déjà abusé de son propre débit de boissons depuis ce matin.

Seul

Nous repartons pour deux heures et demie de marche, le paysage ne semble pas avoir de différence avec celui du matin, il va peut-être falloir s'habituer à moins de diversité paysagère. C'est vrai que nous quittons progressivement les hauteurs du Massif Central. Pour le pèlerin s'abreuver des beautés du paysage n'est-ce pas se détourner de cette quête intérieure, les yeux se posent ici puis là et encore par ici. L'esprit butine de magnifiques décors naturels pas après pas mais en faisant cela il n'en retire que des images, de belles cartes postales le plus souvent stockées dans son téléphone. Nous sommes habitués à être des touristes et pas des pèlerins.

Les vignes près de Moissac
Pêchers et labourage

Il est douze heures trente, nous optons pour une deuxième halte sur un banc bienvenu à l'ombre avec en prime un chat sauvage qui nous surveille derrière un fourré.

Aujourd'hui j'ai l'intention de faire un deuxième envoi d'affaires inutiles : le guide Miam-miam Dodo numéro 1, la veste duvet légère et mon pantalon imperméable qui ne me sert à rien. Comme André prend beaucoup de temps pour manger et s'aérer je lui suggère que l'on se retrouve à l'hébergement. Je pars donc seul en route pour Moissac qui est à environ sept kilomètres de là.

La chaleur se fait sentir, j'avance d'un bon pas sans trop forcer, toujours peur de chopper une tendinite. Ah, des bruits de bâtons derrière moi, une pèlerine. Bien sûr on fait les échanges d'informations d'usage. Elle est hollandaise. Je viens de quitter momentanément un hollandais et je me retrouve avec une hollandaise. Que se passe t'il dans ce pays ?

Nous faisons le chemin ensemble, plutôt la route ensemble jusqu'au centre de Moissac où nous nous séparons. La poste semble être sur le chemin à quelques centaines de mètres. En deux deux le paquet est expédié, un petit tour à l'abbatiale et ensuite direction le carmel. Oui ce soir le gîte c'est le carmel proche de l'abbatiale.

L'abbatiale
Une Pietà
L'entrée de l'abbatiale
Depuis la chambre du carmel
Assis sur un bureau d'ecolier

Moissac, cité uvale connue pour son chasselas et aussi grande cité monastique développée à l'ombre de la grande abbaye Saint-Pierre dont la légende nous dit qu'elle fut fondée par le roi Clovis.

Le pont Napoléon
Le Tarn
Le canal menant au port
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Date : samedi 30 avril 2022

Départ à 7h45 - Arrivée : 16h00

Distance : 30.5 kilomètres

Étape à Saint-Antoine de Pont d'Arratz (32)

Nous quittons le carmel à sept heures quarante-cinq juste au moment où Moissac déballe son marché aux fruits et légumes.

En quelques minutes, nous longeons le canal du Tarn sur quelques kilomètres avant de prendre la variante par les collines ce qui évite une journée de ligne droite.

Le marché de Moissac

Le long du canal de nombreux pêcheurs tentent de taquiner le carnassier car aujourd'hui c'est l'ouverture de la pêche aux brochets, des perches et autres poissons aux grosses dents.

Les pêcheurs du samedi

Nous optons pour la variante en passant par les collines où il paraît nous devrions avoir un beau point de vue sur la plaine de la Garonne.

Arrivés au sommet, damned, trop de brume mais ça valait le coup de se taper deux kilomètres supplémentaires.

Point de vue sur la Garonne

A partir de là débute une route sans grand intérêt tranversant des petits hameaux perchés sur ce plateau panoramique.

Chapelle Sainte Rose

Deux kilomètres supplémentaires ça compte sur une journée de vingt-sept mais faire vingt kilomètres le long d'un canal ça peut rendre l'étape très ennuyeuse.

Les quelques kilomètres que nous faisons le long du canal finalement nous distraient car il se passe plein de trucs sur ce cours d'eau. Des pêcheurs bien sûr, des péniches comme en Hollande, une dame qui fait des mouvements avec un bâton, des familles qui pique-niquent.

Le canal
Postures zens
Zénitude le long du canal
Des péniches
Une écluse

Il est un peu plus de douze heures, une deuxième halte s'impose d'autant qu'une douleur à la cheville droite semble se pointer insidieusement. Je profite de la halte pour passer de la crème et reprendre un anti-inflammatoire. J'espère me soigner avec ce protocole improvisé et ne pas oublier de beaucoup boire. Autre point pour tenter que la douleur ne se propage pas c'est de ralentir. J'avertis André que je dois prendre mes précautions et comme il est très attentionné il me fait comprendre qu'on se suit même à allure plus lente.

Je redoutais cela, je dois donc prendre toutes les mesures raisonnables pour éviter le pire. Je ne veux pas me retrouver comme l'année dernière sur le GR5 avec la maxi tendinite.

Le pont sur la Garonne
Auvillar
Auvillar

L'après-midi est chaude aujourd'hui, j'ai vraiment intérêt à boire le plus possible sans en faire une indigestion non plus.

A nouveau petite halte dans une ferme donativo avec boissons fraîches et petits biscuits. Je mets une bande avec plein de crème dessus.

Nous voilà repartis, rejoint par la jeune fille hollandaise sous le cagnard mais chance des arbres nous protègent grâce à leur ombre salvatrice. La douleur a l'air de diminuer mais rien n'est gagné. Ce soir à nouveau bandage et anti-inflammatoire pour que demain je puisse tester ces médecines sur la nouvelle étape.

Fin de l'étape
La salle à manger
Le dortoir
Le gîte

Il est seize heures arrivée au gîte mais nous avons fait une pause dans le village avec comme boisson une excellente grenadine bien fraîche et une grosse carafe d'eau fraîche.

Les rituels terminés, je m'installe dans la jardin espérant pouvoir démarrer mon blog du jour. Impossible, juste à côté de moi, un pèlerin attablé avec une bière, puis une autre bière et encore une autre bière. Entre les bières il a visiblement besoin de parler et il me parle, il me parle, ça n'arrête pas. Je tente malgré tout de rédiger mon blog mais je m'avoue vaincu. Dans les échanges plutôt unidirectionnels il me demande quel job j'exerçais avant d'être en retraite. Comme je suis retraité de APF France Handicap, ce pèlerin me raconte toute son histoire de bipolarité depuis son enfance. Je lâche mon blog pour l'écouter, c'est ça aussi Compostelle. Après presque une heure trente de discussions à sens unique, je profite qu'il doit faire des courses (il dort sous la tente plus loin dans le village ce soir) pour m'éclipser en lui faisant un au revoir salvateur.

Dix-neuf heures nous nous dirigeons vers l'unique restaurant du bled. Closed. La gérante passe par-là et regrette de ne pas pouvoir nous servir mais elle ouvre officiellement demain. Bien qu'elle parle aussi le hollandais avec André nous repartons dépités vers le gîte qui fait aussi épicerie. Va pour des Banzai noodle de Lustucru et du sauté de veau de chez Williams Saurin que nous avalons assis sur la terrasse au son des pigeons qui n'arrêtent pas de roucouler.

Je pense que la nuit ne va pas être top, nous sommes avec deux autres pèlerins donc très grand risque de concert cacophonique. Ces pigeons me soûlent, malheureusement je n'ai pas encore atteint la sagesse nécessaire pour ètre au-dessus de cela.

30

Date : dimanche 1er mai 2022

Heure de départ : 7h45 - Arrivée : 14h15

Distance : 24 kilomètres

Étape à Lectoure (32)

Je descend de l'échelle du lit superposé en posant d'abord mon pied droit au sol. Pas de douleur. C'est déjà une bonne chose. Je pose l'autre pied, tout va bien, pas de douleur non plus.

Comme pressenti la nuit ne fut pas au mieux. En effet, un groupe "d'artistes musiciens" s'étaient donnés rendez-vous vous dans le dortoir, tous plus déchaînés les uns que les autres. J'ai tout eu, un concert nasal genre concert Olivier Messian qui en son temps a composé "Quatuor pour la fin du temps", sauf que cette nuit il n'y avait pas de final de cette farandole nasale et gutturale ininterrompue.

Vous ne le savez peut-être pas mais mon deuxième prénom c'est Antoine et hier j'étais dans le village de Saint-Antoine et finalement ça n'a pas été la fête du tout.

Au départ de Saint-Antoine

Je démarre à sept heures quarante-cinq, le pied bandé avec une crème anti-inflammatoire. De plus j'ai décidé de marcher lentement entre trois et trois kilomètres et demi à l'heure avec une pause de cinq minutes chaque heure et deux ou trois gorgées d'eau pour drainer au maximum. Ma montre alarme m'avertira pour respecter scrupuleusement le protocole en vue d'une heureuse guérison.

J'ai gardé ma veste pour éviter de me refroidir au moment des pauses par contre à la vitesse où je vais je ne risque pas de transpirer. André est loin devant, je lui ai dit de ne pas me suivre on se retrouvera en chemin. Être seul c'est bien aussi.

Chateau de Flamarens

Ce régime de marche lente me fait découvrir le plaisir d'un rythme nonchalant, tout semble plus facile, pas d’essoufflement, pas de transpiration, pas de douleur à l'affût pour l'instant. Ça ne fait qu'une heure que je marche tout est pour le mieux, mon pied droit semble totalement reposé de la nuit sonore et agitée.

Le hasard faisant bien les choses au bout d'une heure je suis pile dans un village où mes deux "zozos landais" m'attendent assis sur un banc. Ils n'étaient pas obligés mais ils m'ont attendu quand même. Sympa.

Les zozos landais

Nous repartons ensemble mais assez rapidement ils s'éloignent de plus en plus. Je relance ma montre alarme pour une heure et reprends mon protocole de convalescence c'est-à-dire vitesse lente et le moins de sollicitation possible pour le pied droit sans pour autant tout faire peser sur le pied gauche. Un pèlerin c'est aussi un équilibriste. Pour l'instant toujours zéro douleur même pas un soupçon d'élancement. Ne change rien Elio, tu es peut-être sur la bonne voie (double jeu de mots).

Sac peut-être mal réglé ?
Un beau chêne

Tantôt la route, tantôt le chemin, le sillage prend une autre tournure lorsque vous allez doucement. Je prends de plus en plus de plaisir pas après pas. De temps en temps je me retourne pour voir si un pèlerin serait sur le point de me rattraper. Même pas. Tiens je vois juste devant moi un des "chefs d'orchestre" de cette nuit. Il semble pencher sur le côté droit ou bien est-ce son sac à dos mal réglé ? Ou bien est-ce le chemin qui penche ? Il fait des pauses tous les cinquante mètres. Je le double avec un "Buen Cammino". Il semble très fatigué alors qu'il a bien profité de la nuit, lui !

A chaque pause après une heure de marche je retrouve André et la jeune fille hollandaise dont il m'est impossible de retenir le prénom. Cette fois c'est avec un thé qu'ils m'accueillent devant un gîte avec boissons donativo.

A l'ombre
Grand espaces de blé

L'étape du jour s'étale sur vingt-quatre kilomètres, juste assez pour tester mon protocole de guérison. Pour l'instant toujours pas de bobo en vue.

Mais rien n'est joué d'avance tout peut arriver, il faut être humble et à l'écoute de son corps. Au fil des kilomètres je me dis qu'il va falloir prendre quand-même un jour de repos. Dans ma tête je retrace le parcours à venir et je décide de faire une pause d'un jour supplémentaire à Condom c'est-à-dire demain après l'étape Lectoure-Condom. Aujourd'hui c'est le vingt-huitième jour de marche sans véritable arrêt depuis le quatre avril, je dois laisser le corps se régénérer un minimum. L'alerte de début de tendinite d'hier m'a fait réfléchir, les six cent cinquante kilomètres déjà parcourus se sont bien passés, il ne faudrait pas gâcher les mille cent cinquante kilomètres qu'il me reste à accomplir.

Lectoure
Mon lit
La salle à manger

Après un petit milk-shake savouré dans un bar-terrasse près de la grande cathédrale de Lectoure, nous nous dirigeons vers l'accueil du presbytère de la paroisse, il est quinze heures trente c'est l'ouverture. Ancien hôtel le presbytère accueille les pèlerins dans une bâtisse classée aux monuments historiques de toute beauté. Des bénévoles prennent soin de nous avec un accueil chaleureux et bienveillant. Ce soir nous mangerons avec monsieur le curé Bernard et Nicole et Élisabeth les bénévoles tous attablés dans la belle grande salle du réfectoire en ayant au préalable écouté le bénédicité. Une première pour moi.

Le presbytère de Lectoure

Le repas se déroule dans une bonne ambiance malgré les difficultés que j'ai pour traduire les histoires que conte le père Bernard aux deux compatriotes du plat pays. Un repas végétarien nous est servi : soupe d'artichauts et artichauts vinaigrette, lasagnes aux poireaux (très bonne idée), fromages, crumble à la rhubarbe, vins rouge et rosé et au final tisane verveine citronnée.

Le presbytère une bonne adresse.

Le souper
31

Date : lundi 2 mai 2022

Heure de départ : 7h50 - Arrivée : 16h15

Distance : 34 kilomètres

Étape à Condom en Armagnac (32)

C'est un peu avec regret que je quitte ce lieu sacré, démesuré où l'Histoire de France se mêle aux nombreux archevêques qui se sont succédé dans le diocèse.

Je glisse mon donativo dans l'urne prévue, petit mot dans le livre d'or, mon sac est prêt. Je me retrouve sur la place de la ville à la recherche d'une boulangerie. Ce soir ça va être camping si le temps le permet et si les prestations existent comme la restauration et autres petits services.

Comme hier, j'applique à la lettre mon protocole de guérison : marche lente, arrêt toutes les heures et boire.

Mon camel-back rempli j'ai deux kilos en plus mais c'est pour la bonne cause.

Paysage de l'Armagnac
Vastes plaines
Au loin Lectoure

Je démarre avec mes deux hollandais sachant qu'ils vont rapidement être devant. Je serai avec moi-même ce qui n'est pas pour me déplaire. Ils sont vraiment très sympathiques mais toute la journée chercher ses mots à la fin ça lasse. De toute façon je dois marcher lentement, trente-quatre kilomètres en convalescence il faut bien le gérer sinon cela peut tourner à la catastrophe.

La collégiale Saint-Pierre
La Romieu et la collégiale Saint-Pierre

L'étape du jour traverse de grandes plaines tantôt à peine labourées tantôt verdoyantes d'un blé haut de quarante centimètres totalement figé car aucune brise ne vient perturber la quiétude du paysage. Des vallons à n'en plus finir, des petits ruisseaux pétillants et parfaitement accordés avec le cui-cui des oiseaux, des coteaux de vignes en pleine floraison. On se croirait en Toscane mais sans les oliviers. Je marche dans un tableau apaisant, la marche lente ajoute une touche de sérénité supplémentaire à cette toile romantique grandeur nature.

Même avec mon allure lente, je rejoins mes deux acolytes vers douze heures trente à La Romieu. La collégiale Saint-Pierre apparaît face à moi, ensemble quasiment démesuré, imposante, magnifique, d'une architecture gothique méridionale. Il faut payer pour voir. Pas le temps l'étape est trop longue aujourd'hui pour faire du tourisme. J'avance.

Le lac de Bousquetaire

Je laisse mes deux compagnons qui se prélassent au bar de La Romieu pour poursuivre mon étape en solo. Un coin aménagé tombe à pic pour pique-niquer sur le pouce : sandwich et pomme, feront l'affaire, le petit-déjeuner du matin était consistant et avec mon allure je dépense peu de calories.

De temps à autre je me retourne, personne derrière, personne devant, aucune âme autour de moi, une sensation d'intimité totale.

Un lac apparaît juste après un grand tournant d'un coteau semé de blé. Le chemin à l'air de suivre la bordure de ce grand étang où croassent de beaux spécimens de grenouilles. Au loin un monsieur avec un appareil photo muni d'un téléobjectif impressionnant cherche le bon plan pour immortaliser la prise. Je suis à sa hauteur, je le salue et il se met à parler de la photo qu'il tente de prendre. Je stoppe net mon allure et nous démarrons une discussion sur la nature, la beauté du lieu et autres banalités spontanées qui donnent un sens à ce périple. Il est belge, marié à une gersoise et habite le coin depuis trois ans. En deux deux, je connais une partie de sa vie sans que je ne demande rien. Je le trouve totalement sympathique et après une journée en solo j'avoue ça fait du bien de parler juste comme ça, de tout et de rien. Ce bavardage impromptu montre bien le besoin que nous avons tous de parler, de larguer les amarres de nos émotions même à des inconnus au milieu de nulle part.

Il me reste cinq kilomètres environ pour Condom, pas de douleur à mon pied droit, ni au gauche du reste. C'est plutôt encourageant mais demain repos total dans la ville des mousquetaires.

Je traverse Condom et je me dis qu'avant de faire deux kilomètres de plus pour le camping à l'extérieur de la ville il serait plus judicieux de les appeler

Aucun service, aucun restaurant, la dame au téléphone me dit : "Nous n'avons que des emplacements.", de plus le temps tourne à l'orage C'est bien ma veine. Y-a-t-il des hôtels abordables dans cette ville gersoise ? Après presque un mois de marche je peux m'accorder cela. Banco j'en ai un dans mes prix, pas loin de là. J'y go immédiatement.

Grande chambre, toilettes et salle de bains privatives, petit-déjeuner à volonté et à n'importe quelle heure, même à onze heures si tu veux me dit le gérant.

Je vais me perdre
L'entrée de l'hôtel

Je m'installe dans ma suite pèlerine, j'attaque le blog et doucement je vais à pas lent vers une pizzeria lorsque André débarque. Il commande lui aussi une pizza et son coca sans sucre. Nous parlons de notre journée et de nos programmes respectifs pour demain. Relax pour tous les deux à Condom.

32

Date mardi 3 mai 2022

Heure de départ-Arrivée

Distance : 0 kilomètres

Étape : tourner en rond à Condom

Les conditions de repos ne pouvaient pas être meilleures, je me suis endormi rapidement après l'envoi du blog, premier réveil à deux heures du matin, quelques difficultés ensuite pour me rendormir mais je me sens reposé et en pleine forme.

Passeport d'interdiction de travailler en France

Je prends mon petit-déjeuner seul dans la salle à manger impressionnante car on y trouve de tout et fait maison : cakes, oranges et pommes séchées, machines à multi cafés, céréales à profusion, yaourts, nectar de fruits, des œufs crus à cuisiner, du beurre frais et j'en oublie, une vrai caverne d'Ali Baba de la piccola colazione. Quel bonheur de savourer tout cela tranquille, sans traduction à réfléchir, sans dire d'où je viens où je vais et est-ce que tout ce passe bien ? Les pèlerins ont désertés vers huit heures je me suis pointé juste après. Anti social, non je ne pense pas. Guylaine m'avait prévenu tu ne seras pas seul sur le chemin. Je le vérifie quasiment tous les jours.

Grande lessive, préparatifs des résa à venir et vers neuf heures visite de la ville mousquetaire et pharmacie.

Comme je suis seul, le gérant m'aborde et comme il est aussi d'origine italienne il me raconte l'histoire de sa famille ayant émigrée dans la région fin du dix-neuvième siècle pour cause de famine en Lombardie.

Le passeport de son arrière grand-père mentionnait "Ne peut occuper en France un emploi". En effet le phénomène migratoire est officiellement encouragé par les autorités italiennes. L’Italie qui n’a pas de produits à exporter se doit d’exporter des bras, pensent les dirigeants à cette époque. Les économies, les fameuses "rimesse", que les émigrés ne manqueront pas d’envoyer dans leur pays, constitueront un apport important pour les finances publiques. Les départs massifs constituent également un moyen de réduire les tensions sociales qui, dans les villes en particulier, commencent à se manifester. Bref les italiens à cette époque crevaient de faim chez eux.

A ce moment là les français considéraient que ces "vipères lubriques " , c'est ainsi qu'ils étaient baptisés par le journal Le Petit Marseillais, volaient le travail du bon peuple républicain. Donc tension en France. Quand on est émigré, on part parce qu'il y a des problèmes dans son pays vers un pays où l'on devient le problème. Mais sans diversité point d'évolution.

Les 4 de monsieur Dumas
Cathédrale Saint-Pierre
Magnifique vitraux
Grandiose
Un cloître près de la cathédrale

Petite visite de la ville avec quelques pèlerins léchant les vitrines sac sur le dos et poncho couvrant. Quelques gouttes rendent la chaussée glissante, la ville paraît plus dangereuse que le chemin. Je me dirige vers les halles couvertes. Fermées aujourd'hui, en remontant la rue une petite plaque cloutées sur le trottoir m'intrigue. Je la prends en photo

Alerte du poisson

Sur la plaque vissée est écrit "Protégez ma planète". Cette pauvre plaque déjà bien usée piétinée par des centaines voire des milliers de personnes depuis que quelqu'un l'a fixée symbolise en l'a voyant le cri d'alerte d'une nature foulée par les locataires que nous sommes.

Pour finir, sur le chemin maintes fois était écrit la citation « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » attribuée à Saint-Exupéry est apocryphe. Bref ce n'est pas de lui mais de Wendell Berry dans son livre “The Unforeseen Wilderness: An Essay on Kentucky’s Red River Gorge” en 1971. Comme quoi il ne faut pas croire tout ce qui est écrit.

Salle de déjeuner

Après-midi sieste, relax et petit tour au supermarché du coin pour de toutes petites emplettes furent les passe-temps du jour. Ce soir je retrouve André pour le souper dans un des restaurants de la place principale sous l'œil figé de D'Artagnan pointant son épée avec ses compagnons tous aussi figés, leur réplique me revient : "Un pour tous et tous pour un.". Bonne nuit.

33

Date : mercredi 4 mai 2022

Heure de départ : 7h40 - Arrivée : 16h20

Distance : 32 kilomètres

Étape à Eauze (32)

Je mets le pied hors du gîte et à ce moment là il me vient en tête que cela fait un mois que je cavale sur ce chemin de Compostelle.

André m'a donné rendez-vous vers la pharmacie de Condom à sept heures trente. Sa nuit ne fut pas bonne du tout à cause de douleurs sous les pieds, c'est sans doute une réaction aux matraquage qu'ils subissent au quotidien. Par exemple aujourd'hui mon compteur indique cinquante huit mille cinq cents pas, tu parles d'un matraquage c'est un bousillage pur et simple de nos pieds. J'imagine à peine les mêmes étapes en sabot avec de la paille en guise de chaussettes. Une boucherie.

Pont de l'Artigue

Nous empruntons des routes dans un paysage terne, le soleil se cache bien dans les nuages, du coup le visuel apparaît avec un rideau brumeux faisant disparaître les contours et les profondeurs de champ. Larresingle, un des plus beaux villages de France mais le GR65 n'y passe pas, j'ai la flemme de faire le détour pour le visiter car l'aller-retour représente plus de vingt-cinq minutes, nous traversons néanmoins le pont de l'Artigue qui est un des derniers ponts romans construit entre le XIIe et le XIIIe siècle, rare spécimen d'architecture civile encore existant, et construit spécialement pour le passage des pèlerins. Merci les anciens.

C'est pas le beau temps

Même si je me suis accordé une journée complète de repos, je réitère mon protocole pour gérer au mieux les trente-deux kilomètres du jour.

L'étape du jour devrait être relativement plate au milieu des vignes de cette région bien connue de l'Armagnac. Ce matin vers neuf heures j'ai cru qu'il allait faire beau, un rayon de soleil est apparu pendant quelques secondes puis plus rien. De gros nuages bien gris et pas vraiment sympathiques me suivent depuis un bon moment. Vont-ils me rattraper et me donner le baptême ? Ils font bien ce qu'ils veulent moi je n'irai pas plus vite.

Vitrail de l'église de Montréal du Gers

Montréal du Gers où je retrouve André et Soline assis à la terrasse d'un café sur la place principale. Je ferai bien une pause moi aussi d'autant qu'il reste encore seize kilomètres c'est-à-dire la moitié. J'échange quelques mots avec la serveuse qui me confie que son village elle l'aime bien surtout les troisièmes mi-temps des matches de rugby. "Tout le monde se connaît, c'est comme si c'était la même famille." me dit-elle avec l'accent du Gers. Si je comprends bien si tu veux faire partie de La Famille il faut pratiquer le rugby et boire des canons après la bousculade. Perso je préfère boire des canons mais pas faire du rugby.

De longues lignes droites
Des vignes

Je me suis un peu trop refroidi sur cette terrasse, il est temps de reprendre direction Lamothe, petit hameau où nous ferons la pause déjeuner. Le guide indique sept kilomètres, au bout de deux nous y arrivons, tu parles sept kilomètres, neuf kilomètres serait plus juste. Décidément les distances du guide ou sur les panneaux ne sont que des indications pour ne pas démoraliser le pèlerin plein d'entrain et de bonnes résolutions.

Lamothe

Deux heures entre Montréal du Gers et Lamothe mais nous sommes récompensés par la belle terrasse qui nous attend pour notre déjeuner. André a mal aux jambes et Soline peut-être un début de tendinite à un mollet. De mon côté pour l'instant tout se passe bien, aucune douleur, pas de contractures, le pied !

Ancienne voué de chemin de fer

Nous nous installons sur la terrasse du gîte de Lamothe qui s'appelle Mille bornes car de là il reste mille kilomètres jusqu'à Santiago. Gardons le moral !

Aussitôt assis, une averse, nous l'avons évitées de justesse. Nous repartirons uniquement après l'orage. Pourquoi se tremper nous avons du temps devant nous.

Notre pause aura duré presque une heure, j'enfile tout de même mon poncho au cas où.

Du gîte sept kilomètres nous séparent de Eauze. Une ancienne voie de chemin de fer se confond avec le GR65 autant dire que des lignes droites à n'en plus finir. Très ennuyant. Je marche comme un robot, il n'y a même pas à faire attention où l'on met ses pieds, le parterre est sans aspérité, sans déformation, bien plat. Sept kilomètres de ligne droite ça paraît long et c'est long.

Arrivée à Eauze sous une petite pluie, direction Leclerc pour les pâtes et la sauces et quelques menus compléments.

Ce soir nous logeons dans le gîte communal où nous sommes reçus avec un grand sourire par l'hôtesse de l'office du tourisme. Dortoir à quatre mais j'ai mes boules Quies, investissement qui ne sera pas inutile.

Arrivée à Eauze

Je me tâte pour savoir si je vais faire un tour ou pas dans cette petite ville du Gers. La pluie a cessé mais quelques cumulus nimbus rôdent dans les parages. Je prends mon courage à deux mains et j'y go pour une visite éclair juste pour savoir à quoi ça ressemble surtout que nous sommes arrivés dans la cité par la zone commerciale et industrielle sous la pluie.

La visite éclair s'est soldée par le tour du pâté d'immeubles cernant la cathédrale imposante mais totalement étouffée par les vieilles bâtisses à proximité.

Place d'Armagnac
Place d'Armagnac
Rue Félix Soulès - Sculpteur
Au fond Cathédrale Saint Luperc
Henri IV à Eauze

Henri III de Navarre (pas encore Henri IV), alors qu'il rentrait dans ses États après ses quatre années de captivité à la Cour, fut pris dans une embuscade en 1576 à Eauze, où il s'en fallut de peu qu'il ne pérît. Henri fut clément avec la population : la ville ne fut pas pillée et seuls les meneurs furent punis. Il est bien sympa cet Henri III.

Le même Henri III séjourna à Eauze en juin 1579 avec son épouse Marguerite de Valois(1553-1615), la fameuse Reine Margot, dans la maison « de Jeanne d'Albret ».

C'est le même Henri III qui devint Henri IV qui a dit : « Si Dieu me donne encore de la vie, je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon Royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot le dimanche. ».

Il est vraiment sympa cet Henri IV ou III, je m'y perd un peu dans la classification. Et nos politiques que nous proposent-ils à mettre dans notre pot le dimanche ? Allez bonne nuit.

Le dortoir
34

Date : jeudi 5 mai 2022

Heure de départ : 7h40 - Arrivée : 13h30

Distance : 21.5 kilomètres

Étape à Nogaro (32)

Depuis cette nuit je peux prétendre faire des statistiques sur les dortoirs. En effet, quatre-vingt dix neuf pour cent des dortoirs reçoivent au moins un ronfleur, pas le petit ronfleur à deux sous, non ! Celui qui est venu avec la grosse artillerie et beaucoup de munitions qui dézingue à tout va, sans relâche et même sans pitié pour les autres. Je ne vous fait pas un dessin et encore moins une chanson, la nuit fut un combat pour enfoncer quasiment d'un demi doigt mes boules Quies récalcitrantes dans mes oreilles plaintives. André est même allé une heure dans la cuisine, un étage plus bas, pour fuir le bombardement et en profiter pour se masser les pieds douloureux.

Tout cela pour seulement un ronfleur. Dans notre chambrée il y avait aussi Honoré qui lui ne cessait de s'excuser car il devait dormir avec un appareil pour le contrôle de l'apnée du sommeil. Il nous a assuré que l'appareil était silencieux et ce fut le cas. Ce monsieur Honoré avec un sac de quatorze kilos dont trois kilos de médicaments d'après ses dires se confondait en excuse car il ne voulait pas nous déranger. Je lui fis simplement la remarque que si on ne voulait pas être dérangés nous aurions pu prendre une chambre individuelle. Et comme nous avons choisi le dortoir, fin de l'histoire.

Nous quittons Eauze sans regret, c'est une petite bourgade où après dix-huit heures c'est le désert total. Ce matin à sept heures trente, le premier marchand ambulant monte son stand de vêtements qui ont dû faire fureur chez les mamies dans les années soixante-dix, même son mannequin fait la triste mine affublé d'un ensemble révolu.

Le chemin étroit et boueux traverse une campagne labourée où les premiers pieds de maïs ou d'autre chose sortent de terre. Pas une seule herbe sauvage dans les labours. Mais comment font-ils ? No comment.

Mon téléphone ne sort pas de ma poche du pantalon rien d'extraordinaire à photographier. Vous risquez de lire beaucoup de texte avec peu de photos aujourd'hui.

L'Armagnac noir

Vingt un kilomètres aujourd'hui, vu l'heure à laquelle nous sommes partis nous devrions arriver tôt.

Effectivement à dix heures trente nous sommes à Manciet quasi à mi-chemin. Nous faisons une grande pause pour réserver les trois nuits manquantes pour la fin de la saison 2. J'ai dû batailler un peu pour trouver de la place mais j'ai tout réservé jusqu'à Saint-Jean Pied de Port pour le douze mai c'est-à-dire dans une semaine exactement.

Les platanes se sont siamoisés
Torero !

Manciet se résume à son arène en bois rouge et à ses platanes qui se sont donnés la main pour toujours. Très forte la nature.

Trois quarts d'heure d'arrêt mais tout est booké. Sur le chemin un petit papier plié m'intrigue, je m'arrête, je me baisse et je prends ce papier qui semble être une lettre tombée de quelque part. Évidemment je déplie ce mot et je m'aperçois que c'est une prière inédite écrite certainement par un pèlerin ou une pèlerine qui l'a malencontreusement fait tomber. Je l'ai prise en photo recto verso cela vous donnera aussi un autre aperçu du chemin de Compostelle, un chemin de croix probablement pour cette personne très croyante.

Le prière du pèlerin(e)

Dans moins d'une heure nous serons à Nogaro, le paysage demeure le même depuis ce matin. Les photos seront pour un autre jour car bientôt les Pyrénées et ses belles montagnes si le temps le permet.

Les vignes avant Nogaro
Nogaro
Un champ de boutons d'or

Treize heures quinze le gîte communal se dresse devant nous. J'ai réservé un dortoir mais par chance un pèlerin a annulé sa chambre, nous aurons donc une chambre pour nous deux. La vie est belle, enfin la nuit sera meilleure.

Ratatouille presque niçoise

Comme nous sommes près d'un supermarché j'ai acheté de quoi faire une salade tomates champignons, une ratatouille presque niçoise, des steaks et des compotes. Enfin un dîner presque parfait !

Soline sera notre invitée, je la rencontre alors que je me dirige vers le supermarché. Gentiment elle se propose de compléter le dîner avec du vin et des fruits qui seront les bienvenus.

Je passe une partie de l'après-midi à cuisiner ma ratatouille quasi niçoise dont le fumet d'herbes provençales questionne plus d'un pèlerin.

Il est plus de vingt heures, autour de quelques verres de vin pour Soline et moi et de l'incontournable coca light pour André nous causons de nos petites histoires rigolotes du jour, de nos petites tragédies sans conséquence et d'escapades pédestres sur cette Terre qui n'en finit pas de me surprendre tous les jours pour mon plus grand bonheur.

35

Date : vendredi 6 mai 2022

Heure de départ : 7h30 - Arrivée : 14h15

Distance : 28 kilomètres (à mon avis plus)

Étape à Aire sur l'Adour (40)

Il est sept heures trente nous traversons Nogaro désert, demain la cité se réveillera au son des bikes, des trucks et autres engins mécanisés à grande vitesse pour le championnat de France de superbikes.

La route de Compostelle traverse la ville de part en part d'abord en montée puis elle se transforme en piste large pour s'enfoncer dans les prairies labourées ou en jachère. Après quelques kilomètres la belle piste prend des allures de passages étroits et boueux, nous devons sans cesse être vigilants pour ne pas se retrouver déguisés en bonhomme de terre et de feuilles mortes.

Terrain glissant

Bien que le chemin ne soit pas très praticable, la forêt épaisse et dense me fait penser au décor forestier du petit chaperon rouge se promenant dans le bois, tant que le loup n'y est pas...

Aujourd'hui, je modifie mon protocole de marche : quelques gorgées d'eau toutes les heures et une pause toutes les deux heures.

Neuf heures trente première pause dans un abri pèlerin aménagé en donativo, nous partageons le lieu avec d'autres jacquaires qui semblent exténués. Parmi eux, une pèlerine aux pieds en compote, hier elle était dans le même gîte que nous et elle tentait de trouver une solution pour ses chaussures inadaptées qu'elle avait payées très cher et, évidemment une solution aussi pour ses petons aussi cloqués que les films à bulles servant à envelopper les objets fragiles. Peut-être devrait-elle essayer le film à bulles en guise de chaussettes ?

Une pèlerine qui visiblement connaît bien la pèlerine aux pieds en compote lui suggère de lui prêter ses sandales. A votre avis qu'a t'elle répondue ?

"Non merci, elles sont trop moches !".

Fin de l'histoire, no comment pour ne pas m'attirer les foudres des adeptes des belles chaussures. Mieux vaut souffrir que de paraître mal accoutrée. Pour certains ou certaines ce n'est pas le chemin de Compostelle mais le chemin de croix.

Abri pèlerin

André prend de l'avance, je ne tente rien, chacun son chemin, chacun son allure. Je profite de l'espace pour respirer à fond, pour faire des gestes lents et mettre en veilleuse mon esprit en me concentrant sur mon souffle et rien d'autre, c'est déjà tout un travail plein temps. Ressentir la vie autour de soi dans un périmètre proche sans chercher au delà, à ne voir que l'horizon on rend invisible ce (et ceux) qui nous entoure(ent).

Église de Lanne-Soubiran

Curieusement le terroir traversé ne possède pas de villages ce sont des communes créés à partir d'éléments épars de hameaux dispersés. Lanne-Soubiran, Arblade le Haut ne sont que des entités administratives avec une mairie dans la brousse et l'église dans une autre brousse pas très proche. Il paraît que c'est à la Révolution Française qu'il a été décidé cette organisation territoriale singulière. Les choses n'ont pas beaucoup progressé depuis.

Arblade le Haut
Plaine et puis de la plaine
Engins aquatiques

Passé un village qui n'en est pas un je ne revois pas André. Peut-être a-t-il vraiment pris de l'avance ? Je poursuis mon cammino seul en compagnie du soleil qui fait son apparition vers onze heures trente. Au fur et à mesure les vallons laissent la place à une plaine très large formant un patchwork de terres labourées où d'immenses engins d'arrosage immobiles forment de longs serpents mécaniques prêts à cracher leur salive sur des terres déjà bien sèches.

Plat de chez plat
Une voie abandonnée
Encore des trains à vapeur
Un passage à niveau réhabilité

Il est douze heures quinze, je m'accorde une pause déjeuner auprès d'un tronc d'arbre agonisant. Non loin de moi, une ancienne voie ferroviaire agonise aussi, les rails rouillés, les herbes envahissantes, le temps du petit chemin de fer est révolu. Je reprends la marche en longeant la voie ferrée, je m'imagine voir une locomotive à vapeur hurlante traverser la plaine avec son nuage de vapeur tirant ses wagons jusqu'à Aire sur l'Adour et laissant derrière elle une forte odeur d'un mélange de suie du charbon et de vapeur d'eau encore sous pression.

L'Adour
La piaule
Le gîte des pèlerins

Soirée pizza avec André à l'écart de la foule pèlerine du gîte. En fait dans la journée personnellement j'ai suffisamment de quoi échanger lors de rencontres ou de retrouvailles impromptues le long du chemin et chaque fois que l'occasion se présente je préfère discutailler avec les locaux sur la fête foraine du week-end à venir, du poisson qu'ils espèrent pêcher depuis des heures, sur l'ambiance du village où simplement du temps qu'il va faire. Sur la horde de pèlerins qui nous suivent nous connaissons déjà ceux qu'il faut fuir pour bavardage abusif, ceux avec qui on échange superficiellement et donc pendant un temps plutôt court et ceux avec qui on peut avoir des discussions par forcément sérieuses mais où l'on sent qu'il y a une vraie écoute.

Image symbolique du chemin

Le chemin de Compostelle est à l'image de la photo ci-dessus, nous marchons sur un chemin tout tracé mais avec un nombre impressionnant de belles surprises et d'obstacles la plupart du temps surmontables.

36

Date : samedi 7 mai 2022

Heure de départ : 7h23 - Arrivée : 15h30

Distance : 33.6 kilomètres moins 3 kilomètres de raccourci ne le dites à personne.

Étape à Arzacq Arraziguet (64)

L'étape longue du jour sera un peu raccourcie grâce à un "elephant path" ( chemin des éléphants en français, bref on resquille) nous permettant de réduire de trois kilomètres le chemin fastidieux du départ.

Sept heures vingt-trois précisément nous démarrons par une route goudronnée assez raide, la ville endormie ne donne aucun signe d'activité hormis la boulangerie à trois cents mètres du gîte dont l'étalage n'est pas tout à fait terminé.

Arrivés sur le plateau nous quittons le bitume pour un chemin débouchant sur un lac paisible où déjà quelques pêcheurs taquinent le poisson, ils sont armés de longue cannes à pêche posées en équilibre sur un embarcadère. Pêcheurs à l'affût, moi en marche, nous sommes tous les deux en recherche de quelque chose, eux des poissons, moi je ne sais pas encore.

Les pieds dans l'eau
Reflets
Après le lac
Le finish du lac
Lac du Brousseau

C'est déjà la fin du lac et à partir de ce moment une interminable piste droite longe les champs à peine labourés, d'autres sont en cours de plantation. Je peux voir les tracteurs qui vocifèrent en traînant leur outil tranchant sur une terre totalement médicalisée et aseptisée.

Flagrant délit

Des pistes parfaitement droites, du plat à n'en plus finir, quelques bouquets d'arbres de temps à autre, des tracteurs crachant leur salive chimique, ce matin le tableau n'est pas top. En parcourant quasiment huit cents kilomètres à pied on se rend mieux compte de cette modernisation à outrance de l'agriculture intensive. J'ai le sentiment de côtoyer des terres stérilisées n'étant capable que de donner un seul produit céréalier à la fois.

Je crois que la platitude ne me convient pas, tout simplement.

Nous en venons à bout de ce plat pays qui n'est pas le mien, il était temps. Miramont-Sensacq n'est plus qu'à une portée de jambes. Sans réfléchir nous prendrons le raccourci ce qui nous économisera trois kilomètres même si à partir de ce village le paysage devient plus vallonné et on peut le dire très bucolique, c'est le début du Béarn.

L'église de Miramont-Sensacq

Le raccourci nous fait redescendre au fond d'une vallée comme je les aime, fleurie avec une herbe bien haute où paissent des vaches au pelage clair, pas de mécanisation, que du bon air même si nous sommes à nouveau sur du bitume. En moins de trois kilomètres depuis le village nous rejoignons le GR65, il est un peu plus de douze heures. Il est temps de se ravitailler. L'endroit n'est pas parfait mais nous n'avons plus le courage de faire encore deux kilomètres pour pique-niquer à Pimbo, petit village médiéval perché sur une colline dominant toute la vallée où certainement les jours très clairs les Pyrénées se dressent à l'horizon.

La façade de l'église
Et la lumière fut
L'église de Pimbo

Pause grenadine et gâteaux alsaciens, il fallait bien cela après presque vingt-six kilomètres, d'autant que le soleil cogne dur en ce début d'après-midi. Du bar-gîte une superbe vue de ce début du Béarn me laisse imaginer l'approche des montagnes des Pyrénées, elles sont juste là mais impossible de les voir, trop de brume, trop de nuages. Ça sera pour un autre jour.

Faisons le point !
Arrivée

Cinq kilomètres à parcourir avant l'arrivée sous le soleil ardent, pas une seule brise fraîche, plus de plat, ça monte, ça descend, au moins ce n'est pas monotone comme ce matin. Trop de plat, trop de bitume, un muscle du pied gauche donne des petits signes de fatigue malgré les deux litres d'eau bus depuis ce matin. Le plat ne me convient pas du tout, vraiment pas !

Arzacq Arraziguet en vue, c'est pas trop tôt, pas de fatigue particulière mais la monotonie matutinale a précipité l'envie d'arriver.

Gîte communal, nous serons quatre. Je croise les doigts pour cette nuit.

C'est lequel le gîte ?

Ce soir beaucoup de pèlerins dont la majorité sont en demi-pension. Finalement nous serons que André et moi dans la cuisine pour souper. Ce soir c'est André qui cuisine, poulet, sauce Italienne et bien sûr pâtes, yaourt, compote et fraises, ce qui fait envie à bon nombre de pèlerins affamés par la longue étape du jour.

Je finis d'écrire mon blog dans la cuisine seul, j'entends depuis la salle à manger voisine les rires et le brouhaha provoqués par les jacquaires rassasiés. André et moi nous nous faisons la remarque suivante : "Ils ont eu une bonne idée de manger ensemble.".

Fresque de l'église de Pimbo

C'est Pimbo, village médiéval qui remporte ma curiosité historique aujourd'hui. En effet, la tradition attribue la fondation de la collégiale de Pimbo à Charlemagne en 778. Il y eut très tôt des bénédictins.

Le 15 décembre 1268, un contrat de paréage (seigneurie partagée entre plusieurs personnes ayant des droits égaux) fut signé entre l'abbé Arnaud de Sanguinet et cinq chanoines de la collégiale de Pimbo, d'une part, et Thomas d'Ypergrave sénéchal de Gascogne, représentant du roi-duc Henri III d'Angleterre, d'autre part. Il s'en passe des choses à Pimbo alors que c'est grand comme un mouchoir de poche.

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Date : dimanche 8 mai 2022

Heure de départ : 7h20 - Arrivée : 15h20

Distance : 30 kilomètres

Étape à Arthez de Béarn (64)

Je fuis le gîte communal de Arzacq, nuit agitée et très sonore, petit-déjeuner plus que sommaire. Vous allez penser que je me plains souvent mais il faut se mettre dans le contexte d'un périple de presque trois mois, le minimum syndical de confort pour le pèlerin n'est pas un luxe au quotidien. De plus, une mauvaise nuit peut être source de fatigue anticipée dans la journée donc un risque potentiel de chutes ou d'inattention. Sur la route nous devons être très vigilants, de nombreux panneaux signalent pèlerins, randonneurs, marcheurs mais bien souvent les voitures nous croisent ou nous dépassent de très près.

Lac de Arzacq
Lac de Arzacq

Je démarre lentement en traversant le village jusqu'au centre de la place principale puis bifurcation à gauche, quelques dizaines de mètres de plus un beau lac repose tranquillement entouré de forêts de feuillus. Et de prairies mouillées de rosée Quelques cannes à pêche semblent totalement figées preuve que le poisson n'a pas encore flirté avec l'hameçon et son délicieux ver de terre. Hier quelques signes de douleur sur le coup de pied gauche m'ont décidé à reprendre la marche lente et arrêt de cinq minutes toutes les heures, bandage avec Voltarène et un anti-inflammatoire. Le protocole est bien rodé ça devrait fonctionner malgré les trente kilomètres à accomplir aujourd'hui, sans doute sous un beau soleil.

La campagne béarnaise
Petite fontaine à Larreule
Deux compères singuliers

Sur le trajet deux pèlerins me rattrapent, l'un d'eux semble sorti d'un roman de Conan Doyle avec les célèbres détective Sherlock Holmes et le docteur Watson. Celui en-tête porte un hunting cap (casquette à visière et cache nuque), une chemise vichy boutonnée jusqu'au coup quelque soit la température, un nœud papillon proéminent lui barre le cou, une veste anglaise usée et bien cintrée, un pantalon mi-long façon "des belles années coloniales", des chaussettes vert armée remontées presque jusqu'aux genoux et des chaussures que la reine Victoria d'Angleterre a dû vendre aux enchères. Son compagnon le docteur Watson lui claudique constamment à cause de sa hanche qui le fait souffrir. Sherlock Holmes n'est pas très bavard peut-être doit-il dénouer une énigme tout en marchant. Par contre le docteur Watson lui ne se prive pas d'échanger avec moi. C'est ainsi que j'ai pu savoir la raison de son boitillement. Il m'a confié que le détective avait les pieds en compote ou plutôt en marmelade ça fait plus british.

Église de Uzan
Traversée d'une grande route
Morne plaine

Le duo british s'éloigne, je reprends ma marche dans un décor vallonné assez sauvage rappelant la région de l'Aveyron. Le chemin grimpe sur une belle colline où la nature printanière laisse échapper des odeurs de fleurs sauvages et de pins élancés grâce à la petite brise tiède du jour. D'abord une belle montée panoramique puis redescente dans un vallon où chante un ruisseau et des grenouilles qui se taisent aussitôt à mon approche. Remontée à nouveau. J'entends des chiens aboyer signe que devant moi des pèlerins sont déjà de passage. Je reprends une route goudronnée menant tout droit à une large plaine céréalière où tracteurs et agriculteurs travaillent même un jour férié, il est vrai que la nature se fiche de nos conventions ou de nos célébrations. Lorsqu'il faut semer, il faut semer.

Petit sous-bois dans la plaine
Ombre bienvenue

Il est douze heures trente j'arrive pile à la fin de ma période d'une heure de marche au village de Pomps. Un accueil pèlerins se présente juste vers la mairie équipé de tables de pique-nique, de l'eau potable et de l'ombre salvatrice. Ça fera mon affaire d'autant que je rencontre le couple d'alsacien avec qui j'échange fréquemment depuis le Puy en Velay au fil des jours et des hasards du chemin.

Je m'accorde une demi-heure de déjeuner et de pause, l'endroit est calme. Je ne ressens aucune douleur, aucun pincement. Ça à l'air de fonctionner même s'il me reste encore onze kilomètres à pèleriner avant d'arriver à Arthez de Béarn.

Cheval béarnais
Du beau paysage

En moins de trois heures je devrais arriver à destination, je reprends la route avec des forces en plus et quelques belles rasades d'eau fraîche. Encore une plaine à traverser d'après la carte, de l'autre côté de la plaine je vois pointer un clocher, ça devrait être Arthez de Béarn. En fait aujourd'hui, le chemin passe d'une plaine à l'autre par des collines habitées où se regroupent les villages. Dans les plaines, seules quelques fermes marquent la présence humaine et une activité agricole intense.

Encore une montée, je pense que ce sera la dernière pour aujourd'hui, Arthez ne doit plus être très loin. Allez je fais un arrêt même si mon chronomètre n'affiche pas encore l'heure écoulée car l'église sur cette colline me paraît superbe.

Seul, je pénètre dans l'édifice et m'assois sur un banc sans décrocher mon sac à dos pour découvrir autour de moi un belle simplicité religieuse. Le silence et la fraîcheur du lieu rendent encore plus désirable cet instant suspendu. Je prends mon temps, je m’imprègne de l'atmosphère mystique et monastique, je hume les odeurs de cires brûlées je me déplace lentement pour admirer les jeux de lumière des vitraux flamboyants éclairés par un soleil oblique d'un milieu de journée d'un joli mois de mai.

La Chapelle de Caubin

Sur le côté de la chapelle, un enfeu gothique abrite le gisant d’un chevalier du 14ème siècle. Ce chevalier finement sculpté est recouvert d’une côte de mailles et a une épée à ses côtés. Derrière la petite porte, un jardin arboré offre une vue imprenable sur les Pyrénées et la campagne béarnaise. Enfin les Pyrénées ! C'est pas trop tôt.

Il y a quelque chose de magique dans ces lieux remplis d'histoire et de religion, je ne m'en lasse pas.

Dans les nuages, les Pyrénées

Malgré tout je dois repartir de ce bel endroit, j'aurai maintes fois l'occasion en Espagne de dormir sous les porches des églises ou des chapelles plutôt que de m'agglutiner dans les dortoirs bondés aux odeurs pas toujours délicates.

Notre gîte communal

Quelques mots sur ce village bien béarnais. En 1385, Arthez dépendait du bailliage de Pau et la seigneurie appartenait à la maison de Gramon.

La dernière héritière de cette baronnie sera Diane d'Andoins dite "Corisande", maîtresse et inspiratrice dans sa marche vers le trône d'Henri de Navarre, bientôt Henri IV. Encore lui, mais il est partout cet Henri IV. Il me plaît bien cet Henri IV, je me répète un peu.

Ce soir pizza, j'ai choisi l'arthézienne avec de la sauce piquante car le pizzaiolo n'avait pas de sauce béarnaise. Tout se perd, plus de sauce béarnaise dans le Béarn. Il a du boulot le nouveau gouvernement.

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Date : lundi 9 mai 2022

Heure de départ : 7h30 - Arrivée : 16h20

Distance : 34 kilomètres

Étape à Navarrenx (64)

Le ciel sans nuage illumine cette matinée juste au moment du départ. Le gîte communal sommaire ne prévoit aucun petit-déjeuner, pas grave la boulangerie en sert, elle juste à quelques dizaines de mètres.

Nous traversons ce long village d'Arthez de Béarn par la rue principale bordée de belles villas avec des jardins impeccables.

Mais avant de démarrer nous sommes allés derrière l'église près du gîte où une vue à cent quatre-vingt degrés s'ouvrait sur les Pyrénées éclairés par un soleil naissant.

Vue sur les Pyrénées

Nous poursuivons la route en sortie du village sur au moins deux kilomètres avec du plat facile. En fait nous restons sur le plateau surélevé dominant deux vallées, celle traversée hier et celle que l'on va traverser. L'étape du jour se résume à des descentes et des montées pour passer d'un plateau à un autre plateau. Donc nous voilà sur la première descente, route goudronnée avec face à nous la chaîne pyrénéenne dont les sommets semblent encore très enneigés. Au fil des kilomètres lorsque nous sommes sur le plateau les montagnes paraissent de plus en plus proches bien que nous soyons encore à trois étapes de Saint-Jean Pied de Port.

Sur le premier plateau

Première descente terminée nous traversons le village de Maslacq ou plus exactement nous bordons ce bourg pour rejoindre la Gave de Pau, belle rivière large que nous longerons sur un kilomètre plus tard. Nous traversons successivement cette rivière, puis une voie de chemin de fer et au final l'autoroute.

Vers Maslacq

Inutile de vous dire lequel des trois passages je préfère. A Maslacq, première pause de cinq minutes pour éviter des complications tendineuses, le couple alsacien nous rejoint en fin de pause. Nous reprenons la route. Aujourd'hui beaucoup de routes asphaltées, certes le paysage face à nous nous fait rêver mais le bitume lui nous fait baver.

Après Maslacq

Nous suivrons sur un kilomètre une piste large puis un chemin étroit sur lequel nous attend une belle surprise. Des chevaux pataugent dans une rivière boueuse dans un décor de conte de fées, la scène semble irréelle.

La photo ne rend pas correctement la scène mais j'ai pu filmer quelques instants c'était magique. C'est cela aussi Compostelle.

Après ce tour de magie de dame nature, une belle montée nous fait transpirer un maximum, pas très longue mais bien raide. Nous marchons peu de temps sur le plateau. Redescente où une autre belle surprise nous attend : l'abbaye de Sauvelade, édifice superbe accolé à un monastère. En 1127, le vicomte de Béarn, Gaston IV, dit Gaston le Croisé, revenait d’une guerre contre les Sarrasins où il avait contribué à la prise de Saragosse au côté de son oncle, Alphonse le Batailleur, roi d’Aragon. Il fit cadeau à des moines bénédictins, qui vivaient dans des cabanes de bois et de branchages, de la forêt nommée Faget dans le lieu appelé Silva Lata, afin d’y bâtir un monastère dédié à la Vierge Marie. Il a eu une belle idée ce vicomte.

L'abbaye de Sauvelade

Nous profitons de ce bel endroit pour déjeuner, nourrir notre corps et notre esprit tant le lieu est saisissant de beauté et de tranquillité.

Mais voilà, après cette nourriture spirituelle et alimentaire, à nouveau une belle montée. Je conseille de faire le plein d'eau à la fontaine au bout de l'abbaye. Je remplis mon camel-back totalement, deux kilos de plus sur le dos mais le soleil cogne vraiment aujourd'hui.

Au sommet du plateau, un panorama incroyable sur les Pyrénées et un paysage autour de nous genre carte postale.

Au sommet du plateau

Mais voilà immédiatement la descente vers une vallée assez profonde. En descendant des ânes avec des cloches comme les vaches semblent nous dire " Eh arrêtez-vous deux minutes !". Nous nous arrêtons cinq minutes pour leur plus grand plaisir et pour le bonheur de nos pieds.

Sur le plateau
Accouchement dans pas longtemps.
Bizarre celle-ci
La maison d'Harry Potter
Comme dans les contes

Bon, c'est la dernière (non pas la dernière tournée) mais montée pour aujourd'hui. Au sommet il nous restera sept kilomètres avant l'arrivée. C'est un après-midi très chaud, je monte doucement pour ne pas gâcher le bénéfice de mes pauses anti-tendinites et puis de toute façon je ne pourrais pas marcher plus vite la pente est vraiment raide sur au moins deux kilomètres. Nous voilà sur le plateau, enfin, toujours les Pyrénées en ligne de mire, elles se sont vraiment rapprochées. Dans trois jours nous y serons au pied.

L'arrivée
La rue principale
Le gîte, un ancien arsenal

Les approches des villes ou des villages semblent toujours interminables et Navarrenx n'échappe pas à la règle. Comme il fait très chaud et malgré les presque trois litres d'eau bue, une grenadine et une carafe d'eau s'imposent. Pas grande animation dans la ville mais au moins un bar où il n'y a pas d'agitation pèlerine ou de musique cacophonique.

Grenadine et eau à volonté

Dans le gîte communal, pas de petit-déjeuner, ce soir je n'ai pas envie de cuisiner d'autant que pour faire les courses, le gérant du bar me montre où se situe la seule épicerie ouverte qui est en fait le Carrefour de la ville situé au moins à un kilomètre de là. Assez marché pour aujourd'hui, en plus il est presque cinq heures car nous avons traîné pour siroter notre grenadine et descendu totalement la carafe d'eau. Direction le gîte avec nos rituels et une bonne douche. En marchant cet après-midi j'ai demandé à André s'il avait un ciseau pour arranger un peu ma moustache. Arrivés au gîte, je récupère le ciseau minuscule d'André avec lequel je tente de couper les poils de ma moustache qui cachent totalement ma lèvre inférieure. Si je ferme la bouche on ne voit plus mes lèvres. Rien n'y fait, impossible de couper ces poils envahissants. Qu'à cela ne tienne, j'irai chez un barbier à Hendaye pendant ma journée de repos. Je ressemble de plus en plus à un viking ou à un pèlerin du moyen âge. Un peu d'histoire du lieu.

Le va et vient et les aléas de l'histoire ont plusieurs fois transformés le visage de Navarrenx.

Des traces d'habitats sur le site remontent aux premiers siècles de notre ère. Navarrenx est signalée dans un cartulaire ( recueil de titres de propriété) du XIème siècle sous le nom de Sponda-Navarrensis.

En 1188, une charte de Gaston VI dite du "pont de Navarrenx" prévoit la construction d'un pont de pierre, l'établissement d'un marché par quinzaine ainsi qu'un périmètre de "sauveté" avec "hospitau" et chapelle. En fait de quoi guérir et héberger les pèlerins de l'époque. Le pont est finalement construit en 1289. Il facilite l'accès aux cols pyrénéens et à la Navarre, notamment pour les pèlerins du chemin de Saint Jacques de Compostelle.

Les remparts
Ville fortifiée
La rivière

Vous devez vous demander c'est quoi ce titre bizarre : "Navarrenx, « Si you ti bau » ". La devise de Navarrenx est : « Si you ti bau » (Si moi j'y vais). C'était le nom du plus gros canon de la cité fortifiée.

« Si moi j'y vais » est un défi lancé par ce canon envers les ennemis. Ça rigole pas à Navarrenx.

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Date : mardi 10 mai 2022

Heure de départ : 8h30 - Arrivée : 13h30

Distance : 21 kilomètres

Étape à Aroue (64) en pays Basque

Huit heures nous sommes devant le supermarché comme les anciens à attendre son ouverture. Les deux premiers clients du jour seront des pèlerins. Nous devons nous approvisionner pour le repas du soir car nous n'avons pris que la nuitée et le petit-déjeuner. A propos du petit-déjeuner de ce matin il se limite à un café pris dans le bar près du gîte communal, la boulangerie au centre du village n'ouvre qu'à huit heures alors que le supermarché ouvre lui aussi à huit heures mais il est à cinq cents mètres hors du centre et hors GR. On vient de de rajouter un kilomètre cinq cents. Vous allez me dire que je ne suis pas à cela près, vous avez raison.

Nous quittons Navarrenx à huit heures trente, le temps de faire tous ces aller-retours dans le village classé "Les Plus Beaux Villages de France". Personnellement hormis l'arsenal où nous avons dormi et quelques remparts même pas aménagés pour le reste je dirai que c'est un village comme les autres villages.

Bye-bye Navarrenx. Nous traversons le pont construit exprès pour les pèlerins au XIIIième siècle, merci les anciens, pour suivre une route sans grand intérêt puis bifurcation sur une large piste bien aménagée quasiment plate au milieu d'une luxuriante verdure et un tableau paysager devenant de plus en plus grandiose.

Le pont des pèlerins
La forêt avant le super panorama
Soleil levant

La piste passe d'abord par un sous-bois très éclairé où les premières odeurs d'herbes fraîches viennent caresser les narines encore sous l'effet asphyxiant des odeurs de javel et de fumée de cigarettes du bar de ce matin.

Le gérant, la gérante et quelqu'un d'autre

Le ciel totalement dégagé contraste avec l'horizon champêtre et l'arrière plan montagnard enneigé. Les montagnes se détachent parfaitement de l'azur d'un bleu profond. En effet devant nous c'est le piémont pyrénéens et au fond c'est les Pyrénées grandioses, pointues, blanches de neige, superbe.

La piste change d'angle pour s'élever sur une colline faisant penser aux paysages de la Suisse sauf qu'ici il y a des moutons et des brebis pleins les champs dont les bêlements accompagnent notre marche lente et silencieuse. Comme nous, beaucoup de pèlerins font des pauses photos tant le tableau ne laisse indifférent personne. A chaque pas on se dit, delà c'est encore mieux et clic-clac une photo de plus.

Charre en pays presque Basque

Au sommet de la colline, je jette encore un œil à cette chaîne montagneuse majestueuse avant de redescendre dans une vallée qu'il va falloir traverser. Il est un peu plus de onze heures le soleil fait mal tant ses rayons cuisent la peau des bras et réchauffent le bitume de la route prise en sortie du chemin.

La descente en plein cagnard nous mène au village de Charre encore en pays béarnais. En passant non loin de l'église un mur rose de pelote basque s'impose totalement dans le décor. Comme dans beaucoup de villages basques, le fronton de pelote voisine avec l’église. Avec André nous discutions de ce sport local très prisé tout en suivant un groupe de pèlerins non loin de nous. Lorsque l'un d'eux nous fait signe que ce n'est pas le bon chemin, erreur de direction. Allez, il faut rebrousser chemin sur cinq cents mètres qui s'additionnent au kilomètre cinq cents de ce matin. Donc deux kilomètres et demi de plus aujourd'hui. C'est aussi cela le chemin de Compostelle.

Le saison (rivière frontière)

Bon, je ne vais pas chipoter pour deux kilomètres et demi, on est d'accord.

Passé Charre, nous franchissons un pont sur la rivière le Saison, c'est bien "le" et non pas "la", cours d'eau frontière entre le Béarn et le pays Basque d'après une pèlerine qui a l'air de s'y connaître.

Petite pause sous un abri super bien aménagé qui tombe à pic avant d'attaquer une montée d'au moins un kilomètre en plein midi sous un soleil d'enclumes pesantes.

Petit tableau peint sur une pile de pont

La montée, d'abord peu pentue, se cabre au fur et à mesure de la marche. Alors que nous suons sang et eau sur cet asphalte maudit, un chien hargneux sorti de nulle part vient gentiment nous rappeler qu'on se trouve sur son territoire. Il n'a pas l'air commode, nous avançons à reculons pour l'avoir toujours dans notre champ de vision. Nous avançons, enfin nous reculons en avançant, le clébard ne nous lâche pas, montrant ses dents bien acérées toutes mouillés de bave envenimée. Je sens qu'il aimerai bien se faire un pèlerin mais il a à faire à un viking géant (André) et à un piémontais qui n'aime pas se faire chatouiller les mollets. Finalement, après plusieurs tentatives d'attaques bestiales, il renonce et s'en va comme il est venu vers nulle part. On dit que "chien qui aboi ne mord pas", lui, il n'aboyait pas, il voulait croquer du pèlerin aux mollets bien musclés.

Treize heures vingt, arrivée au gîte, ancienne école du village de Aroue ( on ne prononce pas le e) aménagé récemment en location gérance par la mairie, il est refait à neuf et vient d'ouvrir il y a trois semaines. Accueil très sympathique par le jeune gérant, une bonne adresse.

Aujourd'hui c'est moi qui cuisine, pâtes évidemment et je m'y met tout de suite après le rituel d'arrivée pour ne pas déranger le gérant qui cuisinera pour les riches pèlerins à dix-huit heures trente. On est comme ça, avec André on n'aime pas déranger. Quelques mots sur la petite particularité de ce petit village Basque étalé à flanc de colline.

Entre 1790 et 1794, la commune d'Ithorots absorbe Olhaïby pour former la nouvelle commune d'Ithorots-Olhaïby. Le 1er août 1973, la commune d'Aroue absorbe Ithorots-Olhaïby pour former la nouvelle commune d'Aroue-Ithorots-Olhaïby. Il faut qu'ils arrêtent de s'absorber les uns les autres car ça va devenir carrément imprononçable.

L'église

Demain avant dernière étape avant Saint-Jean Pied de Port, fin de la saison deux, une autre aventure démarrera mais je n'y suis pas encore.

40

Date : mercredi 11mai 2022

Heure de départ : 7h30 - Arrivée : 13h15

Distance : 24 kilomètres moins 4 km

Étape à Ostabat (64)

Hier soir nous étions treize à table, André et moi nous ne comptions pas vraiment car nous avions notre propre plat unique alors que les onze autres convives lorgnaient avec envie nos pâtes sauce bolognaise et lardons frits. Ils ont eu droit au sacro-saint entrée- plat - dessert mais beaucoup moins riche que notre pastasciutta sauce industrielle. Émilie, la gérante a dû avoir pitié de nous car nous avons droit à une madeleine en dessert comme les onze autres jacquaires.

Atelier de tissage
Fog, fog, fog

Sept heures trente départ après un petit-déjeuner un peu foutoir. La plupart des pèlerins souhaitent partir tôt pour éviter la grosse chaleur de l'après-midi, ce matin le gérant s'est pointé vers sept heures quinze alors qu'il avait des tas de sandwiches à préparer commandés la veille. Avec André nous n'avions besoin de rien, nous avons pris nos clics et nos clacs et ciao Aroue.

L'étape du jour officiellement est de vingt-quatre kilomètres mais nous prendrons deux raccourcis ou elephant path pour conserver notre forme physique jusqu'à Saint-Jean Pied de Port, nous permettant de gagner quatre kilomètres.

Temps avec brouillard ce matin, un brouillard très très humide. Ma barbe en moins de un kilomètre de marche s'est gorgée d'eau comme les toiles d'araignées tissées entre deux fougères.

Comme il est quasiment impossible de photographier le paysage j'en profite pour prendre des clichés des bestiaux sur notre chemin ou des fleurs aux formes complexes et étranges.

L'ancolie des Pyrénées (Aquilegia pyrenaica) 

L'Ancolie des Pyrénées est une espèce voisine aux fleurs plus violacées, endémique de ce massif, c'est aussi une espèce protégée, les bords des chemins en sont remplis.

Uhart-Mixe

Depuis quelques jours j'ai l'impression que nous empruntons de plus en plus de routes goudronnées certes peu fréquentées, les chemins se font rares, ce n'est pas top pour les articulations et le dessous des pieds.

Le brouillard n'a pas l'air de se lever ce matin, dommage le paysage paraît être très verdoyant et musical grâce au tintement des cloches des vaches totalement invisibles au milieu des prés.

Le raccourci nous fait passer par Uhart-Mixe, petit hameau traversé par une départementale fréquentée mais le chemin évite la route, nous remontons une colline boisée. Je me dis qu'en prenant de la hauteur nous avons une chance d'avoir un peu soleil. Bingo, le soleil fait son apparition à la Chapelle Saint-Nicolas dans le village de Harambeltz. Nous profitons de ce lieu paisible pour prendre notre déjeuner. Je finis les pâtes d'hier conservées dans mon tuperware bien hermétique. Je les avais rangées au milieu du sac afin de les conserver bien au frais lorsque je les ai sorties du frigo ce matin.

Originale
Sans titre
Enfin le soleil

Il est douze heures trente, seuls trois kilomètres nous séparent de Ostabat. Le soleil reprend du service, le paysage reprend des couleurs et nous aussi. A partir de là l'espace naturel s'élargit, les montagnes ressurgissent de l'horizon, les senteurs florales renaissent, les printemps revient à grands pas.


Kézako ?
Arrivée sur Ostabat
Derniers efforts du jour

Encore un petit kilomètre, Ostabat pointe son nez toute proche mais il est trop tôt, treize heures le carillon sonne. Un bar semble ouvert, nous nous y engouffrons pour étancher notre soif et reprendre une pause. En fait à Ostabat les services sont mini : deux bars, la mairie, une épicerie fermée peut-être définitivement et pas de pharmacie contrairement à ce qui est écrit sur Miam-miam Dodo. On traîne sur la place de la mairie en face de l'église car le gîte n'ouvre ses portes qu'à quinze heures.

L'église
The wall de la pelote
Ostabat

La ferme-gîte se situe à un kilomètre du centre du village sur le GR65. Toujours ça de fait pour demain. Quinze heures pile, arrivée au gîte ou plutôt à l'usine gîte. En nous rendant dans notre chambre, je m'aperçois que la salle à manger est prête pour ce soir. Au moins trente couverts sont dressés. Horreur, mais je n'avais pas le choix.

Vue de l'usine gîte

Je potasse mon planning pour checker un peu mon avancée. J'ai parcouru neuf cents kilomètres et il me reste pile neuf cents kilomètres pour Saint-Jacques de Compostelle plus cent quinze pour aller de Saint-Jacques à Muxia en passant par Cabo Fisterra, le bout du bout de l'Espagne. Yes, je tiens le bon bout.

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Date : jeudi 12 mai 2022

Heure de départ : 7h30 - Arrivée : 12h30

Distance : 20 kilomètres

Étape à Saint-Jean Pied de Port (64)

Lever à six heures trente, la nuit a été reposante, aucun ronfleur, juste trop chaud avec mon duvet en plumes d'oie. Au petit-déjeuner nous retrouvons un groupe de pèlerins aux têtes connues, c'est l'occasion d'échanger encore un peu avec eux car demain je ne les croiserai plus sur le GR10.

Gérant et chanteur Basque
L'usine à petit-déjeuners

Le gérant du gîte entame des chansons basques rythmées par les claquements de doigts des pèlerins enthousiastes et affamés. Il est, paraît-il, très connu au Pays-Bas grâce à un reportage de la télévision hollandaise sur le chemin de Compostelle. On rencontre aussi des vedettes sur le cammino !

Sept heures trente, départ, nous sommes réglés comme les trains suisses, nous prenons le chemin juste en dessous du gîte, l'herbe encore humide d'un orage nocturne discret commence déjà à mouiller mes chaussettes, je suis donc obligé de marcher comme les mannequins des défilés de mode sauf que personne ne voudra de ma tenue jacquaire.

Croix de quelque chose ?
A piece of cake !
Le seul chemin du jour

Le gîte que nous quittons fait partie de ces grands gîtes anciens (vingt-trois années d'existence), je pourrais les qualifier d'usine à pèlerins menée par une gérante sympathique et très organisée. Il n'empêche que nous étions quarante à table hier soir et ce matin. C'est une expérience à vivre au moins une fois. Je n'avais pas le choix tout était complet ailleurs. J'ai été touché aussi par ce monsieur, probablement le gérant, et par ses chansons. Même s'il chante tous les jours pendant plusieurs mois d'affilé les mêmes chansons, j'avais le sentiment qu'il y mettait tout son cœur et son énergie avec de l'humour et de la simplicité.

Nous suivons pendant quelques kilomètres un chemin parallèle à la route principale de la vallée avec une alternance de pistes et de bitume. Mais l'étape sera à quatre-vingt dix pour cent de la route avec un paysage légèrement brumeux et très humide aujourd'hui.

De la route et encore de la route où passent en continu des tracteurs, machines démesurées au mugissement mécanisé, presque trop larges pour la route empruntée, nous sommes donc obligés de nous arrêter et de bien nous esquiver pour ne pas finir comme beaucoup de hérissons lorsqu'ils traversent une route.

Sur le chemin asphalté quelques visages connus nous doublent ou sont en petite pause car l'étape du jour est courte et symbolique pour la plupart des pèlerins. Ils prennent leur temps.

Évidemment pour moi c'est le dernier jour passé avec André, plus de sept cent cinquante kilomètres à cheminer ensemble, lui bien souvent devant, moi derrière pour gérer mes tendinites en sommeil prêtes à bondir.

Monstre agricole
On ne fait pas le poids
Hé Michel ça penche à gauche

Nous passons d'une vallée à une autre par une petite montée tranquille, un peu glissante, les caoutchoucs des bâtons n'arrivent pas à s'agripper sur ce bitume humide couvert d'une pellicule de verdure à cause de l'humidité permanente du lieu.

Hé, Michel ça penche ! (Voir photo au-dessus). De nombreux pèlerins ont tentés avec l'accord de Michel bien sûr, de remettre son sac à dos droit. Personne n'y est parvenu à ce jour. Sans doute faut-il aller vers d'autres pistes ?

Petit troupeau
Lacarre
Didier ? Moi et André

Saint-Jean Pied de Port n'est plus très loin, une petite heure pour finir la saison deux de mon périple. Demain saison trois, St Jean - Irun en Espagne, quatre jours sur le GR10 du piémont des Pyrénées, pas celui des hauteurs car je dois arriver en Espagne frais comme un gardon.

Notre super gîte

Direction l'hôtel réservé pour poser nos sacs et ensuite faire un petit tour en ville. Nous cherchons de quoi nous restaurer léger. Finalement nous atterrissons à notre hôtel qui fait aussi restaurant pour un menu tout sauf léger mais savoureux et servi avec gentillesse et bienveillance par la mamie du restaurant et avec l'accent basque.

Tout cela pour 18 euros

Comme nous sommes arrivés tôt je prends mon temps pour des petites courses de ravitaillement pour demain et faire un tour dans cette ville à pèlerins pour certains endimanchés et pour d'autres totalement accoutrés. Ce mélange de touristes classe, de pèlerins de toute nature et des habitants de la ville affairés à leurs activités mercantiles rend l'ambiance pittoresque et atypique à la fois. Ainsi, le commerçant basque peut savoir d'un seul coup d'œil s'il a une chance d'augmenter significativement son chiffre d'affaire grâce au touriste devant lui ou se contenter de quelques menus euros d'un pèlerin près de ses sous. Dans mon cas, j'étais accoutré avec ma Goretex, de mon pantalon pyjama et mes sandales crades j'ai eu le sourire et l'empathie de la serveuse d'une petite supérette alors que je lâchais cinq euros et soixante cents payés en carte bleue sans contact.

La Nive
Rue d'Espagne
La Nive de l'autre côté
Porte Saint-Jacques
Ré belote la Nive

Mes préparatifs pour les jours à venir achevés nous décidons de solliciter le gérant de l'hôtel-restaurant-bar pour une salade composée et un dessert léger. Ce sera notre avant dernier repas en commun. André souhaite prendre le petit-déjeuner ensemble à sept heures. Pendant le dîner il me glisse que beaucoup de ses amies et amis hollandais sont étonnés qu'un français et un hollandais puissent faire un si long périple ensemble. Comme le hasard n'existe pas en ce bas monde, je dirai qu'il y avait de l'écoute sans jugement, de la confiance, nous étions bavards mais pas trop, il faut sans doute rajouter d'autres ingrédients dont je n'arrive pas à trouver le nom. Beaucoup de pèlerins ont trouvé cela hors du commun. Ça s'est fait ainsi naturellement. Et demain, je sais déjà qu'il y aura une autre surprise. Et même si je la connais déjà ce sera une belle surprise tout de même pour moi.

Ce n'est qu'un au revoir
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Date : vendredi 13 mai 2022

Heure de départ : 7h30 - Arrivée : 13h00

Distance : 21 kilomètres

Étape à Bidarray (64)

Ce matin je n'ai mal nulle part à l'exception de ma gorge serrée et mes yeux mouillés de larmes, je ne suis pas le seul à être dans cet état fébrile et intense, c'est le moment redouté, encore une accolade, je m'en vais, lui il reste un jour pour se reposer peut-être aussi pour absorber le choc d'un au revoir. Au moment où j'écris ces lignes, il s'est écoulé plus de sept heures, toujours la même émotion. Sacrée aventure. Merci André pour tout cela. Prends soin de toi, take care, il comprendra plus facilement, encore mieux "groetjes" en néerlandais. Évidemment nous restons en contact.

Le must serait de se retrouver à Santiago au même moment. Ça me paraît difficile mais rien n'est impossible, c'est encore loin tout cela.

Je me retourne une dernière fois, un dernier signe de la main. Matinée maussade, crachin, route il manquait que cela pour compléter le tableau.

Apparemment, le trajet chargé dans ma montre n'est pas le GR10, c'est en fait rien, juste un trajet pour aller d'abord à Bidarray le premier jour puis Espelette le second, Ascain le troisième et Hendaye le quatrième. Les étapes seront très courtes, cela me reposera, c'est très bien ainsi.

Je range dans mon sac ma baguette de pain achetée dans une boulangerie à quelques mètres de l'hôtel. Je prends la route sous un crachin serré, très chargé en eau, les camions tout près projettent des nuages vaporisés, j'essaie le plus possible de raser les murs. Enfin je quitte cette départementale fréquentée et dangereuse pour une route bordée de lotissements mono couleur aux volets peints d'un pourpre propre au pays Basque.

Première montée raide, c'est mieux ainsi, au moins je vais voir quelque chose même si les nuages grattent les prairies et enveloppent totalement les montagnes alentours. Le printemps se recroqueville dans sa carapace comme la fougère que j'ai prise en photo. La fougère attend le soleil pour s'épanouir moi je n'attends rien ni plus personne, j'avance c'est tout.

La nature s'est gorgée d'eau pour assurer sa vie ou sa survie, tout à l'heure j'étais gorgé d'émotions c'est ce qui nous maintient en vie aussi.

Pont de chemin de fer de la vallée
Saint-Martin d'Arrossa

Après une belle montée me voilà redescendre vers cette départementale fréquentée. Le bas côté semble bien large, je ne me sens pas en sécurité, je jette un coup d'œil au tracé, au moins quatre kilomètres ainsi. Vigilance et positivité même si aujourd'hui c'est vendredi 13. J'ai eu ma dose ce matin au moment du départ.

Je quitte enfin ce flux incessant de véhicules pour arriver à Saint-Martin d'Arrosse premier village traversé à l'écart du bruit. Tout en longueur, il paraît paisible ce bourg, même pas un tracteur pour casser l'ambiance.

D'après le tracé à la sortie du village une belle pente m'attend car jusqu'à présent les altitudes étaient modestes. Ah, oui, ça grimpe vraiment et pour un bon moment, je vais voir du pays, je suis là aussi un peu pour cela. Même si je vais découvrir de nouveaux paysages en me rapprochant de la cote basque encore faut-il que je les observe avec de nouveaux yeux. Changer mon regard, changer d'angle de vue, changer beaucoup de choses pour que ces nouveaux tableaux naturels ne soient pas une suite telles des diapositives chargées dans mon cerveau qui s'empileraient les unes après les autres. Être en permanence curieux et émerveillé devant cette nature généreuse.

Madame poule et monsieur coq
Une entrée de mine
Au loin Saint-Martin d'Arrossa
Le point de le haut du jour
Bidarray au loin

Juste avant de redescendre vers Bidarray je passe devant le circuit des mines de Larla. L'histoire des mines de fer Larla débute il y a plus de deux millénaires.C'est au cours de l'Âge du Fer, au IIIe siècle av. J.-C., qu'est découvert le puissant filon de sidérite de Larla. Les premières mines se développent sur le filon et des ateliers métallurgiques s'installent aux abords des travaux miniers.

Tout au long de la Renaissance et de l’Époque Moderne, l'extraction du minerai se poursuit et se développe en profondeur.

Lors de la dernière période d'activité, 250 000 tonnes de minerai sont extraites des mines. L'année 1914 marque la fin de l'exploitation du filon de Larla. Il ne me manque que la pelle et la pioche pour redémarrer l'exploitation.

Bidarray
Le prieuré de Bidarray

Arrivé vers treize heures, le bar ouvert je commande une grenadine et une carafe d'eau, le gîte n'ouvre qu'à seize heures.

Je m'avance vers le gîte, je suis assis, téléphone en main, les lignes du blog défilent. Un couple de retraités m'aborde car mon sac à dos a dû les intriguer. Échanges sympathiques sur leur envie de faire Compostelle sans jamais avoir osé. Pourtant chaque année ils montent de Saint-Jean Pied de Port à Ronceveaux, mille trois mètres de dénivelé sur vingt-quatre kilomètres. La dame porte un petit sac à dos, je lui suggère de démarrer elle a tout l'équipement sur elle ou presque.

Quinze heures trente, cinq nouvelles copines m'attendent patiemment sous la table. Je ne veux en faire des copines parce les "au revoir" c'est le déchirement .

Mes copines d'un jour

Dix huit heures, Françoise et Patrick arrivent au gîte, c'était la surprise du jour. Comme toujours le hasard n'existe pas, juste le jour du basculement de la deuxième moitié du périple et aujourd'hui c'est vendredi 13 et enfin la matinée des au-revoir avec André. Ça fait beaucoup de hasard, non ?

Nous passons une superbe soirée dans le seul restaurant de Bidarray (prononcer aï à la fin) en terrasse comme si nous étions en plein été. Émotions de tristesse ce matin, émotions joyeuses de retrouvailles ce soir. C'est ça aussi le chemin de Compostelle. Un grand merci à vous deux pour votre présence et votre amitié. Bon retour chez vous.

J'arrête les émotions pour aujourd'hui, je publie et j'éteins la lumière. Bonne nuit.

Un grand merci à vous deux !
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Date : samedi 14 mai 2022

Heure de départ : 8h30 -Arrivée : 12h30

Distance : 18 kilomètres

Étape à Espelette (64)

Le gîte à Bidarray est tenu par la paroisse, l'adresse pour des pèlerins convient totalement, de plus il n'y avait qu'un couplé de randonneurs et moi. Chambre en solo, l'espace quasiment pour moi et une vue magnifique sur les montagnes pelées des Pyrénées.

Donc ce matin, relax, petit-déjeuner à sept heures trente avec les deux randonneurs adeptes du GR10 depuis Saint-Jean de Luz. Lui avec un sac type camouflage armée d'au moins vingt kilos, habillés de la tête au pied comme un militaire. Elle, petit sac et tenue coquette, le contraste est saisissant.

Même si l'étape du jour ne fera que dix-huit kilomètres il faut bien partir à un moment donné.

Huit heures trente départ avec un soleil en plein combat avec un petit brouillard matinal.

Vue du gîte
A la sortie de Bidarray
Vue du gîte 2

Je rejoins mon parcours au pied du village et je suis la Nive, rivière bondissante dans la zone où je me trouve. En fait, le tracé suit de près la rivière et de loin la départementale par une petite route très peu fréquentée, plutôt plane avec quelques légères montées suivies de descentes toutes aussi légère. Cette route mène au Pas de Roland dont je vous compte brièvement l'histoire devenue une légende.

Selon la légende, Roland, le neveu de Charlemagne, passa par ce site en août 778 en se dirigeant à cheval vers le col qui lui permettra de repousser les Sarrasins (en réalité la milice Vasconne basque) en Espagne avec l’aide de son armée. Toutefois, un gros rocher infranchissable lui barra le passage. Une première légende raconte que cette cavité fût creusée par un coup de sabot du cheval de Roland. Là il pousse un peu. Une seconde relate que ne pouvant poursuivre son chemin, Roland brandit son épée (du nom de Durandal ) et tailla un passage lui-même pour franchir cet obstacle avec ses soldats. Vous y croyez vous ?

En fait, j'y suis passé, j'ai vu ce rocher percé et j'ai passé mon chemin. Je ne savais pas que c'était à cet endroit le Pas de Roland, aucun écrit, j'avais pas potasser avant.

Depuis Bidarray, un balisage refait surface mais perso je suivrai mon itinéraire pour relaxer les pieds et le reste du corps.

Suivre la Nive c'est vraiment sympa. Le long d’un muret en pierre, la gorge se dévoile dans toute sa splendeur avec ses eaux vives et transparentes, entourée de collines boisées qui culminent à plus de trois cents mètres de hauteur. Ici, la magie est partout. C'est ballot de se battre dans un endroit aussi beau. Les reflets turquoise de la rivière, aux détours de la route dominée d’arbres centenaires et de la nature luxuriante contrastent totalement particulièrement ce matin.

Le pêcheur et La Nive
Porte bonheur
Début du Pas de Roland
Vers le Pas de Roland
La Nive calme

Deuxième jour où je marche seul, capteurs sensoriels en action, à me laisser porter par le chemin même s'il est goudronné, rien à faire d'autre que de sentir, écouter, respirer, ressentir mes pas, m'essuyer le front de temps en temps lors des passages au soleil, prendre une photo au cadrage soigné, regarder l'azur griffé par les traces des panaches de fumée des avions, observer les insectes butiner, dire un bonjour à chaque rencontre. Mon quotidien depuis quarante jours.

Aujourd'hui l'étape porte aussi un symbole car l'arrivée à Espelette sera la moitié de la totalité du parcours de Pizay jusqu'à Muxia. A Espelette j'aurai fait mille kilomètres depuis Pizay et il m'en restera exactement mille à faire jusqu'à Muxia ultime étape pour rejoindre le bout du bout de l'Espagne.

Comme l'étape est courte, je file bon train et je rattrape une pèlerine non croisée jusqu'à présent et pour cause. Hollandaise ( je ne le fais pas exprès), elle est partie de chez elle en vélo jusqu'à Saint-Jean Pied de Port puis elle fait El Norte à pied avec sa tente au petit bonheur la chance. Elle fait le chemin pour lutter contre l'utilisation du plastic. Nous faisons les cinq derniers kilomètres ensemble, elle a peu d'expérience et me bombarde de questions. En chemin, nous rencontrons un autre pèlerin allemand équipé aussi d'un tarp ( bâche servant de tente, très spartiate comme abri pour la nuit). Pour fêter mon millième kilomètres je les invite à boire un verre à Espelette, nous échangeons nos WhatsApp pour que l'on puisse s'informer mutuellement des meilleurs spots avec vue sur océan en Espagne.

Eux, ils poursuivent le chemin malgré la chaleur de midi, moi je tente de chercher une épicerie normale ne vendant ni piment d'Espelette ni jambon de Bayonne. Impossible, le premier supermarché se situe à deux kilomètres. Pas fous les commerçants, vade retro les supérettes pas trop chères. Ici c'est le piment et le jambon qui font la loi, j'ai oublié les espadrilles. Tout le reste, dehors, loin d'ici, il faut plumer le touriste nonchalant et finir de dépouiller le pèlerin déjà fauché. Trois boissons (grenadine, Orangina et un café) dix euros. L'addition est pimentée, c'est le moins que je puisse dire.

Je renonce à mon paquet de pâtes pour l'instant et me dirige vers le gîte en plein centre de la ville. Je loge chez un artiste-peintre, perso je préfère des toiles plus classiques mais le personnage est accueillant et sympathique. Il me propose un paquet de pâtes de son stock pour cuisiner ce soir. Merci l'artiste.

Sur le mur opposé
Mur de la chambre
Dans le couloir
C'est celui que je préfère
Œuvre monumentale de 35 m2

Après un petit tour en ville beaucoup trop touristique pour moi, je retourne au gîte. Je croise le gérant artiste et on se met à échanger sur la peinture. Là, il me demande si je veux bien voir une de ses œuvres en cours et lui dire ce que j'en pense. J'en crois pas mes yeux, une toile de 35 mètres carré pour une exposition à venir sur le thème "La mer et le plastic". Je le mitraille de questions, sur sa technique, sur le thème choisi, et pourquoi ceci et pourquoi cela. Il me demande de critiquer sa monumentale toile. J'osais pas d'abord et voyant que je me retenais, il insiste d'être franco. Je lui donne mes ressentis et les points qui me semblent encore à travailler, lui, prends des notes et me retourne que c'est important d'avoir l'avis d'un œil neuf sur son œuvre. Me voilà critique d'art, je vous le dis, être pèlerin c'est un job à plein temps.

Voilà qui est Andy Le Sauce, artiste-peintre à 74 ans, cet aventurier aura plongé dans le grand bleu, avant d’en peindre toutes ses subtilités. Il affiche pas moins de 14 records du monde, dont l’un en apnée statique Aida (Association internationale pour le développement de l’apnée) avec 7 minutes, 35 secondes (le 4 avril 1996, record qu’il tiendra cinq ans). Il est également recordman du monde d’apnée dynamique en mer avec 137 mètres et en piscine avec 164 mètres.

Et en plus aujourd'hui je rencontre la hollandaise qui fait le chemin pour lutter contre le plastic. Je vous dis le hasard n'existe pas.

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Date : dimanche 15 mai 2022

Heure de départ : 8h38 - Arrivée : 13h00

Distance ; 18.5 kilomètres

Étape à Ascain (64)

Petit-déjeuner bof, bof, Andy Le peintre apnéiste semble plus doué pour la peinture ou retenir son souffle pendant plus de sept minutes que de préparer un petit breakfast digne de ses records mondiaux.

Allez, partons d'Espelette, assez vue comme ça. D'après la carte, le trajet du jour pas folichon, route départementale D918 majoritairement. Cette transition entre Saint-Jean Pied de Port et Irun passe d'un trajet acceptable à une route ennuyeuse voire dangereuse.

Huit heures trente-huit je sors du gîte, du vent chaud, au moins vingt degrés souffle, le tonnerre gronde, le ciel cependant paraît pas très sombre. J'enfile le sur-sac de mon sac à dos, s'il vient à pleuvoir d'un coup j'aurais au moins déjà protégé mes affaires.

Espelette, nuages bas et soleil

Il fait vraiment chaud ce matin, je ne m'en suis pas rendu compte cette nuit j'avais barricadé la chambre à cause d'une causerie entre jeunes juste sous ma fenêtre, mais une causerie basquaise. Le ton monte vite.

Je prends cette départementale, j'en ai au moins pour quatorze kilomètres. Chance le bas côté permet de marcher avec une relative sécurité. Le paysage pas terrible, petites collines, des maisons sur les côtés, des zones artisanales voire agricoles. Point positif pour ma pause de cinq minutes chaque heure, il y a un abri bus avec banquette. En fait, je ne regarde pas le paysage, non, je ne fais pas la fine bouche mais je dois fixer les voitures ou engins qui arrivent à vive allure en face de moi car les voies de cette départementale très fréquentée donnent des envies de vitesse aux chauffeurs du dimanche.

Seul endroit sympa

Je passe le village de Souraïde puis Saint-Pée sur Nivelle, toujours sur la D918 jusqu'au croisement d'une petite route très secondaire Karrika Zaharra bidea (bidea veut dire chemin) qui s'éloigne de la voie tueuse de pèlerins. Après quatorze kilomètres, enfin le silence, de l'ombre le long de cette nouvelle route et de la verdure, quelques petites montées, quelques petites descentes. Je peux enfin baisser un peu la garde de la vigilance tout en ayant une écoute attentive de mon espace vital.

Les derniers quatre kilomètres sont presque agréables comparés à ceux de ce matin. J'approche de Ascain, la gérante vient de m'envoyer l'adresse, elle ne sera pas à mon arrivée, elle ne viendra qu'en fin d'après-midi.

Arrivé au village, sur la place un bar, ma grenadine habituelle me manque. Comme personne ne vient alors que je suis assis en terrasse depuis un bon moment, je vais au comptoir commander la grenadine et une CARAFE d'eau. Je ne ferai pas de commentaires voir la photo.

Je m'installe dans le gîte, trop luxe pour moi, il m'a été transmis par l'office du tourisme du village.

Petit casse-croûte frugal, dix-huit kilomètres ne m'ont pas donné spécialement d'appétit, je n'ai dépensé que mille calories. Ce soir je mangerai léger peut-être pour compenser les derniers jours avec André où nous allions souvent manger des pizzas ou bien se faire deux cents cinquante grammes de pâtes chacun.

Sur le parcours comme le paysage ne m'inspire pas, je me prends en photo en train de me prendre en photo. Un espèce de selfy qui n'est pas un selfy. Faute de grives on mange des merles.

Auto selfy

Petit tour dans le village de Ramuntcho roman d'amour et d'aventure de Pierre Loti situé dans le milieu des contrebandiers basques, il a pour titre le nom de son personnage principal, le jeune et beau héros Ramuntcho et bien c'est à Ascain que cela se passe.

Ascain c'est aussi un bourg charmant, avec des logis basques d'un style très pur. Dans l'église aux beaux retables dorés, à l'espagnole, je suis surpris de voir suspendu à la voûte, un petit navire. Particularité de l'église de Notre Dame de l'Assomption, les trois niveaux des tribunes, ainsi les hommes se placent dans les galeries en hauteur et sont séparés des femmes qui se placent dans la nef.

Mais il faut savoir qu’une telle disposition des fidèles remonte à une ancienne tradition reprise par l’ancien Code de droit canonique de 1917. « Il est souhaitable que, suivant une ancienne coutume de l’Église, les femmes soient séparées des hommes dans l’église ». La disposition a été abrogée depuis 1983. Ça ne fait que trente-neuf années, c'est pas si loin que cela.

La place principale d'Ascain

Une petite dernière pour finir la journée. Assis à la terrasse d'une petite pizzeria de la place principale d'Ascain, je déguste mes parts de pizzas les unes après les autres accompagnées d'une bière locale bien goûteuse. Derrière moi quelques basquais à la voix portante discutent de tout et de rien. Arrive un de leur pote qui dit tout de go en s'approchant du groupe : "je ne vous serre pas la main parce j'ai eu la chiasse toute la journée, c'est mon fils qui me l'a donnée.". Maintenant je sais que si quelqu'un ne me serre pas la main c'est que soit il a la Covid soit il a la courante. Ils me plaisent bien ces basques.

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Date : lundi 16 mai 2022

Heure de départ : 6h30 - Arrivée : 15h00

Distance : 23 kilomètres

Étape à Irun (Espagne - pays Basque)

en passant par Hendaye, puis Saint-Jean de Luz, puis retour Hendaye et enfin Irun. (merci La Poste, vous comprendrez en lisant l'étape)

Lever à six heures quinze bien que le gîte fut parfait j'ai passé une nuit moyenne mais je ne me sens pas fatigué et pour cause trois étapes de dix-sept kilomètres, je traîne.

Sorti du bourg après un kilomètre je prends un chemin dans les bois, pas commode, caillouteux, un peu boueux en fait je n'ai plus l'habitude car cela fait presque une semaine je me tape du goudron.

Le chemin proposé par ma montre me conduira jusqu'à Decathlon Hendaye, seize kilomètres avec le soleil ce matin. Suivent ensuite des petites routes goudronnées qui montent et qui descendent, je traverse des vallons verdoyants et très odorants. Pins sylvestres, eucalyptus géants, jasmins en fleurs, ça donne déjà un air d'Espagne, un air du sud, un air de vacances.

Mon ombre
Pub pour Milka

En m'élevant sur ce bout de colline, je peux revoir cette partie des Pyrénées toute dénudée qui descend lentement vers l'océan. Les montagnes dégagées montrent leurs couleurs matinales éclairées par des rayons de soleil déjà chauds, les ombres s'étalent sur les versants comme si la nature s'éveillait en douceur.

Mon rythme est rapide, je ne prends pas de risque car l'étape est courte aujourd'hui. Je devrais être vers dix heures au Decathlon situé dans la zone des activités nautiques un peu excentrée de la ville, j'y vais direct.

A Urrugne, petite ville avant Hendaye, petit arrêt viennoiseries. Ce matin juste un café type poudre, pas bon mais je voulais boire quelque chose, tous les bars de Ascain étaient fermés.

A la sortie de Urrugne, je reprends un chemin pèlerin, je retrouve les petits signaux de Compostelle, ils sont maintenant jaune et bleu avec les formes identiques au GR français.

Les premières maisons me font comprendre que je suis dans Hendaye mais pas d'océan en vue pour l'instant. J'avance, il me reste trois kilomètres dans un petit moment l'océan sera dans mon champ de vision. Moment important après plus de mille kilomètres.

Hendaye

Je longe le bord de l'océan, il est à mes pieds, je ne vais pas le quitter pendant plusieurs semaines, un futur compagnon que j'emmènerai dans mes souvenirs et mes photos.

Je traverse la base navale, le magasin est bien là. Pantalon léger transformable en short, drap de soie, deux bouchons de bâtons, une crème solaire indice 50 feront l'affaire. En moins d'une demi-heure je repars direction la poste à un kilomètre sept cents du centre commercial. Je reprends les quais en bordure de l'océan à marée basse en ce moment. Le soleil sans être très présent rend l'atmosphère humide, mon tee-shirt est trempé de sueur. Quelques dizaines de mètres avant la poste, un parc me permet de me changer, je renverrai le bas de mon pantalon mi saison. J'enfile celui de Décat, je remballe le tout dans le sac. Damned, la poste fermée pour cause de travaux de rénovation. Je dois aller à Saint-Jean de Luz aujourd'hui ou à Urrugne demain. Il n'est que onze heures, direction la gare à un kilomètre. A treize heures cinquante mon paquet de presque deux kilos est expédié. Puisque je suis là, petit tour dans Saint-Jean de Luz avec la visite de l'église, un œil à la jetée, il fait chaud : retour à Hendaye, j'ai envie de me reposer.

Église de Saint-Jean de Luz
La jetée
La plage et la jetée
Le port de Saint-Jean de Luz

Je suis de retour à la gare de Hendaye, il est quinze heures, Google maps m'indique deux kilomètres cent jusqu' à l'hôtel. Allez c'est parti pour les derniers kilomètres du jour. Je traverse la pseudo frontière à pied, symbolique. A peine en Espagne, Bouygues m'envoie déjà les tarifs et le blabla habituel. Big Brother me suit de près aussi sans lui envoyer le blog quotidien.

A gauche l'Espagne, à droite la France

A cette heure, le soleil cogne mais en moins de trente minutes je serai relax pour deux jours avant d'attaquer le pays Basque espagnol par la côte. J'ai hâte d'y être.

Petite lessive, douche, blog, il est dix-sept heures un petit giro en ville s'impose. En voyant les terrasses noires de monde, je me dis qu'il va falloir passer du rythme souper hollandais à dix-huit heures trente à celui totalement décalé de l'Espagne.

Plaque fixée sur le trottoir à Irún
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Date : mardi 17 mai 2022

Jour de repos à Irún.

Ce matin, je savoure le plaisir de rester au lit, de me dire que la journée va être cool, juste se balader, préparer les jours à venir. Le bar-restaurant de l'hôtel ne m'inspire pas trop pour un petit-déjeuner. Hier j'ai repéré une boulangerie café avec des bonnes viennoiseries et du vrai jus d'oranges pressés in vivo, juste sur l'avenue principale non loin de mon hébergement.

Huit heures trente, après cet excellent desayuno (il faut que vous appreniez l'espagnol comme moi), j'ai une envie de flâner dans la ville à l'ombre, déjà vingt-cinq degrés. Que voir à Irún ? Et bien pas grand chose, la mairie, une grande église fermée, la gare et l'avenue principale. C'est maigre comme visites mais j'y vais quand même, je peux toujours avoir de bonnes surprises.

Canal Artia
Erromes Plaza
Église Sainte-Marie de Juncal
Mairie de Irún

Petit canal silencieux et ombragé, je vais d'un pont à un autre en observant de beaux poissons faire des pirouettes pour une gourmandise flottante puis vers une place fermée par des immeubles d'une architecture particulière dont l'accès m'oblige à traverser un porche sous un immeuble formant une cour intérieure aux façades ornées de fenêtres en bois sculptées en parfaite harmonie. De là, direction l'église de Sainte-Marie de Juncal à quelques dizaines de mètres, énorme édifice fermé un peu coincé par les immeubles voisins, je passe mon chemin. Direction la mairie ou La Maison de la Consistorielle d'Irun a commencé à être construit en 1756, règne Fernando VI et ouvert en 1763, quand il était le roi Charles III, dont le profil est représenté dans le médaillon qui existe à la porte d'entrée.

La gare
Le pont dur la Bidasoa
Désert ferroviaire
Désert de touristes
Mon gîte derrière le mur jaune

Après une petit tour dans un supermarché sous-terrain dans le centre-ville pour mon ravitaillement de demain, retour à l'hôtel en passant par la gare d'Irún, désert total, je suis seul dans la gare, personne, nada. J'arpente les quais immenses de la gare déserte, presque une fin du monde, j'aime les trains, j'aime les gares, je suis servis.

Une gare abandonnée
Une loco motive ...
Un beau vert

Après-midi relax, farniente total, je prépare mes affaires pour la trentaine et un peu plus de jours qu'il me reste à marcher. Demain départ pour San Sebastian, premier choc avec l'océan et son étendue presque infinie. La saison quatre d'une série inoubliable je pense, finira à Saint-Jacques de Compostelle au terme de vingt-neuf jours de marche sans oublier les quatre derniers jours de la saison cinq jusqu'à Muxia après avoir bivouaquer, je l'espère, à Cabo Fisterra.

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Date : mercredi 18 mai 2022

Heure de départ : 7h00 -Arrivée : 13h30

Distance : 25 kilomètres

Étape à San Sebastian (pays Basque)

La petite boulangerie près de l'hôtel s'agite déjà à l'ouverture à sept heures. Un croissant, una napolitana (pain au chocolat) et un café rien de tel pour démarrer une belle étape car je sais déjà qu'elle sera superbe.

En moins d'un kilomètre me voilà à traverser un chemin rectiligne au milieu des marécages fumants juste à la sortie de Irún.

Balisage approximatif
Les marécages
Lever de soleil sur les marécages

Sur les premiers kilomètres le balisage laisse un peu à désirer. Ces flèches jaunes peintes à la débandade se cachent dans des endroits pas toujours évidents. Je sors mon téléphone de temps en temps pour m'assurer du bon chemin.

Mais de temps à autre c'est carrément le grand jeu du balisage très décoratif.

Voilà un beau balisage
Irún

Passé les marécages la petite route s'élève assez rapidement avec une bonne pente vers l'église de la Gadalupe dominant la vallée et l'océan, une vue panoramique sur la ville jusqu'en France, Saint-Jean de Luz, Biarritz, voire plus loin encore.

Mon chemin rencontre celui de James, jeune français à l'allure de surfeur. C'est moi qui fait le premier pas et par je ne sais quelle magie nous irons jusqu'à San Sebastian ensemble.

Passé l’église, les choses se compliquent, un sentier très raide et tout droit se dirige directement sur le sommet à cinq cent quinze mètres d'altitude. J'arrive au sommet trempé de sueur, le spectacle saisissant de beauté, une petit vent frais vient des montagnes des Pyrénées sur ma gauche percuté par une brise océane chargée d'iode et de saveurs marines sur ma droite : la rencontre de la pureté de l'air et de l'esthétique générosité de la nature.

Presque au sommet
Vue du sommet
James pieds nus

Vous n'avez pas rêvé James, de père anglais, marche pieds nus presque tout le temps et quand il n'est pas pieds nus il marche avec des sandalettes. Autant dire que mes sandales font figure de chaussures de très haute montagne. Les siennes deux ficelles, un bout de cuir en guise de semelle et voilà le tour est joué. Avec ses caligae il a déjà parcouru plus de deux mille kilomètres, le fabricant lui assure qu'il pourra parcourir dix mille kilomètres. Aujourd'hui il aura marché plus de vingt kilomètres pieds nus sur vingt-cinq à réaliser. On n'est vraiment pas tous fait pareil.

La baie de Pasaia

Un peu sorcier, un peu chamane il me délivre ses secrets en matière de remèdes contre la douleur, contre l'inflammation, contre tout ce qui pourrait nuire à son bien-être. Je l'écoute avec attention. Il est végétarien mais sans excès aussi je n'ose pas lui dire que je trimballe avec moi un bout de chorizo bien gras et du fromage totalement industriel. C'est décidé ce soir mon repas sera composé de carottes, courgettes et salade de fruits, le tout avec une bonne eau fraîche.

Nous suivons les crêtes de cette petite montagne nommée Jaizkibel, l'océan à perte de vue me donne le tournis, le claquement des vagues sur les rochers en contrebas vient jusqu'à nous comme une mélodie tapageuse mais agréable à l'oreille. Nous bavardons sur les problèmes que l'homme engendre à lui-même en surconsommant les ressources de la planète. Il m'a l'air très calé sur la question.

Nous dévalons maintenant tout ce que nous avons monté pour arriver à Pasaia où nous prendrons l'embarcadère pour traverser ce bras de mer qui sépare les deux rives proches malgré tout. La traversée dure deux ou trois minutes mais j'ai le sentiment d'un total dépaysement, il ne faut pas grand chose pour se sentir aventurier j'oublie presque que je ne suis que pèlerin.

On était là-haut sur les crêtes
Chemin des Dieux
Le naturellement beau

Arrivés sur l'autre rive, nous suivons un instant le bord de l'océan vers la partie sauvage et verdoyante. Une série de trois cents ou quatre cents escaliers nous remontent presque à la hauteur où nous étions il y a un heure. Nous suivons un sentier remplis d'odeurs de jasmin, d'essence de pins maritimes, de bouquet de fleurs sauvages, d'herbes fraîches et grasses, une nature explosive de couleurs et de senteurs enivrantes qui vont du bien au corps et à l'âme.

Un aqueduc romain dans la broussaille
La Concha plage
San Sebastian

Nous remontons à presque deux cents mètres au-dessus de l'océan en suivant à nouveau une horizontale juste en dessous de la crête. En fait, nous contournons la dernière colline avant San Sebastian. Il nous reste huit cents mètres à faire et nous sommes encore haut donc la pente descendante va être rude.

Il est treize heures trente, je serre la main à James, on se remercie mutuellement pour cette belle matinée passée ensemble où nos tempos étaient bien synchronisés. Lui, souhaite poursuivre pour trouver un bivouac en pleine nature, moi je cherche un coin à l'ombre pour manger mon bout de saucisson culpabilisant et mon fromage nuisible pour ma santé avant de rejoindre l'auberge de jeunesse. Je vais m'améliorer, promis, juré. Ce pèlerinage devrait me nettoyer l'esprit en mettant juste un pied devant l'autre pendant deux mille kilomètres mais si je mange comme un chancre et en plus n'importe quoi, j'aurai le sentiment de manquer quelque chose. Je vais quand même finir mon saucisson et ce fromage dans la semaine, il me reste encore plus de huit cents kilomètres à parcourir pour me transformer.

Les pieds dans l'océan
La Concha

C'est là première fois que je suis dans une auberge de jeunesse. J'ai un peu l'allure du grand-père à la barbe fleurie. Les rituels accomplies direction la plage pour faire trempette à mes pieds méritants puis un petit tour en ville, flâner dans les rues commerciales où je croise régulièrement des mamies avec des caniches en laisse et des surfeurs avec leur planche liée à un pied par le leash (ficelle). En face de l'auberge, un marchand de fruits et légumes, je m'en sors pour juste un peu plus de cinq euros avec mes légumes et ma salade de fruits préparés dans la cuisine vers dix-huit heures.

Guitare, chansons, rigolades, bières et conversations dans toutes les langues, ce n'est pas encore l'auberge espagnole mais ça y ressemble.

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Date : jeudi 19 mai 2022

Heure de départ : 7h45 - Arrivée : 13h30

Distance : 21 kilomètres

Étape à Zarautz (pays Basque)

Il y a plusieurs avantages à dormir dans une auberge de jeunesse. Premièrement rares sont les jeunes qui ronflent, ce fut le cas cette nuit, zéro buzzer. Deuxièmement, ils rentrent tard le soir et sont plutôt discrets pour aller pioncer, c'est certainement la manière dont ils s'y prennent lorsqu'ils rentrent au bercail après l'heure autorisée par les parents angoissés dans leur lit. Troisièmement, à l'heure du petit-déjeuner, ce matin à sept heures trente, pas un jeune seulement un pèlerin et moi. Peinards pour prendre le desayuno, ils pioncent tous comme des sonneurs. Enfin, la barbe blanche, respect total, ils doivent se dire "papy faut pas le bousculer, à son âge il en a tellement vu des choses...."

Sept heures quarante je rejoins la plage de la Concha directement, le camino la suit sur toute la longueur, ça n'en finit pas.

La plage de la Concha

Le chemin rejoint le bas d'une colline nommée Igeldo, elle domine San Sebastian et toute la plage de la Concha. Ce matin, le temps gris a foncé copieusement l'océan un peu déchaîné, je ressens une brise très humide sur mes bras nus et ma barbe de papy pèlerin sans avoir froid pour autant.

Allez, première montée avec des escaliers, puis un sentier et enfin une route, cent soixante mètres "a piece of cake" comme aurait dit André.

Le chemin suit une ligne droite avec quelques zigzags à flanc de colline, côté droit la mer Cantabrique avec ses reflets gris bleutés et de grandes traînées d'écume blanchâtre. Contrairement à hier, la vue aujourd'hui n'a pas cette splendeur à la même heure, primo le temps gris, deuzio la végétation cache presque totalement la vue sur l'océan, je n'entends que le bruit du claquement des vagues sur les rochers et quelques mouettes faisant des huit dans un ciel éteint.

Mont Igeldo
La vue sympa du jour
Le sentier de pierres

Quelques pèlerins totalement inconnus bavardent tout en marchant, d'autres seuls, foncent comme s'ils avaient un train à prendre. Je prends une allure lente avec un arrêt toutes les heures c'est plus prudent après quelques jours d'étapes courtes il faut reprendre le rythme en douceur.

Je ne peux pas dire qu'aujourd'hui le parcours soit beau. Non, je ne suis pas blasé c'est tout simplement que ce matin ça n'a rien d'extraordinaire. Finalement c'est tant mieux car un long sentier en pierres de l'époque romaine m'oblige à river mes yeux sur chaque cailloux pour ne pas glisser ou risquer de me tordre une cheville. Du coup, côté paysage, je passe à côté sans trop le voir. Par contre les oiseaux, eux, s'en donnent à bec déployé avec le bruit des vagues, j'assiste à un beau concert le yeux scrutant le sol sans relâche.

Un peu de forêt
Plus que 787 kilomètres
Sacré cailloux

Je ne suis qu'à trois kilomètres du village de Oria et à huit kilomètres de Zarautz et à 787 kilomètres de Saint-Jacques-de-Compostelle, là ce n'est pas "a piece of cake", c'est du lourd.

Vers midi, j'assiste assis sur le quai de la rivière mouillant Oria à une battle de rameurs sur la rivière. Toujours assis sur un banc au bord de la rivière, je tente de finir ce maudit chorizo et ce fromage fait par des artisans chimistes. Je crois que je vais me débarrasser de ce qui me reste et je trouverai bien d'autres aliments sains à manger.

Pendant que je "déguste" mon casse-croûte, quelques pèlerins passent avec le "buen camino" rituel. Dans ma tête quelquefois en croisant des randonneurs des "ollé", des "grazie" ou des mots qui n'existent pas sortent spontanément de ma bouche au lieu de "olla" ou "gracias". J'ai tenté de parler anglais avec André pendant un mois, ici je dois tenter de parler espagnol mais seuls les mots italiens ou piémontais sortent instantanément sans passer par la case cerveau. C'est grave docteur ?

Avant Oria
Vue sur les montagnes
Une classe sportive à Oria
Oria
Oria

Cinq derniers kilomètres, une dernière montée pas trop dure avec une belle vue sur Zarautz en sommet. Ça paye l'effort du jour. Pas vu le soleil aujourd'hui, je vais même enfiler ma veste Goretex une fois arrivé à Zarautz car la brise se lève de plus en plus et je vais devoir attendre le check-in du gîte à quinze heures.

Zarautz

Assis avec ma veste coupe-vent près d'une cour d'école en pleine ébullition, je finis d'écrire les lignes du blog de cet après-midi. Après la douche j'irai certainement faire un tour en ville pour voir cette belle plage et me ravitailler pour demain. Plus de chorizo et plus de fromage gras. Mais quoi d'autres ?

Plage, plage, plage
J'écoute l'océan
Une après-midi plage

Je dois marcher un kilomètre pour rejoindre le centre-ville, aller faire mes courses et revenir par la plage. La plage de Zarautz s'étend au loin, splendide et dire qu'ils s'entassent tous à San Sebastian.

Demain matin, je repasserai par la plage pour poursuivre mon périple ça sera beau.

Tableau vitré aperçu sur la plage, je le prends en photo, du coup mon ombre s'incruste, je suis le tableau, les pieds dans l'eau comme par magie.

Pourquoi la baleine, jusqu'au xvie siècle les habitants de Zarautz se consacraient à la pêche à la baleine.

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Date : vendredi 20 mai 2022

Heure de départ : 6h45 - Arrivée : 13h15

Distance : 21 kilomètres

Étape à Deba (pays Basque)

Ce matin je refais le parcours le long de la plage désertée. Les embruns mouillent déjà ma veste et ma barbe, je corrige sans cesse ma direction emporté par les rafales de vent à la limite fraîche.

Dans cette direction j'aperçois déjà la ville de Getaria, il suffit de suivre la côte par un large trottoir où des joggeurs téméraires s'élancent en affrontant Éole.

La plage Zarautz
Getaria

Le ciel se confond avec l'océan ce matin, la journée risque d'être maussade même si de telles conditions se prêtent totalement à la marche. En une heure j'ai rejoint Getaria, petite ville nichée au début d'une presqu'île où culmine la colline de San Antón.

En traversant la rue principale je ne remarque pas de curiosités particulières, je fais ma pause dans un jardin d'enfants juste avant d'attaquer une petite montée. Au sommet de ce premier raidillon une petite curiosité quand même m'oblige à m'arrêter et à la photographier. Voir photo ci-dessous. Surprenant, non ?

Le chemin prend des allures de pistes larges tantôt, de routes peu fréquentées mais pas de chemin comme j'ai pu en découvrir sur des centaines de kilomètres. Au fil des pas, je m'écarte de l'océan pour m'enfoncer dans les terres verdoyantes et cultivées de vignes. Prochain arrêt à quatre kilomètres, Zumaia où je retrouverai l'océan et sa musique assourdissante.

Zumaia
Le port de Zumaia

Pendant mon arrêt à Zumaia, je dois remettre ma veste, le vent ne faiblit pas et malgré une petite fraîcheur mon dos est trempé. Je ne suis pas tout à fait à mi-chemin, je vais devoir à nouveau m'éloigner de la côte pour m'enfoncer dans les collines avoisinantes. Elles me semblent bien hautes et je ne vois pas de passages qui limiteraient le dénivelé. Le mieux c'est d'avancer je découvrirai le chemin au fur et à mesure, pas besoin de se poser tant de questions.

Entre Zumaia et Itziar
Juste avant Itziar

Comme à chaque fois après une belle montée, une belle descente et il me semble apercevoir sur la colline d'en face un village. D'après la carte ça devrait être Itziar, donc après cette belle descente dans les bois, le chemin se redresse pour aller à ce village perché sur la colline. Le panneau indique un kilomètre deux cents mètres de montées raides. J'arrive dans le bourg avec des bancs bienvenus,, trempé de sueur malgré un vent froid.

Il est midi, je fais une pause casse-croûte même s'il ne reste que trois kilomètres car après cette rude montée le guide indique une rude descente de pierres encastrées qui autrefois donnaient un bel effet mais aujourd'hui c'est devenu carrément un casse jambes.

Je descends très doucement car trois kilomètres dans ces conditions c'est long et dangereux, l'attention a des signes de faiblesse et les pieds commencent à se plaindre des mauvaises conditions du terrain.

Deba est une petite station balnéaire qui bénéficie d'une belle plage baignée par la mer Cantabrique à l'embouchure du fleuve Deba portant le même nom que la ville.

Arrivé à Deba, je vais directement à l'office du tourisme pour m'enregistrer et réserver mon lit, cinq euros la nuit. Ça va, ça ne vaut pas la peine de monter la tente à ce prix là.

Par contre l'hôtesse m'informe que pour demain il sera impossible de prendre le pont pour traverser la rivière. Il va falloir contourner, deux kilomètres supplémentaires. Comme l'étape de demain est de trente-deux kilomètres, je dois rajouter deux kilomètres. Je partirai à six heures.

La place principale
L'église André Mari Eliza
Vue de la plage
On se lance
J'y vais, J'y vais pas ?
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Date : samedi 21 mai 2022

Heure de départ : 6h00 - Arrivée : 14h55

Distance : 34 kilomètres moins deux kilomètres

Étape à Monastère de Zenaruzza (pays Basque)

Il est presque six heures il me tarde de partir. Hier j'aurais dû faire un tour dans ce chantier qui nous oblige à faire un détour de deux kilomètres.

Il fait nuit, les signaux de la déviation se repèrent facilement, en fait il suffit de suivre la rivière en amont. Je traverse le pont pour passer sur l'autre rive. En trente minutes me voilà à nouveau au point de départ, juste cinquante mètres nous séparent. J'aurais vraiment dû venir voir hier car ils sont en train de repaver le pont. Deux kilomètres pour rien.

Passé ce fameux pont, le chemin grimpe direct sur la colline, malgré la semi obscurité pas de problème pour avancer.

Une forêt très dense d'eucalyptus rend la marche agréable malgré l'inclinaison du chemin. Aujourd'hui, l'étape s'écarte de l'océan pour s'enfoncer dans les terres montagneuses du pays Basque.

Le chemin longe une première montagne dont le point culminant se situe au dessus de cinq cents mètres. En partant de zéro le compte est facile.

La totalité de l'étape par contre comptabilise mille mètres de dénivelé positif et sept cents mètres de dénivelé négatif, c'est une rude étape.

Sur le parcours aucun ravitaillement avant Markina, j'ai prévu de tenir un siège et donc je maudis ce satané sac toujours trop lourd. Je dois bien gérer cette étape car depuis plus d'une semaine je ne dépasse pas les vingt kilomètres par jour.

Je passe de chemins au milieu des forêts aux pistes larges à flanc de montagne. Pour l'instant hormis la déviation aucun bitume, seules quelques pistes bétonnées rendent la marche un peu rude.

Vers dix heures, première pause casse-croûte, je dois m'arrêter je ressens une fatigue et un relâchement de l'attention. La montée des cinq cents mètres a puisé mes batteries internes alors que hier ne maîtrisant pas tout l'espagnol, je me suis retrouvé pour dîner avec une pizza format familial, pour info c'était une végétarienne. Vu la difficulté du jour finalement ce n'était pas de trop.

Il est douze heures trente je cherche un bar à l'ombre à Markina. La place de la ville semble très agitée, toutes les terrasses sont noires de monde, non d'espagnols. Une terrasse vide de monde, bizarre, j'y vais tout de même. Pas de grenadine me dit la serveuse. Ok pour une menthe à l'eau. La serveuse revient avec un thé vert à la menthe, un verre d'eau avec deux glaçons et un verre vide avec deux glaçons. Vu ma grimace, elle se dit qu'elle n'a pas la bonne commande. Vu mon autre grimace, je lui fais comprendre que c'est OK. Pas de problème je boirai un thé chaud et un thé glacé.

Il me reste un peu plus de sept kilomètres à parcourir, il est treize heures, j'y vais car le couvent gère les pèlerins, premier arrivé premier servi. Pour les un peu plus de sept kilomètres il me faut presque deux heures car la grimpette et le soleil sont au maximum.

L'orgue de la collégiale
Le cloître
La vue de la terrasse de la collégiale
La collégiale

Effectivement, le nombre de places est limité j'arrive parmi les premiers. Il n'y a plus qu'à se laisser porter par l'organisation des moines, enfin je l'espère.

Après-midi bavardages avec un canadien, un breton et un nantais puis à dix-neuf heures trente bénédiction avec les moines qui fut plutôt un concert à capela des quatre moines de la collégiale.

Vingt heures, plat unique : des pâtes cuisinées par les moines.

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Date : dimanche 22 mai 2022

Heure de départ : 7h00 - Arrivée : 14h00

Distance : 24 kilomètres

Étape à Gerekiz (Pays Basque)

La rencontre avec Guy de Montréal, Marc le breton et Stéphane de Nantes se poursuit ce matin. Le petit-déjeuner déjeuner du couvent pas top, du nescafé aussi vieux que les moines de la collégiale et pris sur le pouce mais rien n'arrête un pèlerin lorsque les dernières centaines de kilomètres à parcourir approchent impitoyablement.

Un sentier idéal démarre juste après la collégiale, parfumé à l'eucalyptus, aux sapins de moyenne montagne et de fleurs aux parfums exotiques. Le temps est lourd, humide avec un ciel blanchâtre. Je pense que je vais tremper le tee-shirt un maximum aujourd'hui. Nous traversons une succession de forêts denses puis plutôt éclairées laissant entrevoir un paysage de moyenne montagne rappelant les petits paradis suisses.

La forêt dense
La forêt éclairée
Ce matin au départ

Tous les quatre nous n'arrêtons pas de discourir sur les thèmes récurrents du climat, de la mondialisation et autres sujets universels. Un pèlerin aborde aussi ce type de sujets lorsqu'il ne sait pas quoi dire d'autre. Plus sérieusement, souvent au bout du deuxième jour de rencontre, des sujets plus personnels s'échangent comme si les barrières avec les gros verrous intimes s'entrouvraient délicatement laissant apparaître des morceaux de vie de chacun soient heureuses soient malheureuses.

Pour l'instant nous passons d'un bon chemin à un très bon chemin mais comme nous jacassons comme des pies j'en oublie de prendre des images des paysages traversés.

Village de Marmiz
Des sapins et des eucalyptus

D'un sujet abordé à un autre pas solutionné, Gernica approche, déjà le bruit sourd de la ville me vient aux oreilles, sensibles au moindre changement de vibration. Je ressens comme une contraction du ventre le fait de traverser cette ville tristement célèbre. Capitale historique et spirituelle du Pays basque, elle est particulièrement connue pour sa destruction, le 26 avril 1937, par les aviateurs de la légion Condor, envoyés par Hitler afin de soutenir le général Franco. Hormis Señor Picasso, une sculpture de René Iché, une des premières musiques électroacoustiques de Patrick Ascione, d'une composition musicale de René-Louis Baron et un poème de Paul Eluard (La victoire de Guernica) dépeignent aussi ce génocide.

Gernica au loin
Gernica
L'église de Gernica

Il est douze heures, nous traversons Gernica en ce dimanche matin, la ville ne semble pas très animée. Une épicerie me permet d'acheter un paquet de pâtes, du thon et deux bananes. Mes deux compagnons complètent eux aussi avec du thon et de la sauce tomates. Comme il ne nous reste que sept kilomètres à parcourir, nous ne faisons pas d'arrêt dans la ville. Une belle montée nous attend, pour l'instant le soleil se cache encore derrière une couche de nuages tenaces. Il n'empêche "che calor," les gouttes ruissellent sur mes tempes surchauffées, plus je bois plus j'évacue mais il faut boire tout de même.

La montée un peu raide au début, s’adoucit pour devenir quasiment plane laissant découvrir un paysage de montagne bien dessiné où émergent à l'horizon des sommets plus élevés. L'océan n'est plus à portée de vue mais ce tableau montagneux aux lignes harmonieuses apaise l'âme par sa douceur et son silence. Demain à Bilbao, une autre ambiance effacera totalement l'image idyllique d'aujourd'hui. C'est ainsi, le chemin change tous les jours et c'est bien ainsi.

Un peu avant Gerekiz

Il est un peu plus de quatorze heures, j'arrive au gîte, les compagnons du jour souhaitent poursuivre encore un peu, de mon côté j'avais réservé. Je mangerai mon paquet de pâtes tout seul comme un grand. Finalement après le règlement, le tampon sur la crédenciale et la visite du gîte, aucune cuisine digne de ce nom me permettra de me régaler. Je mangerai le thon sans les pâtes et sans les compagnons du jour. Être pèlerin c'est aussi être souple dans sa tête.

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Date : lundi 23 mai 2022

Heure de départ : 7h17 - Arrivée : 13h15

Distance : 24 + 4 kilomètres jusqu'à l'auberge.

Étape à Bilbao (pays Basque)

Déjà des bruits circulent sur moi, en effet d'après "radio camino" je suis celui qui a déjà mille kilomètres dans les pattes et en plus avec des sandales. C'est ce que m'a dit un slovaque rencontré pour la première fois hier dans le gite. Je n'en reviens pas, la plupart des pèlerins du camino del Norte ont démarré à Irun c'est à dire il y a cinq jours, "radio camino" circule plus vite que les pèlerins. Il est vrai aussi que beaucoup me disent : "Tu ne marches pas avec ça quand même ?". "Bien sûr que je marche avec ça !". Je leur réponds avec un sourire montrant l'évidence.

Les avis des pèlerins concernant cet albergue, il était noté : petit-déjeuner pas adapté pour le pèlerin. Je confirme le nombre de calories du petit-déjeuner ne dépasse la valeur énergétique d'une endive. Peu importe, l'étape du jour du pipi de chaton, mais ils feraient mieux d'augmenter de quelques euros et proposer un desayuno adapté à un pèlerin souvent affamé.

Il sept heures dix-sept, je pars serein, l'étape du jour n'est que de vingt-quatre kilomètres et rajouter la distance jusqu'à l'albergue de Bilbao. Hier un gros orage s'est abattu sur le secteur cependant la route semble sèche et le ciel gris mais aucun signe d'orage pour l'instant.

Au départ
Beau ciel signe de beau temps
Larrabetzu
L'église de Larrabetzu

Au bout d'une heure, dans la forêt parfumée à l'eucalyptus, un panneau indique : déviation, avec une phrase d'excuse. S'ils s'excusent, ça sent pas bon. Effectivement, la déviation me mène directement à la nationale, fini la forêt, les petits oiseaux et la fraîcheur des eucalyptus. Je suis bon pour les pots d'échappement et le bruit assourdissant de la circulation. De temps à autre je regarde ma montre où le tracé que j'aurais dû prendre s'affiche. En fait, le tracé officiel passe sur la colline d'en face en pleine forêt, la déviation pile sur la route, chance, elle est peu fréquentée. Mais je n'ai pas le choix, il doit y avoir une très bonne raison à cela. Au village de Larrabetzu, la déviation rejoins le camino, plus de quatre kilomètres de route au lieu de la nature florissante, dommage.

De là, une petite route puis je rejoins la nationale heureusement peu fréquentée et ce sera ainsi sur presque dix kilomètres. Lorsqu'on approche des grandes villes c'est souvent ainsi idem lorsqu'on les quittent.

Ça rigole pas dans le coin
Lezama

Sur la route ennuyeuse deux inscriptions attirent mon regard : des tags indépendantistes. Apparemment petites par leur surface et par leur population, les deux communautés du nord, Pays basque et Navarre, ont une économie industrielle qui leur assure une forte puissance économique, plus évidente encore lorsqu'on mesure le produit intérieur brut par habitant. Sans faire de polémique, tant que je marche en pays Basque, et si je comprends bien c'est parce qu'ils sont riches qu'ils veulent leur indépendance. Je prends certainement un raccourci en disant cela. En général, on ne demande pas l'indépendance lorsqu'on est pauvre. J'arrête là ma théorie à deux balles, je suis toujours en pays Basque pour un jour ou deux.

Bilbao côté pile
Bilbao côté face

A Lezama, changement de direction, il faut grimper sur une colline, dénivelé de trois cents mètres. Sur la route ennuyeuse, un couple de pèlerins hollandais m'ont dépassé plusieurs fois. En effet, sur cette nationale monotone, je me suis permis plusieurs pauses, une pause café, pain au chocolat et sandwich omelette, une pause pipi, des pauses photos, des pauses juste comme ça. A chaque fois ils me doublaient comme des fusées. Le couple, d'une cinquantaine d'années, lui grand, elle petite, autant dire que les jambes de la dame moulinaient un max par rapport à son compagnon. Donc, un peu avant la montée des trois cents mètres, ils sont à environ deux cents mètres devant moi. En les observant de loin, je sens des signes de faiblesse quant à leur cadence car ils ont attaqué la montée au même rythme que lorsqu'ils étaient sur le plat. Voyant cela, j'eus l'envie soudaine de prendre le rythme de quelqu'un qui a mille deux cents kilomètres au compteur et qui peut enclencher le turbo en pratiquant la respiration afghane, un miracle pour les montées sans fatigue, en prenant l'allure du beep-beep runner des cartoons de Tex-Avery de mon époque. Deux cents mètres, cent cinquante mètres, cent mètres, cinquante mètres, une dizaine de mètres, me voilà derrière eux. Je sens bien que l'homme voudrait maintenir la cadence mais voilà toute leur énergie ils l'ont épuisée dans le plat. Je les double sans rancune. Dix mètres, cinquante mètres, deux cents mètres enfin loin derrière. J'ai l'impression qu'ils font du sur place. Je sais c'est totalement con mais c'était plus fort que moi. Et puis j'ai une excuse, il me reste encore sept cents kilomètres à parcourir, je n'ai pas encore atteint la sagesse du pèlerin comblé et éveillé ou pour vous donner une autre image mon karma se situe encore quelque part entre cet excité de Mélenchon et le Dalaï-lama. Lorsque j'attendrai Santiago, je croise les doigts, le Dalaï-lama, comparé à moi, sera un forcené déchaîné qui tente d'échapper aux mains de deux ambulanciers costauds et déterminés.

Treize heures quinze, me voilà à Bilbao, je retrouve Stéphane le nantais avec une fille belge qui me demande si je suis celui qui a les mille bornes in the feet. Décidément radio camino va plus vite que moi.

La cathédrale de Bilbao

Petite pause casse-croûte devant la cathédrale, j'en profite pour aller faire tamponner ma crédenciale et y faire une petite visite. Impressionnante de beauté à l'intérieur.

Mon téléphone m'indique quatre kilomètres et demi jusqu'à l'albergue, une heure de marche. Des kilomètres que je ne ferai pas demain. Je démarre. Quelques centaines de mètres plus loin un pèlerin me croise et m'interpelle. Il tente de baragouiner quelques mots mi-espagnol, mi-anglais, mi-italien. A son accent je me dis que c'est un italien. C'est effectivement un italien. Je lui dis qu'il peut me parler dans sa langue che capisco tutto. Visiblement, il est totalement paumé, primo il n'allais pas dans la bonne direction, deuzio son téléphone ne fonctionne plus, du moins internet kapout, troizio il ne sait pas où dormir. Bilbao est aussi grande que Nice et le gars ne sais pas où dormir. Il me demande s'il peut aller dans le même albergue que moi. Comme je n'ai pas réservé toutes les quatre-vingt chambres de l'hôtel : no problemo s'il en reste de libres. Je lui fais remarquer que c'est à quatre kilomètres et demi mais que ça le rapprochera pour demain. Il me suis, visiblement soulagé, du coup il téléphone à sa femme pour son problème d'internet et pour la rassurer en lui disant qu'un gentil pèlerin l'a remis sur le bon chemin. Avec cette action, je m'éloigne de Mélenchon et je me rapproche furieusement du Dalaï-lama. Non ?

Sur le chemin de l'albergue

Quelques mots sur l'Athletic Club de foot, couramment appelé Athletic, est un club de football espagnol de Bilbao fondé en 1898. Il a pour spécificité de ne compter dans son effectif que des joueurs nés au Pays basque, ou ayant une ascendance basque ou formés dans un club basque. Et ils sont classés comment dans le championnat espagnol ? En fouillant sur internet, cette année ils sont huitième au classement, loin derrière le Real Madrid. Bof !

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Date : mardi 24 mai 2022

Heure de départ : 7h07 - Arrivée : 13h30

Distance : 24 kilomètres + 2 km de l'albergue

J'ai connu de meilleures nuits car l'insonorisation de la chambre laisse totalement à désirer. L'autoroute passe juste au pied de la colline où se trouve cet albergue immense. Je dois rejoindre le camino via un parcours calculé par ma montre, deux kilomètres et cinq cents mètres supplémentaires sur une étape courte cela ne pose pas de problème. Cette jonction me fait passer par un pont en arc de cercle tout proche de l'auditorium immense de Bilbao, bel ouvrage large et très aérien.

L'autoroute de malheur
Au pied de l'auditorium
Musée naval
Vue du pont en arc de cercle
Bilbao
L'auditorium

Aujourd'hui je ne chercherai pas mon chemin, il suffit de suivre les quais jusqu'à la prochaine ville Portugalete, il suffit de se laisser porter.

Après ce pont en arc de cercle, je longe les quais spacieux et super bien aménagés, il y a de la place pour les cyclistes, pour les piétons, une barre d'immeubles modernes me séparent de la route urbaine. J'entends cependant le bruit de l'autoroute qui contourne Bilbao sur la rive opposée. C'est plat de chez plat, côté droit les immeubles modernes, côté gauche le fleuve et ses grands bâtiments industriels de recyclages ou autres industries dégageant des émanations grisâtres et lardées de tubes rouillés faisant penser à Beaubourg dans deux cents ans.

Chantier naval
Des monstres aux longs bras
Du recyclage
Ça fume beaucoup

Le temps aujourd'hui semble totalement capricieux, il ne fait que seize degrés, un vent venant de l'océan m'oblige à remettre ma veste. En face de l'usine avec d'épaisses fumées, une petite pluie vient perturber la marche facile de ce matin. Je mets mon poncho et je poursuis. Cinq minutes plus tard, plus de pluie. Temps de Bretagne.

Arrivé à Portugalete, le camino prévoit de repasser sur la rive opposée mais je ne vois aucun pont en aval. En fait, il s'agit de prendre un espèce de téléphérique horizontal reliant les deux rives très espacées à cet endroit. Piétons et voitures traversent en moins de deux minutes cet espace surréaliste.

Portugalete
Le téléphérique horizontal
La cabine

Me voilà dans la ville, première montée du jour qui me sera évitée car une série d'escalators permet d'arriver au sommet d'une colline bardée d'immeubles sans forcer pas contre à l'allure des escargots. Trop cool aujourd'hui mais un peu lent à mon goût. La ville grouille de monde, il est onze heures, les espagnols s'affairent, parlent forts et vont dans tous les sens.

Je poursuis silencieusement mon chemin afin de sortir de capharnaüm, je ne suis plus habitué à ces bruits qui manquent totalement de naturel.

A la sortie de la ville, j'emprunte une voie, type voie verte qui me conduira quasiment jusqu'à la fin de l'étape. La voie est piétonne et cycliste, dommage qu'elle soit proche de l'autoroute. Il me reste dix kilomètres à faire sur cette voie sympathique qui peu à peu s'éloigne de ce tintamarre assourdissant.

Facile le camino
Toujours cette autoroute

A deux kilomètres de la fin de l'étape, je double un vieux monsieur espagnol marchant avec une canne en donnant l'impression qu'il va tomber à chaque pas. Lorsque j'arrive à sa hauteur comme par hasard deux chemins possibles s'offre à moi mais sans aucune indication ni signalisation. Le vieux monsieur me fait comprendre que je dois le suivre pour le camino parce que c'est aussi le chemin vers sa maison. A partir de ce moment là nous entretenons une conversation sur les questions habituelles. Évidemment je m'aide de Google traduction pour répondre, par contre lorsqu'il parle je devine finalement le sens de ses questions. Nous marchons presque deux kilomètres cote à cote, lorsque quelques gouttes recommencent à tomber. Il me fait signe de venir chez lui à quelques dizaines de mètres de là, sa maison borde un petit hameau. Il m'invite à voir tous ses trophées de coureur de marathon de montagne. Je pénètre dans son unique pièce où sont exposés ses coupes, ses photos de finisher, la photo de son épouse, morte il y a un an. Il sort de sa poche sa carte d'identité, année de naissance 1937, quatre vingt cinq ans. Je n'ai pas eu le réflexe de retenir son prénom, je le regrette. Il me demande mon âge et d'après son expression et son regard il me trouve en pleine forme. Ces quelques minutes ont été intenses car naturellement il m'a fait rentrer chez lui sans me connaître. Je suis assez ému par cette confiance et ce naturel. En fait il souhaitait que je puisse enfiler mon poncho à l'abri chez lui, dans son intimité, il souhaitais aussi parler, échanger. J'ai tenté de lui expliquer que je courrais aussi, il fut un temps, les marathons mais sur du plat pas en montagne. En partant, je lui demande s'il veut bien prendre une photo avec moi. Clic-clac. Il me serre la main et me regarde longuement partir. Je me retourne d'un signe de la main, au revoir mon bon monsieur. Une belle rencontre d'un hasard qui n'en est pas un. Sans ce croisement incertain, j'aurais simplement doublé ce monsieur en lui lançant le "Hola" traditionnel, je n'aurai sans doute jamais connu un pan de sa vie de coureur.

Je ressort de chez ce monsieur, je tombe sur la jeune fille belge rencontrée hier à l'arrivée à Bilbao, elle est accompagnée de sa sœur pour quelques jours. Nous faisons les deux derniers kilomètres ensemble en parlant de films et d'acteurs célèbres. Pour une fois qu'on ne parle pas du camino.

Treize heures trente, arrivée au gîte communal, je m'installe sur une chaise pour mon repas de midi même si l'heure est largement dépassée. Comme j'ai du temps, je démarre mon blog.

A mon arrivée à Pobeña, je retrouve mon italien qui s'est paumé encore une fois de plus, il a dû se taper deux heures supplémentaires. A ce rythme il fera deux fois le parcours pendant son périple.

Quinze heures, les hôtesses du gîte se pointent, comme j'étais le premier les autres pèlerins s'enregistreront après moi. La règle du camino, premier arrivé, premier servi. Que dire de Pobeña, un petit village de pêcheurs, sur sa côte barrée de falaises, on peut encore voir des vestiges de son passé minier, comme le chargeur minéral ou divers bâtiments qui sont aujourd'hui abandonnés et en ruines.

La petite rade de Pobeña
La plage Arena
Un peu de soleil
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Date : mercredi 25 mai 2022

Heure de départ : 7h00 - Arrivée : 14h30

Distance : 23.4 kilomètres moins 6 +8 km

Étape à Islares (Cantabrie)

Petit tour hier soir, la passegiatta, après un repas au restaurant conseillé par la gérante du donativo, un vrai repas de pèlerin pinard compris pour douze euros. J'étais avec l'italien Flavio, celui qui perdu son GPS interne, un jeune français dont j'ai oublié le prénom, un peu réservé et Stéphanie, la roumaine, bavarde, elle parlait français donc totalement excusée.

Les derniers rayons de soleil

Bonjour la nuit passée dans ce dortoir à seize pèlerins, je fus réveillé deux mille fois. Je ne ressens pas de fatigue, prêt pour partir presque le dernier, je me relâche un peu.

Le camino contourne un mamelon rocheux, c'est une belle voie type voie verte près de la mer Cantabrique donc une vue à l'infini malgré une situation nuageuse incertaine. Ici c'est comme la Bretagne, il pleut, il fait soleil dix mille fois par jour.

Magnifique, non ?

D'après le tracé le chemin arrivé au premier village à environ six kilomètres bifurque vers l'intérieur. J'arrive donc à ce village en ayant mis et enlevé mon poncho deux mille fois, j'exagère un peu, deux possibilités s'offrent à moi. Soit par l'intérieur soit par la côte, c'est plus court. Me voyant dubitatif, une habitante me dit en espagnol : por la costa es mas bonito. Bon si c'est bonito, allons-y par la costa. En fait le camino devient la départementale bruyante avec la pollution en plus, effectivement ça suit la côte mais le bonito passss terriblessss (en français : pas terrible). Je fais des progrès en espagnol, non?

Ceci me mène à Mioño, petit village avec un bar. Ça tombe bien je n'avais pas pris mon petit-déjeuner ce matin. Là, je rencontre Stéphanie qui marche doucement mais qui était partie plus tôt que moi.

Sur la voie verte
Au fond Mioño

Après un americano et un sandwich omelette, nous repartons ensemble. En discutant de temps à autre pour respecter l'esprit du pèlerinage, elle me dit que l'on peut couper pour arriver direct à Castro Urdiales. Je regarde le tracé officiel, en effet il fait un détour dans la campagne un peu pour rien car le coin ne présente pas d'intérêt particulier. Banco, on coupe. Économie de trois kilomètres, ce qui devrait me faire arriver à Castro Urdiales vers onze heures.

Évidemment Castro Urdiales est une très belle ville mais demain je suis mon planning j'ai une étape de plus de trente kilomètres. Donc, déjeuner rapide à Castro puis je poursuis sur Islares où il y a un camping bord de mer.

Stéphanie reste sur Castro parce qu'elle a besoin d'une vraie douche et sans doute être un peu peinarde. Je mange sur l'esplanade avec vue superbe sur l'église, le fort et toute la ville, en plus avec le soleil. Quoi de mieux ?

C'est le top, je repars vers douze heures vingt avec seulement huit kilomètres à finir. La sortie de la ville n'a rien d'exceptionnel et en plus ça monte un peu. Arrivé sur un plateau, le chemin goudronné suit de près l'autoroute, la vue sur la mer en plus.

Il me reste trois kilomètres, le camino se transforme en vrai chemin, alléluia et là attention les yeux. Que du top de chez top du point de vue paysage, mer, soleil et tutti quanti. Les images parlent d'elles-mêmes.

D'où je viens
Petit sentier inespéré
Aie, Aie, Aie, caramba que c'est beau
Format figure
Les chèvres marines
L'infini à partir du fini
Le sentier côtier

Il est quatorze heures vingt, j'arrive au camping, avec une belle étape pour la vue et pour les jambes aussi.

Petit bungalow occupé par un hongrois, totalement destroye. Le pauvre ça fait cinq jours qu'il est cloué au lit, big tendinite à la jambe gauche. Il m'explique en français qu'il avait mal au genou droit, il a donc tout reporté sur la gauche. Pas de bol maintenant les deux jambes kapout. Pour couronner le tout, il s'était déjà arrêté quatre jours à Castro Urdiales, à huit kilomètres en amont. Je lui propose un de mes pansements miracle qu'il accepte avec facilité. Demain il tentera de poursuivre. Je ne veux pas être un oiseau de mauvaise augure mais il ne boit pas alors qu'il devrait biberonner à longueur de journée pour éliminer les toxines.

Mon gîte et l'hôpital pour le hongrois

La petite pièce s'est transformée en hôpital de fortune, ça sent la crème anti-inflammatoire à plein nez. Je profiterai d'une éventuelle absence du grand blessé du pèlerinage pour aérer et laisser échapper toutes ses ondes négatives. En effet, son regard triste et pratiquement anéanti m'inspire de la tristesse pour lui et de l'humilité pour le camino. C'est lui le plus fort, le camino, toujours, si on ne respecte pas les règles internes de son corps et son esprit.

Petite balade autour du camping
Panorama exceptionnel
Un 180° d'exception

En allant vers le restaurant du camping, je retrouve Flavio, l'italien. Aujourd'hui il ne lui est arrivé aucune mésaventure. C'est cela aussi le camino, heureusement.

Coucher de soleil
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Date : jeudi 26 mai 2022

Heure de départ : 6h50 - Arrivée : 13h15

Distance : 21 kilomètres + 1 km en bateau

Étape à Santoña (Cantabrie)

Je démarre à six heures cinquante, hier j'ai planifié une variante par la côte car le camino officiel passe par les terres pour rejoindre la mer à Laredo. Je fais le nord pour l'océan, pas pour les terres, du moins pas uniquement.

En fait, je dois faire une boucle ouverte de quatre kilomètres pour me retrouver grosso modo à cinq cents mètres de mon départ. Impossible de passer par là plage, une rivière coupe la plage en deux, puis elle se jette dans la mer. Il m'est impossible de savoir la profondeur d'un éventuel passage via la rivière. Dommage quatre kilomètres de détour pour cinq cents petits mètres de séparation mais j'ai décidé de passer par la côte. Ces kilomètres en plus m'économisent des kilomètres sur terre, sept environ.

Depuis le départ
Le point le plus éloigné de la déviation
Cinq cents mètres juste en face

En une heure me voilà pile en face de mon départ, seuls les cinq cents mètres nous séparent à vol d'oiseau. Pour l'instant la déviation se passe bien. D'abord la nationale commune avec le chemin officiel puis une piste en forêt d'eucalyptus, plutôt plate et loin du bruit de la circulation.

J'arrive dans un petit bourg sans caractère où une belle anse s'offre devant moi. Je suis seul avec un surfeur téméraire à quelques centaines de mètres qui tente d'accrocher une vague. Le ciel nuageux n'est pas menaçant, pas de vent aujourd'hui, un temps presque idéal pour marcher sans doute pas pour surfer.

Début de l'ascension
La anse avec la plage
Je suis déjà en hauteur

A partir de là, je mets ma montre GPS en marche avec le tracé côtier car j'ai eu quelques hésitations juste en arrivant au pied d'une petite montagne raide. J'espère à ce moment là de ne pas devoir la grimper.

La tracé me conduit directement vers cette montagne raide avec un sentier bien évident surplombant la mer Cantabrique calme ce matin. Je crois que je vais devoir gravir cette petite montagne. Je vérifie sur ma montre le tracé altimétrique. C'est ça, je dois monter tout en haut. Le sentier n'est pas large, la pente est très raide mais sans danger. En cas de chute, je peux facilement m'arrêter, les broussailles et les fougères me serviront de bouée de sauvetage.

Le Paso de Presa
Au sommet
Vue du Paso de Presa

Mon tee-shirt mouillé n'arrive plus à sécher tellement je transpire, trois cents mètres à grimper avec une pente pratiquement à quarante-cinq degrés. Je ne suis plus très loin du sommet mais voilà que ça se complique un peu. Je vais devoir faire de la petite grimpette tellement c'est raide, pas de danger particulier à condition d'avoir toute son attention focalisée sur les prises. Mes jambes ne sont pas habituées à de tels efforts pour tirer ma carcasse et mon sac plutôt léger aujourd'hui.

Dernier passage délicat, ils ont prévu une rampe avec une corde car à droite un beau précipice s'ouvre sur une mer bleu. C'est impressionnant mais sans danger, faut faire gaffe quand même.

C'était le Paso de Presa, un incroyable panorama pour moi tout seul, aucun pèlerin, aucun randonneur, rien que pour moi.

Je profite de cet espace panoramique pour faire une pause énergie. Mes jambes ne sont pas fatiguées mais je les sens molles. Il faut recharger la batterie interne de mon corps chahuté depuis ce matin. Mais l'effort vaut la peine. C'est aujourd'hui l'Ascension et je me suis payé une belle ascension. Pour les personnes sensibles au vertige pas conseillé de faire cette variante. Côté sandales, je m'en sors mais je dois doubler d'attention. Évidemment comme je suis monté, il faut redescendre maintenant en espérant que ce ne soit pas du même acabit.

La descente raide mais gérable, c'est simplement une colline à redescendre.

J'étais sur le deuxième replat
Mon petit exploit du jour
Ermita San Juliãn
Je dois aller en face

Il est onze heures j'arrive à Laredo, petite bière et un tapas, je repars pour la plage que je dois traverser pour prendre un bateau et passer en face à Santoña. Sauf que la plage c'est cinq kilomètres de terrasse. Du côté gauche des immeubles à perte de vue et à droite la plage de sable. Je n'en vois pas la fin de cette maudite plage de Laredo. Le petit casse-croûte au bar dans le centre m'a redonné quelques forces mais je me traîne un peu.

Une heure de marche pour aller au bout de cette plage infinie. Arrivé au bout du bout, plus loin c'est la mer, un panneau indique Paso Maritima, deux euros avec un plan que je ne vois pas d'un premier abord. Je tourne en rond, marche forcée sur du sable, personne aux alentours. Finalement j'aperçois un petit groupe de quatre pèlerins juste au bord de la plage. Ça doit être l'embarcadère sans embarcadère.

L'église de Laredo
La Pietà
Mon sauveur
Santoña
L'arrivée à Santoña
J'avance, j'avance

La traversée prend cinq minutes, me voilà à Santoña.

La ville n'a aucun charme même si elle semble être la capitale de l'anchois. Toutes les boutiques vendent ce poisson à toutes les sauces.

À Santoña, l’anchois règne en maître. Avec plus de cinquante conserveries, la ville a acquis une renommée internationale en ce qui concerne ces petits poissons. En tant que pèlerin je préfère la pasta.

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Date : vendredi 27 mai 2022

Heure de départ : 6h00 - Arrivée : 15h00

Distance presque 40 kilomètres

Étape à Santander pour 2 jours

Encore une nuit pas terrible, trop de lumière, trop de bruit mais heureusement pas de ronfleurs.

Hier, j'ai décidé de partir à six heures à la fraîche. J'avais préparé la veille un petit-déjeuner rapide, jus de fruits et petites viennoiseries. Je traverse la ville de Santoña en direction de la prison, proche de la mer décidé à faire une belle étape.

Le temps frais ne semble pas tourner à l'orage, je garde ma veste pour l'instant, on verra plus loin pour la retirer.

En partant après Santoña
Derrière une colline après Santoña
Plage après la colline

La sortie de la ville me paraît interminable, en fait je longe la prison, gigantesque. Il n'y a pas que des gentils espagnols !

Passé ce bagne bord de mer, un sentier difficile monte vers une colline le long de la mer agité même si le vent se repose. Le sentier de cailloux, de sable et de terre glissante me demande un effort de concentration pour ne pas glisser ou accrocher les vêtements dans les broussailles qui dépassent de cette sente rude, tortueuse et étroite.

Une fois au sommet, un beau spectacle aussi bien derrière que devant, les plages à l'infini, la mer un peu grise devant moi et bleue à l'horizon. Je ne m'en lasse pas.

Descente périlleuse, idem celle d'hier dans ma variante ascensionniste mais ça ne dure pas, je retrouve la plage.

Le chemin passe par la plage à perte de vue. Pas question de marcher trois kilomètres, rien de tel pour chopper des tendinites et s'épuiser par la perte d'énergie du sable mouvant sous mes pas chancelant du matin. Chance, une route goudronnée suit la plage en parallèle, j'y vais direct.

Petit pont romain
La photo n'est pas heureuse
La campagne Cantabrique

Je ne quitte plus le goudron pour quelques dizaines de kilomètres à travers la campagne Cantabrique, évidemment ça ne vaut pas les paysages maritimes mais ça a l'avantage d'être calme et sans trop de circulation.

En principe, je dois m'arrêter à Güemes, étape de vingt-quatre kilomètres mais si je suis en forme j'irai jusqu'à Santander vingt kilomètres de plus.

Je ne suis plus très loin de Güemes il n'est même pas midi, je continue sur Santander, je pourrais ainsi me tester sur une longue distance après une nuit pas terrible. En plus à Güemes, il n'y a rien. Fuyons.

La route me mène à nouveau vers la mer après six heures de marche dans la campagne verdoyante et quelques peu monotone.

Sur le chemin sui mène à la mer, je m'aperçois que je peux éviter un petit détour sans intérêt dans un lotissement,en construction, je prend ce raccourci. Bizarrement, je vois un pèlerin venant vers moi. Immédiatement je me dis, il est paumé. Bingo, il est paumé, c'est un français. Je lui dis de me suivre car je me dirige vers le chemin à quelques dizaines de mètres. Il a raté le chemin parce qu'il discutait avec une pèlerine étrangère. Si on parle trop on se perd et cela arrive souvent aux pèlerins bavards, c'est pour cette raison que j'adopte silence.

Enfin le chemin côtier sur plus de dix kilomètres, jusqu'à Santander, en fait jusqu'à Somo où je prendrai l'embarcadère pour traverser un bras de mer, c'est le chemin officiel. Pour l'instant que du superbe, de la nature sauvage, du vent, des embruns, des mouettes tapageuses, de la vie naturelle, de la liberté de marcher. Instant magique, je goutte ma chance d'être là à chaque instant. Merci la vie pour cela.

Je checke mes jambes, aucun problème, ma fatigue aucune, mon envie de marcher, inusable. Je vois au loin Santander, il est plus de quatorze heures, une pause méritée avec casse-croûte devant une île aux oiseaux. Y a pas mieux comme coin pique-nique improvisé. Mon sandwich saumon fumé, ma banane et quelques amandes me paraissent être un repas gastronomique devant un tel spectacle d'une mer déchaînée.

Passage sablonneux
Et ce n'est qu'une partie
Elle a poussé ma barbe
Cinq kilomètres de plages
Vue du coin pique-nique

Je reprends mon chemin côtier, sur les cinq derniers kilomètres il suit la plage. Pas question de me casser les jambes et me fatiguer sur du sable. Je prends une piste parallèle à la plage, tant pis pour l'officiel. J'ai presque quarante kilomètres dans les jambes je ne vais pas m'épuiser dans le sable mouvant.

Quatorze heures quarante-cinq, je vois l'embarcadère, le bateau est sur le point d'atterrir, dans cinq minutes je serai à bord. Chance pour moi. J'embarque pour trois euros dix cents avec le masque obligatoire.

Santander

Quinze heures, je pose le pied sur Santander, j'ai un jour d'avance, deux étapes en une journée. Demain ce sera repos. Je trouve une chambre seul dans une résidence studio, cela me permettra de récupérer des nuits passées un peu difficiles.

Fin d'après-midi en visite chez Decathlon à l'autre bout de la ville, en bus évidemment. Achat d'une fourrure polaire et d'un tee-shirt convenable, le premier parce qu'il fait froid et le deuxième parce que je suis un pèlerin qui ne veut pas passer pour un mendiant.

Sur le chemin du retour de Decathlon comme il est plus de dix-neuf heures, je rentre dans un bar-restaurant typique, un repas normal me fera du bien et je passerai mon temps à rédiger mon blog et observer les espagnols et leurs coutumes.

La journée s'est bien déroulée, je suis peut-être prêt pour les grandes étapes.

Demain visite de la ville à petite dose.

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Date : samedi 28 mai 2022

Étape à Santander, relax Day

Presque huit heures, j'ai carrément profité du studio et du confort du lit, des draps doux, d'un oreiller digne ce nom. Ça change totalement des paillasses pour pèlerins servies dans les albergues ou les gîtes sur le camino.

Neuf heures quarante-cinq, prêt pour quatre heures de divagation dans la ville dans l'attente du check-in du gîte juste un peu plus bas sur le même boulevard pile sur le camino

Petit-déjeuner d'abord dans une pâtisserie servant un bon café à quelques pas de ma résidence presque trois parfaite pour moi. Visite de la cathédrale de Santander à quelques centaines de mètres, imposante sur le flanc de la colline non loin de la gare de trains.

Visite du cloître, plutôt petit et de la cathédrale qui paraît moins imposante de l'intérieur. En fait,, il y a deux églises pour le même édifice, le deuxième se situe juste à l'étage inférieur comme une crypte mais plus grande et ouverte à l'extérieur. Un tampon de cette paroisse me semble une raison suffisante pour chercher l'office du timbro, preuve du passage. Je rentre dans l'office religieux, un grand gaillard sans doute un ex enfant de chœur me dit quelque chose en espagnol. Je lui fait comprendre que je suis là pour la crédenciale. Il me demande de l'accompagner vers l'entrée de l'édifice, me dit qu'il faut appuyer sur la sonnette très haut placée. Le gaillard appuie copieusement sur la dite sonnette. Il s'en retourne vers son bureau et me tamponne mon passe-partout religieux. Il s'est sonné à lui-même. Magnifique non ?

Onze heures trente, j'aperçois un marché couvert, j'y fonce, j'aime les marchés et je trouve ces espaces toujours colorés avec des mélanges de saveurs souvent délicieuses et appétissantes.

Le marché de Santander

La gérante de l'albergue m'a proposé d'aller voir le phare de Cabo Mayor à l'autre bout de la ville, il suffit de suivre le bord de mer par contre c'est assez loin. Aujourd'hui c'est repos mais ça ne veut pas dire ne rien faire. C'est parti pour le phare.

Une régate
Illusion d'artiste peintre
En route pour le phare

Comme j'arrive sur la jetée qui forme une immense terrasse une régate prend juste le départ au coup de canon direction le large. Les voiliers s'élancent d'abord à l'allure au travers avec une belle gite puis au près, en tirant des bords, navigation en zigzag provoqué par un fort vent de face. J'arrive juste à temps pour voir ce spectacle marin, ma virée démarre bien.

Je longe les bords de mer et de plages sur une terrasse de plusieurs kilomètres de long, superbement aménagée avec des jeux pour enfants, des parcs fleuris, des bars bondés. Tout est fait avec harmonie pour ne pas dénaturer le paysage superbe.

Le phare culmine sur un rocher au bout de la terre. A ses pieds, les vagues se fracassent sur les falaises inclinées typiques de la région.

Le phare de Cabo Mayor

Près du phare un bar, juste ce qu'il me faut pour une petite Radler, bière avec du citron, très appréciée des allemands paraît-il. Assis sur la terrasse face à la mer, je déguste les premières gorgées de bière comme un élixir de jouvence ou une potion magique tellement le spectacle est enivrant de beauté. C'est un instant exceptionnel, j'en saisi chaque millième de secondes comme une gourmandise énergétique.

Un petit tour vers le bout du bout sans trop approcher du bord à cause du vent redoutable aujourd'hui et des falaises à pic

Je reviens la barbe en vrac vers le phare transformé en salle d'exposition de peintures sur le phare lui-même. Évidemment je ne veux pas rater cela. Trois niveaux de tableaux très bien positionnés dans des salles avec de grandes baies vitrées donnant sur le spectacle assourdissant d'une mer déchaînée et d'un bleu époustouflant.

Les tableaux

C'était une belle journée. Demain démarrent les grandes étapes jusqu'à Santiago de Compostelle, mes batteries sont rechargées, il faut juste que les jambes suivent. Inch'Allah Compostelle.

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Date : dimanche 29 mai 2022

Heure de départ : 6h00 -Arrivée : 14h20

Distance : 38 kilomètres et des poussières

Étape à Santillana del Mar

Six heures pétantes je suis sur le boulevard principal de Santander, le chemin file droit vers l'ouest pour ensuite plonger légèrement vers le sud dans les terres. Je quitte la côte pour toute la journée, je ne la retrouverai que demain à l'arrivée de la prochaine étape.

De la route, toujours de la route, aucun sentier aujourd'hui.

Ce matin à 6h00
Les voies
La campagne autour de Santander

L'étape du jour sera la première d'une longue série de distances au-delà des trente kilomètres. Je reprends mon protocole de survie des pieds et des jambes. Hier, j'ai bu un maximum, ce matin idem avant de partir puis toutes les heures avec un arrêt obligatoire de cinq minutes. C'est efficace sur moi et surtout pour les articulations.

Une heure de marche pour être vraiment sorti de la ville, avec immersion dans une campagne urbanisée, coquette et silencieuse. Peu d'usines à l'horizon, un mélange de bouquets de maisons à l'allure cossue, des prés avec quelques vaches avachies dans l'herbe et une voie ferrée que je longe sur plusieurs kilomètres.

Il faut passer à côté des voies
Sur le pont de chemin de fer
Chemin parallèle à la voie
Encore un peu de mer
Au fond les pics de l'Europe

J'emboite le pas sur une route peu fréquentée qui s'élève sur une colline parsemées de petits hameaux et de fermes isolées. Au fond, à l'horizon les Picos d'Europe, massif le plus élevé de la cordillère Cantabrique, situés entre les provinces des Asturies, León et la Cantabrie, à une trentaine de kilomètres de la mer. Ils culminent au Torre de Cerredo à 2649 mètres. Encore un peu de neige subsistent, j'ai de la chance, le ciel bleu couvre tout l'espace céleste laissant juste apparaître les traînées des avions de ligne. Les picos se détachent carrément de la ligne de crête verdoyante en face de moi, la mer d'un côté, la montagne de l'autre et une verte vallée bucolique devant moi, ce dimanche s'annonce bien pour les trente-huit kilomètres à parcourir.

Je m'éloigne progressivement de la mer

Au sommet de la colline, petite pause dans un bar, cela fait plus de quatre heures que je marche, je ne suis pas sûr de retrouver quelque chose avant la fin de l'étape. Café americano et big sandwich tortillas, le petit casse-croûte que m'avait préparé la gérante de l'albergue de Santander ne m'a pas suffit : deux tranches de pain de mie, un peu de jambon et un fromage tranche extra-fine. Calories proche du zéro. Je repars satisfait de cette pause, prêt pour affronter une longue descente vers la vallée et un interminable trajet le long des tuyaux d'alimentation en eau de l'usine Solvay que j'aperçois très loin dans le fond de cet estuaire à marée basse.

Une heure trente de tuyauteries par vingt-six degrés de température sur une piste de gravillons poussiéreuse et totalement droite. Ce matin, je bouffe du tuyau jusqu'à saturation.

Au bout, l'usine Solvay
Ça fume drôlement
Contournement de l'usine
Bye-bye l'usine
Les artères de l'usine

Il est onze heures dix neuf, il me reste sept kilomètres et demi mais en montée et sous une belle chaleur avec un petit vent qui sèche au fur et à mesure les gouttes de sueur et mon tee-shirt humide.

Pas de signe de douleur, pas spécialement fatigué, je reste prudent, je ne m'emballe pas, du calme, je la finirai cette étape.

Passé le pont près de l'usine, la route grimpe doucement mais sûrement. Au fil des pas, l'usine polluante devient de plus en plus petite pour disparaître complètement de ma vue. Seuls les vapeurs d'eau qui s'échappent des deux immenses tours me font penser aux fumerolles des volcans mais en moins sympathique.

La montée n'est que de cent mètres sur une route secondaire délaissée aujourd'hui dimanche par les citadins. Il est treize heures trente, dans moins d'une heure je serai à Santillana del Mar, la ville aux trois mensonges.

Santillana del Mar

Caché parmi les prairies de Cantabrie Santillana del Mar est considérée comme l'une des plus belles villes d'Espagne. Ses rues médiévales sentent également les fromages et les sobaos (pâtisserie typique).

Connu comme le village des trois mensonges parce qu'il n'est ni saint ni plat et qu'il n'a pas de mer toute proche.

Quatorze heures vingt, je traverse Santillana, un grand Pérouges avec des boutiques de luxe et des restaurants trop chicos pour moi. Ce soir je suis à l'albergue del Convento. Superbe bâtisse, magnifiquement aménagée, repas pour neuf euros, le top. Bénédiction des pèlerins à dix-neuf heures, souper à vingt heures, le must. Chambre de deux lits, avec un peu de bol je serai peut-être seul ?

Il convento

Petite séance de yoga improvisée pour détendre les muscles sollicités depuis ce matin. Les postures s'enchaînent plutôt aisément à mon grand étonnement. Puisque c'est une des plus belles villes d'Espagne j'y go pour une visite flash. En passant par la réception, je revois le hongrois aux pattes kapout. Il s'en est sorti, bilan neuf jours d'immobilisation. Il me remercie encore une fois pour le pansement. Son visage plus radieux, laisse apparaître une joie contenue. Il revient de loin.

La place Mayor

Dix-neuf heures j'assiste à la bénédiction des pèlerins qui n'est autre qu'un lieu de rencontres et de paroles. Nous ne sommes que trois sur la trentaine de pèlerins du couvent à s'être embarqué dans ce huis clos. Une polonaise, une belge, deux nonnes, un volontaire très religieux et moi.

Nous nous présentons à tour de rôle très simplement. Vient le tour de la belge qui s'effondre en larmes après quelques mots, pour une raison qu'elle explique mais que je n'ai pas saisie (trop de sanglots en même temps que les paroles). Bonjour l'ambiance. La pauvre, elle en avait gros sur la patate et ça restera un mystère. C'est ça aussi le chemin.

Sur ce moment de partage, j'ai retenu une phrase que j'ai lue en français au moment d'une pseudo prière : "Nous sommes beaucoup plus que ce que nous pensons être de soi-même". J'espère que la pèlerine belge méditera sur cette phrase sur l'estime de soi.

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Date : lundi 30 mai 2022

Heure de départ : 6h00 -Arrivée : 14h17

Distance : 35 kilomètres

Étape à San Vicente de la Barquera (Cantabrie)

C'est devenu une routine, départ six heures en même temps que la pèlerine polonaise qui n'arrive pas à ouvrir l'immense portail de sortie. Il fallait tirer la chevillette et la porte cherra. Le petit chaperon bleu (et non pas rouge) émit un soupir de soulagement.

Dehors quelques gouttes, il faut enfiler le poncho, je sors de la ville rapidement. Le petit chaperon bleu file à toute allure et encore une fois la fable du lièvre et de la tortue s'appliquera aujourd'hui.

Trente quatre kilomètres et rien que du bitume. Je ne sais plus ce que c'est un chemin. C'est vraiment l'inconvénient du camino del Norte.

Impressionnant
Église de Cóbreces
Pluie ou soleil ?
Avant Cóbreces
Un lama avec lever de soleil

Ce matin j'ai l'impression de ne pas avancer, le chaperon bleu file loin devant. De mon côté, je fais mes pauses comme d'habitude. Je pense que je n'ai pas assez mangé hier au soir. Pourtant c'était très bon mais probablement pas assez copieux pour un trente-quatre kilomètres avec des tas de montées et descentes harassantes.

A une intersection j'hésite, je dégaine mon téléphone finalement je vois la flèche jaune peinte à l'arrache et mal située. Le petit chaperon bleu s'est plantée, elle a pris la mauvaise direction. Je lui fais signe et en même temps elle s'aperçoit de son erreur. Au moins cinq cents mètres pour rien soit un kilomètre en plus pour elle.

Je passe le village de Cóbreces avec son impressionnante église rose bonbon, je me dis qu'un bon americano, un pain au chocolat et de la tortillas seraient les bienvenus. J'ai déjà avalé mon casse dalle il y a une heure et il ne me reste que quelques amendes séchées. Pour arriver à la ville de Comillas, il me faut marcher encore une heure minimum, je n'ai pas le choix, je fonce tranquillement.

Comillas

Sur la belle place de la ville historique, un pâtissier qui sert des cafés. Parfait, il est onze heures trente ça fera mon déjeuner. Je repars aussitôt fini de déguster ce repas presque quotidien. Voilà que le chaperon fait la même halte. Un petit hola et je repars.

Je suis la nationale sur une piste protégée. Je n'ai pas vu beaucoup de pèlerins aujourd'hui, uniquement des nanas seules.

Après quelques kilomètres de Comillas, le camino s'écarte de la nationale heureusement pour border à nouveau la mer. Enfin du beau paysage, ça commençait à me manquer.

Encore une montée pour atteindre le sommet d'une colline surplombant la mer. C'est pour la bonne cause.

Je jette un coup d'œil à ma carte sur le téléphone. Deux choix possibles, le camino ou bien passer par la plage sur trois kilomètres. Par le camino il faut rajouter un kilomètre. J'hésite mais je vois que c'est marée basse donc le sable doit être bien tassé, je ne risque pas de m'enfoncer et perdre toute une partie de mon énergie.

Très bon choix, je passe par la plage ça compensera l'étape ennuyeuse du jour.

Par la plage

Par cette variante j'ai encore évité des montagnes russes sans visibilité sur cette belle et immense playa.

Le déjeuner rapide de tout à l'heure m'a requinqué, je me sens moins flagada et j'avance d'un bon pas sur ce sable au rythme des vagues venant mourir presque à mes pieds. Là, c'est super.

Je vois San Vicente de la Barquera toute proche, encore un pont à traverser et ça y est. Étape in the pocket.

San Vicente de la Barquera

Quatorze heures dix sept à l'horloge de la plage. Je suis heureux d'avoir fini cette étape. Demain quarante-deux kilomètres, j'ai intérêt à charger mes muscles en sucre lent au repas ce soir. Manger des pâtes en Espagne, un défi que je dois relever.

Il seize heures vingt, attablé dans bar-patisserie-restaurant avec un petit gâteau et une Radler, je vois arriver Louis, jeune normalien qui pendant sa césure de Master fait le camino. Hier je l'ai rencontré au Convento, même problème que le hongrois. Je lui ai donné un pansement anti-inflammatoire comme pour le hongrois. Il a suivi mes conseils, pauses, beaucoup d'eau et le pansement qu'il a encore sur sa jambe. "Ça été", il me dit tout content. Merci Éric (le good doctor) pour ton ordonnance via le blog, tu as déjà sauvé trois personnes avec ce remède.

Louis est dans la même pensiòn que moi. A dix-neuf heures trente on se retrouve pour manger des pâtes. Il parle un espagnol fluently, ça sera plus facile pour moi pour formuler ma requête de pâtes au pays de la paella.

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Date : mardi 31 mai 2022

Heure de départ : 6h00 - Arrivée : 16h30

Distance : 43.5 kilomètres

Étape à Llanes (Asturies)

Sirop de grenade en guise de petit-déjeuner, de toute façon à cette heure je ne peux rien avaler.

Je sors de l'hôtel, le jour pointe son nez, le ciel est mi-figue mi-raisin, il ne devrait pas pleuvoir. L'étape du jour sera l'équivalent d'un marathon, les dénivelés en plus, mille mètres en montée et bien sûr mille mètres en descente puisque je pars de l'altitude zéro pour arriver à zéro, Llanes se situe en bord de mer.

Le chemin démarre par une montée en sortie de ville. Je m'élève au dessus de la ville endormie, un ciel rouge illumine l'horizon, la journée va être belle.

Je fais mes derniers kilomètres en Cantabrie, le premier village Colombres sera en Asturie, région où les maisons colorent les villes. Dans cette région les maisons se distinguent par leurs couleurs vives et variées.

Le chemin passe d'une route à la campagne à une route nationale puis à nouveau une route plus tranquille. Décidément les sentiers du camino del Norte se font oublier.

Unquera
Sur les crêtes avant Colombres
La campagne en Asturie
Les Asturies
Vache qui fait son petit veau
Gare de Unquera

Pause toutes les heures, comme il y a plus de quarante kilomètres ça fera au moins une dizaine d'arrêts recharge interne. Le temps passe plus vite en faisant cela, marcher plus de dix heures c'est long même si le paysage exprime toute sa beauté en Asturie.

Le temps n'est pas trop chaud, juste un petit vent assuré le séchage des vêtements et de mon front au fil des kilomètres.

A mi parcours petite halte dans un bar, je retrouve la polonaise plongée dans son téléphone, elle ne fera pas l'étape complète qu'elle juge trop longue.

Passé Colombres, je longe à nouveau une voie ferrée en ayant espoir de voir passer un train pour faire une belle photo.

Je quitte la voie pour me diriger enfin sur une piste de graviers d'abord plane puis pentue qui va directement sous les piles d'un pont de l'autoroute.

D'après la carte, je devrais revenir vers la mer et la longer dur plusieurs kilomètres.

En effet, je retraverse la voie ferrée et me voici enfin sur un vrai sentier du littoral, totalement sauvage, je suis seul avec la mer en face de moi, les montagnes dans mon dos. Je n'ai plus qu'à savourer cet instant magnifique.

Mon coin pique-nique
Une grotte en bord de mer
Beau tout simplement
Mer bleue aujourd'hui
Un paysage de rêve

Il est midi, je trouve un bel endroit où je peux m'asseoir pour pique-niquer et me reposer un peu. Devant moi des rochers obliques sont fracassés par les vagues d'une mer pourtant calme aujourd'hui.

La mer s'engouffre dans des grandes cavités de roches en bordure faisant un bruit sourd comme une forte respiration de la nature vivante.

Le chemin retourne vers l'intérieur tout en s'élevant sur une colline ça sera la dernière de la journée.

Il me reste environ sept kilomètres à parcourir, je ne ressens pas de fatigue particulière, j'ai juste envie de m'arrêter de marcher pour faire autre chose.

Au sommet de la colline Llanes apparaît au loin, encore petite. Llanes est une commune du nord de l'Espagne, à l'ouest de Bilbao. Elle est connue pour son littoral accidenté qui s'étire sous la longue ligne de crête calcaire de la Sierra del Cuera.

Au sommet de la colline
Llanes au loin
Le canal
Façades colorées
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Date : mercredi 1 juin 2022

Heure de départ : 6h00 - Arrivée : 13h30

Distance : 33 kilomètres

Étape à Ribadesella (Asturies)

Je tire la porte de la pensión derrière moi, pas mécontent de laisser cet hébergement dont la chambre donnait sur le rue principale donc bruyante, c'était cher et pas terrible.

Je commence aussi par me tromper deux fois même avec ma montre top top en action. Évidemment pas sur une longue distance mais même sur quelques dizaines de mètres de plus c'est de l'énergie corporelle en moins. Tout le long des étapes j'optimise chaque fois qu'il est nécessaire sans prendre de risques bien sûr, j'économise ne serait-ce que de quelques mètres car sur de longues distances c'est toujours ça de moins à faire.

Juste en partant de Llanes

Le chemin se dirige vers le bord de mer qu'il faut suivre sur un quai surélevé semé de gazon tel un green de golf. Super, enfin un chemin. De plus, la vue exceptionnelle sur cette mer d'un bleu incroyable me booste totalement. La journée va être belle dans tous les sens du terme. Juste un peu de route puis à nouveau un chemin au milieu d'une campagne avec la musique douce et apaisante des vagues déferlantes. Pas de vent aujourd'hui. Que du bonheur ! Malgré le marathon d'hier, mon corps a eu le temps suffisant pour tout recaler, remettre les choses en place pour le défi du jour. Il doit le savoir ce corps qu'il doit tous les jours ou plutôt toutes les nuits tout mettre en ordre de marche pour le lendemain. Il fait son job la nuit sans que je ne lui demande rien.

Quel bonheur de partir tôt, l'aube m'accompagne dans cette étape et avec elle toute la beauté d'un soleil peignant les nuages d'un jaune d'or, d'un rouge écarlate et de touches violettes, le monde renaît et moi j'avance.

Après presque une heure de sentier paradisiaque, je reprends une route et aussitôt je replonge vers une petite plage de sable, je suis seul car il n'est que sept heures, ici je suis le seul spectateur de Dame Nature, cela me donne encore plus de force et d'envie de mettre un pied devant l'autre. Beaucoup de pèlerins ne partent que vers huit heures, huit heures trente. Ils ne savent pas ce qu'ils ratent. Je garde le secret du bonheur d'un départ à six heures pour moi. Ne le répétez à personne.

Playa de San Antonin
Playa de San Antonin
Église de Lugar Barru

Le chemin repasse par une route silencieuse, il est encore tôt. Assez rapidement, bifurcation vers une route parallèle traversant des petits villages encore endormis. Les espagnols font la fête du coup ils ne sont pas du matin.

J'en suis à ma deuxième pause sanitaire pour ne prendre aucun risque au niveau des articulations. Par contre pour l'instant aucun bar ou boulangerie ouverts. C'est sans doute l'inconvénient majeur en Espagne d'un lever tôt pour ce qui me concerne.

Enfin une ville un peu plus importante grande que les petits hameaux de ce matin. Je repère un bar. Oui, un pèlerin au bout de mille cinq cents kilomètres, a développé un sixième sens : le flair des bars même très éloignés.

Attablé à la terrasse, je revois Louis, le jeune philosophe prometteur. Après un café con lecche (avec du lait) et una napolitana. Nous décidons Louis et moi de faire un bout de chemin ensemble. Très gentiment il me demande si ça ne me dérange pas. J'accepte avec grand plaisir.

A partir de ce moment là, j'oublie les paysages, les pauses et mon rythme prudent car nous engageons des échanges enrichissants sur la philosophie, la musique classique, la poésie qu'il adore, sur Léo Ferré qu'il aime beaucoup, sur beaucoup d'autres sujets passionnants. Il m'importait beaucoup d'avoir un angle de vue sur ces questions essentielles avec une approche philosophique, d'autant plus, celles émises par un brillant étudiant passionné de poésie.

Les kilomètres défilent à une allure rapide, il faut dire que notre rythme est très véloce, le terrain s'y prête bien, moi j'ai l'entraînement, lui c'est aussi un sportif d'un très bon niveau.

Nous nous arrêtons à chaque fois que nous croisons une fontaine, mini pause salutaire et nous repartons de plus belle. Malgré notre grande différence d'âge évidente, nous avons beaucoup de points en commun. Ma petite philosophie s'applique encore, le hasard n'existe pas.

Plus qu'un kilomètre avant ma fin d'étape, Louis poursuit encore le parcours sur six kilomètres dans un gîte en donativo. Avant de nous séparer, nous échangeons nos numéros pour communiquer avec WhatsApp. Je dois lui envoyer les références de mes centaines de livres sur la marche, Louis doit me faire parvenir des titres de livres lisibles sur la philosophie et en particulier Kierkegaard, son philosophe préféré, Nietzsche et autres penseurs des temps plus très modernes.

Mon job durant toute ces années professionnelles a été l'industrie, l'organisation du temps et les directions d'usine mais si j'avais choisi un autre travail, j'aurais aimé pouvoir répondre cette phrase si on me posait la question suivante : quel métier fais tu ? Mon métier, c'est de prendre l'air. C'est un peu ce que je fais en ce moment.

Ribadesella

Ribadesella au début du XXe siècle, devient un lieu de villégiature apprécié par la haute société espagnole. La ville côté ouest campe de nombreux chalets et villas opulents et côté est, la ville historique et vivante.

Arrivé tôt à Ribadesella, je me dirige vers mon hébergement du jour côté est. Rituels fait, je peaufine mon blog allongé sur un lit douillet, j'entends la grêle frapper la fenêtre de ma chambre. Je suis quand même mieux ici. Je me rends compte que tous les jours je fais l'étape deux fois. Une fois in vivo, une autre fois in scripto.

Je tente une échappée malgré la pluie tenace pour faire quelques achats de fruits et boire le fameux cidre des Asturies. Après un petit tour de visite de cette ville désertée et sans vraiment de caractère je déniche un bar avec terrasse, quelques locaux boivent leur café con lecche. "Me gusteria una sidra". Impossible me répond le garçon. Ils ne servent le cidre qu'en grande bouteille, pour deux personnes uniquement, pas avant dix-huit heures et enfin pas au verre. Bon, côté cidre, c'est pas bonito, pas cool les espagnols ! Donc, je peux toujours me gratter pour le cidre des Asturies. Vamos pour une cervesa.

A falta de sidra, tomemos una cerveza. Traduction : faute de grives on mange des merles. Enfin, c'est ma traduction.

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Date : jeudi 2 juin 2022

Heure de départ : 6h00 - Arrivée : 15h00

Distance : 38.5 kilomètres

Étape à Villaviciosa ((Asturies)

Je démarre comme d'habitude à six heures sauf que je dois ajouter un kilomètre et demi car mon hébergement se situe dans la ville est et le chemin dans la ville ouest.

Les sorties de ville souvent ne présentent aucun intérêt c'est le cas de Ribadesella, des pavillons cossus en bord de mer à n'en plus finir.

Je crains que la journée soit très très humide voire pluvieuse, le ciel bas cache le paysage asturien et les maisons aux couleurs vives proches du chemin. Je sens que je vais faire trempette aujourd'hui.

A la sortie de Ribadesella
Peinture dans le village de Vega

La ville est maintenant largement derrière moi, le chemin emprunte des petites routes agricoles et passe à San Sebastian, petit hameau perdu dans la forêt et à Vega, hameau aux peintures murales en trompe l'œil, je retrouve Louis en attente du petit-déjeuner à sept heures trente. Salutations faites, je poursuis, il me rattrapera certainement en cours de chemin.

Un sentier trempé et ruisselant remplace les petites routes campagnardes et se dirige vers la mer, calme ce matin et plutôt grise.

Le temps dans la région asturienne change d'un instant à l'autre au gré du vent venant de l'océan ou de l'intérieur des terres. Au sommet d'une colline j'ai cru une seconde à l'arrivée du soleil matinal. Il était bien présent mais il se maintenait à l'est sans pouvoir percer jusqu'à moi ne serait-ce qu'un rayon lumineux .

Sur quelques kilomètres, le sentier longe en hauteur la côte découpée et sans couleur, tout se confond dans une nuance de gris et de bleu délavé, le ciel, le paysage et l'océan.

Allez, un peu de route ça manquait. Le temps ne s'arrange pas, j'ai dû enfiler le poncho il y a une heure mais là j'entends le tonnerre gronder fort au dessus de moi. Le ciel va me tomber sur la tête. Quelques gouttes s'écrasent sur mon front déjà en sueur. J'enfile à nouveau le poncho parce que je pense que c'est du sérieux. Des trombes d'eau se déversent sur le paysage, sur moi l'eau ruisselle le long du poncho pour atterrir sur mes sandales. Pas grave, elles sont étanches. En quelques minutes mes pieds font trempette, mon bas de pantalon se lave automatiquement, merci la pluie. Je suis en pleine montée, de plus de huit pour cent sur trois kilomètres, ce qui veut dire qu'en plus je transpire. L'eau céleste forme déjà un petit ruisseau sur la chaussée pentue. Je trouve cela presque agréable surtout parce que je suis bien protégé. Pour les pieds, ils sont au frais, c'est le remède idéal contre les tendinites. Plus de soixante jours de marche et presque pas d'averses, je ne vais pas me plaindre.

A Colunga, je fais un arrêt fruits et avocat, je n'avançais plus, j'avais épuisé les calories engrangées par la pizza végétarienne engloutie hier au soir à Ribadesella. Je m'autorise aussi une halte dans un café de la ville car depuis ce matin je n'ai avalé que de l'eau minérale en bouteille que j'avais vidée dans mon camel-back. Cela à l'avantage d'avoir des sels minéraux sans le goût du chlore.

Je n'ai pas rencontré grand monde aujourd'hui, une pèlerine à Ribadesella ce matin à six heures et une autre jeune pèlerine, accrochée à son téléphone au moment de la pluie diluvienne. Louis ne m'a toujours pas rattrapé pour l'instant. Trente huit kilomètres seul avec comme programme le lessivage avec le déluge céleste et le séchage avec un peu soleil en arrivant à Villaviciosa. Curieux nom pour une ville.

Villaviciosa au fond

Situé dans des terres particulièrement fertiles, le lieu a été habité depuis des temps immémoriaux. Contenant de nombreux castros (villages fortifiés pré romains) et quelques vestiges de la domination romaine. Le village a changé plusieurs fois de place, prenant un essor définitif à partir du XIIIe siècle.

Villaviciosa, comme beaucoup d'autres noms de lieu est un exemple de ce qu'on appelle la topophilie,c'est-à-dire le nom donné au site destiné à mettre en évidence ses vertus ou un particularité positive. La signification de vicioso ou viciosa en espagnol à plusieurs sens : vicieux évidemment mais aussi vigoureux et abondant en particulier pour une production. Pour Villaviciosa en l'occurrence c'était sa production élevée. Cependant, l'utilisation péjorative de l'adjectif vicieux, a finalement été imposée. Ce qui a été fait initialement pour mettre en évidence quelque chose de bien (production élevée), est devenu quelque chose apparemment négatif (vicieux). Il a été proposé à la population de changer de nom de leur ville en Villavertueux mais l'idée n'a pas été retenue.

Villaviciosa la mairie
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Date : vendredi 3 juin 2022

Heure de départ : 6h00 - Arrivée : 13h30

Distance : 32 kilomètres

Étape à Gijón (Asturies)

Put*** de nuit, un madrilène n'a pas arrêté ne serait-ce qu'une seconde de souffler aussi fort qu'un taureau dans l'arène avant sa mise à mort. Cet aficionados de toros n'a eu aucune pitié pour nous pauvres pèlerins en quête de sérénité, de silence et surtout une envie de passer une bonne nuit.

Du coup, je me lève un peu plus tôt, n'ayant aucune vergogne si mes bâtons font un peu de bruit. J'aurai pu me servir de mes bâtons de marche pour lui donner l'estocade finale. Filons d'ici.

Villaviciosa est une petite ville de campagne, le chemin emprunte une voie verte aménagée, large qui suit une rivière silencieuse et poissonneuse. Un pêcheur lève tôt prépare sa ligne à la lumière de sa frontale.

A six heures, il ne fait pas jour, j'aime bien user de mes sens pour me diriger dans la pénombre matinale, les lumières de la ville alentour éclaire assez largement mon espace. Je jette de temps à autre un œil à ma montre, un changement de direction peut survenir à chaque instant.

Je croise sur cette portion de chemin des maisons surélevées bizarres juchées sur quatre colonnes en pierre surmontées d'un plateau pierreux sur lequel repose la maison souvent en bois.

Ce sont des hórreos qui servaient et servent encore, partout où le climat a permis leur apparition, de grenier, d’entrepôt, notamment pour protéger les récoltes de l’humidité et des rongeurs et autres bêtes pouvant les détruire et causer des pertes irréparables.

Après quelques kilomètres, je reprends une route, sans tarder, je croise la séparation du camino del Norte et le camino Primitivo.

Le camino Primitivo est l'un des chemins du Camino de Santiago. Il commence dans l'ancienne capitale asturienne d'Oviedo et s'étend à l'ouest jusqu'à Lugo, puis au sud jusqu'à Saint-Jacques-de-Compostelle. Je prends évidemment le camino del Norte.

La corrida improvisée
Le col Alto de la Cruz
Après le col

Assez rapidement, je retrouve une piste de gravillons juste avant de gravir un col à quatre cents cinquante mètres point le plus haut du jour. Avant d'affronter ce col, je tombe nez à nez ou plus exactement nez à museaux avec un groupe de vaches errants sur le chemin. Il y a des vaches mais aussi des veaux, ça peut être dangereux de les approcher, la maman vache ( n'y voyez aucun terme péjoratif) veut protéger son petit veau d'un individu bizarre qui avance vers eux avec deux bâtons et une cape verte sur le dos. Comme je n'ai aucune notion de tauromachie, je rase le bord du chemin bien loin des corvidés qui me fixent avec un œil belliqueux, prêts à improviser une séance de corrida. Je leur parle doucement, elles me suivent du regard, plus de danger, je peux démarrer l'ascension du col.

A cent mètres du sommet du col qui n'est pas si difficile que ça, je rencontre un vieux monsieur pèlerin allemand en train de siroter sa gourde. J'engage la conversation. Il m'explique qu'il a beaucoup trop d'affaires dans son sac à dos et sa petite charrette qu'il traine avec difficultés dans ce chemin pierreux et très pentu, qu'il a mal partout et que si c'est trop compliqué il prendra le bus. Enfin comme sa charrette n'a pas de frein, il mime les embardées qu'il a du contrôler dans les descentes trop raides pour ce type de moyen de transport. S'il n'a pas d'expérience sur les longues distances il a au moins le talent du mime. Je lui souhaite bon courage et buen camino.

Au deuxième col
Vue sur Gijón

Un col ça se monte puis ça se descend. La descente se fait par une route bordée d'eucalyptus, le brouillard cache le paysage. Ce col s'appelle Alto de la Cruz, aucun intérêt, il y a bien un chemin qui va au sommet, une fois arrivé c'est la route et il faut la redescendre jusqu'au bas de la vallée pour remonter un autre col, Alto de Curbiellu, aucun intérêt lui aussi, hormis la vue sur Gijón au loin.

De là, il me reste dix kilomètres de descente mi pistes forestières mi routes peu fréquentées. Gijón est une grande ville côtière du nord de l'Espagne. Elle est connue pour son patrimoine maritime et son ancien quartier des pêcheurs, Cimadevilla.

Je contourne le grand ensemble hospitalier de la ville, il est midi, pause casse-croûte dans un parc aménagé à l'ombre. J'ai cru ce matin que la journée allait être pluvieuse finalement j'arrive dans la ville avec le soleil.

Il me reste deux kilomètres avant mon hébergement, je traverse la ville au milieu de hauts immeubles sans caractère particulier, la cité est animée, je la traverse de part en part jusqu'à rejoindre l'extrémité de la plage de la cité asturienne où se situe mon logis du soir.

Les quais
La ville côté est
La haute tour, c'est l'hébergement

Petit tour en ville vers dix-sept heures car c'est l'heure où les boutiques ouvrent. Petit ravitaillement pour demain, deux parts de pizza pour ce soir. Je rentre à l'hôtel en rasant les murs, la pluie refait son apparition. Toute la journée j'aurai joué à cache-cache avec l'eau céleste. J'ai l'impression que plus j'avance vers l'ouest plus le temps devient incertain à tendance orageuse.

Je vais démarrer un compte à rebours dès kilomètres à parcourir pour arriver à Santiago. Depuis Gijón il me reste seulement trois cent soixante-dix huit kilomètres. Les choses vont s'accélérer, il faut vraiment que je profite au maximum de chaque jour et ne pas considérer les étapes juste comme un enchaînement de kilomètres.

Gijón
Plaza Mayor
Plaza del Marqués
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Date : samedi 4 juin 2022

Heure de départ : 7h00 - Arrivée : 12h45

Distance : 26 kilomètres

Étape à Avilés (Asturies) 350 km -> 🏁

L'étape du jour va me permettre d'arriver tôt même si je pars une heure plus tard que d'habitude. Départ à sept heures, Gijón grande ville portuaire va me demander beaucoup de temps de marche pour vraiment ne plus la voir ni l'entendre.

Le camino longe le port, il est sept heures, un centaine jeunes fourmillent dans les rues certains visiblement éméchés, d'autres totalement débraillés. Sortie de boîte à coup sûr.

Je prends la route principale qui s'étire vers l'ouest de la ville, des barres d'immeubles défilent lentement tellement il y en a. Combien de temps me faudra-t-il pour sortir de cette ville aux trois cent mille habitants.

Plus de cinq kilomètres pour ne plus la voir mais je l'entend encore avec ce fond sonore comme un aspirateur encombré de poussières.

Les premiers immeubles
Le port de plaisance
La belle vie
Presque sorti de la ville
Début du complexe industriel

Fini la ville, elle est maintenant derrière moi. Un nouveau décor semble se présenter sur le camino. Ça change des autres jours, il va falloir composer avec un tableau moins bucolique composé de fumées, de tuyaux, de tôles, d'acier, de sifflements, de bruits métalliques, les usines de Arcelor Mittal. Elles s'étendent comme un serpent métallique, à perte de vue comme l'autre jour la mer mais moins sympathique.

Arcelor Mittal
Gijón au fond
Un peu de sentier

Je me retourne pour voir ces ensembles sidérurgiques quasiment disparus en France. Les espagnols sont-ils chanceux de les avoir encore ? Peut-être une histoire de coût du travail ? Va savoir ?

La montée du jour m'éloigne progressivement du ronronnement sourd des laminoirs en action. Ça ne s'arrête jamais et c'est bien cela le pire car des centaines d'habitations sont plantées autour de ce complexe d'acier rouillé et de fumées grises. Le bruit permanent fait maintenant parti du décor. Je n'entends plus les oiseaux, plus le bruit du vent. Monsieur Arcelor domine le secteur de jour comme de nuit.

La petite ascension fut courte, elle débouche sur un plateau verdoyant sans aucune habitation, seuls des eucalyptus rendent l'atmosphère à nouveau respirable, les oiseaux vont et viennent à leur guise loin du grand chambardement de ferraille, le vent me rafraîchit, la nature a repris ses droits et sa vitalité.

Je redescends le plateau pour découvrir une plaine fertile, plutôt harmonieuse mais surtout silencieuse. Des petites fermes clairsemées embaument le secteur de la bonne odeur du fumier. Oui, je préfère cela aux fumerolles crasseuses et nauséabondes des cheminées pointées vers un ciel maussade aujourd'hui.

En moins d'une heure me revoilà avec Monsieur Arcelor, le camino n'a fait que contourner la plaine de ferrailles enchevêtrées.

Les usines en pleine activité tournent à plein régime et moi aussi. Mes jambes semblent vouloir fuir cet environnement de métal rouillés, de poussières et de bruits métalliques

Fini l'ambiance de la campagne, la nationale est de retour et l'acier en fusion s'étale sur toute la vallée. Je pourrais l'appeler la vallée de l'épouvante comme fut donné jadis le nom de la vallée de Rive de Gier où trônait aussi en son temps Monsieur Arcelor, encore lui, près de l'usine de verres BSN où je faisais mes premières armes après mes études à Saint-Étienne. Aujourd'hui tout a disparu, les édifices rasés, plus de traces visibles seules la mémoire demeure dans les esprits et dans la douleur des corps fatigués par le travail harassant et continu de l'acier en fusion.

Sur le camino les petites villes vivant de l'acier défilent, accrochées les unes après les autres comme les barres de métal en fusion crachées par ces monstres d'acier infatigables et bouillonnant de vapeur d'eau noirâtre comme s'ils faisaient des efforts démesurés. Trazona, La Marzaniella, La Reguera, Tabaza, des petites villes au nom inconnu mais dont les habitants travaillent très certainement dans ces monstres d'acier qui crachent les barres et engloutissent les femmes et les hommes sans ménagement et avec peu de reconnaissance.

Au détour d'une de ces villes méritantes, un mur d'école peint affiche une scène de campagne où paissent des vaches dans un pré et bêlent des moutons à l'air ahuri.

Vous remarquerez leurs yeux jaunes exorbitants, on ne voit presque que cela. Ils sont tellement médusés par le spectacle quotidien devant eux que leurs regards semblent figés à jamais. L'herbe autour d'eux n'a plus de couleur et se confond presque avec le ciel. À côté de la vache il ne reste plus qu'une fleur que l'animal semble vouloir garder signe d'un espoir qu'un jour tout redeviendra comme avant.

Il est midi, je m'arrête dans une de ces bourgades d'aciéristes, j'aurai pu choisir un parc ou un endroit plus fun, bien que difficile à trouver, non c'est là que je manger mon casse-croûte et ma banane, le temps d'avaler un sandwich, les gens qui y vivent et travaillent pour que nous tous puissions, plus tard, profiter de la transformation de cette matière brute en objet pratique ou inutile. En face de moi, Monsieur Arcelor a tout prévu même un échangeur routier pour les visitors et une tour d'acier pour avoir un panorama incroyable sur sa source de profits toujours plus importante.

Il ne me reste que quatre kilomètres avant l'arrivée à Avilés, je me dis que la ville risque d'être à l'image du décor de ce matin. Mais peut-être aurai-je une bonne surprise ?

Je vois les premiers immeubles immenses avec quelques couleurs pour faire chic.

L'entrée à Avilés

Je me dirige vers mon hébergement, j'ai choisi une chambre seul car dans les jours à venir je dois braver deux grandes étapes de presque quarante kilomètres, je dois absolument passer des nuits paisibles.

Passés les immeubles, je m'enfonce dans une rue piétonne. J'ai l'impression que ce n'est plus la même ville. Noire de monde, petits édifices avec des trottoirs sous des arcades anciennes témoignages d'un passé médiéval certain.

Avilés, ville fondée en 1085 a connu une expansion importante depuis les années 1950 grâce à la sidérurgie et compte aujourd'hui plus quatre-vingt mille habitants.

Elle organise tous les ans depuis 1996 un grand festival inter-celtique qui réunit des centaines de musiciens et danseurs issus des Asturies, d'Irlande, d'Écosse, du Pays de Galles et de Bretagne. Une petite parenthèse inattendue dans un territoire d'acier et de vapeurs sulfureuses.

Courses à Avilés

Cette ville est pleine de surprises. Je m'attendais à une ville terne et morose, pas du tout. Une ambiance festive dans toute la ville, un accueil chaleureux dans le restaurant où j'ai dégusté un bon plat de pâtes aux cèpes et au jambon pour tenir la distance pour demain.

Et je ne vous parle pas de l'accueil de la pensión El Parque où je dors. Un vieux monsieur à barbe blanche deux fois plus longue que la mienne, posé sur son nez un espèce de masque blanc, deux pompons en tissus lui cachent les oreilles, il porte des lunettes aux verres totalement noir et m'accueille en pyjama. Il parle l'anglais, le français parfaitement et sans accent et en plus l'italien couramment comme s'y j'y étais. Il me montre chaque détail des sanitaires, de ma chambre et me souhaite un très bon séjour. A ses dépend je le prends en photo car des personnages comme lui, je n'en rencontrerai qu'une fois dans ma vie.

La vallée c'était l'épouvante, la ville, elle, est émouvante.

Merci monsieur de la pensión El Parque pour cette belle rencontre inédite.

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Date : dimanche 5 juin 2022

Heure de départ : 5h30 - Arrivée : 14h30

Distance : 37 5 kilomètres

Étape à Soto de Luiňa (Asturies) - 286 km

Aujourd'hui c'est dimanche, pour moi c'est un jour comme un autre. Départ cinq heures trente. Je quitte l'hébergement du papa de Dusty Hill bassiste et chanteur du groupe ZZ Top, la ressemblance est frappante (merci Pascale).

Le camino passe un court instant vers la mer sur cette étape, la plupart du temps c'est de la forêt d'eucalyptus dont j'aime bien la senteur mais depuis des centaines de kilomètres il n'y a pratiquement que cette essence. Ça devient lassant au quotidien.

Traversée de l'autoroute
Eucalyptus en veux-tu, en voilà
Soto del Barco

Quand ce n'est pas de la forêt d'eucalyptus c'est de la route sans trop de circulation en ce dimanche matin.

L'étape sera longue avec beaucoup de montées et donc de descentes, mille mètres en montée et mille aussi en descente, les Asturies ce n'est pas plat du tout.

Depuis des heures que je marche, je ne rencontre personne, ni pèlerins ni randonneurs. L'ambiance a totalement changé. Depuis que je fais de longues étapes, aucune rencontre. Évidemment je choisis aussi des hébergements avec chambre personnelle, ça limite les contacts mais l'essentiel c'est de bien dormir. Chez ZZ Top, ce n'était pas top car des braillards ont déambulés une partie de la nuit sous mes fenêtres pas top, elles non plus.

El Castillo
Soto del Barco
Caserio Cuesta La Bana

Des villages perchés défilent d'une vallée à une autre. Aussitôt la montée terminée, la descente vient immédiatement après. Pas de plat, je m'étais habitué à la platitude. Ce n'est pas pour aujourd'hui.

San Juan de Piňera
Traversée d'autoroute
Cuderillo, le château

Ma montre m'indique que je devrais arriver vers quatorze heures, quatorze heures trente. Soto de la Luiňa n'est qu'un petit village perdu dans la brousse asturienne. Mes deux énormes croissants achetés hier feront l'affaire pour ce matin, je garde mon sandwich en réserve au cas où je ne trouve rien à manger pour ce soir.

La Magdalena en panorama
La Magdalena à Cuderillo

Le seul passage en presque bord de mer est à la plage de Magdalena, il est plus de treize heures, je m'accorde une pause dans le parking de la plage. Une montée, une de plus, m'attend juste après.

Sur tout le parcours seules deux pèlerines rencontrées. Mais où sont-ils passés ?

Pour arriver à Soto de la Luiňa, il.faut grimper une dernière fois sur une colline forestière avec vue sur les autoroutes et les ponts gigantesques reliant les vallées entre elles.

La campagne de Soto de la Luiňa
Le final

Je n'ai rien réservé car l'offre est abondante dans ce patelin perdu. Vers quatorze heures trente, heure de mon arrivée, je me dirige directement vers l'albergue communal. Dortoir immense totalement vide, c'est donativo mais le lieu ne m'inspire pas. Personne à l'accueil, seul dans un espace d'au moins quatre cents mètres carré. Je file de là, j'appelle un hostel pour pèlerin que j'ai vu en arrivant dans le patelin. Pour dix-huit euros chambre personnelle. Banco, j'y vais et en plus ils font restaurant. Petit tour dans la bourgade déserte pour tuer le temps, rien à voir, rien à photographier. Ici tout est à vendre, les magasins, les maisons, les terrains. La plage la plus proche se situe à cinq kilomètres de là. Soto de la Luiňa se meurt lentement mais sûrement. Tiens cela fait deux mois que je suis sur le camino, je ne peux même pas fêter cela dignement. Vivement demain.

Soto de la Luiňa
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Date : lundi 6 juin 2022

Heure de départ : 5h30 - Arrivée : 14h00

Distance : 35 kilomètres

Étape à Luarca (Asturies) - 252 km

C'est devenue une habitude de me lever tôt, je ne rechigne pas une seconde, la nuit je marche à mon aise, seul dans l'obscurité et mes sens en éveil.

Je démarre par une côte pour sortir de ce bourg en perdition. Sur la route principale, j'allume ma frontale pour être visible et ne pas rater un fléchage ni passer mon temps à lorgner sur ma montre.

Je quitte la route après un quart d'heure pour un chemin caillouteux et très humide, pas simple de nuit mais en y allant tranquille ça passe. Je m'élève sur une crête, je suis une piste dans une forêt d'eucalyptus, encore une. Je ne les vois pas mais l'odeur ne trompe pas.

Le jour arrive tranquillement, mes yeux habitués à la pénombre, découvrent doucement le décor quasi tropical autour de moi. Les oiseaux passent de branche en branche et moi de pierre en pierre.

Je sens qu'aujourd'hui il va y avoir du sentier, du vrai et peut-être bien du beau paysage si j'en crois le tracé qui devrait frôler la mer en plusieurs endroits. Par contre, l'étape est réputée difficile à cause des montées et descentes incessantes. Je confirme, aussitôt au sommet d'une colline, aucun répit ça redescend immédiatement, pas le temps de sécher le maillot. Je ne suis pas particulièrement essoufflé en adoptant la respiration afghane et en ajustant mon rythme mais par contre côté suée je n'ai pas de remède. Pas grave, le paysage me plaît beaucoup, sombre, sauvage et pas facile.

La mer au loin
Fleur et rosée
Premier spot superbe, patientez

Il est déjà neuf après moultes montagnes russes au décor tropical, un premier spot de mer fait son apparition.

Une petite anse déserte avec des rochers qui baignent dans une mer d'huile, pas un souffle de vent, aucun bruit, une atmosphère humide, un spectacle onirique comme la nature sait bien le faire.

Playa de Tablizo

Bien que le chemin ne va pas vers la mer, un chemin y mène. Je ne vais pas rater cela pour quelques dizaines de mètres de plus. Ce n'est pas tous les jours que je me trouve seul dans un lieu aussi beau, un peu comme seul au monde. Clic-clac, l'image est stockée dans mon téléphone et dans mon cerveau avec une case mémoire spéciale, celle réservée aux belles choses et au plaisir des yeux.

C'était super mais maintenant il faut remonter sur le plateau à travers cette nature tropicale d'un vert intense et d'une humidité suffocante.

Tablizu
Caroyas
Canero

Vers dix heures, je m'arrête dans un bar pour un desayuno où la gérante ne me servira qu'un café avec lecche et une part de cake industriel. Pas cool.

Il me reste encore environ quatre heures de marche avant l'arrivée, le chemin s'écarte un peu de la mer que je vois au loin grise et calme. Elle se confond avec le ciel gris bleu d'aujourd'hui, décidément le beau temps ce n'est pas dans les Asturies que je vais le trouver. Ce matin quelques gouttes ont failli me faire sortir le poncho qui finalement est resté dans le sac. Malgré ce temps médiocre, je suis bronzé comme un touriste, la peau de mes bras et de mes mains totalement tannés ont pris la couleur cuivre. Si j'enlève le tee-shirt j'ai l'impression de porter de longs gants en cuir de vache marron, ça jure avec le reste du corps.

Luarca

Michelle et Philippe m'ont envoyé un petit poème mignon et touchant que je partage :

Seul sous les eucalyptus

Pas un chat, pas un bus

Je monte et je descends

En gardant mon croissant

Jamais je ne rebrousse

Mon chemin dans la brousse

Où je vais pedibus

Que désirer de plus ?

Cela fait deux mois et deux jours que je chemine bon train sur le camino, il ne me reste que neuf jours jusqu'à Santiago, ça devrait le faire. Inch'Allah.

Le port de pêche
Le phare
Le phare et la jetée
67

Date : mardi 7 juin 2022

Heure de départ : 5h30 - Arrivée : 13h15

Distance : 31 kilomètres

Étape à La Caridad (Asturies) - 222 km

Luarca me semble déjà loin après une montée en lacets en direction de l'ouest. Ma frontale ne me sers à rien ce matin, le camino prend une route vicinale et s'élève sur le plateau au-dessus de la mer. L'absence de nuages rend la matinée plutôt fraîche, je garde la Goretex sur moi le temps de me chauffer le corps.

Lever du jour

L'étape de plus de trente kilomètres ne devrait pas être difficile, peu de montées donc peu de descentes, d'après le guide cela devrait être relativement plat. Les kilomètres défilent, le jour fait son apparition à l'est donc dans mon dos. Aussi je me retourne de temps à autre pour voir l'évolution des couleurs du ciel et tenter de faire une belle photo de nuit mais il n'y a pas assez de nuages pour cela, ça sera pour un autre jour.

Déjà dix kilomètres, une petite pointe de douleur apparaît sur ma jambe droite. Elle m'avait foutu la paix depuis au moins un mois. Comment va évoluer cette pointe juste au-dessus du pied ? J'avance, je verrai bien.

L'étape suis de loin l'autoroute que finalement je ne quitte jamais et cela depuis San Sebastian. Un ouvrage immense au-dessus de moi m'oblige à lever la tête pour en mesurer toute sa grandeur. Le tapage que font les véhicules à toute vitesse lorsqu'ils roulent sur les joints de dilatation du pont masque le bruit des oiseaux et des insectes aux alentours.

La pointe de douleur à tendance à se propager vers le haut de la jambe sur le tibial antérieur sur une échelle de trois sur dix pour la sensation. Rien de grave mais il va falloir faire quelque chose. A la prochaine ville, Navia, je m'arrête pour mettre un pansement anti-inflammatoire. Dix heures trente, j'arrive à Navia, petite ville au bord d'une grande rivière qui porte le même nom. Je prends mon temps dans un parc pour faire les premiers soins et faire une pause. Je pense que je paie la journée d'hier du fait de ces dénivelés incessants. Pourtant je ne ressentais absolument rien à ce pied hier. C'est ainsi, le camino n'a pas de pitié pour le pèlerin même après plus de mille six cents kilomètres.

Traversée de la Navia
Cette fameuse autoroute
Arrivée à Navia

Après quelques kilomètres, je ressens une petite amélioration mais il est trop tôt pour poser une affirmation définitive. Je devrais arriver vers treize heures, la meilleure façon de guérir sera le repos.

Treize heures quinze, je vois l'albergue du jour, je suis dans les temps presque huit heures de marche, le repos me fera du bien. Si près du but, je dois vraiment prendre le maximum de précautions.

La Caridad est un village sur la côte ouest des Asturies, capitale du conseil d’El Franco. On dit que le nom du village vient de la charité dont les villageois font preuve à l’égard des pèlerins.

Demain dernier jour en Asturie et dernier jour du paysage de mer, une fois franchie la Ria de Ribadeo je serai en Galice pour foncer vers Santiago de Compostelle.

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Date : mercredi 8 juin 2022

Heure de départ : 5h45 -Arrivée : 12h08

Distance : 27.5 kilomètres

Étape à Ribadeo (Galice) - 194 km

Dans une semaine exactement à cette même heure, il me restera juste quelques kilomètres pour arriver à Santiago de Compostelle évidemment si tout de passe comme prévu. Demain et après demain deux étapes à plus de trente kilomètres, je dois les gérer parfaitement pour minimiser le réveil d'une éventuelle tendinite.

Départ à cinq heures quarante-cinq, il est tombé quelques gouttes à La Caridad mais le temps n'a pas l'air de vouloir tourner à l'orage. Par contre, il fait chaud et humide pas simple pour marcher.

Camino vers le côte

Le guide m'indique qu'il fait une entorse (ne parlons pas de malheur) au camino. En fait, le camino évite quasiment la côte, il passe par l'intérieur qui n'a aucun intérêt. Par contre par la côte c'est un peu plus long, six kilomètres de plus, je ne suis pas à cela près. Je choisis évidemment la côte car c'est le dernier jour pour les paysages de mer avant de bifurquer directement vers le sud-ouest pour atteindre Santiago. De plus, il ne devrait pas y avoir beaucoup de pèlerins ce qui est un plus pour moi.

Capo Redondo

En moins d'une heure après le départ me voilà sur la côte. Le jour s'est levé par contre le ciel demeure couvert d'un bleu gris tendance déluge en préparation. Peu importe, le paysage mélancolique aux couleurs pastels me donne de l'énergie pour avancer malgré le réveil de la douleur à la jambe droite. Pour l'instant rien de grave, faudrait pas que ça dégénère, je parle de la jambe bien sûr. J'ouvre bien les yeux pour capter un maximum de pixels naturels du tableau face à moi. Il est à peine sept heures, seul dans ce désert côtier je savoure toute ma chance d'être là, ici et maintenant dans ce paradis perdu des derniers arpents de terre des Asturies. Dans quelques heures, une fois passée la Eo, rivière frontière avec les Asturies, je serai en Galice, dernière région du périple.

Playa de Porcia

C'est une sensation à la fois intense et mystérieuse de se trouver seul dans un milieu côtier désert, sauvage où quelque soit l'endroit où je pose les yeux il n'y a que du grandiose, une aquarelle parfaite de la nature. L'air chaud, ce qui n'est pas coutume rend la sensation encore plus intense, je m'y sens comme dans un cocon, en sécurité. Une envie de rester là en contemplation, juste pour ressentir ce paysage austère et superbe.

Village de Tapia Casariego

Il est l'heure de faire une halte café con lecche et peut-être un croissant. Tapia Casariego marque la fin de la première partie côté mer. La halte va me redonner un peu de punch et reposer la jambe légèrement douloureuse. La douleur persiste mais n'empire pas. A chaque arrêt, elle disparaît pour revenir dix minutes plus tard. A Ribadeo, je rachèterai une pommade, les miennes sont peut-être un peu limite en ancienneté, il me reste du Flector, je changerai le pansement.

La halte m'a requinqué, le chemin repasse un peu dans les terres, il reviendra vers le bord côtier presque en fin d'étape un peu avant l'arrivée à Ribadeo. Du côté gauche, les montagnes sont très encombrées de nuages menaçants chargés d'eau. Par endroit il pleut, je peux voir les averses isolées se déverser sur les pentes des collines vertes environnantes. Vers moi, pour l'instant, un peu de vent et pas de gouttes.

L'étape de vingt-sept kilomètres me paraît courte, je devrais être à Ribadeo un peu après douze heures. J'aurai toute l'après-midi pour reposer ma jambe et préparer les étapes suivantes pour l'hébergement et la distance à parcourir, pour lisser au mieux chacune d'elles.

Douze heures, je suis sur le pont de presque un kilomètre qui relie les Asturies à la Galice. En face Ribadeo, quelques gouttes de pluie n'augurent rien de bon pour la suite. Je me dirige illico vers l'hôtel, en chambre solo. La gérante m'a surclassé pour le même prix, elle parle français ce qui facilite les échanges. Demain matin, je pourrai même prendre un petit-déjeuner dans le salon, je me servirai à volonté. Dans ma chambre, j'entends l'averse tambouriner, je m'en fiche, je suis à l'abri et au chaud.

Arrivée à Ribadeo

Ribadeo est située dans la province de Lugo en Galice. Ribadeo signifie « Riba » (rive) del Eo (de la ria Eo). En effet, elle borde la rive galicienne de l’embouchure de l'Eo.

Autre curiosité, la Plage des Cathédrales, ou Las Catedrales en castillan ou As Catedrais en galicien est une plage de la paroisse civile d'A Devesa dans la commune de Ribadeo sur la mer Cantabrique, connue pour les formes spectaculaires de ses falaises, c'est malheureusement trop loin pour moi.

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Date : jeudi 9 juin 2022

Heure de départ : 5h30 -Arrivée : 14h30

Distance : 35 kilomètres

Étape à Mondoñedo ((Galice) - 157 km

Ribadeo n'est pas une grande ville, en quelques rues je suis déjà dans la campagne par contre ça monte dur, de bon matin ça réveille le pèlerin.Le temps paraît encore incertain, il ne fait pas froid du tout, je démarre en tee-shirt qui commence déjà à être trempé de sueur.Le jour se lève derrière moi, je me retourne pour un photo de cette partie de l'Espagne côtière que je quitte avec envie, il me tarde d'être à Compostelle.

Ribadeo

L'étape est longue, un peu trop pour moi avec ma jambe qui pour l'instant me fout la paix. En partant de mon hébergement j'ai économisé un kilomètre, c'est toujours ça de pris d'autant que les dénivelés sont importants mille mètres en montée et mille mètres en descente. La Galice ce n'est pas plat du tout, du moins dans cette partie de l'Espagne. De la route pour commencer qui s'enfonce dans les terres galiciennes. Je ne vois rien du paysage à cause d'un brouillard sur les collines avoisinantes. J'espère que ça ne va pas être ainsi toute la journée. Je profite d'une éclaircie pour faire une photo.

Je retrouve enfin une large piste forestière bordées évidemment d'eucalyptus, géants et serrés les uns contre les autres ne laissant pas passer le jour naissant.

Au bout d'une heure de marche, la douleur se réveille c'est gérable si cela n'empire pas. Ce matin au réveil aucune douleur, les pansements ont fait leur effet cette nuit. J'ai préparé dans mon camel-back un cocktail d'eau minérale et du jus de citron pour rendre le corps plus basique. Malgré l'acidité du citron il a pour effet d'améliorer l'équilibre basique du corps et ça c'est bon pour les tendinites. Je parle beaucoup de mes bobos mais le sujet est capital pour finir ce périple commencé le quatre avril dernier.

Piste en forêt
Lorenzana
Avant Mondoñedo

Vers onze heures le soleil apparaît, les nuages s'envolent, je sens qu'il va faire chaud. Hier j'ai regardé la météo à la télé galicienne, des températures de plus de trente degrés à l'intérieur du pays et dans le centre de l'Espagne plus de quarante trois degrés. La folie, je vais devoir charrier une bonbonne d'eau si ça se confirme.

Aucun répit pour la douleur malgré des essais spéciaux à savoir bien dérouler le pied en marchant mais comme il n'y a que des côtes ou des descentes pas facile de faire les tests. Après plus de trente kilomètres, pas d'amélioration mais pas de dégradation non plus. Il va falloir que j'intègre cela dans les prochaines étapes. Il ne m'en reste que deux longues demain, trente-cinq et dimanche trente-deux, samedi vingt-six et les trois derniers autour de vingt kilomètres. Pansements anti-inflammatoire, plus pommade, plus citron, plus, Elio ne fait pas l'idiot à marcher trop vite et de ne pas te reposer. Si j’additionne tout cela je devrais y arriver sans trop de dégâts.

La Galice région de Lugo

Comme j'ai un peu la flemme d'aller dans le village, j'ai pris mon courage à deux pieds pour aller au super market du coin, totalement isolé sur la nationale.

Il est dix-huit heures, je mange déjà mon plat de pâtes au thon sauce tomates. Dans mon super albergue je peux cuisiner, j'en profite pour charger les muscles en sucre lent. Pastèque en dessert et eau pétillante pour donner du peps à mon esprit chagriné par ce bobo du marcheur.

Ma cuisine
Mon coin relax
70

Date : vendredi 10 juin 2022

Heure de départ : 5h35 - Arrivée : 14h30

Distance : 38 kilomètres

Étape à Vilalba (Galice) - 120 km

Je sors de l'hôtel, il est cinq heures trente-cinq, je passe devant le cimetière pour enfin voir cette ville éparpillée. Hier je n'avais pas eu le courage d'aller la visiter alors qu'une cathédrale immense rayonne dans le village. Ce matin ce sera de la montée sur les quinze premiers kilomètres, passée la ville, j'aperçois cette cathédrale illuminée de mille lampes, plantée au milieu de la cité endormie. De la route, toujours de la route, raide, avec du brouillard, pas de voitures pour l'instant. Des lignes droites en montée qui n'en finissent pas et la douleur qui elle se réveille bien après une heure de marche. Je fais avec.

Au bout de treize kilomètres enfin une piste sympathique, large plutôt plate. Le jour s'est levé, je peux enfin apercevoir cette campagne galicienne faite de petites montagnes arrondies, de grandes étendues de feuillus, des prés par-ci par-là et des fermes isolées. Petits troupeaux de vaches couchées sur l'herbe humide à cause du brouillard épais chargé d'eau. Ma barbe fait éponge, l'eau goutte régulièrement sur mon tee-shirt mouillé de transpiration, mes cheveux sont trempés comme si je sortais de la douche. Malgré ce temps de chien, il ne fait pas froid, pour les pauses c'est limite. Je dois à chaque fois trouver un endroit abrité de la bise matutinale. Au fur et à mesure que je m'élève la température baisse un peu, il faudrait que ça s'arrête de monter, pour mon confort.

J'arrive au point culminant de quatre cents cinquante mètres d'altitude, j'entame une descente, pendant au moins dix kilomètres c'est presque du plat, j'en ai perdu l'habitude.

Premier village, Abadín, je m'arrête prendre un café con lecche et deux madeleines (magdalena) dans un bar déjà plein de vieux espagnols à la voix forte avec leur café con lecche comme boisson. Ils parlent le galicien ou quelque chose du genre car je ne pige pas un seul mot.

Abadín

Pendant la traversée du village je me dis que je ne voudrais pas habiter ce bourg car les constructions sont un mélange d'anciens immeubles assez délabrés, d'édifices récents très sommaires sans fioritures, de boutiques presque décorées, le tout éparpillés un peu partout. Par contre, la mairie, un super bâtiment moderne, vitré, un peu béton à mon goût mais assez classe trône en plein centre de la ville. Je dis le centre mais je n'en sais rien, en fait, je ne vois pas de centre. Le café était bon, les madeleines sans être de Proust étaient délicieuses et c'est là l'essentiel. Merci Abadín d'exister.

La campagne galicienne

La montée du matin était paraît-il dans une belle vallée mais avec ce brouillard je n'ai rien vu, j'ai deviné tout au plus. Dans la partie relativement plate après Abadín pour la première fois j'aperçois le panneau Santiago sur l'autoroute mitoyenne au chemin. J'avoue avoir eu un peu la gorge nouée de m'imaginer arriver dans ce temple du pèlerinage après toutes ces étapes certaines quelconques, d'autres merveilleuses et quelques-unes bouleversantes d'émotion. Mais je n'y suis pas encore, l'étape du jour est longue et je ne suis pas encore arrivé.

Ça approche...
Petit passage de rivière
Un pont romain

Curieusement un peu après Abadín, la douleur semble faire une pause, l'air s'est réchauffé même le soleil lance des rayons de feu brûlants entre deux zones d'ombre bienvenues.

Presque pas de pèlerins aujourd'hui, deux couples et quatre cyclistes, c'est tout. Dans ce secteur, il y a des variantes, ceci explique peut-être cela.

Vilalba en vue, ma montre indique un kilomètre par contre à vue d'œil cela me semble encore la zone industrielle et la ville paraît beaucoup plus loin. Je sors mon téléphone pour checker mon lieu d'hébergement pour aujourd'hui : deux kilomètres cinq cents plus loin. Mon tracé GPX s'arrêtait au premier albergue de la ville situé dans cette zone industrielle, mon hôtel campe carrément dans le centre historique. Au lieu de trente-cinq kilomètres cinq cents je dois rajouter deux kilomètres et demi. Certes je ne les ferai pas demain mais je suis obsédé par cette épée de Damocles pour ma jambe. Je ralentis mon rythme lorsque j'aperçois cette grande ligne droite de deux kilomètres pour arriver dans le centre.

La place de la mairie
La tour Homenage
Église Santa Maria
La rue principale

Que dire de Vilalba, c'est la ville de Ramón Chao, journaliste et écrivain, père de Manu Chao.

Me gustan los aviones, me gustas tú

Me gusta viajar, me gustas tú

Me gusta la mañana, me gustas tú

Me gusta el viento, me gustas tú

Me gusta soñar, me gustas tú

Me gusta la mar, me gustas tú

Vous connaissez certainement.

71

Date : samedi 11 juin 2022

Heure de départ : 6h42 -Arrivée : 13h45

Distance : 28.8 kilomètres

Étape à Santa Locadia (Galice) - 91.199 km

Ce matin je me relâche un peu, lever à six heures vingt. Hier soir j'ai eu la flemme de préparer mon sac, en moins de dix minutes tout est expédié, je n'ai plus qu'à déguster mon croissant et boire mon yaourt soja mangue. Le lait pas bon pour les tendinites.

Comme j'étais à l'extrémité avancée de la ville, en cinq minutes elle paraît déjà loin. Il fait jour, le ciel encore moche, gris délavé, juste un tout petit vent, idéal pour marcher.

Après quelques rues, le chemin emprunte un beau sentier bien balisé avec de minuscules montées, le chemin idéal. Comme presque d'habitude mon pied ne transmet aucune douleur pour l'instant. Je verrai en chemin l'évolution de la blessure.

Vilalba au loin
Un pont romain
Magnifique construction

Hier je pense avoir passé les petites montagnes qui séparent la partie côtière de la partie intérieure de la Galice. D'après le guide ce devrait être une étape relativement plate, très bon pour ma jambe.

Le paysage a totalement changé depuis hier, d'un pseudo paysage de petites montagnes, je passe à des vallons de feuillus de tous types, des eucalyptus bien sûr, des taillis ressemblant à du maquis, des champs pour les vaches et de petites fermes déjà en activité. Je marche seul dans ces forêts impénétrables et cette verdure abondante , quelques oiseaux bavards diffusent leur symphonie pastorale pour mon plus grand bonheur.

Chemin bordé de lauzes
Ermida Santo Andrian

L'étape du jour est un arrangement entre deux étapes, une trop courte, l'autre trop longue, le compromis se situe à Santa Locadia, dans un petit albergue où la gérante Elena veut le confort maximum pour les pèlerins. Le plus, il est situé au milieu de nulle part en pleine brousse galicienne, un petit havre de paix dans un décor forestier digne des films hollywoodiens. Avant d'arriver dans ce petit paradis, je passe par Baamonde, la ville où j'aurais dû faire étape si j'avais suivi le guide. Baamonde n'est qu'à dix-huit kilomètres de Vilalba, départ de ce matin. Je cherche un café pour prendre mon déjeuner même s'il n'est que onze heures trente. Sandwich omelette et de l'eau parfait j'avais envie de manger des œufs. Baamonde, village symbole où est planté la borne du kilomètre quatre-vingt dix neuf virgule neuf cent quatre-vingt quatorze mètres pour être précis.

Tout un symbole, 99.994 km
Je vois le bout du tunnel

Hier je me disais que l'étape ne serait peut-être pas à la hauteur des autres paysages que j'ai déjà pu admirer. Je me suis trompé, le tronçon me convient totalement, je m'y sens bien, j'avance tranquillement avec parfois quelques bouffées d'émotion sans raison apparentes. Toutes ces heures avalées pas après pas, tous ces paysages mémorisés quelques part dans mon esprit, cette mer aux couleurs changeantes et infinie venue à ma rencontre me baigner les pieds dans mes moments de détente, toutes ces petites ou grandes villes bouillonnantes de vie, tous ces villages traversés trop rapidement, tous ces gens que j'ai croisés d'un regard furtif, toutes ces rencontres éphémères ou plus profondes du camino inscrites à jamais dans mon ADN, toutes les pensées heureuses que j'ai eu pour mes ami(e)s, tous ces messages bienveillants d'encouragement reçus chaque jour par vous tous, tous ces instants privilégiés de discussion avec mes enfants, tous ces appels et nos petits mots électroniques avec Guylaine, tout cela fait partie de moi, c'est dans mon système immunitaire, mon corps s'est musclé, mon esprit s'est ouvert pour accueillir tout cela. Va savoir ce qui se passe dans l'âme du pèlerin après avoir parcouru des centaines de kilomètres, à un moment donné il faut que ça sorte d'une manière ou d'une autre. Moi, ça sort un peu aujourd'hui, inexplicable, je ne tiens pas à en avoir une explication. C'est très bien ainsi.

Capelo do Santo Alberte
Capela do Santo Alberte
Le maquis galicien

Le camino prend aussi des petites routes de campagne calmes avec de chaque côté une nature épaisse, parfumée, très verte, silencieuse, reposante, idéales pour le pèlerin solitaire que je suis.

Proche de l'hébergement de ce soir

Les distances sur les bornes me semblent correspondre à la réalité par contre celles des guides numériques ou papier donnent des indications de distances assez aléatoires. C'est souvent à un ou deux kilomètres près. Pour la fin du camino, je me fis aux bornes installées de façon très rapprochées, impossible de se tromper ou d'en louper une. En Galice, ils font les choses sérieusement.

Albergue Witericus

Il est treize heures quarante-cinq fin de l'étape. Mon pied, presque aucune douleur, je passe d'une échelle d'intensité de quatre sur dix à un sur dix. Youpi, je le dis à voix basse pour que les lutins ou autres farfadets malfaisants du camino ne m'entendent pas. Plus que quatre étapes et j'y suis. Je devrais dire trois car la dernière ne sera que de quatre ou cinq kilomètres pour profiter de la ville, pour arriver tôt à la validation de la crédenciale par les autorités jacquaires espagnoles, pour organiser le retour avant de continuer sur Cabo Fisterra et surtout savourer l'instant de l'arrivée.

72

Date : dimanche 12 juin 2022

Heure de départ : 5h42 - Arrivée : 13h30

Distance : 32 kilomètres

Étape à Sobrado dos Monxes - 61 km

Hier soir j'ai dîné avec un hollandais, one more, fort sympathique, plutôt attiré par le vino tinto (vin rouge), nous avons sympathisé, comme il ne voulait pas passer pour un pochetron il m'a invité à sa table pour boire la bouteille de tinto. En le servant, car il avait la tremblote aux deux mains, il me dit de bien me servir. Sur l'instant je n'ai pas saisi cette remarque. Alors que j'avais à peine entamé mon verre correctement rempli, il siffle la bouteille en deux-deux. Avec sourire il me regarde et me dit : "Je t'avais prévenu !". Je me suis incliné face à ce grand gaillard d'un âge très avancé. Nous avons continué de parler, apparemment il tenait le choc. J'ai voulu partagé la note pour la bouteille (50/50), pas en fonction de la consommation réelle de chacun évidemment, rien à faire, il me trouvait sympathique j'étais son invité. Alléluia !

Alléluia, c'est la chanson qu'il a chanté dans le courant de l'après-midi autour d'un verre de tinto qu'il a encore absolument voulu me payer. Ce monsieur avait rencontré sur le chemin une professeure de chant qui lui avait dit que tout un chacun pouvait chanter très correctement. Pour cela il suffisait de se lancer, ce qu'il fit devant moi illico. Je peux dire que c'était pas mal, même plutôt bien pour un débutant. De mon côté, je me suis abstenu, ce qu'avait dit cette professeure n'était peut-être pas une règle absolue.

Alto de Mámoa - 640 m

Départ à cinq heures quarante-deux, nuit noire, lampe frontale obligatoire même sur la route je n'y vois rien, pas de lune, aucun éclairage, mes sens ne captent pas les bords de la route goudronnée. Pas grave, dans quarante minutes environ il fera jour. La route goudronnée traverse plusieurs petits hameaux endormis même les chiens n'aboient pas alors que d'habitude ils me flaire à cent lieues. Une heure plus tard, après ma pause presque religieuse, oui, si je ne peux pas m'asseoir j'attends piqué là comme un cierge devant la Madone, une piste large, belle, avec une montée progressive, qui s'élève vers Alto Mámoa, un petit passage dans la montagne avec vue imprenable sur les forêts galiciennes. Dommage que le ciel soit un peu bas, il chatouille les sommets plus hauts aux alentours, de plus un vent frais, à décorner les taureaux, m'oblige à limiter mes pauses pour éviter de trop me refroidir. Je n'ai pas mis la Goretex mais c'est limite, avec la veste j'aurais eu trop chaud. Pas facile le compromis.

Presque six cents mètres d'ascension pour grimper sur ce petit col et deux autres qui s'enchaînent. Les deux tiers du parcours de trente-deux kilomètres rien que de la montée assez facile. Les grimpettes ne sont pas raides comme les jours précédents ce qui m'arrange carrément, primo pour mon pied qui ne souffre pas, secundo cela m'évite de transpirer, tertio j'en ai déjà assez fait des montées raides depuis le quatre avril et quatro, je n'ai pas de quatro.

Le paysage n'est plus le même qu'hier, les eucalyptus ont disparu pour laisser la place aux résineux des montagnes même si l'altitude demeure modeste.

Par contre, des hameaux, des maisons, des vaches, des chiens qui aboient mais pas une âme qui vive, pas un troquet, pas un bar, rien depuis plus de cinq heures de marche, le désert total, même pas un pèlerin. Seul dans cette immensité au milieu de nulle part.

Il est presque midi, il me reste sept kilomètres à parcourir, j'arrive à Mesón, petit hameau avec un bar. Alléluia !

Ça y est je suis un adepte de la tortilla francesa, sandwich avec une énorme omelette pour trois euros cinquante, que je savoure religieusement. L'omelette dépasse de tous les côtés du sandwich énorme. Merci madame la serveuse pour ce big mac(dos) - le dos ça fait espagnol- savoureux et ce café con lecche servi dans une énorme tasse. Il me plaît bien ce village de Mesón, je m'en souviendrai. Futur pèlerins Del Norte rappelez-vous de Mesón si vous aimez les omelettes évidemment.

Lagoa de Sobrado de Monxes

A partir de Mesón, c'est la descente et un meilleur temps avec même un peu de soleil qui réchauffe mon corps un peu transi. Comme l'altitude baisse le vent est moins fort, l'air plus chaud, je me sens mieux. Sacrée omelette quand même, quand j'y pense.

Au bar pendant que je dégustais cette tortilla francesa, je reçois un message de Louis, le jeune philosophe. Photo de la cathédrale de Santiago avec un mot très gentil pour saluer notre rencontre. Touchant. Ça y est il est devenu jacquet.

Pour que le temps passe plus vite pendant ces heures passées dans la montée, j'ai médité en marchant. Ça ne m'était jamais arrivé de le faire aussi longtemps. Mes seuls écarts étaient de jeter un coup d'œil à ma montre de temps à autre pour ne pas rater ma pause. En fait, je me suis aperçu que je regardais ma montre presque toutes les vingt minutes. Je suis réglé comme une horloge suisse. Le temps passe incroyablement vite ainsi, je n'ai pas vu passer la matinée depuis mon départ à cinq heures quarante-deux.

Dans la descente vers Sobrado, je suis passé en mode organisation. J'ai fait mon petit calcul de la distance restante pour les jours à venir, j'ai fait le bilan de mon pied pas totalement guéri mais plus aucune douleur et je me suis dis, Elio, change ton programme. Je devais arriver à Santiago mercredi matin, il me reste soixante kilomètres à parcourir, si demain lundi je fais quarante kilomètres et mardi vingt, je pourrais ainsi arriver avec un jour d'avance. Comme j'ai déjà réservé une chambre en solo dans le grand séminaire de Santiago pour la nuit de mercredi à jeudi, il ne reste plus qu'à réserver une nuit supplémentaire pour la nuit du mardi au mercredi. Ainsi je vais profiter de Santiago mardi après-midi car je vais arriver tôt le matin (vingt kilomètres, du pipi de chaton et en plus je partirai à l'aube à l'heure où blanchit la campagne...) et toute la journée de mercredi pour préparer mon retour au bercail retrouver ma chérie.

Il est seize heures, tout roule comme sur des roulettes, j'ai un albergue à vingt kilomètres de Santiago, j'ai ma réservation pour mes deux nuits dans le séminaire. Que demander plus ?

Sobrado dos Monxes, son nom a deux origines possibles: certains soutiennent que le mot provient du latin superadditum, qui veut dire “ le haut de la maison”, et d’autres pensent que ce serait plutôt desuberatum, chêne – liège, arbre très commun dans la région (qu’en galicien on nomme sobreira). Les romains ont donc laissé des traces flagrantes de leur passage. Ils sont vraiment partout ces romains.

Le monastère, une merveille
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Date : lundi 13 juin 2022

Heure de départ : 5h24 - Arrivée : 14h30

Distance : 39 kilomètres

Étape à Arzúa puis Santa Irene (Galice) - 22.5 km

Je viens de démarrer et j'ai déjà hâte de terminer cette étape, la dernière avant Santiago.

Mais il me reste neuf heures de marche les arrêts inclus pour arriver à Santa Irene, lieu-dit situé à dix-sept kilomètres de marche après Arzúa, ville de jonction du camino Frances et le camino Del Norte.

Je prends la route dans la nuit, d'abord la nationale puis une petite route de campagne que je rate sur cent mètres, mon radar interne m'a prévenu : tu n'es pas sur le bon chemin, la montre n'avait rien signalé ou alors je ne l'ai pas entendue.

Je marche rapidement, peut-être un peu trop vite sur cette route de campagne silencieuse et totalement noire. Au loin j'aperçois un bestiau, un chat, un chien ou autre, je ne sais pas exactement. Il avance vers moi, je lève mes bâtons pour ne pas faire le tic-tac avec le sol. Le vent vient sur le côté, il ne peut pas me flairer, c'est un renard, il est à environ quinze mètres de moi, il m'aperçoit, s'arrête net et s'esquive immédiatement dans les fourrés. Il était certainement à la recherche de nourriture. Belle rencontre mais trop courte.

La seule piste du jour sur le Norte

Après trois heures de marche, Boimorte, petite ville, un café ouvert. Alléluia. Café, croissant comme d'habitude. Le gérant m'apporte gentiment des biscuits et des cakes et me fait comprendre que je peux me servir à volonté. "Desayuno" me dit-il. Toute cette attention me touche, il me souhaite buen camino.

Je repars avec l'envie de faire cette étape contrairement à ce matin.

Il est onze heure, j'arrive à Arzúa, ville de jonction. Petite pause sans un jardin public, je pose mon sac, le temps d'avaler une banane, des dizaines de pèlerins du camino Frances défilent devant moi alors que depuis cinq heures vingt-quatre ce matin je n'ai vu qu'un renard et trois personnes dans le bar à Boimorte. Choc. J'ai passé des centaines de kilomètres quasi seul et là le temps d'une banane des dizaines, une vraie autoroute. C'était juste la rencontre du renard et le pèlerin barbu mais personne n'a écrit cette histoire pour l'instant.

La jonction Frances-Norte

Après Arzúa, une vraie piste comme je les aime. En fait je pense que c'est obligatoire car vu le monde si c'était un sentier il y aurait la queue jusqu'à Ronceveaux. Vu le ciel, la journée va être très chaude, en principe entre quatorze heures et quinze heures je devrais arriver à l'albergue. Je n'ai pas l'habitude de la chaleur, sur plus de soixante-dix jours de marche, une dizaine de jours où le soleil a été vraiment présent, le reste du temps, nuages menaçants et seulement deux ou trois jours incomplets de pluie. Je peux même dire, quelques heures de pluie en tout. L'autre jour le fameux hollandais à vocalises qui aimait beaucoup le vino tinto m'a demandé si j'avais une connexion avec le ciel pour avoir eu aussi peu de mauvais temps depuis deux mois et demi. Je lui ai dit que je n'en savais rien mais au fond de moi je sais que j'en ai une.

Grande piste
Campagne de Galice

Depuis Arzúa il me reste dix-sept kilomètres à marcher, j'ai hâte d'arriver, tant pis pour les pauses, je boirais un peu plus. Mon pied me lance un peu, peut-être à cause des grands dénivelés d'hier ou sans doute un départ matinal un peu trop vif mais c'est très supportable. Je ralentis un peu, c'est plus sage.

J'arrive à l'albergue, petit, accueillant, mignon et pour vingt-quatre euros nuit dans un vrai lit avec serviette de bain plus dîner complet. C'est le top.

Demain départ à quatre heures pour les vingt-deux kilomètres et cinq cents mètres qu'il me reste à accomplir. Hier il me restait soixante kilomètres à parcourir aujourd'hui juste un peu plus de vingt. Ça y est j'y suis. Presque.

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Date : mardi 14 juin 2022

Heure de départ : 4h00 - Arrivée : 8h40

Distance 22.5 kilomètres

Fin de la saison 4 à Santiago de Compostela (Galice) - 0 km

L'albergue était pourtant très confortable, pas de ronfleur mais je me suis réveillé vers une heure du matin, impossible de me rendormir. Certainement l'excitation de l'arrivée imminente ou autre bizarreries du cerveau la veille d'un jour important.

Quatre heures pile, je démarre, pleine lune, le temps idéal pour marcher, j'emprunte une route éclairées sur plusieurs kilomètres avant de bifurquer dans une forêt dense et totalement silence, aucun bruit, même le vent ne s'affiche pas ce matin.

Une peinture murale

La cadence rapide de mes pas entretient l'envie d'arriver tôt à Santiago et réciproquement. Le halo de la lune n'arrive pas à percer l'épaisseur de la couche forestière, ma frontale allumée me permet de ne pas rater un éventuel changement de direction. Ce n'est jamais le moment de se tromper mais ce n'est certainement pas aujourd'hui qu'il faut faire du rabe. Chaque pas me rapproche du kilomètre zéro, les bornes signalétiques posées très proches les unes des autres semblent être comme un compte à rebours mécaniques en affichant la distance restante au mètre près.

Je suis dans dans une montée, il y en a deux sur ce parcours final de vingt-trois kilomètres, une pèlerine assise sur un muret me fait presque sursauter. Hola traditionnel. Visiblement elle semble totalement épuisée au son de sa forte respiration et de sa posture courbée comme si elle avait la planète entière sur sur ses épaules. Elle faisait une pause pour reprendre un peu d'énergie. A ce rythme elle n'y sera pas avant ce soir à la capitale de la coquille sauf si ce n'est pas l'étape finale. Sa collègue l'attend plus loin avec sa frontale allumée. C'est difficile de marcher à plusieurs lorsqu'on n'a pas le même moteur dans son corps et dans sa tête aussi.

Sous le pont d'une autoroute

Je maintiens une bonne vitesse depuis mon départ très matinal, mon pied ne me transmet aucune alerte, la piste ne présente aucune difficulté. J'entends progressivement les poumons de la ville mythique sans apercevoir pour l'instant sa luminosité. Le jour renvoie toute la lumière du décor encore presque invisible quelques instants auparavant. Je suis proche de l'aéroport et certainement très proche du bout d'une piste de décollage des avions de ligne car un bruit terrible vient rompre le fond sonore de la ville. J'ai l'impression que l'avion est à quelques mètres de moi tellement le son des réacteurs envahit l'espace dans un fracas supersonique étourdissant. Enfin il décolle amenant avec lui certainement une cohorte de pèlerins heureux d'avoir fait le camino.

Bâtiment de la la RTVE
Un albergue gigantesque
Premier contact avec Santiago

Ça y est les faubourgs de la ville apparaissent au milieu d'un vacarme urbain déjà bien présent alors qu'il n'est que sept heures trente. Dans moins d'une heure je serai dans le centre de la ville planté sur la borne du kilomètre zéro. Bizarrement j'avance comme si ce n'était qu'une étape de plus, heureux d'être là, je réduis même un peu la cadence non pas pour savourer le décor de la zone industrielle mais juste pour me dire, il ne peut plus rien t'arriver, tranquille, tu y es.

Au kilomètre cinq, je règle ma montre en LiveTrack, c'est à dire que je peux envoyer un lien qui permet de suivre en direct donc en temps réel ma progression sur une carte depuis un ordinateur ou un téléphone. J'envoie évidemment le lien à Guylaine qui illico se connecte et peut donc suivre la petite flèche bleu qui se déplace en fonction mes mouvements. Nous sommes deux à partager cet instant où d'abord les pointes de la cathédrale apparaissent, puis une partie de la cathédrale puis enfin la place centrale où quelques dizaines de pèlerins se selfyent et poussent des cris de joie.

Vingt mètres, dix, cinq, deux, je pose le pied sur le kilomètre zéro, je m'immobilise.quelques instants. Il est huit heures quarante, j'ai avalé totalement le parcours, il est en moi dorénavant. Je suis surpris de ne pas avoir de vapeurs d'émotion. Juste heureux d'être ici et maintenant, vivant et serein.

Il me reste mille choses à faire. D'abord trouver quelqu'un qui puisse me prendre en photo devant cette majestueuse cathédrale, la photo qu'il faut absolument faire puis aller aux bureaux d'enregistrement de la crédenciale, puis à la gare pour prendre mon billet Santiago - Irun, puis mon billet de bus Muxia- Santiago, entre tout cela un petit-déjeuner et ensuite retrouver ma chambre monacale au grand séminaire de Santiago.

Une queue de pèlerins pas énorme patientent pour l'ouverture à neuf heures du sacrosaint enregistrement de la preuve de l'itinéraire vous délivrant ainsi votre certificat officiel.

En moins d'une demi-heure je ressors avec mon papier où dorénavant il faudra m'appeler Hélium comme vous pouvez le voir sur l'image ci-dessous.

Pourtant la gentille opératrice avait ma carte d'identité sous les yeux, qu'elle a scrupuleusement recopiée sur son ordinateur. Vas savoir. Aucune importance.

Finalement ça me plaît bien de m'appeler aussi Hélium. L’hélium est l'élément chimique de numéro atomique 2, de symbole He. C'est un gaz noble (ou gaz rare), pratiquement inerte, le premier de la famille des gaz nobles dans le tableau périodique des éléments. Son point d'ébullition, donc colère impossible dorénavant, est le plus bas parmi les corps connus, et il n'existe sous forme solide que s'il est soumis à une pression supérieure à 25 atmosphères. Grâce à ce document je suis devenu un gaz répandu en majorité sur la terre. L'hélium est, après l'hydrogène, l'élément le plus abondant dans l'Univers. La seule chose qui me chagrine est que l'hélium n'a que deux atomes. Ça c'est du sacré dépouillement, vous ne trouvez pas ?

La messe des pèlerins
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Comme c'est un jour relax, je serai relax pour le blog aujourd'hui.

Matinée passée en partie à voir défiler des militaires et des gradés sur la place de la cathédrale. D'après les informations que j'aie eu c'était pour honorer des bidasses qui avaient fait tout ou partie du camino. Déçu, hier je n'ai pas eu la fanfare. (rires). Fort heureusement, j'ai fait la connaissance d'un jeune allemand de Stuttgart, restaurateur (Miam-miam) de son état avec qui j'ai bavardé de tout et de rien pendant les deux heures de la parade très solennelle et totalement soporifique à la fin.

Ce défilé religieux avec fusils et étendards plus tambours et trompettes jurait totalement avec l'ambiance festive des arrivées massives des pèlerins pour certains bien éclopés mais heureux. Un pèlerin à Santiago se reconnaît, lorsqu'il n'a pas son accoutrement jacquaire, à sa démarche claudicante et sa demie face marquée d'une grimace de douleur persistante et l'autre demie face figée d'un sourire de joie ou de soulagement.

Ne pouvant plus tenir plus de deux heures figés au même endroit, vous comprenez aisément pourquoi, je m'en vais sillonner les rues marchandes pour quelques souvenirs à ramener. Il va de soi que cela sont totalement physiques et matériels.

Une rue de restaurants dans le marché couvert

J'ai traîné jusqu'à quatorze heures dans les rues très achalandées puis retour au séminaire qui n'a plus rien de religieux, pour virer au moins soixante pour cent des affaires de mon sac. Je laisse ces affaires inutiles en consigne avec les cadeaux jusqu'à mon retour de Muxia, soit dimanche soit lundi. Demain, j'aurai donc un sac qui pèsera moins de cinq kilos. Je compte évidemment sur le beau temps probable et sur la bienveillance du grand ordonnateur. S'il venait à faire un peu froid, je penserai aux beaux messages que vous m'avez fait parvenir tout le long. Ils me réchaufferont le corps et réconforteront le cœur. A demain pour la saison cinq.

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Date : jeudi 16 juin 2022

Heure de départ : 6h10 - Arrivée : 13h30

Distance : 35 kilomètres

Étape à Vilasiera (Galice)

Hier j'ai décidé que je ne m'arrêterai pas à Negreira car l'étape est trop courte et le paysage risque d'être monotone donc j'irai jusqu'à Vilasiera, petit hameau situé à douze kilomètres après la ville de Negreira.

Départ à six heures dix, je rejoins la place de la cathédrale, les rues désertes paraissent totalement tristes et presque insignifiantes. Ce sont bien celles de Santiago mais sans animation elles pourraient être de n'importe quelle ville.

Je sors de la cité en empruntant une route secondaire puis un sentier large, bien signalé. Je suis en Galice, dans cette région le camino représente énormément, la région fait beaucoup d'efforts et des investissements importants pour la maintenance du sentier.

La place de la cathédrale
Première borne du matin
D'abord de la route

Sur le chemin, je rencontre un espagnol d'une cinquantaine d'années, seul et très bavard. Il ne parle pas un mot ni de français, ni anglais, seulement espagnol et catalan. J'arrive à décoder ces longues tirades sur son parcours depuis Barcelone. Son périple s'étend sur trois mille kilomètres depuis Barcelone, il est remonté jusqu'à Irun, puis El Norte jusqu'à Santiago, ensuite Muxía (au nord de Cabo Fisterra), un bout du camino Primitivo jusqu'à Oviedo et retour à Barcelone. Je l'interroge sur le fait qu'il a beaucoup de temps devant lui. "Pensionista", il me dit. Retraité grâce à un handicap au niveau des cervicales. Effectivement, il me paraissaient bien jeune pour être retraité. Nous marchons une heure ensemble jusqu'à un bar où je ne prends qu'un café con lecche. Dans les moments de marche en silence, du moins pour ce qui me concerne, l'espagnol se parlait à lui-même. Évidemment je ne comprenais pas ces paroles, ni le sujet de son échange avec lui-même. En l'entendant, je me disais que peut-être, il avait marché un peu trop de temps seul. Il s'était créé un compagnon pour le camino : ce compagnon c'était lui-même.

Pont de Masiero

Il me faisait penser à Tom Hanks dans le film "Seul au monde" qui s'était créé un compagnon avec un ballon de volley-ball avec qui il entretiendra, pour tenir le coup, une amitié imaginaire qu'il avait nommé Wilson. De cette rencontre, je m'interrogeais sur le fait : y a-t-il un temps de marche en solo ou presque qu'il ne faut pas dépasser sans courir le risque de se parler à soi-même malgré la présence d'autres personnes.

Après le bar, je poursuis seul mon étape. Je croise de temps en temps des pèlerins qui reviennent soit de Fisterra soit de Muxia mais personne ni derrière ni devant.

Je marche seul dans une forêt d'eucalyptus, et oui encore, lorsque je jette un coup d'œil réflexe à ma montre comme cela m'arrive de temps à autre. Bing, bing, bing. J'entends trois bing prononcés par un pèlerin s'avançant vers moi avec une allure très décontractée, un grand chapeau lui couvre une partie du visage, de grande lunette noire lui couvre l'autre partie, une peau très cuivrée, d'une maigreur à faire pâlir d'envie les mannequins de mode. Une fois les trois bing prononcés, il me lance : "Time is now" ( l'heure, c'est maintenant) accompagné d'un grand rire que je peux qualifier de moqueur sans interprétation aucune. Et pour finir : "Go man, go". Que je traduis : "Vas-y mon gars, vas-y !". Évidemment, il n'avait pas de montre. Et il s'éloigne sans un mot de plus. Cela fait partie aussi du camino des rencontres croisées avec des personnages hors du commun. Ce pèlerin extraordinairement décontracté avait sans doute atteint l'éblouissement total pour ne vivre que l'instant présent et qui plus est, sans montre. J'avais peut-être croisé un demi bouddha. Qui sait ?

Je fais un arrêt sandwich à Negreira, petite ville sans caractère à vingt un kilomètres de Santiago. C'est une affiche qui me donne envie de faire cette pause énergétique. En effet, un restaurant propose une collation de 45 cm (bocadillo veut dire collation) que j'interprète sandwich car une collation de 45 cm n'a aucun sens. Je commande donc dans le premier bar venu, un sandwich qui me coûtera la modique somme de deux euros. Mais au lieu d'être d'une taille raisonnable, dans le standard du pèlerin qui n'a rien mangé depuis six heures du matin, c'était en fait un croque-monsieur classique. J'aurais préféré qu'il m'en coûte quelques euros de plus mais avec taille un peu plus appropriée. Décidément, la vie de pèlerin n'est pas forcément un long fleuve tranquille.

Negreira
Du beau chemin
Elles tournent

Curieusement, les trente-cinq kilomètres sont passés rapidement. Grâce à l'espagnol qui se parle à lui-même, le bouddha sans montre et mon sandwich à deux balles j'arrive dans l'albergue de fin d'étape. Une mamie m'accueille, elle ne parle pas un mot d'anglais, nous arrivons tout de même à faire le check-in, le tampon, je règle la somme de vingt-quatre euros pour la nuit et le souper. Je comprends qu'elle veut connaître ma prochaine étape. Je lui dis Fisterra. Elle soutient que ce n'est qu'à quinze kilomètres. Je tente de lui dire que c'est beaucoup plus loin que cela. Non, c'est quinze kilomètres me répond-elle à nouveau, en insistant avec un grand sourire. Et voilà, mon troisième personnage du jour. Je ne m'ennuie pas une seconde sur le camino.

Demain, je tente Fisterra d'un trait, cinquante kilomètres, j'ai envie d'arriver, les forêts d'eucalyptus j'arrive à saturation et le paysage pour l'instant, pas top. Je gagne un jour, je passerai peut-être deux jours à Muxia, dernière ville du périple, au lieu d'un, si le spot vaut le coup. Je ferai selon mes envies et mes capacités bien sûr.

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Date : vendredi 17 juin 2022

Heure de départ : 3h51 - Arrivée : 15h04

Distance : 51 kilomètres

Étape à Fisterra ((Galice) avant dernière étape

Hier, le repas de l'albergue n'avait rien à envier à un repas de restaurant sauf que les quantités n'étaient pas au rendez-vous. Les albergues de pèlerins s'échinent à préparer des repas sophistiqués alors que le jacquaire à besoin de sucres lents, de fruits et de l'eau ou une boisson pas trop sucrée. Tout était très bon mais inadapté et pas suffisant en quantité. Rien qu'aujourd'hui j'ai dépensé plus de deux mille cinq cents calories, le repas d'hier devait en avoir tout au plus mille cinq cents. J'ai donc encore une fois puisé dans mes réserves. Il y en a encore, j'en conviens.

Départ à 3h51, l'orage d'hier au soir finalement n'a pas eu lieu, le sol est à peine mouillé. Le chemin s'étale sur la route principale qui mène à Fisterra sur deux ou trois kilomètres puis bifurque sur une piste de gravillons larges. Je conserve ma frontale pour éviter les éventuelles ornières invisibles la nuit même si la lune éclaire légèrement l'environnement.

Le jour se lève sur la pointe des pieds mais n'arrive pas à dissiper les nuages et le brouillard épais dans les collines. Pendant les deux premières heures alors qu'il fait nuit noire, je marche serein pour cette grande étape, sans trop me poser de questions, les jambes sont faites depuis longtemps, je n'ai plus aucune douleur nulle part, ça devrait le faire même si le guide annonce des dénivelés et des montées- descentes à la pelle.

La première ville où j'ai la possibilité de prendre un café sera Olveiroa. Comme je suis parti très tôt, je crains que les bars ne soient pas encore ouverts même après vingt un kilomètres de marche. Chance, au début de la ville un bar a tout compris au business du pèlerinage : il est ouvert avec viennoiseries à gogo. Après quatre heures de marche, une petite pause croissants vous remet un pèlerin d'aplomb illico.

Huit heures sept, je repars, il me reste environ trente un kilomètres et pas les plus faciles mais dans vingt kilomètres une autre ville Corcubión, au bord de l'océan, il sera autour de midi. Le timing est parfait. Je n'ai avec moi que trois bananes au cas où la machine refuserait d'avancer mais je la sens bien aujourd'hui même avec peu de carburant dans le réservoir..

Je reprends à nouveau de la route goudronnée où à un carrefour deux possibilités soit Fisterra soit Muxia. Mon étape du jour c'est Fisterra, Muxia c'est pour demain et ce sera la dernière des presque quatre-vingt jours de marche. Je ne ressens rien de spécial, je suis juste concentré sur l'étape du jour un peu particulière, c'est l'avant dernière.

Retour sur une piste de gravillons dans le maquis finistérien, je traverse des collines presque des petites montagnes vertes de bruyères et de petits arbustes. Enfin du beau paysage, un peu gâché par les éoliennes en surnombre dans le secteur mais le décor sauvage et les odeurs de bruyères font oublier ces moulins à vent sonores et hideux. Vous avez compris, je n'aime pas trop, voire pas du tout ces manèges à trois pales qui n'amusent que les grands.

De la piste en terre battue, j'aperçois dans le fond de la vallée encaissée une rivière faisant des zigzag avec son lit. L'écoulement sonore du Rio de Paraíso couvre le frottis sourd provoqué par les hélices des éoliennes alentours. La nature est toujours la plus forte et je m'en réjouis.

Cette étape aura le mérite d'être un peu aérienne, je peux ainsi profiter d'un paysage à perte de vue avec au devant, un début de vision de l'océan retrouvé.

La descente s'amorce et déjà je devine la ville de Cee dans le fond de la vallée. Cee, ville de bord de mer proche de Corcubión en bord de mer elle aussi qui marquera ma prochaine pause. Il est midi trente, je repère un petit supermarket dans le village. Pain frais, jambon et un coca. Ça me suffira, les bananes, avalées à Cee dans la quiétude d'un petit jardinet en bord de plage avaient déjà eu un premier effet coupe faim.

Corcubión
Corcubión
Finistère au fond

Assis dans un square de Corcubión, j'avale rapidement mon sandwich jambon et mon coca light, il me reste douze kilomètres, le plein est fait, je peux poursuivre.

Un peu avant la descente vers les deux villes reposoirs près de la chapelle San Pietro martyre, un monsieur m'interpelle. Il me demande en espagnol si je suis français mais à son accent je devine immédiatement que c'est un italien. Je m'arrête pour faire connaissance. En fait c'est un volontaire du camino engagé pour racoler les pèlerins pour la visite de cette chapelle aujourd'hui ouverte. Je lui fais comprendre que j'ai une petite faim et que la visite sera pour une prochaine fois. Renzo, c'est son prénom, m'explique qu'il a travaillé de nombreuses années chez Emmaüs à Dijon, qu'il connaît bien la France et qu'il est volontaire pour le "racolage du jacquaire pressé d'arriver" afin de faire visiter cette chapelle de ce pauvre Pierre martyr devenu saint.

Nous nous quittons avec les ciao, ciao d'usage en Italie. Ce fut un bon moment et la seule rencontre du jour.

Trois kilomètres et c'est là fin de l'étape, le camino passe par la plage. J'enlève mes chaussures, je défais les jambières du pantalon, me dirige vers la plage, les pieds dans l'eau sur deux kilomètres. Le rêve. L'eau froide surprend un peu au début mais au bout de quelques minutes je ressens un bienfait fraîcheur d'abord au niveau des pieds, puis les jambes et enfin tout le corps. Ça c'est de la belle fin pour une superbe étape. L'océan à nouveau, quoi de mieux !

La plage de Fisterra

Il est un peu plus de quinze heures me voilà à l'albergue des pèlerins de Fisterra, en donativo. Check-in fait, je monte dans mon dortoir avec mon certificat, pas de bonne conduite mais celui de Fisterra. Un de plus.

Demain c'est la dernière direction Muxia. Il paraît que c'est une très belle étape. Vivement quatre heures quarante-cinq demain matin pour un départ à cinq heures.

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Date : samedi 18 juin 2022

Heure de départ : 4h55 - Arrivée : 11h00

Distance : 32 kilomètres

Étape à Muxía (Galice) - kilomètre zéro

Je suis de plus en plus efficace pour démarrer, alarme à quatre heures quarante-cinq, départ à cinquante-cinq. Un peu de jus de pêches, un pain au chocolat industriel, je boucle mon sac et j'y vais.

Une heure de routes aux inclinaisons variables dans le noir et le brouillard dense, très humide. Au moins je n'ai pas chaud juste les cheveux et la barbe trempés. Vous avez dû remarquer mais ma barbe blanche avec des mèches noires, ça fait plus aventurier, a poussé plus vite que mes cheveux. Subtilité du corps humain.

Enfin du chemin plutôt facile pour l'instant, dans une forêt de pins ou de sapins, je n'arrive pas à distinguer, il fait encore sombre à cause de ce fog galicien quotidien.

Il est un peu plus de sept heures, les pèlerins sortent de leurs tanières, j'en croise de plus en plus, ils vont à Fisterra. Ils ont dû rejoindre Muxia après Santiago pour aller ensuite à Fisterra. Je préfère faire l'inverse Muxia est paraît-il plus sympa et c'est aussi un bout du monde.

Cela fait presque trois heures que j'avance d'un bon pas enthousiaste, Lires, petit hameau au fond de la vallée a au moins un bar ouvert. Chance pour moi. Je prends mon temps pour tartiner mon croissant de beurre et de confitures. Pourquoi la serveuse m'a-t-elle amené du beurre et de la confiture avec le croissant? J'avale le tout avec gourmandise.

Dans le village, une des petites rues est bordée de ces granges sur pilotis coiffées d'une croix à chaque faîtière. J'ai l'impression de traverser un cimetière suspendu. Les superstitions font même se loger dans les granges.

Cette traversée de la forêt a été un bon moment car j'ai surpris une biche dans un fourré, elle a, bien sûr, détalé aussi sec en faisant des bonds géants au dessus d'un champ de céréales. L'homme dérange souvent la nature tranquille. Mais comment faire autrement ?

Le point noir c'est la biche

A partir de Lires, c'est de la montée sur presque dix kilomètres, pas raide mais au milieu de collines entièrement couvertes d'éoliennes en pleine action. Un fond sonore constant perturbe la quiétude du lieu, celle des animaux, peut-être la flore, qui sait ? Et celle d'au moins un pèlerin. Je ne vous fais pas un dessin.

En six heures treize minutes je couvre les vingt-huit kilomètres du jour, j'avais hâte d'arriver. La descente après les éoliennes laisse apparaître un magnifique point de vue sur l'océan bleu, aujourd'hui animé de quelques vagues et d'écumes blanches signent d'une petite brise fraîche pour la saison alors que l'Espagne brûle à tout va, de chaleur et d'incendies. On savait que tout cela allait arriver .

Arrivée à Muxía

Je peux dire que c'est une belle arrivée, peut-être la plus belle de tout le périple de la partie océan. La mer d'un bleu turquoise se démarque bien d'un ciel dégagé et clair. C'est tellement rare dans la région. Les deux derniers kilomètres resteront dans mon ADN, primo pour la beauté simple d'une nature encore vierge et secundo parce que ce sont les deux derniers du périple. Les trois derniers comptent aussi.

Mais le moment n'est pas au relâchement. Je dois prendre des options rapidement. Soit je reste une nuit à Muxía, soit je repars à Santiago en milieu d'après-midi, il y a un bus à quinze heures. Il est onze heures, je m'installe dans un restaurant pour une salade variée ça m'aidera à réfléchir. Enfin un peu de légumes. Si je reste à Muxía ce soir, je prends le risque de ne pas avoir de place pour dormir dans le séminaire à Santiago car dimanche il y a une big fiesta au pays de la coquille sacrée. C'est décidé, je prends le bus à quinze heures, entre temps, petite visite de Muxia et puis ciao l'océan.

J'ai trois heures devant moi. Au son d'une fanfare bruyante et de coups de canon répétés, j'ai l'idée qu'il y a une fête certainement religieuse dans la ville. C'est la Festas de Corpus dans le village, la fête patronale avec procession et tout le toutim.

Fiestas de Corpus

Du coup, l'attente n'est pas pénible, je me faufile au milieu de la foule, tirée à quatre épingles et moi pas tout à fait dépenaillé mais presque avec certainement une fragrance pèlerine subtile et une barbe hirsute de plusieurs mois. C'est un peu comme le dessin "Trouver Charlie", on me repère sans même chercher.

Une fois mon petit reportage processionnel terminé, j'ai l'envie soudaine et évidente d'aller au kilomètre zéro de Muxia, ce n'est seulement qu'à un kilomètre de là. Tout à fait à la pointe de ce bras de rocher où campe Muxía. Un beau chemin en pierres y mène. Le spectacle sublime me ravit les yeux, un bout de fin de terre comme je les aime : une grande chapelle, un phare, un rocher sculpté, l'océan et son infinie beauté, peu de monde. Grandiose.

Santiago da Virxe da Barca
La côte ouest
Faro de Muxía

"A Ferida”, une immense sculpture de granit rend hommage aux volontaires qui sont venus prêter main forte lors du tragique naufrage du Prestige en 2002. Ces deux bouts de roche granitique me fait penser au monolithe du film de Stanley Kubrick "2001, l'odyssée de l'espace". Il est posé là cet étrange duo d'obélisques qui se fondent assez bien dans cet espace d'une grande harmonie.

Au pied du monolithe, le kilomètre zéro. Clic clac. Je me prend en photo avec la plaque du zéro kilomètre : instant magique.

La flèche jaune ce n'est pour indiquer que c'est moi sur la photo, je pense que vous m'avez reconnu mais c'est la direction à prendre pour Fisterra. CQFD

Mais je n'ai toujours pas acheté ma coquille St Jacques, je pense que je la mérite, enfin je pense. A l'arrière de la chapelle, un petit marchand propose le tampon crédenciale du kilomètre zéro. Super, ça marquera bien la fin du périple, côté coquille, il ne lui en reste plus qu'une avec la croix jacquaire et marquée Muxia pour un euro. Je suis heureux comme un pèlerin qui aurait vu Santiago en personne. Je repars avec ma coquille et mon tampon du kilomètre zéro.

Un bonheur n'arrive jamais seul, voilà que je croise sur mon chemin de retour mon espagnol aux 3000 kilomètres dans les pattes. Grandes accolades de retrouvaille, visiblement il est content de me retrouver et moi je suis aussi heureux que lui. Il me confirme qu'il m'avait confondu avec Noël, l'écrivain irlandais qui a une barbe encore plus fournie que la mienne, qu'il avait rencontré un peu après notre séparation, c'était jeudi après la pause petit-déjeuner.

Une dernière accolade et nous nous séparons. Zut, j'ai encore oublié de lui demander son prénom. Pas grave, j'ai sa photo.

Retour au village où je traîne dans le port de Muxía admirer les bateaux qui m'ont toujours fait rêver. Je ne me lasse pas de les observer sur toutes les coutures. Toujours ce désir d'évasion.

Muxía

Quinze heures le bus, retour pour six euros cinquante. Bizarre de se retrouver transporter aussi vite. Peu de monde dans le bus, deux ou trois pèlerins et quelques touristes. Dix-sept heures gare de Santiago, je file vers le séminaire qui affiche complet. J'ai bien fait de réserver les trois nuits. Fin d'après-midi repos après une bonne douche et pas de rituels pour demain. Je dois me réhabituer à la vie normale. Deux jours à Santiago où je vais retrouver André et Jeandinne la hollandaise, peut-être Noémie et Mathieu le ronfleur. Fine équipe. Je ferai un dernier blog l'épilogue soit demain soit lundi. Bon week-end.

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Les guides, de nombreux pèlerins, les récits lus sur les sites faisaient état de la nécessité d’avoir un tempérament d’aventurier pour se lancer sur ce chemin, de la dureté du camino qui ne faisait que monter et descendre. C'est en partie vrai mais chacun son camino, libre à vous d'organiser les étapes selon votre envie, votre humeur, votre tempérament et vos capacités physiques et mentales qui au fil du temps ne peuvent que s'endurcir et deviennent un moteur puissant pour avancer avec des sensations de liberté et d'aisance insoupçonnées en vous.

Chaque saison du camino a eu sa spécificité, ses rituels, son ambiance particulière, ses rencontres et évidemment ses paysages à la fois tous différents par leurs diversités et tous identiques grâce à cette sensation de découverte originelle pour chaque étape.

Le plus extraordinaire dans ce pèlerinage est que l'on s'attend d'abord à des changements de décors ou de beaux paysages, de belles rencontres mais ce que l'on découvre, au fur et à mesure des kilomètres engrangés, c'est un changement de soi. Ce qui paraissait impossible ou tellement loin du but s'approche tous les jours un peu plus, certains jours avec quelques désagréments mais le plus souvent avec bonheur et sérénité.

Pourquoi faire El Norte, cette question taraude tous ceux qui, un jour, décident de se lancer sur les chemins de Compostelle. Même si elle est souvent très personnelle, elle intrique également beaucoup le proche entourage du partant. Personnellement, j'avoue que le côté difficulté m'a attiré immédiatement, je dois être un peu masochiste mais je ne crois pas à l'expiation. Souffrir, selon moi, n'est pas un remède, c'est une alerte transmise par le corps au cerveau pour lui dire : fait quelque chose mec, ça ne va pas ce que tu t'imposes ou que tu acceptes comme souffrance. Réagi.

Marcher seul me convient sur de longues distances et voire sur plusieurs jours quelques soient les conditions; par forcément pour me retrouver, me suis-je déjà perdu ? Non, juste le plaisir de ne dépendre que de moi. Évidemment, marcher avec mon proche entourage familial ou amical me procure aussi de belles sensations, différentes et aussi enrichissantes.

Sur le chemin, le temps prend une autre dimension. Loin des pressions du travail, le rythme lent ou rapide de la marche permet sans aucun doute de s'apaiser, de retrouver le bonheur dans des choses simples trop souvent oubliées. Pas de compte à rendre, aucun exploit à réaliser, aucun point de contrôle, ni personne pour vous dire à quelle vitesse vous devez aller, le nombre de kilomètres que vous devez parcourir. Vous êtes face à vous-même et quelle que soit votre façon de parcourir le chemin, rapide ou lente, triste ou joyeuse, seul ou en compagnie, ce sera le vôtre et uniquement le vôtre. Donc, El Norte, c'est un peu tout cela à la fois. Je pense avoir vécu chaque instant comme unique, j'ai remercié la vie de m'avoir donné chaque jour cette impulsion de partir, cette envie d'aller voir plus loin. Jamais je n'ai eu le sentiment de me dire : mais qu'est-ce que tu fais là ? Sur de courtes étapes comme sur les longues j'ai toujours eu cette joie, non mesurable et c'est tant mieux, d'avoir parcouru la distance avec grand plaisir et d'arriver à bon port avec dans ma tête, les petites histoires du jour à raconter, les images des paysages sauvages et magnifiques de beauté, les rencontres inopinées. Il y a tellement de salut dans le mouvement et le partage qu'ils deviennent carrément un mode de vie personnel, une raison d'avancer. Bien sûr chacun avance à façon mais celle-ci me plaît bien.

Ce dimanche matin, j'ai carrément traîné au lit. Dire que j'ai bien dormi. Non pas tellement. Je me suis réveillé d'abord à une heure du matin pensant avoir dormi toute la nuit, puis vers cinq heures qui est mon heure presque habituelle de lever. J'ai décidé de me lever il était sept heures trente. Petit-déjeuner au séminaire, pour votre information si un jour vous séjournez, cher et pas top. Autant le prendre en ville mais comme ce matin il pleuvait, j'avais la flemme.

Neuf heures, visite de la cathédrale, presque vide, j'en profite. Vers neuf heures trente, une lumière intérieure me dit, tu dois aller sur la place de la cathédrale, vas-y tu verras, une belle surprise t'attend.

Je m'assois sur un des côtés de cette grande place où des pèlerins affublés de poncho ou trempés comme un linge dans une lessiveuse arrivent au compte goutte et en ordre dispersé. Un groupe d'adolescents en file indienne débarque sur cette place mythique en chantant à tue-tête des prières, un des leurs tenant à bout de bras une immense croix en bois comme jadis faisaient les pèlerins au moyen-âge pour atteindre la terre sainte.

Groupe d'adolescents

Neuf heures trente-neuf, une silhouette connue débouche sur la place. C'est bien lui, c'est André, il avance tête dirigée vers le plaque centrale point zéro du périple compostellan. Mais à une dizaine de mètres de l'arrivée, il tourne la tête vers moi qui suit à cinquante mètres de lui et il me fait un grand signe.

Je lui fait comprendre de loin avec des gestes approximatifs de finir son étape et que l'on se retrouve dans quelques instants. Oui, c'est un moment extraordinaire, chacun doit le vivre dans toute son intériorité, sa sérénité et sa propre émotion d'y être parvenu.

Je le laisse dans son recueillement, reprendre son souffle, réunir ses esprits, vivre cet instant présent unique, rien qu'à lui-même, ce graal tellement attendu ou espéré.

Puis, il se dirige vers moi, aussitôt je me lève et avance aussi vers lui. Il a les larmes aux yeux et moi aussi. Accolades, tapes dans le dos. "Amazing" qu'il me dit. Nous nous regardons, je n'en crois pas mes yeux, lui non plus. Nous nous sommes quittés le matin du douze mai et nous nous retrouvons le dix-neuf juin, chacun ayant parcouru son camino à plusieurs centaines de kilomètres de distance l'un de l'autre. Quelle aventure de vie !

Incroyable non ?

Voilà, El Norte c'est fini, les jours suivants ne seront que de la visite de Santiago pour lundi et deux jours de train pour rentrer à Pizay en début de soirée mercredi.

Si je devais remercier la vie pour tout ce qu'elle m'a donné sur ce périple, il ne me resterait plus assez de temps pour vous remercier. Donc je vais commercer par vous et remercier et ensuite je remercierai la vie.

Aussi, je remercie tous les suiveurs m'ayant suivis uniquement par leur pensée au moins une fois. C'est déjà beaucoup.

Un grand merci aux suiveuses(eurs) m'ayant suivis(ies) par la lecture uniquement sans oser ou vouloir envoyer un message.

Un très grand à tous les suiveuses et les suiveurs m'ayant suivis(ies) qui ont pris du temps sur leur temps pour m'envoyer des messages d'encouragements, d'amitiés, de joie de découvrir de nouvelles contrées, des smileys, des émojis, des conseils, une ordonnance (merci Eric) et qui ont quelques fois bataillés(ées) pour avoir une connexion avec la messagerie de My Atlas.

Un big merci, plein d'émotions pour André, mon compagnon de route sur des centaines de kilomètres en France qui j'ai revu ce matin à son arrivée et je verrai jusqu'à mardi, jour du retour pour moi. Il va poursuivre jusqu'à Fisterra et Muxia puis il veut continuer sur le chemin portugais. Je lui souhaite le meilleur. On se reverra j'en suis sûr.

Un big merci à Louis, le jeune philosophe avec j'ai passé des instants studieux, enrichissants. Nous avons encore plein de choses à partager dans les mois et les années à venir. Belle réussite à toi Louis et philosophe bien.

Un big merci à James qui a été aussi une rencontre éblouissante pour moi. J'espère que ton chemin se passe bien, pour celui-ci et tous les autres chemins de la vie que tu empruntera.

Un big merci à Jorien, l'étudiante hollandaise, chanteuse et guerrière très motivée contre l'utilisation du plastique dans le monde. Je lui souhaite bonne chance.

Un grand merci à Soline pour avoir accepter de venir partager notre repas ratatouille et steacks avec André. Je te souhaite le meilleur.

Un grand merci à Jeandinne, la jeune hollandaise étudiante en architecture qui devrait arriver demain à Santiago. Nous formions avec André un trio de marcheurs de choc. Nous irons boire un pot ensemble avec André.

Un grand merci à Noémie pour les quelques moments d'échanges et nos retrouvailles avant hier à Fisterra.

Un grand merci à Stéphanie, la roumaine avec j'ai fait une étape parfois dans le silence parfois avec des discussions sur tout et rien à la fois. C'était bien.

Un grand merci au vieux monsieur coureur de marathon espagnol qui m'a accueilli dans sa maison un jour de pluie. Ça me faisait penser à la chanson de Georges Brassens, "L'auvergnat", Elle est à toi, cette chanson,

Toi, l'Auvergnat qui, sans façon,

M'as donné quatre bouts de bois

Quand, dans ma vie, il faisait froid.

Ce jour-là il pleuvait et c'est vrai j'avais un peu froid.

Un grand merci à l'espagnol des 3000 km rencontré il y a trois jours puis hier à Muxia. Je n'ai pas tout compris lorsque tu me parlais mais je suis sûr que c'était super.

Un grand merci à Sylvain, de Lyon, pour nos échanges même s'ils ont été de trop courtes durées et à bientôt pour une bière à Lyon.

Un grand merci à Flavio, l'italien, un peu perdu au début avec qui j'ai pu reparler italien même si je ne sais pas grand chose de toi.

Un grand merci à Casten, le danois, pour les verres de vin et ton humour que j'arrivais à comprendre même en anglais. Alléluia, tu chantera si tu penses à moi.

Un grand merci à Marc, en retraite pour m'avoir écouté lorsque tu voulais en savoir plus sur l'instant présent, les quatre accords de toltèques et autres voies de liberté personnelle.

Un grand merci à Guy, le canadien avec qui nous avons tenté, non pas de convaincre Marc de lire Eckhart Tolle ou Miguel Ruiz, mais ces éventuelles lectures pouvant lui bouleverser sa vie.

Un grand merci à Stéphane, pour les échanges sur quelques étapes. Buen camino.

Un très grand merci à Patrick et Françoise pour cette belle retrouvaille à Bidarray et cette soirée presque estivale en votre compagnie. Merci d'avoir pris du temps pour moi.

Un très grand merci à Nadine et Jean-Louis pour ces quelques heures passées ensemble au milieu de nulle part à Golinhac. Merci pour tout ce déplacement pour moi.

Un très grand merci à Michelle et Claude pour vos messages, SMS et autres moyens tout le long de ce périple superbe. A bientôt à Pizay et en Italie chez moi

Un très grand merci à Michelle et Philippe pour les news et vos encouragements et la belle poésie du pèlerin.

Un très grand merci à Alexia, Hervé et Yan, pour vos encouragements. On se voit bientôt.

Un very big merci à mes petits-enfants Louise et Solal pour leur questionnements récurrents : "mais quand est-ce qu'il revient de sa randonnée Papylio? ". J'arrive bientôt mes bout choux.

Un very big merci aussi à Julian, Lucas, Elise et Laurie, tous mes enfants pour les pensées que vous avez eues pour moi et l'aide apportée à Guylaine lorsqu'elle en avait besoin.

Un très grand merci à ma Maman et à Denise ma sœur pour vos encouragements. Curieusement Maman, tu ne t'inquiétais pas trop lorsque j'étais sur le camino. J'ai senti aujourd'hui au téléphone que tu étais heureuse et soulagée que je sois arrivé sain et sauf. Ah ces mamans !

Ai-je oublié quelqu'un ? Si tel était le cas mille excuses.

L'amour, je ne vois pas trop ce que c'est, et c'est pas toujours facile à définir mais les preuves d'amour, oui. Guylaine m'a donné une belle et grande preuve d'amour. Buen camino à nous deux pour la suite du reste de notre vie ensemble.